Il avait attendu patiemment, absolument pas dérangé de rester là où on l'avait abandonné. Yeux fixes posés sur la porte devant lui, le visage aussi inexpressif qu'une statue de pierre du nord, et bras croisés, il laissait son esprit vagabonder dans un ailleurs plein d'inventions impossibles et d'entreprises audacieuses mais irréalisables. Mais l'impossible n'était-il pas fait pour être réalisé ? Après tout, des découvertes, on en faisait tous les jours…. Et puis mieux valait sans aucun doute qu'il s'occupe à cela plutôt que de ruminer ses griefs à l'égard de certains. Fort heureusement, Fort-Espérance recelait suffisamment de curiosité pour le tenir en intérêt sans trop de mal. Il n'avait pas eut le droit d'y entrer avant ces derniers jours, étant un simple elfe sans position. Mais à présent c'était un peu différent puisqu'il était conseiller. Ce sésame lui ouvrit beaucoup plus de portes, et ses découvertes tarissaient quelque peu ses mauvais penchants, trop occupé qu'il était à ouvrir grand les yeux et l'esprit. Et il était temps, car Aigue-Royale n'était pas des plus trépidantes. Oh certes, il s'y passait beaucoup de choses, mais rien qui ne stimula son cerveau de la bonne façon. On ne construisait rien sur les cendres des morts, rien de beau en tout cas. Et plus les choses allaient, plus il se découvrait un certain amour de la beauté… pas de celle des races bipèdes, mais la beauté des objets, des créations. Elles n'étaient plus un simple moyen de s'évader et de dépenser sa trop grande inspiration. Elles devenaient son art de vivre. Ses sentiments, là où il s'enfermait sur lui-même… ou au moins une béquille pour l'aider à ne pas simplement repousser le reste du monde depuis qu'Aranël n'était plus là.

Il avait tellement hâte de voir sa machine voler… elle en particulier. Quand elle volerait, il aurait prit sa revanche sur toutes les souffrances vécues. Mais en attendant, il avait un rôle à jouer en politique et il était temps d'endosser un masque vivant pour rencontrer le souverain humain. Un serviteur revenant vers lui, il détourna son regard dérangeant de la pierre et observa l'homme qui l'invitait à le suivre et à rejoindre le monarque. Conduit donc, il ne fit guère attention au serviteur durant le trajet mais le remercia lorsqu'il le laissa seul avant de s'intéresser au souverain. Il salua l'humain à la façon elfique d'abord, puis humaine, quoi qu'il ne s'inclina pas outre mesure, effectuant les gestes avec une méthode et un parfait mécanique, technique sans y mettre de sentiments. Il n'aimait pas devoir saluer tout simplement. Il ne le faisait que par pure obligation, donnant ce que l'on attendait dans ce contexte particulier. Il ne pouvait se permettre de froisser cet humain là malheureusement. D'ailleurs, l'humain en question s'adressait à lui. Pendant un bref instant, il resta parfaitement stoïque, l'observant de son regard qui ne cillait pas, une lueur presque méfiante dans ses prunelles. Est-ce qu'il plaisantait ? C'était une façon de se moquer de lui ? Il ne savait pas trop, pour le coup. En fait, l'impression qu'il lui laissait, d'être juste sincère, le perturbait profondément. Pourquoi s'adressait-il ainsi à lui ? Savait-il qu'il était bien plus vieux, même en étant encore enfant ?

