Le voyage avait été long au travers de l'empire des Humains. Et quitter Lyssa fut une réjouissance. Mettre une distance et presque un empire entre elle et ce traître de dragonnier ne suffirait pas pour calmer l'ardente vengeance qui coulait dans ses veines à son égard. Non, ni la distance ni le temps. Et c'est à pas actif que la vampiresse quitta la ville engloutie sans le moindre signe de tête pour regarder en arrière. Libre, et en avant pour redresser la barre du navire vampirique qui prenait l'eau de toute part. En fuite avec une armée diminuée, amputée et un prince qui apparemment avait retrouver ses vieilles habitudes d'homme sous l'emprise de la magie de cette esclave ensorceleuse. Le naufrage était pour bientôt. Et sûrement avec les même conséquences que la ville humaine. Et ça la vampiresse ne l'accepterait pas. Tout générale qu'elle était. C'était aujourd'hui qu'il fallait prouver la gloire et la force des vampires. Et pas se couvrir de ridicule et pire encore, diviser son peuple. Une telle chose serait la fin des vampires, de leur puissance. Une humaine avec un bébé auprès de son prince, et ensuite quoi un elfe de compagnie et un conseiller alayen. Non, mais il suffisait de les tourner en ridicule. Il ne manquait plus que Wallam vienne demander pardon et que son Prince l'accepte comme capitaine de sa garde pour que la vampiresse se taille elle même ses veines et qu'elle immacule de son sang n'importe quel sol !

Son pas, sa hargne, sa vengeance et sa détermination la guidèrent très vite à Aigue. Elle avait ses affaires à reprendre et les dernières nouvelles sur le lieu où pouvait se trouver Lorenz à établir. Car cela restait encore une zone bien vague, même si elle faisait suffisamment à ses connaissances d'éclaireuse pour ne par tarder à retrouver la piste de vampires qui cherchaient à se fondre dans la nature. Elle restera pas plus d'une journée à peine, le temps de repartir un peu plus à l'est. Le temps de jouer les généraux absorbant les dernières nouvelles à offrir par la suite à son peuple. De prendre un repas consistant et de seller sa monture vampirique et elle serait enfin loin de cette ville souterraine de malheur, trop ancrée dans la tête de ce dragonnier, tête qui un jour roulerait à ses bottes. Et le temps de faire une rencontre surprenante.

Norwen arpentait les galeries de la rébellion à la recherche d'un vampire assez peu frileux de lui donner les dernières nouvelles de ce camp décrépit. Au pire, elle parviendrait bien à le faire parler en usant que quelques forces que se soit. En toute discrétion, puis qu'importe les conséquences, elle ne faisait plus parti de la rébellion. Si elle pouvait en égorger un ou deux avant de partir, ça libérait sa frustration. Comme cet imbécile d'humain qui la croissait avec son air arrogant et supérieur, un capitaine de l'armée humaine dans ses souvenirs. Lui elle ferait bien son corps gémir à ses pieds et son sang juteux dans sa bouche. Rien ne lui ferait plus plaisir que de le voir au sol la supplier, son dernier regard avant de sombrer vers une mort certaine. Oh oui un réel bonheur. Rien que cette idée l'enjouait pour la journée. Et très bientôt, elle pourrait le faire avec la petit humain et son marmot. Et cette idée la faisait encore plus jubiler.

La générale vampirique continua sa recherche quand elle tomba sur une elfette dans une des nombreuses galeries de cette taupière. La jeune grandes oreilles était dans un coin entrain de tenter d'ensorceler une pierre. Elle n'avait que ça à faire, eh bien elle en avait du travail. Mais très vite elle comprit pourquoi quand la pierre alla se jauger au plafond, voyant mais tenant fermement, elle ne tomberait pas sur le premier venu. Banal sort. Futilité. Même si fallait que jeunesse se perde. Norwen leva les yeux aux ciel, dépiter par une telle chose. Mais la pierre tomba sur le premier venu laissant une goutte de sang, puis deux, puis un filet se répandre sur l'humain qui passait par là ne comprenant pas ce qui lui arrivait. L'elfe ne semblait pas satisfaite et les yeux vers le plafond semblait calculer ou marmonner des mots que la vampire ne pouvait comprendre. De l'elfique. Langue horrible à écouter.

« - Si je reçois ne serait-ce qu'un cailloux je saurai faute à qui gamine ! Tu cherches à éliminer les humains ? »

Si oui, elle pourrait servir dans l'armée vampirique. Après tout Lorenz a une humaine, un bébé et un chanteur qui l'accompagnait.

Profondément plongée dans ses pensées, Enetari observa avec attention la pierre qu’elle avait devant elle, cherchant qu’en faire. Enfin, si, elle savait plus ou moins quel rôle devait remplir ce gros caillou, mais restait à savoir comment. Fin aout était déjà là et la jeune fille voyait le temps défiler à toute vitesse, pourtant chaque journée paraissait démesurément longue. Aussi s’était-elle fixé un but tout simple : travailler sa magie tout en cherchant comment faire de chaque objet du quotidien une arme. Après tout, elle ne resterait pas ici indéfiniment, c’était certain, et le jour où elle partirait, seule et l’âme aventureuse, elle rencontrerait sans doute moult dangers. Et n’aurait peut-être pas toujours la possibilité de se défendre avec des armes. Sa principale force reposait, de toute facon, sur la magie. Cette dernière la fascinait réellement, et elle ne pouvait s’empêcher de vouloir aller plus loin. Pourquoi un sortilège s’arrêtait-il comme il le faisait et pas d’une autre façon ? Pourquoi devait-elle balayer l’air de la main pour le sort de glissade, et pas plutôt tourner en rond pendant trois secondes et demi précisément ? Pourquoi les champignons étaient-ils violets et non multicolores, gris, noir ou verts à pois rouges ? Pourquoi invoquer une vipère et non un scorpion ? Tout cela l’intriguait réellement, d’autant qu’elle était fermement décidée à tenter de combiner à la fois cet art avec quelque chose de plus concret. Elle voulait explorer ce qu’offrait la magie dans sa totalité, lui découvrir des formes inattendues, la manier à sa guise. Et elle avait toute la vie devant elle. Or une vie elfique était… longue. Abandonnant sa pierre quelques instants avec un hochement d’épaules, la petite elfe commença par chanter afin de creuser une petite cavité dans le plafond, juste assez profonde pour y glisser son objet de convoitise. Si elle arrivait à faire ce qu’elle voulait, cela pourrait peut-être servir à piéger des passages. Ceci fait, elle attrapa une pierre avant de polir la première roche ayant retenu son attention, en aiguisant un côté afin de le rendre tranchant. Cela lui prit un peu plus de temps que prévu, mais qu’importe, elle n’était pas pressée. Le travail fait, elle tendit la main vers elle, paume tendue, avant de l’installer au plafond par la télékinésie. Bien. Le piège n’était pas terminé, le but était de disposer une rune de silence juste avant suivie quelques champignons explosifs et, là, de lâcher la pierre. Néanmoins pour cela elle devait vérifier le bon fonctionnement de ce dernier point et pour cela… Rien de mieux qu’un humain qui passait justement dans le coin. Après quelques tentatives qui ratèrent leur cible, Enetari parvint à faire atteindre son but et la roche atterrit sur le crâne du cobaye, qui resta un instant les yeux écarquillés avant de s’effondrer, assommé.

