--- Fin fevrier ---

Il lui fallait une petite pause dans ses recherches. Cela faisait plusieurs jours qu’il était fourré dans des montagnes de vieux papiers et parchemins, dans l’espoir d’établir ce qui n’était rien de plus et rien de moins qu’une vérité immuable d’un passé qui ressemblait fort à un puzzle macabre qu’un bourreau particulièrement soigneux se serait échiné à couper en très petits morceaux. Certains morceaux avaient été conservés et d’autres avaient disparus sans explications réelles et sans laisser de traces… Des blancs, il y en avait beaucoup. Etablir une chronologie détaillée, un récit cohérent fait de tous ces éclats d’informations, était extrêmement difficile et si il était très intéressé et très attiré par cette tâche, par ce mystère à découvrir, enthousiaste même pourrait-on dire, il avait également une certaine fatigue. Une fatigue liée principalement à la perte d’Isendal, une perte qui venait raviver cette impression délétère qui s’entretenait d’elle-même dès qu’il effleurait le vide que supportait son cœur mort. Il n’avait pas énormément de proches, même en comptant les anciens et même parmi eux, le maître espion était le seul qu’il appelait son ami en étant parfaitement sincère et sans méfiance. Il avait été son ami, réellement et sans détours… et ils avaient beaucoup partagés tous les deux, au cours des anciennes années. Des souvenirs qu’il chérissait et garderait pour toujours. Il ne voulait pas se lamenter pour Isendal, ça n’aurait pas été lui faire honneur. Mais il regrettait sa perte et d’autant plus qu’il s’était sacrifié pour le sauver, lui permettre d’accomplir sa mission aussi futile puisse-t-elle être. Non, en réalité ce n’était pas ça. Même si il lui avait permis d’emporter les documents volés au Souffle, son ami ne s’était pas sacrifié pour cela ni pour la rébellion mais pour l’espoir qu’ils avaient toujours nourris, secrètement. Il lui faudrait l’accomplir, il y comptait, mais en attendant il gardait son deuil pour lui-même… principalement parce qu’il ne désirait pas ennuyer Silarae plus que de raison, elle ne comprendrait sans doute pas d’elle-même la raison qui le poussait à s’attacher aux mémoires de l’espion. Il n’avait eu qu’un seul et unique ami pendant plus de mille ans, une amitié qu’il avait cultivée alors même que le chuchoteur dormait au sein du royaume vampirique. Il avait veillé à son sommeil et son bien-être et l’avait éveillé avec les autres. Isendal était le premier à être venu à lui et même si ses volontés de concilier les deux partis, lui et Lorenz l’avaient agacé, l’un dans l’autre, son retour avait été synonyme de satisfaction et d’un appui supplémentaire.

Ça n’avait plus d’importance, désormais. Il était mort. Mais il resterait à tout jamais dans ses souvenirs et il aurait sa place au panthéon de ceux tombés pour une cause qui méritait d’être défendue. Cyrène avait bien essayé de le convaincre de s’épancher, mais il avait refusé tout net, préférant confier sa mélancolie à son propre moi ou pas du tout. Travailler lui faisait donc du bien même si il peinait parfois à se concentrer totalement sur ce qu’il faisait. Après avoir relu le même passage d’ouvrage pour la dixième fois, il avait finalement décidé qu’il avait effectivement besoin d’une pause. Aussi, n’ayant guère d’interlocuteur pour discuter, et n’ayant surtout pas envie d’avoir affaire aux autres anciens ou aux humains pour le moment, il décida d’aller trouver son élève, Kedrildan, qu’il n’avait pas vu depuis quelques temps et pour lequel il s’inquiétait tout de même un peu. Aussi prit-il le parti de traverser les cavernes en essayant de trouver Trissi avant tout, la dragonne étant plus facile à trouver que le vampire roux. Elle était capricieuse et n’accepterait pas facilement de l’aider à le localiser mais il n’avait rien à perdre et la côtoyait depuis qu’elle était sortie de l’œuf, la manier ne lui était donc pas complètement étranger. Par chance cependant, il se trouva que pour l’occasion et complètement par hasard, il n’eut pas à remuer ciel et terre pour la trouver et qu’elle se montra relativement coopérative. Kedrildan se trouvait en dehors d’Aigue-Royale à l’heure actuelle, sans doute pour manger. Il sella son destrier vampirique et s’en fut donc hors des cavernes sans demander son avis à personne… Personne n’aurait-osé l’arrêter de toute façon, avec la blanche dragonne sur ses talons. En pleine campagne Althaïenne, il retrouva son objectif tranquillement, si tant est que le qualificatif puisse lui être accolé, installé avec le repas en question. Repassant son cheval au pas, il le héla et vint s’arrêter près de lui, descendant un peu péniblement de la selle avant de se tourner vers lui, l’observant de son regard luminescent.

