--- 20 Mars ---

Il avait finalement réussit à se libérer assez longtemps pour espérer effectuer ce voyage-là. Oh loin de lui d’oublier une quelconque promesse évidemment, mais un voyage vers Gloria s’était avéré plus compliqué que prévue dans les circonstances actuelles. Il y avait eu l’opération avec Alford, puis l’entrevue avec la princesse, la destruction de Dévoreuse, l’incident diplomatique et il en passait… Rares avaient été les instants, les périodes, où il était aussi chargé. Mais il avait finalement réussit à prendre une pause lorsque de nouveaux Baptistrels étaient venus les aider. Qu’ils soient Enwr ou Cawr, ils seraient de précieux ajouts et lui permettait de pouvoir remplir un devoir qui traînait depuis quelques temps. Auphélie… la jeune Auphélie, qu’il avait rencontré à la fête d’anniversaire de Fabius Kohan et qui était muette. Il lui avait dit qu’il pouvait l’aider et le ferait à sa prochaine visite de la ville. Cela dit, entrer en ville devenait extrêmement périlleux et difficile. Surtout avec les nouvelles lois… Il risquait sa vie, comme on le lui avait répété en chœur ces derniers jours. Ses pairs, Shaynar…. Shaynar surtout en fait. Il n’appréciait absolument pas l’idée, mais lui restait déterminé. Hors de question qu’il fasse passer sa sécurité avant une patiente. C’était ainsi avec tous. Ça resterait ainsi. Il ne demandait à personne d’aller contre leurs natures, eux n’avaient pas non plus à le faire. Et puis il était certain de lui-même. Il avait fait deux nouvelles acquisitions pour l’occasion, une qui lui servirait bien, et l’autre au cas où… Il avait demandé à un Enwr humain de lui donner un peu de son sang pour le cristal de métamorphose, avait pris son apparence et dissimulé sa magie. Ses objets magiques étaient tous bien à l’abri dans ses sacoches sans fonds. Rien ne le différenciait d’un humain classique. En apparence du moins…

A présent, il regardait l’enceinte de la ville, seul et à l’abri d’un bosquet. Il avait repéré une entrée vers le labyrinthe sous la ville grâce aux vibrations et attendait simplement un autre gros afflux vers la grande porte afin de passer inaperçu. En attendant, il devait contacter la jeune femme… Discrètement, même s’il était seul et dissimulé, il fit appel à la magie baptistrale et envoya un message diffus jusqu’à Auphélie, qui vint chuchoter dans son oreille avec délicatesse, de sorte qu’elle seule puisse l’entendre. * Demoiselle Rhoe… C’est moi, Merithyn, nous nous sommes rencontrés durant l’anniversaire de l’usurpateur Fabius. Je vous avais promis de revenir pour vous rendre votre voix et me voilà. Ne sursautez pas, ne faites rien d’anormal… j’utilise la magie pour vous parler, je me trouve à l’extérieur de la ville pour le moment. Entrer est très difficile, je vais devoir user d’un passage secret encore non découvert pars les alayiens. J’ai changé d’apparence afin d’avoir l’air humain. Où désirez-vous que je vous retrouve ? Dans votre auberge ? Ailleurs ? Il nous faudrait un endroit sûr….* Après un instant, il se rendit comptes qu’il lui serait difficile de savoir comment procéder alors il reprit avec douceur. *Vous pouvez penser vos réponses, je les recevrais parfaitement, ne vous en faites pas. Si vous n’êtes pas certaine d’un lieu j’en ai un en réserve qui pourrait tout à fait nous servir. N’hésitez surtout pas. Je vais entrer au prochain flot entrant, nous avons un peu de temps. Je peux également attendre la soirée si vous préférez… * En attendant la réponse, un peu aveugle à son environnement, il s’installa dans les bras d’un bosquet touffue et soupira, serrant la veste de toile autours de lui. Il n’avait pas plus l’habitude des vêtements humains que de sa nouvelle apparence.

