--- 10 Mars ---

La terre avait tremblée, transformant le quartier général de la rébellion en une fourmilière beaucoup trop agitée à son goût. Un instant, le monde avait semblé retenir son souffle, la trame frissonnante et vacillante avant qu’elle ne se gorge de puissance comme jamais auparavant, se transformant sous ses yeux surpris en un lot chatoyant, tel une rivière en crue…Jamais il ne l’avait vu active à ce point. C’était indescriptible, de même que le sentiment de puissance qui en dérivait une fois qu’il comprit qu’il avait à sa disposition des réserves encore plus illimitées qu’avant. Que pouvait-il faire avec autant d’énergie ? Elle semblait sans limites, intarissable. Elle abondait d’une façon si unique que l’on aurait pu croire à un don particulièrement généreux des Esprits. Le problème c’était qu’il n’y avait aucune raison pour que ça vienne de là. Aegle l’avait informé à propos de la visite du prince au gardien et de la trouvaille de Dévoreuse. Fallait-il en conclure que cela venait de là ? Très probablement. Et il le regrettait beaucoup en vérité. Oh pour l’instant le peu qu’il avait expérimenté de cette trame gorgée à raz lui plaisait, quoi que cela rendait le moindre sort complètement disproportionné… mais il y aurait forcément autre chose, on influait pas sur la trame sans qu’il y ait des répercussions et il ne croyait pas que la destruction de Dévoreuse ait pu se faire sans que ses principaux acteurs ne s’attendant à un minimum de retombées. Pousser le vice jusqu’à penser qu’ils savaient exactement ce qu’ils faisaient… mais il n’allait certainement pas en discuter ni avec l’un ni avec l’autre. Ce qui était fait était fait, avec tout ce que cela entraînait. Il ne s’était adjugé pendant ce laps de temps que de très petits sortilèges, une paranoïa qu’il n’expliquait pas lui susurrant que c’était déjà bien assez et qu’il valait mieux faire attention et reporter l’expérimentation. Personne n’avait besoin d’ajouter à l’incident une boule de feu perdue au milieu des constructions de bois…

Un peu plus tôt, un détachement était allé à la rencontre de Lorenz, alors que lui rejoignait les autres anciens sans se prêter à l’excitation générale. Aucun n’était sorti, mais il y avait sans doute déjà bien assez à faire à l’intérieur. Et puis, la maîtresse des chuchoteurs avait déjà pris ses dispositions, ce qui n’était guère étonnant de sa part. Isendal lui avait bien enseignée. Il était donc en train de discuter de ce qui pourrait s’avérer nécessaire, et du ressentis de chacun au sujet de ce soudain bond dans la trame ainsi que des secousses brèves du sol lorsque le courrier humain arriva. Sans grande surprise, quand on y pensait d’ailleurs, cela dit, débarquer dans une fortification, même sommaire, de vampires en pleine effervescence, ce n’était pas forcément indiqué pour un humain… en particulier au vu du regard de certains. Allons bon, mais c’est que ça frôlait la récidive d’incident diplomatique ça. Korentin Kohan ne risquait pas d’apprécier que pour toute réponse à ses demandes (fort légitime dans l’absolue) on lui croque son courrier. Il l’intercepta donc, l’individu qui n’avait fichtrement rien à faire là, avant que celui-ci ne finisse en quart d’heure sanguinolent et s’enquis de la raison de sa venue même si il aurait parié n’importe quoi dessus. L’empereur humain demandait des comptes à Lorenz pour la destruction de Dévoreuse. Mais Lorenz n’était pas encore là, il était sortis à l’extérieur d’après ce qu’avaient dit les gardes qui étaient allés à sa rencontre. Et ignorer la demande aurait été bien maladroit. Il ne se voyait pas non plus spécialement abandonner le devoir d’y répondre à quelqu’un comme la générale Ullylan ou une conseillère aussi peu sage qu’Actaäe. Non et même si il aurait volontiers simplement attendu que le prince s’en charge (c’était après tout lui que l’on demandait) il ne se voyait pas le faire. Et Achille ? Il avait disparu. Déjà que ce sombre pacifiste ne servait pas à grand-chose…