Le temps s'écoula. Il entendait bien son interlocuteur mais l'observait toujours, fixe et impassible, le détaillant avec une minutie presque névrosée. Puis, après un très long moment et un silence gêné, il sembla se rendre enfin compte que c'était à lui d'agir et il s'installa dans le siège près de lui. « Je vous remercie, Altesse  » fit-il dans un commun fluide une fois qu'il eut le séant posé et le dos contre le dossier en bois. Se faisant violence pour ne pas retomber dans l'observation silencieuse, il se tint bien droit et expliqua. « Je suis envoyé par sa majesté Evanaelle en tant que messager, pour vous prier de prendre part au tribunal qui aura lieu à l'encontre du Gardien Chantelombre. Étant l'instigateur de la rébellion et une haute autorité de l'alliance, votre présence serait vivement appréciée et il est naturel que vous soyez invité  » Voilà, ça c'était dit et du coup il pouvait à nouveau contempler tout son saoul. Les humains le passionnait, par leur inventivité, leurs façons encore étrangères, leurs idées… et il avait enfin l'occasion de contempler l'intérieur du bureau de l'empereur même alors il ne comptait pas perdre l'occasion de le faire. A nouveau, son regard se fit acéré et scrutateur alors qu'il passait d'abord le souverain au crible, puis le bureau en lui-même et les gardes postés près de l'humain couronné. L'un d'eux était armé d'une arbalète et son regard s'accrocha dessus sans qu'il puisse s'en empêcher…

La réponse ne sembla en rien le froisser, ni provoquer la moindre réaction émotive en vérité. Il avait simplement observé posément l'humain, sans contraintes mais sans méprit non plus, ponctuant simplement le tout d'un silence juste dosé. Puis il répondit, simplement. « Une convocation a été envoyée pour qu'il comparaisse, Altesse. S'il refuse de comparaître dans le délais jugé adéquat par sa majesté Evanaelle alors le procès se tiendra sans lui » Et il serait d'office considéré coupable d'ailleurs. Il n'avait aucun doute quand au fait qu'il ne viendrait pas et ça l'arrangeait bien, mais il devait avouer que, pour une fois, Aegnor l'avait agréablement surpris. C'était une demi mesure qui allait contre ses propres intérêts, mais ce n'était pas grave, pour une fois il lui reconnaissait son tact. « Je vous remercie néanmoins de l'intérêt que vous portez à cette affaire et ferait part de votre avis à mon souverain comme il se doit » Ce n'était que de la courtoisie de… et bien, de cour en vérité, il ne pouvait pas se permettre de renvoyer d'un geste de la main ce qu'affirmait le monarque humain. Quant bien même il avait ses propres réserves à ce sujet d'ailleurs.

Il ne souhaitait pas d'une joute verbale, quand bien même il était en son fort intérieur, persuadé de parvenir à l'emporter. Cela ne ferait que tendre les relations entre leurs peuples, pas une bonne manœuvre donc. Pour lui, cette affaire-là était réglée. Il aurait donc, naturellement, dû partir immédiatement et rendre le souverain à ses devoirs. Mais voilà… son regard s'était posé sur quelque chose de particulier, quelque chose qui l'intéressait beaucoup. Oh pas le barbarisme de l'arme en sa totalité, mais simplement les mécanismes qu'il savait contenu là-dedans. Une petite merveille, à son sens. La question l'arracha cependant à sa contemplation un bref moment. « En réalité, je suis peu porté sur les armes. Ce n'est pas là ma vocation, bien que les récents événements m'ont convaincus que savoir me défendre autrement que par magie serait une fort bonne idée » Un petit silence puis il poursuivit « Aranël est très doué, avec les lames. Il deviendra un soldat de mérite, lorsqu'il sera revenu de son éloignement. Je n'ai pas de doute quand à son avenir dans le domaine militaire »

Et il espérait même le voir général d'ailleurs ! La pensée pour son frère lui arracha enfin l'ombre d'une émotion. L'affection. Et sans doute l'humain avait-il choisit la bonne façon de s'y prendre, car il se fit un peu plus bavard. « En vérité, ce qui me passionne, en dehors de la politique, ce sont les nouvelles technologies. Les arbalètes sont peu usitées par les miens, aussi n'ai-je pas beaucoup eut le loisir de les contempler auparavant. J'estime que leurs systèmes de tir sont particulièrement intéressant et pourraient être utilisés dans d'autres domaines, en étant légèrement modifiés » Son regard revint vers l'arme « Les humains sont très inventifs. Ils n'ont pas la force des elfes ou des vampires, mais ils parviennent à compenser ou à trouver des façons de se passer de cette force. Encore une fois, les arbalètes en sont un bon exemple. Le mécanisme ne demande pas de force particulière pour être enclenché et tire certainement avec la même force que, admettons, un elfe... »