Mais il n’avait pas le choix, aussi attendit-il avec patience qu’elle réponde à son contact.

La réponse vint plus vite qu’il ne l’avait cru, et il se fendit d’un léger soupir de soulagement dans l’ombre de son bosquet… Se tenir à l’écoute d’un chant-nom si lointain lui était tout de même difficile, quand bien même il bénéficiait d’un avantage en la présence d’une magie opulente et généreuse. Il était heureux qu’elle réponde si promptement, ainsi il ne dépensait pas trop d’une énergie dont il aurait certainement besoin plus vite que lui-même ne pouvait l’envisager. Elle était toujours déterminée et elle avait une idée précise du lieu qu’elle souhaitait le voir rejoindre. En un bref instant, il eut toutes les connaissances nécessaires à la suite de sa route. Ne restait plus qu’à l’accomplir. * Ne vous en faites pas, j’ai conscience du danger mais à mes yeux vous êtes plus importante que lui…. Je me mettrais très bientôt en route et je vous contacterais une fois que j’aurais avancé dans le sous-terrain * Il rompit la communication à ce moment-là et patienta encore un peu avant de se draper dans la cape de brume qui le rendait presque invisible et avança dans l’ombre de la muraille, loin des regards, jusqu’à l’entrée dissimulée du labyrinthe qu’il avait repéré. Là, la protection magique était un peu moins puissante… et surtout, elle ne protégeait pas de ce qui n’était pas agressif. Petit baptistrel pacifique entre tous, il n’avait jamais été prévu que les protections Glorienne le retiennent, lui ou aucun autre des siens. Il pénétra donc à l’intérieur puis referma péniblement l’entrée… Un bref instant il resta là, à se dire qu’il était à l’intérieur de la ville. Puis avec lassitude, il se souvient qu’il était encore dans la muraille et pas de l’autre côté, et se mit en route afin de progressé.

Le lieu était sombre, puant mais très sec et froid. La seule lueur existante provenait de lui-même et de sa magie…. Cependant, il sortit de sa sacoche son orbe de lumière, et la sphère illumina à son tour les lieux sinistres. L’idée d’être enterré sous des tonnes de pierres et de métal ne lui disait rien, aussi son jeu de jambe se fit-il plus rapide. La sphère tournoyait autours de lui, découpant les formes du sol et des murs, lui donnant une idée de sa trajectoire. A l’écoute des vibrations alentours, il lui fallut plusieurs longues heures pour atteindre une quartier relativement sain et le cœur d’une cellule rebelle auprès de laquelle il se présenta. Là, il prit le temps de recontacter la jeune fille comme promis. * Demoiselle ? J’ai réussi à entrer en ville, je suis auprès d’alliés en l’instant et je vais prendre le chemin de votre auberge. Je me présenterais à l’auberge et vous y retrouverez ? Je ne serais pas très long à présent… * Il prit le temps de lui décrire à quoi il ressemblerait. Un jeune humain dans ses vingt-cinq ans, aux cheveux châtains et aux yeux gris, habillé à la mode althaïenne. Puis il coupa de nouveau la communication et une fois les articles magiques rangés dans ses sacoches, il put repartir, se mêlant cette fois à la population afin d’atteindre l’auberge. L’entrée le gratifia d’une nouvelle vague de soulagement et il soupira discrètement… Marcher dans la rue avec des alayiens était difficile. Marcher dans Gloria tout court était un véritable supplice tant il y avait de vibrations négatives en ces lieux.

