--- 4 jours avant l'arrivée des cohortes à Althaïa ---

Il ne savait pas très bien ce qui le surprenait le plus, dans ce voyage de retour. Après l’intense duel qu’il venait d’effectuer avec le prêcheur, le calme de ce vol nocturne sur le dos de sa compagne écaillée semblait totalement irréel. Le contraste était saisissant. Le gamin gigotait, évidemment, mais il ne lui demandait de toute façon pas un calme complet… La seule chose qu’il lui avait dite, c’était d’éviter de glisser ses jambes hors des attaches de la selle, afin de rester bien en place et ne pas piquer une tête dans le vide sous eux. Pour le reste, il le laissait être lui-même. Ses propres mains étaient crispées sur le piquant de Silarae qu’il serrait à s’en briser les jointures, les mains tremblantes et encore parcourue d’impulsions violentes résultant du combat de haut vol qu’il avait été contraint de mener. L’absence de menace soudaine, le vide, l’immobilité forcée, autant de facteur qui le déstabilisait sur l’instant, alors que son esprit sortait difficilement de la tente. Ça avait été… exaltant, enivrant, d’être si proche de la mort, face à un adversaire aussi redoutable. Voilà quelque chose qui lui avait manqué, pendant ce millénaire… Le frisson du combat, c’était comme une drogue, et une drogue à laquelle il venait de céder après une interminable abstinence. Elle lui manquait déjà. Elle et sa faux, d’ailleurs. Il avait été contraint de l’abandonner là-bas et s’en voulait… elle avait une histoire impressionnante maintenant. Mais tant pis. Peut-être irait-il la récupérer plus tard. Pour le moment, ils s’en étaient tirés et il avait réussis son pari. Maintenant, il s’agissait de rentrer, rien de plus simple, avec celle qui les portait. Il avait une totale confiance en sa dragonne pour s’occuper de tout. Et en attendant, il se calmait lentement, quittant cet état d’extase qu’il avait ressenti et revenant à lui, regagnant contrôle sur son esprit et sur ses membres.

Les minutes s’écoulèrent lentement, dans l’immensité du ciel. Il faisait relativement frais, à cette hauteur, et avec le vent, il préféra tendre à l’enfant de quoi se tenir à température idéale. Après les mois de canicule, un froid soudain pouvait faire très mal. Lui-même avait fini par se dégriser, si l’on pouvait le dire ainsi, et observait toujours les alentours en se remettant du soudain choc apporté par le silence et l’immobilité. Sa fatigue était toujours présente, le sang du serviteur du Néant ayant fait son office. Il lui faudrait très certainement s’occupé de lui-même après avoir remis Nolan à son père, mais pour le moment ce n’était pas encore alarmant, heureusement. De toute façon, il n’allait pas laisser une petite contrariété comme du sang de Néant l’empêcher de voir la tête que ferait Korentin à son retour… Discutant intérieurement avec Silarae, il perdit vite la notion du temps, en dehors des rares moments où il devait donner des indications à son impatient passager. Ah c’était difficile de tenir en place en plein ciel, effectivement… pour un petit être aussi remuant, ça devait être encore pire. Néanmoins, il n’eut pas non plus à souffrir pendant des heures, le vol de la blanche était rapide, et ils finirent par atteindre Althaïa la Romantique. La ville était déserte, et de toute façon, elle ne l’intéressait que peu. Il prit cependant le temps de contacter l’un des mages de Korentin afin de faire passer la bonne nouvelle et remit Nolan en place sur la selle, le tenant d’un bras en une assurance supplémentaire qu’il n’allait pas s’envoler et se transformer en crêpe. Elle plongea enfin, et il serra les crocs alors que l’air lui sifflait aux oreilles. La terre grandit rapidement, puis, avec une stabilisation un peu brutale et un choc sourd, ils furent au sol.