Il revint une fois de plus à l'humain, en changeant légèrement de position sur son assise et questionna « Et vous, Altesse ? Vous maniez une lame également, il me semble ? Vous préférez les armes traditionnelles ? »

Il avait considéré la réponse de l'humain avec calme, en retenant sa langue de vipère. Par instinct, il ne se serait pas embarrassé de convenances et aurait sans doute répliqué que s'il voulait mettre en danger le fragile équilibre diplomatique de la rébellion avec un caprice c'était à lui de prendre ses responsabilités mais qu'il ne faudrait probablement pas qu'il s'attende à beaucoup de bienveillance. Mais ce n'était pas la chose à dire et de toute façon ce n'était pas la personne avec qui il devait s'amuser à une joute. A la place, il répondit donc simplement « Je pense que quiconque faisant preuve de logique pourra affirmer sans se tromper qu'il se trouve avec les vampires  » Il ne fallait pas être une lumière pour additionner 2 + 2 après tout, hein. Il poursuivit cependant « Je suis flatté, au nom de mon peuple, de l'estime que vous lui portez, néanmoins vous vous adressez à la mauvaise personne pour arguer des conditions de ce procès votre Altesse, je suis ici en qualité de messager et rien d'autre, les détails appartiennent à mon propre Empereur. Je serais cependant ravis de vous organiser une rencontre si vous le désirez  » Et hop, comment en profiter pour faire travailler à Aegnor ses qualités de politicien !

Et puis ce n'était que naturel. Il n'était pas en position de discuter de cela avec le souverain. Du moment où Aegnor avait prit l'affaire en main, elle lui appartenait. N'était-ce pas lui qui voulait apprendre à se passer du conseil ? Et bien qu'il s'en passe donc ! La suite fut donc placée sous un signe bien plus agréable et détendu. « Oui, Dawan  » Et il comptait se débarrasser de lui dès que possible, lentement et douloureusement si possible, pour ce qu'il avait fait. Qu'Aranël soit coupable ou non, cela ne l'intéressait pas, c'était son frère et il n'avait aucune objectivité à son égard. D'ailleurs il ne faisait même pas l'effort d'essayer, ce serait inutile. Dawan Sywel mourrait donc, de façon accidentelle si possible. Mais pour le moment le sujet n'était pas les poisons, mais bien les armes et il était sincèrement – ou autant que possible venant de lui – curieux de connaître la réponse de l'humain. Il était donc pugiliste. Étonnant cela. « Ce n'est pas un domaine classique usité par la noblesse humaine, je me trompe ? D'après les ouvrages que j'ai pu lire le pugilat est considéré comme peu digne, et pas à la hauteur des vrais guerriers, ou bien est-ce une idée dépassée ?  »

Il était vrai que l'épée était le domaine de beaucoup d'humains guerriers, d'après ce qu'il avait cru comprendre. Une arme considérée comme 'noble' comme pouvait l'être le trident pour les Lyssiens et la magie pour les Althaïens et certains elfes. Il comptait l'interroger plus avant lorsque le souverain récupéra l'arme qui l'intéressait. Se voyant présenté l'arbalète, il la prit avec précaution, comme si elle avait été un objet délicat qui pouvait se casser n'importe quand. « Je vous remercie  » Effectivement il ne rechignait pas à la voir de plus près, en profitant pour détailler avec attention les mécanismes visibles sans avoir besoin de démonter le corps de l'arme. Ignorant superbement la crispation des humains, il fit tourner l'arme et examina le mécanisme qui assurait la sécurité du carreau engagé. C'était très pratique, ainsi l'individu ne perdait pas de temps à engager son carreau, il suffisait de retirer la sécurité et de tirer. Cela pouvait également être dangereux évidemment, si la sécurité se retirait toute seule d'un coup.

