Découvrir le monde à trois, c'est toujours mieux que tout seul ! [PV Alkhytis & Aïasil & Verith]

2 février de l'an 7 de l'ère d'Obsidienne

Ils étaient partis tôt le matin même, Dawan et lui. Le soleil commençait à peine à poindre à l’horizon tandis que les deux Liés franchissaient les portes du Domaine baptistral. Le dragonnet aux écailles de nacre était tout excité à l’idée de voyager un peu, même si ce n’était pas si loin que cela. Il avait encore tant de choses à découvrir au Domaine mais sa soif d’apprendre grandissait chaque jour avec lui et l’idée de rencontrer de nouvelles personnes et de découvrir de nouveaux lieux était très loin de lui déplaire. Et puis l’Elfe lui avait avoué qu’il y aurait peut-être ceux qui avaient partagé avec lui la sécurité du Sanctuaire qui gardait toujours l’œuf rose de l’une de ses sœurs. Kaalys avait espoir d’y croiser son autre sœur et l’autre, celui qui avait éclos pour l’amie de Dawan.

Le petit écailleux avait tout juste une semaine et déjà une plus grande maîtrise de son corps mais il n’avait pas l’endurance nécessaire pour marcher tout le long du chemin. Il insista tout de même pour le faire aussi longtemps que ses pattes voulurent bien le porter avant de regagner le cocon protecteur contre le ventre du Cawr. Blotti contre lui, il ferma un peu les yeux pour se préparer à tout ce qu’il l’attendait à son arrivée à Estëllin. Il leur fallut une demi-journée pour arriver dans la nouvelle capitale du royaume elfique. Kaalys ouvrit les yeux juste à temps pour pouvoir admirer la magnificence de la ville. Il devait bien l’admettre, si les bipèdes savaient détruire, ils avaient aussi le don de construire de véritables trésor et celui-ci tout particulièrement. Son regard doré où brillait une lueur émerveillée scruta les trois étages de l’édifice jusqu’à ce que le plafond de l’entrée ne l’empêche de le faire.

S’ensuivit une enfilade de couloirs et d’escaliers où Dawan s’arrêtait pour saluer chaque personne qui croisait leur chemin. Patient, le fils de Silarae la Blanche adressa des regards bienveillants à la plupart d’entre eux mais il ne se gêna pas pour grogner sur ceux dont les intentions ne lui plaisaient pas –surtout s’ils s’essayaient à vouloir le toucher-. Quand, enfin, les deux Liés arrivèrent dans les appartements réservés au dragonnier dans la Tour des Esprits et que celui-ci libéra son petit protégé, ce dernier ne se fit pas prié pour explorer les lieux. S’il commença par se contenter de la chambre dont le lit lui plut assez mais où la vièle manquait à l’appel pour quelques minutes encore, il était si impatient de découvrir ce que cachait chacune des portes qu’il avait vu sur le chemin qu’il fit quelque chose qu’il ne pensait pas faire avant bien longtemps. Il faussa tout simplement compagnie à son Lié. Toute à sa soif d’apprendre, il ne s’en aperçut pas tout de suite. Et puis, après quelques minutes d’exploration, il sentit, ou plutôt ne sentit plus la présence familière de celui qu’il appelait Cœur-Chantant. Pris de panique, il s’élança dans les couloirs et, comme il fallait si attendre, il se perdit.

Soudain, il se retrouva à l’air libre, dans un jardin où poussaient toutes sortes de fleurs dont le parfum entêtant embaumait l’atmosphère. Cela eut le don de calmer un peu le petit être perdu. Il entendit un bruit qui le fit se ressaisir. C’était un son familier comme… comme… Celui de ses griffes sur la pierre ! Se pouvait-il que… ? La terreur qui l’avait terrassé un instant plutôt disparut pour laisser place à une curiosité infinie et une grande joie. Il n’y avait aucune appréhension dans cette nouvelle rencontre, même, au contraire, une certaine forme d’impatience. Alors il s’avança d’un pas rapide vers la source du bruit et au détour d’un chemin, il manqua d’entrer en collision avec un petit être tout aussi couvert d’écailles que lui. Nacre contre cuivre. Déséquilibré, Kaalys se retrouva assis sur le sol et pencha la tête sur le côté, intrigué. Le nouveau venu n’était pas exactement comme il s’y attendait. Un peu plus grand que lui, l’une de ses ailes semblait toute petite. Mais s’il n’avait pas plus de quelques jours, le Lié de Dawan Sywel avait appris le respect et il détacha son regard du membre atrophié pour le plonger dans celui de l’autre. Et puis il ressentait ce respect dû à un semblable. Toutefois, sa curiosité ne manqua pas de reprendre le dessus et il s’empressa d’essayer de la satisfaire. Après un salut de la tête, il transmit son nom à son congénère de cuivre. Il espéra que celui-ci en ferait autant. Il aurait voulu lui poser tellement de questions mais ç’aurait été irrespectueux et ce n’était pas digne d’un dragon, n’eut-il qu’une semaine d’expérience dans ce monde tout nouveau et immense. Toujours assis, Kaalys baissa la tête en signe d’excuses pour avoir manqué de le heurter dans son impatience de le rencontrer. Il lui transmit aussi toutes ces émotions et attendit la réaction du dragonnet aux yeux d’ambres. Seraient-ils amis ou ennemis ? Après tout, leurs dragonniers semblaient s’entendre alors les chances que cette rencontre soit amicale étaient grandes. A moins qu’un intrus ne brise leur tranquillité…