L’ancien dû batailler un bref instant pour empêcher le jeune humain de lui glisser entre les doigts pour quitter le dos de la dragonne, et, une fois qu’il l’eu convaincu de rester assis à sa place, laissa la blanche entrer. Au fur et à mesure, les rebelles s’attroupaient en les voyant approcher, tandis qu’ils avançaient vers Coeurempire. « Bienvenu chez toi… » souffla-t-il à l’enfant alors que la citadelle arrivait enfin en vue, l’immense caverne s’ouvrant devant eux au détour du boyau de pierre. Il ne mit pied à terre qu’une fois devant l’entrée de ladite citadelle et aida Nolan à en faire autant. Puis, remerciant Silarae et lui promettant de la rejoindre plus tard, il guida l’enfant jusqu’à son père, à l’intérieur du bâtiment. Nolan le quitta sans tarder en le voyant enfin, et Achroma s’arrêta en retrait, un demi sourire aux lèvres alors qu’il observait les retrouvailles en silence, ne désirant pour rien au monde interrompre ce moment. Et puis pour le coup, il faisait une étrange figure dans cette scène de liesse, avec ses habits tâchés de sang, son bâton tout aussi souillé et son attirail martial. Sans compter que nul n’ignorait qui il était… Certains étaient-ils allés jusqu’à souhaiter sa mort ? Ou à craindre qu’il ne croqua l’enfant ? Sûrement. Hélas, ceux-là se voyaient détrompés. Mais ce n’était nullement le plus important pour le moment. Aigue Royale semblait soudain soupirer un grand coup, comme ayant retenu son souffle, et lui-même remarqua enfin que durant toute cette aventure, il n’avait pas une seule fois cédé à son tic de continuer à mimer la respiration humaine. Aussi, et ce avec un étrange plaisir, il prit une bouffée libératrice, en se faisant tout petit…

L’explosion sonore soudaine le fit sensiblement tressaillir, mais il ne montra rien de la surprise ahurie qu’il pouvait ressentir devant cette prompte et unanime vocalise. Et il fut encore plus stupéfié en parvenant, après un instant, à déchiffrer ce que la foule attroupée là scandait avec tant de véhémence. C’était proprement impensable et pourtant… c’était réel. On ne peut plus réel. Et cela le laissait pantois, le souffle coupé, comme diraient les humains. Il n’en revenait tout simplement pas tant cela semblait irréel. Il n’avait même jamais envisagé en arriver là, lorsqu’il était parti pour cette dangereuse mission. Il n’avait d’ailleurs pas pensé que les retrouvailles se feraient devant tous ces humains, mais c’était une alternative certes singulière, tout en étant encore envisageable en y pensant. En revanche se faire ainsi acclamé… non c’était tout simplement impossible à imaginer, à considérer. Son regard se promenait sur la foule, observant ces individus qui, pour la plupart, ne le connaissait que de nom et le craignait certainement, et qui pourtant rugissaient son nom et celui de sa dragonne avec l’enthousiasme… en vérité il ne savait pas comment le décrire. Il ne savait plus du tout où se mettre, jamais il n’avait vécu pareille chose. Jamais on ne l’avait acclamé de pareille façon, avec tant de force, tant de sincérité… et surtout, jamais il n’avait été acclamé par des humains. Passé la surprise première cependant, vint une profonde gêne car il n’était pas du tout individu à prendre des bains de foules et à apprécier que l’attention soit centrée sur lui. S’il avait pu se rendre invisible, et sans causer de vexation, il l’aurait probablement fait mais à défaut de le pouvoir, il se contenta d’accepter tant bien que mal d’être ainsi le centre de la liesse et fut reconnaissant à sa liée de prendre tant de place et d’attention, elle faisait une parfaite distraction pour ces éphémères qui semblaient l’avoir adopté comme héro. Mais cela le touchait également. Comment aurait-il pu en être autrement, après tout…