« C'est un bel ouvrage  » finit-il par dire, concentré « Le bois est de très bonne qualité, de l'érable je pense, on le reconnais par sa couleur et ses veinules même une fois travaillé. Ce n'est pas le bois le plus courant pour constituer une arme de ce type il me semble. Un ouvrage sur mesure, sans doute, elle n'a pas non plus le même équilibre qu'une arbalète courante. Je dirais….  » Il la soupesa légèrement, la fit un peu jouer « Plus légère d'une demi unité sur la crosse, et plus longue sur l'arc de tension d'un pouce, pour une pression de corde sur un équilibre plus bas que la moyenne  » Avec un sourire plus franc, il tendit directement l'arme à son propriétaire « Vous avez probablement été blessé au bras et votre muscle a guérit avec un très léger rehaussement dû à la déchirure, donc le porte d'une arme classique serait plus inconfortable et moins efficace...  » Mais ce n'était qu'une déduction comme une autre. Il se tourna vers l'empereur « J'en aurais volontiers manié une si mon père n'avait pas été opposé à me voir avec une arme humaine. Quoi que, je suppose, il ne sera pas plus appréciateur de mon choix final  »

Il eut un regard furtif, mais se décida néanmoins. Après tout, il doutait que l'humain n'aille raconter n'importe quoi à son père… D'une pensée, il fit donc apparaître l'anneau de lancé vampirique dans sa main…

Il ne retint même pas la lueur satisfait et assuré de son regard en apprenant qu'il avait visé juste auprès de la lame noire. Évidemment que c'était exacte, il ne pouvait pas se tromper sur quelque chose comme ça tout de même ! Bien sûr que non. Mais ce n'était que de moindre importance après tout, n'importe qui ayant un minimum de connaissances dans le domaine serait sans doute capable d'en faire autant, d'après lui. Des merveilles, il préférait en faire quand Ellumyn lui enseignait les secrets de ses alliages. Au moins si la politique le lassait, il saurait dans quoi se reconvertir ! Mais pour l'instant ce n'était pas au programme donc autant ne pas se déconcentrer, ou il n'arriverait plus à s'intéresser à la scène qu'il avait sous le nez et ce serait bien dommage. Comme il serait dommage de rater la tête que ferait l'humain en voyant l'arme qu'il s'était choisit. Ce n'était pas rien tout de même. Après tout, il jouait purement l'esprit de contradiction, son père ne voulait pas une arme humaine et bien il en prenait une vampirique ! Mais au-delà de ça il y avait également un but pratique à cela, comme il expliqua calmement lorsque son vis à vis confirma qu'Artaher risquait de mal le prendre.

« Et pourtant, quelle que soit la coïncidence qui place mon choix encore plus bas que ses attentes, je ne l'ai pas effectué avec le mépris de ses convictions en tête. Il existe des armes semblables chez les elfes, mais elles sont moins usités et l'expertise en est moindre. De plus, la magie qui les animent ne me convenait pas  » Tout simplement. Comme quoi, parfois, il faisait aussi certaines choses avec un but utilitaire en tête. La proposition que fit le souverain le surpris quelque peu, puisqu'il ne s'attendait pas du tout à ce que le monarque se prenne à se soucier personnellement de l'avenir d'un simple elfe, tout conseiller fut-il au demeurant. Cela dit c'était une surprise plutôt agréable, à son sens. Il hocha la tête lentement en l'entendant effectivement énoncer que ce serait un indicent diplomatique majeur. Ça le serait, aucun doute. Et il ne fut guère surpris d'entendre qu'en effet, on lui avait reproché son choix de discipline. Beaucoup d'individus se permettraient certainement de critiquer, et beaucoup choisiraient de rester sur le chemin des mœurs de leurs peuples pour éviter les critiques…