Il raccompagna donc le courrier jusqu’à Fort-Espérance et s’annonça auprès des gardes en faction afin que le souverain soit prévenu dans le juste protocole, histoire de ne pas le froisser plus encore. Il attendit donc là où le courrier le lui proposa, jusqu’à ce qu’on lui signifie qu’il pouvait accéder à la salle d’audience du centre de la rébellion. L’attente n’avait guère était longue, sans doute en raison de l’énormité que représentait les actions des deux ‘briseurs de Néant’. La salle était vide à l’exception des lames noires en faction et de l’Empereur, sans doute pour éviter d’ajouter à la délicatesse de l’affaire et le regard de l’humain lui confirmait qu’il allait devoir naviguer avec des pincettes. Il s’approcha donc, sans arme et posa un genou à terre. Normalement il ne l’aurait pas fait, ne voyant absolument pas ce qui expliquerait qu’il doive pareil honneur à ce qui n’était ni plus ni moins qu’un nourrisson encore en langes. Une révérence aurait suffi. Mais mieux valait s’en tenir au cérémonial. Les grands seigneurs humains ne posaient qu’un genou à terre, ainsi faisait-il donc, gardant les yeux fixés sur un point légèrement en dessous des siens. « Salutation, Votre altesse » énonça-t-il en même temps, attendit, puis se releva lorsqu’il le fallut. « Je suis Achroma Seithvelj, membre du conseil vampirique, premier dragonnier et porte-parole des anciens. Le prince étant absent je me suis permis l’outrecuidance de répondre à votre courrier afin de ne point le faire tarder » Sa voix était parfaitement calme, même si un puissant élan paranoïaque le saisit. Et si on essayait de le tuer ? Ah… là par contre il devrait se défendre… « J’espère que je pourrais contribuer à résoudre le différend qui vient troubler notre alliance »

La situation était particulièrement délicate et elle appelait toutes les précautions possibles. Ce qui était amusant, c’était bien qu’il avait déjà eu l’intention de demander audience auprès du souverain, mais pour une toute autre affaire. Celle d’une jeune vampiresse liée à Isendal, qu’il avait laissé pour morte avant de partir en sa compagnie. Aegle l’avait informé de son lien avec l’Empereur et, en la mort d’Isendal et même si il avait été en vie de toute façon, il se serait présenté comme seul responsable des actes de son ami, qui appartenait après tout aux anciens. Ce n’était là que justesse. Néanmoins l’ampleur de sa tâche présente n’était pas du tout la même et il préférait s’y atteler avec toute la délicatesse dont il était capable. Aussi, lorsque le souverain humain lui répondit, il n’afficha aucun changement d’expression, conservant une expression paisible et courtoisie, et acceptant sans rechigner le mordant qu’on lui servait. Oh il ne l’aurait sans doute pas davantage relevé dans une situation plus paisible, mais avait encore moins de raisons de le faire présentement. Il ne fit qu’un signe de tête gracieux, pour preuve courtoise qu’il entendait effectivement ce qu’on lui disait, le regard toujours un cran en dessous du sien. Debout, il ne prit absolument pas une posture agressive, ni clairement ni subtilement, restant parfaitement calme, doigts des deux mains entrecroisés et joint devant lui. Il le laissa aller jusqu’au bout de son discourt sans l’interrompre une seule fois. Bon, il avait clairement l’air de vouloir attaquer sur chaque mot, aussi bien choisis soient-ils. Fort bien. Il ne pouvait guère lui dénigrer ce droit, dans la situation qui était la sienne c’était un moindre mal, mais il se félicita plus encore d’être celui qui essuyait sa colère et non un autre vampire qui aurait potentiellement beaucoup plus mal réagit.

Ce qu’on lui demandait n’était ni plus ni moins qu’une délation, en un sens. Mais non seulement la vérité était nécessaire mais en plus elle était, à son sens, plus que due. Il avait eu assez de temps pour rassembler ses théories et les éléments certains qu’il détenait pour pouvoir formuler une réponse sans trop tarder. « Je ferez de mon mieux, Altesse » répondit-il finalement avec la plus grande courtoisie, ignorant le simulacre de menace, si tant est qu’on pouvait l’appeler ainsi. C’était un message parfaitement saisi. Un nouvel élan paranoïaque sembla le saisir, pendant lequel il se demanda exactement ce que l’autre savait de lui, jusqu’où il avait pu s’informer. Puis, il se força à raisonner. Isendal n’aurait pas manqué de le savoir si on avait fouillé leur passé humain. Il ne risquait rien… alors pourquoi craignait-il tant ? « Je digresserais un instant sur la nature des portails de la trame afin de replacer ma réponse dans un contexte approprié. Vous savez, je n’en doute point, que les dragons sont la source de la magie sur notre continent, ils permettent à nos peuples d’y accéder, d’en tirer de l’énergie que nous modulons par la suite en des sortilèges, enchantements… Les dragons sont des portails vers la magie supérieure et sont les jalons de la trame, ils permettent d’accéder au plan astral, le séjour des Esprits » Sa voix résonnait avec fluidité, posée, la diction parfaite roulant aisément et rendant le discourt aussi agréable à l’oreille qu’au cœur grâce à la présence de son totem, qui se faisait plus sévère encore.