Le voyage jusqu'à Estëllin avait follement plu au petit dragonnet, au cours de la route, ils s'étaient émerveillés tous les deux devant tout un tas de choses, qu'il s'agisse d'un ordinaire brin d'herbe ou d'une fleur particulièrement colorée, d'une voie pavée ou de quelques voyageurs dont ils avaient croisé le chemin. Ce fut le moment pour un millier de questions et un millier de réponses. Comme il avait commencé à en prendre l'habitude, il avait semé derrière lui quelques bêtises innocentes et avait fait rire Luna de nombreuses fois. Il aimait le son de sa voix, surtout lorsqu'il la sentait heureuse et ce son cristallin incontrôlé semblait mener ses émotions à son paroxysme, le nimbant d'un sentiment affectueux rempli de douceur.
Une fois arrivés dans la Tour des Esprits, Luna avait commencé à installer leurs affaires et, un peu fatiguée par la route, souhaitait se reposer. Il se roula alors en boule tout contre elle, en attendant qu'elle s'endorme, essayant de calmer au mieux son esprit follement agité pour lui offrir un peu de silence. Puis, dans la seconde où il lui sembla qu'elle rêvait, il sauta du lit et commença à dévaler les marches de la tour. Lui était trop excité pour arriver à dormir, il n'était même pas fatigué du tout et mourrait d'envie d'explorer les alentours, persuadé qu'il y ferait tout un tas de nouvelles et fabuleuses découvertes. À son âge, tout était nouveau et il s'amusait d'un rien, laissant filer les jours avec un enthousiasme évident.

Le petit être de cuivre s'était promis de ne pas trop s'éloigner, plus la distance se creusait entre eux et plus son cœur se serrait, aussi, lorsqu'il aperçut ce jardin tout à côté, il s'y dirigea aussitôt. Étant né au cœur du Domaine Baptistral, il avait pris l'habitude de ces grands espaces verts et s'y sentait donc parfaitement à son aise. Ce n'était pas pour autant qu'il n'y ferait aucune découverte et il aperçut bien vite toutes sortes de plantes qu'il ne connaissait pas encore.
Suivant les explications qu'on lui avait données et les habitudes des bipèdes chantants, Alkhytis entreprit de goûter avec curiosité à tout ce qu'il ne connaissait pas trop, grignotant une branche feuillue par-ci puis quelques fleurs par-là, puis recommençant de-ci de-là, laissant se former quelques trous étranges dans ce jardin d'habitude si bien entretenu.

Il s'arrêtait aussi parfois pour contempler les bipèdes de pierre qui se trouvaient sur son chemin. Si leurs figures avaient quelque chose d'impressionnant, il ne les aimait pas trop, ne sentant rien venir de ces êtres étranges et sans odeur. Il ne parvenait même pas à communiquer avec eux ! Agacé par l'un d'entre eux qui n'avait pas voulu répondre à ses questions et qui se murait dans un silence désagréable, il se mit à gratter de sa patte gauche le socle sur lequel il se tenait toujours droit et parfaitement immobile, pas même perturbé par le vent qui caressait pourtant ses écailles. Visiblement, cette méthode était sans effet, il ne bougeait pas plus et Alkhytis n'avait rien réussi à faire d'autre mis à part laisser sur la pierre quelque trace de son acharnement. Le fier explorateur avait finalement renoncé et s'apprêtait à reprendre sa route quand il sentit une présence non loin de lui.
C'était un autre petit dragon ! Comme lui ! Visiblement déséquilibré en arrivant sur lui, ses écailles avaient glissé contre les siennes et il l'avait regardé s'asseoir de façon un peu brutale. L'aîné de la cinquième génération reconnut alors ce petit être, c'était l'un des œufs avec lequel il avait partagé un peu de compagnie, en attendant d'éclore et il fut surpris de le voir ainsi, hors de sa coquille. Il se rappela alors que Luna lui avait expliqué qu'il s'était lié au petit-elfe-chantant, mais que, face à son impatience et son agitation encore mal contrôlée, elle lui avait dit qu'il valait mieux attendre un peu avant de le rencontrer.

S'asseyant en face de lui, il accepta ses excuses en le saluant d'un mouvement de tête à son tour. Curieux comme jamais, il était ravi de pouvoir nouer une relation avec quelqu'un qui était de son âge et qui se trouvait être dragon. Ce fut Kaalys qui entama la discussion et il lui répondit aussitôt :

« Bonjour Ecailles-de-Lune, ravi de te rencontrer ! Je suis Alkhytis. Toi aussi, tu viens pour le Mariage ? »

Il avait ponctué son accueil par un petit bond joyeux et s'apprêtait à l'assaillir sous un flot de paroles et d'idées, comme qu'est-ce qu'il faisait par là et à quoi ils pourraient jouer, sans même attendre la réponse à sa première question, quand une nouvelle présence attira son attention. Comme liés par un étrange instinct qui les auraient conviés à ce fabuleux rendez-vous, il vit s'approcher d'eux un troisième petit dragonnet, cette fois tout fait d'écailles sombres, aussi noir qu'une nuit sans lune.

