--- 9 Mars ---

Elle était de retour à Aigue-Royale depuis ce matin. Esmelda Kohan était rentrée de voyage ce matin. Voilà ce qu’on lui avait dit. Lui-même avait passé la matinée avec les civiles installés dans les cavernes, à offrir des soins à ceux qui en avaient besoin. Il avait eu un instant d’hésitation en se rendant compte que c’était encore très différent de savoir qui possédait Dévoreuse et d’être à un instant de l’obtenir enfin… d’avoir enfin à sa portée la délivrance de Lorenz et sa vindicte. C’était effectivement différent et… étrange. Oui étrange était un bon mot. Ni trop extrême ni trop faible. Un juste milieu pour les sentiments parfois contradictoires qui l’habitaient à l’entente d’une telle nouvelle. Il n’y avait pourtant aucune place au doute en son cœur, il devait parler avec la princesse et ainsi, l’elfe qu’il était attendait à présent dans Fort-Espérance, sa demande d’audience transmise, que la jeune femme accepte de le recevoir. Le cœur de la rébellion bouillait de vie et de vibrations, portant à ses oreilles effilées des chants aussi divers que les esprits des habitants de la forteresse… Assit sur une chaise de bois, il gardait les yeux fermés, écoutant avec détachement ces symphonies et les accompagnants dans leurs allés et venues. Puis le bruit d’une porte qui s’ouvrait, une jeune femme venant lui confirmer qu’il pouvait entrer et finalement, avec un sourire, il laissa la chaise et se laissa conduire à l’intérieur avec un remerciement à l’égard de la servante pour avoir bien voulu transmettre sa demande. A l’intérieur se trouvait effectivement Esmelda Kohan et son sourire se fit plus large, heureux qu’il était de la retrouver. Il s’inclina légèrement, plus par respect que convenance et se permit d’entamer le silence douillet des lieux qui pourtant semblait si contraire à ce que cette vibrante jeune femme pouvait être. Ou bien se trompait-il ?

« Salutations dame Esmelda, j’espère que je ne vous dérange pas trop à ainsi solliciter de votre temps si rapidement après votre retour de voyage » S’il avait pu, il aurait attendu encore un peu mais… ce n’était guère possible. Plus il attendait et plus la menace était grande. Il avait déjà perdu tellement de temps… impossible qu’il en perde davantage. « J’irais droit au but, je ne peux me permettre de ne pas le faire… J’ai une demande à vous soumettre, et je sais qu’elle fera un désagréable écho à de récents évènements, j’en suis profondément désolé car vous blesser de la moindre manière n’est pas mon but. Princesse… Je sais que vous possédez Dévoreuse. Et je souhaiterais que vous me la remettiez » C’était dit de but en blanc, sans réel préparation mais il ne pouvait supporter de seulement enrober cela de quoi que ce soit. Franc, grave, il accrocha son regard gris perle à celui de l’humaine, laissant un instant planer le silence, goûtant à ses réactions au travers des vibrations délicates de son chant-nom. Cependant au bout d’un instant et avant qu’elle ait pu répondre, il poursuivit. « Si vous me permettez un thé, je vous expliquerais en détail pourquoi, ainsi vous pourrez pleinement juger de ma demande. J’ai après tout toute confiance en votre jugement princesse » Et il s’interrompit, et attendit sa réponse, le cœur battant. Il captait rapidement et avec clarté les informations sur sa rupture d’avec Kylian et son objet et avait quelque peu peur qu’elle ne décide ne s’y référer pour juger de ce qu’il lui demandait à présent… et si elle le faisait il ne pourrait guère que l’accepter car hélas il comprenait que trop bien la situation dans laquelle il la mettait.