« Dévoreuse, chevalière du Néant, a sans aucun doute été façonnée par elle, tout comme Offrande, votre propre chevalière, est la création de Vie » Il avait pu le comprendre après de longues recherche et grâce à la recherche des objets des Esprits. « Dévoreuse cependant, est autant une création du Néant qu’une part d’elle-même, je pense, un portail comme le sont les dragons pour les Sept. Un portail qui permettrait l’accès au plan astral et par là… à Néant elle-même » Il laissa un instant la portée de ses mots s’ancrer dans la réalité, avant de poursuivre sans se laisser interrompre. « Si cette théorie est exacte, et je ne doute pas que le prince Wintel l’ait également pensé, il est possible de, non seulement détruire la chevalière, mais d’atteindre au travers de ce portail Néant elle-même. Atteindre un Esprit supérieur est impensable, et pourtant je pense que c’est exactement ce dont il s’agit-là » Du moins c’est ce que Lorenz avait dit au chanteur, d’après le chuchoteur d’Aegle. «Quand à la raison d’un tel geste, il me paraît probable qu’il souhaitait affaiblir Néant et ainsi aider dans la lutte contre les Alayiens qu’elle soutient activement. L’empêcher d’intervenir, retirer leurs pouvoirs aux serviteurs, ou encore, pourquoi pas, annuler la capacité du verre noir ? Cela serait certainement un immense avantage en notre faveur. Je ne puis dire si l’effet escompté aura effectivement lieu pour le moment, cependant » Mieux valait ne pas poser d’affirmation gravée dans la roche face à un tel évènement, où ça risquait de lui retomber dessus à un moment ou un autre.

« Toutefois ce dont je suis certain c’est qu’il y a effectivement eu un effet. La trame magique de notre monde s’est gonflée comme une rivière en crue et déverse sa puissance sur chacun de nous. Ce qui signifie que chacun a accès à une magie beaucoup plus virulente et puissante. Je me suis permis quelques légères expérimentations, en compagnie de mes pairs, et même les magiciens de moindre importance sont désormais une force remarquable. Ceci est le premier phénomène que j’ai pu observer. Le second est plus subtile mais il semble bien que nos totems soient également plus puissants et actifs. Il s’agit d’une forme de magie, elle est donc soumis à ce surplus de magie provenant de la trame. Concrètement, cela signifie que de nouveaux effets sont potentiellement à prévoir pour chaque totem, ainsi qu’une accentuation de certains autres ou des influences sur les traits de caractère » Sa paranoïa ne pouvait provenir que de là en vérité, il ne voyait aucune autre explication à moins de devenir complètement fou. « Ce surplus de magie risque également d’influencer la nature, le tremblement de terre qui a eu lieu n’est sans doute qu’un commencement bien que je ne puisse dire pour le moment de quoi il s’agira. Le grimoire d’Alderick parlait de la formation du désert d’Esfelia suite à une trop grande utilisation de magie après la rarification de celle-ci, à la suite du départ des dragons, j’ai observé ce phénomène moi-même sur la végétation également. Donc si une rarification entraîne des phénomènes de ce genre la logique implique qu’à l’inverse un surplus de magie entraîne un surplus de création. Le tremblement de ce matin pourrait également être une réponse à l’acte magique unique accompli par le prince et le gardien, évidemment »

Avec prudence, il ajouta « Je suis certain que mon prince pourra témoigner de davantage de ces phénomènes une fois rentré, si il est effectivement sortit pour constater les répercussions de son geste » De nouveau, un léger silence s’installa. Mais il comptait encore une fois aller un peu plus loin. « Pour le moment je ne puis fournir hypothèse plus étayée que celle-ci. Je m’engage cependant à vous informer vous ou qui que ce soit que vous nommeriez, Altesse, dès que je pourrais induire plus amples détails » Un bref, très bref instant, il releva le regard et mira directement dans les prunelles piquetées d’or ses propres orbes céladons, échangea ce regard parfaitement franc avec lui, puis les baissa de nouveau en un battement de cœur. « Si je puis répondre à quelque autre question, votre grâce ? »