Il n’avait pourtant pas le choix, aussi était-il inutile de se plaindre. Il devait faire son office. Une nouvelle fois, Shaynar grogna dans son esprit, mais il le rassura de son mieux et s’avança à l’intérieur, jusqu’à la hauteur de la jeune fille qu’il salua d’un ton enjoué, détendu. « Je suis ravi de vous revoir » affirma-t-il avant de lui proposer d’aller discuter ailleurs si c’était possible. Il ne pouvait pas mentir, et d’ailleurs il ne mentait aucunement puisqu’ils allaient effectivement discuter, ailleurs… Il la suivit donc vers la pièce au sous-sol à laquelle elle avait pensée et attendit qu’ils soient tous deux biens isolés pour sourire à nouveau. « J’espère que je ne vous importune pas trop… Allez-vous bien ? La vie n’est pas trop dure ici, avec les alayiens et leurs nouvelles lois ? » Il laissa un court silence trépasser avant de poursuivre. « Oh vous pouvez toujours penser vos réponses ne vous en faites pas. Je ne suis pas télépathe mais j’ai des moyens de les connaitre » Il l’observa attentivement. « Voulez-vous que nous procédions immédiatement ? C’est tout à fait possible bien entendu… Cela dit, pendant que je marchais dans la rue, j’ai pensé à quelque chose… » Et sa pensée le tracassait beaucoup. « Ceux qui ne vous connaissent pas ne sont pas très important, mais si vos proches et vos clients se rendent compte que, subitement, vous vous mettez à parler… ils penseront forcément à de la magie et les alayiens…. »

La suite était évidente et angoissante….

Sans doute valait-il mieux qu’il ne réponde effectivement pas à sa question au sujet de son état personnel actuel. Il n’allait pas bien, après tout et elle n’avait pas besoin de ça à l’heure actuelle. Et puis de toute façon, il aurait été très mal à l’ais et honteux d’affirmer ainsi ne pas aller bien… d’autres allaient encore moins bien que lui, non ? Mieux valait ne pas penser à son état. Et puis, il y avait plus réjouissant que cela, non ? Elle allait bientôt retrouver la voix, et elle pourrait discuter avec tous ses proches… C’était une grande nouvelle, un grand changement. C’était plus important que tous ses malheurs et ses doutes. Un moment unique dans une vie. Une petite renaissance sans doute, d’une certaine façon. Il hocha la tête alors qu’elle l’assurait que la vie Glorienne était vivable quoi que tendue ces derniers temps. C’était bon d’entendre qu’elle n’avait pas eu trop de problèmes avec les envahisseurs… Il imaginait effectivement que les nouvelles dispositions des alayiens envers l’usage de la magie et ses utilisateurs ne devaient pas faire beaucoup d’heureux. La magie était une part intégrante de la société Armandéenne. Il aurait fallu en temps normal des années, et beaucoup d’efforts, pour parvenir à faire changer les mentalités, avec un véritable travail de fond. C’était un travail de longue haleine que de convertir un peuple. Alors forcer la main de façon aussi dictatoriale ne pouvait rien apporter de bon… S’ils avaient pu être vu un seul instant comme des alliés, ils venaient de repasser au rang d’ennemis hostiles. Les Armandéens ne pouvaient guère les voir autrement quand ils condamnaient la base même de leur culture et mettait au ban un élément inclue dans tous les aspects de leur vie. Ça n’avait peut-être l’air de rien, comme ça, mais à l’échelle de la vie de tous les jours, cela pouvait vite entrainer une défection générale vers la rébellion.

