Une légère brume envahissait les berges sableuses du fleuve. Le clapotis de l'eau laissait entendre un débit assez régulier mais puissant. Le cheval renâcla, l'écume aux lèvres et qui gouttait sur le sol. Ses sabots tassaient le sable humide. L'animal voulait boire, après la frénétique galopade que son cavalier lui avait imposée. Des rênes maintenaient sa tête haute et lui coupaient son désir d'aller s'abreuver pour étancher sa gorge sèche qui le démangeait. Ses flancs tremblaient encore de l'effort produit et une pression du talon gauche de l'homme qui le montait le contraignit à reprendre la marche. L'équidé vrombit ses naseaux mais obtempéra. Dressé pour être monté, il n'avait pas la liberté de penser comme l'homme qui était à demi-avachi sur la selle

A travers l'air épaissi par le fin brouillard, dans l'obscurité de la nuit dépourvu d'étoiles en raison de cette épaisseur humide, on pourrait prendre le cavalier pour une silhouette fantomatique. Les sabots s'étouffaient dans le sable de la berge mais affirmaient au moins par la diffusion étouffés de leur bruit que la bête était elle au moins réelle. L'homme tira à peine sur les rênes pour mener le chemin hors du bord du fleuve.

Recouvert de sa capuche et de sa vieille cape sombre, on ne discernait pas les traits. A sa tête baissée, on devinait qu'il n'était guère alerte. Il frissonnait même. Son cheval broncha à nouveau, laissant l'air expiré s'embuer. Au moins, il respirait plus lentement. Cela ne l'empêchait pas de trébucher sur une petite pierraille. L'animal aussi était fatigué. Mais les oreilles aux aguets, la monture avançait, à peine guidé par celui qu'il portait.

Alauwyr laissa sa tête rouler en arrière, fermant les yeux et grimaçant d'un élancement brûlant et intense à sa cuisse droite. Il porta doucement une main gantée à côté, sondant l'étendue de cette douleur. Deux morceaux de sa propre cape couverts de sang séché enserraient une entaille qui n'était guère reluisante sous le pantalon lui même ouvert, suite à un mauvais coup tranchant reçu. Cette blessure aurait du être refermée avec des fils, mais n'ayant rien eu sous la main après s'être dépêtré du bourbier dans lequel il était tombé. Tomber dans le fleuve en haut du pont deux semaines auparavant -moins ? plus ? Il ne savait plus vraiment- n'avait été une de ses plus brillantes idées. Pour fuir, pour rejoindre les ennemis des Théocrates, il lui avait fallu redescendre vers le sud, longeant le fleuve, seul indicateur potable pour s'assurer de tomber sur ce qu'il cherchait...

Son cheval s'arrêta, baissant son encolure. l'Alayien n'insista pas pour lui faire remettre en route. Il ne tenait pas à faire crever la bête comme il l'avait fait plusieurs jours avant, la pressant tellement, ne s'accordant point de repos. Sa précédente monture était morte d'épuisement. Au point où il était maintenant.... Fou qu'il était, fou de prendre cette voie comme il l'avait fait. Cette fois, il se perdait réellement. Il ferma les yeux et ne put s'empêcher de trembler... Outre la fatigue de sa propre inconscience, la fièvre le dévorait doucement depuis plusieurs jours. Là où il aurait dû s'enquérir d'un guérisseur et être mis au repos, il courait les plaines... La chance lui avait souri jusqu'ici, ne lui mettant aucune troupe impériale sous le nez. Peut être que le fleuve qui débitait vivement n'avait pas été jugé bon à surveiller...Guère utile quand à l'état dans lequel il se trouvait.

Dans cette brume, il ne chercha pas à se repérer. Peut-être qu'il se rapprochait de Caladon, ou peut-être pas. Las, il n'arrivait plus à clairement raisonner. Il attrapa sa gourde et but longuement le reste, c'est à dire plus grand chose... Il tourna bride pour rejoindre le fleuve et chercha une berge pas trop raide pour lui. Quand il eut trouvé ce qu'il cherchait, il se laissa tomber sur sa jambe valide, manquant de s'écrouler. Il ravala un cri en se retenant de toutes ses forces au pommeau. Il mit quelques minutes à se décider de lâcher ce pommeau... Clopinant douloureusement vers la berge, il manqua cette fois de vraiment s'écrouler. La tête lui tournait. D'une main tremblante, il emplit sa gourde et se releva péniblement, avant d'apercevoir les silhouettes fantomatiques d'un petit bosquet...

Le rejoindre fut ardu. Il crut qu'il tournerait de l'oeil en se retenant au premier jeune arbre que croisa sa main ; il n'était pas loin en même temps. Il frissonna un peu plus et lâcha les rênes de son cheval. Se reposer.... il devait se reposer pour aller mieux. Demain il aura récupéré et il pourra repartir. Ses pensées se noyèrent dans la confusion pendant qu'il se laissa glisser dans un gouffre humide et frais quand il sentit la mousse rejoindre sa joue.

Où allait-elle? Luna ne savait pas vraiment. Elle ne faisait que suivre ses pas qui l’enfonçaient dans l’empire ennemi, endroit dangereux pour la Protégée qu’elle était. Elle n’avait pas de destination précise et hors de question de retourner là où le lever du jour signifiait la fin lorsqu’on ne faisait pas attention. Elle ne savait peut-être pas où elle allait, mais elle savait ce qui la poussait à être là. Elle avait une mission et c’était celle de retrouver les anciens prisonniers de Morneflamme qui s’étaient dispersés dans la Théocratie. Elle ignorait comment les retrouver et pour l’instant, la chance n’avait pas été avec elle. La chance n’avait pas été contre elle non plus puisqu’elle avait réussi à se rendre dans les plaines de Sombreval sans se faire capturer par les alliés du dragon blanc. Jusqu’à maintenant, elle avait réussi à dissimuler sa présence et elle était même parvenue à berner quelques personnes pour lui éviter de bien mauvaises situations. Cependant, que vous soyez Protégés ou Théocrates, la gamine avait rapidement appris que les loups morbides n’en avait rien à faire et elle avait eu tout le mal du monde à se débarrasser de cette meute qui avait voulu faire d’elle leur repas. Et ça, c’était sans compter les brigands dont le seul but était de faire les poches aux gens et de faire couler leur sang pour leur simple plaisir.

Bien heureuse de n’avoir croisé rien ni personne pour le moment, la jeune soldate poursuivait son chemin dans les plaines dangereuses. Un épais brouillard s’était levé, cachant la lune qui lui apportait la lumière naturelle dont elle avait besoin pour se promener sans risquer de se briser quelque chose. Elle pensa qu’il serait préférable de s’arrêter, mais cette idée fut effacée par la vision d’un cheval. Aussitôt, elle se cacha et chercha la présence d’autrui. Mais hormis les hennissements de l’animal et les bruits normaux environnements, elle ne perçut rien. Il n’y avait personne qui parlait et aucun bruit de pas. Où était donc le cavalier de ce cheval?

Alerte, Luna se risqua à s’approcher de l’animal et il ne sembla même pas remarquer sa présence. Nul besoin d’être expert pour deviner la fatigue qui le tiraillait. Elle attrapa sa rêne et caressa doucement le côté de sa tête.

- Pauvre petit. Mais que t’est-il arrivé? Lui murmura-t-elle doucement.

La petite lune avait toujours aimé les chevaux depuis sa tendre enfance et elle avait toujours eu cette aura rassurante auprès de ces bêtes. Il se laissa faire et elle resta quelques minutes ainsi à le caresser, se demandant si soudainement quelqu’un allait surgir de nulle part pour le réclamer.

- Tu as un nom? Et où se trouve ton maître? Le questionna-t-elle. Bien sûr qu’elle ne s’attendait pas vraiment à une réponse de sa part. Tu as l’air épuisé… Tu veux boire un peu? Poursuivit-elle doucement.

Elle l’attira doucement vers l’eau du fleuve et il s’y abreuva aussitôt. Il lui faisait penser à Billy, son ancienne monture, qu’elle avait laissée entre les mains d’Auphélie Rhoe. Où était son amie? Elle l’ignorait et elle ignorait si elle pouvait encore la considérer comme telle maintenant que leur allégeance différait. En espérant qu’elle prenait bien soin de son Billy.

Le cheval but pendant de longues minutes et lorsqu’il eut terminé, elle le tira vers elle afin de l’éloigner de la berge. Tandis que la gamine faisait quelques pas à travers la brume, elle remarqua alors des pieds dépasser d’un bosquet non loin. Un regard balayant l’endroit rassura la princesse des lumières qu’il n’y avait personne d’autre. Par déduction logique, ce devait être le propriétaire de l’équidé. Piquée par la curiosité, elle s’approcha de l’individu au sol et s’arrêta à quelques mètres de lui afin d’observer ses traits. Était-il en vie ou simplement endormi? Le mouvement de sa cage thoracique lui apprit que Mort ne l’avait pas encore embrassé et elle grimaça en voyant la plaie à sa jambe à travers son pantalon déchiré. L’homme était en piètre état.

Qui était-il et que faisait-il là? Que lui était-il arrivé pour qu’il soit dans un tel état? Était-il un ennemi? Elle pouvait le tuer là et maintenant si elle le désirait et s’assurer qu’il ne soit jamais une menace pour elle. Elle pouvait le dépouiller de ses biens et se faire une nouvelle monture. Il n’y avait pas de limites quant aux possibilités. Mais par chance, c'était Luna et non pas sur un de ces dangereux hors-la-loi. La gamine ne pouvait enlever la vie sans savoir à qui elle avait affaire. Sa conscience ne lui permettrait pas, surtout s’il s’agissait de tuer un homme inconscient. Peut-être même qu’il s’agissait d’un évadé?

Luna attacha le cheval à un arbre et s’approcha davantage du blessé en restant sur ses gardes si jamais l’homme se relevait miraculeusement. On pouvait la considérer paranoïaque, mais il valait mieux cela qu’être mort. Elle dégagea d’abord les armes et le sac de l'inconnu qu’elle cacha dans un arbuste plus loin. S’il se réveillait et s’avérait être un dangereux ennemi, au moins, il n’aurait pas ses armes avec lui.

