La lune éclairait les lieux d'une douce lumière argentée. Nalaïa Melanwan marchait tranquillement entre les arbres, profitant du silence bienfaisant qui régnait pour réfléchir. Réfléchir… Elle avait l’impression que c’était son occupation principale ces derniers temps. Depuis l’arrivée des Alayiens en fait. Ceux-ci étaient déterminés à détruire tous les Elfes et à soumettre les Humains. Heureusement, les Armandéens ne s’étaient pas laissés faire. Le Chevalier des Larmes non plus. Bloquée entre les murailles de Gloria la Magnifique, elle avait tout fait pour rester en contact avec l’extérieur et ses compagnons d’arme. C’est ainsi qu’elle avait pris connaissance de la tenue d’une audience spéciale par le duc Korentin Kohan. Bien décidée à ce que l’ordre qu’elle servait soit représenté autour de cette table, elle s’était rendue au palais et avait participé à l’entretien. Il avait été question d’une trêve et la décision avait été prise que les Humains devaient être présents. Quand il avait été question de qui ferait parti de la délégation, la jeune elfe s’était proposée. Finalement, suite à une bagarre dans une taverne du quartier pauvre, elle avait eu la jambe brisée et un repos obligatoire avait suivi de près. Clouée au lit, elle n’avait pu prendre sa place dans la délégation qui avait quitté la capitale des Humains.

Deux jours plus tard, malgré la douleur, elle s’était faufilée en dehors de la ville par un passage dérobé et avait chevauché sans s’arrêter en direction de la forêt elfique. Eviter les troupes ennemies lui avaient semblé un jeu d’enfant et pourtant, elle savait que, si elle était prise, sa vie se terminerait. Se riant du danger, elle était arrivée au royaume elfique bien plus vite qu’elle ne l’avait prévu. Guidant alors sa jument palomino jusqu’au domaine des Baptistrels, elle y avait rejoint la délégation des Humains après le serment habituel et le dépôt de ses armes. Elle s’était sentie toute nue ainsi désarmée mais il lui était impensable de ne pas se plier à la volonté d’un Baptistrel. Elle avait donc rejoint les autres. Quand enfin elle s’était retrouvée seule, Nalaïa était sortie prendre l’air et réfléchir. Encore et toujours réfléchir.

La guerrière rousse lança son pied dans un caillou qui roula plus loin. Elle repensa à sa rencontre avec Ombre. Quel étrange personnage. Elle se demanda quand leurs routes se croiseraient-elles de nouveau sans se douter que ce serait bien plus tôt qu’elle ne pouvait l’imaginer. Pendant ce temps, ses pas la guidèrent vers la Fontaine Vif Argent. Dans sa jeunesse, Nalaïa avait entendu sa mère évoquer ses nombreuses vertus. Le bruit délicat de l’eau qui coule parvint à ses oreilles aiguisées. Et enfin, elle la vit. L’endroit était magnifique et la lumière argentée de la lune lui donnait une certaine majesté. C’est alors qu’elle remarqua une silhouette debout près de la Fontaine, une silhouette familière. Mais ce n’était pas possible, ce ne pouvait être lui. Et pourtant, le doute n’était pas permis. Elle aurait reconnu entre mille cet homme, même de dos. La dernière fois qu’elle l’avait vu, il était encore faible. Et il était porteur d’une promesse que l’éclaireuse n’avait pas oubliée. N’osant y croire, elle murmura d’une voix tremblante :

-Ombre…

La silhouette se retourna alors et un sentiment étrange envahit l’Elfe aux yeux émeraude. Non, pas de la compassion, ni de la joie. Autre chose de plus… Spécial…

Il n'était pas difficile de croire que cet endroit était un lieu sacré. Resplendissant de beauté, inspirant la paix, dégageant une étrange énergie...Après sa rencontre avec la créature légendaire, l'assassin avait continué son exploration du domaine et avait trouvé cette source. Il y avait bu et en avait profité pour nettoyer le jeune corbeau. Le pauvre avait eu la peur de sa vie en voyant le dragon, mais heureusement, l'homme masqué savait comment calmer ce genre d'animal. Aillant un peu de temps à tuer, Ombre avait décidé de trouver un coin tranquille pour se reposer, sans risquer de se faire piétiner par un lézard géant.

Il avait profiter de son temps libre pour travailler sur les blessures de l'oiseau. En effet, aillant une ailes cassée et une patte en moins, il ne pouvait plus de déplacer par lui même. L'assassin avait donc bricolé un harnais pour le transporter, mais à présent, il souhaitait rendre la créature un peu moins dépendante. Usant de tout son ingéniosité, de cuir, de bois et de végétaux, il avait fixé une petit béquille faisant office de patte droite pour le corbeau. La prothèse était fixé après la cuisse du corbeau et bien que peu raréfiais et un peu trop fixe, la petite créature pouvait à présent se déplacer sur le sol. Il boitait, bien évidement, mais ainsi, il pouvait au moins aller et venir à sa guise.

Alors qu'il regardait le rescapé de familiarisé avec sa nouvelle patte, un parfum trop bien connu de l'assassin vint lui chatouiller les narines. Une silhouette féminine se dessina dans l'esprit de l'homme. Non... C'était impossible...elle ne pouvait...

-Ombre...

Cette odeur, cette voix... Il se retourna et croisa aussitôt les yeux couleur forêt de sa salvatrice. Le corbeau croassa, se rapprochant tant bien que de mal de son maître, ce que l'assassin remarqua à peine. Elle était là et pourtant, il n'arrivait pas a comprendre. Était-elle une représentante de la délégation elfiques? Ou humaine? Il ne saurait dire, mais de toute façon, ce fait était un détail dans l'esprit de l'assassin. Il franchit les quelques enjambé qui les séparait et s'incline légèrement vers l'avant lorsqu'il fut arrivé à sa hauteur.

-Dame Melawan...Nalaïa... Je n'aurais jamais cru te voir ici...