Allaient-ils détruire la muraille Glorienne comme ils avaient détruit les magasins magiques ? Allaient-ils interdire l’usage de la magie dans la médecine ? Allaient-ils interdire tous les petits plus de la vie quotidienne, qui aidaient, soutenaient ? Et par quoi le remplacer, alors ? Ils avaient une technologie plus avancée mais pas assez pour rivaliser véritablement avec le prodige de la magie. La technologie était une avancée mais la magie était tout simplement au-delà de l’humain, de l’elfe et du vampire… Elle était plus que cela, plus qu’un outil. Elle baignait ce monde et provenait des Esprits créateurs. Il leur serait bien difficile de rivaliser avec cela. Non, il doutait que, même dans la situation actuelle, les mesures prises ne soient vraiment bien accueillies. Mais ce n’était peut-être qu’une question de perspective. Néanmoins, la réponse ne viendrait ni de lui ni du prêcheur, mais bien de la population humaine. Ils verraient, oui, en temps et en heures. Mais en attendant, il restait qu’utiliser de la magie dans les villes de l’empire était particulièrement déconseillé. Il fut donc ravi de la voir aussi compréhensive et d’être assuré qu’elle n’irait pas se tuer dès qu’il aurait fini de lui rendre ce qui aurait dû toujours être sien. Ce serait là une bien triste fin et par sa faute en plus… Après une telle chose, il oscillerait certainement entre s’ôter la vie et s’enfuir dans une caverne sombre, isolée et humide pour le restant de ses jours. « Bien sûr que je le suis, Demoiselle. Je ne reviens jamais sur ma parole » Il lui sourit. « Installez-vous, s’il vous plait, ce sera plus confortable » Il la laissa se poser là où elle le désirait, puis retira le collier qui maintenait l’illusion de son apparence humaine.

Immédiatement, la lueur dorée et chaude que produisait son corps se répendit dans la pièce et il se frotta les mains en retirant les gants de tissus simples qui manquaient brûler. Réduisant la chaleur à son minimum, il s’avança vers la jeune femme. « Surtout, restez détendue, ne bougez pas, même si cela fait un peu mal, même si cela gratte… attendez que j’ai fini » Il ne voulait pas qu’elle se brûle elle aussi au dernier degrés. Lentement, il éleva une main pour la poser sur sa gorge, tandis qu’il ne se concentrait plus que sur ses vibrations corporelles. En quelques instants il absorba son chant-nom et trouva la partie de notes qui l’intéressait. Lentement, il se mit à chanter. Doucement, calmement, lentement. Il se refusait à aller trop vite et à risquer quoi que ce soit. Avec toute la délicatesse dont il était capable, il se mit à travailler sur le corps de la jeune femme, éveillant lentement les cordes vocales. Lentement, il rectifia chaque erreur que la nature et le temps avaient apposée sur la jeune femme… C’était un travail difficile et de longue haleine. Un travail de minutie, pareil à celui qu’il avait effectué sur Lorenz pour son âme. La moindre erreur ou précipitation serait terrible, aussi soignait-il chaque détail avec beaucoup d’attention. Cela chauffait, comme il l’avait prédit, cela grattait également… ce n’était nullement agréable. Pourtant, lorsqu’il en eu finit, qu’il cessa de chanter sa douce mélopée, elle ne sentit plus rien. Il s’assura encore une fois d’avoir bien guérit ce qu’il fallait puis soupira et hocha la tête. « C’est fait, vous pouvez bouger maintenant… essayer de parler ? » Il sortit de sa sacoche de taille une petite décoction qui adoucissait en générale lors des angines et des rhumes. « Attendez, tenez buvez ceci, ça vous aidera un peu… »

Les sentiments de la jeune femme le frappèrent de plein fouet, au travers des vibrations qu’elle dégageait autant que par son expression, la lueur de ses yeux… Il sourit en entendant sa petite voix le remercier, trouvant infiniment plus beau ce son purement physique que celui qu’il avait entendu au travers des vibrations de son chant-nom. Oh ! Pas que celui-ci fut laid, il n’avait nullement dit cela. Mais c’était différent. Et sans doute était-elle du même avis. C’était différent de pouvoir formuler des mots et de s’entendre les prononcer. Son premier mot…. C’était comme une petite renaissance pour elle, non ? D’avoir enfin la possibilité de parler. Il était touché de pouvoir assister à cela et encore plus qu’elle lui dédie son premier mot. C’était dans des instants comme celui-ci qu’il comprenait qu’il avait fait le bon choix. Il hocha doucement la tête en l’observant, rayonnant d’affection sincère. C’était beau. Très beau. Pourtant, il fut surpris lorsqu’elle se leva subitement pour venir le serrer dans ses bras. Ouvrant de grands yeux, il descendit précipitamment sa température corporelle pour éviter qu’elle ne finisse brûlée et resta un instant interdit… Voilà deux fois qu’on le serrait ainsi en moins de dix jours. Plus qu’en plusieurs années. C’était déroutant comme sensation et encore plus comme constatation. Puis il rougit légèrement et retourna l’étreinte, un peu gauche dans sa façon de faire, mais non moins sincère. Si elle était contente alors lui l’était également.