Son regard retrouva Korentin lorsque celui-ci s’adressa à lui. Ils l’aimaient ? Voilà une bien étrange idée. Une large part de sa personne ne savait absolument pas comment réagir. Et une autre acceptait, simplement. On ne refuse pas pareil honneur, après tout. « En effet » souffla-t-il simplement, d’une voix douce et basse, n’osant même élever la voix. Que dire de plus ? C’était un instant presque historique, et il était ironique de savoir que le premier concerné aurait sans doute préféré se trouver ailleurs en cet instant. En y réfléchissant, il avait été stupide d’afficher son retour. Mais tant pis. Le chant sembla enfin perdre en intensité, à son plus grand soulagement, et il se fustigea d’être aussi stupide. Il allait devoir faire bonne figure et ça commençait certainement par offrir un sourire, qu’il n’ait pas l’air de porter le deuil en permanence. Korentin lui offrit d’ailleurs l’occasion de rendre le geste sincère avec son commentaire sur le banquet. Et bah tient, continuons dans la liesse… tant qu’on ne se mettait pas à lui porter des hommages, il n’avait rien à en dire. Au contraire, il apprécierait sans doute cette joie le temps d’une soirée, qui chasserait les idées noires. Il rit légèrement, s’imprégnant de la bonne humeur soudaine, qui faisait pétiller ses yeux en les éclairant d’un azure affectueux. Son rire se calma cependant rapidement et ne resta qu’une fine moue amusée et beaucoup plus détendue. « Avec plaisir, je n’aurais pas à porter le deuil de ne pas boire en leur compagnie » taquina-t-il avec légèreté. Oh il n’avait jamais été très porté sur la boisson, n’ayant pas eu le temps de prendre cette habitude nordique de se réchauffer. Mais un bon hydromel lui manquait tout de même parfois. Et il ne se voyait pas enivrer un humain pour boire un sang plus goûteux.

Alors qu’ils allaient entrer, le monarque offrit à Silarae de se reposer et d’être dorlotée, et il n’avait pas le cœur de lui refuser ce confort après ses efforts, elle suivrait bien la conversation au travers de son esprit. *Va, tu l’as bien mérité après tout et je te rejoindrais ensuite…* Il sentit son inquiétude, quant à la fatigue qui alourdissait son corps après l’effet du sang du serviteur de Néant, mais il la rassura, tout allait bien et au pire, il y avait des guérisseurs, dans Fort-Esperance. *Je t’aime… cœur d’argent* Il aimait bien le titre qu’ils lui avaient donné, et apparemment, elle aussi. Avec un sourire tendre, il se détourna d’elle tandis qu’elle partait de son côté. Lui-même fut conduit par Korentin jusqu’à un confortable salon, et tandis qu’ils s’installaient, son regard accrocha les portraits alentours, posés au mur dignement. Son cœur sembla se serrer, sentiment factice et pourtant réel, lorsqu’il tomba sur celui de la princesse qu’il avait chérit de son vivant. Pourtant, il en détourna les yeux en voyant Nolan s’installer et le regarda s’endormir en silence. Le pauvre petit devait être épuisé, après tout ça, il aurait bien besoin d’un bon repos réparateur. Ce n’était que justice qu’il l’obtienne. Etrangement, il se sentit également mal à l’aise, pendant un bref instant, sans parvenir à définir exactement de quoi il s’agissait… peut-être simplement le regret de ne jamais pouvoir se comporter comme Korentin avec son fils. Mais s’il ne pouvait avoir la joie et l’honneur d’être réellement père, au moins aurait-il les dragonniers sur lesquels il pourrait veiller. C’était une manière comme une autre de se réconforter, tandis qu’il écoutait l’humain, qui malgré tout, semblait vouloir titiller cette inhérente faiblesse à sa personne, et à sa condition. Il ne lui en voulait pas, cependant.