-Pas mal, pas mal… Restes à évaluer la pierre en fonction du gabarit et de la race.

Se parlant à elle-même, elle récupéra l’objet de son attention taché de sang avant de lever les yeux vers l’origine de la voix qui lui parlait. Dévisageant un instant la silhouette féline, Enetari se mordilla une lèvre avant de sourire largement devant la question de la vampiresse. Décidément, les buveurs de sang étaient étranges. Après l’étrange réaction d’Ylan, une nouvelle venue qui cherchait visiblement à l’embrigader. Pourtant, ils étaient censés ne pas s’aimer, entre elfes et vampires… Se décidant à lui répondre, elle abandonna l’elfique pour la langue commune, s’approchant en enjambant sans gêne le corps inanimé du malheureux. De toute facon, il n’allait pas se réveiller avant un moment.

-Et bien, ils ne me manqueraient pas beaucoup, mais je ne vais pas perdre mon temps à tous les assommer un à un. Et puis c’est votre travail, cela, pas le mien !

La demoiselle fronça le nez avec effronterie avant de planter les poings sur les hanches, une lueur malicieuse dans le regard et un grand sourire dessiné sur le visage.

-Vous ne voudriez pas être cobaye pour représenter votre race, par hasard ? Non ? Bon, tant pis, je trouverais quelqu’un d’autre.

Faisant elle-même la réponse déduite de la tête qu’affichait la mystérieuse vampiresse, Enetari l’observa un instant en silence, profondément concentrée, avant de s’écarte d’un pas et de pointer d’un doigt désinvolte l’humain à terre. Après tout, elle n’avait que faire de lui ni de la vampiresse, mais si la seconde voulait emmener le premier ailleurs, cela l’arrangeait presque. Elle pourrait trouver quelqu’un d’autre pour passer dans le coin, quoi que cette galerie ne fût guère fréquentée.

-Le voulez-vous ? Je n’en ai plus l’utilité, je vous laisse si vous le souhaitez.

Elle avait encore du travail, après tout !

Norwen observa la jeune elfe de son regard clair et impassible.Elle était sérieuse ou encore un coup à l'envers de ces mangeurs de salades ? Avec eux, il fallait se méfier. Plus rien ne tournait rond dans leur esprit depuis qu'ils avaient quitté leur foret.

« -Ai-je la tête de servir d'une de vos cobayes ? Mais je puis t'en trouver. Non, pas qu'aider une elfe me satisferait. Mais la perspective de voir un de ces abrutis à la botte du traître dragonnier me rendrait un petit plaisir. »

Un grand même mais chaque chose en son temps. Pour l'heure, il y avait un empire en fuite et déconstruit à remettre sur le droit chemin et pas le temps de faire mumuse avec les nouveaux protégés de Sieur Achroma le brave défenseur des humains et des elfes. Norwen refusa donc la proposition avec une fausse politesse bien audible au commun des mortels ayant un brin de jugeote, ce qui semblait être le cas de la gamine.

« -Ce ne serait pas avec grand déplaisir, mais une telle disparition va demander bien trop à faire et le temps me manque. »

Et même si sous peu la bague de la rébellion ne serait qu'un lointain souvenir pour l'heure, elle était gage de sa sortie d'ici et Norwen ne comptait pas le faire dans un fracas. Le voyage et la bataille l'avait tout de même vidé de son énergie et devoir fuir face à des rebelles à cran n'était pas dans ses plans. Puis chasser le cadavre d'un autre, non merci, la générale avait des choix de proies un peu plus attrayantes que ce mollasson au sol mis à mal par une gamine aux longues oreilles et une pierre ; Un sang qui devait avoir la fraîcheur de l'intelligence de ce bougre.

« -Si je puis me permettre jeune elfe, je n'ai jamais vu une de ta race mettre tant à l’œuvre pour tenter de nuire à autrui. Est-ce l'attaque de l'aube sanglante qui t'amène à devenir aussi créative et radical qu'un vampire ou bien serais-tu une créature de la nuit dans le corps d'une plante à grandes oreilles ? »

Et s'il n'y avait que cela, elle ferait une bonne recrue. Même si la vie ou bien Vie avait décidé de forger la nouvelle jeunesse elfique à naître, vivre et mourir elfe. Pauvre d'eux. Une chance de moins de s'élever dans ce monde. Mais la magie fonctionnait à l'envers en ce moment, entre une bague détruite boosteuse de magie, Néant faisant des caprices, les Esprits rasant des villes, avec un peu de chance les elfes ne seraient plus immunisés un beau matin.

« -Sans intérêt pour la vie d'autrui, voilà ce qui a de quoi me surprendre et crois moi gamine il en faut beaucoup. »

Et habituellement bien plus qu'une elfette en goguette cherchant à faire un massacre à la pierre. Oui, il y avait de quoi se poser des questions, même pour Norwen. Mais l'attitude de la blondinette elfique avait de quoi surprendre, même un vampire tel que la générale. Les elfes pacifistes, vénérant la paix comme le seul symbole de la vie, entourés de la faune et de la flore, à les embellir par des chants et autres fioritures elfiques. En rien violence et torture. Sauf peut être en ce qui concerne leur général elfique mais ça c'était un cas à part. Ces protecteurs de la nature qui ont toujours vécu en harmonie avec elle, la protégeant même au besoin n'avait rien de cruels chats jouant avec une souris. Alors cette gamine avait de quoi détonné et attiré l'étonnement. La nouvelle génération d'elfe était un brin plus violent ? Les vampires avaient de quoi s’inquiéter. Et Norwen encore plus sachant que son dirigeant batifolait avec une humaine et protégeait un chanteur à grande oreille. Oui tout partait en l'air dans ce monde. Le sacré de la vie était ici bien mis à mal, et l'homme au sol le prouvait.