Il la relâcha quand elle recula et l’observa de nouveau, d’un œil pétillant doucement. A ses yeux, elle était très belle, en un tel instant. Belle dans son soulagement et sa joie. Belle dans sa découverte. Il aurait sans doute pu l’observer pour le restant de la journée et bien davantage, mais ce n’était guère possible. Les pensées qui s’imprimaient dans son chant-nom, à mesure que les minutes passaient, le firent finalement rire un peu, mais sans méchanceté. « Oh allons » fit-il, avec un air un brin réprobateur « Je ne vous demande rien en retour. Vous voir vous épanouir et user de votre voix me suffit amplement. Rien ne pourrait me faire davantage plaisir » C’était la pure vérité. Rien ne pourrait lui faire plus plaisir, car cela allégeait un peu sa propre peine et ses propres doutes, le poids qu’il portait. Soupirant doucement, il observa les environs. « Bien, voilà qui est fait… Je ne peux pas repartir immédiatement hélas. Mais peut-être accepterez-vous de m’héberger quelques temps ? Je paierais comme n’importe quel client ne vous en faites pas. Il va falloir que je prépare ma sortie de la ville, et puis cela me permettra de vous suivrez un petit peu entre temps, et de vous aider au besoin… On ne sait jamais, les premiers jours seront forcément un peu étrange »

Il se massa légèrement la nuque, un peu gêné. « Je porterais mon déguisement, normalement tout ira parfaitement bien. Il ne faut juste pas qu’un alayien m’approche de trop près. Tant que ça n’arrivera pas, alors tout ira bien »

Bon, elle avait de toute évidence une autre idée en tête que celle de le laisser rester simplement comme un client. Oui, mais laquelle alors ? Il l’observa alors qu’elle tentait à nouveau de faire marcher ses cordes vocales. Il était curieux et avait envie d’épier son chant-nom pour savoir, au fur et à mesure, les pensées qu’elle égrenait de seconde en second. Cependant, ce n’était pas très courtois et puisque désormais elle pouvait parler, il s’en abstiendrait. D’ailleurs celle-ci tentait de nouveau de communiquer, comme quoi rester sage avait été la bonne solution ! Il écouta avec attention, une fois de plus. Ce n’était certes pas souvent qu’il était distrait, quel que soit son interlocuteur mais pour cette fois, il déployait des trésors de patience et de concentration plus grands encore. Il hocha la tête alors qu’elle émettait un premier mot et attendit la suite. Le second mot, tandis qu’elle se levait, lui fit hocher la tête une nouvelle fois et il la suivit sans soucis, même si le mot le laissa un peu surpris et interrogateur. La seule personne qui le tutoyait en général c’était Lorenz, personne d’autre ne semblait vouloir se le permettre… et lui-même ne se le permettait pas. Il était bien trop tenu aux codes de politesse elfique et diplomatique pour cela. Dans le doute d’un quelconque échange de ce genre, mieux valait être trop poli que pas assez. Cela dit, il trouvait rafraichissant qu’elle le fasse avec tant de simplicité, sans même avoir l’air de penser vraiment à ce ton qu’elle adoptait. Oui rafraichissant. C’était pour ça qu’interagir avec des individus du peuple lui manquait, à lui qui nageait dans la haute politique depuis des années… Il n’en était pas issu et des rapports simples étaient ce qu’il avait connu dans sa jeunesse, ce qu’il appréciait. Il aurait voulu, sans aucun doute, pouvoir se comporter ‘normalement’ avec ses autres contacts… Lorenz, Korentin… Il aurait voulu pouvoir aussi les tutoyer, tout simplement, passer cette barrière de convenances. Mais tant pis, au moins y avaient-ils encore des êtres qui l’abordait sans pompe.