Elle posa son regard azuré sur lui et après quelques minutes de réflexion, elle sortit un vêtement de son sac qu’elle mouilla avec l’eau de son outre. Elle s’en servit pour nettoyer la plaie à sa jambe et retirer le sang qui s’y était collé. Elle fit le tout doucement afin de ne pas le blesser inutilement et se risquer à le réveiller à cause de la douleur. La plaie n’était pas belle du tout et cela devait faire de nombreux jours qu’il traînait cette blessure. L’inconnu était bien chanceux qu’il n’y ait pas de signes d’infection. Approchant ses mains de sa cuisse, celles-ci s’éclairèrent d’une douce lumière* afin de refermer magiquement la blessure. Peut-être l’Alayien était-il contre cet acte, mais il n’était pas en état pour s’y opposer.

Les soins ainsi prodigués, la gamine s’adossa à un arbre afin de reprendre momentanément ses forces. Elle le vit frissonner et se demanda si faire un feu serait une bonne idée. Elle n’eut pas le temps de se le demander plus longuement que l’inconnu semblait déjà reprendre conscience. Une main se posa instinctivement sur sa dague.

- Bien dormi? Prononça-t-elle doucement.

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* [Soin] Lumière apaisante
Une douce lumière qui sort des paumes et vient réparer les tissus lésés, cela ne chasse pas la maladie ni les malédictions. Plus la blessure est profonde et plus c'est épuisant, attention à ne pas dépasser ses limites ! (sinon évanouissement)

Geste clé : Les deux paumes à quelques centimètres de la blessure, promener les mains sans toucher le blessé

Revenir à lui ne fut guère aisé, même si sa blessure n'apportait plus son lot de souffrance et n'entravait donc plus son retour à la conscience. Il sentit d'abord avant d'ouvrir les yeux une présence et une voix féminine retentit doucement à ses oreilles. Doucement, il tenta d'analyser ce qui se passait, où il se trouvait et qui était cette voix. Un début de délire à la fièvre que provoquait sa blessure ? En songeant à sa jambe blessée, il ne percevait plus d'élancements. Ça plus la voix jeune d'une femme non loin de lui... ce fut amplement suffisant pour secouer son esprit épuisé et ses paupières s'ouvrirent aussi vite qu'il roula à moitié sur le côté, dardant un regard incrédule et surpris. Non il n'avait pas halluciné. Il avait presque une fillette sous ses yeux.

Il l'observa, gardant le silence pour le moment. Théocrate ou Protégée ? Difficile de le savoir au premier abord, même si le second choix paraissait bien improbable. Il songea d'abord à cela à cause de sa position vis à vis du fleuve ; s'il ne se trompait, il n'était plus trop certain. Mais avec sa malchance du moment... Il baissa ses yeux fatigués sur la fine main de Luna qui s'était posé sur la dague. Une précaution vis à vis de lui. Elle se méfiait. Tout comme lui d'elle. D'ailleurs en pensant à ses armes, il sourcilla quand il ne sentit pas le poids familier de son épée à la ceinture et il sourcilla quand il ne sentit pas sa présence en y portant une main. Ses dents se serrèrent. La jeune fille l'avait désarmé pendant son inconscience. Il se tendit, se parant à toute offensive possible. Et en se tentant, il ne ressentit pas l'entaille qui lui barrait la cuisse. Là aussi il ne fabulait pas à cause de la fièvre.

Il détourna la tête et fut stupéfait en posant sa main sur la déchirure de son pantalon, ne sentant plus rien de douloureux. Il ne put retenir un sifflement entre les dents de dégoûts : Magie ! Cette fille l'avait trouvé, désarmé et soigné par magie ! Il se sentit comme souillé. N'oubliant pas la gamine, il commença à se redresser en vue de s'adosser contre un tronc proche. Peut-être que son entaille était guérie, mais la fatigue et la lassitude étaient encore bien présente, en plus du froid qui l'avait saisi ; à moins que ce ne soit un effet de la fièvre naissante.

''Garde ta dague à sa place... Je ne fais que me mettre dans une position plus confortable. ''

Cela fait, il l'observa malgré l'épaisseur du brouillard et de la nuit. Une jeune fille, au moins une gamine... Qu'est ce qu'elle fichait là ? A juger les précautions qu'elle avait prise à son égard en lui soustrayant ses armes durant son inconscience, elle n'était pas dépourvu de jugeote... et encore moins de magie ! Soigné par cette engeance. Il se retint de cracher comme pour se défaire du goût amère d'avoir été à son contact de la sorte. Il ne pouvait nier avoir déjà utiliser d'artifices de cette chose qu'on lui avait toujours appris comme impur, immonde. Mais se faire soigner par elle ! Jamais il n'aurait cru que cela lui arriverait.

''Tomber dans les ténèbres... Je n'appelle pas cela dormir. Sauf si tu cherchais à faire de l'humour...''

Bien des pensées se bousculaient dans son esprit, au point qu'une migraine prenait naissance au fin fond de son crâne. Il les chassa d'un soupir. Ereinté comme il était, il n'aspirait pas vraiment à raisonner, mais à dormir. Mais vu les circonstances... Il avait besoin d'en savoir plus sur cette gosse. Gosse, car à ses yeux, bien qu'elle avait tous les atours pour être considérée comme une parfaite jeune femme, elle était encore bien jeune aux yeux de l'Alayien.

''Qui es-tu ? Car avant de savoir si je dois te remercier, j'ai besoin de le savoir...''

la question était volontairement basique. Ainsi, il pourra savoir si elle était ennemie ou alliée. Si elle était ennemie, tenter quoique ce soit contre elle, alors qu'il était dépourvu de ses armes et que son péril l'avait épuisé plus qu'il ne le croyait, c'était déjà perdu d'avance. La connaissance restait alors la meilleure arme à sa portée pour le moment

Voilà que l’inconnu reprenait doucement conscience et Luna le recouvrait d’azur, regardant chacun de ses gestes et analysant sa réaction. Hormis sa main posée par précaution sur sa dague, elle n’avait pas bougé lorsque l’homme avait roulé sur le côté, surpris de ne pas être seul à son réveil. Elle n’avait pas fait de gestes brusques de peur qu’il croie qu’elle avait de mauvaises intentions à son égard et était simplement restée assise, adossée à son arbre. Elle comprenait sa réaction et elle ne cherchait pas la bagarre. Il avait à son tour posé son regard sur elle et ils s’étaient regardés longuement en silence. Chacun analysait l’autre et elle fut soulagée de lire dans son regard une pointe de surprise, de méfiance et d’incompréhension. La colère et l’agressivité ne s’y cachait pas. Toutefois, lorsqu’il remarqua son arme, elle le vit se mettre sur la défensive. Elle le vit également déplacer sa main à l’endroit où se trouvait autrefois sa plaie et au lieu de voir le soulagement sur son visage, des traits marqués par le dégoût s’y étaient dessinés. Qui était donc cet individu? Elle continuait de le fixer sans prononcer un seul mot. Ennemi ou neutre? Il était encore trop tôt pour le déterminer, mais elle avait une mauvaise impression. Avait-elle fait une grave erreur en le soignant? On lui avait pourtant dit qu’un jour la gentillesse la perdra. Ce jour était-il arrivé?

La tension était palpable entre les deux individus et il suffisait d’un geste brusque pour que la situation s’enflamme. La gamine acquiesça d’un signe de tête tandis que l’homme lui disait qu’il allait se mettre en une position plus confortable. Sage idée que de l’avertir! Elle n’avait pas déplacé sa main de sa lame, toutefois, par prudence.

Luna eut un léger sourire face à ses mots. Elle n’avait pas cherché à faire de l’humour, mais elle n’avait pas eu d’autres idées pour l’apostropher à son réveil. Elle ne savait pas comment il aurait réagi si elle était restée silencieuse à son retour de conscience et il lui avait paru plus sécuritaire d’annoncer sa présence. Que lui était-il arrivé? Qui était-il? Que faisait-il ici? Devait-elle le considérer comme son ennemi? De nombreuses questions se bousculaient dans son esprit, mais elle se retint de les poser. Une chose à la fois et la première était de répondre à sa question.

- Comment pourrais-tu seulement savoir si je te dis la vérité sur ma personne? Commença-t-elle d’une voix douce. Si je te donne mon nom, me donneras-tu le tien? Moi, c’est Luna. Enchaîna-t-elle.

La princesse des lumières aurait pu s’inventer une nouvelle identité à l’instant et il ne l’aurait jamais su. Au lieu, elle lui avait donné le nom auquel elle se reconnaissait et ne croyait pas qu’il pourrait faire grand-chose de cette information. Ils étaient probablement deux personnes s’ayant croisés par chance et qui se sépareraient ensuite pour ne plus jamais se revoir.

- La question n’est pas de savoir qui je suis, mais ce que je veux. Poursuivit-elle. Elle fit une courte pause, le perçant de son regard. Or, je ne te veux pas de mal. Si c’était le cas, je t’aurais tué pendant que tu étais inconscient. Si c’était tes biens que je voulais, je serais déjà partie bien loin avec ceux-ci. En fait, c’est simple : je ne veux rien. Et à moins que tu veuilles ma peau, je ne suis pas ton ennemie. Expliqua-t-elle.

La jeune soldate avait énoncé ses intentions à l’égard de l’inconnu. Le rassurait-elle avec ces mots? Elle était sincère lorsqu’elle lui disait qu’elle ne lui voulait pas de mal et qu’elle ne voulait rien de lui. Théocrate ou Protégé, la vérité c’était que ça n’avait pas vraiment d’importance à ses yeux. Elle n’envisageait pas tuer tous les êtres vivants sur le territoire du dragon blanc, mais si ces derniers s’avéraient dangereux, il s’agissait d’une toute autre histoire.

- J’étais dans le coin et je suis tombée sur ton cheval. Dit-elle en désignant l’animal attaché à un arbre non loin. J’ai cherché son propriétaire et je t’ai trouvé sur le sol. Je t’ai soignée et j’ai veillé à ce que les loups ne viennent pas te manger pendant ton sommeil. C’est tout. Raconta-t-elle.

C’était un bref résumé de la situation, mais il n’y avait pas plus à dire. Elle avait d’ailleurs lâché sa dague, croyant que l’inconnu ne se jetterait pas sur elle.

- Si je te redonne tes choses, me donnes-tu ta parole que tu ne t’attaqueras pas à moi? Demanda-t-elle d’une voix sérieuse.

S’il avait un peu d’honneur, il tiendrait parole. Certes, il pouvait lui mentir et s’en prendre à elle dès qu’il aurait retrouvé son arme, mais elle ne voyait pas pour quelles raisons il ferait cela. De plus, dans son état, c’était une mauvaise idée de se battre même s’il s’avérait être un guerrier expérimenté. À cet instant, la petite lune croyait en ses capacités de gagner un combat.