Le traitre dragonnier ? Tiens, elle était marrante cette vampire. De qui parlait-elle donc ? Peut-être simplement un être dans son esprit. Après tout pour être buveur de sang, il fallait passer par l’étape « décès » de ce qu’en savait la jeune elfe, et ces morts-vivants devaient bien avoir quelques séquelles de leur moment de vide. Toutefois elle était gentille, de vouloir ainsi aider la petit Terendul. Cette dernière hocha la tête, pensive, détaillant plus attentivement l’inconnue. Elle n’avait rien de spécial finalement. Un vampire de plus qu’elle rencontrait, ils semblaient tous se ressembler. Et étonnement, et contrairement à ce que l’on lui avait dit, aucun n’avait représenté le moindre danger pour elle. Etaient-ils des incompris ? Moui, après tout en tant qu’êtres inférieurs aux sylvains, il était bien normal que ces derniers ne les connaissent pas tout à fait. Espiègle, elle pencha la tête vers le visage pâle qui lui faisait face, plaisantant sans pouvoir s’en empêcher.

-Ce dragonnier a donc des bottes si affreuses que vous les détestiez ainsi ? Tranchez-lui les pieds, le problème sera réglé. Vous m’aideriez, vraiment ? C’est très aimable à vous, hum, j’apprécie. J’aurais dû en mettre un de côté la dernière fois.

Fronçant les sourcils, visiblement ennuyée, Enetari remit distraitement en place une mèche blanche qui lui tombait devant le visage. Le problème de ses expériences était qu’elle peinait à trouver des cobayes sur lesquels les expérimenter. Entre le départ des vampires et le peu de naissance des elfes, il était bien difficile de capturer l’un ou l’autre, d’autant qu’une disparition ne passait pas toujours inaperçue ; et c’était sans compter la capacité de résistance de chaque race. Mais l’elfette s’ennuyait. Son apprentissage en magie n’avançait guère, ce qui était incroyablement frustrant. Elle sentait sa puissance, la frôlait, mais certains sorts lui restaient inaccessibles. Bien sûr elle était jeune, elle avait le temps d’apprendre, mais malgré tout… La patience n’était pas toujours l’une de ses qualités. Heureusement, elle passait régulièrement du temps avec Luna. Les deux adolescentes trouvaient toujours un endroit, un moment pour un furtif baiser et quelques câlins, le reste du temps elles se montraient aux yeux du monde comme de simples amies. Mais entre le fait qu’elles soient de même sexe et que leurs races soient si différentes, qui aurait imaginé qu’il en soit autrement ? Matis et Dawan conservaient avec soin leur petit secret, mais ils n’en avaient de toute façon pas le choix s’ils voulaient protéger la petite citrouille de la famille Terendul. Quant à Enetari, elle gardait soigneusement cela pour elle, connaissant l’estime que ses parents portaient à la race humaine. Elle savait pertinemment qu’ils voulaient la voir épouser un noble de sa race. Quelle bêtise, quel ennui…
Reportant son attention sur l’homme assommé devant elle et la vampiresse qui lui faisait face, la petite blonde sourit de toutes ses dents en entendant le refus polis contre lequel elle s’opposa. Susurrant avec autant d’hypocrisie que son interlocutrice, elle secoua doucement la tête, l’air navré.

-Oh, je comprends, gente dame, je ne souhaite pas vous retarder dans vos pérégrinations. Elle garda un instant le silence avant d’ajouter, carnassière : et puis, rien ne vaut le plaisir de la chasse, n’est-il pas ?

A dire vrai, la demoiselle n’aimait même que cela. Attraper des individus pour les garder, les observer, était bien plus passionnant que de les vider de leur sang. Beurk. Autant la couleur de ce liquide vital pouvait être superbe, autant son odeur, son goût même, sa texture étaient répugnants. Non, elle voulait bien chasser mais elle laissait le reste à l’inconnue, laquelle semblait d’ailleurs s’interroger. Allons bon… Perplexe un instant, la jeune fille haussa les épaules avant de s’appuyer contre la galerie.

-Il s’appelle autrui ? Je ne lui ai pas demandé, railla-t-elle avec une mimique mutine. Mais franchement, vous êtes vexante. J’ai beaucoup d’estime pour toutes les vies qui soient, je trouve ça fascinant d’observer leur fonctionnement, leurs limites. Vous vous contentez de leur sucer le sang sans même y prêter attention, moi je… je leur porte de l’attention et cherche à les comprendre. Je ne doute pas qu’ils soient honorés de me… et bien… m’aider à comprendre le monde ?

Soupirant, Enetari se cala plus confortablement, préférant s’assoir en croisant les jambes devant elle, tout près du mystérieux Autrui. De toute façon, il lui fallait bien un nom, encore que lorsqu’il se réveillerait il n’aurait qu’à récupérer le sien. Mais à ce moment-là, la jeune fille serait déjà partie.

-Dites-moi, buveuse de sang, pourquoi songez-vous que tous les miens sont à l’identique ? Nos aînés ont certes tendance à se confondre les uns dans les autres, imbriqués qu’ils le sont dans leurs us et coutumes, mais cela ne nous empêche pas d’avoir chacun nos esprits. Est-ce donc difficile à comprendre ?

Récupérant sa pierre en la faisant se déplacer par magie jusqu'à portée de main, la jeune fille la posa sagement contre sa cuisse, le visage innocent et fixant avec acuité la vampiresse face à elle. Cela la faisait ressembler à Nómin sans même qu’elle en ait conscience, perdant les étincelles de son regard de perle et figeant ses traits en un masque impassible. Toutefois, sa gravité se fendilla rapidement lorsqu'un nouveau sourire se dessina sur ses lèvres roses.