Il n’était pas aussi vain non. Et il ne montra rien de ce qu’il pouvait en ressentir. Si quoi que ce fut doive vraiment compter, c’était qu’il avait fait le bon choix en risquant sa vie pour ce petit bout d’homme. Ce qu’il y avait là, devant ses yeux, était plus précieux que bien des trésors… et inimitable. « Il est là où il devait être, auprès de vous » répondit-il simplement, ne sachant pas vraiment quoi dire, devant pareils remerciements, et ce, d’autant plus qu’ils étaient encore menacé par un siège imminent. Rien n’était joué malgré le soulagement de cet instant. Ce n’était pas assez. « Et très bientôt, vous serez également là où vous devez être, à Gloria » Il affirmait cela avec tranquillité, mais avec cette même assurance qu’il avait montré lorsqu’il lui avait proposé de sauver son fils, deux mois auparavant. Il lui fallait être plus solide que jamais, et sa détermination ferait autant de bien à tous que leurs armes. Il était toujours bon de voir se refléter un solide espoir, une solide résolution. Ils vaincraient l’armée loyaliste, ils n’avaient pas le choix. Pourtant, ce n’était pas gagné d’avance, loin de là même. Soupirant profondément, il fit jouer la prise de ses mains sur les accoudoirs. Il aurait peut-être pu offrir un avantage à la rébellion en achevant le prêcheur, et il regrettait de n’avoir pas eu le temps de le faire. « J’ai combattu contre Aldakin du Néant… » Annonça-t-il simplement, sérieux. « Mais hélas, le temps m'a manqué, j’aurais pu le tuer si ses ouailles avaient traîné quelques instants de plus. Oh, il serait revenu, sans aucun doute, mais ça aurait déjà été quelque chose » ça aurait pu leur gagner un peu de temps… Il s’en voulait au final oui, plus qu’il ne l’aurait cru, maintenant qu’il était au calme et sauf. Quitte à se mettre en danger, autant faire fructifier l’investissement.

La mention de l’encapuchonné le fit se crisper sensiblement, et il serra les accoudoirs autant que les crocs. Son regard se fit dur, pendant un instant. Puis il se détendit, et entama un récit un peu plus détaillé de sa course, de façon très simple et neutre, sans la moindre emphase. Un récit pratique. Il n’avait rien dit à personne de sa stratégie, avant de partir, pas même à Korentin. Il lui avait simplement dit qu’il partait… mais il lui devait bien un contre-rendu. « J’ai utilisé la magie pour nous rendre invisibles, moi et Silarae, jusqu’à ce que nous arrivions en vue de la colonne. Je pensais qu’ils prendraient leur temps, nous sachant repliés à l’intérieur des cavernes, le prêcheur avait tout intérêt à ménager ses troupes. Ils campaient. Silarae les a distraits pendant que je m’approchais. Aldakin m’a barré la route et j’ai dû l’affronter…. C’est un redoutable guerrier. J’ai cependant réussi à le blesser et à prendre l’avantage. Lorsqu’il m’a repoussé, nous avons découvert que Nolan s’était approché » Un craquement sinistre résonna, il avait serré progressivement, une fois de plus, son accoudoir, et le droit venait de protester contre le traitement qu’on lui infligeait. Il relâcha son étreinte en fronçant sensiblement les sourcils et secoua la tête. « Veuillez m’excuser… » Il déposa la main coupable sur son genoux, histoire d’éviter de démolir les meubles de son hôte. « Lorsqu’Aldakin a remarqué sa présence il a décidé de changer de tactique et a voulu s’en prendre à lui, je l’en ai empêché. Je l’avais à ma merci mais je n’ai pu en finir avec lui, ma priorité était de ramener Nolan avec moi, je m’y suis tenu. Cela étant dit… » Il eut un sourire amer qui découvrit l’ivoire de ses crocs « Ils se souviendront tout de même de mon départ, j’ai eu la délicatesse de le signaler par un tremblement de terre »

Il évita de préciser que la tactique avait été particulièrement efficace sur l’armée humaine à Feusacré et poursuivit. « J’ai perdu ma faux dans l’entreprise, mais ce n’est pas cher payé… L’un dans l’autre, je pense pouvoir affirmer que cela s’est bien passé » Il prit le temps de notifier les comptes rapides qu’il avait pu faire sur les forces en présence et le matériel emporté pour le siège, ainsi que leurs provisions et le placement des forces dans la colonne. On ne savait jamais après tout. Puis, une fois qu’il eut finit, il l’observa attentivement, semblant jauger de quelque chose. Quelque chose de préoccupant.

