Caladon. La ville de l'eau. La nouvelle ville de l'eau, devrait-il dire, puisqu'avant elle, il y avait eu Lyssa la Vagabonde. Pourtant, Caladon promettait de dépasser, et de loin, la splendeur de l'ancienne ville maritime. Elle était mieux placée, disposait de plus d'opportunités… et surtout, elle était bien plus ambitieuse. Etonnant d'ailleurs, d'une certaine façon. Lorsque l'on en faisait la comparaison, les deux villes étaient certes habitées et dominées par la race humaine, mais toutes deux avaient bénéficié de l'influence elfique sur de très nombreuses générations. Althaïa avait été le lieu de résidence de certains membres du beau peuple, Lyssa était quant à elle la cité la plus proche du royaume elfique, et plus proche encore par la mer. Pourtant, là où les échanges Lyssiens n'avaient été que marchands, Althaïa avait baignée dans la culture et la magie elfique. En toute logique, donc, la ville de Caladon, petite sœur d'Althaïa, aurait dû être imprégnée, au moins à minima, de l'esprit d'humilité elfique, du moins de son humilité face à l'argent. Or ce n'était absolument pas le cas. Bien au contraire. Et l'ambition de cette ville avait été encouragée par la transformation de sa sœur à forteresse militaire. Débarrassée de l'ombre que lui faisait Althaïa, elle pouvait désormais croître comme elle le désirait.

Lui n'y voyait aucun inconvénient. La ville était propice à toute sorte d'affaires, et pas seulement marchandes. C'était d'ailleurs pour cela qu'il avait décidé de donner rendez-vous à Dawan en ces lieux. Ils pourraient tous deux se perdre dans la foule dense et bigarrée sans le moindre souci. Et si lui était reconnaissable, le petit elfe le serait beaucoup moins, de sorte qu'il puisse éclipser sa présence de la sienne et lui assure un peu de sécurité. Néanmoins, s'il avait toujours gardé en tête ce fameux rendez-vous, il s'avérait que les derniers événements n'étaient pas autant à son avantage qu'il l'aurait bien voulu. La traque des éclaireurs et soldats protégés au nord représentait tout, sauf une sinécure. Pas qu'ils soient si difficiles à débusquer, car pour la plupart ils étaient humains ou elfes, et leurs cœurs les trahissaient, non, sa principale source de contrariétés résidait ailleurs. Pourquoi diantre ces imbéciles voulaient-ils tant aller au Nord ? N'étaient-ils pas au courant qu'ils ne trouveraient qu'un infâme trépas près des volcans ? Du peu qu'il avait pu tirer d'un de leurs prisonniers, non… Ou alors il fallait qu'il soit tombé sur le seul imbécile du lot.

Quoi qu'il en fût, la traque progressait et nécessitait du temps et des efforts, même pour ses troupes d'élites. Et lui avait été contraint de s'absenter pour Dawan. Le seul détail qui adoucissait son humeur, si l'on exceptait la perspective de revoir le petit bébé chanteur, c'était qu'Yödr pouvait aisément le reconduire jusqu'au théâtre des opérations en quelques heures à peine. Il pouvait donc pleinement profiter de ces retrouvailles, une fois qu'il se serait débarrassé de ses gardes du corps. Theryn et Celeb le quittait rarement mais moins encore depuis leurs départ de Morneflamme, comme si la visite de cette infâme prison avait avivé leurs instincts de protection. Il ne s'en plaignait pas, qu'on se le dise, mais il savait également qu'ils auraient bien du mal à comprendre la logique de sa rencontre avec un protégé si celui-ci repartait indemne. Qu'à cela ne tienne, cependant, il y avait bien assez pour les occuper en ces lieux. Et c'était exactement ce qu'il comptait faire : les occuper.

Tous trois arrivèrent à l'aube, dans la lumière croissante et l'air encore frais de la nuit. Ici, à la limite des plaines arides de l'est, le climat n'était plus du tout le même que le morne et pluvieux quotidien Glorien, un fait qui poussait nombres de dignitaires, en particulier humains, à y acquérir une demeure secondaire pour y passer quelques jours et profiter d'un temps bien plus clément et plus agréable. Les quartiers les moins opulents de la ville étaient accessibles sans avoir besoin d'attendre l'ouverture des lourdes portes creusées dans la muraille du quartier central. Ils n'eurent qu'à se frayer un chemin dans le flot de cavaliers, de charrettes et de piétons, sans grand mal d'ailleurs, car la populace tendait à s'écarter quand il était reconnu. Et puis… Yödr et ses claquements de crocs n'étaient pas spécialement encourageant, il devait le reconnaître. D'autant que sa monture était encore de mauvaise humeur, après la préférence qu'il avait eue pour un voyage à dos de dragon.

Lorsqu'ils arrivèrent enfin sur la place pavée qu'il avait désignée à l'elfe, il donna ses ordres aux deux soldats qui l'accompagnaient. Theryn irait à la caserne s'enquérir de l'état des défenses militaires de la ville, tandis que Celeb la procurerait pour lui donner une vue d'ensemble de l'atmosphère réelle, atmosphère que lui-même ne pourrait pas pleinement saisir puisqu'il la distordrait de sa simple présence. Pas forcément en mal, d'ailleurs. Son physique, et le soutien de la magie ceignant sa gorge, provoquaient souvent une attraction irrépressible chez son entourage. Une attraction souvent bien utile pour se faire obéir. Mais qui, parfois, était également un frein. C'était pourquoi il recourrait à l'analyse d'un de ses traqueurs. Celeb était doué en observation et avait un bon esprit d'analyse, et il lui était dévoué jusqu'à la mort. Lui, pendant ce temps, se chargerait de Dawan, ce qui requérait tout son doigté….

L'elfe n'était pas encore là. Rien d'inquiétant là-dedans pour le moment, lui était souvent en avance, après tout. Mettant pieds à terre, il flatta un long moment sa monture et finit par la laisser partir, pour qu'elle puisse s'ébattre hors de la ville sans soucis pendant que lui ferait ce qu'il avait à faire. Une fois la jument partit, il se prit à observer avec méfiance le reste de la place, cherchant de possibles traquenards… Aucun en vue. Loin de baisser sa garde devant cette apparente tranquillité, il ne s'en installa pas moins sur le bord de pierre blanc de la fontaine dont il écouta le flot avec plus de plaisir que les conversations des humains, tandis que, pour s'occuper les mains, il jouait avec un ensemble d'osselets. C'était Theryn qui avait essayé de lui apprendre ce jeu que les vampires appréciaient et s'il ne comprenait pas bien le but d'un tel passe-temps tel que son subordonné le lui avait décrit, il trouvait néanmoins une réelle utilité à ces petits objets, puisqu'ils lui permettaient de se focaliser sur quelque chose de simple et de répétitif, et laissaient le champ libre à son esprit.