Sa confiance se rompit tandis qu’elle se relevait et qu’elle vit le monde tournoyer autour d’elle. Elle posa sa main sur le tronc de l’arbre afin d’éviter que ses jambes se dérobent sous elle. Avait-elle dépensé tant d’énergie à soigner la blessure de l’étranger? Elle avait cru que non, mais son corps lui disait que c’était bel et bien le cas.

Bien que jeune, elle en avait de l'intelligence à revendre la gamine. Une intelligence un peu trop naïve à son sens. Tomber sur le premier venu qui était dans les vapes, sans savoir qu'il était réellement imposait la prudence. Oh elle en avait cette jeune fille, mais peut-être pas encore assez. Elle paraissait très à l'aise avec les armes, puisqu'elle avait profité de son inconscience pour retirer les siennes et présenter sa petite main sur sa dague. Mais le maniement des armes ne faisait pas tout dans un combat. L'expérience était un des nombreux facteurs qui donnait du poids dans la balance. Et de plus, elle était encore une jeunette. Non pas que le fait d'être une femme impliquait d'office une faiblesse chez elle, loin de là, mais sa jeunesse risquait de trahir un manque de maîtrise martiale. Alauwyr préféra rester méfiant néanmoins sur les apparences. Les femmes étaient plus souples, plus légères que les hommes et dans certains actes offensifs ou défensifs, on pouvait avoir de sacrées surprises. De toute manière, même si cette dénommé Luna était une novice, nul doute qu'elle arriverait à le vaincre sans effort au vue de son niveau d'épuisement.

Aux nombreuses questions et affirmations de Luna, il avait gardé le silence, attendant qu'elle termine de parler. Il avait fermé les paupières le temps de faire le point et d'éviter de se laisser piéger par ses propres songes. Tout se bousculait de trop dans sa tête, que cela lui donnait la migraine. Depuis l'épisode du pont, il avait l'impression de dériver dans tous les sens... Peut-être qu'il n'aurait jamais dû faire ce pas qui avait tout chamboulé. Mais dans l'autre sens, s'il n'avait pas osé le prendre. Du temps, voilà ce qu'il lui fallait encore. Du temps.

Il avait ouvert les yeux quand à la toute dernière proposition de la jeune fille : elle voulait lui rendre les armes. Alauwyr crut qu'elle le testait, pour chercher à en savoir plus sur lui ; alors qu'il n'avait encore rien répondu. Chaque parole qui sortira de sa bouche aura son importance quand à la voie aux abords incertains et à l'horizon nébuleux qui s'ouvraient à peine devant lui. Le moindre faux pas le mènera irrémédiablement à sa perte.

Au moment où elle se releva, l'Alayien put que remarquer son chancellement et à voir comment elle se retenait au tronc de l'arbre...Elle avait usé de magie sur lui pour soigner sa vilaine entaille. De ce qu'Alauwyr avait entendu et appris sur les lanceurs de sortilèges étaient que la magie pompait de l'énergie. Soit cette fillette était faible pour sa foutue magie, soit....Il ne put retenir une grimace à cette idée. Sa blessure n'avait été guère belle avant de perdre conscience. A voir Luna commencer à vaciller en disait probablement long sur l'état qu'avait été cette plaie.

''Tu ferais mieux de t'asseoir avant de tomber lamentablement par terre... Si je me trompe pas, tu as dépensé plus que de raison sur moi n'est ce pas ? ''[/b

Il avait besoin de le savoir. Car si cela répondait à sa seconde hypothèse...Il se redressa à peine contre le tronc où il était adossé pour être mieux assis. Peut-être que Luna en aura fait autant.

[b]''En affirmant ce que tu voulais et non qui tu étais, tu t'es un peu dévoilée sur le genre de personne que tu es, petite. J'ai peine à croire que des personnes telles que toi existent encore à travers toute l'Armanda pour soigner en toute âme charitable son prochain. Hormis chez les Protégés peut-être...''

Il se tut un bref instant, légèrement circonspect. Et si elle était une Protégé ? Ce serait logique, mais rien n'était moins sûr. Il n'avait pas assez d'élément et il ne pouvait lui poser la question telle quelle.

''Puisque tu as donné ton nom, à moi de faire de même... Alauwyr est mon nom. ''

Cela ne devrait pas l'avancer à grand chose.

''Quand à mes ''choses'', la décision te revient. Je pourrai affirmer que je ne ferai rien contre toi et profiter de la situation dès que l'opportunité se présentera. Mais les circonstances étant ce qu'elles sont...Une vie pour une vie. En me soignant avec... tes dons, tu m'as sans doute épargné de douloureux tourments. Je ne tenterai rien contre toi. Vois cela comme une dette...''

Il ne put s'empêcher de prendre un pan de sa cape et de s'enrouler dedans, pour garder un minimum de sa propre chaleur avec lui. Dormir... c'est tout ce qu'il aspirait maintenant. Fichu brouillard qui rendait l'air froid et humide.

''Un feu sera nécessaire, autant pour toi que pour moi. Ce n'est guère préconisé dans cette région, mais le brouillard couvrira notre présence le temps nécessaire...Et pour le faire, pas de magie. Laisse moi le temps de récupérer un peu et j'en occuperai... ''

Que le monde tournoie soudainement autour de Luna n’était pas un bon signe. Elle était consciente de ce que ça impliquait et que ça signifiait qu’elle n’était pas au meilleur de sa forme. Qu’arriverait-il si soudainement ils étaient attaqués par une meute de loups avide de leur sang? Son corps n’avait pas aimé qu’elle se lève, elle n’irait pas bien loin si elle devait puiser dans ses forces pour se battre ou courir. Qu’arriverait-il si l’inconnu profitait de cette opportunité pour lui faire du tort? Au lieu de cela, il l’invita calmement à se rasseoir et elle suivit immédiatement ce sage conseil. Elle s’installa donc à nouveau au sol, posant son dos contre le tronc de l’arbre et ferma momentanément les yeux. Elle était fatiguée. Elle n’avait pas cru qu’elle le serait autant après avoir soigné la blessure de l’homme, mais il est vrai qu’elle avait été profonde. Il est vrai qu’elle n’avait pas été au meilleur de sa forme avant de commencer à puiser dans ses forces magiques. Ce n’était pas dans le territoire ennemi qu’on dormait et mangeait le mieux. Quelques secondes plus tard, elle se sentit déjà mieux et elle rouvrit les yeux, observant à nouveau l’étranger.

- Je sais pas ce qui t’es arrivé… Mais tu étais sacrément blessé! Expliqua-t-elle simplement.

Elle n’ajouta rien d’autre. Peut-être voudrait-il lui expliquer comment il s’était fait une telle blessure à la jambe et comment il s’était retrouvé dans un tel état. Mais cela la concernait-il? Pas vraiment, mais sa curiosité lui serait reconnaissante s’il répondait à ses questions muettes. Déjà, elle avait un nom : Alauwyr. Cela l’importait peu que ce soit son vrai nom ou un mensonge qu’il lui donnait, elle pourrait au moins le nommer maintenant. Qui était cet Alauwyr?

- Enchantée Alauwyr. Répondit-elle.

Le ton avait été doux et poli. Un léger sourire s’était même dessiné sur ses lèvres avant de disparaître presque aussitôt. La jeune soldate ne savait pas si elle devait prendre ses propos comme un compliment ou plutôt comme une mise en garde. Soigner le premier inconnu venu, il est vrai que c’était un geste curieux. Mais lorsqu’elle l’avait trouvé, c’était la première idée qui lui avait traversé la tête. Qu’aurait-elle fait sinon? Le laisser tout simplement à son triste sort? Si elle l’avait abandonné, elle se serait demandé ce qu’il lui serait arrivé pendant toute la suite de son voyage. Elle aurait peut-être simplement pu veiller sur lui jusqu’à son réveil… Mais quand l’aurait-il fait? Sa guérison n’avait-elle pas accéléré ce moment justement? Elle était restée calme lorsqu’il avait émis l’hypothèse qu’elle était une Protégée et n’avait pas cherché à l’infirmer. Les Théocrates étaient-ils des êtres si horribles qu’ils n’étaient pas prêts à aider leur prochain? Elle n’était pas encore prête à croire cela. Certains étaient bons, d’autres mauvais… N’était-ce pas la même chose dans le Protectorat? Elle avait cherché à traduire le ton de sa voix, mais elle n’était pas parvenue à savoir s’il appréciait ou non les opposants à Vraorg.

Jusqu’à présent, il lui semblait être une personne honnête et elle n’avait pas de raison de le détester. Elle voulait croire qu’il lui était redevable suite aux soins qu’elle lui avait prodigués et que pour cela, il ne ferait rien contre elle. Mais cette idée changea dès qu’il parla d’allumer un feu. En soit, c’était une excellente proposition, le souci se logeait dans le fait qu’il demandait de le faire sans utiliser la magie. La jeune femme s’était raidie et l’appréhension avait coloré l’azur de ses yeux.

- Ah…? Z’êtes Alayien? Prononça-t-elle sur un ton qui se voulait détaché.

Son air rassuré avait disparu et malgré tous ses efforts, la Larme de Néant n’était pas parvenue à cacher son malaise. Elle le fixa, alerte, comme si soudainement il était devenu un horrible monstre et l’azur s’assura de la présence de ses armes à ses côtés. Cette réaction était plus forte qu’elle. Si avoir fait des flammèches lui avait coûté jadis son poignet, qu’en serait-il d’apporter magiquement des soins à un être détestant la magie? Son imagination fertile s’était amusée. Elle l’avait, entre autre, imaginé se relever soudainement et passer instantanément à ses côtés pour lui fracasser le crâne. Ou pire… Elle avait imaginé bien pire. Elle secoua sa tête pour chasser ses mauvaises pensées. Alauwyr n’avait pas bougé du tout et il n’avait pas été méchant envers elle jusqu’à présent. N’exagérait-elle pas? Si, probablement, et elle en était consciente. Tout le temps passé aux côtés des Alayiens dans le Protectorat lui avait fait comprendre qu’ils n’étaient pas tous à condamner.

- Bien sûr… Pas de magie. Lâcha-t-elle finalement.