Tant de chose était arrivé depuis qu'il avait prit congé de sa guérisseuse... Il semblait en son esprit qu'il n'était plus du tout le même homme. Cependant, il se souvenait parfaitement de la semaine cloitré entre quatre mur, le corps en feu et l'esprit malade.

-C'est étrange... J'ai l'impression de ne pas vous avoir vu depuis une éternité, alors que notre rencontre n'est datée que de trois mois... Mais comme promit, je me présente devant toi, fort et en santé, tel que promis...


Il oscillait constamment entre le tutoiement et le vouvoiement, ne sachant pas trop s'il devait la traiter en amie ou comme la personne qui lui avait sauvé la vie.

L'homme s'avança vers elle pour finalement s'incliner. Gênée, Nalaïa rougit légèrement. Pourquoi la traitait-il avec autant d'égard ? Elle ne l'avait pas sauvé pour qu'il lui soit reconnaissant et cette démonstration la mettait mal à l'aise. Quand sa voix s'éleva dans la quiétude des lieux, elle sut qu'il ne l'avait pas oubliée. Soulagée quelque part, elle posa une main sur son épaule pour l'inciter à se redresser.

-Appelle-moi Nalaïa, pas de "Dame Melanwan", j'ai l'impression d'être vieille! lui dit-elle avec un sourire.

La jeune Elfe sentait qu'il avait changé mais elle n'aurait su dit en quoi. Trois mois... Le temps lui avait paru bien plus long même si aucun détail n'avait quitté sa mémoire. Elle se souvenait parfaitement l'état dans lequel elle avait retrouvé l'assassin après sa rencontre avec un vampire. Elle se rappelait le matin où il était revenu à lui et la conversation qui avait suivi un peu plus tard. Et elle n'avait pas oublié ce qu'elle avait ressenti en le voyant partir. Peur, doute, inquiétude et soulagement en même temps. Etrange réaction quand on savait qu'elle ne le connaissait pas. Et pourtant, la jeune Elfe semblait tenir au mercenaire qui est si loin de ses valeurs. Mais ne peut-on s'apprécier lorsqu'on est très différents ? Ce n'était pas l'avis de Nalaïa et elle l'assumait. L'homme avait repris la parole, lui annonçant qu'il avait tenu sa promesse, qu'il allait bien. Ce fut ce moment que choisit Argawaen pour manifester sa présence et exprimer son opinion d'Ombre par un grognement inamical. Le Chevalier des Larmes posa ses yeux émeraude sur l'animal au pelage immaculé. La position de ce dernier était sans équivoque. Ramassé sur ses pattes arrières, les oreilles couchées, les babines retroussées sur ses crocs acérés, le loup blanc était prêt à attaquer au moindre geste un peu brusque de l'assassin. En voyant ceci, la guerrière rousse, prévenante, s'agenouilla et caressa la tête de son ami lupin en lui murmurant d'une voix calme :

-Doucement mon vieux, il est méchant. Je lui ai sauvé la vie et on est en quelque sorte ami, un peu comme toi et moi. Alors calme-toi, cela ne sert à rien de jouer au méchant avec un ami...

Elle continua de lui parler jusqu'à ce que ses oreilles se redressent et qu'il lui lèche la main. Elle se tourna alors vers Ombre et lui sourit.

-Désolée, il est jaloux de nature on dirait.

L'Elfe à la tignasse de feu se releva et fixa le masque de fer de celui qu'elle avait secouru. Il avait tenu l'une de ses promesses, mais avait-il respecté la plus importante aux yeux de Nalaïa ? Celle-ci n'osa pas poser ouvertement la question et décida donc de le lui faire comprendre d'une autre façon. Cela marchera-t-il ? L'avenir nous le dira...

Il ne réagit que très peu en voyant la bête blanche apparaitre près de l'Elfe... L'assassin compris enfin pourquoi cette odeur bestiale tentait tant que bien que de mal à rester sur la femme. L'animal était splendide, mais il n'était qu'un louveteau face au terrible monstres canins que Jeönyr et lui avait affronté deux mois plus tôt, peu de temps après sa guérisons. Le corbeau, sans crier gare, avança soudainement en claudiquant, croassant de plus belle en direction du loup, tout en tentant de déployer ses ailes meurtries. Ombre se pencha et balaya rapidement le sol de la main, cueillant le jeune oiseau au passage avant que le familier de Nalaïa ne lui fasse la peau. Bien que de nouveau dans les bras de son protecteur, le corbeau continua de croasser, plus doucement, mais toujours sur un même temps.

-Désolé... J'ai l'impression qu'il se croit plus gros qu'il ne l'est...Il a fait la même chose en face d'un dragon il y a peine quelques heures... Je n'ai aucune difficulté à comprendre comment il s'est ramassé dans un état pareil...

Un ami... Se mot faisait écho dans sa tête. Il était un...Ami? C'était assez difficile à croire. Au yeux d'Ombre, il n'était pour Nalaïa qu'un homme à qui elle avait insufflé une seconde vie. Alors de là à être considéré comme un proche...Il ne savait quoi en penser... Une fois les bêtes calmés, se fut au tour du cœur de l'assassin de s'agiter. Au début, il croyait qu'elle le regardait, mais il comprit rapidement qu'elle regardait plutôt le masque d'acier noir ceint à son visage. Il avait promit... Il avait à le faire un jour, il le savait, mais déjà? Tout de suite, sans qu'il ne puisse s'y attendre... Peut-être le fallait-il après tout... à la manière d'une flèche bien plantée, il fallait le retiré d'un seul coup...la douleur serait intense, mais la chose serait faite... Il tira doucement sur le tissus situé devant sa bouche afin de dévoilé le bas de son visage. Chacun de ses gestes étaient devenu imprécis, gauche (bien qu'il était gaucher...), maladroit, il semblait devenu incapable de réfléchir correctement.

-Je n'ai pas oublier cela non plus... Mais...