D'un geste leste, il lança le premier osselet en l'air et le rattrapa…

@Dawan Sywel

Sur quoi exactement dérivaient ses pensées ? Sans doute sur bien des choses. Beaucoup étaient sans réelles formes ou logique, du moins, pas selon des critères communs. Il suivait son instinct, en des circonvolutions de l’esprit qui l’emportait toujours plus loin dans les sphères des possibles. Cela avait commencé simplement, par de basses considérations matérielles liées au bon fonctionnement de l'armée vampirique, dont il avait la charge. Si son titre était différent de celui de Lorenz, en pratique ils occupaient deux facettes d'une même fonction, celle de dirigeant. Mais là où son frère était stratège et décisionnaire, lui était opérationnel. Il s'assurait de traduire les choix tactiques du prince noir en faits concrets et l'aspect combat, deux camps engagés dans une bataille à coup d'épées ou de magie, n'était qu'un tout petit morceau de roche isolée au-dessus des flots, dissimulant une base gigantesque et immergée. Pour trop d'individus, la guerre n'était que cette succession de batailles, et les généraux glorieux ou vaincus les seuls à féliciter en dehors des soldats. Pour trop d'individus, la guerre était quelque chose de simple. Ce n'était nullement le cas. La guerre n'avait rien de simple. La guerre était un véritable cauchemar de préparation, de logistique, et de coordination, et elle demandait un suivit quasi permanent, un zèle extrême, en particulier lorsqu'il s'agissait d'occuper un poste de la chaîne d'opération. Les grands généraux se prélassaient davantage que leurs subordonnés, c'était là les voies du monde… Oh il ne se plaignait nullement de sa charge et de son lot, mais il reconnaissait également que, pour un tout jeune vampire, maintenir l'harmonie des nécessités d'une armée aussi large était loin de la sinécure. Prestigieux ou non, son poste était surtout très délicat, et très dangereux. Il n'avait pas le loisir de manquer une seule fois d'efficacité, ou c'était tout le reste de la chaîne de commandement, et leur camp tout entier, qui en pâtiraient.

En cette heure, cependant, la question pratique qui faisait travailler son esprit était, tout simplement, de gérer la transformation en marais de Sombreval d'un point de vue technique. Il pleuvait tellement que la terre était particulièrement meuble et que de nombreux ruisseaux, de nombreuses rivières et même un fleuve tout entier étaient apparus. Hors hélas, il manquait les infrastructures pour permettre un déplacement militaire correct dans cette écluse. Il aurait fallu bâtir des routes en dur, des ponts et des relais… et adapter les machines de guerre pour qu'elles ne s'embourbent pas et puissent avancer sur un terrain accidenté. L'inventeur y travaillait, évidemment, mais ce n'était pas, à son sens, suffisant. Il y avait simplement trop à faire pour une seule équipe. Peut-être serait-il nécessaire d'en toucher deux mots à Lorenz, lorsqu'il le reverrait. Former des équipes du génie dédiées entièrement à la recherche de solutions pour leurs migrations martiales. Il serait totalement stupide de se voir dotés d'armements modernes si c'était pour ne pas les utiliser, faute de pouvoir les acheminer là où ils seraient utiles. Peu à peu, cependant, son esprit se détacha de ces idées pour remonter le long du problème en lui-même. Il pleuvait beaucoup trop. Pourquoi pleuvait-il autant ? Etait-ce réellement un dérèglement climatique ? Possible, mais en ce cas d'où provenait toute cette eau ? Pas de la fonte des glaciers du nord en tout cas, pour cela il aurait déjà fallu qu'il y ait encore des glaciers. D'où alors ? De la magie ? Laquelle ? Celle d'Océan ? Voulait-il les noyer ? Non, ça ne lui ressemblait pas vraiment… Il devait pourtant y avoir une logique à ce phénomène, d'autant que les nuages ne quittaient jamais Sombreval, y stationnant continuellement pour vider leurs ballastes sur eux comme d'énormes baleines au caractère peu aimable. Une logique, oui, mais laquelle exactement ? Alors là, mystère.

Il y avait bien des mystères en Armanda, mais jamais autant que depuis trois ans, comme si tout ce qui était un tant soit peu magique s'éveillait soudainement. Cela ressemblait à une fin du monde. Et pourtant il doutait que ce soit le cas, tout au plus la fin d'une ère. C'était comme cela que les volcans fonctionnaient également. Ils entraient en éruption en s'éveillant, balayaient tout avec la lave, les nuées ardentes et le souffre, puis s'apaisaient et de la lave refroidie naissaient de nouvelles vies, profitant de la richesse des dépôts. Peut-être serait-il bon qu'ils disparaissent tous pour permettre ce renouveau, c'était une hypothèse que l'on ne pouvait guère ignorer, d'après lui. Il n'y avait cependant aucune possibilité de s'en assurer, néanmoins, aussi étaient-ils tous dans l'expectative. Un état attentiste qui semblait être le lot de toutes les créatures de ce monde, suspendues dans les files des grandes puissances qui se disputaient la suprématie. Ils étaient des jouets, des figurines de pierre ou de bois sur une carte de ce monde, et ils étaient organisés et disposés selon le bon vouloir de ces puissances supérieures. Mais étaient-elles véritablement supérieure ? On pouvait se poser la question, comme l'on pouvait se poser la question de savoir comment étaient perçues ces créatures, quelle trame de logique était la leur. En avaient-ils même une ? Par instant, il ne pouvait s'empêcher d'en douter. Parfois, il ne pouvait s'empêcher de s'interroger sur la valeur et l'essence des êtres, et alors il soupirait, comprimé par l'étrange certitude que quelque chose lui échappait, quelque plaisanterie cosmique dont il ne pouvait comprendre la teneur, mais qui balayait tout le reste au point que même les dangereuses ambitions de Vraorg et le pouvoir des Esprits étaient relégués au rang d'insignifiances.

Et il n'appréciait pas cela. Il n'appréciait pas qu'un élément lui échappe. Lui qui officiait comme agent de contrôle d'une masse étendue et dangereuse, il ne pouvait pleinement accepter de n'avoir pas connaissance de quoi que ce fut. Ce qui l'amusait, en revanche, c'était de savoir qu'un certain prêcheur ne serait peut-être pas d'accord avec sa vision des choses. Il lui en toucherait deux mots, la prochaine fois, pour s'assurer de cela. En attendant, la fortuite mention d'Aldakin du Néant le ramena à la réalité, juste à temps pour voir la figurine équine lui bondir sous le nez. Pas instinct, pas habitude, par réflexe défensif, il se tendit de surprise et dû se faire violence pour se retenir de bondir sur l'imbécile heureux qui venait de l'approcher sans s'annoncer au préalable… Ses sombres yeux d'obsidienne se posèrent sur l'impudent, et il l'aurait sèchement renvoyé s'il ne s'était soudainement aperçu de son rythme cardiaque. Il connaissait ses battements, si l'écrin qui les dissimulait n'était pas celui de son souvenir. Dawan. Clignant des yeux, il se détendit sensiblement, quoi qu'encore sur ses gardes, et laissa ses lèvres s'ourler d'un léger sourire qui se voulait accueillant. "Bonjour toi" souffla-t-il avant de remettre en place l'une de ses mèches de cheveux, tournant la tête pour se faire, et s'octroyant une vue rapide de la place. Pas de menaces en vue, parfait. Prenant la figurine qu'il tenait à la main, il l'observa attentivement, amusé, puis la lui rendit "Je suis certain qu'elle appréciera grandement de voir cela, elle adore qu'on s'intéresse à elle"

On pouvait même le dire, elle était du genre égocentrique la majorité du temps, même avec lui. Il ne devait y en avoir que pour elle. Lui montrant les osselets, il en fit sautiller un dans sa main, puis demanda "Tu connais ce jeu ? Je l'ai découvert il y a quelques temps. Je n'ai pas bien compris son utilité pratique, mais il est, au demeurant, un bon moyen de passer le temps. Ou de partager un moment. Je pourrais t'apprendre si tu ne sais pas jouer" Et il était clair que cela irait avec l'apparence enfantine qu'avait soudain le petit chanteur. Il s'agissait par ailleurs d'un choix étrange, pourquoi un enfant ? Les temps n'étaient guère cléments, un jeune humain solitaire en voyage aurait forcément des ennuis… mais peut-être n'avait-il tout simplement pas pu trouver mieux dans le laps de temps dont il disposait. "Au moins, je suis satisfait de constater que mon cadeau fonctionne bien. Personne ne t'a questionné sur ce voyage, n'est-ce pas ?" Là, il se faisait de nouveau méfiant, mais pouvait-on lui en vouloir ? Si jamais les protégés savaient…