Trois jours… Ou plutôt son troisième jour. Elle avait fait tant de chose en si peu de temps! Ou c’est ce qu’elle pensait. Grâce à sa liée, qui s’investissait à lui enseigné frénétiquement tout ce qui était possible de savoir sur le monde et ses environs, la petite dragonne ténébreuse avait l’impression de découvrir le monde à une vitesse folle! Elle apprenait plus rapidement que sa mémoire draconnique ne s’éveillait. Elle gardait en tête tout ce qu’elle jugeait de pratique, mais par un curieux hasard, tout ce qui concernait la nourriture restait particulièrement bien ancré dans son esprit. Ce qui était mangeable et ce qui était toxique… Ou en quelque sorte, ce qui semblait étrange, mais était bon à l’intérieur, et ce qui était invitant, mais qui recelait du poison à l’intérieur… Comme les Oreilles-pointues-empoisonnées qui avait assisté à sa naissance en compagnie de sa Liée. Cette dernière l’avait prévenu que manger cette chose lui serait fatale, la petite dragonne avait donc bien retenu l’information, au cas où un envie de mordre les Oreilles-pointues--empoisonnées lui prendrait. Après avoir fait le tour du domaine baptistral, Aïasil avait insisté auprès de son âme liée afin de voir le monde plus éloigné. C’est ainsi que bien rapidement, le duo récemment formé était arrivé à Estëllin. Avec insistance, la dragonne avait demandé à sa lié de la laisser au sol. Bien qu’elle était encore assez frêle sur ses pattes, elle était trop fière pour se laissée être porté en tout temps. Laissé dans un grand espace ouvert, la petite créature avait devant elle un peu moment avant que sa liée ne vienne la recherché. Elle n’avait pas tout à fait compris ce qu’Enetari était partit faire, mais tant qu’elle ressentait sa présence dans les environs, son cœur restait paisible… en quelque sorte…

En peu de temps, elle avait fait du secteur son territoire, poursuivant toute les petites créatures qui osaient roder dans ce dernier. Elle était particulièrement rageuse lorsqu’il s’agissait de ces étranges créatures qui se posaient dans les arbres. Elles volaient… Et cela rendait Aïasil plus jalouse qu’elle ne pouvait le comprendre. Elle frappait donc tout ce qu’elle pouvait, elle grognait en direction des dites créatures, elle griffait les arbres comme elle pouvait, le tout dans l’espoir d’effrayer les profanateur du ciel. Ses échecs répétitifs ne faisaient que l’enrager d’avantage. Le jour où elle s’emparerait du ciel, elle ferait payer la totalité de ces créatures… Oui, un jour, elle les décimerait. D’ici là, ils pourraient vivre, dans l’ignorance de leur fin prochaine. D’ici là, la petite dragonne porta son attention sur son environnement, afin de ne pas s’énerver en vain… Après avoir ragé un bon moment déjà… Et puis, quelque chose se passait plus loin dans les jardins, quelque chose d’assez particulier pour intéresser la dragonne d’Onyx. Elle percevait des présences uniques, une résonnance de sa propre existence. Ce n’était pas comme avec Enetari, où elle ressentait une présence miroir à la sienne. Cette fois, c’était une présence similaire à la sienne. Lentement, sur ses gardes malgré sa curiosité, la petite noir et argent avança lentement vers le lieu d’où provenait la source de son questionnement.

Quelle fut sa surprise de tomber en face de deux dragons! Enfin, ce n’était pas des « dragons » à proprement parlé, au vu de leur taille… Bon… Les deux étaient plus gros et grand qu’elle, mais cela n’empêchait pas Aïasil de les désigner comme étant « petits ». Ils n’étaient pas adultes, voilà tout. La curiosité la dévorait, mais elle restait malgré tout à distance. Elle sentait le lien qui l’unissait au blanc en face d’elle. C’était viscérale, elle savait qui il était, ou plutôt, ce qu’il était. À côté de son frère, un plus gros dragonnet encore, aux écailles de cuivre. Une aile amochée sur le dos… Rien de très impressionnant, si cela n’était pas de sa taille. Était-il plus âgé qu’elle? Ou était-il né ainsi? Si la dernière option était valide, elle se questionnait sérieusement sur l’œuf qui l’avait recueilli. Lentement, elle entama une avancé, légèrement de côté, méfiante face aux deux dragons. Elle n’avait pas encore projeté son esprit, ou émit le moindre son. Elle ne pensait pas être agressé d’une quelconque façon, mais elle se trouva à être méfiante de nature. Elle rejoint les deux autres, gardant quelques mètres entre elle et eux. Elle passa son regard glacé et métallique sur le blanc, puis sur le cuivré, et répéta l’Action plusieurs fois. Curieuse, prudente et surtout déçu. Elle s’attendait à rencontrer des homologues plus impressionnants. Certes, elle était petite, mais ces ailes étaient massives et impressionnante. Elle était resplendissante, alors que son frère semblait si… Ordinaire… Elle finit ultimement par ouvrir son esprit, lançant à Alkhytis :

«« Moche. »»

Sa voix interne ressemblait à la brulure du froid sur une peau exposé. Sèche et mordante, froide et cinglante. Son langage était très limité, elle n’avait jamais réellement conversé avec d’autre dragons alors elle employait le langage commun, mais les images qu’elle lui envoyait clarifiaient assez bien ses pensées. Elle tourna les yeux vers l’autre, toujours en gardant ses distances.