-Et vous, êtes-vous aussi autrui ou préférez-vous un autre nom ?

Norwen ne pouvait que détailler intriguer cette elfette. Sa façon de te tenir bien moins stricte et rigide, sa façon de parler et de faire qui différait des siens. Curieux personnage. Elle avait au moins le don de l'étonner. Ce qui se faisait rare. Mais surtout l'envie de continuer de lui parler sans forcément avoir envie de lui planter sa dague dans le cœur. Ce qui était encore bien plus rare, surtout en ce moment.

« -Vous avons une façon bien naïve d'aborder le monde, naïve et pourtant tellement juste et simple. Je tenterai de repenser à votre suggestion le moment venu. Et bien sûre que je tenterai de vous aider. Pour ce genre d'initiative, je ne peux le refuser. Surtout à une elfe si...particulière. »

Et venant de sa bouche cela relevait du compliment. Dommage qu'elle ne puisse devenir vampire. Les elfes avaient cette tendance à vraiment faire enrager les vampires. Arriver à modifier leur sang pour devenir immunisé, il n'y avait pas pareille idée.

« -En effet, rien ne vaut le plaisir de chasser soit même ses proies. Mais vous ne semblez pas en reste quand à ce genre de pratique. Vous chassez vos proies à votre façon, n'est-il pas ? Il n'y a nul vexation à avoir, juste un point de vue différent. Tout comme, certains d'entre nous ne sautent pas seulement à la gorge pour s'abreuver de sang. Beaucoup aime à comprendre, à tester, à jauger sa proie avant de le laisser rejoindre l'esprit de la mort. Ce sera à vous de demander à vos proies si elle se trouve honorer de pareilles recherches. »

A l'exemple de la générale, qui aimait choisir ses proies. Des hommes généralement, qui se voyaient forts et virils, dominant le monde du bout de leur épée ou poing. Elle aimait plus que tout les voir se tordre à ses pieds la suppliant de les épargner, cette lueur d'espoir vain dans leur yeux. Et entendre leur dernier souffle, ce dernier battement de cœur. Un son unique et merveilleux. Donc non, tous les vampires ne cherchaient pas juste le sang pour le sang et la violence par la mort. La chasse était un art aux yeux de la vampire. Noble et merveilleux. Et chaque proie se méritait.

« -Difficile, je ne pense pas, mais une réalité à laquelle, j'ai été confrontée. Mais je ne puis avoir le même point de vue que vous jeune elfe. Vous vivez parmi eux depuis votre premier souffle, quand à moi, je les arbore depuis mon dernier. »

Comme une évidence. Même si humaine, Norwen alors Elyne n'avait rien contre ces créatures venus d'ailleurs, un mirage ou un rêve bien lointain de ces êtres à la beauté irréel et à l'allure digne des esprits. Mais elle était bien loin d'imaginer un jour en côtoyer un et bien moins encore en rencontrer. Vampire, cela avait changé, non seulement Norwen en avait rencontré, combattu mais elle avait vu que derrière cette façade idyllique et romancer des humains, la vraie nature elfique était bien autre. Créatures parfois bien plus froides que les vampires, mués dans leur façon de vivre dont rien d'autre que cela ne valait la peine d'être vu. Eh bien, elle leur en montrerai des choses. Ses crocs en premier. Tout comme ce qui se déroulerait par la suite.

« -J'oubliais l'importance du nom et de la présentation de votre peuple. Je suis Norwen Ullylan. Mais si à tes yeux je suis autrui, je ne m'en formaliserai pas. J'ai déjà eu bien d'autres noms. »

La vampire fit un salut qui n'avait en rien d'elfique, qu'importe à ses yeux, juste une moquerie quand aux règles de politesse elfique. Ils mettaient cela au dessus de tout, presque même au dessus de leur propre vie. Il fallait saluer et se présenter avant. Un cérémonial des plus inutiles. Surtout aux yeux d'un vampire. Le poing avant ou bien la lame tranchante d'une épée et après tu saluais la mort et tu te faisais un nom. En cela, il y avait encore un fossé entre les deux races. Un gouffre même.
Norwen ajouta un brin amusé.

« -Et qui êtes vous jeune elfe au sourire aussi carnassier que le mien ? »

Ravie d'avoir rendu service, à sa façon, à la vampiresse qui se tenait devant elle ‒quoi que… non, finalement, elle s’en fichait totalement de rendre service ou non, elle était juste contente de sa nouvelle rencontre‒ Enetari eut une petite mimique amusée en entendant la réponse. Naïve mais réaliste? Et bien, c’était une conception pour le moins particulière. Mais non, elle ne s'estimait pas naïve! Simplement, pourquoi aurait-elle dû faire compliqué quand il y avait des moyens tellement plus simples de régler ses problèmes? Non, vraiment. Toutefois la demoiselle s'était trouvé une assistante dans sa quête étrange, et cette constatation lui plaisait. Il y avait enfin des gens capables de comprendre ce qu'elle cherchait! Bon, en même temps, elle était la première à venir l'interrompre ainsi mais... Nul doute que cela aurait eu d'autres conséquences moins heureuses s'il ne s'était agit de la femme qui lui faisait face.

Inclinant légèrement la tête comme pour la remercier de l'étrange compliment qui lui était fait, Enetari eut un petit rire amusé en entendant parler la vampire. Honorer? Hum... Voilà qui n'était pas faux. Mais comment les convaincre du bienfondé de tout cela? Malheureusement, elles ne verraient que leur propre situation égoïste sans songer à ce que d'éventuelles découvertes pourraient amener pour le reste du monde.

-Hélas, la plupart ne sont pas aussi réfléchies que vous. Elles ne songent qu'à leur petite personne sans remarquer la gloire qu'il ressort d'être les élues de nos activités. Secouant sa tignasse d'un air navrée, la petite elfe acheva, l'air terriblement ennuyée: nous sommes entourés d'êtres inférieurs, que voulez-vous. Peut-être un jour parviendrons nous à leur ouvrir les yeux, mais en attendant… mieux vaut les leur crever plutôt que de voir leurs stupides regards.