Oh oui elle était blessée, terriblement même et être ainsi mis au courant des paroles que Wallam avait pu avoir à son égard lui fit légèrement serrer la mâchoire, ses yeux adoptant une teinte sensiblement plus claire. La colère était un souffle particulièrement éphémère chez l’elfe mais il la ressentait légèrement depuis quelques temps. Il n’en dit rien cependant, pensant qu’il valait mieux la laisser aborder plus profondément le sujet, ou le laisser de coter si c’était ce qu’elle voulait. Merithyn ne remerciait pas du tout le vampire d’avoir eu l’idiotie de disjoncter en pareil moment, ça ne l’aidait pas… mais il n’allait pas changer de voie pour les yeux de merlans frit de cet, de ce… peu importait au final, ça revenait au même, il ne changerait pas sa décision. Invité vers le fond de la pièce, il fit un signe de tête reconnaissant sans perdre son sourire. Il s’installa dans l’un des fauteuils, ses pieds menaçant de ne pas toucher le sol alors qu’il s’adossait confortablement. Là, il reposa son regard sur la jeune femme. « Tout d’abord je souhaite ré affirmer quelque chose : si vous jugiez qu’il vaut mieux ne pas me transmettre cette chevalière, pour quelque usage que je pourrais en faire, je me plierais à votre décision sans la contester. Si vous avez été choisie par un Esprit supérieure pour la dissimuler c’est précisément que vous êtes la plus à même de jauger de sa dangerosité » Sa voix posée et douce s’arrêta un instant, laissant l’affirmation s’imposer d’elle-même avant qu’il ne reprenne. « Quand à mes raisons… elles sont au nombre de deux. La première est que la chevalière permet de contrer la malédiction des dragons, comme indiqué dans le grimoire d’Alderick. Vous savez que Lorenz Wintel est victime de cette même malédiction, depuis qu’il a bu le sang de Cymbor, le dragon blanc, après l’avoir tué » Son regard se fit trouble pendant un bref instant avant qu’il ne reprenne.

« Je suppose que, comme beaucoup, vous pensez peut-être que ce n’est là qu’un juste retour des choses pour son acte abominable et, fut un temps, j’aurais pensé exactement la même chose. J’ai pensé la même chose. Cependant je l’ai vu souffrir, glissé lentement dans la folie… Lui aussi d’ailleurs. Nous avons tous les deux vu un grand danger dans le futur. Un avenir où il ne contrôlerait plus sa folie et sa rage primaire de vampire, et où il ceindrait Dévoreuse non point pour imposer son pouvoir à Armanda… mais pour détruire le continent et peut-être même le reste du monde. Il est redoutable, dangereux, oui… mais sain d’esprit, avec des buts ‘logiques’ si j’ose utiliser un tel mot. Il veut le pouvoir et tient autant que nous au continent. Mais s’il était vaincu par cette folie ? S’il ne devenait rien d’autre que le visage de la destruction animale la plus terrible ? Au point que nous perdions le monde même ? Voilà ce que j’ai vu…. Et voilà pourquoi je veux utiliser Dévoreuse pour le tirer de cette folie » Il se tut à nouveau un instant, le temps d’inspirer avec douceur avant de reprendre. « La seconde raison est liée à la première. Nous voulons, Lorenz et moi, détruire la chevalière une fois qu’il sera libérée. Tout simplement. Nous pensons avoir trouvé un moyen pour cela. Ce bijou est trop puissant et trop dangereux. Si nous pouvons le détruire totalement, cela ôterait un avantage à Néant en de nombreux termes » Il l’observa avec attention, la laissant prendre conscience de ce qu’il disait. Elle aurait certainement des questions, ou des hypothèses contraires à fournir, c’était bien naturel. Cependant il se permit tout de même de reprendre.

« Voilà, vous savez ce qu’il en est de ma demande » Il eut un léger sourire « En vérité, je dois l’avouer… Votre chant-nom me fournit déjà l’emplacement de la chevalière. Mais sachez que je, si vous deviez refuser ma demande, je n’irais pas la chercher. L’usage que je dois en faire et sa destruction par la suite sont déjà des actes particulièrement sensibles. Je ne veux pas encourager davantage le chaos…. Et je ne souhaite pas vous voler non plus »