La princesse des lumières avait pris une grande respiration et elle avait ramené ses jambes contre elle. Elle n’aimait pas ça. Avait-elle fait une grave erreur en le soignant? Il n’était quand même pas écrit dans son front qu’il était Alayien, il ne pouvait quand même pas lui en tenir rigueur! Et vu l’ampleur qu’avait eu sa blessure, cela faisait un moment qu’il la traînait et s’il ne l’avait pas déjà soigné, c’était qu’il n’en avait pas eu la possibilité. La plaie aurait fini par empirer, elle se serait infectée et elle aurait finir par signer son arrêt de mort.

- D’accord. Je resterai ici. Dit-elle calmement. Faites attention, les environs ne sont pas très sécuritaires.

Luna se méfiait de lui, mais elle ne voulait pas le savoir mort pour autant. Pendant qu’il chercherait du bois, elle comptait rester tranquillement en place comme il le lui avait demandé. Elle était trop fatiguée pour bouger même si elle l'avait voulu.

Découvrir qu'il était Alayien apporta comme un effet de choc chez la jeune fille. Alauwyr ne cilla même pas à la tension qui apparut sur ses traits juvéniles. de toute façon, il n'y avait rien à s'étonner, même maintenant, quand on découvrait ses origines. Il était Alayien et alors ? Il n'avait pas honte de ce qu'il était. Les choses étaient ainsi et elles resteront telles quelles. Par contre pour le reste. Il chassa le flot de morosité qui montait encore en lui. Ce n'était jamais le bon moment pour songer à tout son fil d'existence et à ses virages chaotiques. Un instant, il ferma les yeux, oubliant la présence de Luna. Il repensa à ce qu'elle avait confirmé sur son état épuisé. A croire que la venue de Luna s'était présentée au bon moment pour lui épargner l'infection. Mais comme il ne croyait guère aux âffres du destin. Un hasard et rien qu'un heureux hasard.

Quand il rouvrit ses paupières, Luna devait tenter de se détendre, car elle avait ramené ses genoux contre elle. Ou alors avait-elle froid ? La fatigue apportait plus rapidement le ressenti du froid. Il était difficile de déterminer ce qu'elle ressentait à son air d'incertitude. Doucement, il prit la décision de se lever et de faire un feu. Il risquait d'attendre longtemps avant de se sentir mieux. Et toujours en restant plongé dans un certain mutisme, qui le rendait humainement froid. Il s'aida du tronc d'arbre pour se soutenir et tester son équilibre. La tête lui tourna brièvement. Il cligna plusieurs fois des paupière pour chasser l'effet désagréable. Il brisa le silence en marmonnant à peine :

''Je ne vais guère loin et au point où j'en suis...''


Après s'être assuré que sa jambe tout juste guérie supportait son poids, il se dirigea lentement vers le cheval, qui tendit ses oreilles vers lui, curieux de sa venue. Le muscle de sa cuisse protesta un peu à l'effort normal qu'il imposait à sa jambe. Après plus d'une dizaine de jours à marcher d'une autre façon, elle avait compensée sa démarche pour moins souffrir et maintenant qu'elle était soignée...

Un instant, Alauwyr garda la main posée sur le dos de la selle. Qu'est ce qui lui empêcherait de partir après tout ? La gamine l'avait soigné, il ne lui ferait rien de malencontreux... Mais si elle était une Protégée comme il le soupçonnait, elle serait une mine de renseignements non négligeables pour ce qu'il entreprenait depuis l'épisode du pont. Ses épaules s’affaissèrent à ce souvenir... rien n'était jamais facile. Il fouilla dans les sacoches de selle et sortit un briquet à amadou...

Quand il revient, il portait dans ses bras quelques bûches moisies et quelques petits bois plus petits. Il accorda un bref regard à la fillette et entreprit de monter le petit foyer, mettant les brindilles les plus sèches qu'il avait trouvées en dessous. Une fois cela de fait, il entreprit d'allumer, ou du moins de tenter. Avec ce bois mouillée, rien n'était moins sûr. Pourtant, quand une odeur un peu âcre monta du bois monté, l'espoir de voir naître une flamme naquit. Ce fut un peu rude et en soufflant doucement sur la petite flammèche, juste comme il le fallait, le bois craqua un peu plus à chaque instant et le feu mordit avidement dans le combustible qu'on lui offrait. Quand il fut assuré de sa belle prise, Alauwyr soupira et s'assit dans la mousse, non loin du feu qui devenait nettement plus chaleureux. Puis il leva ses yeux vers la petite, toujours assise et prostrée dans son coin. Qui sait ce qu'elle était encore en train de songer sur lui....

''Tu peux te rapprocher. Ni moi ni ce feu ne te mangerons....Même si c'est un Alayien qui l'a allumé, c'est un feu de tout ce qu'il y a de plus normal....''

Comme tout à l'heure, il s'entoura de sa vieille cape noire. Harassé comme il était, il ne sentait même plus ses frissons que le froid humide lui imposait. Au moins, la chaleur de ce petit feu aidera à repousser ça. Puis il se replongea dans son sombre silence, observant le feu qui crépitait joyeusement. Les flammes dansantes se reflétaient dans la couleur sombre de ses yeux, affichant un reflet de lassitude à leur surface. Les anciennes cicatrices qui lui balafraient par endroit son visage un peu blême se creusaient davantage par le jeu de leur propre ombre créée par la lumière orangée du foyer salvateur. Puis, comme s'il ressentait le besoin de rassurer Luna, il rompit le silence, toujours en maintenant sa vision sur le feu.

''Cette blessure que tu as soignée, n'est qu'un des nombreux prix à payer, quand on vire de bord.... Bien des décisions qu'on décide de prendre, quand elles sont prises que trop tard demandent sa part de tributs.''

Sa réplique était vague et dite ainsi sciemment. Luna n'avait pas besoin de savoir qu'il avait décidé de renier les forces qui servaient Vraorg. Mais ayant combattu contre les Protégés, il sera fait prisonnier et risquera de l'être un bon moment. Au point où en était... Il serra les dents à cette perspective malgré tout. Lui qui avait cru si longtemps être maître de ses propres décisions, pour servir que son épée et sa soif de combattre. Peut-être qu'il se trompait lourdement depuis bien des années. Il secoua doucement sa tête pour chasser ces pensées noires. Que de songes déprimants ! Il n'avait pas besoin de cela, où alors il ne faudrait pas plus qu'un faible !

''Tu es bien jeune pour te retrouver toute seule et au milieu de nulle part...Je ne doute pas de tes capacités, mais tu dois avoir bien connaissance des dangers environnants pour m'avoir prévenu tout à l'heure... Qu'est ce qui te pousse si loin dans cette région ? Une... ''

Il ravala le dégoût qui enflait dans sa gorge et trouva un autre mot. Elle ne méritait pas cette haine ancrér en lui qu'il éprouvait pour tous les jeteurs de sorts qu'il croisait. Après tout, ne l'avait-elle pas soigné alors qu'elle ne savait rien de lui ? Même si la magie l'avait souillé, il échappait à une lente agonie que l'infection aurait provoqué si elle avait réussi à gagner toute sa vilaine entaille à la cuisse.

"Une Douée comme toi ne se balade pas sans un but précis, me trompai-je ? ''

Tranquille dans son coin, Luna observait attentivement l’Alayien qui se portait volontaire à la tâche d’allumer le feu. Elle le regarda se relever en chancelant et se demanda si c’était une bonne idée qu’il se déplace. Mais son idée étant faite, il fit quelques pas et rejoignit son cheval. Dans son dos, la gamine sourit en le voyant interagir avec l’animal, contente d’avoir pu le lui ramener et qu’il puisse se reposer en toute quiétude. Il n’était plus sauvage, il lui fallait quelqu’un pour en prendre soin et dans ces morbides plaines, il finirait en nourriture à ces créatures à l’apparence de loup.

Rapidement, il disparut à travers la brume et la gamine se retrouva seule avec ses pensées. Un frisson la parcourut et elle s’emmitoufla dans sa cape elfique. C’était en solitaire qu’elle avait parcouru une bonne partie de la Théocratie, croyant qu’elle s’y déplacerait plus rapidement. C’était le cas, mais parfois elle se sentait bien seule et ce, même si elle pouvait communiquer avec Dawan via sa pierre de communication. Son regard se posa finalement sur la bague à sa main droite et elle soupira. Elle était si proche et pourtant, cette proximité inaccessible lui faisait si mal. Elle avait raté l’occasion de retrouver son amie et obstinée, la gamine s’était quand même enfoncée dans les dangereuses plaines de Sombreval dans l’espoir qu’une nouvelle occasion puisse se présenter. Finalement, c’était ni son soleil ni un évadé qu’elle avait trouvé, mais un Alayien dont elle ne connaissait les intentions.

La jeune soldate n’avait pas le moindrement bougé lorsqu’Alauwyr revint et l’azur se posa aussitôt sur lui. Pas une seule fois elle ne le quitta des yeux et elle regarda la technique qu’il utilisait pour faire naître les flammes. Elle devait reconnaître que c’était efficace et qu’il savait bien se débrouiller. Il brisa le premier le silence et à ses paroles, elle réalisa qu’elle n’avait pas été correcte envers lui. Ce n’est pas parce qu’il était Alayien qu’il était une horrible personne. Cela dépendait de ses gestes et de ses paroles, pas de l’endroit d’où il venait.

- Pardon… Je ne voulais pas être impolie. Commença-t-elle doucement, déviant enfin son regard pour le poser sur les flammes. Je n’ai rien contre vous, personnellement.

Ainsi, la jeune femme se rapprocha des flammes, face à Alauwyr, et posa ses mains face à elle afin de profiter de la chaleur. Qu’il était bon de se réchauffer un peu. Cela faisait tellement longtemps et les nuits étaient parfois bien froides. Mais allumer un feu était un luxe pour une Protégée dans le territoire de son ennemi et elle préférait éviter de se faire repérer inutilement. Luna regardait les flammes vaciller sans toutefois perdre l’étranger du coin de l’œil. Le silence était retombé autour du campement que seul le crépitement des flammes venait briser. Elle voulait lui parler, mais en même temps, elle ne savait pas ce qu’elle lui dirait.

- Quand on vire de bord? Prononça-t-elle, curieuse.

Il avait su capter son attention et elle leva un regard intrigué sur lui. De quoi parlait-il? Bien sûr qu’elle ne comprenait pas ce qu’il lui disait, elle ne le connaissait pas du tout et elle ne pouvait pas faire de liens. La blessure qu’elle avait soignée avait été le prix à payer pour quoi…? La gamine voulait savoir. Mais ce n’était pas elle qui posait les questions en ce moment, c’était lui. Elle réfléchit un moment à ce qu’elle lui répondrait. Elle préférait quand même une discussion qu’un silence malaisé entre les deux.

