Il n’avait pas vraiment imaginé se retrouver enfermer là en partant deux semaines plus tôt avec les alayiens pour la forêt elfique. Mort et la tête plantée sur une pique c’était probable, mais enfermé chez les elfes après avoir été attrapé par des vampires ? Quelque chose clochait vraiment dans ce contexte. En général c’était lui qui attrapait les vampires pas le contraire. Enfin, il ne servait à rien de se lamenter là-dessus puisqu’il n’avait pas le choix, il était officiellement coincé-là pour le restant des négociations et jusqu’à ce qu’on s’occupe de sa libération. La bonne blague, il comptait bien se libérer lui-même lorsqu’il le pourrait… comme si il allait faire confiance à qui que ce soit pour ce qui concernait sa vie ! Et certainement pas aux elfes… les elfes, pouah qu’il les détestait. Si il pouvait seulement leur faire manger leurs salades… Mais non, interdit de violence, la belle affaire, ça leur allait bien aux chanteurs de se permettre ce genre d’imbécilités bien à l’abri derrière leurs protections magiques et leur forêt. Bande de lâches. Enfin ça aussi il paraît que ce n’était pas à spécifier… mais avec les elfes, vous aviez toujours, une fois sur deux, la chance de marcher sur un buisson protégé ou il ne savait encore qu’elle autre ânerie propre aux végétariens. Il refusait même de sortir du sanctuaire du feu à ce jeu-là, n’ayant vraiment pas envie de croiser une paire de longues oreilles qu’il rêverait d’arracher et de découper en rondelles ou d’empailler… Non, il n’était pas encore masochiste à ce point-là. Quoi qu’à rester dans le sanctuaire du feu, non seulement il prenait un énorme coup de chaud, mais en plus il se trouvait le nez devant une masse grouillante de vampires, donc de proies, qu’il ne pouvait pas non plus trucider. Oui en réalité il devait être en plein cauchemar et se réveillerait au campement de l’armée, près de Gloria, ça ne pouvait être que ça. Non ? Allons bon.

Ironie mise à part, il ne savait pas bien ce qu’il devait faire présentement, ou surtout ce qu’il pouvait faire. On le surveillait, ça c’était certain, il l’avait aisément remarqué, comme quoi les chanteurs n’étaient pas si bêtes que cela. Mais en dehors de ce détail à longue oreille… rien. Enfin c’était surtout qu’il y avait un grand, un gigantesque rien, en terme d’occupations sur le domaine pour quelque comme lui. Il ne s’intéressait absolument pas à l’art elfique, avait en horreur la magie et n’était pas le meilleur diplomate au monde quand bien même il aurait eu une raison de s’essayer à l’exercice… Il ne pouvait pas s’entraîner aux armes, n’avait personne pour discuter. Oh oui certes il y avait bien d’autres humains mais ils étaient soient des mages, soit des affidés et franchement ? Il se serait plutôt vu les assommer. Non il était totalement seul et si il avait siégé ailleurs cela ne l’aurait absolument pas dérangé. Problème, il n’était pas ailleurs mais bien là… et il s’ennuyait ferme. Découvrir le domaine ne l’intéressait pas plus d’ailleurs bien que ce fut encore la seule activité décente. L’inactivité le rendait d’ailleurs de fort mauvaise humeur et leur séjour venait tout juste de commencer ce qui laissait à penser que les choses n’iraient pas en s’améliorant avec les prochaines tournées de l’astre solaire. Cela dit, il pouvait ainsi se permettre de faire un point particulièrement glorieux sur les dernières heures écoulées histoire de se tenir compagnie. Et bien oui, quoi de mieux que de se remémorer un tonitruant manquement transformé en fuite inespérée ? Si ce n’était pas tourner les choses à son avantage ça ! Certes, si il avait dû choisir il aurait largement préféré pouvoir filer en douce et tout seul pour retrouver ses soldats et ce sans tomber sur des sangsues sur pattes… quoi qu’il devait avouer qu’avoir joyeusement marché sur le prince vampirique avait une douce saveur.