Il attendait sa réponse avec une inquiétude plus que fondée. Fondée, car s'il avait parlé d'eux et de cette rencontre à qui que ce soit, il était certain que cela finirait très mal, et si éliminer quelques protégés ne lui déplaisait nullement, répendre le sang devant l'elfe qu'il entendait s'attacher lui serait une contrariété assurée. Et encore n'était-ce là que l'hypothèse la moins préoccupante, car ils pouvaient fort bien décider de ne pas attaquer de front, mais convenir au contraire de se servir de Dawan pour le piéger. Et comment parviendrait-il à le savoir si c'était correctement orchestré ? Dawan ne saurait rien lui-même des fins de son entourage, et serait donc parfaitement honnête en s'adressant à lui… et sa sensibilité aux mensonges ne fonctionnerait pas. Quand à user du peu de perception des chants noms qu'il avait, c'était hors de question, les sons lui déchiraient les tympans et l'esprit à chaque fois, transformant l'acte en une véritable torture sur laquelle il n'avait guère de prises. Aussi, apprendre qu'il n'avait soufflé mot de leur rencontre lui apporta un intense soulagement, qu'il dissimula cependant, ne serait-ce que pour éviter de vexer le petit morceau de verdure face à lui. Il ne manquerait plus qu'il pense recevoir sa défiance ! D'une certaine façon, c'était pourtant vrai, il ne pouvait se permettre de faire aveuglément confiance, en dehors de son frère évidemment… Marcher les yeux fermés en s'en remettant à d'autres était le plus sûr moyen de se faire tuer. Hors il escomptait vivre encore de longs siècles.

Pas même à son maître, disait-il. Encore heureux ! C'était les Cawrs qu'il craignait le plus, car qu'est-ce qui les empêchait de découvrir le pot aux roses ? Pas le silence de Dawan en tout cas. Il ne savait pas qui était son maître, mais si cet individu faisait avant tout confiance à la parole de son élève, alors il avait beaucoup de chance. Qui était-ce d'ailleurs ? Il serait peut-être utile de le lui demander, on ne savait jamais… mais il craignait que cela n'éveille un quelconque souvenir chez lui, et n'était pas encore certain de vouloir retrouver les détails de ce pan de son ancienne existence. Tout cela, et bien davantage, en tête, il récompensa son invité d'un sourire et d'un généreux hochement de tête qui fit onduler ses tresses blondes et opulentes, retenues par des bagues d'électrum, seule réelle coquetterie qu'il affichait. Ce n'était pas dans ses habitudes que de faire particulièrement attention à son apparence, du moins selon les critères des courtisans et autres oiseaux de cour. Il observait une tenue stricte, une hygiène irréprochable couplée à un apprêt en parfaite cohérence avec son rôle de militaire, mais c'était là tout ce qu'il s'accordait : un uniforme propre et sans plis, une armure nettoyée et prête à l'usage, des armes d'égale propreté, et une coiffure qui lui permettait de conserver son immense chevelure sans en souffrir. Pour l'occasion, cependant, il faisait un effort. Il ne savait pourquoi, mais il était persuadé que cela plairait à Dawan. Et l'idée l'avait suffisamment emplit d'aise pour qu'il y cède.

S'autorisant à mettre le sujet le plus délicat de côté, il le laissa approcher des osselets et le coin droit de sa bouche s'ourla davantage, preuve de ce qui semblait bien être de l'amusement. "Oui" De petits os gravés et travaillés. Un travail somme toute correct, quoi que loin du chef d'œuvre. Mais il ne demandait pas à ces objets d'être des formes d'art, seulement de servir leurs buts voulus. Très loin du dilemme moral de l'elfe, lui ne voyait absolument aucune raison d'éprouver la moindre gêne à manipuler un matériel comme celui-là. Car ce n'était plus que cela, un matériel, rien d'autre. Il n'y avait plus de vie ou d'empreinte de celui à qui ils avaient appartenu. C'était juste des bouts d'os, comme il y avait des bouts de bois morts, ou des feuilles mortes… Pourquoi s'embarrasser à ressentir de la gêne uniquement pour des créatures dont la vie était apparente par leurs mouvements ou leurs façons diverses, alors qu'on manipulait et jouissait de la mort presque à chaque instant. Enfin, si c'était bien de cela qu'il s'agissait, il pouvait aussi parfaitement se demander, simplement, si ce n'était pas là des os d'elfes. Dans tous les cas il pressentait que cela ne servirait pas d'aborder la question, ils avaient chacun leurs façons de voir les choses et c'était ainsi. Même s'il pouvait trouver cela quelque peu niais il fallait de tout pour faire un monde. Il acceptait bien les lubies de sa mère après tout, alors un de plus, ce n'était pas grand-chose.

Cependant, à la place de ce débat, se fut une autre question qui tomba, pas dénuée de sens et qui, cependant, risquait d'entraîner quelques soucis pour lui. Prudent, il s'assura que personne ne passait près d'eux ni ne les écoutait, puis répondit d'une voix paisible mais basse. "Je m'en méfie, cependant si l'on voit le général vampirique emmener avec lui un simple enfant humain, je crains que les questionnements ne prennent une tournure plus déplaisante que mon inquiétude à être épié" Parce que si question déplacée il y avait, attention déplacée et dangereuse ils recevraient. Cela étant dit, il était également parfaitement exact que, de toute façon, il leur faudrait pouvoir trouver un lieu plus tranquille. Pensif, il fit tourner un os entre ses doigts, jouant avec ses angles, puis se décida enfin… Ce serait autant une petite assurance qu'un juste milieu, sans compter qu'il cèderait ainsi à une petite, très légère, fantaisie de sa part. Mais quitte à rencontrer un elfe protégé, autant se permettre cela également, non ? C'était comme appliquer le dicton 'qui vole un œuf vole un bœuf' à l'envers, car qui volait un bœuf n'aurait sans doute guère de mal à voler un œuf. Confiant donc, il rangea les os dans une petite bourse et se releva finalement sans quitter son sourire.

