--- Première quinzaine de Février ---

Le message lui été parvenu en un moment où il aurait préféré ne pas le recevoir, il était vrai. C’était un peu le mauvais moment pour cela, surtout avec tout ce qu’il avait sur le feu… Hélas, pour le coup, il se voyait difficilement refuser. Si ça n’avait été qu’une affaire de l’ordre, il aurait demandé à un autre maître de s’en charger, si ça avait été à son sujet propre, il aurait attendu en prétextant avoir quelque chose de bien plus important sur le feu. Hélas ce n’était ni l’un ni l’autre et il valait mieux aller voir de quoi il retournait exactement plutôt que d’attendre et de risquer un problème plus important. Avant de partir, il avait affirmé à Elrond qu’il espérait que les elfes ne règlent pas leurs comptes pendant son absence et c’était toujours le cas, il priait les Esprits pour qu’ils empêchent les siens de devenir complètement fous. Cette demande de rencontre était-elle une réponse à ses prières ou bien le glas qu’il s’attendait à voir advenir ? Aucune idée pour le moment. Pour tous ses pouvoirs, sa capacité à entendre les chants-noms, à chanter les éléments, à guérir des blessures terribles ou encore à communiquer avec un dragon noir au mauvais caractère, il n’était pas devin ni omniscient et n’avait donc pas la moindre idée de ce qu’on lui voulait exactement. Fort bien donc, il n’avait guère le choix et espérait simplement pouvoir retrouver Hyrrienna par la suite afin de continuer la recherche de Dévoreuse… si la chevalière n’avait pas disparue d’ici-là. Enfin, ce n’était certes pas la faute d’Aegnor Evanaelle et il ne le blâmait pas. Pas encore, ça serait à voir une fois sur place si il décidait d’extérioriser sa mauvaise humeur latente sur le neveu de Galadrielle ou si il se retenait encore une fois. Ses nerfs commençaient à être mis à rude épreuve avec la fatigue qu’il traînait comme une cangue et la peur. La peur pour l’avenir si il ne réussissait pas, la peur également pour lui-même si il ne retrouvait pas ses souvenirs. La peur pour tous ceux qu’il connaissait et ceux qu’il ne connaissait pas. La peur de faire une nouvelle erreur qui coûterait encore des vies stupidement. Tout cela l’usait radicalement. Il avait besoin de poser son fardeau au moins quelques heures. Et finalement ? Peut-être le pourrait-il après avoir vu le jeune elfe.

Certainement même, il prendrait un moment pour aller se ressourcer au sanctuaire du feu pendant que Shaynar irait chasser. Il ne voulait pas lui imposer des simagrées plus que de rigueurs, déjà qu’il l’obligeait à l’emporter jusqu’aux bois elfiques. Le dragon noir n’avait d’ailleurs pas forcément apprécié de devoir abandonner la course à Dévoreuse, et il serait bien en mal de dire qu’il ne comprenait pas pourquoi puisqu’il ressentait exactement la même irritation et frustration. Cependant, il fallait le faire, devoir obligeant, et en serrant les dents. Il n’avait… non, ils n’avaient pas voulu perdre de temps cela dit et avaient foncés au travers des airs aussi vite qu’il était possible histoire de raccourcir le trajet. En quelques jours, ils furent enfin arrivés et Merithyn prévint les siens, autant pour permettre d’aller chercher son invité que pour, tout simplement, jouer de courtoisie. Il fut donc accueillit par Aramis avec qui il discuta un moment avant de s’excuser pour pouvoir profiter du confort d’une salle d’hygiène véritable, dont il s’était passé un mois entier, avant de prendre un petit en-cas composé de pain au miel, d’un œuf non fécondé et de fruits secs, d’un morceau de fromage au sel et d’un grand verre de jus d’agave, conseillé par son ancien professeur. Installé dans son bureau, il finissait tranquillement son plateau lorsqu’on annonça le jeune Evanaelle. Il le laissa entrer, repoussant légèrement le plateau de bois et profitant du soleil chaud qui alanguissait le domaine, se releva pour lui faire face. Il salua d’un simple signe de tête, pas plus impressionné par son statut, après tout, il côtoyait assez de têtes couronnées pour ne plus devenir fébrile en en voyant une de plus. « Bien le bonjour, Aegnor. J’espère ne pas vous avoir dérangé en vous faisant quérir, mais puisque je répondais à votre demande de rencontre j’ai pensé que ne pas perdre de temps serait une bonne solution même si j’avoue être content de retrouver le domaine en ces jours de tension. Je vous en prie installez-vous » Il se réinstalla lui-même. « Que puis-je donc pour vous ? »