Il n’aurait pas été si élogieux de sa propre efficacité en vérité, ne pas avoir réussi à achever Aldakin du Néant lui restait en travers de la gorge. Certes, sa mission originelle avait été parfaitement remplie, mais il avait manqué une grande opportunité simplement à cause d’un minutage un peu décalé. Si ce n’était pas ce que l’on appelait manquer le coche, il ne savait pas ce que c’était. Priver l’armée d’obsidienne de son général en chef et guide spirituel aurait été un sacré coup pour eux. Et pour peu que le faire revenir prenne du temps à Néant, ils auraient pu davantage consolider leurs positions. Mais tant pis. Il devrait continuer d’exister avec cette frustration. Et peut-être aurait-il un tant soit peu l’occasion de la consoler en tuant l’abomination sombre durant la bataille… Lui planter la tête sur une pique l’aurait beaucoup satisfait, aussi barbare et violent que cela soit. Parfois, il fallait bien céder à ses inclinaisons, surtout quand on ne risquait pas complètement de vous en vouloir. Il doutait sincèrement que les rebelles se plaignent du sort qu’il réserverait au prêcheur s’il mettait la main dessus. Mais soit, l’objectif suivant, le vrai, c’était la bataille. Une fois qu’elle serait gagnée, car il refusait de douter, il continuerait vers Gloria et aurait une petite ‘discussion’ avec Fabius Kohan… Cela étant dit, il n’imaginait pas réellement qu’il avait la portée nécessaire pour faire tourner le destin dans un sens ou un autre. Sans doute était-ce parce qu’il avait une vision très personnelle de ce concept-là après son siècle de vie, on ne pouvait pas vraiment le lui reprocher, si ? Il ne faisait pas tourner le destin… mais ce qui était certain, c’était qu’il faisait tout pour arriver aux objectifs qu’il se fixait et qu’il avait les moyens d’influer sur les évènements physiques, à défaut de secouer la toile gigantesque que devait représenter la fatalité du monde. Ses actions changeraient-elles quoi que ce soit sur le long terme ? Il l’espérait, mais ne ferait pas de gorge chaude là-dessus tant cela restait incertain.

A la fin de son récit, il laissa à son interlocuteur le loisir de prendre la parole, alors que lui-même contemplait de lourdes considérations… peut-être aussi lourdes que les gravats dues au séisme qu’il avait provoqué sur la route des Alayiens. Ils se souviendraient de cette nuit-là pendant un moment à son avis. Cependant, l’affirmation que Korentin clamait lui arracha tout de même un sourire et un léger hochement de tête. Oui il la reprendrait, ne serait-ce que parce qu’elle avait une sacrée histoire à raconter, maintenant. Et puis de toute façon c’était la seule arme en dehors de son bâton qui résistait un tant soit peu quand il tapait avec, sa valeur n’était donc pas négligeable. « Effectivement » Il ne comprenait que trop bien et n’était absolument pas opposé à cela. En temps normal il n’aimait pas se vanter, mais si cela pouvait donner un peu de mieux au moral général, surtout après les étranges évènements de ces derniers temps, alors il n’avait pas à ménager son petit confort. Il ne savait pas si cela suffirait à contrebalancer la tendance, mais ce serait déjà quelque chose, et puis il semblait bien de toute façon que les humains soient partis pour faire sienne cette aventure qu’il le veuille ou non, alors autant que cela soit fait par des professionnels en la matière. Distraitement, il imaginait déjà ce que dirait Aegle lorsqu’elle apprendrait qu’il avait agréé à pareille chose. Un brin d’amusement le traversa, sans pour autant chasser son sérieux et son inquiétude. Il pouffa pourtant à la suite. « Oh je suis disposé à ces aléas, je vous en prie, faites. Cela ne m’ennui absolument pas » Et puis Silarae serait ravie que l’on chante des chansons en son honneur, il en était certain. Elle adorait qu’on la vénère de toute façon. Et elle avait de quoi être admirée, sans aucun doute. Mais personne ne l’admirerait davantage que lui. Sans elle il n’aurait pas pu mener à bien cette mission.