Tout comme il sourit à la servante en la remerciant courtoisement, il remercia la princesse pour le thé et le sirota, brûlant, sans en éprouver la moindre difficulté, le breuvage semblant aussi tiède et agréable qu’il aurait dû l’être en le laissant un peu plus longtemps. Il écouta ses paroles sans émettre un seul son, sans même esquisser l’envie de l’interrompre, la laissant aller au bout de ses pensées avant tout… Une discussion tout ce qu’il y a de plus posée, en bref. Et une fois qu’elle eut finit, totalement finit, ce fut à son tour de reprendre, calme. « Oui, il y aura toujours des sacrifices, hélas… Et oui, je sais que vous ne voulez que le meilleur pour tous » Il aurait été bien mal avisé de l’oublier. « C’est bien naturel, d’ailleurs, tout comme il est naturel pour moi de prendre votre considération… » Pour une fois que quelqu’un le faisait, sans doute. Entre Wallam et les autres, même s’il ne désirait pas juger non plus les actions des autres. Qui était-il pour le faire, après tout ? Même si c’était parfois difficile, même pour lui. Pour tous sans doute.

« Il n’y a aucun mal à questionner et à s’assurer de tout. Du moins je n’y vois aucun mal, personnellement. Laissez-moi donc répondre… » Il s’interrompit sur une respiration, avant de poursuivre. « Concernant Lorenz, ce n’est pas trop tard, non. Il n’est pas dans une logique entièrement et purement destructrice comme il pourrait l’être s’il tombait sous l’entière coupe de la malédiction. Lorenz… Il ne désire pas l’anéantissement des humains. Et même si c’était le cas… Pardonnez-moi princesse mais ce monde existait avant nos peuples et il continuera si nous ne sommes pas là. Nous ne lui somme en rien vital. Je sers les peuples oui, mais je sers ce monde avant toute autre chose et à ce titre je ne le sais que trop bien. Ce monde pourra inventer d’autres peuples si nous disparaissons. Mais si lui disparaît… nous n’avons aucun moyen de le réinventer » Il soupira, attristé certes par cette certitude, et la noya à demi dans son thé avant de continuer.

« Dévoreuse est une trop grande menace même pour lui. Le danger est bien plus grand que l’attrait. Il est sincère oui. Je l’aurais immédiatement su autrement » On ne pouvait pas lui mentir, même pas lorsqu’on s’appelait Lorenz Wintel. « Il m’aidera à la détruire. Il y a plus d’un moyen. La bague de votre cousin en est une. La magie en est une autre, même si c’est plus compliqué. Cependant une fois la chevalière détruite, son pouvoir et son influence disparaîtrons. Elle ne sera plus jamais une menace et ne causera plus aucun tort, à personne. Et c’est cela que je désire. Dévoreuse est l’influence de Néant même. On peut lutter contre un vampire, même s’il est très puissant… mais contre un Esprit il n’y a pas tant de façons de procéder. La chevalière est une de ses créations, et la seule connue. Sa destruction servira la rébellion et la magie » Il s’interrompit à nouveau, l’observa attentivement.

« C’est tout, si je puis l’exprimer ainsi. Je ne peux dire quel choix est le meilleur, comme je ne peux reprocher à chacun de vouloir conserver sa vie. La mienne est offerte à la nature depuis trop longtemps, peut-être… ainsi, je préfère voir ce monde perdurer, même sans nous, plutôt que de retourner… au Néant »

A nouveau, il la laissa parler sans l’interrompre, émettant simplement un petit soupire ou un sourire de temps en temps, jusqu’à ce qu’elle en ait terminée. Alors, avec un léger rire, il répondit enfin. « Pardonnez-moi, je tends parfois à oublier que tout le monde ne suis pas nos codes… J’en suis confus, j’espère que vous voudrez bien m’en excuser. Il n’était nullement dans mon intention de faire paraître cela ainsi » Effectivement, ce qui lui pensait n’était pas forcément ce que tous pensaient, et ce qu’il faisait n’était pas ce que tous faisait. Sa candeur reprenait parfois un peu trop le dessus. Il allait falloir qu’il fasse un peu plus attention. S’il ne l’avait pas vexé, ça ne voulait pas dire qu’il ne vexerait pas quelqu’un d’autre de la même façon.