Et lui n'était pas de ce genre-là, surtout quand il savait avoir raison, ce qui était très souvent le cas. Ils en restèrent là, mais ce n'était sans doute pas plus mal. Il renvoya son arme comme elle était venue, pour ne pas crisper davantage les lames noires et écouta ce qu'il avait à lui dire après cela. « Vous n'aurez pas à vous plaindre de mon efficacité  » Et ce d'autant plus qu'il allait bien rigoler avec cette entrevue, il le sentait. La suite lui tira un sourire qui, d'apparence, était courtois, mais en réalité, plein d'un froid amusement. « Oh voilà qui risque d'être compliqué. Il me semble qu'une séance du conseil le réclame déjà à de telles heures… Les contraintes de la politiques sont ce qu'elles sont, n'est-ce pas Altesse ?  » Ou, comment faire dire que, sans être rustre, les exigences pouvaient également se retourner contre ceux qui les émettaient. Néanmoins, il n'avait pas l'intention de voir Korentin Kohan passer lui-même pour un rustre, ce serait contre productif. « Mais peut-être serait-il possible que ces dignes sirs accompagnent leur empereur. Je lui demanderais confirmation de tout cela  »

Et il allait terriblement s'amuser avec l'organisation de cette entrevue effectivement « Tant qu'à user de mes services, Altesse, y aurait-il quoi que ce soit d'autre que je puisse transmettre à sa majesté Evanaelle en votre nom ?  » On ne savait jamais après tout, s'il y avait une information qu'il serait bon de recevoir pour la suite des opérations. Après un moment il eut une idée, mais plus personnelle. « Si je puis émettre un demande personnelle, sir ?  » Il attendit qu'on lui en donne l'occasion puis expliqua « Je comptais soumettre une série de réformes au conseil, après la fin des conflits, et j'aimerais que certains de vos propres experts puissent m'éclairer de leurs avis. Je suis conscient que je prend beaucoup d'avance, et que la guerre ne se terminera pas immédiatement, mais au vu de la propension de mon peuple à prendre son temps que je pense qu'il n'est pas plus mal de commencer à penser à tout cela dès maintenant  »

Son regard fixe et froid sembla un instant sourire également, d'une nuance moins ferme et moins tranchante. Bien, il aimait que l'on ait du répondant, le contraire aurait été fortement dommageable et particulièrement dommage venant de quelqu'un comme Korentin Kohan. C'est que, quand on étudiait un peu l'animal, on se rendait vite compte qu'il n'avait pas exactement un parcourt typique. Après tout, le lascar était dragonnier, accusé à tort par son régicide de cousin de ses crimes à lui, avait organisé la rébellion, traité avec des vampires, des elfes, un Tarenth, et tenu tête aux alayiens… Il paraissait normal d'en attendre un certain… une certaine grandeur, ou au moins un bon sport. Et il n'était pas déçu, c'était effectivement un très bon sport. «  Oh je ne pense pas que son altesse y voit plus d'inconvénients que vos cuisinier, surtout si vos invités n'ont guère de goût pour les mets des mortels » Ce n'était qu'une supposition, et cela pouvait être très mal prit s'il n'avait pas deviné juste, mais il ne s'en faisait pas. Dans le meilleur des cas il avait juste, et il avait tendance à penser que c'était le cas, et dans le pire des cas au contraire, il assumerait simplement ce qu'il avait dit et puis voilà. On ne faisait pas un fromage d'une demi-chèvre.

Ils enchaînèrent sur une question qui lui tenait particulièrement à coeur, et il mira l'humain avec plus d'intensité encore, très attentif et très curieux des réactions qu'il pourrait avoir face à une demande qui était tout sauf conventionnelle. Décortiquant ses traits, il déduisit de ce qu'il voyait qu'il le surprenait mais il apprécia surtout que son interlocuteur ne s'en cache pas. Sans doute que, face à ce politicien chevronné, il n'aurait pu percer son masque si l'autre s'était donné la peine de le constituer. Et ça, ça ne lui plaisait pas trop. Heureusement, Korentin Kohan n'était apparemment pas ce genre de politicien-là, ou bien était-ce simplement sa jeunesse qui l'incitait à ne pas prendre de précautions ? Si c'était le cas, alors ce n'était pas une bonne chose. A l'heure actuelle il n'avait aucune intention malfaisante à son égard, mais les choses n'étaient pas figées en l'état. Qui pouvait savoir ce qui se passerait, dans le futur ? Surtout quand on connaissait sa manière d'être. Il voulait du mal à son propre père, alors un humain. Mais certes, lui avait un avantage comparé à Artaher : il l'intriguait.