Mais quoi? Il avait promit, il le ferait, cela se posait sur son honneur. S'il trahissait sa paroles, ses prières à son dieu, ses autres promesses, ces dirent n'auraient plus de signification, plus de profondeur... Il ne pouvait se permettre de se trahir lui-même. Le monde était son ennemis, tous légué contre un simple fidèles de la Mort, aillant compris à sa façon le sens de la vie. Il avait beaucoup changé en si peu de temps, et il semblerait que son Maitre lui demandait encore une fois de faire un grand pas de coté sur le sentier de son existence.

-Mais... Je ne sais pas... Personne...Personne de vivant n'a vu à quoi ressemble mon visage. J'ai moi-même du mal à me rappeler de mon reflet... Je porte ce masque car l'homme en dessous est un lâche, un meurtrier, un non-juste, un infidèle... Je ne suis rien, bien que je sache pertinemment que tu penses le contraire... Je le retirerai...Mais je veux savoir...

Il inspira, nerveux, tremblant de peur comme jamais. Même devant le dragon, même devant la meute de loup enragé d'Elena, même devant La Horde en entier, ou encore sur le sol glacé au pied du vampire, il n'avait ressentit un désespoir aussi grand. Il se sentait comme un lièvre pris au piège dans un collet, attendant patiemment que le piège lui prenne son dernier souffle. Il reposa l'oiseau devenu muet dans son harnais de transport de façon machinale et déposa ce dernier au sol.

- Je veux savoir... Toi qui m'a vu faible et vulnérable, toi qui m'a vu dénudé comme nul autre, toi qui connait mon passé et ma malédiction...Toi qui se trouve devant un simple assassin cherchant un sens à une vie qui sera plus courte que bien d'autre, tu sais tout ce qui peut être connu de lumière en moi...Alors pourquoi? Pourquoi à notre première rencontre as-tu tenue à ce que je le retire? Je t'ai promit de le faire, et je le ferai, peu importe la direction de ta réponse, je veux simplement mettre de la logique où il ne peut en avoir...

Elle sentit sa gêne sans avoir besoin de voir l'expression de son visage. Il n'avait donc pas oublié. L'homme tira sur le tissu qui dissimulait son menton et sa bouche. Ses gestes étaient empreints de maladresse, toutefois Nalaïa n'y prêta pas attention, davantage attentive aux émotions qui semblaient agiter son ami. La jeune Elfe n'ignorait pas que ce qu'elle lui demandait lui coutait. Pourtant, elle voulait qu'il tienne sa promesse, elle voulait voir ce visage si longtemps caché. Pur égoïsme peut-être mais, au fond d'elle, elle espérait que cela aiderait Ombre à aller mieux. Pas physiquement non, elle savait qu'il avait retrouvé la plénitude de ses capacités. Psychologiquement oui. Elle le vit hésiter avec compassion sans que son envie ne diminue. Quand il dit que l'homme sous ce masque de fer était un lâche, le Chevalier des Larmes faillit l'interrompre. Cependant, elle lui devait de garder le silence. Il était nerveux, sa respiration le montrait. Quoi de plus normal après tout. Elle murmura d'une voix douce :

-Que veux-tu savoir ?

Un tremblement agita la main du mercenaire. *Il a peur* comprit-elle. *Je le force à affronter ce qu'il est, ce qu'est cet homme qui se cache sous un masque de fer et il a peur...* Il reprit la parole, hésitant. Ainsi, il ne saisissait pas le fait qu'elle puisse souhaiter qu'il le retire. C'était cela qu'il voulait savoir, juste cela. Tout cela... Comment mettre des mots sur ce qu'aucun de ceux qu'elle connaissait ne parvenait à définir ? Elle prit une profonde inspiration, comme pour se donner du temps avant de répondre. Sous ses doigts fins, elle sentit le pelage soyeux d'Argawaen, présence rassurante en cet instant important. Son esprit cherchait les bons termes, ceux qui permettraient de décrire au mieux sa volonté. Alors, après de longues minutes de réflexions, Nalaïa Melanwan se lança.

-Je... Quand je t'ai trouvé étendu sur le sol, c'est d'abord la curiosité qui m'a poussée à m'approcher. Puis, en découvrant ton état, ce sont mes origines elfiques et la bonté qui les accompagne qui m'ont fait te soigner et te ramener à Gloria la Magnifique. Ensuite, la curiosité à reprit le dessus lorsque tu es revenu à toi. Mais elle a bien vite disparu pour laisser place à un sentiment que je n'avais jamais ressenti jusqu'à ce jour où tu as ouvert les yeux. La compassion. Tu étais si faible. Et puis, tu t'es ouvert à moi et j'ai fait de même.

Elle se tut un moment. Sa main trembla dans la fourrure blanche du loup. La guerrière rousse mourrait d'envie de toucher l'homme mais elle n'osait pas, redoutant sa réaction. Pourtant, sans qu'elle parvienne à la retenir, sa main gauche s'éleva et vint se poser sur la poitrine d'Ombre. Ses yeux émeraude se fermèrent, sa respiration devint plus lente, plus mesurée. Et elle entendit le coeur du mercenaire battre juste sous ses doigts. La jeune Elfe reprit sans bouger, en confiance.

-Je sais que tu penses n'être rien. Et je sais que tu as tort. Sous mes doigts, un coeur bat, plein de vie. Cela, tu ne peux le nier. Tu as raison, je t'ai vu faible, vulnérable, je connais ton histoire et cette malédiction qui pèse sur toi. J'ai vu, je pense, cette lumière qui brille en chacun de nous. Mais, il y a cette partie de toi, celle que tu caches avec ton visage, et j'aimerai la découvrir. Je suis sûre qu'elle renferme de belles choses. Je veux pouvoir juger par moi-même de cet homme que tu dis lâche. Peut-être apprendrais-je que tu te trompais sur son compte. C'est vrai qu'il ne peut pas exister de réelle logique dans une telle requête et...

Elle s'interrompit une nouvelle fois. Les minutes s'écoulaient et elle sentait toujours son coeur battre sous sa main malgré l'épaisseur du tissu. Comment continuer ? Devait-elle le lui dire ? Non, cela ne semblait pas très judicieux. Elle n'osa pas ouvrir ses yeux. Le rythme de sa respiration s'était légèrement accéléré. Elle poursuivit, rompant le silence.