Dès l’instant où il s’intéressa à son chant-nom, comme il le faisait pour tous, il comprit que quelque chose n’allait pas. Et que, non seulement quelque chose n’allait pas, mais qu’en plus il n’allait pas aimer ce qui n’allait pas. Non il n’aimerait pas du tout. Et ça lui tapait déjà souverainement sur les nerfs alors que l’autre avait à peine ouvert la bouche. Lui dire de faire silence là tout de suite aurait pourtant été discourtois, un soulagement et un plaisir, mais discourtois. Et si il y avait quelque chose qu’il n’aimait pas c’était bien ça. Quoi qu’Aegnor s’apprête à lui demander, il n’avait aucune raison de se comporter avec hostilité ou de refuser de l’entendre. Tout de violence contenue et de certitudes qu’il fut, il était un demandeur au même titre que Lorenz ou d’autres pouvaient l’être. Autant attendre avant de se décider à flamber de colère un bon coup. Il y avait tout de même de l’urgence dans la demande qui lui avait été transmise. Il l’examinait attentivement de ses yeux de perle marine, attendant qu’il en ait terminé avec ce qu’il voulait dire avant de lui-même prendre la parole. Et en l’écoutant, il se fit la réflexion que, pour le moment, il valait mieux rire de ce qu’il affirmait que de se mettre en colère… Il n’était pas sans savoir que Galadrielle était sous sa protection ? Encore heureux par Dracos qu’il savait ! C’était lui qui avait proposé qu’elle le soit. Qu’il soit partiellement amnésique ne voulait tout de même pas dire qu’il oubliait tout et n’importe quoi. Et il se rappelait très bien avoir pris l’impératrice sous son aile, en sachant que c’était là la meilleure solution pour elle. Il savait également qu’il avait appris ses cousins, ce qui lui semblait parfaitement normal. Si un vampire était une honte au royaume elfique ce n’était pas le cas sur le domaine, et le fait que Galadrielle séjourne-là ne signifiait et n’avait jamais signifié qu’il dissimulait l’état des petits. Il ne voyait pas bien en quoi cela méritait d’être mentionné… mais soit, peut-être l’apprendrait-il par la suite. Après tout, il n’avait pas fini. En revanche, il n’apprécia nullement les ondes troublées qui lui parvinrent à la mention du vieil Eliwyr… Il n’aimait ni ces ondes ni ce qu’elles signifiaient de l’être face à lui. Si lui-même n’appréciait pas Meraennon, il avait cependant fini par faire la paix avec ce qu’ils s’étaient dit, et les évènements entourant sa relation avec Galadrielle avaient aidé à lui offrir une vision plus objective de l’individu, quoi que teintée d’un brin d’agacement. A croire que cet elfe ne revenait à personne…

« Bien entendu, il n’y a pas que cela » répondit-il de sa voix modulée pour parvenir à des oreilles mortelles sans mal. Elle était lasse, tout comme lui, et il n’avait nul intention de cacher cela, ce qui ne l’empêchait pas pourtant d’officier, encore et toujours. « Commençons par le commencement, je n’ai pas envie de vous devancer en vous ôtant vos questions avant que vous ne les posiez… Un seul être est à l’origine des déboires et des émois de votre tante et d’Eliwyr Meraennon. Ils ne sont pas plusieurs et il ne s’agit pas d’un complot… purement politique » Un léger silence, une brève seconde, le temps qu’il reprenne son souffle et pose ses mots et ses idées correctement, comme il le fallait naturellement dans toute conversation lorsque l’on manipulait des mots dangereux. « La personne que vous recherchez est Mewen Eowarawen. Elle était amère de devoir à nouveau accepter l’aide des dragons, que votre tante, Galadrielle, accepte des dragonniers en son royaume. Ses propres traumatises, son ressentiment à leurs égards lui faisaient dire que nous n’avions pas besoin des dragons, qu’ils nous avaient trahis et abandonnés… Que nous, elfes, ne leur devions rien. Mais elle savait aussi qu’elle n’avait aucun moyen de faire adopter ses idées en l’état, alors elle a cherché la seule chose qui aurait pu lui apporter reconnaissance : le pouvoir d’un titre impérial… » Il eut un rire léger, trouvant cela finalement assez drôle alors que dans son esprit, Shaynar grognait, de mauvaise humeur à entendre les siens traités ainsi par quiconque. « Elle désirait vous voir boire un philtre d’amour afin de vous épouser, et de devenir impératrice une fois Galadrielle partie. Une fois impératrice, elle aurait passé outre le conseil pour imposer ses idées, quitte à devenir un tyran » Il s’interrompit un bref instant avant d’assener le plus calmement du monde, avec un sourire. « Voilà ce que vous désiriez savoir »