«« Frère? »»

Ses excuses acceptées, Kaalys se détendit et sa curiosité prit à nouveau le dessus. La réponse du petit dragon de cuivre ne se fit pas attendre et s’il avait pu sourire, son compagnon aux écailles de nacre aurait sans doute souri en entendant le surnom que lui attribua cet Alkhytis. Ecaille-de-Lune. C’était joli, digne de ce qu’aurait pu lui dire son Lié. A la première question de ce nouveau compagnon de jeu, le fils de Silarae se contenta d’un hochement de tête. Visiblement, l’autre était tout aussi enthousiaste que lui à l’idée de cette rencontre fortuite et il se laissa aller à un petit bond qui fit miroir à celui du Lié de Luna.

Mais bientôt, ils ne furent plus seuls et le dragonnet aux yeux dorés tourna la tête vers la nouvelle venue. Il y avait quelque chose de familier en elle, dans son odeur mais aussi dans l’aura qu’elle dégageait. Toutefois, Kaalys ne parvenait pas à mettre un nom dessus. Il pouvait sentir sa méfiance et tenta de la rassurer en lui transmettant sa joie de la rencontrer. Leurs regards se croisèrent à plusieurs reprises, or contre acier. Il y avait comme de la déception et le Lié de Dawan Sywel fut désappointé. Mais il comprenait qu’elle espérait sans doute rencontrer des dragons plus âgés qu’ils ne l’étaient, Alkhytis et lui.

Lorsqu’elle s’adressa à eux, ce fut d’une voix glaciale qui le surprit. Elle semblait à l’image de ses écailles, sombre et froide. Il n’aima pas sa façon de désigner le cuivré mais il ne fit rien tout d’abord. Et puis elle prononça le mot qu’il cherchait depuis qu’il avait posé le regard sur elle. Il se souvint alors de l’œuf sombre qu’il veillait quelques instants chaque jour depuis qu’il était né. Son dragonnier lui avait expliqué, il y a de cela deux jours, que l’œuf de l’une de ses sœurs avait éclos. L’œuf d’un joli rose était donc à présent seul dans le sanctuaire qui les avait accueillis, eux, les dragons derniers-nés d’Armanda. Il eut une pensée pour elle avant de se dire qu’il devait réprimander sa jeune sœur puisqu’il était son grand frère. Alors, faisant fi de ce dont il croyait, la non-violence, il mordit la queue de sa sœur juste assez fort pour y laisser la marque de ses petites dents.

*Ce n’est pas ainsi que tu dois parler à l’un des tiens, sœur. Et juger les autres sans les connaitre n’est pas non plus une chose à faire.*

Il avait dit tout cela avec calme mais fermeté et il espéra en silence que la petite dragonne couleur de nuit ne l’attaque. Il détestait les conflits plus que tout et il regrettait déjà son geste beaucoup trop violent à son goût alors qu’il n’en avait pas vraiment besoin. Tout ce qu’il voulait lui, c’était apprendre à les connaitre et jouer avec eux avant que leurs Liés respectifs ne les trouvent et ne mettent fin à leurs jeux. Kaalys se tourna donc vers Alkhytis et lui donna un coup de tête affectueux sur l’épaule pour lui signifier qu’il voulait bien s’amuser avec lui. Dans le jardin, ils pourraient jouer à se cacher ou bien à attraper les oiseaux. Le dragonnet était prêt à ajouter qu’ils pourraient regarder comment ils faisaient pour voler et comme ça apprendre plus vite à faire comme eux mais son regard se posa sur l’aile minuscule du cuivré et il eut un pincement au cœur. Il savait ce que cela faisait dans les airs lorsque l’on avait qu’une aile pour l’avoir testé avec Dawan le premier jour de son existence et il devina que son aîné aurait bien du mal à voler avec une aile aussi petite. Alors il ne dit rien et se contenta de faire un petit bond sur place pour montrer son impatience, guettant du coin de l’œil la réaction de sa sœur.

C'était un être chétif, d'une taille probablement similaire à celle qu'il avait eu le jour de sa naissance, mais en presque un mois d'existence, il avait déjà bien grandi. Sa méfiance était presque palpable dans l'air, alors qu'elle s'avançait doucement jusqu'à eux et ils restèrent ainsi, à distance, à se regarder, à s'évaluer. Elle était d'un noir si sombre, qu'elle devait pouvoir facilement se confondre avec l'obscurité, une couleur banale, toute en opposition avec le dragonnet d'une blancheur pure qui se tenait à ses côtés. Alkhytis avait reconnu l'esprit qui se trouvait devant eux, il savait que c'était l'un des œufs dont il avait partagé la compagnie avant de naître, qu'elle faisait partie de cette fratrie dont Kaalys était devenu l'aîné.
Le cuivré aurait certainement été ravi d'accueillir ce petit être, à peine né, parmi eux si elle n'avait pas fait résonner en lui une voix glaciale, tout ça pour quoi... proférer une insulte ? S'il avait été un bipède, il aurait ri. Les pensées de la noire ne le touchaient pas particulièrement, il se fichait bien que son physique ne lui plaise pas, mais elle avait choisi de partager cette pensée, de lui manquer de respect. Agacé, il planta son regard d'ambre dans le sien pour lui tenir tête. Quelles étaient donc ces manières de se présenter quand on n'était rien d'autre qu'une minuscule chose qui ne connaissait rien au monde ?