Les choses reprirent un tournant plus sombre, cependant. Oui, il aurait lui aussi préféré renforcer leurs positions. Et ils n’étaient pas les seuls. Même les baptistrels qui avaient pourtant contribué à grande échelle au remodelage des galeries avaient eu l’air de manquer de temps ; et il ne voulait même pas penser aux simples troupiers… La bataille arriverait de toute façon trop vite même avec un délai supplémentaire. Mais son arrivée serait aussi un soulagement. L’angoisse de l’avant-bataille pouvait saper leurs forces aussi bien que le reste, pire parfois. Une armée suintant la peur est déjà défaite. Quant aux vampires… Il pinça les lèvres. Hésita. Son regard se détourna de Korentin pour caresser la pièce du regard avec uné méfiance qu’il affichait presque ouvertement sur le coup. Une bulle de silence ? Mauvaise idée, si un espion tendait l’oreille il comprendrait… Il n’avait qu’une seule solution. Son regard rencontra de nouveau celui de Korentin… « … Faites-moi confiance… » Commença-t-il et à cet instant précis, il étendit doucement son esprit vers celui de l’humain, usant des reliquats de don qu’il avait reçu du double royal. Lentement, il parvint à prendre contact avec l’autre dragonnier et à chuchoter dans son esprit d’une voix faible et lointaine, difficile à percevoir mais bien présente. < Il… agit étrangement… Il… ne prête pas… attention… aux plans des… généraux… il prépare… quelque chose… je crains…. pour la…. bataille… > « Ils se battront farouchement, eux aussi, je n’ai aucun doute là-dessus… » Au contraire de sa voix mentale, sa voix physique elle était parfaitement assurée, posée et ferme. « Ils n’ont pas plus le choix, il faut remporter cette victoire, les alayiens sont trop dangereux pour eux également… » <Il cache… quelque chose… cette fois... c'est tout proche>

Un instant il fronça les sourcils, et retira son esprit de celui du monarque, ne souhaitant pas le déranger davantage dans un cercle aussi intime, c’était simplement la seule façon qu’il avait de s’assurer véritablement qu’aucun espion ne pourrait se douter de quoi que ce soit. Si on savait qu’il avait transmis pareille information, pareil doute… Mais non impossible. Il y veillait. « Une idée m’est venue, lors du trajet pour rejoindre l’armée alayienne. Je sais que votre haut mage a été tué il y a trois jours dans l’accident d’une des galeries. Il serait bien difficile dans former un à un tel poste en si peu de temps. Mais si vous deviez accepter ma proposition, sachez que je serais prêt à confier mes connaissances à l’individu que vous choisiriez pour remplacer le défunt… »

Il n'avait pas de moyens de confier davantage de ses préoccupations à Korentin sans être compromis et il ne parvenait tout simplement pas à focaliser sa télépathie de façon satisfaisante pour offrir un discourt plus clair, mais l'humain était loin d'être stupide, il comprendrait tout de même la menace et en tirerait les conclusions logiques. C'était déjà quelque chose. C'était mieux que rien. C'était déjà quelque chose même si ce n'était pas la moitié de ce qu'il aurait voulu offrir... Lui non plus ne savait exactement ce que Lorenz comptait faire, il avait eu beau y penser, cela paraissait ubuesque de faire cela maintenant. Mais l'ancestral était retord et sans scrupules, et bien capable de se donner les moyens de ses ambitions, donc il avait de bonne raison de se méfier... et de faire se méfier Korentin également. Il lui serait particulièrement difficile de voir celui qu'il considérait déjà timidement comme un ami, trahit et détruit par ce vampire-là. Et les paroles du monarque le satisfirent, montrant clairement qu'il avait comprit, comme il s'y attendait. « Tout à fait » fit-il en s'engouffrant dans l'avenue qu'on lui ouvrait avec brio. Rien ne laissait paraître de ce qui avait transpiré dans l'intimité de leurs esprits, bien malin l'espion qui parviendrait à avoir compris la véritable teneur de l'échange. Cependant, il s'inquiétait aussi de savoir comment garder un œil sur ce qui se dirait entre les deux chefs. Il pouvait certes y aller lui-même mais... un autre ancien, peut-être ? Il allait devoir y réfléchir.