Déjà que le simple fait d’être une buveuse de sang classait l’inconnue dans lesdits êtres inférieurs, il fallait bien imaginer ce qu’il en était des autres qui n’avaient pas l‘intelligence de cette mystérieuse interlocutrice qui, heureusement, sortait du lot et de façon tout à fait honorable. Si les deux femmes ne faisaient pas subir le même sort à leurs proies, il n’en demeurait pas moins qu’elles partageaient le même amour de la chasse. Mais après tout, que ferait Enetari d’un cadavre ? Le disséquer, pourquoi pas, mais dans ce cas elle préférait observer le fonctionnement d’un corps vivant. De toute façon, ce n’était pas dans ses projets pour l’instant et la seule chose qu’elle souhaitait nécessitait des êtres encore vivants et en pleine forme au moment de leur capture. Après, les dommages qui pouvaient en résulter ne seraient pas forcément ceux espérés… Donc elle n’en serait pas responsable !

-Oh, et bien nous nous complétons, n’est-ce pas ? Mais ne vous inquiétez pas, je sais que j’ai raison, tout le monde ne peut pas avoir autant de discernement que moi. Je ne vous en voudrais pas pour cela. Vous êtes trop jeune pour comprendre.

Lui décochant un clin d’œil moqueur, elle sourit avec amusement, avant d’interroger la jeune femme sur son identité. Norwen Ullylan ? Quel nom étrange ! Eclatant d’un rire gai en la voyant saluer, elle se leva d’un bond pour lui présenter un très protocolaire salut elfique et tout à fait exagéré, signe s’il le fallait qu’elle ne prêtait pas la moindre importance à ce genre d’usage pourtant si demandé par son peuple. Pour elle, il s’agissait d’une entrave à sa liberté de mouvements et de paroles, et le carcan de politesse et de calme dans lesquels ils étaient censés s’enfermer l’horripilait.

-Vous êtes nombreux à vous appeler autrui, ce sera Norwen ! Mais vous me flattez ! Je suis Enetari Terendul, pour ne pas vous servir.

Avec un nouveau regard malicieux, elle jeta un regard approbateur à la fausse fragilité de la vampiresse. Pour cela, elles se ressemblaient un peu, usant de leurs apparences pour charmer et envoûter. Sans doute pas dans les mêmes buts, mais là encore, qu’importait. S’approchant de son pas souple et léger en piétinant la main de l'humain au sol, la demoiselle attrapa d’office la main droite de la vampiresse pour la lever à la lumière, observant avec fascination les bagues en forme de griffes qui y étincelaient. Hochant la tête, elle tapota dessus du bout de l’un de ses longs doigts fins et blancs avant de se reculer légèrement, posant son regard dans celui de Norwen, un éclair complice dans le regard.

-Louve, panthère ou tigresse ?

Elle comprendrait. Il n’y avait aucun doute que cette fascinante créature saurait ce que lui demandait la petite elfe. Laquelle des trois était-elle ? Pour sa part, la jeune fille ne se considérait comme d'aucune de ces races, et de toutes à la fois: elle était elle. Et après tout, entre prédatrices, les deux femmes se comprenaient… A leur façon.

« -Pourtant il vaut bien des sacrifiés pour faire avancer les inventions et les intentions des grands de ce monde. »

Car, que cela déplaise ou non à la vampiresse, il n'y avait pas de doute que la gamine elfique le serait. Elle avait déjà le culot et l’aplomb, la curiosité et la bas goût de ceux qui faisaient avancer leur monde. Peut être qu'au final, si la jeunesse elfique se dessinait sous cet aspect, ils seraient bien plus difficile à éteindre et à supprimer de la surface du continent. Qu'importe, le jeu du coup en valait bien la chandelle. Ne vaut-il pas mieux un combat acharné et une victoire mérité qu'une écrasante victoire sans en tirer aucun plaisir ? Puis avec le plaisir malsain qui émanait de cet être que l'on qualifiait habituellement de pure, de serein, calme et pacifique cette bataille, Norwen l'attendrait de pieds fermes et ne vivrait même que pour cela. Le respect d'un adversaire était sacré à ses yeux, car il en rendait la victoire que plus merveilleuse. Et la générale en avait marre du médiocre.

« -En effet, il vaut mieux. Mais quel discours étrange pour une jeune fille de ta condition. Tu ne serais pas elfe que je t'engagerai dans mon armée sur le champ. »

Et ce n'était pas peu dire. Norwen cherchait toujours l'excellence pour ses soldats. Du moins ceux qu'elle voyait comme l’élite. Pas ceux qu'elle envoyait en première ligne pour se faire tuer, viande juste bonne à se faire tuer. Des cadavres en devenir, si on peut dire, vu qu'ils le devenaient déjà auparavant. Et cette gamine avait la trempe de ceux qui faisait de bon guerrier même si cela ne semblait pas être son devenir. Mais quand on est vampire...

« -Car j'admire les personnes de cran et tu en as gamine. Quand à l'âge, le tien est la preuve que le temps ne fonctionne pas sur tous de façon linéaire. Tout comme la confiance en soit qui s'acquiert avec les expériences. Mais comme je ne peux que constater que tu n'en n'es plus aux premières expériences de ceux de ta race et de ton âge... »

Puis elle semblait maline et avec sa bouille de jeune fille fragile, elle arriverait à tous les croquer et les mettre à ses pieds. Si un jour elle devait rencontrer les esprits, Norwen leur demanderait si le sang elfique pouvait le temps d'un croc ne plus être immunisé. Ils pouvaient bien lui accorder cela, non ? En récompense pour tenter de vaincre et de neutraliser ceux qui cherchent à les détruire.

« -Terendul, tu es la fille du général elfique. Le hasard fait bien les choses. »

Si bien. La fille de son ennemi préféré. Sa charmante fille, son enfant. Norwen comprenait bien mieux maintenant. Son caractère. Et à bien y réfléchir son visage aussi. Mais surtout l'absence de crainte et le culot monstre dont il faisait preuve. Et encore plus quand elle vint se saisir de sa main. Norwen n'avait jamais été tactile. Du moins sans l'avoir décidé. Mais il ne pouvait en être autrement en voyant ses bagues. Question étrange qui pourtant faisait échos. Elle ne se l'était jamais posée, mais une jeune fille devait peut être le faire à un moment. Peut être l'avait-elle fait humaine ? Mais de ses souvenirs, elle aurait été limace.

« -Tout dépend des jours. Et de qui se trouve en face de moi. Face à ton père une fois, j'ai été lionne. Un beau combat. »

Et le prochain le serait d'autant plus.