« Je vois que tu as trouvé de quoi te sustenter. Rassure-moi, celui-ci était seul ? » Si des groupes entiers d’Alayiens se trouvaient à rôder par ici, c’était inquiétant. « Comment va-tu Kedrildan ? Cela fait un moment que nous n’avons pas eu l’occasion de nous voir »

Pour certaines choses, Kedrildan se montrait un très bon élève. Et pour certaines autres, il était plutôt cancre, comme le prouvait le cadavre qu’il serrait si étroitement. Oh non, il n’avait jamais approuvé les ‘relations’ que pouvait entretenir le roux avec ses proies et la façon qu’il avait de les traiter. Hm, disons qu’une partie de lui n’approuvait pas. La partie sage, civilisée, celle qui avait mûrie avec le temps, s’offusquait quelque peu de ces manières cruelles et malsaines…Une proie pouvait être traitée avec égards, c’était même tout indiqué au vu du sacrifice de la vie que cela représentait. Une autre de ses parts, au contraire, s’amusait de le voir faire. Une part plus sombre, plus vampirique. Non moins éclairée, mais simplement différente. Le dragon sombre et sinueux que l’on appelait Ancien et qui n’avait guère d’empathie pour ces pitoyables créatures. Ce n’était qu’un Alayien, un humain et un ennemi. Plus que cela, il avait été un soldat ce qui signifiait qu’il savait pouvoir mourir à tout instant. Le fait qu’il s’agisse d’une mort si peu glorieuse, et si ironique, servir à la survie physiologique d’un ennemi, au même titre qu’un légume, n’étaient que des suppléments que les survivants pouvaient goûter ou détester à loisir. Il ne faisait ni l’un ni l’autre pour le coup, car cela ne le regardait pas et il n’avait pas la tête à lui faire la moindre réflexion, en bien ou en mal. Haussant simplement les sourcils en une moue relativement amusée, il s’approcha en libérant sa monture de sa présence. Celle-ci ne s’en alla pas gambader pour autant, parfaitement dressée, elle restait proche de lui au cas où il aurait prochainement besoin d’elle, mais prenait le parti de brouter tout de même à son aise. « Gardait, serait peut-être un terme plus exacte étant donné son récent trépas, ne crois-tu pas ? ».

Mais sans doute n’était-ce pas vraiment le moment de faire pareil humour. Il n’était pas vraiment dans l’état adéquat pour pouvoir apprécier son propre humour qui lui paraissait soudain rouillé et plat. Soupirant légèrement il glissa son regard du corps mort vers le faciès de son élève, l’observant de longues secondes sans rien dire, une lueur ternie au fond des prunelles avant de se reprendre. « Très bientôt je l’espère. Il semblerait que le temps soit une notion d’amélioration, entre autre. Mais de ce que j’ai pu comprendre, votre état est verrouiller par certaines conditions qu’il vous faut remplir… elles doivent être propres à chacun. Il n’y a donc que toi qui puisse réellement trouver la clef de ta guérison totale » Pour le coup, il n’était pas très utile. Mais tant pis, au moins son élève prenait de l’indépendance, ce qui était déjà fort utile. Il vint s’installer près de Ked et chassa la goutte de sang souillant sa gorge, descendue depuis la commissure de ses lèvres. Fronçant légèrement les sourcils, il observa la trace rouge sur son doigt puis n’en fit plus cas. « Je te remercie de ne m’avoir pas dérangé… mais j’avouerais à ma courte honte avoir besoin de détente. Je me pousse beaucoup trop en ce moment. Ce n’est pas le bon instant… mais hélas c’est l’unique pour ce que je veux faire. Autant mettre cette pose à contribution, le temps qu’elle pourra durer » Pas longtemps sans aucun doute. Mais ce serait déjà salutaire. Il désigna le cadavre qu’il tenait toujours. « Il va falloir s’occuper de ses camarades, on ne peut pas les laisser fouiner par ici… Si un Alayien venait à découvrir les sentiers de la rébellion les choses iraient mal » Il était certain que Kedrildan n’allait pas manquer d’apprécier l’idée de tuer encore un peu.

Lui sans doute moins, mais qu’importait après tout ? « Par où sont-ils, exactement ? » Il était curieux. Le roux s’était-il montré imprudent en mangeant trop près du campement, aussi modeste soit-il ? Il ne pouvait pas encore le savoir, n’ayant pas envie de souffrir en ouvrant son esprit aux environs.