"Vient, accompagne moi, je suis certain que l'air du port te plaira" Et sur un geste d'invitation, il se mit peu ou prou à flâner dans les rues pavées, en se dirigeant vers le port de la rive, un espace conçus spécialement pour les navires et les marchands. Les embarcations insulaires n'étaient pas aussi belles que celles de la ville de Lyssa, dont on voyait encore quelques modèles, sauvés de la catastrophe que la cité portuaire avait connue trois ans auparavant. L'activité battait déjà son plein, sur l'esplanade, les navires déchargeant leurs cargaisons, en chargeant d'autres, les hommes s’interpellant à vive voix ou négociants avec application et détermination… Caladon, en grandissant, avait développé sa maîtrise du fleuve pour se différencier de ses rivales, et c'était là l'une des clefs de son succès. Il n'était donc pas surprenant que les ports soient remplis et dynamiques. De solides cordages amarraient les navires aux appontements et quais de pierres, les voiles nettement roulées et préservées arborant des couleurs chatoyantes, du blanc au rouge, en passant par le jaune et la lavande, chacune portant le sceau du marchand à qui il appartenait. Les cargaisons étaient aussi diverses que les voiles et les coques des navires. Dans l'air flottait des odeurs d'épices, de poisson, parfois de poix ou de terreau…

Il guida l'elfe déguisé loin de ce nœud grouillant, à l'intérieur de la vaste place attenante aux quais, elle aussi bondée sur la majeure partie de sa surface. Les façades se partageaient entre entrepôts de stockage, hôtels de négociants et tavernes pour les marins. A l'ombre d'une haute tenture de toile appartenant à un étalage de poissons, il tourna dans une petite ruelle, à peine assez grande pour un humain de large corpulence. Des filets de linges pendaient, et les ouvertures des bâtiments béaient. Sur la façade droite, il y avait une petite enseigne, appelée le poisson volant. Ce fut là qu'il s'arrêta, ouvrant une porte de bois lourde avant de s'engouffrer à l'intérieur. La taverne était bien plus large que ne l'eut cru à son emplacement, une vaste salle de bois, avec un escalier montant à l'étage, de larges tables, et de petits recoins et un large comptoir de bois, imposant par son aspect massif. La salle n'était pas encore pleine, bien loin de là, d'ailleurs, aussi furent-ils salués avec circonspection, puis plus d'amabilité lorsque le tavernier compris de qui il s'agissait. L'âme de feu se décida pour une alcôve douillette, à l'écart, et proche d'un jardin intérieur encore moins soupçonnable que le reste. Une fois posé il soupira "Et voilà, ici nous seront tranquille. Et notre apparente balade n'aura alarmée personne, pas plus que notre disparition. Dans la foule de la matinée, on pensera nous avoir simplement perdu de vue"

Déposa la bourse des osselets sur la table de bois brunis, il en délaça les cordages et rependit son contenu sur la table dans un cliquetis. Peu désireux de laisser son compagnon d'escapade dans l'incertitude, il daigna expliquer "Je viens toujours ici, lorsque je m'arrête à Caladon. Le tavernier a pris l'habitude de me voir et j'ai pu acquérir sa confiance et sa loyauté, ce qui est une denrée rare en ce moment" Tellement rare que même ce qu'il savait posséder, il s'en méfiait… "Ne te prive pas, si tu n'as pas déjeuné" On vint d'ailleurs leur demander rapidement ce qu'ils désiraient, et l'ancestral chassa paisiblement la demande pour lui-même, son corps de jeune vampire encore trop habituer à ne supporter que le sang. Une fois Dawan satisfait, il commença à lui apprendre le jeu des osselets.

Le tintement des piécettes l'interpela et il aurait haussé un sourcil en attendant explication si celle-ci n'était pas venue d'elle-même. La responsabilité du geste autant que la préoccupation de l'elfe sut lui plaire. Mais il repoussa le maigre pécule, en affirmant que c'était lui qui paierait, puisqu'il l'avait invité. Et il fut intraitable sur ce point, il ne comptait absolument pas laisser l'elfe payer… d'autant, et c'était la seconde raison qui poussait sa générosité, outre qu'il tenait vraiment à lui offrir ce petit présent, il n'y avait pas assez de ses réserves pour payer. La vie à Caladon, et particulièrement si près du quartier riche, était extrêmement chère. Les prix étaient exorbitants, même pour trois fois rien, dépassant même les prix Glorien pour certains articles. La cité de l'eau payait malheureusement sa place de centre économique par cette inflation galopante et même alarmante. A cela, le vampire se fit la réflexion qu'il serait certainement de bon ton d'implanter des mesures pour tempérer les ardeurs des marchands, ou même les plus riches seraient bientôt contraint de vendre père et mère… La valeur des pièces ne tenait que jusqu'à un certain cap, après lequel l'inflation était non seulement ridicule, mais dommageable pour l'économie qui la faisait naître. Oui, il faudrait sans doute adresser le sujet.

Mais ça, c'était son problème, pas celui de l'elfe. Et pour le moment, le 'problème' de l'elfe, c'était d'apprendre à jouer aux osselets. Fort heureusement, ce n'était guère compliqué, même s'il imitait un humain de façon plus que convainquante. Le jeu pu commencer, et lorsque venait son tour, l'âme de feu répondait volontiers aux sollicitations verbales de l'elfe déguisé, en des phrases souvent courtes et concises. Une habitude militaire de plus. Quand il officiait, on ne lui demandait pas des discours verbeux mais d'aller droit au but. Et quand enfin Dawan en arriva à lui parler de jeu, il l'observa un instant, scrutateur, avant de répondre avec calme et un sérieux peut-être pas tout à fait bienvenu sur l'instant "Je n'ai guère de goût au jeu en lui-même, mais il s'agit d'un bon exercice pour les mains et pour l'esprit. Cela permet de se concentrer sur un geste simple. C'est plus utilitaire qu'autre chose, à mes yeux… mais j'ai pensé que cela pouvait te plaire" Il avait légèrement hésité sur la fin, ne sachant trop s'il était opportun de s'avancer de pareille façon, ou s'il valait mieux pour lui qu'il ne le fasse pas. Tant pis, il avait pris un risque calculé.

Il lança alors les os… et eut un geste plus brusque pour les sauver des petites papattes de l'elfe qui tentait de se faire chapardeur, lui adressant un regard appuyé, pas du tout convaincu. "Oh, qu'importe" Les points n'étaient pas sa préoccupation principale. Interagir avec Dawan, en revanche, l'était… et pourtant il ne put que rester interdit à la question. Le tutoyer ? Après un long instant à l'observer fixement, il consentit à détourner les yeux, pour qu'il ne souffre pas davantage d'un regard si appuyé. Le tutoyer ? Il n'était pas certain que… en vérité il n'était pas certain du tout. Jusque-là, il avait fait des efforts, afin d'être plus accessible à l'elfe, et de bonne volonté d'ailleurs. Il le faisait pour que leur relation puisse perdurer, et se diriger dans le sens qu'il jugeait nécessaire. Pourtant, là, il lui posait une colle. Tutoyer quelqu'un pouvait avoir de nombreuses significations : intimité, confiance, méprise, domination… Hors toutes étaient exclues, intimité comprise, pour le moment, de sa relation avec Dawan. Il ne fermait pas la porte évidemment, appréciant réellement le Protégé, mais…. Mais en vérité c'était trop lui demander à l'heure actuelle, tout simplement.

Il était trop tôt, et peut-être serait-il indéfiniment trop tôt pour faire tomber cette barrière-là. D'autant qu'il y tenait énormément. Autant, il tutoyait presque tout le monde, autant il n'aimait pas être sujet à tutoiement. Avec prudence, et en pesant ses mots, il répondit "Non, je ne le désire pas, pardonne m'en. Ce n'est sans doute pas le moment pour aborder ce sujet-là" Il accompagna cependant la dénégation d'un sourire, pour ne pas qu'il se sente coupable. Même s'il pouvait effectivement deviner que cette marque d'intimité n'était pas de celle qu'il appréciait, il ne lui en tenait nullement rigueur. Ne souhaitant pas s'attarder là-dessus, il poursuivit, changeant de sujet "Tu as une idée de jeu que tu voudrais m'apprendre ? Sinon nous pouvons toujours discuter un peu… il est encore tôt, mais plus tard dans la journée, quand le port ce sera un peu vidé, nous pourrons y retourner et nous y promener davantage… ou bien naviguer. Tu as déjà pris un bateau ? Je crois savoir que… enfin que les tiens sont plus doués pour ça" Il avait bien faillir dire les elfes sans le vouloir. Ce qui aurait été contrariant.