- J’étais à la recherche d’une personne. Répondit-elle simplement.

C’était un peu vague comme réponse, mais en même temps, elle ne pouvait pas en dire plus au risque de révéler son identité. Déjà, elle avait probablement trop parlé et peut-être avait-il déjà cerné dans quel camp elle faisait partie? Elle ne pouvait pas lui dire ouvertement qu’elle bravait les dangers pour venir en aide aux évadés de Morneflamme et que son cœur l’avait menée précisément dans les plaines dans l’espoir d’y croiser une jolie elfette. Mais la réalité était qu’elle ne pouvait l’atteindre sans risquer sa vie.

Elle avait noté la pause, emplie de dégoût, dans la voix d’Alauwyr lorsqu’il avait parlé, mais elle n’y avait pas accordé plus d’attention. Il semblerait que tous les deux faisaient des efforts pour tolérer les autres.

- Et vous, qu’est-ce qui vous emmène ici? Lui demanda-t-elle à son tour. Qu’est-ce que vous avez fait pour vous mériter une telle blessure? Poursuivit-elle, curieuse. Elle prit une légère pause. Enfin… Si bien sûr, vous voulez m’en parler. Rien ne vous en oblige.

Luna respecterait son choix. Attendant la suite, elle débouchonna son outre afin de prendre une gorgée d'eau et elle la lui tendit par la suite, se disant qu'il avait probablement soif également.

L'Alayien avait haussé un sourcil fasse aux menus excuses de la fillette. Elle était désolée du ton qu'elle avait employé ? Voilà qui était tout nouveau à entendre. Honteuse de sa propre attitude à son égard, elle avait détourné le regard pour fuir les siens et les braquer dans le feu rougeoyant. Il garda le silence, prenant le temps de mettre quelques petites branches supplémentaires dans le feu, de celles qu'il l'avait pas utilisées pour faire le foyer. Quand il termina son geste, il avoua sans ambages :

''Avant la défaite de l'Aube Rouge, tu n'aurais peut-être pas tenu le même discours...''

Quand les siens avaient débarqués, c'étaient eux qu'on redoutait, qu'on voulait repousser à la mer. Craints, ils n'étaient que les épées acérés d'un Esprit en mal de détruire la magie. Et maintenant, Vraorg dominait ces terres et bien des esprits. Les temps changeaient et tous ceux qui survivaient aussi. Les Alayiens n'étaient plus au goût du jour pour ce qui était d'apporter la frayeur à l'évocation de leurs seuls noms.

''Ne t'en veux pas pour cela. J'ai connu pire qu'une réaction aussi simple. Je ne vais pas en mourir. ''

Luna se remontra curieuse une fois encore, intriguée par les réponses de l'homme assez évasives. Il la regarda sans plus, ne répondant pas. Qu' y avait-il à répondre à cela ? Peut-être qu'elle comprendrait, ou qu'elle ne comprendrait pas. Une ou deux fois, on lui avait fait la remarque qu'il aurait pu choisir autrement, prendre une autre voie que d'embrasser celle de Vraorg directement. Maintenant, à y penser, c'était une erreur. Mais il assumait ses choix. Bon ou mauvais. Voyant qu'il ne répondait pas, Luna apporta sa réponse, tout aussi évasive que les siennes. Elle cherchait une personne donc... au milieu du danger de cette région. Un but louable. Cette personne devait être importante pour prendre de tels risques.

Gentiment elle lui proposa son outre d'eau. Il hésita et la lui prit doucement. A son tour, il prit quelques gorgées. L'eau était encore fraîche de température, comme si elle venait d'être puisée à une source. Il lui rendit à l'issu.

Elle avait posé d'autres questions, désireuse de connaître un peu de son histoire. Pour Alauwyr, il ne faisait aucun doute qu'elle était une Protégée. Elle ne l'avait pas avoué, mais c'était tout comme. Le comportement pouvait faire beaucoup. Il rechigna donc à répondre. Mais au point où il en était... Peut-être que trop en dire mettrait la vie de cette fille en péril. Ou peut-être pas. Même si elle était bien juvénile à ses yeux, elle ne manquait pas de trempe.

''Je cherche à rejoindre la Frontière, pour me constituer prisonnier des Protégés. J'ai récolté cette blessure en décidant au dernier moment d'aider une personne qui avait réussi à s'échapper de Morneflamme. Au moment où elle allait être reprise par les Théocrates, d'autres Protégés sont arrivés juste avant que n'éclate les combats. Je me suis face aux autres Théocrates pour les retenir avec ma lame et ma déterminée ébranlée de ce que j'avais décidé de faire. Peut-être qu'elle a su réchapper avec les autres....''

Il grimaça en resongeant au plongeon qu'il avait été contraint de faire, dans le fleuve à l'eau froide et au courant rapide. Il avait cru y rester, déjà qu'il n'était pas un bon nageur. Rien que de frôler ces souvenirs, il serra les dents et frissonna quelques secondes. Puis quelque chose perturba ses sens. Même en cette fin de nuit, la vie devrait se faire entendre. Hors là... hormis leur dicussion, il n'entendait rien d'autres. La nature était comme morte. Hors la nuit, les animaux s'activaient autant que le jour. Mais là rien.... Il se tendit et finit par prendre la suite de la conversation en murmures.

''Quelque chose ne va pas... Tu disais vouloir rendre mes armes. C'est le moment je pense... On va prendre le cheval et partir. Je ne sais pas ce qui se trame, mais il n'y a pas un bruit autour de nous''

Hormis le bruit lointain du fleuve un peu dans un certain débit de courant. Doucement, il se leva, comme si tout paraissait normal. Démuni de son épée, il se sentait comme nu. Mais Si Luna lui accordait un minimum de crédit, peut-être qu'elle accepterait de lui rendre ses biens et de se sauver avec lui. Dans son état actuel, il ne serait pas capable de tenir front. Et toujours en murmurant :

''Je vais chercher le cheval...''

La brume était encore présente et bien épaisse, sauf en altitude, où on discernait bien les étoiles. Une chance pour s'orienter. L'Alayien partit dans ce voile à trancher au couteau et revint presque dans la foulée avec la monture, qui était visiblement aux aguets. Un moment elle leva les oreilles, dressant la tête. Elle sentait quelque chose. Alauwyr flatta l'animal pour pas qu'il hennisse. Une fois que Luna revient avec ses effets personnels, dans un geste qui confirmait l'habitude, il porta son épée à la ceinture, plaça sa dague en travers de celle-ci et accrocha le reste là où il se devait. Puis tenant la bride de la monture, il se proposa à aider Luna à monter sur le dos de leur mode de transport à quatre pattes. Pour taire les doutes de Luna, il lâcha donc :

''Il y a du monde autour de nous.. Et comme je ne tiens pas à découvrir leur identité, je préfère partir en douce. Peut-être des théocrates ou des protégés, je ne tiens pas à risquer ma peau, et la tienne pour le savoir. ''

Une fois Luna en selle, il prit place, se mettant derrière elle, comme le ferait un protecteur. Pourquoi pareille chose ? Avec Alauwyr, il était difficile de le dire. Et au moment où il allait ordonner à sa monture d'avancer, on entendit très clairement :

''Ils sont là ! On vient de les trouver !

Qui et quoi, Alauwyr ne cherchait pas à se poser la question. Il talonna sa monture pour l'envoyer au galop. La monture manqua de se cabrer mais répondit à cet ordre violent. Il s'élança et on entendit clairement derrière eux le roulement de sabots se lançant à leur poursuite. A travers le brouillard, Alauwyr crut cerner trois silhouettes. Seulement trois... Il ragea de pas se sentir en forme pour les attaquer et d'être avec une jeune fille qu'il ne connaissait pas. Il talonna plus fortement sa monture, qui laboura presque de ses sabots l'herbe du bord du fleuve. Car oui, ils longeaient le fleuve en fait...

La course poursuite s'annonçait déjà laborieuse, autant par le manque de visibilité qu'imposaient le brouillard et la nuit que par leur monture qui n'avait pas eu le temps de complètement se remettre de ses précédents efforts. Cela s'entendait à son souffle déjà rauque. Malgré tout, il la talonna pour lui sommer d'accélérer. Chose que l'animal fit, sans doute en percevant la tension de ses cavaliers qui pouvait signifier un danger certain. C'était le cas. Ces cavaliers ne les lâcheraient pas jusqu'à les prendre et comme il ne tenait pas à capturer par des théocrates. Il était certain que c'était des théocrates !

Une idée folle germa dans son esprit, et il tourna la tête vers le fleuve. Luna étant plus petite que lui, ses cheveux voletant dans l'air de la fuite ne le gênaient heureusement pas. Du peu de la berge qu'il vit, il voyait qu'elle montait un peu plus au-dessus de l'eau... Le fleuve devenait aussi un peu plus rapide et sombre. S'il ne se trompait pas...

Brusquement, il fit éloigner le cheval du bord du fleuve. Il entendait les poursuivants, mais ne les voyait plus. Une bonne chose. Quand il jugea être à la bonne distance, il imposa à sa monture de partir perpendiculairement à la berge, de là où elle devra se trouver.

''Prépares-toi à te tenir''

Une idée folle, comme celle qu'il avait prise il y a quelques semaines...

La berge se dessinait difficilement. Il exigea malgré tout à sa monture de maintenir son allure. Le risque était qu'elle pourrait décider de stopper net et de les éjecter. Il entoura Luna de son bras droit. Quelques secondes après, au lieu de s'arrêter violemment, l'équidé bondit au-dessus de l'obstacle liquide qui serpentait sous lui. Mais qqui disait fleuve, disait large coupure d'eau. Le cheval termina son magnifique saut dans un plouf magistral. L'eau froide coupa le souffle à l'Alayien, qui ne desserra pas sa prise sur Luna. Avec la force du courant et le cheval qui gesticulait pour remonter à la surface, il crut ''glisser'' de la selle. De son autre main, il se retint au pommeau, serrant de toutes ses forces.

Quand ils crevèrent la surface, Alauwyr cracha l'eau qui avait manqué d'envahir sa gorge. Le cheval, tête tendue sur la surface pour garder ses naseaux hors de l'eau, nageait vers la rive opposée, soufflant rythmiquement au fur à et à mesure qu'il battait de ses antérieurs et des postérieurs dans l'eau. Le courant les poussait lentement. On entendait plus ou peu les cavaliers poursuivants.