Magnifique… magnifique… ils n’avaient pas les mêmes goûts esthétiques, mais pourquoi pas. S’il l’était aux yeux de Kedrildan et que cela le contentait, alors c’était le principal, il fallait supposer. Ce n’était pas vraiment ses propres goûts, mais… et bien, ses goûts à lui se tournaient plutôt vers des figures découpées et musclées aux chevelures de neige. Pourquoi d’ailleurs cette fascination pour les chevelures pâles ? Un pécher de narcissime ? Aimait-il sa propre crinière au point d’en vouloir une semblable chez ses partenaires ? Hm non, c’était trop vain pour lui ressembler. Il ne tombait pas encore si bas. Peut-être tout simplement que cette couleur lui plaisait particulièrement. Qui pouvait vraiment dire pourquoi l’on aimait une couleur et pas une autre, hein ? Tout ce qu’il savait c’était que cela lui plaisait, si on parlait de critères purement physiques. Pourtant, il se basait plus aisément sur les ressentis et les échanges intellectuels que sur le physique. Evidemment il ne pouvait nier qu’un certain attrait physique était important, mais ce n’était pas le plus important… et il repensait déjà à un certain elfe, soupirant après lui. Ah non ! Ce n’était pas le moment ! Si il commençait à se languir il était fini. Eliowir lui reviendrait bien assez tôt, il suffisait d’être patient. Il revint au moment présent, observant son apprenti qui parlait toujours.

Et tiqua au mot ‘nord’. Un nordique ? Hm il n’était pas vraiment au courant mais il n’aimait pas vraiment ça. Il faisait tout pour éviter les nordiques depuis l’instant de son arrivée à Aigue-Royale, craignant qu’ils ne fassent le rapprochement, même après les années et sa vampirisation. Il était, après tout, lui aussi originaire de Glacern et avait été la honte de sa famille. Oui, ce n’était pas simple de voir ces nordiques pour lui, ancien prince de la ville oubliée. Mais bon… si cet individu pouvait aider Kedrildan c’était le principal. « Fait, ça ne pourra être que salutaire » Il ne pouvait que l’encourager, que ce soit au détriment de la santé de cet humain ne lui importait nullement. Ce n’était qu’un être humain et un nordiste par-dessus le marché. Et il en avait soupé, de ces gens-là, depuis déjà bien longtemps. Et puis, l’altruisme, si on pouvait dire cela, du roux à son égard était touchante et lui arracha un sourire las. « Merci… Je suis désolé de ne pas être une très agréable compagnie. Ton attention à mon égard me flatte et me touche beaucoup » Il s’interrompit un instant, chassant une mèche platine de devant sa gorge, prise dans son haut col, puis continua un instant. « Ta compagnie m’est agréable oui. Mais c’est bien naturel, ne penses-tu pas ? Après tout, tu es mon élève et mon ami »

Et une petite balade et chasse entre amis était d’ailleurs de très bon ton. Pourquoi pas après tout. C’était joindre l’utile à l’agréable. Il accepta donc, se relevant et appelant sa monture à lui tandis que Ked en faisait de même. Ked… bizarre, le surnom venait naturellement, même si c’était fort peu distingué de sa part d’en user. En avait-il même le droit ? Il ne se l’était jamais donné jusqu’ici et pourtant cela semblait parfaitement acceptable. Dans tous les cas, heureusement que c’était dit intérieurement et pas à haute voix, il aurait été particulièrement gêné. Mais ce n’était pas le cas. Il n’y avait pas lieu de s’en plaindre donc. Il laissa Kedrildan à son cadavre, et attendit qu’il le rejoigne, perché sur le dos de son immense destrier qui broutait, stoïque. Puis, il se laissa guider jusqu’au campement Alayien à présent éveillé. Bien, ils ne les tueraient pas dans leur sommeil, en traîtres. Même si ils n’avaient guère de chances de s’échapper de toute façon. Il resta monté, ne voulait pas perdre l’avantage que lui conférait son destrier contre des guerriers réels, lui qui n’était pas particulièrement agile. Laissant Kedrildan s’avancer le premier et s’engager contre l’un des soldats, il attira l’attention du second d’un coup bien placé dans la cuirasse.