Il haussa vaguement un sourcil, l’arc délicat couleur d’or dénotant d’une observation polie où se mêlait une pointe de scepticisme courtois. Il n’avait jamais prétendu chercher à défendre des innocents, surtout pas lorsqu’on parlait de membres du conseil, il se serait d’ailleurs bien gardé d’accoler le descriptif d’innocent au moindre d’entre eux. Les mots, pour un Baptistrel, étaient des armes à double tranchant et il valait mieux faire attention lorsque l’on ouvrait la bouche car chaque mot pouvait porter bien des significations. C’était là l’essence du langage et choisir ses mots était un travail d’autant plus difficile que beaucoup ne comprenaient même pas quelle puissance vibrait à chaque syllabe qu’ils émettaient. S’l n’était pas encore au fait de sa prudence nécessaire il parvenait tout de même à atteindre un certain état de sûreté dans ce qu’il pouvait affirmer. Les conseillers n’étaient pas innocents pour la grande majorité. De ce complot, sans doute, de leur vie longue et bien remplie en revanche… mais là encore, il avait dépassé le cap du jugement, et n’aurait d’ailleurs pas osé en émettre, même partiel. Pas à haute voix du moins. Il se gardait des pièges de ce genre-là. Silencieux, il ne répondit ni n’interrompit son interlocuteur, lui laissant la liberté de s’exprimer comme il le désirait, ce qui était après tout son droit le plus stricte. Attentif, il tentait néanmoins de faire cesser la migraine qui pulsait lentement à ses tempes et menaçait de se faire plus forte avec le temps qui passait. Aegnor l’amusait assez, en dépit de son état physique. Le jeune elfe qui pourtant détestait le conseil et n’appréciait pas vraiment les sinuosités politiques lui servait un discourt…. de politicien. Ironie plaisante que celle-ci, qui vint se peindre d’une expression amusée, fleurissant ses lèvres d’une mimique délicate. Alors qu’il se taisait enfin, lui laissant la possibilité de répondre, Merithyn taquina. « Pour être franc avec moi ? » Et sa voix chaude s’ourlait effectivement d’amusement. « Donc je dois en déduire que vous ne l’étiez pas précédemment ? »

Quand il disait qu’il valait mieux faire attention à ce qu’on disait… pourtant, et fort heureusement, il ne s’agissait que d’une façon de s’exprimer. Biaisée, mais tout de même. Pourtant, sa question restait parfaitement légitime. Et d’autant plus avec ce fameux discourt de politicien. Un allié ? Jamais il n’avait été dit que Tomingorllo était l’allié de qui que ce soit, car les choses étaient bien plus compliquées que cela. L’ordre ne prenait pas partie, ni en politique, ni en économie, ni en guerre. Pas à moins que la situation ne devienne terriblement pressante et qu’une intervention de leur part soit absolument nécessaire. L’ordre rendait service et tendait la main à tous, mais n’était l’allié de personne car une alliance représentait déjà une attache alors que les siens désiraient rester indépendants et neutres. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle Galadrielle était en sécurité dans le château de son ancêtre et sur ce domaine. Parce qu’il ne devait absolument rien au royaume elfique, alors même qu’un allié aurait pu être soumis à une demande en toute légalité qui l’aurait mis dans une délicate situation. Ce qu’ils faisaient pour le royaume elfique était fait de bon cœur, et non en raison d’un quelconque lien préétabli. « Nous ne voyons pas les choses de la même façon, en ce qui concerne les évènements de la bataille des bois sombres » Ponctua-t-il avec calme. Il ne pensait pas qu’une intervention elfique aurait grandement changé le résultat final. Le bris des barrières de l’ordre avait été dû à la perte de Dracos dans son duel avec Néant et à rien d’autre. En cela, aucun elfe n’aurait pu changer la donne. Quand à une intervention militaire durant la retraite humaine… Sans doute les humains auraient-ils appréciés le soutient, effectivement, et peut-être la situation aurait-elle était sensiblement moins mauvaise. Mais au final, ils auraient avancés quoi qu’il arrive. Les elfes n’auraient pas été plus utiles, car en désavantage sans leur magie et si vulnérables aux pouvoirs des serviteurs de l’esprit du Néant.