-Et j'ai conscience que ce que je te demande n'est pas facile. Mais vivre caché toute ta vie ne t'aidera pas. Tu dis que ton existence sera plus courte que celle des autres Humains. Alors profite de chaque seconde, apprends à t'apprécier comme tu es. Personne n'est parfait et celui qui prétend l'être est le moins parfait de tous. Je... Je sais ce que vaut Ombre, mais me laisseras-tu savoir ce que vaut celui que tu dissimules depuis tant de temps ?

Le silence suivit sa question, troublé seulement par le bruit de l'eau qui coule. Après un instant, Nalaïa ouvrit les yeux, pleine d'espoir. Ses paroles avaient-elle été comprises ?

Toujours le cœur battant, il écouta sans mot la réponse de l'Elfe. À ses yeux, elle semblait le considérer comme un être important, comme un humain parmi mille autres, comme s'il était un juste... Il abaissa de sa main tremblante le capuchon qui recouvrait sa tête, s'approchant à chaque geste de l'évènement tant attendu. Tremblant, il esquissa un mouvement de recule lorsqu'il vit la main de Nalaïa se rapprocher de lui. Son armure, ses jambières et ses gantelets reposaient non loin, au pied d'un arbre bordant la fontaine. Ayant songé à la dernière fois qu'il s'était lavé en terrain inconnue, il avait décidé de retirer uniquement son armure. Il ne restait plus sur lui que sa tunique, ses pantalons, ses bottes et bien évidement, son masque. La main de la femme vint donc de déposer directement sur sa poitrine, n'aillant comme seule division entre le contacte une couche de tissu noir et usé. Son cœur déjà battant s'emballa encore d'avantage. Peu habitué au contacte physique, il ne pût que serrer les dents, résistant à l'envie de se dérobé à cette situation inhabituelle. Il se concentra donc d'avantage sur la voix de Nalaïa, tentant d'oublier le contacte.

Il déglutit, l'esprit et le corps en feu, prêt à s'embraser sur place. Elle qui voyait tant de chose en lui, comment ne pouvait-elle pas comprendre le mal de vivre qui l'habitait? Il aurait voulu qu'elle comprenne que sous son masque était enterré un homme maudit, et que l'acier scellé sur son visage bannissait son existence même, laissant son corps au service de la mort. Il n'était plus Methus depuis qu'il avait maudit sa famille. Il avait condamné son frère a une vie de bandit, il avait parjuré à ses promesses et tuer son propre père. Il baissa les yeux sur la plais à l'intérieur de sa main. Il avait perdu tant de sang cette nuit là... Et cette voix féminine qui avait murmuré à son oreille... Les Esprits l'avaient châtiés, mais il n'était pas mort pour autant. Peut-être était ce la un signe...

-Je...comprends... Je crois...

Était-ce vraiment le cas? Elle voulait voir le visage de ce qu'il était, et non de ce qu'il est. C'était son choix, et c'était sa promesse. Il leva son pied droit, résigné, et tira sur la semelle de sa botte d'un coup sec. Le cuir décolla légèrement et l'assassin glissa ses doigts dans la cavité crée. Il sortie ce qui ressemblait à une petite tige munie d'un engrenage complexe à son extrémité. Connaissant l'existence de la clé squelette, il s'était donné comme défit de crée un verrou qui n'en était pas vraiment un, un système de retenu possédant un port unique. La "clé" en main, il recroisa le regard vert de Nalaïa, toujours aussi nerveux.

-...Parce que c'est vous...toi.... Qui m'a sauvé d'une mort déshonorante et insultante... Tu seras la seule personne vivante qui verra le visage du monstre derrière l'acier de mon bouclier... Je ... Je le fais par honneur... Pour respecter ma parole...Non par envie... Ne l'oublie pas...

Inspirant profondément, au bord de la crise de nerf, il releva lentement le menton et exposa le verrous circulaire retenant les sangles d'acier accrochées à son masque. Il y inséra l'engrenage irrégulier dans l'ouverture prévu à cet effet et dans une grande expiration, il la fit pivoter. Un léger bruit d'enclenchement se fit entendre, mélodie lugubre au oreille de l'assassin. Il répéta ce geste essoufflant une seconde fois sur le verrou fixé à l'arrière de son crâne. Il retenu les sangles lors de l'ouverture de ce dernier. Jamais il aurait pu anticiper un tel moment. Il avait longtemps cru mourir transpercé de flèche ou la gorge tranché bien avant que son masque tombe de son visage. Il n'en était rien... Il masqua ses yeux doré de ses paupières et inspira longuement pour se calmer. Ses mains se trouvaient de chaque cotés de sa tête, elles représentaient le dernier mur, la dernière défense de son paisible anonymat. Ses yeux étaient gorgés de larme, ses mains tremblaient sous le stresse, la chaleur le dévorait...

(Je te laisse faire le dernier pas. Pour ton prochain post, voici la chose tant convoité;

Son visage:

)

A l'hésitation dans sa voix, Nalaïa avait sut qu'il ne comprenait pas vraiment. Et quoi de plus normal ? Pour lui, elle voulait connaitre le visage d’un lâche, d’un homme maudit. Qui pourrait vouloir une telle chose ? Et pourtant, la jeune Elfe était sûre de le vouloir. Mais elle savait pertinemment qu’Ombre ne le faisait que par honneur et non par envie. Cela, elle ne pouvait l’ignorer et, si elle doutait d’une chose en cet instant, c’était des bénéfices que le mercenaire pourrait en retirer. Elle se posait cette question pendant qu’il levait le pied droit pour décoller légèrement le cuir de sa botte. Il en sortit une tige au bout de laquelle se trouvait un engrenage. Curieux objet. Et la Larme comprit que jamais elle n’aurait pu forcer la serrure du masque de fer. Elle fixait ce dernier, patiente. Elle lui laisserait le temps dont il aurait besoin, cela dusse être des heures ou des jours même. Ce fut d’une voix hésitante qu’il reprit la parole pour confirmer ce qu’elle savait déjà. Et ce fut d’une voix légèrement tremblante qu’elle lui dit :

-Je ne l’oublie pas. Mais prends ton temps Ombre, nous avons la vie devant nous après tout.