Les armes de ces envahisseurs étaient très dangereuse, tout comme leurs capacités physiques semblable aux leurs. Néanmoins, il n’eut pas trop de mal à tenter de lui fendre le crâne. Il avait tout de même vue la lame de verre noir de près. S’assurant que Kedrildan avait lui aussi vaincu son adversaire, il descendit enfin de sa monture. « Bien… autant vérifier qu’ils n’ont pas d’ordre de mission sur eux, ou d’objets intéressant. Ensuite je le brûlerais les corps » Il doutait qu’il y ait une autre patrouille, si proche d’eux. Se baissant pour fouiller le cadavre, il dû se rendre à l’évidence après quelques instants : il n’y avait pas grand-chose. Un peu dépité, il secoua la tête et se redressa après lui avoir ôté le plastron. Il plaça le cadavre au centre du petit camp, dans les braises du feu mourant, et le raviva, à la fois manuellement et avec de la magie, jusqu’à obtenir un bûcher funéraire relativement digne de ce nom. Les cadavres furent placés à l’intérieur et il s’éloigna de quelques pas. « Voilà qui ait fait… Et c’est sans doute déjà plus grand honneur que les rites rendus à nos propres décédés par le camp adverse… »

Le feu du brasier dansait, les flammes ondulant, ondoyant, s’entrelaçant comme des amants passionnés, jetant une lueur orangée et dorée sur le campement alors que le silence, un moment, n’était rompu que par le crépitement du bois et le chuintement des matériaux qui se consumaient. L’odeur, cependant, se répendit rapidement et agressa l’odorat sensible du vampire qu’il était. Ça ne sentait pas bon. Non, en vérité ça puait même, littéralement. Pourtant son regard, également irrité par la fournaise, se détourna pour lui permettre de contempler silencieusement Kedrildan. Le jeune vampire voyait encore les choses en blanc et noir, pour le meilleur ou le pire. Sans chercher la nuance, la subtilité, il condamnait. Pouvait-il le blâmer de cela ? Non certainement pas. Pourtant s’il comprenait les réactions qu’il vivait, il ne les encouragerait pour rien au monde. Malgré son mouvement d’humeur, l’ancien répondit posément. « Je n’ai pas à m’abaisser à un quelconque barbarisme simplement parce que d’autres le font. Si nous pensions ainsi le continent entier aurait régressé à l’état de nature depuis longtemps » Soupirant, il se tourna de nouveau vers le brasier qui continuait son funèbre travail. Observant les dépouilles encore visibles, encore entières mais déjà touchée, il ajouta, plus bas et avec lassitude. « Que l’esprit de la mort les accueils en ses bras paisibles et leur permette quelques réminiscences sur leurs propres choix. En espérant que leur réincarnations soient meilleures » Un instant, il resta à prier avec simplicité, n’ayant jamais vraiment eu besoin de le faire auparavant, il ne pouvait qu’agir avec innocence, gauchement. Mais au moins était-il sincère. Puis enfin, il se détourna et appela à lui sa monture, lui caressant l’encolure avec douceur.

Elle était bien brave, cette monture. Il était, en réalité. Il s’agissait après-tout d’un destrier. Et un destrier qui le suivait depuis très, très longtemps. Des centaines d’années, au travers de ses aventures, puis des pérégrinations de l’armée vampirique. Jamais il ne l’avait abandonné, et ce malgré la présence de Silarae. Quand elle ne pouvait l’emporter dans les cieux, c’était lui qui le portait et avec zèle et loyauté. Oui il était heureux que son ami équidé le suive toujours. Avec un sourire las, il grimpa finalement sur son dos et déposa son arme dans les sangles prévues à cet effet, de sorte qu’il n’ait pas à le tenir en permanence et à se monopoliser une main qui pourrait servir à guider sa monture. Enfin, il revint à son élève et l’observa un instant, restant pensif. Que voulait-il faire ? Voilà bien une question impossible ! Il n’en savait rien. C’était un moment où il aurait aimé que l’autre prenne une initiative mais puisque ce n’était pas le cas… que voulait-il faire ? Très bonne question. « Dis-moi, Kedrildan…. As-tu déjà officié comme herboriste ? » La demande, plutôt légère, fut accompagnée d’un haussement de sourcil un peu taquin et surtout très amusé même si son esprit restait relativement lourd. « Et bien puisque nous devons plaire à mes caprices, je désirerais que nous trouvions des fleurs. Des bégonias de préférence » Pourquoi des bégonias ? Aucune idée mais ça l’amusait et il avait toujours trouvé ces fleurs jolies. Talonnant sa monture, il la lança au galop sur la plaine, n’attendant pas son apprenti qui suivrait bien de toute façon.