«  Je compte demander une réforme du système d'éducation elfique, entre autre choses. Vous devez bien savoir que pour effectuer un changement dans les mœurs d'un peuple ou d'une communauté, il faut commencer par changer ce que l'on apprend à sa jeunesse » Il serait stupide de s'échiner à changer la manière de voir le monde des elfes si les jeunes étaient encore éduqués pour penser fermé. «  Ensuite, je souhaite tout simplement permettre à mon peuple de retrouver une dynamique fondée sur le rapport à l'extérieur et l'innovation. Je veux voir les points forts de ma race adaptés et mis en accord avec les impondérables du temps présent, de façon à offrir aux miens une véritable opportunité de se développer à l'avenir autrement que par la répétition des façons séculaires qui n'ont plus rien à voir avec ce qui se passe à l'heure actuelle » Il croisa un instant les bras alors qu'il poursuivait «  Je souhaiterais également proposer un programme de formations destinées à permettre aux miens d'apprendre des disciplines qui leur sont encore étrangères »

Un bref instant, il resta silencieux, ponctuant simplement la fin de son discourt, avant de conclure «  Je pourrais vous en donner une approche complète par écrit, si vous le désirez. Je connais votre écriture après-tout et il vous sera certainement plus simple de disposer de toutes les informations et cheminements proposés sur un support physique prompte à faciliter la réflexion. Ensuite vous pourrez décider de l'intérêt que vous y porter » Qu'il ne pense surtout pas qu'il lui demande un agrément séance tenante. Enfin s'il voulait le lui donner il le pouvait mais ce n'était pas une exigence de sa part dans tous les cas.

Il eut un léger sourire. Très fin, fugace et éphémère. Il observait le chemin des pensées de l'empereur humain. Il n'en connaissait pas la teneur, mais était bien trop sûr de lui pour ne pas croire que ses considérations seraient à son avantage. Dans son esprit, cela ne pouvait pas se passer autrement. Sans doute était-ce une dangereuse façon d'être, dangereuse certitude, en particulier dans le domaine politique, mais il s'en guignait parfaitement, sans doute encore porté par sa jeunesse à ce sujet. S'il en avait conscience, c'était une autre histoire que de changer et même s'il était jeune et sans doute plus ouvert à cela que les vieux membres de sa race, il ne restait pas moins un elfe. Peu importait, ses talents compenseraient le temps qu'il faudrait. Silencieux donc, il observa l'humain faire son bout de chemin tout seul en se demandant à quel point il allait adhérer à ces idées. La soudaine tension dans son corps le renseigna plus que correctement sur la finalité de sa pondération. Par courtoisie, et sans doute par un reste de méfiance purement diplomatique, il se garda d'afficher sa satisfaction. Mine de rien, inviter les humains dans les affaires de son peuple serait aussi une avancée, même si cela ferait grincer des dents pas mal d'elfes.

« Il n'y a nulle offense, selon moi, à la vérité lorsque les deux partis sont capables de la discerner et de l'accepter telle qu'elle. Ne craignez pas de m'offenser, il vous faudrait beaucoup d'efforts pour y parvenir, ou que je cherche à l'être » Mais il parviendrait à vaincre le reste du conseil même si ça lui prenait des centaines d'années et qu'il devait tous les faire brûler les uns après les autres et trouver mille et un accident pour se débarrasser d'eux. Le progrès valait bien tout les sacrifices. Et lui était tout prêt à les faire, surtout quand ça allait dans son sens. « Cela me sied » Il se releva finalement avec dignité « Et je transmettrais, n'ayez crainte... » Saluant comme il se devait, il fit demi tour et quitta le bureau. A l'extérieur, ils 'autorisé enfin un sourire long et matois et se mit même à siffloter en allant trouver Aegnor….