-Je suppose que ce sont ce que l’on appelle les dommages collatéraux…

Avec un petit ricanement, la jeune fille hocha la tête. Elle savait bien que Norwen avait raison. Les guerres étaient souvent menées au nom d’une seule personne, d’une seule puissance, et pourtant c’était des milliers de cadavres qui jonchaient le sol par la suite. L’Histoire était ponctuée de ces conflits, menées par l’un ou l’autre des belligérants. Et la conclusion semblait la même à chaque fois : il suffisait finalement qu’un seul être soit capable de soulever et mener ses troupes. Les sacrifices pour le bien d’un seul… Sa gloire, son honneur, ses richesses, sa puissance. Cela ne la choquait pas vraiment. Pas du tout même. Si les morts avaient été plus faibles que le dirigeant, c’était de leur faute avant tout et si les vivants restaient, se qualifiaient, gouvernaient, alors c’était qu’ils avaient suffisamment œuvrés pour y être. Là où se posait davantage d’injustice était sur la différence innée de pouvoirs, magiques ou non, qui pouvaient être attribués à la naissance. Mais encore une fois, il ne s’agissait que des lois de la nature, le chat mangeant la souris sans que celle-ci ne puisse rien y faire, petite proie qu’elle était. Aucun être n’était réellement éternel, et même un vampire ou un dragonnier trouvait un jour plus fort que lui pour le vaincre.

-Dans votre armée ? Je ne suis pas sûre de faire une grande soldate, mais avoir des dents semblables ne me dérangeraient pas. Quoi que… Je comprends pourquoi vous vous nourrissez de sang. Elles seraient trop difficiles à nettoyer sinon.

Pinçant les lèvres avec amusement, Enetari leva vers la vampiresse un regard pétillant, se sentant tout à fait bien avec la jeune femme qui lui faisait face. Oui, devenir ne la dérangerait pas, si ce n’était qu’il s’agissait d’une rétrogradation raciale. Et puis, se soumettre à un prince barbare, quelle idée… Encore qu’en échange d’une bonne place, que choisirait-elle ? De toute façon, la question ne se posait pas, elle était immunisée.
Se présentant à son tour, la jeune Terendul ne tiqua même pas lorsque Norwen sous-entendit qu’elle connaissait son père ? Tout le monde le connaissait, visiblement, alors pourquoi pas elle ? D’autant qu’entre généraux, ils avaient bien dû avoir à se parler, même appartenant à des races si opposées, dans une ville aussi petite qu’Aigue-Royal. Toutefois la suite l’interessa tout de suite beaucoup plus. Un combat avec le grand Artaher ? Ohoh ! Eclatant cette fois d’un vrai rire, elle tenta d’imaginer la tête du concerné à devoir lutter contre pareille tigresse. Pardon, lionne. Peut-être aurait-elle dû remarquer un jour où il était rentré de plus mauvaise humeur, mais cette dernière étant quasiment toujours égale à elle-même, trop sérieuse, elle n’y avait jamais prêté attention. A dire vrai, elle s’en moquait pas mal, la seule chose étant qu’elle l’aurait volontiers titillé dessus.

-Vous vous êtes battue avec mon père ? Il n’a pas dû apprécier. Pas du tout même. Une lionne face à un ours…

Relâchant la main qu’elle tenait toujours, fascinée qu’elle l’avait été par les bagues étranges, la demoiselle tenta d’imaginer la lutte entre les deux. Quoi qu’elle en dise, elle savait son géniteur brillant guerrier. Néanmoins tout la façon de se tenir, de se déplacer de son interlocutrice laissait supposer que cette dernière n’était pas non plus sans défense, loin de là.

-Lequel de vous a gagné ? Aucun des deux, je présume, puisque chacun encore en vie ?

Elle imaginait mal un simple combat amical. Connaissant l’amour de son père pour les vampires, il y avait peu de chance pour que ce soit le cas. A moins que… Parcourant le corps de Norwen d’un rapide regard, elle nota sans mal la sensualité qui s’en dégageait. Quel genre de combat avaient-ils eu ? Hum, non, la vampiresse n’avait pas non plus l’air de porter Artaher dans son cœur. Mais alors, quand cela s’était-il bien déroulé ?

-Mais quand l’avez-vous rencontré ?

Curieuse d’apprendre toute l’histoire, elle se frotta le menton pour chasser la démangeaison qui l’embêtait, attendant impatiemment la suite du récit. Ou le début. Les deux en fait, avec le milieu aussi, si possible. Et dans le bon ordre, c’était à dire pas celui qui venait d’être énoncé.

Elle ne disait pas non. Déjà un bon début. Après tout si son prince avait réussi à domestiquer un elfe et en faire son animal de compagnie, pourquoi pas elle ? Une gentille elfette toute adorable qu mordrait bien plus fort qu'un vampire le premier venu. Elle pouvait avoir son utilité et ne craindrait pas de la voir s'effacer comme une humaine devant le moindre crocs, bien au contraire.

« -Crois-tu que ce ne soit là aussi que question d'hygiène ? Nos crocs ont été conçus, tout comme le reste de notre corps à dominer et à nous trouver en haut de cette montagne. Nos crocs sont le pouvoir et la force, la domination et la preuve de la supériorité de notre race. Du moins, pour celui qui sait s'en servir... »

Et cela n'était pas donné à tous, Norwen ne pouvait que le lui accorder. Mais malgré tout ils avaient leur utilité dans le monde des morts à moitié vivant.

« -Hélas, tu ne peux en avoir, faute à tes ancêtres pour le coup. »

Maudits elfes et leur sang juste bon à les contrarier. Quoique, il n'y avait pas mieux qu'un elfe mort.

« -En effet, il n'a pas apprécié. Mais, je n'étais pas là pour qu'il apprécie ce duel. Quoique... »

Le général elfique avait eut la chance de combattre contre elle et de ressortir vivant. Rien que pour cela, il devait avoir apprécié les qualités dont elle avait fait preuve. Sinon, c'était un crétin, et comme la générale vampirique ne se faisait pas d'illusion quand à ce point...