Il faudrait qu’il garde l’exploit en tête pour le raconter à l’occasion à Enthelm. Enfin sur l’instant il n’avait absolument pas eu conscience qu’il jouait au tremplin sur une personnalité éminente et ça n’avait d’ailleurs eu aucune importance. Par la suite cependant… et bien disons qu’il retiendrait l’information à l’occasion, quoi que combattre un mage ne l’intéressa pas particulièrement, couper la tête de celui-là s’avérerait intéressant à tout point de vue. Et d’ailleurs, il venait peut-être de trouver une façon comme une autre de passer le temps… il lui semblait que la séance d’interrogatoire avait été remise à plus tard, et si il n’avait pas forcément l’intention de dévoiler quoi que ce soit à ce vampire, il n’aimait pas laisser quelque chose à moitié terminé. Alors, déterminé, il sauta sur ses pieds et descendit de la statue sur laquelle il s’était perché pour marcher d’un pas militaire au milieu du sanctuaire en se dirigeant vers le bâtiment que le cadavre ambulant c’était adjugé, ignorant royalement les gardes en post et les poussant même pour pouvoir entrer. « Poussez-vous donc de là, imbéciles vous ne m’intéressez pas  » L’interdiction d’user de violence compliquait les choses des deux côtés c’était évident, mais il en profita du coup pour forcer l’entrée et s’en alla se planter directement devant le ‘prince’ des vampires, en le jaugeant d’un regard sombre et contrarié. « Il me semble que nous avions remis une discussion à plus tard alors à moins que vous ne soyez occupé, ce qui n’a pas l’air d’être le cas, considérez- vous comme kidnappé. Je n’aime pas faire les choses à moitié, même si il s’agit d’interrogatoire  »

Bon au moins il ne s’opposait pas à son kidnapping, il aurait eu mal au cœur si il avait dû lui briser une chaise ou une table sur la tête pour aider le mouvement… C’était déjà ça en moins à faire et c’était très bien. On avait dû mal en général à discuter après s’être fait présenté de près au mobilier. Cela dit, il n’avait guère de raison d’aller le traîner à l’extérieur, après tout, là-dehors il n’y avait rien en plus si ce n’était des contrariétés supplémentaires qui viendraient encore plus saccager son humeur. Elle était déjà suffisamment houleuse comme ça sans qu’il en rajoute encore davantage, lui-même ou par l’intermédiaire de quelqu’un d’autre. Cela dit, si monseigneur Wintel avait du travail cela changeait tout… quoi qu’il l’aurait presque envié, lui et sa paire de quenottes. Au moins il avait de quoi s’occuper lui, autrement qu’en subissant l’interminable attente dans ce domaine qu’il ne supportait définitivement pas. « Pas besoin de sortir, je me sens parfaitement à mon aise ici… chaleur mis à part  » C’était qu’il faisait effectivement chaud, beaucoup trop chaud… autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Bon cela s’expliquait sans doute par le fait que le puits flamboyant était vraiment une source d’inconfort sans fin pour son organisme délicat et sensible à la chaleur. Il avait vécu les trois quart de sa vie dans le nord et les montagnes, dans la glace et le froid, alors la chaleur de ce lieu était franchement de trop, il avait l’impression d’être enfermer dans un énorme four à pain. Non seulement sa santé finirait par s’en ressentir, mais son humeur elle était déjà atteinte. Pas étonnant qu’on perde son calme par une telle chaleur !

Enfin, c’était peut-être aussi le vampire qui la dégageait, cette chaleur, à ce qu’il semblait. Si il avait eu un baquet d’eau sous la main, sans doute aurait-il testé sa théorie. N’en ayant pas, il ne pouvait que supputer ou attendre de voir plus avant ce qu’il ferait de lui-même. « Je rajouterais qu’à part gagner des spectateurs malvenus là au dehors et sans doute me frustrer d’un meurtre sur elfe lorsqu’ils se récrieront une fois de plus qu’on ne laisse pas les prisonniers libres d’aller et venir, je ne gagnerais rien à vous faire bouger votre séant.  » On lui avait fait le coup une fois déjà, et il en avait profité pour cracher son venin. Les agressions verbales ne semblaient pas compter comme interdites, c’était très bien, au moins un exutoire qu’il pouvait utiliser. Et puis pourquoi tentait-on de lui parler à lui, n’avaient-ils vraiment rien d’autres à faire de leurs journées… brouter de l’herbe par exemple ? Laissant cela de côté, il laissa un instant son regard clair traîné sur la lettre que le vampire était en train de rédiger, ne s’en cachant absolument pas. Ne faisant aucun commentaire là-dessus, puisqu’il ne tentait guère de déchiffrer ce qui s’y trouvait transcrit, il répondit finalement à la question posée, choisissant d’ignorer volontairement l’ironie dans la voix de son interlocuteur. « Et bien je suppose que c’est vous qui allez m’interroger, puisque c’était ce que vous aviez laissé entendre. Cela dit je peux vous renvoyer la pareille, j’avoue avoir quelques sujets de curiosité moi aussi  » Penchant légèrement la tête et relevant le regard pour le clouer sur celui de son interlocuteur, il clarifia immédiatement. « Je ne suis pas au courant d’un différend entre vous et Roëric, hors j’ai eu la très nette impression qu’il y en avait effectivement un. Allez savoir pourquoi… les arguments frappants employés sans doute  »