Un grognement mécontent s'était échappé de sa gueule. Le jeune dragon avait hérité de la fierté imposante de sa mère, de ses enseignements aussi. Il faisait là l'expérience d'une nouvelle émotion négative et cela ne lui plaisait pas vraiment. Même s'il était plutôt de nature joviale et accueillante, cela ne l'empêchait pas d'avoir ses propres moments d'obscurité et son regard d'ordinaire clair, s'était assombri.
Kaalys ne sembla pas lui non plus apprécier son attitude et s'empressa aussitôt de le corriger en lui mordant la queue et en lui faisant la morale. Le dragonnet de nacre était de ces dragons plutôt sages qui préfèrent raisonner que combattre, son esprit tout entier apparaissait comme pacifique et rempli de bonnes intentions. Pourtant, Alkhytis était bien plus impulsif et fier, beaucoup trop pour se contenter de laisser agir quelqu'un d'autre à sa place. Il avait préféré l'observer un moment, mais regrettait maintenant de ne pas être intervenu le premier. Il n'allait certainement pas se cacher derrière plus petit que lui.

D'un bond, il s'élança jusqu'à la créature noire et lui asséna aussitôt un coup de griffe sur son museau. Il n'y avait pas mis là toute sa force, mais suffisamment pour que le geste soit douloureux, compris.

« Insignifiante. » Lâcha-t-il brutalement.

Accompagnant ce simple mot, il avait ouvert sa gueule pour dévoiler ses crocs, bien plus longs, bien plus pointus que les misérables petites choses blanches qui lui servaient à mâcher la viande. Plus gros en taille, plus fort, Alkhytis n'avait rien à craindre du dragonnet qui se trouvait nez à nez avec lui et au moindre mouvement qui lui déplairait, il était prêt à lui asséner un nouveau coup, avec plus de force cette fois, pour qu'elle s'en souvienne encore longtemps.

« Impertinente. »

Et ce fut tout. Cet être insignifiant ne semblait pas mériter davantage et il quitta des yeux la noire pour reporter son attention sur son premier compagnon. Celui-ci lui offrit un coup de tête affectueux pour l'inviter à jouer, une demande à laquelle il ne pouvait résister, lui, le roi du jeu ! Amusé, il lui rendit le coup, du bout du museau et le poussant un peu fort pour tester sa résistance.

« Il y a plein de coins amusants pour jouer par ici, si tu veux ! » Commença-t-il d'un ton à nouveau plein de joie. Puis, sans même lui jeter un coup d’œil, il rajouta, plus froidement cette fois. « Elle n'est pas la bienvenue si elle ne corrige pas son attitude. »

Ricanant légèrement dans son propre esprit, il attendit un instant la réponse des deux dragonnets. Il l'espérait positive, mais s'il devait faire face à une arrogance mal placée, il se fichait bien de poursuivre sa route avec une présence ou deux en moins.

¤ Le nuage qui grondait comme un dragon ¤

Doucement, les griffes de la patte droite du dragon de l'ire se repliaient sur sa paume, puis se dépliaient. Lentement, sous ce mouvement, les muscles du colosse de flamme se contractaient et se décontractaient. L'héritier de l'orage fermait les yeux, profitant de ce simple mouvement, comme il avait pu pleinement profiter de retrouver la vue. Sa patte était libre désormais. Libre de l'emprise de l'esprit du feu. Guéri de la blessure que ce dernier lui avait infligée pour l'avoir défié. Les écailles noirâtres et fondues avaient retrouvé leur éclat grenat. Sa peau en dessous, calciner, s'était reformée, tout comme son muscle. Sa blessure n'était plus. Sa puissance lui était revenue. Comme elle lui avait manqué. Maintenant que toute sa force lui était revenue, il se sentait prêt pour affronter non seulement les Chimères, mais également le lien. Prêt à déployer toute sa puissance pour écraser ses adversaires … mais cela suffirait-il ? Il pourrait tuer les réceptacles du lien et des Chimères. Mais aurait-il la force nécessaire pour les détruire. Cette magie infâme, et ces créatures éthérées. Tranquillement, le rouge vint fouiller dans sa mémoire. Loin, profondément en elle. Par-delà ce que tous dragons avaient oublié. Par-delà cette entrave que les Esprits avaient posée pour leur faire oublier l'âge de platine. Leur naissance en tant que race, leur vie auprès des Tarenth et des Esprits … et la trahison de ces derniers. Lorsque l'esprit du rougeoyant s'arrêta, il se retrouva entourer par les ténèbres où seules de rares lumières luisaient, faiblement. Dans un soupir, le dragon libre rouvrit les yeux. Il n'avait pas de réponse à sa question. Sa mémoire ne lui permettait pas de la connaitre. Il y avait encore trop de ténèbres dans cette partie reculée de la mémoire draconique. En vérité, elle n'était pratiquement que cela. Après tout, il n'y avait rien d'étonnant. Les souvenirs de cette époque remontaient à des siècles et des siècles, et la magie des supérieurs l'a maintenue effacé pendant des générations et des générations.