Et lorsque la perte de la magie aurait survenue, le massacre aurait été tout aussi grand, si non plus grand encore. Il n’agréait pas à l’inactivité des elfes, mais il ne pensait pas non plus qu’un simple envoi de troupe pouvait tout changer. Parfois, l’action décisive se situait ailleurs. En revanche, il avait effectivement pensé que, contre les vampires, une intervention directe et armée aurait été de bon ton. C’était du passé, cependant, inutile de s’attarder dessus. Bien des tragédies auraient pu, peut-être, être évitées… et d’autres auraient eu lieu. Très certainement. C’était le lot de la guerre, hélas. « Non, nous ne considérons pas la situation de la même manière, néanmoins, lorsqu’il s’agit de l’attitude du peuple elfique, je pense effectivement que nous voulons la même chose. Travailler en collaboration avec vous, pour permettre au peuple elfique de s’ouvrir à l’extérieur et cesser sa marche vers l’extinction, me sied parfaitement. Je suis certain qu’une vision supplémentaire d’un véritable avenir ne peut qu’être bénéfique » Il cligna des yeux pour chasser les picotements de fatigue qui les habitaient, avant de reprendre. « Je ne pourrais guère vous assister, en ce qui concerne votre potentielle accession au trône, car ce n’est pas mon rôle ni ma liberté que de soutenir un prétendant dans ses campagnes. Mais travailler à un radical changement de mœurs au sein du royaume elfique m’est tout à fait possible, bien entendu » La précision méritait d’être apportée, même si il ne doutait nullement de la sincérité de la demande qu’avait faite Aegnor. « Quant aux réponses que vous me demandez… Eliwyr Meraennon n’a pas profité de sa situation auprès de votre tante. Il l’aime et il aime ses enfants. Pour tous les défauts que je puis éventuellement lui trouver, celui d’être un mauvais patriarche ne peut être cité. Il est, je pense, exemplaire en cela » Attendant un bref instant en se souvenant d’un détail, il fronça un peu les sourcils en reprenant la parole avant qu’il ne puisse poursuivre de son côté. « Je souhaiterais soulever une incertitude… tant qu’elle me vient en tête. Vous affirmez que les elfes dédaignent l’alliance signée avec les humains et les vampires… êtes-vous au courant que les rôdeurs ont pris poste à Aigue-Royale depuis Octobre dernier. Votre tante, ainsi que ses meilleurs guerriers et espions, se trouvent déjà à aider la rébellion, là-bas »