"D'ailleurs, j'étais curieux, mais je comprendrais parfaitement que tu ne veuilles pas me le dire évidemment… Tu as fait mention de ton maître, plus tôt. Qui est-il ?" Il avait semblé important pour Dawan, or outre l'apport stratégique que pouvait représenter cette information, il restait qu'il était vampire et serval, et donc fort peu disposé à tolérer la concurrence pour l'affection d'une personne qu'il convoitait.

Il resta coi, tout du long de sa réponse, d'impassible apparence, il était pourtant, soudainement, de très mauvaise humeur, à l'intérieur. Le régent de l'ordre, rien que ça ? Eawyn Aerin… oui, ça lui disait quelque chose, ça, effectivement. Le nom lui était familier, mais il ne l'associait à aucun souvenir, pas le plus petit reliquat. Peut-être était-ce mieux qu'il ne se souvienne pas. Ainsi il pouvait détester cet elfe sans avoir à souffrir d'un quelconque avis passé. Il n'aimait absolument pas connaître l'existence de celui-là, au final… peut-être faudrait-il vraiment qu'il cesse d'exister, pour que les choses aillent mieux. C'était une hypothèse qu'il ne pouvait réellement écarter. C'était, disons, la manière la plus aisée de procéder, le faire disparaître… Non seulement il aurait le champ libre, mais, puisque Dawan serait forcément triste de sa disparition, il pourrait en plus tourner le petit elfe entièrement vers lui. Ah oui, il n'y avait pas à dire, ça avait du bon, de prévoir le trépas de quelqu'un… Mais comme il se l'était également dit, il ne se limiterait pas à cette option. C'était un peu, même s'il n'aimait pas la discipline, comme si en torturant un être, on s'en tenait à lui briser les doigts sans penser à la moindre alternative. Or, quand on montait un plan, mieux valait en avoir, des alternatives.

L'elfe reparti avec enthousiasme sur le sujet des bateaux. Il l'observa d'un œil calme, même si indéfinissable, et répondit simplement "Bien sûr, que nous pourrons" Il n'y avait aucune raison que cela ne puisse s'accomplir. Qui oserait donc refuser quoi que ce soit au général qu'il était ? Bien au contraire, les marchands ne seraient que trop heureux de complaire à ses désirs, veules créatures qu'ils étaient. Et s'il ne désirait pas subir les flatteries de ces oiseaux de proies, il pourrait toujours, éventuellement, s'adresser aux militaires de la ville. La garde devait bien posséder un navire ou deux, pour pouvoir effectuer des contrôles sur la traversée, ou les entrées de la Wylorel. Il n'y avait nulle raison pour qu'ils ne puissent pas profiter de l'eau, donc. Du moins, il n'y avait nulle raison que Dawan n'en profite pas… lui ne se sentait plus l'humeur de s'émerveiller de ce genre de futilités. Sa mauvaise humeur primait hélas. Dommage. Néanmoins, il en profita, du moins, il profita de l'état d'excitation de son vis-à-vis, pour poser quelques questions de plus sur l'ordre et son fameux maître, prêt à justifier cela de la recherche de ses souvenirs si besoin.

Ils restèrent encore un long moment à discuter, lui l'interrogeant sans insister quand il sentait que ce n'était plus indiqué, l'amadouant parfois à d'autres. Il finit par réussir à se détendre un peu, une fois encore, mais un fond amer lui restait dans la gorge et la bouche. Pas une seule fois il ne fit mention de sa contrariété, ni ne la laissa transparaître davantage. La taverne s'était progressivement remplie, et était devenue plus bruyante. Un tintamarre qu'il n'appréciait guère, mais qu'il souffrit sans émettre la moindre remarque à ce sujet. Pour autant, lorsqu'il se leva dans le but de payer ce qu'il devait, il fit très attention de ne toucher personne. Il déposa les pièces d'or directement dans la paume du tavernier, puis revint et rangea les osselets, les glissant dans sa sacoche de taille avant de lui faire signe de le suivre afin qu'ils puissent gagner la sortie. De là, ils purent retourner sur la grande place, qui, comme il l'avait prévu, était bien plus vide passé les heures de déchargement et d'achat direct. Les marchandises restantes étaient à présent dans les entrepôts, en attendant de trouver utilité et acquéreur.

Beaucoup de navires avaient été laissés à quais, surveillés par une garde vigilante. Ils repartiraient à l'assaut du fleuve un peu plus tard dans la journée, pour la seconde vague d'échanges entre les deux rives. Le vampire prit le parti de se promener d'abord simplement sur le quai, pour laisser l'opportunité à l'elfe d'admirer les lieux et les bâtiments tant navires qu'architecture. Il existait plusieurs navettes civiles entre les deux rives, ce serait, après coup, la meilleure façon de voyager sur le fleuve et cela lui permettrait de découvrir la seconde partie de la ville. Au bout d'un moment à longer le quai de la grande place et à évoluer sur les pontons de bois, il s'arrêta et s'installa sur un rivet utilisé pour l'amarrage, libre sur l'instant. Le ponton face à lui n'était pas encore occupé, et pour cause, le navire reliant les deux rives et qui l'utilisait n'était pas encore là. L'air était encore frais, en raison de la présence de l'eau non loin. L'âme de feu profita de l'instant pour analyser les navires présents à quais.

Il ne connaissait pas tous les emblèmes, mais certains lui étaient familiers. Finalement, en reportant son attention sur Dawan, il expliqua "Il existe des bateaux spécialement conçus pour transporter des passagers d'une place à l'autre, entre les deux rives. C'est de ces bateaux que l'on va prendre, ce sera mieux que ce que j'avais prévu au départ. La traversée prend entre une demi-heure et une heure car le fleuve est large en ce point-ci. Cela te laissera le temps d'en profiter à ton aise. Il y a un marché sur l'autre rive, pas du même acabit, mais ne t'étonne pas en arrivant si les lieux sont bruyants et encombrés, comme pour cette rive, il attire du monde et la ville est grande"

Le perdre, voilà qui serait fâcheux, effectivement. Et ce, à tous points de vus. L'on tombait aisément, face à cela, sur le piège des 'et si' qui ne peuvent que vous inquiéter. Et si il était découvert par la garde, et si il se perdait définitivement, et si il le faisait tomber sur des Protégés au mauvais moment… oui, beaucoup de si, trop, bien entendu. Ce n'était pas sain. Ça l'était d'autant moins que dans d'autres circonstances, il n'y aurait même pas pensé. Le mieux était d'abandonner tout de suite cette déviance pour se concentrer sur ce qu'il y avait de véritablement important. "Tu ne me perdras pas, ne t'en fait aucunement" Il pourrait se caler sur ses battements de cœur sans trop de problèmes. Ensuite, il suffirait qu'il le garde bien en tête et il pourrait le retrouver même dans une foule dense. Sans doute n'était-ce pas encore totalement au point, il n'avait encore jamais essayé cela dans une ville aussi peuplée, et dans un lieu, en particulier, aussi bondé. Il n'avait encore jamais eu à suivre un cœur de cette façon, même si l'entraînement que Lorenz lui avait imposé avait participé d'un ensemble semblable. Et il était encore jeune. Mais ça ne l'arrêterait pas et ne l'empêcherait pas de réussir, à son avis. Il n'avait jamais rien fait comme les autres, n'était-ce pas une de leurs plaisanteries, à son frère et à lui ? Il n'était et ne serait, qu'égal à lui-même…