Comment réagissait-on exactement après pareilles révélations ? Il espérait bien que le souverain humain avait le cœur solidement accroché et qu’il n’allait pas faire une attaque à l’écouter. Il aurait été dans une sacrée situation s’il se rendait coupable de régicide sans même le vouloir, alors qu’il tentait d’alléger et de régler un incident diplomatique. Il voyait déjà Lorenz se gausser comme une baleine… Hm, les convenances étaient-elles à jeter aux orties s’il devait lui faire un massage cardiaque ou croiraient-ils qu’il était coupable et qu’il ne fallait pas le laisser approcher du corps ? Et si on demandait l’arme du crime ? La vérité. Magnifique, vraiment… mais non, fort heureusement il semblait bien que l’humain n’allait pas lui claquer entre les doigts. Il ne le prenait pas bien, certes, mais là encore il ne pouvait pas vraiment le blâmer, mais au moins il était encore en vie et ne paraissait pas parti pour mourir tout de suite. Une bonne chose donc. En vérité, l’idée même de le voir mourir là tout de suite aurait presque suffit à le faire grimper aux rideaux et à fouiller le moindre recoin pour vérifier que ce n’était pas à cet instant qu’un assassin avec un sacré sens du spectacle et du moment allait s’en prendre à lui. Définitivement, son totem devenait fou. Aigue était introuvable pour les Loyalistes de Fabius Kohan enfin ! Il n’y avait pas de raison qu’un malheur arrive. A moins qu’en fait, le souverain malgré tout, ne se décide à vouloir s’en prendre aux vampires ? Hm ce n’était pas vraiment intelligent dans l’immédiat et en plus ça ne lui ressemblait pas, du peu qu’il savait de lui. Quant à l’envie presque insupportable qu’il avait d’épier son esprit, elle lui semblait ubuesque. Avec n’importe qui, il aurait sans doute accepté son travers et aurait consentit à le satisfaire. Mais non, et en plus il y avait la dragonne de l’humain qui risquait de s’apercevoir de son intrusion. Pas besoin d’un second incident diplomatique donc. Plutôt que d’aller à la pêche aux pensées, il s’intéressa davantage aux réactions physiologiques de l’humain et à ses paroles, qui étaient déjà bien suffisantes pour se faire une idée de l’avancée de la situation au fur et à mesure de ses explications.

Aigue… Elle avait tenu le choc, mais il n’imputait pas cela à la chance. Tous autant qu’ils étaient, ils avaient bien dû se rendre compte que la ville n’avait pas été construite à la légère, sur n’importe quel emplacement. Il y avait certainement eut des tombées de roches et autres, mais dans l’ensemble il pensait que les cavernes tiendraient le choc, même face à des secousses répétées, tant qu’on faisait attention à où l’on mettait les pieds à ces moments-là. Silencieux, il accueillit les reproches d’un nouveau signe de tête posé, manière bien à lui d’indiquer qu’il était parfaitement conscient et pas loin d’abonder dans son sens. Il ne pouvait pas vraiment prétendre le contraire… même si lui aussi avait espéré mettre la main sur Dévoreuse. Ah si seulement… Il aurait alors pu prendre le trône à Lorenz sans le moindre problème. Si le vampire susnommé avait conscience de la situation ? Hm oui parfaitement à son humble avis. Et également à son humble avis, ça n’allait pas aller en s’arrangeant puisqu’il serait certainement persuadé de ne rien lui devoir… Il ne répondit pas immédiatement, mais en le voyant soudainement se dégonfler comme une baudruche, lui-même soupira puis s’autorisa un bref fantôme de sourire. « Peur de Lorenz Wintel ? Non Altesse, il ne me fait pas peur » répondit-il d’une voix douce. Non Lorenz ne lui avait jamais fait peur. Pas pour lui-même. Pourquoi aurait-il dû avoir peur ? Il le prenait au sérieux oui sans aucun doute, mais il n’en avait pas peur. Encore moins après l’épisode du Double Royal. Il le comprenait peut-être un peu mieux. Pas complètement, car ce n’était d’ailleurs pas sa volonté contrairement à certains elfes dont il tairait le nom, mais un peu tout de même. « Si je puis me permettre ces paroles, pourquoi ne chevauchez-vous pas votre digne dragonne pour porter fer et vengeance à votre cousin ? » La réponse était toute trouvée. Par devoir évidemment. Ce même devoir qui lui avait à l’égard de son peuple.