Doucement, le fils de Skade écailles d'orage dodelina de la tête avant de déployer ses ailes, s'étirant. Sa patte était désormais guérie, il n'avait plus rien à faire ici. Mais les Baptistrels avaient tenu à le garder en observation quelque temps, afin de s'assurer que sa blessure avait bel et bien disparu. Fait de haute magie, dont on ne savait rien presque rien, mieux valait être prudent. Cependant, l'attente que l'on faisait subir au colérique commençait à l'agacer. D'autant plus que la forêt de l'Ouest et la surveillance du mal y sommeillant l'attendaient. Ce petit sacrifice de son temps valait-il les soins apportés ? La réponse était bien sûr oui. Bien qu'elle soit amère. Verith n'avait pas envie de passer plus de temps que nécessaire auprès des bipèdes qui n'avaient pas fait sa possession, et en aussi grand nombre. Il avait déjà bien trop subi leur présence du temps de Vraorg. Mais cette amertume était en grande partie étiolée par la satisfaction qu'il avait d'être guéri, et plus encore d'avoir fait un pied-de-nez à la volonté des esprits. Crachant allègrement sur leur puissance. Bien qu'ils ne fussent plus, on pouvait présumer que les traces qu'ils laisseraient seraient indélébiles. Après tout n'étaient-ils pas les êtres les plus puissants à l'époque ? Mais il n'en est rien. Les tyrans étaient tombés et leur puissance a disparu. Et lorsque la menace des Chimères et du lien ne sera plus, Verith pourra enfin rendre Armanda à ses véritables propriétaires. Les dragons libres.

Ailes déployées, l’enfant de l’orage les fit battre avec force tout en donnant une impulsion à l’aide ses pattes. Sautant, il finit par décoller et prit rapidement de l’altitude, s’élevant dans les cieux. Le rouge s’était éloigné pour se rendre à l’extrémité Est des montagnes, se postant près du rivage et regardant l’océan, se mettant guetter l’horizon. Au loin de cette partie du continent se trouvait l’île du flocon, nid du lien. Rejoignant rapidement les nuages, le dragon libre se dirigea vers Estëllin et plus précisément vers le domaine des chanteurs. Kälyna devait sans doute l’y attendre. Peut-être avait-elle trouvé un moyen de dissimuler leur magie comme ils en avaient parlé. Il le saurait bien une fois sur place. Déviant un peu la trajectoire d’Estëllin pour amorcer une descente en direction du domaine de la Rapsodie, son esprit fut néanmoins attiré. Trois esprits de membres de son espèce se trouvaient au sommet de ce nid de bipèdes défigurant ces montagnes qu’on appelait autrefois crocs du dragonnet. Verith ralentit sa chute, et laissa vagabonder sa psyché jusqu’à eux, venant capter leur conversation malgré eux. Ce qu’il entendit n’était pas grandiose. Doucement le rouge secoua la tête tout en rectifiant une fois encore sa trajectoire, ce dirigeant vers eux.

Le maléfice de Vraorg était encore présent sur cette armure qui le recouvrait. Plus un carcan qu’une armure aux yeux de Verith. Un vestige d’une ancienne bataille perdue. À cause de ce maléfice, le colérique était entouré d’un nuage de ténèbres lorsqu’il volait. Aussi se fut plus un nuage annonciateur de mauvais présages, qu’un dragon, qui s’approcha du dernier étage de cette cité elfique. Il finit par s’immobiliser dans les airs, face à l’esplanade où se trouvaient les dragonnets. Ses yeux perçant la couche de ténèbres pour venir observer les trois dragonnets qui se trouvaient là. Un blanc, une noire et un cuivré. Le géant de flamme n’eut aucun mal à distinguer la condition d’estropier du petit dernier. L’esprit de Verith se leva pour venir s’abattre sur la dragonne d’onyx venant y insinuer la peur, avant de pousser un puissant rugissement qui résonna parmi les montagnes. La jeune dragonne sursauta avant de faire rapidement demi-tour et commencer à se carapater à toute vitesse face à la menace que représentait l’enfant de l’orage.