Et lui, ce petit elfe, était-il égal à lui-même ? Quelque chose lui soufflait que oui. Ce qui laissait un monde de surprises et d'amusement, à apprendre à le connaître. Le fleuve lui manquerait ? Ah oui, ça il voulait bien le croire… Ce qui lui donnait une idée. L'eau était l'une des grandes faiblesses des Protégés. Y toucher serait donc, potentiellement, un moyen de gagner l'avantage sur le camp adverse. Comment, dans les faits, cela pouvait être accomplis, il ne le savait pas encore. Mais ça viendrait, il ne se faisait guère de soucis là-dessus… Un plan se concevait sur le long terme, et avec plus d'informations que cela. Mais des informations, il n'en obtenait pas en l'instant sur ce sujet-là mais sur un autre… Le domaine ? Il était détruit, cela Lorenz l'avait affirmé en toute vérité. Il ne lui servirait à rien d'en apprendre quoi que ce soit, il ne risquait pas de ré apparaître après tout. Pour autant, cela semblait faire plaisir à Dawan d'en parler, alors il le laissa faire. Ça ne lui coûtait qu'un peu de patience et après tout, cela valait bien l'enjeu s'il était ensuite plus prompte à parler de ce qui l'intéressait. Et puis… il avait l'air d'y tenir, à ce domaine. Pourquoi ? D'après ce qu'il en comprenait, c'était l'amour de l'endroit par ce que l'endroit avait de l'amour pour ses habitants mais… était-ce bien cela, en essence ? Le fait que ce lieu eut une aura singulière, une histoire, des secrets…

L'hypothèse d'un nouveau sanctuaire en revanche lui fit dresser l'oreille. Vraiment ? L'ordre pensait avoir trouvé un nouveau lieu adéquat ? Oui intéressant… et inquiétant, d'une certaine façon, car cela pouvait devenir un gros avantage pour les Protégés. Etrangement peut-être, il se sentait, sinon touché par la nouvelle, en tout cas remué. Mais les sentiments exacts qu'il expérimentait, il ne pouvait pas leur donner de nom. Du moins n'en trouvait-il pas sur l'instant. Mais cela pourrait parfaitement venir par la suite, il n'en doutait pas, si tant est qu'il prenne la peine de se pencher sur cela. En pratique, la question d'un nouveau sanctuaire devrait être adressée quoi qu'il arrive, mais il n'avait aucune raison de lier cela à ses émois personnels. Pourtant cela le concernait bien. Au moins à cause de Dawan. Un Dawan soudain songeur, semblait-il. Curieux. Ainsi, l'elfe n'était pas ravi d'avoir un nouveau chez lui ? Pourtant les créatures mortelles aimaient cela, à ce qu'il en savait. "Et cela ne te plait pas ?"fit-il, en se levant pour le rejoindre effectivement. Voulait-il lui confier quelque chose en toute discrétion ? Non apparemment. Feu que cet elfe lui semblait singulier, parfois. Souvent même…

Il vint s'installer près de lui, avec quelques réluctances à se poser à-même le ponton de bois usité. Lui aussi observa l'eau, mais les poissons le fuyait. Ça ne faisait rien. Il préférait l'eau aux poissons de toute façon. L'eau, comme le feu, avait quelque chose de fascinant. Quelque chose de vivant, qu'il ne pouvait que saluer. "Que tu ne vois pas ?" Détournant son regard de l'eau, il observa le jeune elfe avec attention, puis se fendit d'un sourire. "Seulement ce que la prospérité en temps de guerre peut dissimuler comme de juste" Les clivages politiques, l'enrichissement sur le dos de la misère des autres, les guerres internes, silencieuses, des marchands, avec leur lots d'injustice. Tout cela et certainement plus encore. Plus encore oui, car il y avait l'usage que l'on pouvait faire de cette prospérité. Comment oublier, fondamentalement, que les taxes prélevées sur ces commerces étaient destinées à l'armée qui anéantirait les Protégés ? Comment oublier qu'une partie des vivres nourriraient ces mêmes troupes ? Que les objets, les armes, fabriquées en ville serviraient à équiper les unités ? La façade tranquille de Caladon cachait beaucoup de choses. Mais était-ce bien le moment de songer à tout cela ? Pas à son avis.

"Nous pourrons toujours nous baigner plus tard, si tu le veux" proposa-t-il. Une fois qu'ils auraient fait leur visite, qu'est-ce qui les empêcherait de quitter un peu l'étreinte étouffante de la cité pour se trouver un coin tranquille et ombré où nager en paix. En attendant cependant, il indiqua à l'elfe que le navire approchait. Ce n'était pas un navire, en vérité, car cette appellation n'était utilisée que pour des bâtiments Lyssiens, capables de naviguer sur fleuve comme sur mer. C'était un bateau. Un bateau agréable, à fond large, avec une voilure d'un bleu doux portant l'emblème de la ville. Son pont était aménagé pour permettre aux passagers de s'installer correctement même à plusieurs. Faisant se relever Dawan, le vampire recula pour laisser les matelots amarrer le navire, le temps que les passagers descendent, puis il grimpa lui-même, lestement, pour négocier leur passage sur l'autre rive… une négociation qui, comme il l'avait prévu, ne dura pas longtemps. Ils purent bientôt s'installer, et Merithyn encouragea son compagnon déguisé à aller à la proue, pour admirer plus directement la traversée, et la façon dont le bateau fendait les flots. Ils n'eurent pas à attendre des heures avant que le bâtiment ne reparte, car d'autres humains voulaient également voyager. Bientôt, la rive s'éloigna, et ils furent entourés par l'eau du fleuve.

Sa réponse fut un simple sourire posé. L'elfe s'émerveillait surtout d'un rien, quand il y pesait, et puis, c'était lui-même qui avait émis en premier l'idée de baignade. Lui n'avait fait que la reprendre à son compte, il n'y avait guère de gloire ou d'accomplissement là-dedans. Cela étant dit, il n'allait certainement pas regretter que l'autre soit si simple à contenter. Ça rendait les choses aisées et, même s'il ne reculait pas devant la difficulté, c'était tout à fait appréciable. Il ne brillait pas particulièrement par ses compétences sociales… C'était d'ailleurs pour ça qu'il ne s'avança pas davantage sur le sujet et le laissa profiter de la traversée. Lui-même appréciait le voyage, même si naviguer n'était pas du tout dans ses habitudes. Son regard quitta Dawan, se perdant sur l'eau du fleuve, et ses pensées se remirent à tournoyer librement alors qu'il contemplait la vue sans bouger, impavide et immobile. Aurait-il eut l'optimisme de s'imaginer une fin à la guerre qu'il aurait sans doute projeté un voyage le long du fleuve, d'un bout à l'autre d'Armanda. Hélas, ce n'était pas le cas, quand bien même l'idée de découvrir le continent par ses voies d'eau lui agréait. La guerre était une vilaine chose en cela qu'elle était dure à mourir. Et celle-ci plus encore. Il doutait qu'elle ait jamais une fin et cela le lassait… il aurait aimé pouvoir s'affirmer que l'on avait moyen d'y mettre un terme, même si cela signifiait massacrer tous les Protégés. Mais non. Il ne parvenait pas à se convaincre que Vraorg se contenterait de cela…