« Si j’ai jamais eu peur de quelque chose dans ma vie votre grâce, c’est bien d’être nommé Prince. Vous, Galadrielle, votre prédécesseur … vous avez toujours eu ma plus profonde admiration pour avoir le courage d’endosser de telles responsabilités. Moi j’ai fuis lorsque je le pouvais » Un bref instant, sa voix se teinta de tristesse avant qu’il ne soupire et ne reprenne avec calme. « Mes jours de fuite sont terminés, cela dit, pour le moment je n’ai pas la puissance suffisante pour défier le pouvoir du sang de dragon, et je perçois toujours mon prince comme étant un chef susceptible d’offrir ce que mon peuple nécessite. Tant que ce sera le cas, je le suivrais, et m’efforcerait de servir les miens autant que je le pourrais, y compris en faisant mon possible pour que notre alliance perdure » Tant que Lorenz lui semblerait l’avenir des vampires, il suivrait, peu importe ses propres vindictes ou désir. Et le jour où il ne le serait plus, il faudrait espérer qu’il ait alors la puissance nécessaire à un affrontement pareil. Il y eut un bref silence, avant qu’il ne reprenne la parole. « Il se trouve que je tiens énormément à cette alliance. Elle n’est peut-être qu’essentiellement militaire à l’heure actuelle, je ne désespère pourtant pas que nous puissions apprendre à vivre en peuples égaux et ce en une entente raisonnable. Mais je crains et ce avec une réelle affliction de devoir le dire : l’heure n’est pas encore venue » L’heure n’était pas venue pour lui d’abattre son ultime carte, celle qu’il gardait bien au chaud dans sa manche. Si cette heure venait jamais en vérité, car il commençait réellement à se prendre à soutenir l’ancestral. Cependant, c’était là une considération qui lui appartenait entièrement. « Pour l’heure, je suis ici pour régler l’incident provoqué et servir l’alliance, autant que possible »

En d’autres circonstances, il n’aurait pas hésité à contrer ses paroles et ses idées par d’autres, car à ses yeux le courage ne se retrouvait pas uniquement dans les choix volontaires. Il y avait également du courage dans la façon de supporter des situations non choisies, il y avait du courage à accepter un trône quand bien même on ne le désirait pas, et à supporter le devoir d’un monarque lorsque l’on aspirait à autre chose. Il y avait du courage dans le sens du devoir et les choix accomplis pour le bien d’autrui même lorsque l’on n’avait pas choisis de porter une couronne. Non… plus encore en vérité, d’une certaine façon. Un courage singulier mais bien présent, et le renier serait vraiment dommage. N’en avait-il aucune conscience ? Aucune conscience de ses propres qualités ? Ses mots semblaient le dire et pourtant… Si vraiment c’était le cas, il devait avouer qu’il en nourrirait un certain amusement, doublé sans aucun doute d’une once d’admiration supplémentaire. Ou d’un peu d’affection. Mais ça aussi, il valait mieux le taire et le garder pour lui. Il resta parfaitement silencieux, laissant courtoisement la parole au souverain qui lui faisait face, alors qu’il continuait de l’étudier à sa façon, sans contrevenir aux règles de bienséances qui prévalaient en ces lieux. Oui c’était vraiment ce qu’il désirait, l’égalité. Parce qu’il l’avait vécu pendant un moment et que cela lui avait semblé la meilleure chose possible… Et non, il ne parlait pas seulement de la tendance consommée des humains à croire que les vampires les méprisaient, parce que c’était effectivement le cas. Mais on ne pouvait guère nier que vivre pendant des centaines d’années dans des galeries puantes et sans nourritures, ce n’était franchement pas non plus digne d’un peuple doté d’intelligence et d’une société civili… enfin bref. Et quand on avait vu ces mêmes galeries, on avait un peu de mal, à son sens, à se croire forcément supérieur à une race entière.