Sa tentative pour détendre quelque peu l’atmosphère se solda par un échec, cependant un sourire se dessina sur son visage au teint hâlé. Il disparut bien vite lorsque l’homme prit une profonde inspiration. Elle prit conscience que le moment était venu. Elle pouvait sentir son stress, son angoisse alors qu’elle se tenait à un mètre environ de lui. Il déverrouilla un verrou, puis le second et retint les lanières qui maintenaient le masque d’acier. Elle se doutait que jamais il n’avait du penser devoir retirer cette barrière qu’il avait mis entre l’homme maudit et l’Ombre qu’il était devenu. Et cette nuit, sous un ciel étoilé, cette barrière allait tomber. Sa poitrine se souleva et il expira longuement, comme pour se calmer. Nalaïa avait du mal à imaginer l’émotion qui s’était emparé de l’assassin. Ses mains tremblaient, tenant le masque de fer. Alors, devant cet homme en détresse, l’être sylvain à la chevelure rousse douta. Et si elle n’avait pas fait le bon choix ? Et si lui faire faire cette promesse le rendait fou ? Et s’il la détestait ? Que ferait-elle ? Comment pourrait-elle vivre en sachant qu’elle avait causé la perte de celui qu’elle considérait comme son ami ?

Toutes ses questions avaient surgi soudainement, comme une tempête dans l’esprit de la guerrière elfique. Gardant son sang-froid, elle avança ses mains vers celles d’Ombre et les posa sur les siennes. Il tremblait beaucoup. Puis, elle inspira calmement et murmura :

-As-tu confiance en moi Ombre ? Moi oui, et j’ai aussi confiance en cet homme que tu dis maudit. Je te considère comme un ami. Fais-moi confiance…

Et tout en continuant de parler, elle retira la barrière de métal, découvrant ce qui se cachait derrière. Un visage. Celui d’un homme d’une trentaine d’année au teint pâle, aux yeux clos et aux traits fins. Une mèche brune tomba devant ses yeux, mais il ne la vit pas. Une larme coula sur sa joue et l’Elfe hésita à l’essuyer. Et puis, son doigt recueillit délicatement la goutte salée. Ainsi, voilà à quoi ressemblait la part maudite d’Ombre. Elle ne put que remarquer qu’il était plutôt séduisant. Rien à voir avec ce qu’elle avait pu s’imaginer. Maintenant, elle n’avait plus qu’à attendre qu’il accepte d’ouvrir ses yeux.

Elle était désormais la seule personne dont le cœur battait toujours à connaitre le véritable visage d’Ombre.

-As-tu confiance en moi Ombre ? Moi oui, et j’ai aussi confiance en cet homme que tu dis maudit. Je te considère comme un ami. Fais-moi confiance…

La confiance... Comment faire confiance à quelqu'un d'autre que lui-même? Comment pouvait-il être certain que cette femme, par le geste qu'elle allait poser, ne ferait pas renaitre le meurtrier derrière l'acier? Comment être certain qu'en déchirant le traité, la paix resterait? Une autre vague de chaleur, un tremblement, un picotement au yeux. Nalaïa qui retire lentement sa main de sur son torse pour venir la poser de manière parallèle à son autre sur ses mains tremblantes. Le petit enfant en lui revoyait sa mort mille fois, l'homme en lui acceptait son destin, le monstre en lui souhaitait la mort de cette impudente. Non, il n'en serait rien, rien du tout... La paix resterait, le calme règnerait, le souffle glacé de la Mort passerait son chemin, comme la moindre parcelle de haine accroché à la surface de ce masque. Il était un homme de parole, et il la tiendrait, quoi qu'il lui en coûte.

Puis, la terre s'est déchirée, dévoilant ses entrailles enflammée. Elle à embraser le ciel dévoré de lumière alors que les grands vents se levaient et que la mer se déchainait. C'était comme arracher une à une les plumes d'un oiseau, les écailles d'un dragon, l'âme d'un homme torturé... Lentement, comme si le temps se glaçait un éternel instant, il sentit le contact rassurant et protecteur de son masque quitter la surface de sa peau. Il sentit aussitôt le vent dévoré les quelques goutes de sueur qui perlaient à son front sous le coup du stresse. Puis la lumière lunaire agresser sa peau et comme l'encre versé sur la pierre, elle se mit à détailler chaque trait, chaque imperfection de sa peau, chaque changement de ton sur la couleur de cette dernière. Son bouclier était tombé, son armure était détruite, les murs qui protégeait sa capitale s'était affaissé, le laissant sans défense devant les épées des envahisseurs. Prêt à encaisser la douleur de l'acier des lames, il n'eu comme seul signe d'agression en ces murs que la douce caresse d'une femme. Elle balaya délicatement la larme qui coulait sur sa joue pâle.

Puis, ses paupières cédèrent leur union et l'assassin ouvrit lentement les yeux, comme s'il était craintif du monde qui se trouvait encore devant lui. Instinctivement, il n'avait pas lâché son masque une seule seconde, il se retrouvait donc a tenir également les mains de Nalaïa. Il la regarda dans les yeux, ses miroirs d'âmes étaient illuminé d'un doré tremblant, comme si la peur de l'homme atteignait même le plus profond de son âme. Il tira doucement sur son masque et fit glissé les doigts de l'elfe sur le métal peint en noir. Il la fit délicatement lâché prise sur son masque et le tourna vers lui afin de le regarder de face, toujours aussi tremblant. Il baissa les yeux, prit d'un profond malaise. Il tenait devant lui Ombre, celui qui était lui mais qui n'était pas lui... Son sombre coté lumineux, son mortel paladin, celui qu'il disait être reposant sur une simple pièces de métal. Le corbeau croassa plus loin et l'assassin détourna son regard un instant vers l'oiseau, dominé par ses réflexes. Il vit l'eau de la fontaine et s'y approcha lentement. Il se laissa tomber à genoux au bord de l'eau.