Ils furent rapidement en haut et il prit la clef qu’elle lui tendait. Il regarda la pièce dans laquelle elle l’avait conduit, examinant les alentours avec curiosité. La pièce… respirait d’elle. Emplie du chant de sa vie et de ses habitudes, de milles petites scénettes dans lesquels il pouvait se plonger. Les échos d’une vie simple mais bien remplie, avec ses hauts et ses bas, sans aucun doute. Revenant à elle, lorsqu’elle le questionna, il sourit simplement. « Oui, bien entendu, je vous remercie beaucoup…. Même si cela me gêne de vous chasser de vos appartements » Il fallait quand même qu’il le dise, ça le soulageait quelque peu. Cependant, il ne s’attarda pas là-dessus immédiatement. Fronçant sensiblement les sourcils, il s’approcha un peu et l’invita à s’asseoir sur le lit un instant. L’examinant par magie, il se détendit. « Et bien… vous avez un système vocal bien plus fort que beaucoup d’êtres humains, et je n’y suis pour rien. Mais ne vous forcez pas trop » Il se déplaça légèrement « Le mieux est de chauffer vos cordes vocales, avant de pratiquer. Ce que vous pouvez faire, même quand nous ne travaillons pas ensembles, c’est de produire des sons simples, des ‘hm’ ou des airs simples un peu comme de petites chansons sans paroles, juste de quoi faire travailler continuellement. Buvez aussi du thé ou des choses chaudes. Et je vous préparerez des extraits et des potions pour vous aider également » D’ailleurs, cela lui faisait penser à une autre chose. Il y réfléchit un instant puis poursuivit. « Je peux trouver la plupart des plantes chez n’importe quel apothicaire sans le moindre problème, mais pour les potions je devrais contacter des membres de la rébellion pour qu’ils m’en fournissent… »

Et ce de façon régulière, ou alors tout d’un coup, à voir. « D’ailleurs, je viens d’y penser mais, si cela vous agrée, je préviendrais la rébellion à votre sujet et je demanderais à ce en poste à Gloria de vous prêter assistance si vous avez besoin de quoi que ce soit. Si vous deviez avoir le moindre problème, n’hésitez surtout pas »

Pourquoi la rébellion… Voilà qu’elle mettait le doigt sur le problème existentiel qui le taraudait depuis le début de son engagement auprès de Korentin Kohan. C’était là la question que bien des individus avaient dû se poser, au moins une fois. Pourquoi la rébellion ? Pourquoi prendre parti pour eux ? Pourquoi mettre sa vie en danger, pourquoi, parfois, quitter tout ce que l’on connaissait, abandonner sa maison et ses biens, pour rejoindre une cause semblant perdue d’avance ? Pourquoi défier le roi en place ? Pourquoi… et bien pourquoi beaucoup de choses, en vérité, toutes liées les unes aux autres. Il l’observa un instant, cherchant ses mots. Pas qu’il soit réellement pris de court ou incapable de répondre, mais il cherchait tout simplement comment il pouvait formuler les choses. Ce n’était pas si simple. Il lui fallait être objectif, il fallait qu’il puisse exposer des faits sans chercher à lui faire prendre parti… C’était presque plus simple d’entretenir le débat et la controverse avec quelqu’un d’engagé, car cette personne avait déjà un doigt dans l’engrenage, ce qui n’était pas le cas d’Auphélie, et la jeune fille représentait ici une sorte de camp neutre… de camp simple, de ceux voulant simplement vivre leurs vies. « Et bien… » Il croisa les mains sur ses jambes, jouant distraitement avec le tissu de son pantalon. « Il n’y a pas de réponse universelle. La rébellion a débuté le jour où Fabius Kohan a ouvert les portes de Gloria aux Alayiens, en trahissant ainsi les glacernois venus les aider. Tout d’abord, les nordiques, les glacernois donc, ont refusés cette alliance avec les envahisseurs. Puis, ils ont appris la mort de Gregorist Kohan et les évènements troublants qui l’entouraient. Ils refusaient de croire que Korentin Kohan avait tué son cousin. Combiné à ce qui était arrivée devant la capitale, ils ont décidés de déclarer l’indépendance de leur ville et ont renouvelé les vœux de guerre contre les alayiens » C’était les prémices, jusque-là.