L’impatience du souverain le fit à nouveau sourire, plus franchement d’ailleurs, une expression qui éclairait son visage et faisait pétiller son regard d’eau alors qu’il hochait à nouveau gracieusement la tête, en signe d’affirmation. Certes il faudrait qu’elle vienne. Il avait cependant parfaitement conscience que ce n’était pas le moment du tout et encore davantage, justement, parce que le monde était en train de s’écrouler autours d’eux. C’était la raison précise pour laquelle il ne pouvait pas et ne voulait pas se laisser porter par l’impatience des jeunes enfants. Si jamais son heure devait venir, elle s’imposerait d’elle-même, il en était parfaitement certain. Et en attendant, il serait prêt pour toutes les éventualités. Y compris celle de prendre en main un futur qui pouvait être harmonieux pour leurs deux peuples, s’il le fallait. Son sourire sembla plus affectueux encore, en se voyant ainsi toisé. L’attitude impérieuse de l’humain ne lui faisait proprement ni chaud ni froid, couronné de ses années et du choix de Silarae, il ne se sentait pas particulièrement petit ni négligeable comparé à lui, tout monarque qu’il fut. « Des buts fort louables Altesse, et dont j’espère bien voir la réalisation » répondit-il avec le plus parfait des calmes. Il se moquait complètement de l’attitude de son vis-à-vis en vérité, elle ne l’atteignait en rien, il agissait comme il pensait et voulait agir et voilà tout… Mieux encore, cet humain-là, il l’appréciait définitivement. C’était instinctif, surtout pour une créature aussi froide et ancienne que lui l’était, mais il l’aimait bien. Il portait la vie d’une façon tout à fait unique de ce qu’il avait pu croiser dans ces cavernes. Finalement, il avait très bien fait de venir, malgré tout. Il ne comptait nullement se vexer de son attitude, et la prenait avec… paternité. Mais ça non plus, mieux valait ne pas le dire au couronné. Un petit secret qui l’amusait encore davantage. A croire qu’il en avait trouvé une source sans fin en sa personne.

Cependant, son amusement retomba, même si il en conserva les reliquats sur son visage un long moment. La question fatidique était de celle que l’on ne pouvait éviter. « Oui » finit-il simplement par dire, laissant la monosyllabe tomber comme un couperet pour ponctuer la vérité qui était déjà établie. Tout le monde le savait, y compris le Gardien des Baptistrels lorsqu’il avait envoyé les invitations la toute première fois. Pourquoi aurait-il refusé de le lui confirmer alors ? Il n’en avait aucune raison. « Si vous lui en donnez l’occasion » Cela aussi, il le savait certainement et c’était justement la raison pour laquelle, justement, il préférait être là et concilier l’alliance et son devoir auprès des vampires. Cela il le savait oui, il l’avait dit lui-même mais puisqu’on en était à affirmer l’évidence. « Et je ferais tout ce que je peux pour que personne en cette alliance ne fasse naître cette occasion. Mais je ne suis pas souverain, mes moyens sont donc limités » Puisqu’il avait le droit de le regarder de haut, il avait également le droit à cela, non ? Quand à louvoyer pour ne pas briser l’alliance… cela se ferait jusqu’à un certain point, Lorenz en avait également besoin au final. Restait à espérer que le moment venu du point de non-retour, ils aient les arguments nécessaires pour empêcher une dislocation brutale voir davantage. Vaincre Lorenz… Il tentait de se faire à l’idée que ce serait impossible, et ce qu’il avait appris de lui tendait à émousser son envie de le défier. Mais chaque fois qu’il côtoyait les mortels, il se prenait à revenir sur les lambeaux de convictions acquises, sans parler de la haine que sa dragonne ressentait à son égard. Son regard remontant sensiblement, il reprit, d’une voix dégagée. « Il me semble que vous avez beaucoup étudié vos alliés temporaire » Là encore c’était plus une affirmation qu’une véritable question, Isendal puis Aegle le lui avait parfaitement signifié, à lui et certainement à Lorenz.

« Si ainsi l’incident est clôt, ce pour quoi vous avez ma reconnaissance, je souhaiterais que vous m’autorisiez à parler en mon nom propre Altesse, pendant un bref instant, après quoi je vous soulagerais de ma présence, vous avez sans doute énormément à faire » Un bref instant de silence vint ponctuer la demande, permettant naturellement une réponse avant qu’il ne reprenne. « Vous m’avez demandé si je croyais en la supériorité des miens. Vous m’avez demandé si je désirais réellement une égalité entre nos peuples. Je ne la désire pas seulement. Je l’ai vécu, quoi qu’à une moindre échelle. Autrefois, voilà longtemps, j’étais une créature haineuse et violente. C’est en partie grâce à des humains que je me suis amélioré. En grande partie, devrais-je dire. Il me serait hypocrite de penser ma race meilleure alors même que je dois ma condition à la vôtre »