« Je ne peux pas prétendre pleinement savoir ce qui nous attend, si Néant est vainqueur. Mais ce qu’Alderick a décrit de l’alayia et le dégoût naturel des dragons pour Dévoreuse m’incite à croire que ce ne serait pas particulièrement… vivable. Une terre privée d’énergie vitale, privée de magie, où rien ne vit ni ne pousse… Ce ne serait pas beaucoup mieux que pas de monde du tout. Quand à pourquoi les esprits frères n’interviennent pas… et bien je n’ai pas plus de réponse claire, mais je pense que ce n’est pas uniquement dû à leur volonté de non intervention. Peut-être pensent-ils que nous pouvons réussir seul ? Après tout, ce qui donne toute sa puissance à Néant, ce sont ses fidèles. Des humains. Des mortels, comme nous. Je ne peux guère vous certifier plus que cela. Et peut-être cette hypothèse même est-elle fausse »

Il s’interrompit un instant avant de poursuivre « Je dois avouer que j’ai du mal à concevoir le fanatisme des Alayiens. C’est une croyance forte, et s’il n’y avait que cela elle aurait mon admiration. C’est beau, de pouvoir croire avec tant de conviction à quelque chose. Mais… Mais ce que je ne saisis pas c’est ce besoin de violence et cet aveuglement. Ils ont été chassés de leur terre natale en raison des exactions commises au nom de Néant, à cause de Dévoreuse. Il doit bien y avoir des récits de la destruction d’Alayia alors… pourquoi poursuivre s’ils savent qu’ils se détruiront avec nous ? Pensent-ils qu’Armanda est une chance de faire mieux ? Impossible à certifier. Peut-être Néant leur ment-elle tout simplement… »

Il fronça légèrement les sourcils, soucieux à cette idée « Je ne peux pas présager des conséquences si nous détruisons Dévoreuse. Mais ce que je sais, c’est que cela doit être fait. J’en suis persuadé. Ce sera un premier pas vers la victoire, mais surtout… cela libérera l’esprit de ceux qui ont été enjôlés par elle » Il lui coula un regard concerné et non mais lacé de sous-entendus. Plus vite elle serait détruite, plus vite ils seraient assurés que des imbéciles dans le genre de Wallam n’iraient pas provoquer une catastrophe avec. « Princesse, contrairement à votre affirmation je n’ai pas prétendu qu’il ne fallait pas nous soucier du présent. Mais mon inquiétude première va au-delà des races. Je fais ce que je peux pour elle, tant que je garde à l’esprit une perspective plus large. Et c’est parce que moi, j’ai une perspective plus ‘terre à terre’, pourrait-on dire, qu’il est bon que des personnes comme vous se préoccupent de ce qui est plus proche de chacun »

Il eut un léger sourire « L’alliance était mon don au présent. Maintenant, je pourrais faire mon don au monde, avec vos pensées à mes côtés, de sorte que personne ne soit oublié ou ne soit sacrifié dans cette entreprise »

C’était une pensée étrange mais pas moins pertinente. Est-ce que les Esprits frères perdraient pouvoir si on cessait de croire en eux ? Il aurait eu tendance à dire que non, car la vénération et l’incarnation de leur pouvoir n’était pas la même… mais il ne voulait et ne pouvait en jurer. Néanmoins, il était certain que Néant serait affaibli si l’on lui ôtait ses partisans. C’était autant Dévoreuse que leur présence qui lui donnait pouvoir dans leur réalité, après tout. Mais convertir quelques individus et toute une nation, c’était bien différent… Il doutait que l’Alayia entière décide d’abandonner des centaines voire des milliers d’années de croyance et de fanatisme exacerbé. Comme il était parfaitement clair qu’il serait impossible de faire se détourner Armanda toute entière. Il resta silencieux, plongé dans ces pensées et se demandant si il arriverait un jour où ils n’auraient plus à s’interroger sur de tels sujets, où ils pourraient vivre sans avoir à prendre en compte des interventions des esprits, à prendre en compte le fanatisme et tant d’autres choses…