« Lorsque Korentin Kohan les a rejoint, et a divulgué la vérité sur ce qui s’était passé, le mouvement a pris de l’ampleur. Les Althaïens se sont officieusement rangés, à nos côtés, tout comme les Lyssiens et de nombreux déserteurs de l’armée impériale et des habitants de la ville d’Aldaria. Korentin n’a pas tué son cousin, il est innocent. C’est Fabius, le tueur. Fabius qui a ensuite fait accuser Korentin, pour lui prendre le trône… » Il s’interrompit en cessant de triturer la fabrique sous ses doigts. « Voilà en ce qui concerne les humains en eux-mêmes. Mais ce dont vous n’avez certainement pas entendu parler, c’est du reste. Deux mois après l’arrivée des Alayiens, j’ai appelé à la tenue d’une réunion extraordinaire sur les terres de mon ordre, au cœur des bois elfiques, afin de discuter d’une union entre les races, afin de repousser les envahisseurs qui menaçaient la magie du continent. Il avait été décidé, et ce sans que nous sachions que Gregorist était mort entre temps, que les elfes, les vampires, les humains et les dragons, s’uniraient. Cette promesse, Korentin Kohan l’a tenue et a signé le traité liant les grands dirigeants de chaque race, dans leur lutte contre Néant. Et comme défaire Néant allait de pair avec le combat de Korentin pour retrouver son trône, nous avons donc décidé de l’aider en cela également » Il sourit « Voilà l’histoire de la création de la rébellion. Nous combattons avant tout pour défaire les Alayiens et supprimer la menace qu’ils font peser sur nous. Si encore ils étaient pacifistes et ne souhaitaient pas imposer leurs idéaux eu reste du monde…. Mais c’est hélas le cas, et mon peuple, les vampires, et les dragons, sont menacés d’extinction à cause d’eux… »

Il soupira « Mon ordre est neutre et pacifiste, en règle générale. Mais c’est moi qui suis à l’origine de cette alliance, je me dois de la suivre et de la soutenir jusqu’au bout. De plus, je ne peux ignorer le chaos et la mort que souhaitent répendre les alayiens » Baissant un peu la tête, gêné, il poursuivit. « S’il ne s’était agis que de politique humaine, je ne me serais pas impliqué. Si l’on exclue l’alliance avec l’ordre d’obsidienne et ce qui en découle, je ne peux pas résolument affirmer que Fabius Kohan est un mauvais roi. Ce qui relève de la politique interne d’une race ne nous regarde normalement pas. Mais en l’état… malheureusement, il nous faut nous en mêler. Et même si Fabius n’est pas un mauvais roi, même s’il est roi… est-il véritablement au-dessus de toute justice ? Un meurtrier ne devrait-il pas payé, qu’il soit roi ou mendiant ? Plus encore lorsqu’il s’agit d’un parricide ? Je n’en suis pas certain. Sans doute, si nous gagnons, aurais-je l’office de la défense, en tant que Baptistrel. Je ne m’y déroberais d’ailleurs pas. Et alors, je serais le plus objectif possible, car condamner entièrement un individu sur la base d’un seul acte ne m’apparaît pas comme une bonne chose. Cependant, jusque-là, je veux avant tout assurer un avenir à ma race, et à mon monde… Voilà… pourquoi j’ai rejoint la rébellion » Il haussa les épaules « Chaque rebelle a une histoire bien à lui… j’espère que j’ai pu vous informer correctement, du moins. Avez-vous la moindre question ? »