-J'ai... J'ai remplit ma promesse, Nalaïa Melawan... J'espère que vous êtes heureuse de cela... Vous avez vu un fantôme... Quelqu'un qui est sans être...

Il déposa délicatement son masque sur l'herbe et plongea ses mains jointe dans l'eau. Il projeta le liquide vers son visage, aussitôt terrassé par un énorme frisson, trop peu habitué à sentir un quelconque contacte sur sa peau. Il respira rapidement et empoigna rapidement ce qui était le plus près de son identité sur le sol, avant de se tourné une fois de plus vers l'Elfe.

- Ce visage ne me correspond pas, il ne m'appartient pas, il est celui d'un tueur de femme, et celui de son père également... Je ne suis pas lui!...

Une puissante émotion venait de le prendre au tripe. Son cœur s'étai emballé, il paniquait. Il réajusta le métal froid sur son front et devant ses yeux et remit la sangle derrière sa tête en place. Un nouveau bruit de mécanisme se fit entendre, cette fois, d'une douceur infinie au oreille d'Ombre. Il vérifia si tout était en place et ajusta légèrement la hauteur du masque sur son visage. Il boucla le second verrou et serra le poing sur la "clé". Il soupira longuement, comme si l'exercice lui avait demandé une quantité respectable d'énergie.

-Je... Tu dois comprendre, Nalaïa... Je suis ce que je suis, un assassin, rien de plus, rien de moins... Sans ce masque, la douleur est trop grande... J'ai déjà trop souffert, cette chose est la dernière frontière entre ma raison et la folie.

Il passa lentement ses doigts sur son "visage", ne réalisant pas encore la force du sentiment qu'il venait de l'étreindre.

Aucun sang n'avait encore coulé dans cette clairière baignée d'argent par la lune. Mais pour combien de temps ? Ombre était un assassin qui avait offert son corps à la Mort, cela Nalaïa ne l'ignorait pas. Et elle sentait aussi la tension dans tout cet être maudit. Pourtant, s'il avait voulu la blesser ou même la tuer, elle n'aurait pas réagi. En le forçant à se dévoiler ainsi, la jeune Elfe avait décidé de lui faire confiance et ce serait jusqu'au bout. Le doute n'était plus permis. Plus maintenant alors que ce visage avait retrouvé la douce lumière lunaire. Elle avait eu le temps de changer d'avis et celui-ci était révolu. Calme, elle scruta la figure fantomatique comme pour graver chacun de ses traits dans sa mémoire.

L'homme n'avait pas lâché le masque et leurs mains étaient donc toujours jointes. Après un moment, il ouvrit les yeux lentement comme par crainte de découvrir un monde nouveau, totalement inconnu. Elle ressentait sa peur comme s'il s'était agi de la sienne. Leurs regards se croisèrent, doré et émeraude ne se quittèrent pas tout de suite. Et elle se perdit dans les yeux de cet homme, revivant son enfance paisible dans les bois du royaume elfique. Et puis, la mort de ses parents. Certes, elle n'avait pas tué son père comme celui qu'elle avait sauvé mais elle l'avait laissé mourir sans rien tenter, ainsi que sa mère et son frère. Elle entendit le rire cristallin de ce frère perdu, la douce voix porteuse de conseils de sa mère et celle autoritaire du patriarche. Et si elle était morte avec eux cette nuit-là, sa vie n'aurait-elle pas était plus courte mais aussi plus heureuse ? Alors qu'elle réfléchissait à cette question, plongée dans la profondeur du regard d'Ombre, elle revint à la réalité, plus prenante encore que ses interrogations sur le passé. La guerrière aux cheveux flamboyants sentit le métal glissé entre ses doigts et ne résista pas, laissant le mercenaire reprendre son bouclier contre le destin. Parce que c'était cela qu'était ce masque de fer, une barrière entre la vie et l'homme maudit qui se dissimulait derrière. Une fois que l'acier peint en noir eut quitté les mains de l'Elfe, Ombre le tourna vers lui, contemplant un instant la face inexpressive qu'il offrait au monde depuis de nombreuses années. La Larme aurait voulu parler, mais pour dire quoi ? Elle ne trouvait pas de mots pour illustrer ses pensées et c'était certainement mieux ainsi. Le silence que troublait à peine le clapotis de l'eau dans la fontaine Vif-Argent allait à la perfection avec la solennité de ce moment.

Ce fut le corbeau sauvé par l'assassin qui le rompit par un croassement. Ombre cessa de regarder son visage de fer pour porter son attention sur l'oiseau noir. Puis, il se dirigea vers la fontaine où il se laissa tomber sur les genoux. Tournant le dos à la jeune femme, il prit la parole. Il avait honoré sa promesse et une larme inexpliquée coula sur sa joue. D'un geste rageur, elle l'essuya et jamais personne ne sut qu'une goutte salée avait inondé un instant son regard. Avec délicatesse, il déposa le "bouclier" de métal sur le sol herbeux et plongea ses mains dans l'eau limpide. On disait de cette eau qu'elle avait des vertus guérisseuses. Pouvait-elle soigner aussi les blessures de l'âme ? Cela était malheureusement impossible. Ces plaies étaient comme des marques au fer rouge, elles cicatrisaient sans jamais vraiment disparaitre, se rouvrant à la moindre occasion. Ombre projeta le liquide argenté sur son visage et un frisson le secoua au contact de celui-ci. Il avait perdu l'habitude de sentir de l'eau ruisseler sur cette peau pâle. Alors, il se releva, saisissant son identité "officielle" au passage. Première hésitation lorsqu'il parla. Et puis, une émotion plus forte s'empara de lui et il lui expliqua. Pour lui, le visage qu'il lui avait offert était celui d'un tueur de femme, du tueur de son père. Il ne voulait plus être lui et comment ne pouvait-on pas le comprendre ?