Vive était déjà bien assez compliqué en soit même, alors vivre avec tout cela en plus devenait bien triste. Mais c’était le lot des guerres hélas. Il n’avait pas de réponse claire à lui fournir et s’en désolait, tout ce qu’il pouvait faire, c’était agir au mieux avec les outils qu’on lui donnait, avec les informations qu’il avait. Même un baptistrel n’était pas omniscient après tout. Aucun mortel ne l’était. Il observa la clef un très long moment après qu’elle l’eut posé sur la table, prouvant s’il en était besoin, qu’il avait encore des façons elfiques par certains aspects. Il eut finalement un sourire triste et prit la clef, qu’il dissimula dans les replis de sa tunique… puis, il se releva et s’inclina profondément devant elle. « Je vous remercie, princesse. De votre confiance, de votre décision, de tout. Merci, du fond du cœur » Il n’aurait su dire à quel point il était soulagé. Lorenz serait enfin guérit et Dévoreuse… disparaîtrait. Oui il était soulagé, et infiniment reconnaissant envers Esmelda.

Il l’observa un instant et savoir qu’elle pensait au diamant lui fit se mordre la lèvre. Devait-il lui parler à ce propos ? Il ne voulait pas interférer dans les histoires des autres, pas sur ce plan-là du moins et surtout pas pour Wallam mais… il avait quelques répugnances à ne rien lui dire non plus. « Princesse ? » demanda-t-il avec douceur. « Je ne devrais pas me mêler de cela et rouvrir vos blessures, mais au sujet de votre… ex-fiancé… Il n’est pas entièrement responsable de son propre comportement. Je l’avais prévenu que le diamant contenait quelque chose de dangereux. Il a laissé ce qu’il a entendu l’influencer… » Un soupire le quitta « L’autre diamant a également causé beaucoup de tort… un tort qui n’était point ma volonté. Je suis désolé de cela. Désolé de voir ce que ces objets ont causés. Si je peux trouver un moyen d’annuler cette influence, soyez certaine que ce sera fait »

Il s’en voulait, d’une certaine façon… « Je ne sais que dire, vraiment, j’en suis terriblement confus. Je n’imaginais pas qu’il… enfin qu’il succomberait à cela. Peut-être l’ai-je méjugé… »

Il savait où se trouvait Dévoreuse, il avait la clef de la boîte qui la contenait… il aurait alors put partir immédiatement. Pourtant il ne pouvait pas. Il y avait une dernière chose qu’il devait dire, un dernier point à aborder même si cela ne lui plaisait pas forcément de le faire. Esmelda devait savoir. Elle en avait parfaitement le droit. Ce n’était pas quelque chose de simple à expliquer et encore moins quelque chose d’agréable, si l’on considérait ce qui s’était passé entre les deux amants. Il ne voulait pas la blesser. Pourtant, même s’il était certain et convaincu que Wallam avait une grande part de responsabilité dans la situation actuelle, il ne pouvait pas non plus nier que ça ne serait pas arrivé sans le diamant. Au-delà de cette vérité, il y avait surtout le fait qu’il était désolé pour la princesse et que, même si le vampire avait parfois tout d’un idiot finit, ils étaient amoureux. Sans doute l’amour était-il aveugle à beaucoup de chose mais mine de rien, une telle passion ne pouvait pas simplement disparaître en quelques jours. C’était probablement la raison principale de sa souffrance.

Et il pouvait comprendre. Bien entendu, qu’il le pouvait puisqu’il ressentait sa douleur exactement comme elle. « Il n’y a que le chant-nom de Lorenz dans cet objet princesse mais c’est bien assez je pense… » offrit-il en préambule. « Il ne l’écoute pas tel que l’on pourrait le concevoir. Lorenz ne lui donne aucun conseil. Je crois que s’il le faisait, Kylian ne les écouterait pas, rien que par esprit de contradiction. Non c’est plus subtil. Il a écouté ce chant-nom et s’en est imprégné. Il s’est plongé à corps perdu dans tous les ressentis du chant, les sentiments qui s’en dégageaient… Ils se sont accrochés à son esprit comme autant de gouttes de pluie et ne le quitte pas. Ils l’influencent. Et par cette influence, ils exploitent sa part d’ombre, sa part négative. Nous en avons tous une, mais parfois elle est dormante jusqu’à ce que les conditions nécessaires soient réunies »