''Respires-tu encore jeune fille ? ''

Un frisson parcourut l’échine de la jeune femme lorsqu’Alauwyr mentionna l’Aube Rouge. C’était un souvenir encore douloureux à sa mémoire et elle ne voulait pas y penser… Qui avait gagné et qui avait perdu? Si l’Alayien disait qu’il avait vécu la défaite, pouvait-on dire qu’un camp avait gagné? Pour Luna, la réponse était non. Elle se rappelait qu’à cause d’elle, par Néant, elle avait fait entrer ses fidèles dans les souterrains rebelles. Elle se rappelait parfaitement des hurlements des civils tandis que les ennemis les abattaient comme des porcs, sans oublier le bri métallique des armes s’entrechoquant et des plaintes d’agonies des hommes avant de rejoindre Mort. Le sang avait peint les lieux de la bataille et les cadavres, alliés et ennemis, avaient jonché les parois rocheuses. Il n’y avait eu que des perdants à l’Aube Rouge. Luna ne voulait pas replonger dans ces sombres souvenirs et ainsi, elle contraint son esprit à fixer les flammes qui dansaient sous les étoiles. Elle n’avait rien à ajouter et laissa le grésillement du bois parler à sa place. Elle s’était mal exprimée, mais c’était mieux ainsi et ne chercha pas à rectifier ses paroles. Elle en voulait aux Alayiens pour ce qu’ils avaient fait depuis qu’ils avaient mis les pieds sur Armanda et son cœur ne pouvait pardonner leurs actions, pas plus qu’elle ne pouvait se pardonner elle-même. Mais en tant qu’individu unique, elle n’avait rien contre Alauwyr. De plus, cette rivalité envers les Alayiens avait bien changée depuis l’avènement du dragon blanc.

La chaleur du feu apportait son lot de réconfort. Elle fut soulagée que l’homme ne questionne pas davantage les raisons de sa présence dans les plaines de Sombreval. Elle ne se serait pas permise de décrire l’elfette qu’elle avait espéré retrouver en ces lieux, car quiconque hormis elles ne devaient connaître le lien qui les avait unies. De plus, elle ne pouvait s’imaginer que le pire si on apprenait qu’une Protégée recherchait une Théocrate. Cela ne servait plus à rien de poursuivre ce but et elle se devait de se concentrer sur la première raison de sa présence dans la Théocratie : rechercher et aider les évadés de Morneflamme à regagner le Protectorat.

C’était maintenant au tour d’Alauwyr de raconter ce qu’il faisait ici et Luna leva un regard surpris en entendant qu’il cherchait à rejoindre la frontière pour se faire prisonner des Protégés. Il avait également été bien vague, mais elle avait saisi l’essence de son message. Elle ne l’avait pas considéré comme un ennemi et maintenant, elle le voyait encore moins comme tel depuis qu’elle connaissait ses intentions. La méfiance restait toutefois de mise. C’était peut-être simplement pour l’amadouer, car il avait compris qu’elle servait les Esprits? Des questions avaient submergé dans son esprit et avant qu’elle puisse les prononcer, elle se figea à la mise en garde de l’homme. Ses sens parcoururent les environ tandis que le silence s’y faisait pesant. Elle n’aimait pas ça. Il avait raison : quelque chose n’allait pas. Elle ne pouvait que s’attendre au pire sur le terrain de l’ennemi.

La seule réponse qu’elle lui donna fut un contact visuel et un petit hochement positif de tête. Elle s’était relevée et avait aussitôt disparu à travers la brume. Elle fit quelques pas jusqu’au buisson non loin où elle avait caché les possessions de l’Alayien et c’est en revenant sur ses pas qu’elle réalisa qu’elle n’avait pas été étourdie en se relevant. La petite pause sur le bord du feu devait l’avoir aidée. Quelques secondes plus tard, elle était de retour aux côtés de l’homme et elle lui rendait son épée ainsi que tout ce qu’elle lui avait pris. Elle ne croyait pas qu’il l’utiliserait contre elle et elle lui serait bien utile s’ils avaient à se défendre contre ces assaillants qui arrivaient. Avec un peu d’aide, elle grimpa sur la monture et l’Alayien s’installa par la suite derrière elle. Tandis que des voix déchiraient le calme la nuit, le cheval galopait déjà.

L'animal filait à vive allure, mais les cavaliers qui les pourchassaient tout autant. Ils gagnaient du terrain de minute en minute. Il fallait trouver un moyen d’arrêter ces Théocrates qui ne leur réservaient pas un beau futur s’ils arrivaient à les attraper. Que pouvaient-ils faire contre eux? Les idées déferlaient rapidement dans son esprit et avant qu’elle puisse s’arrêter sur un choix, elle réalisa qu’Alauwyr avait déjà opté pour sa solution. L’azur posé sur les flots, elle s’accrocha aussitôt que l’ordre fut donné et se prépara au plongeon.

PLOUF!

L’eau avait submergée la gamine et elle s’était sentie glissée, mais un bras l’entourant l’avait maintenue en place. Au contact de l’eau, elle avait eu l’impression qu’une myriade de couteaux venait de la transpercer, lui coupant le souffle par la même occasion. Qu’est-ce qu’elle était froide! Elle chercha son air et elle réalisa, étonnée, qu’elle n’en avait pas de besoin. Par purs réflexes, elle avait activé l’enchantement sur son bracelet lui permettant de respirer sous l’eau.

- Ça va aller. Répondit-elle aussitôt qu’elle eut la tête hors de l’eau.

Avec le courant de l’eau, sa fatigue accumulée et ses deux cavaliers, le cheval peinait à avancer dans la rivière. Mais petit à petit, l’animal se rapprochait de la berge. S'il pouvait l’atteindre, ils seraient saufs à moins que leurs assaillants soient aussi fous?

- Ils sont là! Ils vont s’échapper! S’écria la voix d’un homme.

Il semblait, en effet, qu’une baignade improvisée n’enchantait guère les Théocrates puisqu’ils s’étaient arrêtés sur la rive et avaient descendus de leur cheval. Luna perçut le bruit caractéristique d’une corde dont on venait de relâcher la pression et les eaux vinrent engloutir une flèche qui les avait ratés de peu. Heureusement qu’il y avait la brume pour nuire à leur visibilité.

- Tirez tout ce que vous avez! Ils ne doivent pas s’échapper! Ordonna un autre Théocrate.

Ne finiraient-ils pas par toucher? C’est ce dont Luna craignait. Placé derrière elle, Alauwyr lui offrait une protection, mais l’idée d’avoir un bouclier humain ne lui plaisait pas du tout. Qu’arriverait-il si une flèche, ou plusieurs, se logeait dans le corps de leur monture? Une deuxième flèche passa près d’eux.

C’était à son tour de faire preuve d’un peu de folie. C’était un choix dangereux, mais tant pis, il valait mieux tenter quelque chose que d’attendre qu’une intervention extérieure les tire de cette mauvaise situation. Elle jeta un coup d’œil derrière elle et l’azur fixa les silhouettes des trois hommes qui se dessinaient à travers la brume. Seul Alauwyr la retint en place, car ses mains relâchèrent ce qu’elles tenaient. Sa main gauche forma un cercle tandis que la droite vint se placer à plat sur le dessus.

Une lisière d’eau jaillit alors du Wylorel. Elle vint bloquer les projectiles et s’écrasa sur les trois individus. Ils échappèrent des cris lorsqu’ils furent renversés par la pression de l’eau. Deux d’entre eux perdirent pieds dans la rivière et le troisième resta assommé sur la berge.

La petite lune brisa son geste clé tandis que le monde se mit à tournoyer autour d’elle. Elle chercha à s’accrocher à la crinière de l’équidé et au bras d’Alauwyr. Pure folie avait-on dit? Sa poigne se relâcha doucement au même rythme que les ténèbres l’engloutissaient.

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Citation :

[Défensif (ou offensif)] Lisière d'eau
Le lanceur fait jaillir de l'eau à très haute pression qui s'écrase sur l'adversaire, le renverse et lui coupe le souffle, peut assommer, rend le terrain autour de la cible glissant. Le sort prend fin lorsque la cible s'échapper ou que le lanceur le coupe

Geste clé : Produire un cercle d'une main et mettre l'autre, à plat, au dessus

Les trois ennemis étaient tenaces et ne tenaient pas à lâcher l'affaire aussi facilement. La rive opposée se rapprochait mais pas assez vite au goût de l'Alayien, qui serra les dents et retenant un sifflement de dépit en entendant la première flèche se perdre dans l'eau. Une seule sur leur monture et ils tomberaient à l'eau. Une seule plantée dans son dos et c'était fini de lui. Heureusement, la brume gênait les visées. Une autre flèche traça directement dans l'eau, non loin d'eux, provoquant un petit geyser. Le cheval quand à lui soufflait toujours à un rythme effréné.

Tout se déroula pour la suite très vite. Luna s'était retournée pour fixer leurs assaillants, laissant la prise d'Alauwyr la tenir. L'Alayien la vit faire un étrange geste de ses deux mains et il n'eut pas besoin de se retourner pour découvrir le résultat. Il ravala une injure en comprenant que la gamine avait usé de magie. Au bruit violent et aqueux, les trois adversaires avaient été touchés et des cris avaient résonné. En sentant le corps de la jeune fille mollir, il la cala plus contre lui. Il tourna la tête vers la rive où s'étaient tenues les trois Théocrates. Il ne fit plus rien, comme si le brouillard les avaient englouti totalement. Peut-être que la magie était une vilenie à ses yeux, mais là, elle avait réglé le sort de ces gars-là. Il ne put empêcher une crispation de sa mâchoire se former. Puis il avisa la pauvre Luna, qui était inconsciente contre lui. A peine avait-elle récupéré quelques forces qu'elle avait tout déversé pour défaire leurs trois occupants.

Le cheval se redressa doucement, ses antérieurs touchant enfin le fond vaseux. Son cavalier le laissa faire, pour ce qui était de sortir du fleuve et de monter sur la terre ferme de la rive. Il veilla juste à son équilibre et à garder Luna contre lui. Une fois hors de l'eau, le cheval se secoua et souffla fortement par les naseaux. La nage n'avait pas été de tout repos pour lui.