En même temps, le sort de torture, il l’avait salement sentit passé. Et la vampiresse qui l’avait accompagné n’avait rien arrangé. « J’avoue que, quitte à devoir être torturé, je préfère savoir pourquoi  » Et quitte à devoir jouer de torture, il préférait torturer qu’être torturé. Là-dessus, il croisa les bras et se mura dans le silence, en ayant assez dit à son goût, à l’autre de réagir maintenant, puisqu’après tout ce n’était certainement pas tous les jours qu’on le kidnappait. Tant mieux, il préférait que ses idée restes inimitables, question d’égo…

Belliqueux ? Il était honnête, tout simplement. N’ayant jamais aimé les elfes et n’étant pas par nature l’un de ces lèches-bottes qu’il exécrait de tout son être, il ne mâchait pas ses mots les concernant, surtout lorsqu’il était retenu prisonnier et muselé par un serment qu’on lui avait imposé sans qu’il ait son mot à dire sous prétexte qu’on tentai soi-disant de lui sauver la vie. La potion ne passait décidément pas, ça non ! Il leur en voulait et comptait bien, à terme, dire exactement le fond de sa pensée à l’imbécile heureux qui avait osé lui faire ça, et peu importe si cela conduisait à un incident diplomatique de plus, après tout, il n’était plus à ça près.
Mais ça, il le garda pour lui, peut-être tout simplement parce qu’il attendait une meilleure perche pour planter les crocs ou tout simplement parce que c’était quand même fort étrange de se ‘plaindre’ des végétariens auprès du prince vampirique qui devrait être sa priorité numéro 1 sur la liste des ennemis à abattre hors Alayiens et accessoirement un ancien elfe si la pointe de ses oreilles parlait juste. Moui définitivement, c’était bizarre mais de toute façon il vivait tellement de choses étranges depuis quelques temps qu’il en était presque navré. Presque. Etre navré n’était pas dans ses habitudes, même pour cela, et il ne comptait pas les changer pour les beaux yeux d’un vampire, tout prince fut-il… La réponse qu’il offrit à la place fut un haussement d’épaules nonchalant et détaché, ainsi qu’un regard franc et direct. Protocole avez-vous dit ? C’était quoi ça, ça se mangeait ? Aucune idée mon bon monsieur mais si ça se mangeait ça ne devait franchement pas être bon, voir complètement insipide.

La suite cependant lui fut tout sauf insipide, elle. Roëric avait trahit sa race ? Allons bon… Il savait son presque père solitaire et indépendant, et avec des idées bien à lui, mais un traître ? Il ne lui avait jamais posé la question cela dit, ils n’avaient jamais beaucoup parlé, lui n’aimait pas trop parler exactement pour tout ce qu’il prouvait en cet instant. Il était brutal et n’avait pas de goût pour les jeux de mots ou toute autre forme de passade. Et puis l’année de silence et de cris entremêlés lui avait bien suffit, aussi n’affirmait-il que le strict nécessaire sauf quand on le poussait à certaines extrémités. Là encore, comme à présent. Peut-être qu’il n’avait également pas voulu déranger Roëric d’une quelconque façon, ayant toujours mit un point d’honneur à ne pas être un poids et un ralentissement pour le vampire… Il ne s’était jamais plaint, jamais répendu en larmes ou toute autre chose… et il parlait très peu. D’ailleurs avait-il demandé à haute voix à ce que l’autre l’entraîne ? Il lui semblait bien que non mais peut-être son esprit lui jouait-il des tours, il n’avait pas la meilleur mémoire au monde.