L’attitude ombrageuse du jeune elfe ne lui faisait strictement ni chaud ni froid, trop habitué qu’il était à voir des individus autrement plus redoutables assener ce genre de comportement. Au contraire, ça l’amusait quelque peu que de le voir prendre mal sa remarque. Mais il fallait dire, à sa décharge, que dans son état actuel, il valait mieux pour tout le monde qu’il prenne les choses avec le sourire, plutôt que de s’en vexer. A force de mâcher l’amertume, on finissait invariablement par perdre la raison et ne plus profiter des légèretés de la vie. Et il se mortifiait déjà bien assez d’autres choses, bien plus graves. Peut-être cela inciterait-il Aegnor à faire plus attention à ce qu’il disait, à l’avenir. Qu’avait-il besoin de lui affirmer être franc s’il l’était réellement ? Seul un individu en doutant l’aurait fait. Mais ce qui était vraiment drôle, c’était de voir qu’il n’appréciait guère les vérités qu’il lui servait. Oui, ce n’était pas toujours au goût de tous, et vivre avec l’entière et violente vérité, dans toute sa crudité, n’était pas chose si aisée que cela, quand bien même on s’en réclamait, quand bien même on avait un hibou sur l’épaule. Lui aussi l’avait découvert à ses dépens. Vivre avec la vérité, quelle qu’elle soit, était son devoir et le serait tant qu’il porterait le titre de Cawr. Et plus il vivait avec, plus il apprenait d’elle, dans tous les sens du terme et sur tous les plans. La vérité était une leçon qu’il honorait et qu’il était flatté et reconnaissant de recevoir. A croire qu’elle l’avait déjà changé, en bien des façons, mais sans qu’il puisse exactement décrire quels étaient ces changements. Ils existaient et c’était très bien ainsi.

L’amusement ne cessait pas. Dédaigner était un mot un peu fort oui, c’était pourtant celui qu’il avait employé. Au moins le reconnaissait-il, c’était une bonne chose. Quoi qu’il n’aurait pas dû avoir à le faire au départ. Le reste ne lui était qu’informations connues, hélas. Il le déplorait comme ce jeune elfe. L’attitude générale des sylvains n’était pas vraiment propice à la moindre entente avec les hommes… quand bien même, Eliwyr avait effectivement envoyé des forces, ce qu’il saluait, ne s’étant pas attendu à le voir agir ainsi. En fait, il avait bien pensé que le nouveau souverain se serait effectivement contenté de regarder la guerre de loin. Faire son mea culpa là-dessus avait été une immense satisfaction. C’était au moins mieux que rien. Pas la panacée, mais pas rien non plus. Toutes proportions conservées s’était même beaucoup. Il haussa un sourcil, l’observant avec un curieux mélange au creux de ses prunelles perlées. Il avait déjà bien comprit que ce jeune impétueux voulait offrir un soutien inconditionnel aux rebelles, et d’une certaine façon, il était tout à fait d’accord, mais il était quand même particulièrement ironique de le voir affirmer n’avoir confiance en Eliwyr. Qui parlait ? L’observateur impartial ou le jeune elfe qui avait une dent contre lui ? « Je crois au contraire qu’ils savent quel est le danger. Mais qu’ils le sous-estiment » Pécher par excès de confiance oui. Trop d’arrogance, trop d’autosatisfaction, trop d’aise à l’idée de détenir une quelconque supériorité sur leurs adversaires. La barrière avait déjà été percée une fois, qui disait que ce ne serait pas à nouveau le cas ? Il avait renforcé aux maximums les protections baptistrales autour du domaine de son ordre, mais n’était pas même certain que cela soit efficace.

S’il avait d’autres incertitudes à levées ? Hm son discourt tout entier ? Non, c’était faire du mauvais esprit et ça, il le laissait au prince noir, il y avait tout de même du bon dans les paroles d'Aegnor, et la fatigue ne devrait pas le pousser à se montrer méprisant et sarcastique envers lui alors que son action était louable. Néanmoins il glissa avec douceur. « Non, cela ne vaut pas mieux. Le monde n’est pas blanc ou noir et chaque action suit également cette règle. Le tout est de soupeser le plus justement possible un problème et lui octroyer une réponse d’égale justesse. C’est plus dur qu’il n’y paraît, même pour nous » Il eut un profond et lourd soupire avant de reprendre. « Néanmoins, non je n'ai pas d'autres incertitudes, pour le moment à tout le moins et sachez que je comprend parfaitement votre vision du conseil. Je ne le tiens pas en plus haute estime quoi que je m'efforce de rester juste envers eux également... Et vous, Aegnor, avez-vous d’autres questions auquel je puis répondre ? Après tout, je suis principalement revenu pour cela, autant faire usage de la rencontre… » Et il attendit poliment de connaître la réponse de son interlocuteur, mains croisées sur ses genoux et regard paisible dénotant la plus infime trace d’amusement.