Alors que le navire accostait sur l'autre rive, il se fit la réflexion que, pour une fois, il apprécierait qu'on le détrompe. C'était un fait rare, mais pourtant guère étonnant pour cette fois et à ce propos-là, d'après lui. Il avait beau être militaire, il n'était ni un chien de guerre, ni un belliciste. Prendre plaisir à détruire la chair et à répendre le sang lui était incompréhensible. Certes, gagner une guerre, écraser ses ennemis, cela, il en saisissait l'utilité et la pertinence, mais ce pouvait être fait en s'économisant des violences stériles et dénuées de sens. Ne tuer que ce qu'il était nécessaire de tuer. Oh il n'était pas non plus compatissant ou pacifiste. En vérité, il était simplement pratique, comme à son habitude. C'était tout simplement une question d'optimisation des actions, rien de plus… Et une guerre éternelle, ça n'avait rien d'utile ni d'efficace, bien au contraire. Les populations et les dirigeants, autant que les ressources, s'épuisaient, s'amenuisait. Un beau jour, il n'y aurait plus rien ni personne. Quelle utilité y avait-il à ça, vraiment ? Il voulait bien défier quiconque de trouver une seule réelle utilité à un conflit sans fin. Et une utilité sans possibilité de remise en cause. Ce serait certainement dur à trouver…. Parce que la logique voulait qu'un conflit ne soit jamais sans fin, justement. Le concept de conflit en lui-même avait du sens, comme celui de la Mort, mais il fallait garder certaines proportions.

Soupirant légèrement, il mit un pied sur le ponton de bois et observa l'elfe déguisé qui bondissait presque d'étale en étale, soucieux et sombre. Peut-être devrait-il en parler avec Lorenz, à l'occasion. Il n'imaginait pas que son frère pourrait agréer à ces idées, mais après tout, une surprise était toujours possible, même si parfois improbable. Peut-être verrait-il la même sagesse que lui. Peut-être était-ce ce qui manquait en ce monde… il était aisé de prendre les armes, bien moins de les abaisser ensuite. Mais quand le conflit perdait tout sens et tout effet de création, alors il fallait se rendre à l'évidence. Fronçant les sourcils, il noua les bras dans son dos, et avança à son rythme, en bordure de foule pour ne pas se laisser happer, enfoncé dans ses considérations parfois sévères. Le retour de Dawan fut donc un souffle de légèreté qui l'obligea à ne pas se perdre en conjectures. Clignant lentement des yeux, il pondéra sa demande. Une étale qu'il voulait lui montrer ? Une étale qu'il appréciait ? Oui, il y en avait sans doute une effectivement. Cela lui changerait également les idées que de pouvoir s'y arrêter un peu et observer. Parfois il valait mieux se changer les idées pour mieux revenir à la charge par la suite. Et puis il ne pouvait pas délaisser son invité sans plus d'égards ! Ce serait bien dommage.

"Oui, je pense. Viens, suis moi, tu vas voir"

Il allait aimer, sans nul doute. Hésitant un instant, il finit par lui prendre la main. Le contact ne lui était pas paisible, c'était un peu gênant, voir excessivement gênant, mais il fallait éviter qu'il ne le perde dans la foule à travers laquelle ils allaient naviguer. En fait lui tenir la main en public était réellement inconvenant à son sens, en temps normal, jamais il ne l'aurait fait. Pour cette fois, il faudrait qu'il souffre la gêne en silence. Aussi ne fit-il aucun commentaire en se dirigeant, parfois avec difficulté, au travers des badauds jusqu'à une étale en bordure de place, une échoppe devant laquelle de nombreux bourgeois se pressaient. Il en fit s'écarter certains pour que tous deux puissent avoir une bonne vue. L'étale en question était celle d'un souffleur de verre, qui exposait certaines pièces de ses créations à un public admiratif et enthousiaste. Doué dans son art, il acceptait d'officier autant pour la noblesse que pour les riches nantis de la ville d'eau, et les figures et vitraux qu'il présentait-là n'était qu'une infime partie de ce dont il était capable. Et pourtant, ces 'humbles' pièces chatoyaient dans la lumière et offraient un spectacle éblouissant aux yeux des passants.

Mieux encore, on pouvait venir le voir travailler dans son atelier. Le vampire échangea brièvement avec l'un de ses employés, puis conduisit justement Dawan à l'intérieur pour qu'il puisse bénéficier du spectacle. Il faisait très chaud, dans l'atelier, mais l'âme de feu pour sa part n'en sourcillait pas, parfaitement à l'aise avec la chaleur. Il se posta contre un mur, et invita l'elfe à faire de même pour qu'il ne craigne rien lors du travail de l'artisan humain. Celui-ci était en train de s'occuper d'une délicate sculpture aux couleurs mouvantes, en forme de dragon prenant son envol. Une création qui, ils purent l'apprendre, était destinée au temple de Vraorg, de la ville. Contrairement aux Gloriens et à leur amour des créations massives, les Calaniens aimaient la finesse et la délicatesse. Un trait qu'ils avaient probablement hérités de leur ascendance en Althaïa… du moins l'ancienne Romantique. Alors que l'artisan peinait légèrement à défaire l'accroche du verre sur la tige, Merithyn se proposa de l'aider et retira l'un de ses gants pour venir délicatement pousser le bord brûlant du verre à demi liquide, veillant à ne pas gâter l'ouvrage.

Lorsqu'il revint se poster contre le mur en enfilant son gant, il s'adressa à Dawan. "Cet homme est très connu, en théocratie. Et ses créations sont très appréciées. Du temps de la Romantique, il a travaillé pour des elfes"

Lui, ça le surprenait un peu, quand il y pensait. Pas parce que son art n’était pas suffisamment délicat pour convenir à ce peuple, effectivement, mais tout simplement parce qu’à ce qu’il en savait, les elfes étaient des créatures xénophobes et méprisantes qui refusaient de voir de la valeur dans les autres races. D’après ce qu’on lui avait appris du passé des sylvains, il était plutôt d’avis qu’ils ne verraient pas la fin du monde si elle leur tombait dessus… ce qui était peu ou prou la vérité au vu de la lenteur de leur réaction au sujet des sanctuaires de Néant. Mais il se garda bien de le dire, car il ne souhaitait pas faire de la peine à Dawan, qu’il peinait tout de même à associer à cette race-là tant sa façon de penser était étrange. Il avait plutôt l’impression de voire une créature complètement différente qui aurait pris la défroque d’un elfe à défaut d’autre chose. C’était d’ailleurs pour ça qu’il craignait davantage de l’attrister que de le vexer. Tout autre elfe se serait très certainement vexé… mais non, pas lui. Preuve encore une fois qu’il était très différent de ses congénères. Et parfois un peu trop sans doute. Qui était-ce encore que cette Silarae ? Un léger froncement de sourcil vint ponctuer l’intérieur questionnement alors qu’il tournait la tête pour observer l’apprenti chanteur, de nouveau mécontent. Décidément, il avait décidé de tester les limites de sa patience pour cette rencontre… Devait-il se méfier ? Après tout, on lui avait appris que certaines femelles humaines faisait exprès de provoquer leurs compagnons pour jauger de leurs affections, alors si Dawan différait vraiment d’un elfe il était bien possible qu’il s’amuse à ce genre de choses, non ? Si c’était le cas, alors c’était parfaitement réussit, il était de nouveau fort contrarié. Qui était-ce, cette Silarae ? Allait-il falloir qu’il prépare une campagne de guerre contre tous ses possibles rivaux ? S’il le fallait, alors il le ferait même si cela lui déplaisait profondément. Mais tout de même, pourquoi fallait-il qu’il soit si dispendieux de son affection avec les autres ? Ne pouvait-il suivre la voie de la raison et se conserver pour un petit nombre, voir pour un être unique ? Et est-ce qu’il se voyait être cet être unique ? Mais parfaitement !