Alors, lorsqu'il remit en place son masque d'acier noir, Nalaïa n'esquissa pas le moindre geste vers lui, pas la moindre parole. Elle lui en avait déjà beaucoup trop demandé. Une fois que les deux verrous eurent fait retentir leur sinistre musique, il poursuivit. Elle le vit passer les doigts sur son "visage" de métal. La guerrière elfique n'était pas déçu qu'il est si vite remis ce masque, loin de là. Par honneur, il lui avait montré ce que personne ne connaissait, sa part maudite et elle l'en remerciait. Il lui avait offert le plus beau cadeau qu'elle aurait pu souhaité de lui -si on pouvait parler de cadeau pour une telle chose-. Elle ne savait que lui dire. Devait-elle le remercier à voix haute ? Lui dire son affection, ses pensées ? Ou bien se taire et laisser parler ses yeux ? Perdue, ce fut avec soulagement qu'elle sentit Argawaen lui lécher gentiment les doigts. Elle allait parler parce que son silence avait assez duré.

-Je comprends Ombre, je te comprends. Tu m'as offerte la part sombre de toi, la part maudite et je t'en remercie. Jamais je n'ai souhaité que tu souffres.

Elle se mit à marcher le long de la fontaine, se concentrant sur le doux ruissellement de l'eau sur la roche pour trouver l'inspiration. Ses paroles devaient être justes, sans fausse note pour être comprises. Elles devaient refléter la pensée de Nalaïa.

-Tu es un être unique et je t'apprécie comme tu es. Tu as beau être un assassin, un criminel, rien ne pourra me faire renier mes mots. J'ai une seule chose à te demander. Tu n'es bien sûr pas forcé de répondre.

La jeune Elfe marqua une courte pause, le temps de cesser ses va-et-vient pour fixer le masque d'acier de l'homme. Après une profonde respiration, elle continua ce qu'elle avait commencé.

-As-tu déjà regardé vers l'horizon en te disant que ton avenir était devant toi sans ressasser les souffrances de ton passé ? As-tu surmonté les épreuves de ton passé ? As-tu passé ce mur invisible qui s'est dressé devant toi ou es-tu toujours bloqué derrière ?

Nalaïa se tut. Le temps du silence était revenu pour elle et c'était à Ombre de le rompre désormais.

Elle n'était ni outré, ni déçue, elle semblant... Compréhensive... Comme si la douleur reflété dans ses yeux trouvait échos dans le coeur de son interlocutrice. Elle ne pouvait comprendre... Comment le pourrait-elle? Nalaïa n'avait probablement pas un passé aussi noir que le siens et ce, malgré son grand âge. Elle n'avait pas à porter un masque, elle n'avait pas à ce cacher... Pourquoi ces choses semblaient l'intéresser si soudainement? Il ne s'était jamais plaint de son existence, il n'avait jamais comparé sa vie à celle d'un autre, alors pourquoi maintenant? Ces deux mois avec l'avaient-ils autant marqué? Les paroles de l'elfe avaient-elles tellement changé sa conception du monde a ce point? Est-il devenu faible à ce point?

-As-tu déjà regardé vers l'horizon en te disant que ton avenir était devant toi sans ressasser les souffrances de ton passé ? As-tu surmonté les épreuves de ton passé ? As-tu passé ce mur invisible qui s'est dressé devant toi ou es-tu toujours bloqué derrière ?

Il baissa les yeux, réflexe involontaire de sa part. Il était dans une situation qu'il détestait particulièrement; ne pas savoir quoi répondre. Son cœur se calmait petit peu par petit peu, son souffle devenait de plus en plus régulier, le calme commençait de nouveau à l'envahir. Il tenta une réponse, sans succès. Il relança la question sous toutes ses formes, sans pour autant réussir à atteindre un résultat, une réponse potable. Trop de variables s'entrechoquaient, trop de fait s'entremêlait, il n'arrivait pas à un consensus logique. Il releva les yeux, cherchant la réponse sur le visage de l'elfe. Sa volonté de vouloir percé à jour le secret qu'il était forte, mais à quel point?

-Le passé est la seule chose sur laquelle on ne devrait jamais s'arrêter, car on ne le peux pas... Je ne peux pas ressuscité mon père, alors je suis en paix. Je ne peux pas ramener à la vie cette jeune innocente à qui j'ai si violement arraché la vie. Je ne peux pas redevenir l'homme qui est sous ce masque, justement parce qu'il est le passé lui même... Je ne vois ni avenir, ni passé, juste un présent chaotique dans laquelle j'avance à chaque respiration, à chaque battement de cœur. Je ne cherche pas à savoir si j'aurais du mourir aux mains de cet étrange vampire alors que je n'avais que neuf ans. Je ne cherche pas à savoir si le général blanc de l'armée vampirique aurait dut mettre fin à mes jours, pas plus que je me demande si tu aurait dut me laissé dans mon propre sang ce jour où nous nous sommes rencontré... Tout cela est du passé, tout cela EST passé, alors je vis avec...

Il sentit un mouvement au niveau de sa botte et vit avec un certain amusement le corbeau tirer maladroitement le cuir qui recouvrait son pied. Il ramassa la bête délicatement et se mit machinalement à lui caresser les plumes de son dos. La bête était calme, ne lâchant qu'un faible croassement de temps à autre.

-...Le malheur du passé, c'est que c'est ce dernier qui modèle le présent, et de la même façon, le futur. Mille question me traverse l'esprit à chaque secondes, et si cela n'avait pas été de cette guerre, je serais probablement en paix dans ce que je peux appeler ma demeure... Mais le chaos règne partout, autant en ces terre qu'en mon esprit. Je ne peux me permettre de rester neutre à l'univers qui m'entoure, je l'ai hélas fait trop souvent dans ma vie. À présent, j'ai un frère sur qui je peux compter. J'ai une pupille à qui je tiens comme si elle était ma propre fille et à qui j'ai juré que je reviendrais vivant, et comme tu as pu voir, je tiens toujours mes promesses, peu importe ce qu'elle m'en coute...