Mais en attendant, on répondait à sa proposition et il ne pouvait nier qu'une fois encore, il n'était pas mécontent du résultat. On acceptait sa proposition, cela ferait certainement encore du bruit chez les humains mais il commençait à avoir l'habitude d'en provoquer régulièrement alors un peu plus ou un peu moins. Quoique... c'était tout de même un événement unique, le sauvetage de Nolan également mais pas de la même façon car ici, il en allait de questions politiques et sécuritaires. « Je l'attendrais » Il avait hâte de voir l'homme qu'on lui décrivait, pour le coup. Il allait être son élève pendant un moment autant dire qu'il devrait se montrer à la hauteur... mais enfin si il était pressenti pour le post, c'était qu'il devait avoir de véritables qualités. Korentin avait l'air d'être certain de son choix, après tout. Il faudrait qu'il ménage l'entrevue, de préférence ailleurs qu'au beau milieu de l'enclave vampirique... histoire de. Ce serait vraiment dommage que son futur élève tourne les talons sans l'avoir rencontré. Enfin bref. « Je serais ravi de vous revoir, mais vous allez effectivement être particulièrement occupé, autant que je ne vous prive pas d'un temps précieux. Nous aurons tout le temps de nous retrouver par la suite » Et par cette affirmation, il réitérait le serment que la bataille serait à leur avantage. Il en avait parfaitement conscience, comme de la réticence de son vis à vis à ce genre de sanglante scène.

Il comprenait, lui non plus ne prisait pas la violence, mais de la même façon, il savait qu'il ne pourrait y échapper et l'acceptait également. Comme Korentin. Aucun d'eux ne pouvait faire la fine bouche. Il se leva également, dans le mouvement du souverain et se laissa raccompagner jusqu'à la sortie. Une fois seule, il se glissa jusqu'au lieu où se trouvait sa liée pour passer un moment avec elle....

***

[Erin Veanya - 27 Juin]

Le bruit discret du tissu frottant contre la roche sèche lui fit tourner la tête et il observa sombrement son fils s'avançant vers lui. Il n'eut pas un clignement d'yeux, pas un mouvement d'accueil et le dragonnier ne semblait pas en attendre d'ailleurs. Il n'en avait jamais attendu de sa part, leur relation était bien trop singulière pour admettre ce genre de niaiseries. Tous deux devaient discuter et c'était pour cela qu'il lui avait demandé de venir. Parce que le blond était trop demandé ces derniers temps pour qu'on puisse accéder à sa présence aisément... pas que cela le surprenne et en règle générale il se serait simplement invité sans plus de courtoisie. Mais pas cette fois. Cette fois, il le laissa s'installer face à lui, un demi sourire crochu et peu agréable aux lèvres. Et ils discutèrent, il lui fallait caser beaucoup en moins de temps qu'il n'aurait aimé en avoir. La bataille approchait après tout.

Et Achroma écoutait, sourcils froncés, un tic qu'il avait toujours eu lorsqu'il conversait avec lui. Cela ne l'amusait qu'à demi, il aurait préféré peindre ce visage, comme beaucoup d'autres, d'expressions plus franches et incontrôlables, tout simplement... Et ce qui pourrait penser cela d'une naïveté utopique auraient alors tôt fait de comprendre le sinistre de sa volonté. On pouvait s'amuser de tout, chez les Veanya, même de la souffrance d'autrui. Cela dit, il ne l'aurait probablement pas amoché lui et ses jeux étaient loins. Il n'avait plus un millénaire à sa disposition. Étrange pour un ancien, que de constater que, subitement le temps vous faisait défaut. Alors lorsqu'un intrus vint les interrompre, il n'en fut même pas surpris... Son sombre regard se posa sur Wintel tandis qu'à ses côtés Achroma élevait simplement un sourcil. Le regard d'Erin croisa celui, meurtrier, du prince, et son sourire s'élargit comme à une bonne blague...

Difficile de ne pas rire, lorsqu'on était Erin et qu'on voyait sa mort se précipiter sur lui. Mais ça ne rendait pas le choc moins douloureux pour autant....