Il n’avait pas vraiment d’idées de où on pouvait bien trouver des bégonias, mais il existait certainement des fleurs sauvages proches de la wylorel, le principal point d’eau des plaines, ainsi que près des villages humains. Dans le pire des cas ils pourraient retourner près d’Althaïa dont les parcs et les structures florales étaient particulièrement reconnues de par le continent. Normal sans doute, quand on vivait avec des elfes. Lorsqu’enfin il entendit le bruit de l’eau, il ralentit la course de sa monture et l’arrêta complètement en vue du large fleuve dans la fraicheur se faisait sentir. « On peut commencer par chercher dans les environs, je pense » Tournant la tête, il constata que Kedrildan n’était pas loin et montra les rives avant de descendre. Prenant son bâton, il le planta dans la terre, l’illumina comme un point de repère. « Autant chercher large ! »

En réalité, pourquoi des bégonias ? C’était très bête… et la raison aussi en y réfléchissant un peu. Les bégonias étaient les premières fleurs qu’il avait croisées en arrivant de Glacern à Gloria, quand il était humain. Le pauvre gamin qu’il avait été à cette époque avait ouvert des yeux ronds durant tout le trajet, devant les changements de températures et de paysages dont il était le témoin. Mais le coup de grâce, ça avait été les bégonias sur la fenêtre de son nouveau maître de magie. Il avait complètement saturé devant cette vision-là après avoir complètement dédaigné le palais Kohan. Des fleurs, il n’y en avait pas des tonnes, à Glacern, presque pas en vérité… et même quand il y en avait, on ne s’en préoccupait absolument pas. Aussi, la vision printanière l’avait bien plus touché que les splendeurs impériales… La richesse du sud ne lui plaisait pas forcément, à cette époque, où il était encore pétris des concepts et idéaux de vie de la cité des glaces. En revanche, voir ces merveilles de la nature, chance qu’il n’avait jamais eu auparavant, lui avait plu et avait passé un peu de baume sur sa conscience écorchée d’avoir été exilé loin de sa patrie. Bref, ça lui avait rappelé de bons souvenirs. Et ils étaient ainsi partis à la chasse aux bégonias. Histoire de se changer des alayiens en plus de ça. Heureusement, il n’était pas particulièrement embêtant et se satisfaisait de n’importe quelle sorte de bégonia. Au bord de la Wylorel, il cherchait attentivement dans les buissons humides et sur les pentes près de l’eau en faisant bien attention de ne pas glisser et finir complètement trempé. Malheureusement, il semblait bien qu’il allait faire choux blanc. Il n’y avait rien qui ressemblait vraiment à une bégonia. Dommage tout de même mais il n’allait pas baisser les bras si vite, oh non loin de là. Il dénicha un épais bouquet de buissons et s’accroupis avec prudence en fourrageant dedans afin de voir si il ne contiendrait pas la plante tant recherchée. Alors qu’il semblait effectivement toucher au but, un horrible hurlement transperça le silence de la nuit. Complètement prit par surprise et ne s’y attendant absolument pas, et même moins encore, il redressa brusquement la tête et s’accrocha les cheveux dans une branche. Avec un soupire, il se décrocha avec délicatesse, puis près la direction du lieu du hurlement. Ça ne pouvait être que son élève pour faire un boucan pareil… mais qu’est-ce qui lui prenait exactement ? En plus aucun bruit de combat ne lui parvenait, il en concluait aisément qu’il ne s’agissait pas d’une attaque surprise. Lorsqu’il le retrouva, ce fut couvert de boue et de végétaux, une grenouille sur la tête, au milieu d’un carnage naturel… Haussant un sourcil, il épargna tout de même au roux un commentaire taquin et se contenta de souligner avec calme. « On dirait que tu en a trouvé une » Il s’avança avec prudence dans l’intention de la cueillir et la nettoyer, mais hélas, il était écrit que ce ne serait pas le cas. Il approcha bien de la fleur, mais glissa sur le terrain préparé par Kedrildan, se rattrapa à la branche d’un arbre bas, mais sous la force, la branche en question cassa et il plongea presque tête la première dans l’eau de la Wylorel avec un grand ‘splash’ très peu digne. Il coula un instant avant de revenir à la surface, dégoulinant d’eau et luttant contre le courant et dû carrément former un minuscule iceberg pour s’y accrocher correctement et éviter de partir faire un long voyage fluvial qu’il ne désirait absolument pas. Il resta un moment interdit, se demandant bien quelle scène ils présentaient, le rouquin plein de boue avec sa coiffure marécageuse et lui sur son bloc de glace en train de faire trempette. Puis il éclata tout simplement de rire sans plus de cérémonie.