Il marcha vers l'amoncèlement de métal noir qui était son équipement et déposa l'oiseau à terre. Il revêtit son armure et commença à sangler les cotés de son plastron. La petite créature crossa plus fort, mais l'assassin l'ignora, concentrer sur sa tâche et sur ses propres paroles.

-Je crois que la réponse la plus simple à ta question serait oui... Oui, j'ai mis fin à cette souffrance inutile qui me dévorait le cœur, oui, j'ai entreprit de vivre, de célébrer la vie autant que je vénère la mort... J'ai voulu appliquer tes conseils qui étaient pour moi étrange et illogique, et me voici aujourd'hui devant toi, engagé de mille façon, mon arc à l'empire, mon souffle à la mort, frère retrouvé pour un, maitre et protecteur d'une fillette et sauveur de cet animal... Je ne suis plus un simple assassin, je suis un homme, affaiblit par l'amour et mon devoir envers mes promesses, mais aussi grandit, matériel et palpable, existant pour les autres autant que pour moi...

Il continua de revêtir son armure, indifférent au bruit de l'oiseau éclopé. Il avait tant fait en si peu de temps, il avait tellement apprit en si peu de temps, il se sentait comme un autre personne, toujours avec les ténèbres de la mort au cœur, mais également avec un soleil dissipant les nuages douteux qui se pointeraient dans le ciel de ses passions. Il était toujours Ombre, mais à présent, il était Ombre pour d'autre personnes.

Elle avait posé sa question en toute insouciance, sans se douter que celle-ci mettrait Ombre mal à l’aise. La jeune Elfe ne le vit pas, mais il baissa les yeux pendant que sa respiration retrouvait un rythme normal. Silence. L’homme semblait chercher une réponse dans les tourbillons de son esprit. Elle ne remarqua pas non plus qu’il scrutait son visage à la recherche d’une piste pour répondre. Il était une énigme qu’elle souhaitait percer, par curiosité mais aussi par… Amitié ? Nalaïa en était là dans ses pensées lorsque la voix du mercenaire brisa le silence qui s’était installé. Toute ouïe, elle écouta avec attention les paroles d’Ombre. Et pour la première fois sans doute depuis leur rencontre quelques mois plus tôt, celles-ci s’accordaient parfaitement aux pensées de la Larme. Pour le début seulement. Elle trouvait certaine le présent chaotique mais elle voyait un avenir se dessiner, un avenir qu’ils auraient tous participé à tracer. Il ne serait certes pas merveilleux, mais y vivraient des représentants des trois peuples d’Armanda. N’est-il pas tous venus dans le domaine des Baptistrels pour cela, pour faire vivre ce futur en danger ? C’était la conviction de l’être sylvain en tout cas.

Quand il se tut, l’homme au masque d’acier se baissa pour prendre dans ses bras l’oiseau blessé. Elle sentit qu’il n’avait pas fini et le regarda caresser les plumes sombres de l’animal. C’est à ce moment-là qu’elle sentit la truffe humide de son compagnon au pelage de neige et celui-ci entreprit de lui lécher avec tendresse ses doigts. Ce geste qui étonné toujours Nalaïa la fit sourire. Finalement, Saemon Methus reprit. Il évoqua le chaos qui régnait sur les terres d’Armanda et sa position qui ne pouvait plus être neutre. Si la jeune Elfe quelque peu indisciplinée n’était jamais parvenu à rester neutre quelque soit le sujet abordé, elle comprenait cette notion et n’appréciait que très moyennement ces personnes qui ne se mouillaient pas. Mais aujourd’hui, la menace venue d’Alayia ne laissait aucun Armandéen impassible. Quoi de plus normal quand votre continent est en danger et que votre vie dépend de milliers d’autres. Alors qu’Ombre poursuivait toujours, il marcha jusqu’aux pièces de son armure posées à même le sol au pied d’un arbre. Il déposa son petit blessé ailé par terre et entreprit d’enfiler son armure. Un nouveau silence s’installa mais la guerrière rousse n’était pas prête à parler, son temps était écoulé depuis trop longtemps pour qu’elle se décida à briser cette absence de bruit. Cela faisait parfois du bien de ne rien entendre.

Après un instant, le mercenaire répondit à la question de Nalaïa pour l’affirmatif. Ainsi, il avait essayé d’appliquer ses conseils et avait retrouvé son frère. Il avait aussi mis son arc au service de l’empire et ses connaissances à celui d’une jeune fille. Peut-être ne devrait-elle pas être heureuse qu’il enseigne l’art de tuer à une apprentie, et pourtant elle l’était, heureuse. Il n’était plus cet homme brisé, entièrement voué à la mort et porteur d’un message sanglant. Non, il avait changé tout en restant Ombre, l’assassin au masque de fer. Et il n’était plus rien à ses yeux. Il disait exister et il venait, sans certainement s’en douter, un beau cadeau à l’Elfe aux cheveux flamboyants sous la lumière lunaire. Il n’était plus le seul à avoir grandir.

Leur route se séparait de nouveau pour se retrouver quand le destin le voudrait. L’éclaireuse marcha vers l’homme qui venait de terminer de revêtir son armure et lui donna l’accolade, un sourire de bonheur dessiné sur ses lèvres. Elle devina la surprise qui devait être peinte sur le visage de celui qu’elle considérait comme son ami. Elle chuchota deux mots avant de rompre cette étreinte :

-Merci Ombre, et au revoir.

Lorsqu’elle fit un pas en arrière, elle souriait toujours. Cette seconde rencontre avait été suffisamment longue, à l’avenir de fixer la date de la prochaine. Elle tourna les talons et s’éloigna d’un pas léger, sans un regard en arrière. Partir ne la dérangeait pas, elle ne doutait pas qu’ils se reverraient.

Il y a de ces rencontres qui vous font grandir plus qu’un siècle d’existence. Celle avec Ombre en faisait partie…