Alauwyr attrapa les rênes et fit tourner l'animal vers la suite du fleuve, pour s'éloigner des environs. Ils n'étaient pas à l'abri de tomber sur d'autres Théocrates et il serait incapable de leur tenir tête ; encore moins avec un équin éreinté, une fillette évanouie dans les bras et lui même plus épuisé encore. Il réussit à pousser le cheval à un petit trot. Une fois éloignés d'ici, il leur faudra trouver un coin sec et chaud, car le froid les mordait doucement et insidieusement.


Un petit feu crépitait dans un petit âtre de pierre grossièrement taillé. Une douce odeur de soupe émanait d'une marmite suspendue au dessus des flammes. L'intérieur sec et assez sommaire d'une pièce unique et bien assez grande pour accueillir une petite famille était le lieu que découvrirait Luna quand elle viendrait à se réveiller. L'intérieur très sommaire même, où à côté d'un mobilier réduit et sans grâce étaient pendus diverses plantes séchées, des petits filets ou des nasses. Par une petite fenêtre, on distinguait la lumière du jour, à travers une brume plus dispersée que la veille. La jeune Protégée pourra constater qu'elle était sur un petit lit de bois, enveloppée dans une lourde couverture de lin qui grattait un peu. Mais au moins, elle se sentira sèche et un peu.... déshabillée. Ses vêtements étaient pendus sur le dossier d'une vieille chaise, à portée de bras, prêt à être revêtus quoiqu'un peu froissés et sentant une très légère odeur de vase.

Une femme, sans doute cinquantenaire aux traits ridées de son visage et à sa chevelure nattée striée de brun et de blanc se rapprocha d'elle. Un sourire amical était esquissé sur ses lèvres.

''Ah, vous voilà réveillée. Vous avez longuement dormi, mais je crois que cela vous a bien requinqué. Tenez, voilà un petit boule de soupe. Après toutes vos mésaventures, vous devez avoir faim. ''

Le bol était en terre cuite, mais l'épaisseur était telle qu'on ne risquait pas de se brûler

''Buvez doucement, ça doit être encore chaud. Quand vous êtes arrivée, vous étiez tellement frigorifiée que vous étiez bien pâle. ''

Elle laissa Luna boire un peu de soupe avant de lui raconter comment elle avait été surprise, voir apeurée de voir un homme à la large carrure, équipé comme un guerrier et une jeune fille inconsciente dans ses bras. Tout ce qu'il avait demandé était de l'aide pour la petite lune et rien que pour elle.

''Il a dit que vous avez réussi à réchapper à des brigands. C'est terrible que même sous des temps difficiles, les voyages deviennent périlleux, au point de se faire trancher la gorge pour peu de possession. Pardon ma fille, je m'égare. Buvez encore un peu et si vous le désirez, je pourrai vous en donner une autre portion. Et ne vous inquiétez pas pour votre Garde, il se repose là. ''

En effet, il suffisait de tendre un peu la tête au dessus de la vieille femme pour voir l'Alayien allongé sur une paillasse de roseaux. Les bras croisés sur sa poitrine revêtue que d'une chemise qui en avait vu d'autres, il dormait à point fermé. Sa vieille cape couvrait ses jambes. Non loin de lui, posée sur son armure de cuir qu'il avait retiré pour un minimum de confort, son épée était à portée de main, la dague dans le même alignement. A croire que même dans une sécurité toute relative, l'Alayien gardait certaines habitudes martiales.

La vieille femme le regarda, avec une petite crainte bien visible à ses yeux. Mais elle avait toujours un sourire apaisant à sa bouche. Elle tourna doucement sa tête vers Luna.

''Votre Garde, avant de s'endormir, avait soufflé que vous pourrez reprendre votre périple. Je crois qu'il savait que vous vous réveilleriez avant lui....''

Un air perplexe s'était dessiné sur le visage de la vieille à cette annonce. Elle ne devait pas réussir à saisir la relation qu'il y avait entre Luna et l'Alayien. Et elle ne cherchait pas à le savoir.

''Encore un peu de soupe ? ''

Tâtant la couverture qui la recouvrait, elle ne put qu’apprécier la douce chaleur qu’elle lui apportait. Elle pouvait apercevoir une bonne odeur. De quoi pouvait-il s’agir? Luna ne savait pas, mais son ventre grogna en comprenant en premier de quoi il était question. Ouvrant lentement les yeux, elle cligna des paupières à plusieurs reprises afin d’effacer la brume qui s’y était glissée. Elle observa pendant de longues secondes ce qui lui servait de ciel sans comprendre comment un toit avait pu le remplacer. Elle se sentait au ralenti, autant physiquement que mentalement, mais elle se sentait bien. Une silhouette dansa au coin de son champ de vision sans qu’elle puisse saisir de qui il s’agissait et par réflexe, elle chercha à s’emparer de sa dague pour réaliser qu’elle n’était pas sur elle. En fait, elle n’avait plus rien, y compris ses vêtements!

Un vent de panique chassa sa fatigue et la gamine se redressa soudainement en position assise, tenant toujours la couverture sur son corps par pudeur. Ce sont de grands yeux ronds emplis de surprises qui croisèrent le regard bienveillant d’une vieille dame qui lui souriait tout gentiment, formant de bien grandes rides aux coins de ses yeux. L’azur balaya le petit âtre de pierre qui lui confirma qu’il n’y avait pas de dangers et ses muscles se détendirent. Sans même réaliser comment, un bol venait d’apparaître entre ses mains et son ventre gargouilla à nouveau face à ce festin. La jeune soldate ne se rappelait plus de la dernière fois qu’elle avait mangé quelque chose de chaud qui sentait aussi bon. Elle en avait l’eau à la bouche et elle balbutia quelques mots de remerciements. Elle chassa d’ailleurs cette idée que ça pouvait être empoisonnée, car son estomac ne lui pardonnerait jamais si elle refusait. Si c’était le cas, jamais elle n’aurait cru qu’un poison pouvait être si réconfortant.

Comment était-elle arrivée ici? Des brides de mémoire lui manquaient, mais les paroles de la dame l’aidèrent à remettre les pièces du casse-tête en place. Alauwyr! C’était cet homme qui l’avait emmenée ici après… après quoi…? Après s’être échappés à des brigands? Non, à des Théocrates plutôt. Elle se rappelait du saut qu’ils avaient fait dans la rivière et qu'elle avait tenté de repousser les ennemis. Tout était noir par la suite… Mais elle supposa que son plan avait marché puisqu’elle était encore en vie, vie qu’elle devait maintenant à l’Alayien qui dormait paisiblement non loin. Il aurait pu la jeter dans le Wylorel. Or, il ne l’avait pas fait et il l’avait conduite jusqu’ici. Cela ne faisait-ils pas qu’ils étaient quittes maintenant?

- Merci madame! Votre soupe est délicieuse, vraiment! Et… Merci de nous avoir recueillis chez vous. commença-t-elle poliment. J’aimerais attendre qu’il se réveille... Enfin, si cela ne vous dérange pas, bien sûr. Je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité non plus, madame.

Un large sourire se dessina sur ses lèvres et elle attrapa le bol afin de le remplir à nouveau, le redonna ensuite à la jeune femme avant même d’attendre la réponse à sa question. Il semblait bien qu’elle n’accepterait aucun refus.

- Nul besoin de m’appeler madame. Appelle-moi Anna plutôt et tu peux me tutoyer, jeune fille. Ton garde et toi pouvez rester aussi longtemps que vous le désirez. Ah! Comme il faisait longtemps que je n’avais reçu personne ici. Depuis que mon mari…

Luna n’eut cœur à l’interrompre tandis qu’elle relatait comment sa demeure était devenue si calme depuis que l’homme de sa vie avait rejoint l’Esprit de la Mort. Sans réaliser qu’elle l’avait déjà fait, elle raconta à nouveau à quel point elle avait été surprise de les voir et que sa conscience ne l’aurait pas pardonnée si elle n’avait pas accepté de les aider. Tandis que la vieille dame racontait que c’était la soupe qu’elle faisait à ses enfants lorsqu’ils étaient malades pour qu’ils se portent mieux rapidement, Luna portait le bol à sa bouche et l’écoutait en silence.

- Encore un peu de soupe ?

Anna s’était arrêtée dans ses anecdotes lorsqu’elle avait réalisé que la jeune femme avait englouti le contenu de son bol. Toujours aussi souriante, elle tendit le bras afin de s’emparer du bol.

- Non merci, ma… Anna. C’était excellent, mais je sens que je vais éclater si j’en prends plus. Je crois que je vais me changer maintenant.

La princesse des lumières avait saisi cette opportunité afin de placer un mot sans paraître impolie. Comprenant que la gamine voulait un peu d’intimité même si c’était elle-même qui l’avait dévêtie la veille, la vieille dame se retourna et en profita pour aller brasser sa soupe. Sortant du lit, Luna attrapa son sac magique afin d’en ressortir de nouveaux vêtements, propres et secs. Elle enfila un pantalon brun fait de lin et une tunique verte. Alauwyr dormait-il toujours? Espérons-le! La jeune soldate replaça sa dague à sa place et remit son épée à sa taille. Ne manquant plus que ses bottes qui séchaient encore près du feu, elle se réinstalla confortablement sur le lit.

- Comment pourrais-je vous remercier, Anna? demanda-t-elle, n'arrivant pas à se résoudre à la tutoyer toutefois.

La femme qui aurait pu être sa grand-mère s’était alors retournée, toujours aussi chaleureuse, et avait mentionné que tout le plaisir était pour elle. En fait, elle était déjà récompensée puisque cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas pu passer du temps avec quelqu’un. Elle était si contente que sa maison soit à nouveau vivante. Pensant qu’Anna apprécierait peut-être et pour faire passer le temps sans devoir parler, Luna avait ressorti un grand étui de son sac et s’était emparée de sa vièle. Grattant les cordes, une douce mélodie s’était élevée dans l’âtre en pierre.

Luna pourrait être tranquille, Alauwyr dormait bien trop profondément pour se soucier du léger remue-ménage que provoquait les deux jeunes femmes. Comme Luna, en ces lieux, l'Alayien avait trouvé une assurance de tranquillité. Même si en arrivant ici avec une Luna transie et évanouie dans les bras il avait émis une méfiance vis à vis de la vieille femme, cette dernière s'était vite évanouie quand Anna avait prié de pas perdre de temps à amener la malheureuse près du feu pour vite la réchauffer et s'en occuper. Une fois qu'il avait été certain que Luna était dans de bonnes mains, tout le poids de la fatigue l'avait rattrapé. Cette vieille femme lui avait indiqué cette paillasse. A peine s'y était installé que ses yeux s'étaient fermés d'eux-mêmes.