Faire trempette comme ça n’avait foncièrement rien d’agréable, surtout quand on le prenait par surprise. Non en fait seulement quand on le prenait par surprise, autrement il était parfaitement à l’aise avec les étendues liquides quel que soit le courant et la profondeur. Sauf que là il n’avait pas du tout prévu de finir à l’eau et sur le coup c’était quand même un peu embêtant. L’eau, ça mouille ! Oui Achroma exactement et parce que ça mouille, ça peut être désagréable suivant la tenue du baigneur. D’une part parce qu’il était encore complètement habillé et que l’étoffe lui collait à la main, imbibée d’eau et rendant la nage peu pratique du fait de la lourdeur des tissus dans cet état. Les mouvements dans ce piège de tissus mouillés étaient à vous arracher une grimace ou deux mais ça n’aurait pas été pire que la température si il y avait été sujet. Fort heureusement, les vampires n’ont pas ce problème-là au moins. Ses cheveux aussi collaient à sa personne, des mèches lui barrant le visage et lui chatouillant le cou, bloquant en partie sa vision. Et pour ne rien arranger, le fleuve était relativement profond à cet endroit, de sorte que même lui n’avait pas pied et s’accrochait comme une bernique à son morceau de glace. S’il avait eu des griffes, il les aurait plantés dedans. Il n’en avait pas cependant mais s’accrochait passablement bien se laissant caresser par le flot de l’eau qui menaçait de l’emporter. Mieux valait qu’il essaye de nager jusqu’à la rive où il risquait de rester dans l’eau longtemps et de développer des branchies. Mais même cette idée-là le faisait rire. Il laissait complètement la tension redescendre et se vider hors de lui après avoir grimpé pendant des jours et des jours. Il en avait bien besoin alors pourquoi lutter ? D’autant que la situation était franchement comique. En pleine guerre, se retrouver avec pareil scénario sur les bras, ce n’était pas tous les 4 matins alors…

Il s’étrangla de surprise au milieu de son rire lorsque la poignée de terre l’atteignit et il entendit uniquement le début de la réplique qu’on lui lançait alors qu’il plongeait la tête sous l’eau pour se nettoyer. En ressortant, crachotant légèrement, il lui lança un regard de gosse et replongea, allant chercher une belle grosse poignée bien visqueuse et odorante au fond de l’eau, plus vaseuse que terrienne, et remonta avant de la lui balancer en plein museau avec force. Rapidement, il se cacha derrière son rocher pour éviter un nouveau lancé franc et eut une idée sournoise. Allant sous l’eau, il leva un peu la vase alentours histoire de troubler l’eau et nagea tant bien que mal en s’accrochant au fond pour regagner le bord. Là, il attendit un instant puis jaillis tel un saumon enthousiaste pour attraper la cheville de Kedrildan et le faire tomber dans l’eau avec lui. Ce à quoi il ne s’attendait pas, par contre, ce fut que le roux s’accroche assez fermement à lui pour lui faire perdre son équilibre précaire et ne l’entraîne dans le courant en pataugeant comme un phoque en difficulté. Manquant boire la tasse, il parvint à le garder avec lui et pagaya de son mieux dans le courant. Sentant une possible accroche sous ses doigts, il se saisit de ce qui s’avéra être de longues algues d’eau douce qui… ne tirent pas du tout sous leur poids conjugués. Et hop, les voilà repartit dans le courant, leurs montures suivant sur la rive, perplexe, alors qu’il essayait vaguement de s’attraper quelque chose de plus solide. Finalement, ce fut une branche d’arbre basse qui leur sauva la mise et sur laquelle il s’agrippa toutes griffes dehors…