Il devait avouer qu’il se montrait, contrairement à ses habitudes, fort indiscret avec Aegnor Evanaelle, mais la situation et le caractère de la bête s’y prêtait pas mal. Sans parler de l’influence que Shaynar exerçait sur lui. Dans tous les cas, il utilisait son accès aux vibrations sans scrupules aucunes. Mais dans un même temps, il ne s’arrêtait pas forcément uniquement sur les sentiments, laissant ceux-ci venir d’eux-mêmes. Aegnor était un être dont les sentiments étaient particulièrement vifs, un peu comme lui avait pu l’être et l’était encore parfois. Un être de feu. Un incendie encore plein d’ardeur. Il n’était pas difficile de discerner ses vibrations au milieu du reste. Violence, amertume… Heureusement, le jeune elfe n’était pas fait que de cela, ou ils auraient eu un nouveau Wintel en puissance, quelle que soit la fascination qu’il avait lui-même développé envers le vampire. En tous les cas, il n’attendait qu’une potentielle question de la part de son interlocuteur, pour peu qu’il mette de côté toutes ses sombres pensées sur l’instant. Mais il était, en tout cas, clair que cette entrevue avait été riche en émotions et en nouvelles, au moins pour lui. Même si, actuellement, il oscillait intérieurement entre un plongeons complets des nerfs dans un fou rire général et l’envie de se morfondre dans une déprime totale devant l’enchaînement plus que malheureux des évènements actuels. Se mordillant l’intérieur de la lèvre, il écouta son interlocuteur sans le quitter des yeux mais en soupirant après une tasse de décoction qui chasserait un tant soit peu sa migraine carabinée. Une migraine qui empirait de seconde en seconde. Il lui posait vraiment pareille question ? A lui ? Voilà qui était compliqué, il n’avait jamais été un expert en politique et encore moins en royauté. C’était compliqué de donner un avis alors même qu’il n’était certainement pas le mieux placé pour en parler… Néanmoins, il prit le temps de la réflexion, retournant la question dans tous les sens. Jeter un jugement ou une idée, comme ça, sans aucun fondement ni appui autre que son propre avis et jugement, lui était difficile et gênant, aussi comparait-il la question au seul exemple réellement viable qu’il ait sous la main. Et… Mais avait-il fini de l’appeler Baptistrel ? Il avait un nom par Dracos, était-ce si difficile de l’utiliser ? Grmf… Même les vampires finissaient par l’appeler par son nom. Tout de même c’était moins impersonnel et déshumanisant que simplement ‘Baptistrel’, enfin bon… le problème n’était certainement pas là pour le moment.

« Bien… je commencerais par le plus simple, si vous me le permettez » Et même si il ne le permettait pas à bien y réfléchir… ou pas. Roh il ne savait absolument plus jusqu’où il serait capable d’aller ou non en fait, c’était fatiguant et perturbant. « Je protège déjà votre tante et ses enfants. Ils sont mes invités, des résidents du domaine, et à ce titre personne ne peut leur faire de mal sur mes terres. Ainsi était-il dès l’instant où je leur aie ouvert les portes de Tomingorllo. Il est interdit de verser le sang sur ces terres et cette loi a été d’autant plus renforcée après la bataille des bois sombres. Si quiconque se montre, et pardonnez-moi ce terme, assez stupide pour tenter quoi que ce soit, ses problèmes ne viendraient ni de moi ni de mes pairs mais bien de la magie même de ce lieu. Je ne cache pas votre famille, Aegnor, si l’on me demande la vérité je la donne, mais ils sont et resteront, sauf, en ces lieux, j’y ai veillé » Et si le royaume elfique n’était pas content, ce serait strictement la même chose. La Rhapsodie ne leur devait absolument rien, pas même l’aide des bois sombres en vérité et il était hors de question que des enfants innocents soient soumis à la haine aveugle de quiconque. Même si ils étaient elfes. A cela, tous, Eawyn comprit, avaient agréés. Et de toute façon, Galadrielle désirait rester auprès d’eux, ce qui arrangeait grandement les choses. Il faudrait simplement qu’il s’occupe de trouver un professeur à Valaen lorsque le moment serait venu, qu’il puisse apprendre à se contrôler dès que possible. Compliqué, mais pas impossible, d’autant qu’ils pouvaient le nourrir à volonté. « Quant au reste… Non, ce n’est effectivement pas une question particulièrement simple et même si elle l’était, je n’en donnerais pas une réponse telle quelle. Je ne prétends pas être un expert en politique, on ne m’a pas nommé à mon poste pour cela et je n’ai que peu d’amour pour ce qui y a trait » Sa voix paisible restait douce, et pourtant, il n’était pas difficile de sentir ce petit quelque chose, cette prudence dans le ton qui indiquait clairement sa désapprobation quant aux pratiques de cet acabit.