Ce fut la douceur de la mélodie jouée par Luna avec son instrument qui le tira de sa torpeur. Ses paupières s'ouvrirent pour voir la gamine avec une bien meilleure mine que la veille et qui grattait les cordes de sa vièle. Bien qu'il ait longuement dormi, il n'avait pas eu l'impression de s'être reposé. En se redressant pour s'asseoir sur la paillasse après avoir décroisé ses bras de sa poitrine, il grimaça en sentant certains muscles perclus de fatigue. Un léger mouvement l'obligea à tourner la tête et il regarda la vieille femme qui s'était levée pour lui apporter un bol de soupe. Rien que l'odeur suffit à faire protester son estomac, qui avait connu que le vide depuis ces quelques derniers jours. Il parut hésiter, malgré l'air serein et bienveillant de la vieille femme.

''Merci...''

Le ton sur lequel il avait prononcé le remerciement avait été incertain, comme s'il n'avait pas pour habitude de sortir ce mot. puis, à peine avait-il commencé à boire la soupe qu'il se rendait à quel point il avait faim. L'éreintement de ses derniers jours avait fini par lui faire oublier ce manque... Bien que simple, le potage avait le mérite d'être succulent. Il dut se faire violence pour prendre le temps de le boire lentement, autant pour éviter de se brûler la gorge que de pas se rendre malade à vouloir apaiser une forte faim trop rapidement. Là résidait le danger quand on s'alimentait à nouveau alors qu'on avait rien à se mettre sous la dent. Prendre le temps était ce qu'il y avait de mieux à faire. Entre deux gorgées, il fit une pause et regarda Luna, qui devait sans doute continuer à jouer.

''Je vois que tu vas bien mieux que la veille. Tu as repris des couleurs....''

Il rebut longuement une autre gorgée de soupe. Elle lui réchauffait bien l'estomac et le soulageait presque, comme si ses bienfaits agissaient déjà. Rien ne valait de manger quelque chose de bon pour récupérer, surtout quand on n'avait rien eu de consistant à avaler depuis quelques jours.

''Je vous remercie de vous être occupée d'elle. ''

Il lui devait au moins cela. Il n'aurait pas pu se résigner à la laisser dans les bras du froid une fois le fleuve traversé. Il termina son bol de soupe et leva une main pour refuser d'avance la demande de la vieille femme. Elle était bien assez généreuse comme cela. Elle lui prit le bol et il hocha de la tête pour la remercier silencieusement. Il prit son armure, ses armes et sa ceinture puis il se remit debout. Il ne paraissait guère fringant malgré une bonne dose de sommeil.

Déjà il ceignit sa ceinture, sans complètement la serrer et commença à revêtir sa sombre armure, attachant sangle après sangle. La vieille Anna ne parut guère rassuré. En même temps, un homme tel qu'Alauwyr n'était guère avenant, rien qu'à son aspect et à sa large carrure.

''J'ai accompli ma part, jeune fille... Le cheval est pour toi, tu en auras bien plus besoin que moi. Anna, Vous avez été bien généreuse, je tiens quand même à ce que vous...''''

La vieille femme sourit et répondit la même chose que pour Luna tout à l'heure, avec un sourire qui était de nouveau serein. Alauwyr termina de sangler son armure et serra la ceinture de cuir lourd qui portait son épée au fourreau. I

[HRP : si tu le souhaites, tu peux faire encore une réponse et je conclurai :p

Les doigts de Luna dansaient joyeusement sur les cordes de Nilmë qui, si elle avait été vivante, aurait probablement pensé que sa propriétaire l’avait abandonnée. En effet, il faisait bien longtemps que la jeune femme l’avait sortie de son étui et qu’elle l’avait doucement caressée pour la faire chanter. Malgré tout, les doigts se promenaient sur les cordes instinctivement et créaient une mélodie harmonieuse, quoique quelques fausses notes se logeaient malheureusement ici et là. Pendant un moment, la petite maisonnée avait disparu tandis qu’elle fermait les yeux et replongeait dans d’anciens souvenirs, là où des petites bulles lumineuses éclairaient un bout de verdure près de la Magnifique. Les notes imitèrent celles d’une lyre racontant l’histoire d’une étoile protégeant des amoureux. Aramis allait-elle bien? Dawan s’en sortait-il? Ses pensées se tournèrent vers eux, espérant du plus profond du cœur qu’ils puissent rejoindre le Protectorat sains et saufs, et qu’ils puissent à nouveau mêler leur voix ensemble comme s’ils n’avaient jamais été séparés.

Ce moment de tranquillité lui fit du bien, surtout que la vieille dame avait cessé de parler pendant que la gamine jouait de sa vièle. Certes, elle était très aimable, mais elle appréciait ce petit moment de solitude. Elle ne remarqua qu’Alauwyr s’était réveillé que lorsqu’il remercia Anna et elle ouvrit enfin les yeux. Ne cessant de gratter les cordes, elle posa l’azur sur lui et l’observa tandis qu’il se régalait du potage. Il lui avait sauvé la vie et pour cela, elle lui était reconnaissante. Certes, il lui en devait une puisqu’elle l’avait soignée, mais rien ne l’avait obligé. Au final, c’était une rencontre positive et un homme qu’elle n’allait pas classer comme Alayien à détester.

D’ailleurs, la petite lune ne put s’empêcher de sourire lorsque le guerrier mentionna qu’elle allait mieux et qu’elle avait repris des couleurs. Elle acquiesça également d’un signe de tête et ses lèvres remuèrent pour former « merci » silencieux. Elle ne croyait pas qu’elle avait besoin de le prononcer haut et fort pour qu’il saisisse ce qu’elle voulait dire et pour qu’il comprenne qu’elle lui était reconnaissante.

L’archet embrassa une dernière fois sa vièle lorsqu’Alauwyr se releva et la musique cessa. Tout comme lui, c’était également le moment pour elle de partir. Elle avait suffisamment abusé de l’hospitalité de la vieille dame et elle devait se remettre à la tâche. Elle rangea son instrument dans son sac magique, enfouit ses vêtements sales dans un autre sac et s’assura que son épée était bien en place à sa taille, ce qui lui valut un regard désapprobateur de la part d’Anna. Elle l’ignora cependant et remit ses bottes qui étaient malheureusement encore humides.

- Je vous remercie énormément Anna. Lui dit-elle d’une voix douce.

Lui tendant la main dans un signe de reconnaissance, la femme décida plutôt d’enlacer la soldate. D’abord décontenancée, Luna se ressaisit et l’étreignit à son tour pendant un moment qui lui parut beaucoup trop long. Pauvre dame qui devait se sentir bien seule et qui retournerait à sa solitude.

Prête à partir, ce fut également le cas d’Alauwyr qui remercia à son tour Anna. Il lui laissait son cheval… ?! Sérieusement? La Protégée écarquilla des yeux et le fixa longuement de son regard bleuté.

- Mais… ? Balbutia-t-elle.

N’avait-il pas besoin de son cheval? Alauwyr semblait sérieux quant à son offre.

- Je… euuuh… Vous êtes certain? Euhm... Merci. Poursuivit-elle d’une voix incertaine. Il a un nom? Demanda-t-elle finalement.

Saluant une dernière fois la vieille dame, les deux aventuriers étaient sortis de la demeure d’Anna et Luna s’était dirigée vers la monture.

- Nous nous reverrons, Alauwyr! Je vous le rendrai à ce moment-là. Bonne chance et faites attention à vous!

C’était sur ces dernières paroles que la princesse des lumières comptait mettre fin à leur rencontre.

Alauwyr n'aurait pas pensé que Luna se léverait si tôt. Peut-être que de le voir se relever et se préparer au départ la motivait à faire de même pour reprendre son propre chemin. Quand la vieille l'étreignit au lieu de prendre la main que lui tendait la gamine, Alauwyr détourna le regard, se concentrant volontairement sur quelques ajustements à procéder sur son armure. Quand les deux femmes eurent fini de faire des échanges des plus amicales, il les regarda et Anna parut un peu triste de les voir partir. A nouveau elle allait se retrouver seule. Alauwyr ne savait rien d'elle, mais il espéra pour elle qu'elle n'aurait pas à vivre longtemps de la sorte. Vivre en solitaire alors qu'on était à un âge avancé... L'Alayien peinait à s'imaginer comme tel. Un soldat périssait bien assez tôt avant de connaître les dégradations que le temps passant provoquait sur un corps humain.

La fillette paraissait déconcerté à l'idée qu'elle récupère le cheval. Il la regarda en silence avant de se diriger vers la porte en bois de la maisonnette d'Anna, lui accordant un dernier signe de la tête en guise de dernier salut. Autant que la vieille femme n'entende pas où il s'était procuré l'animal. Et une fois devant la monture, Alauwyr s'assura que la sangle de la selle était bien ferme et bien serré. L'animal avait été nourri et abreuvé et avait récupérer ses forces, même si sous la selle, on sentait encore la moiteur de sa folle course dernière et de son plongeon dans l'eau du fleuve. Il attrapa les rênes et les tendit à Luna.

''Je suis certain oui. Il n'a pas de nom, car je n'ai pas pris le temps de le demander à son précédent cavalier quand je l'ai occis pour le prendre. Je te rassure, c'était un arbalétrier Théocrate. Il ne manquera à personne. Mais si tu veux un nom pour lui....''

Affubler un nom pour un cheval... quelle idée... Un cheval n'était qu'un animal pour pour se faire obéir et à faire son devoir d'animal domestiqué. Et pourtant, il en donna un pour le canasson, comme s'il avait envie de répondre positivement à la gamine

''Sauteur. Il s'appelle Sauteur. Vu qu'il a bien bondit dans le fleuve la veille....Et tu pourras lui trouver un nouveau maître. Je ne suis guère doué pour m'occuper d'un cheval...''

Il savait monter et savait s'en occuper... il voulait juste ne pas s'encombrer et un cheval demandait un certain entretien. Et marcher était mieux et plus discret.

''Peut-être que nous nous reverrons, si Néant le désire. En attendant, prends garde à toi. ''

Sur ces derniers mots, il fut le premier à partir et adressa un dernier regard à Luna avant de reprendre d'un pas certain sa marche vers la Frontière....