Il ne fallait pas trop lui en demander. Si l’on voulait qu’il se laisse aller à un minimum de socialisation, c’était en acceptant les travers de sa personnalité et de son totem. Il était exclusif à plus d’un titre, et appréciait de voir sa propre loyauté partagée. Accepter de voir ceux qu’il appréciait se tourner vers d’autre lui était difficile. Parfois, il parvenait à s’y faire, comme pour Ambre, d’autres fois, il n’y parvenait pas et ne voulait d’ailleurs aucunement y parvenir. Dans le cas Dawan, il n’avait même pas envie de faire un seul effort en ce sens. Après tout, l’elfe n’avait-il pas, jusqu’à présent, montré une volonté de le satisfaire et de le mettre à l’aise ? Et bien il prenait simplement la logique de cette volonté, et pour être réellement satisfait et à l’aise, il avait besoin d’être exclusif. Et si cela déplaisait ? Oh mais il n’avait jamais dit qu’il le confronterait en face à face à ce propos… il allait simplement s’arranger pour parvenir à la situation qu’il désirait avoir par des chemins détournés, sans qu’il ne remarque rien de son objectif. Néanmoins, pour cette fois, il laissa couler. Tout simplement parce que répondre aurait nécessité qu’il demanda qui était Silarae, hors il ne voulait pas l’engager ainsi, contrairement au sujet de son maître baptistral. Il trouverait autrement et ensuite, pourrait travailler dessus. Tout à ses décisions et à l’observation du verre en formation, il ne vit pas plus le temps passer que ne le fit l’elfe, bien qu’il rata tout de même une partie de la beauté de ce spectacle en raison de ses ruminements et de ses conspirations silencieuses. Fort heureusement, Dawan était trop occupé pour le voir faire, ce qui l’arrangeait bien. Il ne voulait pas que le chanteur lui demande ce qu’il pouvait avoir, ou ce à quoi il pensait, parce qu’il serait forcé de mentir comme un arracheur de dents et cela lui déplairait plus encore que cette histoire de rival. Mentir n’était jamais quelque chose qu’il faisait aisément, du moins pas avec plaisir. Ce n’était qu’un mal obligatoire de plus, exactement comme servir Vraorg alors qu’il rêvait de le voir mort.

Lorsque la séance fut terminée, il se laissa entraîner dehors et cligna des yeux à la différence de température. La chaleur lui plaisait mieux, mais il n’avait pas les moyens de provoquer une canicule, hélas. Le sylvain voulait se baigner, donc. Il avait pensé attendre la soirée pour ça, mais s’il voulait… au final ça ne le dérangeait pas particulièrement. Après tout c’était lui l’invité. « Je m’en accommoderait… Vient, suis moi » Il allait falloir carrément sortir de la ville s’ils voulaient que l’elfinet retire son collier. Et il lui reprit la main, quoi qu’avec plus de distance cette fois, et navigua pour qu’ils disparaissent dans les ruelles et ce jusqu’à la sortie de la ville, ce qui leur demanda un long moment. C’est que Caladon était une grande ville, et eux avaient de petites jambes. A cheval, ça ne lui aurait pris que quelques minutes, mais là, évidemment… enfin, les choses étaient ce qu’elles étaient et on y pouvait rien. Lorsqu’enfin ils quittèrent l’ombre des dernières habitations, il bifurqua pour revenir près du fleuve et s’éloigna encore, jusqu’à être totalement hors de vue et à une saine distance, dans un bosquet ombré et agréable pour des créatures comme Dawan. Il lui avait évidemment lâché la main dès qu’ils avaient été hors du gros de la foule, mais ce ne fut qu’en s’arrêtant enfin qu’il se permit de cesser de le tenir à l’œil. Par un simple acte magique*, il s’assura des environs puis consentit à se détendre un peu, le tout ponctué d’un léger soupire. « Bien… tu peux retirer ton déguisement » Lui-même alla s’installer au bord de l’eau et s’adossa au tronc d’un arbre, à l’ombre. Il regarda le scintillement de la lumière sur l’eau du fleuve plutôt que l’elfe, ne désirant pas porter atteinte à sa pudeur. Il ne pouvait alors qu’attendre qu’il se soit décidé à plonger, car après tout, ce ne serait pas correct de sa part de le lorgner ainsi.

* [Dissimulation] Ultrasons
A l'instar d'une chauve-souris, le lanceur du sort projette des ultrasons pour savoir ce qui l'entoure, très pratique dans les bâtiments ou sur les champs de batailles. Plus le niveau magique est élevé plus la zone couverte est grande.

La proposition le surpris. Et la surprise le laissa un moment coi et perplexe. Quelque peu mal à l’aise également car il ne s’était pas vraiment imaginé qu’il devrait lui aussi se baigner. Evidemment, il avait une hygiène irréprochable au quotidien, mais ça ne voulait pas dire qu’il appréciait de se trouver humide plus que nécessaire. Hors ce n’était pas nécessaire qu’il le soit, à ce moment-là… c’était Dawan qui voulait se baigner après tout, pas lui ! D’ailleurs il ne questionnait même pas le plaisir que celui-ci pouvait trouver à la chose, cela le regardait, et il respectait ses goûts en la matière à défaut de son choix de camp (même si, là encore, il était compréhensible)… mais qu’il adopte un tel mode de pensée ne voulait absolument pas dire qu’il voulait aller patauger. L’eau n’était pas du tout son élément de prédilection, et il ne parlait pas là de magie mais bien de vie quotidienne. Il se sentait bien dans les environnements de très haute chaleur, et n’aurait pas hésité à plonger dans un bain de lave brûlante simplement pour le bonheur de ne faire qu’un avec la fournaise. La lave était compacte, lente et elle l’entourait totalement, lui faisait une couche agréable. L’eau en revanche… Ce n’était pas du tout la même chose. C’était froid, sinueux, rapide… quand on en mettait dans une vasque pour l’hygiène, ça ne lui posait pas tant de soucis, mais quand elle était profonde, rapide et froide, là ça commençait sérieusement à lui poser problème. Hors la Wylorel réunissait ces trois critères. Voguer sur ses flots n’était pas se baigner dedans…

Son regard passa rapidement sur l’elfe, puis revint sur l’eau. Non, définitivement il ne se voyait déjà pas comment il pourrait sereinement s’immerger dans une chose pareil, alors se dévêtir à côté de l’elfe en plus de cela, ce serait encore pire. Mieux valait qu’il reste sagement sur le bord et attende. Dawan saurait parfaitement se satisfaire tout seul avec cette eau, il avait parfaitement confiance en lui à ce sujet. Cela en tête, il effectua un léger signe de dénégation sans agressivité. « Non, je te remerciement mais je n’apprécie guère les bains de ce genre pour ma part. Je me satisferais si tu apprécies l’expérience, cependant, n’ait crainte » Il croisa les bras, et s’installa plus confortablement encore contre son arbre, pour appuyer ses paroles. De toute façon, même s’ils étaient seuls, le tout restait dangereux de bien des façons, mieux valait encore qu’il monte la garde et qu’il veille à ce que personne ne vienne les déranger ou les espionner. Or il ne pourrait le faire s’il était en train de souffrir d’un bain quelconque. Même si ce n’était que de l’eau, il ne fallait pas la sous-estimer. Mais ça n’avait pas à inquiéter l’elfe… enfin si tant est qu’une considération aussi matérielle puisse vraiment l’inquiéter, chose dont il doutait quelque peu. Silencieux, donc, il se mit en devoir de veiller….