Un coup d'oeil. Pendant un battement de coeur alors qu'Achroma se tournait vers son père en fronçant les sourcils, celui-ci lui décocha un simple coup d'oeil, mais qui signifiait tellement pour eux. Un dernier instant, avant que la vie de l'ancien ne s'achève… Il sentit le sortilège juste avant qu'il ne frappe mais ne fit rien pour s'interposer entre celui qui l'avait éduqué et le prince sombre. Impassible, il restait droit et froid en observant cette scène pourtant sinistre. Intérieurement, cependant, il bouillait sourdement. De tristesse d'abord, car malgré la relation complexe qu'ils entretenaient, de la colère, en se savant manipulé par cette figure paternelle qui ne lui avait jamais totalement accordé sa confiance et son crédit, préférant jouer de son côté à des jeux assez obscures pour que lui-même s'y perde… De l'inquiétude aussi, de savoir la raison de ceci, et les répercussions sur le reste des anciens. Il avait confiance que cette exécution allait être le déclencheur d'un certain nombre de polémiques au sein de leur groupe, qu'il devrait juguler et utiliser… Il ne pourrait leur mentir mais cette tempête-là allait être particulièrement délicate à gérer et ce d'autant plus qu'il était en deuil. Erin… qu'avait-il pensé et… pourquoi lui avait-il demandé de venir ? Savait-il ? Il semblait qu'il avait effectivement été au courant, au vu de la réaction… alors pourquoi cette mise en scène ? Il ne comprenait pas cette dernière farce de la part de son père. A moins évidemment… ? Son regard croisa celui, ternis, de Cyrène, qui se détourna dans le fond de la salle pour en sortir par l'autre côté. Quel message était-ce exactement ? Il ne savait pas encore mais il savait d'instinct qu'il l'avait chèrement payée et qu'il la regretterait un très long moment. Encore une fois, un de ses proches tombait…

Il se tourna vers Lorenz et haussa un sourcil. Il ne le quitta pas des yeux, mais ne s'assit pas pour autant. Il croisa simplement les bras en attendant, certain qu'il parlerait. Et il ne s'y trompa pas. Ignorant superbement la créature aux côtés du prince, il continua de l'observer. « Je ne vais pas tarder à le savoir, vous allez me le dire » Ce n'était pas un ordre. C'était une froide constatation, plate, brute, neutre. Observatrice. Si Lorenz avait un seul instant pensé qu'il savait de quoi il en retournait, il l'aurait attaqué également et ils seraient présentement entrain de se livrer ce qui serait certainement un formidable duel. Il n'en dit pas davantage mais son regard dévia un bref instant pour s'assurer d'un vaguement mouvement à l'extérieur, par un entrebâillement de tenture… et il pinça légèrement les lèvres. Aegle et ses chuchoteurs. Mais ce qu'elle allait apprendre ne lui ferait sans doute pas autant plaisir qu'elle le pensait. Il se demandait comment elle allait réagir, en particulier lorsqu'il s'agissait du second ancien mourant en très peu de temps. Isendal, Erin. Deux éminents membres de leur famille. Deux pertes qu'ils auraient peut-être pu éviter. La première au moins, la seconde… Non il ne comprenait pas de quoi il retournait, jusqu'à présent Erin n'avait pas été celui des leurs qui voguait près de Lorenz, contrairement à lui. Alors qu'est-ce qui se passait ? Cela tenait-il à la visite de Korentin ? Il n'y avait pas lui-même assisté, mais… Non, cela semblait étrange. Enfin quoi qu'il en était, Lorenz allait bien expliciter. Il pencha légèrement la tête sur le côté en revenant à son observation de son vis à vis, dans une courtoisie parfaitement policée et vernie qui ne laissait absolument rien paraître.

Distraitement, il rassura Silarae, venue aux nouvelles, et qu'il laissa prendre place dans son esprit sans s'en sentir importuné. Cela ne le gênait pas, il vivait de plus en plus en communion avec elle alors… Puis la compréhension vint peu à peu, avec le retour qu'on lui faisait. « Très bien... » Il cligna des yeux, puis décroisa sensiblement les bras. Il n'avait pas grand-chose à en dire en vérité, il l'avait craint sans en avoir même conscience. Il n'avait pas grand-chose à dire de plus en vérité, mais fit un petit effort. « Souhaitez-vous interroger les autres ? » Ce serait une perte de temps, surtout à présent, sans guère de doutes, mais après tout puisqu'ils ne risquaient rien à faire ce geste… Il savait d'ors et déjà que les autres anciens n'auraient guère besoin d'explications. Quoi qu'ai décidé Erin, il avait la certitude qu'il avait été le seul détenteur de son secret jusqu'à l'instant de sa mort…