Un vague rictus lui vint aux questions retournées du vampire et il ne répondit pas tout de suite, attendant de voir si l’autre continuerait ou non. Ce qui fut le cas, et le surprit bien davantage cette fois-ci… Ainsi, il savait son vrai nom ? Fâcheux pour lui… Très fâcheux effectivement, beaucoup trop fâcheux. Le nordique aurait préféré en apprendre plus sur les raisons qui faisaient de Roëric un hors-la-loi auprès de sa race mais apparemment ce ne serait pas pour tout de suite. Le sujet pourtant lui était tellement passionnant… Roëric était sa véritable figure paternelle, qu’il respectait et admirait en silence et secrètement et le seul qui mettait un bémol sa haine des vampires… évidement qu’il voulait en apprendre plus sur lui et si possible sans le déranger, d’autant qu’avoir l’avis d’un des principaux concerné était relativement appréciable. Le maître-lame était sans nul doute un adversaire dangereux, même si Wintel ne le reconnaissait pas forcément, ou ne le voyait pas comme tel. L’autre avait l’air aussi convaincu de sa force qu’il l’était lui-même après tout.

« Je ne fais pas forcément connaissance avec les vampires. Vous êtes des proies. Et cependant je ne peux nier qu’avoir rencontré Roëric m’a fait mettre de l’eau dans mon vin » Il eut un geste instinctif de la tête, comme un loup agacé « Je l’ai rencontré dans les Galeries de votre peuple » Ce n’était pas une information particulièrement gênante pour son ‘père’ et qui n’était rien pour lui, Kedrildan devait bien s’être vanté de sa proie… et même si ce n’était pas le cas, il n’avait nulle image ou fierté à perdre avec un être qui ne devait guère le considérer plus que comme un vermisseau même si c’était d’après lui une erreur de taille. Même un vermisseau pouvait vous faire du mal, si on lui en donnait l’opportunité. Et pourtant, ironie, il avait le même problème…

« Quant à savoir pourquoi j’ai utilisé son nom… et bien pour commencer j’ignorais qu’il était un traître, mais ça, je suppose que c’était déjà apparent. L’autre raison étant que je ne tenais pas vraiment à me présenter comme un tueur de vampires lorsque je me retrouvais votre prisonnier » Lui arrachait les crocs des vampires qu’il tuait, qui ne lui disait pas qu’on lui ferait la même chose hein ? Et il y tenait à ses quenottes. «Je n’aime pas les elfes, soyons clair, ce sont des créatures fourbes, malsaines et qui n’ont aucune place en ce monde. Un peuple révolu et qui empoisonne le mien, je n’ai jamais eu aucune douceur pour eux, bien avant de rencontrer mon premier vampire et n’en aurait certainement jamais… Mais je pense qu’en ça, nous nous comprenons parfaitement. Qu’as fait Roëric pour être considéré comme un traître ? »

Et bien oui il les prenait pour des proies, c’était peut-être stupide pour lui mais ça il en avait l’habitude, tout comme il avait l’habitude de retirer aux vampires tombant sous ses coups leurs sourires arrogants lorsqu’ils se rendaient compte qu’Audhumla venait de trancher dans la chair et les muscles. Il aimait bien l’effet de l’enchantement plaie de la nuit également, même si cela se rapprochait d’une magie pure… quant à son petit vice personnel qui se passait de génération en génération sous la forme d’une chevalière d’humble apparence, il le conservait précieusement dans ses effets pour les vampires les plus coriaces. Alors oui cela paraissait sans doute ridicule aux yeux de cet ancêtre-là mais oui il était parfaitement sérieux dans ses propos et en pensait chaque syllabes et inflexions… comment n’aurait-il pas pu d’ailleurs après tout ? Il n’était pas vraiment du genre à mentir sauf en cas d’extrême nécessité, ou plus simplement quand son intellect décidait que tel était le cas. Pas souvent donc, vraiment pas souvent… Il n’avait pas l’usage des mensonges, pas même en cet instant. Il jouait avec d’autres armes et ça lui suffisait, chacun son domaine après tout. Il était bon dans son domaine à lui. Cela il le savait. En revanche il détestait singulièrement les mages et leurs habitudes de ne pas se mouiller la chemise… ça oui, ça il détestait vraiment, ça le rendait complètement fou. A raison d’ailleurs, qu’est-ce que cela valait, une victoire par magie ? Pas grand-chose au final.