Ils avaient finalement réussit à se sortir de là, mais ils n’étaient par contre pas vraiment en bon état. Enfin si, ils n’étaient pas en mauvais état dans le sens où ils n’étaient pas blessés. Mais leur apparence laissait à désirer. Même si l’eau avait un peu aidé, il restait quand même pas mal à faire pour qu’ils aient un minimum de dignité. Mais, alors qu’il gisait, pouffant encore, sur la rive, les cheveux emmêlés et éparpillés, il n’en avait encore rien à faire. Pour l’instant, tout ce qui lui importait c’était qu’il s’était bien amusé, et qu’un instant, cela avait chassé sa morosité… ce qui était suffisant pour le rendre reconnaissant envers son élève qui avait été la malheureuse victime de son besoin de détente. Affalé sur le flanc gauche, il souriait encore, sous ses mèches salies par l’eau et la végétation aquatique ainsi que par les restes de boues. Il resta un moment silencieux, alors que la gaîté retombait pour laisser place, un instant, à une sourde tristesse qui lui tira une larme sanglante. A l’entente de la voix de Kedrildan cependant, il la chassa rapidement, effaçant la souillure de sa peau déjà sale. « Ça n’a pas d’importance » convint-il d’une voix douce et lointaine, un peu pensive. Puis il se releva tant bien que mal et grimaça à la sensation de sa robe collée contre sa peau humide. Lentement, il retira les lacets d’argent puis entreprit de glisser ses bras hors des manches. Une fois qu’il eut finis de se tortiller hors de son habit, il l’essora et le déposa sur une branche, avant de faire subir le même sort à sa chemise tout aussi collée. Puis, il ramassa ses cheveux sales, les rejeta en arrière et siffla à l’intention de sa monture qui ne mit pas longtemps à les rejoindre, accompagnée par celle de son élève. Avançant un peu lourdement sur la rive, il vint fourrager un instant dans ses affaires et en sortit un lacet de cuir qu’il utilisa pour nouer ses cheveux avant de tout simplement retirer pantalon et bottes, histoire de ne plus rien porter qui aurait pris l’eau. S’étirant un instant, il retourna avec précaution dans l’eau afin de se nettoyer un peu mieux, puis tenta de déblayer sa chevelure et de la nouer en une tresse longue qui ne le gênerait pas pour le reste de la nuit. Sa crinière sècherait bien assez vite.

Il jeta un coup d’œil vers Kedrildan, puis sourit et lui fit signe de le suivre et de faire de même. « Vient, que je m’occupe de toi » Son élève allait-il accepter, ou trouverait-il l’affaire encore trop sale ? Ou peut-être déciderait-il simplement que cela le gênait. S’il acceptait, néanmoins, il s’appliquerait à lui faire retrouver un semblant de dignité avec beaucoup de tendresse et d’attentions. S’il refusait et bien… il se contenterait d’en terminer avec ses propres soins. Dans tous les cas, il sortit de l’eau ensuite et alla chercher des habits de rechanges propres dans ses sacoches, se rhabillant de noir et d’argent plutôt que de blanc cette fois, et prenant un long moment pour fermer les lacets de son col strict ainsi que la ceinture de tissu serrée qui servait à retenir ses biens. Il proposa également à Kedrildan de se changer, même si les habits n’étaient pas tout à fait à sa taille. Une fois qu’ils furent de nouveau propres, et alors qu’il allait proposer de continuer la balade, il s’arrêta en voyant quelque chose sur le bord de la rive… à un mètre ou deux de là où ils étaient sortis. Souriant, il pointa du doigt le bégonia délicat qui trônait là. « Finalement j’en aurais eu au moins un » Il s’arrangea pour le récupérer par magie et fit en sorte de le conserver de son mieux dans une boite prévue à l’effet des plantes fraiches. Il l’admira un long moment, caressant les pétales ouverts, avant de la glisser bien à l’abri. Il prit l’avant de sa selle d’une main mais hésita avant de se tourner vers le rouquin. « Je n’ai…. Pas envie de rentrer… » Penchant légèrement la tête de côté, il l’observa avec intensité. « Tu veux bien me tenir encore compagnie ? Une course, ça te dit ? »

Il en serait vraiment heureux hein ? Et bien voilà qui était flatteur et satisfaisant. Il n’aurait pas autant goûté à cette soirée s’il avait été conscient que son élève ne le suivait que pour lui faire plaisir à lui. Même s’il était vampire, prendre simplement son plaisir sans penser à celui des autres n’était franchement pas son genre. Assuré, donc, il se hissa sur sa scelle et jeta un regard surpris à Kedrildan lorsque celui-ci partit en galopant, l’exclamation sur le gage d’arrivée lui tirant autant un sourire que sa petite tricherie. Il talonna sa monture qui partit au grand galop à la poursuite de celle du rouquin qui avait pris de l’avance traitreusement. Ah mais c’est qu’il voulait gagner hein ! Riant, fatalement amusé et stimulé par l’attitude du dragonnier d’acier, il le poursuivit à pleine vitesse, excitant sa monture pour qu’elle aille plus vite. C’était une course après tout ! Et puis il n’était pas une limace arthritique non mais ! Le ciel étoilé défilait à toute vitesse, comme l’herbe sous les sabots de son destrier. Ils passèrent un long moment à se courser avant de voir enfin apparaître le village. Matois, il invoqua alors un mur d’énergie juste devant la monture de Kedrildan qui cabra, pilant instinctivement face à l’énergie menaçante et le temps qu’il contourne l’invocation ainsi effectuée, il l’avait rattrapé. C’est au coude à coude qu’ils parvirent sur la place endormie du village et la victoire lui passa sous le nez à cause d’un bête écart de son cheval. Il jura entre ses crocs, serra les rennes et le remit sur la ligne, mais trop tard et, en trottant puis en s’arrêtant proche de l’autre vampire, il éclata à nouveau de rire, pas le moins du monde vexé. « Bon et bien je suis une limace arthritique » Son sourire se fit taquin « Mon pauvre Kedrildan, tu n’as pas de chance d’avoir un maître aussi mal en point ! Il va falloir que tu prennes soin de moi ! Mon arthrite me fait tellement souffrir tu n’imagines pas… Ne voudrais-tu pas me trouver un bout de laitue bien fraîche ? » Il poussa le vice jusqu’à lui faire les yeux doux, avant de rire tout bas, d’un son grave et velouté et de secouer la tête devant sa propre bêtise.