« L’apparence n’importe pas chez les dragons. Seule la puissance entre en ligne de compte. Le handicap que peut offrir l’apparence est une limite à cette puissance, comme elle peut en être une force. Il tient seulement au dragon d’apprendre à apprivoiser le handicap que lui offre son apparence pour en faire une force et non une faiblesse. »

La voix mentale de Verith résonna dans l'esprit des deux dragonnets. Lentement, le rouge s'approcha jusqu'à ce qu'il pose une patte sur le devant de l'esplanade, détruisant le muret qui faisait office de protection face au vide, là où sa patte se posa. Les trois autres vinrent planter leurs griffes dans les parois rocheuses de la montagne. Verith n'ayant malheureusement pas assez d'espace pour se poser sur ce dernier étage, au risque d'y détruire les trois édifices. Les rythmes de ses ailes ralentissant, le nuage de ténèbres disparut, comme aspirer par l'amure du dragon rouge. Le dévoilant alors. Son museau gigantesque se tourna de façon à ce que ses yeux d'or se posent sur les deux petites créatures face à lui.

« Je suis Verith de l'ire. Comment vous nommez-vous, nouveau-nés. »

Cet Alkhytis mit un peu trop de force à reprendre sa sœur mais Kaalys ne lui en tint pas rigueur. Lui-même s’était bien laissé emporter et l’avait mordu alors qu’il détestait la violence sous toutes ses formes. Mais le cuivré finit par répondre à son appel au jeu et le poussa de la tête avec plus de force. Pas dupe sur le but de la manoeuvre, le dragonnet de nacre lui résista un peu jusqu’à ce que son nouveau compagnon de jeu lui dise qu’il connaissait des coins amusants. Sa curiosité piquait eau vif, il acquiesça lorsque son aîné de quelques jours lui signifia que la petite dragonne noire comme la nuit n’était pas la bienvenue sans excuses.

*Je te suis !* s’enthousiasma le petit être ailé. *Et non, elle ne vient pas si elle n’est pas plus gentille, tu as raison.*

Soudain, il fit plus sombre alors qu’un énorme nuage noir semblait descendre tout droit sur eux. Inquiet mais intrigué, le fils de Silarae qui avait d’elle la couleur de ses écailles ne recula pas, se décalant juste un peu pour qu’Alkhytis et Aïasil puissent se mettre à côté de lui pour bien voir. Il pencha la tête sur le côté. C’était étrange, c’était comme si c’était…vivant. Kaalys avait ce drôle de pressentiment et il voulut s’en ouvrir au dragonnet près de lui. Ce fut cet instant que choisir deux yeux d’un doré qui rappelait celui de son propre regard pour apparaitre dans le nuage noir. S’il ne saisit pas bien ce qui se passa avec sa sœur couleur de jais, il frissonna légèrement, ce même pressentiment toujours présent. Aïasil fila aussi vite que s’il y avait le feu –enfin, façon de parler-.

Le Lié de Dawan se redressa brusquement aussi droit qu’il le pouvait lorsqu’une voix retentit dans son esprit, prononçant des paroles qui semblèrent sages au jeune écailleux. Le nuage noir s’approcha encore et, même s’il avait deviné qu’il s’agissait d’un dragon, il ne s’attendait pas à ce qui apparut alors que le nuage se délitait lentement à mesurer que l’être écarlate cessait de battre des ailes. Plus grand encore que les statuts des dragons qu’il avait croisé au détour d’une allée dans la jardin, plus grand encore que les bâtiments autour. Kaalys n’en croyait pas ses yeux. S’il l’avait voulu, le dragon rouge aurait pu tout aussi bien les avaler en une bouchée l’un et l’autre. L’être mythique se présenta et, en bon Lié d’un Elfe qu’il était, le petit nacré se présenta aussi.

*Je suis Kaalys, fils aîné de Silarae et Atalos.*

Pourquoi il ne mentionna pas Dawan à cet instant comme il l’avait toujours fait ? Sans doute la présence écrasante de son aîné. Il laissa le soin à Alkhytis de se présenter par lui-même avant de poser une question qui le dérangeait. Il hésita encore un instant avant de se lancer.

*Dis, qu’as-tu fait à ma sœur pour qu’elle est si peur ?*

Il ne voulait effrayer personne –du moins pour l’instant-, mais sa curiosité parlait pour lui. Un jour, elle lui attirerait sans doute des ennuis, mais pour le moment, il essayait de la rassasier autant que possible. Il aurait eu plein d’autres questions pour le dragon de l’ire s’il n’y avait pas eu Alkhytis. Mais lui aussi voudrait peut-être poser des questions et il lui fallait lui en laisser le temps. Après tout, si ce Verith avait interrompu son vol pour venir les voir, il ne repartirait sans doute pas tout de suite.

Ravi de voir que Kaalys était partant pour le suivre, il s'apprêtait à lui montrer toutes sortes d'endroits qu'il ne devait pas encore connaître, dédaignant avec toujours autant de force la Noire, quand un nuage d'une intense obscurité apparut dans le ciel et se mit à fondre sur eux. Étonné et curieux à la fois, le petit être campa sur ses positions, plissant les yeux pour essayer de comprendre quelle était cette chose immense et ce qui allait leur arriver. Il n'avait pas peur, ne sentait pas monter en lui un instinct qui lui criait qu'il y avait danger, non, il était plutôt fortement intrigué à la place et à mesure qu'il se rapprochait d'eux, il commença peu à peu à comprendre.
La voie qui résonna dans son esprit était impressionnante, elle ressemblait à un grondement continuel et faisait parfaitement comprendre qu'il ne fallait pas faire n'importe quoi avec lui. Sans pouvoir reconnaître le nom de l'être qui s'adressait à eux, il put néanmoins distinguer qu'il s'agissait d'un dragon. C'était donc l'un de ses semblables ! Il paraissait mille fois plus âgé et plus énorme qu'eux, alors même qu'il était presque certain que le dragon devait se dérober à leurs yeux à l'aide de cet immense nuage sombre.