Hélas, là n’était pas la question quoi qu’il ait volontiers discuté des heures durant dessus. Il y avait mieux sous la main, ou pire selon ce qu’on pouvait penser et qui on était… en l’état pour lui, la question n’était pas là plus agréable qui soit, mais il s’y était attendu à l’instant même où il avait admis avoir vu les galeries. Parce que cela entraînait forcément, si pas de mensonges, une réponse qu’il n’allait pas apprécier de devoir formulé. Hors il avait déjà décidé qu’il n’y aurait aucune mensonge entre eux durant cette entrevue, le dernier lui avait assez coûté et si il ne le regrettait pas il n’avait pas envie non plus de refaire ce genre d’erreur. Si il devait souffrir il souffrirait en assumant pleinement ce qu’il avait pu dire et faire. Les lèvres scellées, il l’observait avec une intensité croissante qui faisait luire ses prunelles de glace comme des épingles de gel… Son instinct lui disait que son récit l’intéresserait ? Il pouvait presque parier que non, ou que, si il l’intéressait, il n’y trouverait pas ce qu’il pensait y trouver quoi que ce fut. Mais d’un autre côté, il était certain que ce Lorenz Wintel au moins n’irait pas lui faire l’affront de le prendre en pitié si il avouait tout ça… non loin de là. Et cela le mettait un tant soit peu plus à l’aise avec l’idée. Pas de pitié, pas de compassion… pas de tentative de comprendre… ça lui allait parfaitement et si en échange il pouvait en apprendre plus sur Roëric ? Il était preneur.

«Je doute que cela puisse vous intéresser réellement mais fort bien »

Il était trop curieux lui-même et après tout ? Il ne risquait pas grand-chose à lui dire tout ça, cela n’aurait aucune conséquence de son côté sinon la réminiscence sur le coup de tout ce qu’il préférait oublier au fond de son âme torturée et traumatisée. Alors sans faire montre du moindre sentiment, en se glaçant contre les tremblements et la peur que le récit lui apporterait forcément, il raconta en termes précis, clairs, presque militaires, sans chercher à esquiver la vérité mais sans non plus appuyer dessus pour en faire un récit larmoyant ou pathétique. Il ne présentait que des faits, ni plus ni moins. La coutume de la chasse au premier vampire par les jeunes de sa cité, la répartition du groupe de chasseurs sur les plaines, alors qu’il n’avait que treize ans, le traquenard et la mort des deux soldats en formation, l’ombre qui l’avait assommé et emmené… puis l’année terrifiante dans la nuit perpétuelle des galeries, à part, isolé, loin de tout, les visites et les tortures de Kedrildan, sa perversité et son esprit dépravé, la folie et la douleur prenant progressivement le pas, puis l’arrivée miraculeuse de Roëric… le vampire qui l’avait délivré et emporté loin de son tortionnaire. Sa propre volonté farouche de se remettre de ses blessures, de survivre quoi qu’il arrive… les longues années où il avait suivi le maître-lame, le traumatisme qu’il avait combattu pied à pied, son désir de recommencer son entraînement, Roëric qui avait accepté… puis la disparition subite du vampire, son abandon et sa décision de retrouver son propre trône, sa propre place, à la tête de Glacern. Il s’interrompit là-dessus, se demandant si il devait vraiment expliciter davantage le lien qu’il entretenait avec Roëric. Dans le doute, il attendit de voir ce qu’en dirait son interlocuteur et si il répondait enfin à ses propres questions. Ne l’ayant pas un instant quitté des yeux, il ne lui était plus aussi difficile d’observer ses différentes expressions. La chaleur non plus ne le dérangeait plus autant… d’ailleurs depuis combien de temps parlait-il ainsi ? Aucune idée mais ça devait faire un certain temps tout de même, il avait eu à dire. Etrangement d’ailleurs, il ne se sentait pas plus atteint que cela… peut-être en raison du caractère spécial de cette discussion.