« -En effet, aucun. Mais plus par le respect des règles que nos peuples ont imposé par le passé que par le désir de voir l'autre allongé au sol, dormant auprès de l'esprit de la Mort. »

Car là était toute la nuance. Il était debout, car elle n'avait pas eut le choix de faire autrement. Si Norwen avait pu ne serait-ce que lui planter sa dague entre les côtes, elle l'aurait fait sans l'ombre d'un regret. Mais une simple bague ne lui accordait pas ce droit. Ce temps était révolu. Du moins, pour elle, dans son esprit. Une chance, car elle pourrait comme cela, ne pas retenir ses coups, cette fois-ci.

« -Je l'ai rencontré bien avant le combat de l'aube rouge. J'aime à penser que de se frotter avant à un adversaire de qualité est gage de sa réussite lors de ce combat. J'ai su qu'il s'en était sorti. Tant mieux, j'espère que nos lames se recroiseront un jour. Votre père sait manier l'épée mais son arrogance a bien besoin de se faire tailler par la lame d'un vampire. Tout comme son verbe, car il ne semble pas avoir la pertinence des mots. Cela doit vous venir de votre mère.»

Ou bien la gamine avait un don naturel pour manier le piquant des mots allant à l'encontre des règles lourdes, protocolaires et complètements barbantes des elfes. Il fallait presque un cérémoniel d'avant combat, avec les présentations, du père de la mère, et de toute la famille avant qu'un elfe daigne dégainer une épée ou prendre une flèche à la main. Autant dire qu'auprès des vampires cela ne faisait guère mouche. Et que les railleries allaient bon train. Tout juste s'ils ne s'excuseraient pas dans un de ces saluts complexe de leur entraver la route ou bien de tenter de détruire leurs chairs. Bref, de quoi rire encore quelques centaines d'années. Car si la nouvelle génération avait ce mordant, bientôt une distraction de plus disparaîtrait. Raison de plus pour vite réduire les elfes au silence. Et vite. Il restait encore du chemin à Norwen pour rejoindre son peuple, et remettre un peu d'ordre là dedans.

-Et je ne doute pas que ce soit votre cas. Je dois avouer que cela doit avoir de très bons avantages. Même limées, les miennes n’auront jamais la même puissance que les vôtres.

Ni le même tranchant, ni la même dangerosité, ni la même élégance. Les vampires avaient cela qu’ils avaient une force toute particulière emplie d’obscurité. Mais si c’était par la faute des ancêtres d’Enetari que cette dernière, tout comme ses semblables du même âge, ne pouvait être transformée, c’était aussi grâce à eux qu’elle restait elfe, donc elle-même. Les vampires la fascinaient, leurs corps, leurs pouvoirs, leur beauté glaciale, mais elle ne souhaitait pas pour autant les rejoindre. Elle continuait à les considérer comme des créatures inférieures pour la plupart. Certes, les elfes étaient enfermés dans leur carcan de politesse et de devoir bien défini, mais pour autant ils n’étaient pas soumis à un prince barbare. Et puis l’idée d’être morte ne plaisait qu’à moitié à la jeune fille. Elle appréciait de continuer à vieillir, à se former, petit à petit. Oh, la vie des humains était bien trop courte, mais celle des elfes lui convenait. Peut-être pourrait-elle, un jour, se dire qu’elle en avait assez de cette vie trop elfique, mais pour l’instant, elle se plaisait à contrarier les anciens et leur volonté de tout bien régler.

-Oh, je vois. Cela dit, les règles sont faites pour être brisées. Quoi que, je comprends qu’elles ne doivent l’être que lorsque cela ne dessert pas notre intérêt propre. Après tout, se lier soi-même les poignets afin de faire dans le contrariant peut certes être jouissif quant à l’agacement apporté aux autres, mais si les contrariétés sont trop grandes, mieux vaut éviter.

Elle hocha la tête avec vigueur pour appuyer son propos. Tant que l’on savait que l’on était protégé ou apte à se débrouiller seul, cela allait, mais quand l’on risquait de tout perdre alors que l’on avait durement acquis cette vie, il devenait nécessaire de se maitriser. Ce que ne faisait jamais la petite Terendul, mais après tout, elle n’avait pas grand-chose à perdre pour l’instant, si ce n’était la patience de ses parents. Enfin… Autant qu’elle en profite tant qu’elle le pouvait. C’était bien un nouvel argument en défaveur d’une transformation en vampire, quand bien même elle aurait été possible. Se faire embarquer dans une armée sans rien en échange, non merci. Tant qu’elle était à Aigue-Royal en tant qu’elfe, elle avait de quoi se changer les idées. Et courir les routes, elle le ferait très bien toute seule… quand elle le voudrait, sans suivre une armée traitresse partie Dracos savait où.

-Il est vivant, oui. Heureusement, j’ai encore besoin de lui pour l’instant. Je ne peux finalement qu’être satisfaite que vous ne l’ayez pas tué. Si vous pouviez attendre un peu avant de le faire… Juste l’amocher, lui couper la langue si vous voulez pendant quelques temps. Mais je préfère être partie lorsque ma mère découvrira son cadavre.

Lisaë furieuse, hum… Enetari avait un peu de mal à l’imaginer. Mais surtout, elle aurait du mal à endiguer le flot de larmes que la douce elfe verserait au décès d’Artaher. Non, vraiment, elle préférait laisser cela au placide Nómin. Toutefois, imaginer sa mère si triste ne lui plaisait pas vraiment. Lisaë était une femme aimante qui avait besoin d’un compagnon (ou d’une compagne d’ailleurs) pour partager sa vie. Peut-être en trouverait-elle un autre ensuite ? Malheureusement, elle était peut-être follement amoureuse d’Artaher pour cela. Enfin… Son père était son père, l’elfette ne souhaitait pas sa mort mais elle savait qu’aussi doué soit-il cela arriverait peut-être sans tarder. Après tout, il était militaire…

-Impertinence des mots… De ma mère… Pensive, la jeune fille haussa un sourcil avant d’éclater de rire : Oh non, ma mère n’est pas ainsi. Elle manie certes mieux la langue que les armes, mais elle n’en use qu’avec douceur, encore qu’elle sache s’exprimer avec fermeté et être écouter. Elle est archiviste après tout, elle passe ses journées au milieu de longues phrases qui lui racontent milles et uns histoires.