Puis, calmé, il regarda les alentours, la place ronde et pavée, la statue campagnarde près de laquelle ils se tenaient, les maisons alentours… et ce qui ressemblait à une grande et vieille bâtisse en ruine, haute de toit et à la porte imposante. A l’opposé et sur le côté, une taverne présentait des fenêtres laissant passer de la lumière, seul point d’attrait dans cet environnement endormis. Il écouta le calme diffus des lieux, l’eau coulant au loin de la rivière, les rires étouffés des humains de l’auberge, puis il soupira légèrement. « Tristescollines » déclara-t-il. « C’est l’un des villages les plus à l’est de tout l’Empire. Il y avait une importante mine de fer ici, auparavant mais le filon s’est en partie tari. Ce n’est pas un village très agité, je dirais même qu’il ne s’y passe jamais grand-chose » Il fit tourner sa monture pour faire face au rouquin. « Lors des anciennes guerres, il a été totalement rasé par le eu d’un dragon, les habitants ont mis deux générations à revenir y vivre. Mais l’endroit est cela dit idéal si tu n’as pas envie d’aventures. Ici, il n’y a pas de guerre et pas de problèmes, ils vivent presque isolés du monde extérieur… » Il eut un doux sourire « Laissons-les à leur innocence, vient » Il dirigea sa monture vers une des sorties proches du village, sur une route de terre plate. L’observant du coin de l’œil il reprit, une fois qu’ils furent hors de vue des humains. « Tu as gagné notre course, tu as le droit à une récompense. Qu’est-ce qui te ferait plaisir ? »

Il devait avouer être légèrement gêné de cette différence. Beaucoup de vampires étaient issus des basses couches de la population il ne l’ignorait nullement et cela avait du sens… Mais il n’était pas surprenant, après cela, de savoir que lui-même dissimulait son identité humaine. Il ne pouvait pas dire connaître ce qu’avait vécu Kedrildan. La vie les avait placées à deux bouts différents de la société dès le départ et seul le statut de dragonnier les avait rapprochés. Il ne savait que répondre à cette tirade, aussi appliqua-t-il le précepte : si tu n’as rien à dire, tais-toi simplement. De toute façon, ils partaient, il ne servait à rien d’épiloguer. Restait simplement l’amertume de savoir qu’il ne pourrait certainement jamais confier à Kedrildan le secret de ses origines et ce qu’il impliquait. En silence, il écouta finalement la réponse du roux quant à sa récompense et se fendit d’un simple sourire. « Je n’ai pas demandé quels étaient tes objectifs, simplement ce qui te ferait plaisir, que ce soit trivial ou non. Cependant, si véritablement tu cherches à t’élever dans la hiérarchie, je tenterais au mieux de t’aider. Je ne peux pas changer les codes de notre race, la force prime. Mais je peux te donner les opportunités nécessaires à prouver ta valeur » Un pli soucieux lui barra soudainement le front alors qu’il réfléchissait. Kedrildan ne pouvait ignorer sa position délicate au sein des vampires, et l’impossibilité d’une très haute montée en grade. Sauf bien entendu si Lorenz mourrait avant. « Si tu veux porter mes couleurs, nous pourrons voir cela en rentrant à Aigue Royale. Ce sera déjà un début. Et si tu veux m’aider et m’être utile, j’aurais alors une proposition à te faire… tu pourras refuser évidemment, je ne t’oblige à rien, mais si tu acceptes cela pourrait être une très bonne chose pour nous deux…. Je n’en parlerais pas plus pour le moment, mais je te dirais tout prochainement » Il eut un sourire, poussa un moment sa monture au petit galop dans la plaine avec son élève, et décida tout bonnement de profiter du reste de cette soirée avant de retomber dans les intrigues au besoin si impérieux.

[HRP : Finit pour moi je pense ^^ ]