« Je ne peux pas baser que sur ce que j’ai vu et expérimenté, ainsi que sur mes connaissances, toutes froides et mortes soient-elles » Il expira doucement le reste d’air contenu dans ses poumons avant de reprendre la parole, créant un creux dans le discourt. « Etablir une famille régnante a ses avantages. Cependant c’est aussi réfuter une plus grande qualité potentielle chez des individus de moindre naissance, autant que cela entraînerait sans aucun doute un conservatisme même minime des clans. Ce que je pense, c’est que celui qui devra hériter de la couronne soit choisi à la fois par des individus experts en leurs propres domaines, mais également par le prédécesseur de cet élu, qui aurait alors à charge non seulement de le jauger, de lui apprendre, mais surtout de transmettre les idéaux et les valeurs réelles devant présider à l’autorité d’un souverain. Ceci peut toujours être serti du sceau de la vérité, si il le faut, les vœux prononcés lors d’un couronnement se doivent d’être sincères, c’est également l’une des raisons qui nous agrée de sacrer ou non un héritier. Si vous prenez le pouvoir, vous établiriez ainsi une lignée, non pas liée par le sang mais bien par l’héritage culturel. Premier de cette lignée, il ne vous appartiendrez pas d’être réellement l’icône d’un souverain ‘meilleur’ ou ‘moins mauvais’ mais bien celui qui guiderait l’avènement de cette personnalité. Un précurseur. Peut-être existera-t-il un être effectivement ‘mieux’ placé, pour occuper le trône, je ne jurerais de rien en notre monde. Peut-être apparaîtra-t-il au cours de possibles réformes. Impossible de le savoir pour l’instant. Le mieux est de trouver une solution combinant les avantages principaux que l’on peut tirer de différentes formes d’élections. Voilà tout ce que je peux en dire en si peu de temps »

La discussion touchait probablement à son terme, à moins que le jeune elfe n’ait autre chose à lui demander, ce qui ne semblait pas être le cas. En peu de temps, ils avaient couvert pas mal de sujets, et avaient tous deux certainement donné matière à penser à l’autre. Néanmoins, il ne fallait pas trop en dire d’un seul coup, au risque de diluer l’importance de chaque sujet. Là, c’était relativement bien dosé et il aurait sans doute de quoi penser, pendant qu’il courserait Dévoreuse. Là tout de suite cependant il n’était effectivement pas en état de quoi que ce soit d’autre… Il n’avait qu’une envie, essayer de prendre un peu de repos dans un des grands jardins du château et reprendre une de ses potions énergisantes. « Je reste quelques jours, si vous nécessitez une nouvelle entrevue, n’hésitez pas » Quelque chose lui disait que ce n’était pas utile dans l’immédiat mais on ne savait jamais et c’était la moindre des politesses que de le proposer. Laissant l’autre se lever et quitter la pièce, il décida de descendre également et scella derrière lui la tour du gardien afin de s’aventurer dans les jardins intérieurs de la cour du rez-de chaussé. Là, il resta tranquillement seul, en silence, écoutant la vie alentours. Les autres maîtres étaient tous occupés et à vrai dire il n’avait pas envie qu’on lui tienne réellement compagnie. Puis, après un moment, il s’installa dans l’herbe sous un saule et observant le soleil qui jouait entre les feuilles des arbres, le jeu de lumière. Il se sentait un brin moins tourmenté que précédemment et…. Très fatigué, tellement fatigué en vérité qu’il s’endormit complètement, comme une pierre. D’un sommeil très lourd même mais troublé par quelques cauchemars. Cependant, ayant largement atteint le point de non retour, il ne se réveilla pas avant plusieurs heures.

RP TERMINE