Il s’interrompit un bref instant « Il n’a probablement pas eut conscience, du moins pas entièrement, de l’influence du diamant sur lui. Il s’est plongé dedans comme dans un lac et peu à peu, à mesure qu’il l’écoutait, il s’est mis à se sentir mieux dans ce lac qu’à l’extérieur. La magie du diamant est très délicate à utiliser, dangereuse lorsqu’on l’utilise trop… et trop souvent. Pour en arriver à cela il a dû l’écouter des heures durant sans la moindre précaution. Je pense que la magie du diamant a trouvé de profondes similitudes entre ces deux-là, pour que cela l’atteigne à ce point. Je pense que, d’une certaine façon, leurs personnalités se sont superposées… » Il soupira « Je sais que ça n’a rien de réjouissant » Enfin… de son point de vue, si Kylian pouvait prendre les bons côtés de Lorenz, ça serait un pas de géant pour cet idiot… Mais il pouvait toujours rêver.

« Si je le vois de nouveau princesse, je lui confisquerais le diamant, à mon avis ça ne peut qu’être une bonne chose » Et comme ça son vampire n’irait pas vouloir l’étrangler en découvrant qu’un autre de ces dangers publique existait. « Sachez également que… son état n’est pas irréversible. Il est possible de lui ôter cette influence. Comment je ne sais pas exactement. Je pourrais l’examiner et en tirer de véritables conclusions, une véritable solution, mais sans le voir devant moi c’est trop délicat pour que je m’y risque. Cela dit, si on parvient à le faire revenir à la réalité… il y a de fortes chances pour qu’il tombe de haut. De très… très haut »

Il avait répondu à ses questions, et cela semblait la satisfaire. Il ne pouvait qu’en être bien aise, même s’il n’avait pas fait grand-chose... Cela ne devait pas être particulièrement agréable à entendre, toutes ces révélations, quand bien même elles étaient nécessaires. Sans doute devrait-il mettre la main sur Kylian effectivement, et s’il ne pouvait employer de méthodes violentes ni tuer qui que ce soit, il avait tout de même l’envie irrépressible de proposer à Lorenz de lui donner un coup de main pour s’emparer de ce concombre de mer qu’était le renégat. « Je l’avais prévenu que le diamant était dangereux… Ce qu’il contient est un véritable trésor soyez-en certaine, mais pas moins dangereux pour autant. Je ne pense pas qu’il ait compris les changements qui s’opéraient en lui. Comme vous ne remarquez qu’à reculons que vous avez changé au cours des années. Un jour vous vous retournez sur votre passé et constatez que vous n’agissez plus tout à fait comme en ce jour lointain, quel qu’il soit… Son changement à lui a été tout simplement beaucoup plus rapide » Il s’interrompit, puis soupira. « Je ferais ce que je peux pour lui, princesse » Il s’arrêta, hésitant un long instant, puis, avec sérieux et malgré sa réticence à le faire, il rajouta. « Si un jour il revient vers vous, en quête de sa rédemption… s’il vous plait, offrez la lui. Qu’elle ne soit ni aisée ni immédiate, mais je vous en prie, permettez lui de faire amende honorable. A vrai dire je n’ai guère d’inquiétudes, je sais que cela se passera ainsi. Mais je tenais à en faire voix… Même l’être le plus mauvais du monde a encore une lueur de justesse et d’espoir au fond de lui, même sous la crasse de tous ses crimes » Et il ne pensait ainsi pas moins à Lorenz qu’à Kylian. Il s’inclina à nouveau, la remercia, et lui promis de lui donner des nouvelles de l’affaire dès qu’il le pourrait… Puis, il fut reconduit à l’extérieur et prit congés du Fort. Il allait devoir se préparer un long moment avant d’appeler finalement Lorenz pour effectuer ce qui devait être effectué…