Avec un haussement d’épaules désabusé, elle écarta le sujet d’un geste de la main avant de se réinteresser à son interlocutrice :

-Enfin, on ne choisit pas sa famille. Hormis les vampires qui peuvent choisir leurs enfants. Je suppose que vous retournez parmi vos semblables ?

Passant d’un sujet à l’autre sans le moindre embarras, elle recula d’un petit bond en arrière, s’apprêtant à rendre à la vampiresse le passage jusqu’à…. Jusqu’à sa destination, quelle qu’elle soit. Elle qui avait l’air bien pressée, cherchait-elle son armée disparue Dracos savait où ? Pauvre choupinette abandonnée.

La vampire ne put que sourire à ses innocentes paroles concernant ses crocs. Oui, en effet, c'était de véritable armes. Ses préférés il fallait l'avouer. Et oui, elles avaient un bon avantage. Un sacré. Mais elle ne dit rien de plus. Son regard pouvait afficher la réponse sur son visage.

« -Tout à fait, mais parfois il faut savoir les suivre, pour s'en servir à son avantage. Mais ton raisonnement est juste. Mais même quand elles ne nous desservent pas, il faut parfois les suivre, pour mieux se les approprier et en trouver la faille. Une fois fait, il faut se servir de cette faille pour faire tomber bien plus de monde. Et en plus en suivant les règles. S'en est d'autant plus offensant pour ceux qu'ils l'ont crées. »

Et il n'y avait rien de plus jubilatoire.

« -Je prends bonne note de tes demandes fillette. Mais je ne pense pas que notre prochain combat se fera d'aussi tôt. J'ai bien autres choses à faire pour le moment. Il sera donc encore un peu tout à toi. »

La vampire aurait cependant bien voulu finir le travail commencé. Mais parfois il fallait savoir attendre.

« -Ah ? Je dois craindre ta mère ? Je comprends bien plus de choses le concernant. »

Mais une bonne chose à garder dans un coin de sa tête. Peut être que sa femme pourrait un jour servir de faiblesse pour un futur combat.

« -C'est une façon de voir la famille de ce point de vue. Mais il arrive en effet que les vampires puissent choisir leur enfants. Si on peut les appeler ainsi. Et là aussi, eux ne choisissent pas ce qui devient une famille. »

Enfin, Norwen n'allait pas trop se lancer sur ce sujet. Elle se souvenait à peine de sa famille humaine et se refusait à créer un vampire qui s'accrocherait à ses basques. Elle respectait celle qui l'avait fait renaître. Elle l'en remerciait même, d'avoir fait ce qu'elle est devenue. Mais elle n'était pas sa mère. Son maître d'arme, un guide. Mais pas un membre de sa famille. Personne n'avait cette place et la générale vampirique ne s'en plaignait pas. Pour preuve, avoir un bébé vampire à peine capable de chasser et devoir le lui apprendre. Perte de temps.

« -Mais oui, je retourne auprès des miens. En ce jour même. Je vais d'ailleurs me remettre en chemin, car il sera long pour les retrouver. »

Long, les vampires devaient avoir établit de nombreux camps afin de brouiller de nombreuses pistes possibles. Entre cela et des faux camps installés pour tromper un ennemi qui aurait su lire les signe. Qu'importe, Norwen prendrait le temps et ferait le chemin sur son destrier pour au plus vitre reprendre son poste et permettre à son peuple de retrouver sa place dans le camp d'en face.

« -Mais passe mon bon souvenir à ton père. Que j'attendrai de recroiser la lame avec lui. Et dit lui que sa fille est une charmante personne. Cela lui fera bien plaisir. »

La générale savait que ce gros balourd d'ours y verrait comme une nouvelle déclaration de guerre. Elle si près de sa progéniture. Brrr il en tremblerait la nuit dans son sommeil. Et rien qu'à cette idée, Norwen se sentait presque remplie d'énergie et de baume au cœur pour repartir à la recherche des siens. Avec sa nature d'éclaireuse, cela ne devrait poser bien trop de soucis. Dans un dernier salut elfique toujours aussi mal effectué, Norwen tira sa révérence.

Hochant la tête avec vigueur en entendant les paroles de la vampiresse, Enetari ne put qu’approuver ces sages pensées. Elle avait trouvé une formidable professeure, une vraie maitresse en la matière et une femme qui savait parfaitement de quoi elle parlait. En même temps, elle devait avoir l’habitude, depuis le temps. Quel âge avait-elle ? Impossible à dire, sa peau d’albâtre avait gardé sa jeunesse passée et rien ne pouvait servir d’indicateur. Ah, les vampires, qu’ils étaient compliqués. La façon dont fonctionnait leur corps déjà mort était tout à fait incroyable, mais pourtant Enetari avait parfois l’impression d’être la seule surprise. Dans un monde où la magie dominait, évidemment, il n’y avait rien de très surprenant. Mais tout de même.

-Craindre ma mère… Répétant la phrase en se demandant comment il était possible de se méfier de Lisae, Enetari pouffa de rire avant de répondre : oh oui, craignez qu’elle ne vous endorme de ses romans interminables. Enfin, je suppose qu’un livre peut-être une arme redoutable.

Penchant la tête sur le côté avec une mimique complice, l’elfette soupira, amusée. Cela étant, si Norwen touchait à l’un des triplés ou tuait Artaher, la jeune fille n’était pas certaine de pouvoir prévoir la réaction de sa mère. Elle pouvait être d’une douceur horripilante, comme lorsqu’elle était incapable de se fâcher contre Aranël qui faisait ses crises, mais pour sa famille, Enetari avait le sentiment qu’elle tuerait n’importe qui à coup de pelle s’il le fallait pour la protéger. Enfin, la vampire la tira de ses réflexions familiales et, provocatrice, s’apprêta à se retirer. Avec un nouveau rire, l’elfette la salua de la main.

-Oh, je prendrais soin de le dire sur son lit de mort, il serait capable de m’enfermer Dracos sait où s’il apprend que je vous ai rencontré. Mais il le saura un jour, ne vous en faites pas. Bonne chance à vous, Lionne aux griffes d’acier.

La regardant partir, fascinée, la demoiselle finit par prendre la poudre d’escampette à son tour, laissant là l’humain toujours évanoui. Peut-être reverrait-elle un jour cette si charmante chasseuse ; cela lui ferait plaisir, elle ne doutait pas que la concernée avait encore bien des choses à lui apprendre.