« Voilà mon récit »

Immunisé, effectivement. Il eut été difficile de le cacher alors que son récit rendait cette vérité évidente au possible. Lui-même avait fini par comprendre, après avoir été mordu plusieurs fois et aussi improbable que cela puisse sembler au premier abord. Pendant un an, il avait été mordu encore et encore, et il était toujours humain. L’immunisation ne faisait aucun doute. Pourtant, avant de la découvrir, il n’avait même jamais imaginé que cela pouvait exister. Sans doute les immunisés n’étaient-ils pas nombreux et le gardaient-ils pour eux-mêmes sans en parler à quiconque. C’était compréhensible. Immunisé, oui, effectivement… une aubaine pour certains vampires prévoyants, comme il avait pu le constater en voyant la gamine attachée aux basques du sang-froid en face de lui. Qu’y avait-il de pire que de servir de banquet sur pattes à une créature pareille ? Pas grand-chose d’après lui. Rien en vérité, à part devenir vampire… mieux valait mourir que de devenir que de devenir l’une de ces créatures à sang-froid, à crocs et au cœur mort, pourrissant… L’immunité était venue comme une véritable bénédiction de ce côté-là. Il n’avait pas à craindre d’être transformé, même si on le mordait, il resterait humain et mourrait humain. Exactement comme il le désirait. Pourtant, ses enfants eux n’étaient pas immunisés, preuve que sa chance ne se transmettait pas. Pourquoi alors en bénéficiait-il lui ? Aucune idée. C’était cependant tombé à pic. Amusant ? Dépendait sans doute du point de vue, même si il était vrai qu’il valait mieux que les vampires croquent de l’Alayien plutôt que des Armandéens… avec un peu de chance, ces étrangers transportaient une maladie qu’ils transmettraient aux vampires et qui les tuerait. On pouvait toujours se permettre de rêver non ? Et personne n’entendait ses pensées.

Encore heureux d’ailleurs, ce n’était plus un incident diplomatique qu’il aurait provoqué mais des centaines… pas que ça le dérangeait vraiment au bout du compte. Mais ce n’était pas la meilleure manière de lutter contre ses véritables ennemis. Si les vampires voulaient manger de l’Alayien, parfait ! Et si ils pouvaient tous les tuer ce serait également parfait. D’un côté comme de l’autre cela l’arrangeait bien. « Ce que j’en pense » La vérité était très simple étrangement, mais en même temps plus compliquée qu’elle n’y paraissait. « Nous avons nombre d’idéaux en commun avec eux. Au départ, j’avais sérieusement émit l’hypothèse de les rejoindre avec mes troupes. J’ai rencontré l’un de leurs généraux, Lyra, et j’ai pu vaquer dans leur camp, pendant plusieurs jours. Oh leur technologie est particulièrement intéressante…. » Il pensait même s’en inspirer pour améliorer certaines choses de leurs côtés « Ils sont dangereux à l’heure actuelle, mais pas sans failles. Ils sont bien trop confiants en leur victoire…et surtout, leur vie est immonde. Leurs croyances, la façon qu’ils ont de se comporter… sacrifier un homme à bon escient, châtier à raison, même si il s’agit d’asseoir une autorité vacillante ou que sais-je, j’en conviens, il le faut, mais ce que cette imbécile de Lyra se permet, c’est du simple gâchis et de la stupidité »

Il expliqua en quelques mots le cas de Lyra du Néant et de sa propension au gâchis. Cela, autant que cette fameuse frénésie de dévotion qu’ils vouaient tous au néant l’avait complètement dégoûté. Pourquoi donc aurait-il été se vouer esclave d’un Esprit pour lequel il n’avait que méprit ? « Entité supérieure ou non le Néant n’a rien à faire sur Armanda et ceux assez aveugles et avilis pour se mettre à ramper devant lui devraient être éliminés pour leur propre bien » L’observant attentivement, il se fit la réflexion que les Alayiens pensaient un peu trop au piédestal sur lequel ils étaient censés être. « Cela dit je trouve amusant qu’en dépit de tout, ils semblent bien proche de nous. Se transforment-ils également de la même façon ? Dommage que les vampires perdent leurs souvenirs après la transformation… cela dit je ne vais pas commencer à mentir maintenant, je suis parfaitement satisfait qu’ils remplacent les humains d’Armanda comme nourriture pour vous. Eux, je n’ai aucune répugnance à leur couper la tête »

Il y eut un instant de flottement. Cette conversation n’allait guère avancer. Il avait appris ce qu’il désirait. Même si c’était bien peu… pourtant il y avait encore à dire, et il aurait voulu lui tirer les vers du nez au sujet de Roëric. Il allait à nouveau prendre la parole quand un vampire déboula, en prônant l’urgence. Roulant des yeux, il se releva et prit la porte sans autre forme de procès qu’un long regard au prince vampirique. Ils finiraient par se revoir… forcément