Alkhytis sentit son cœur battre plus fort et son corps tressaillir. À l'arrivée de cette créature imposante, il avait des frissons d'excitation et il savait déjà que son esprit allait être bouleversé par son insatiable curiosité. Pourtant, ses mots sonnaient d'un discours qu'il avait déjà entendu plusieurs fois maintenant et qui l'offusqua aussitôt. Pourquoi tout le monde pensait donc qu'il avait un problème ? On lui disait de ne pas se sentir en dessous des autres, qu'il fallait faire de ses faiblesses des forces, mais il ne s'était jamais considéré ainsi lui-même ! Non! Il n'était pas faible, il ne l'avait jamais été, c'était simplement les autres qui le voyaient de cette manière et pour une raison qu'il ne comprenait même pas. Il se sentait parfaitement bien dans son corps, il était même en pleine forme et passait ses journées à apprendre de nouvelles choses et à gambader sur l'herbe et les pavés, alors pourquoi voulait-on toujours l'abrutir de discours qui ne le concernaient finalement pas ?
Le petit être se contenta de pousser un grognement, agacé. Il était fier de ce qu'il était, après tout, il était le fils de Trissi la Superbe et comme il venait tout juste de le montrer, il était loin de se laisser marcher sur les griffes.

Mais il se contenta de rester immobile alors que son aîné se posait sur l'esplanade et se présentait à eux, se dévoilant finalement de son camouflage obscur pour révéler un énorme dragon aux écailles grenat. N'importe quel petit dragonnet de son âge pouvait être impressionné par cette apparition soudaine et ce fut parfaitement le cas pour Alkhytis.
Ainsi, il demeura un petit moment à l'observer, détaillant la créature énorme qui se trouvait tout juste devant lui et qui lui faisait se sentir terriblement minuscule. Il n'avait encore jamais vu de dragon aussi gros et cela lui fit réaliser à quel point il allait lui-même grandir. Bientôt, les pièces et les maisons allaient être trop petites pour lui et il ne pourrait plus se faufiler dans le lit de sa Luna. Verith, de par sa taille, devait pouvoir parcourir bien facilement le monde, et il l'envia un petit peu pour ça.

Même s'il était irrité par ses mots, sa présence imposante et son immense curiosité lui firent bien rapidement oublier cette tension qui l'avait animé pendant un instant et il était bien plus excité à l'idée de lui poser toutes sortes de questions, des plus courantes aux plus farfelues.
C'était une chance immense qu'il avait aujourd'hui de faire sa rencontre et il n'allait pas la gâcher en grognant contre plus gros et plus fort que lui ! À voir comme la Noire s'était enfuie à toute vitesse et rien qu'en ouvrant les yeux, il savait clairement qu'il ne faisait pas le poids. Autant donc mettre à profit cette rencontre pour en faire quelque chose de positif !

Une fois que Kaalys eut fini de se présenter, ce fut à son tour de s'adresser à lui et sans peur aucune, il s'avança un peu plus, levant la tête pour observer celle de Verith, si loin et si haute qu'elle était complètement hors de sa portée.

« Je suis Alkhytis, dragon de cuivre, fils de Trissi la Superbe et de Cynoë d'Améthyste, Lié de Luna-Dorée. » Clama-t-il fièrement pour se présenter.

Même s'il ne connaissait pas encore vraiment son père, il était sûr qu'il serait fier d'être son fils, avec cette même assurance qu'il avait envers sa mère et sa Liée-Dorée.

« Je suis honoré de te rencontrer, Verith de l'Ire. » Ajouta-t-il calmement.

Son regard parcourait les écailles d'un rouge brillant de l'imposant dragon et il gardait peu à peu dans sa mémoire les moindres détails de son apparence. Il avait l'air terriblement fort, libre de toujours faire ce qu'il lui plaisait et Alkhytis avait vraiment envie de lui ressembler, quand il serait plus grand.

« J'aimerais savoir, quel était ce nuage de ténèbres qui t'entourait alors que tu volais ? »

Les mots lui avaient échappé sans qu'il ne s'en rende vraiment compte : sa curiosité avait pris le dessus et il avait posé une question sur le sujet qui l'intriguait le plus. Mais il en était finalement content et attendit, immobile, de voir quelle serait sa réaction.

¤ Progéniture ¤

Verith venait de faire son entrée, ou plutôt son apparition. Soigner et calculer comme à son habitude, à croire que le rouge avait un certain sens de la mise en scène, bien qu'il pût faire mieux, ou alors était-ce son arrogance naturelle qui le poussait à agir ainsi. Non, la première impression ou même simplement « l'impression » était une chose utile au combat, dans un conflit, dans la vie de tous les jours. Si tu paraissais faible, tu peux être sûr qu'on te cassera les pieds. Si tu parais fort, tu as moins de chances de venir te faire emmerder. Mais ici, courait-il un risque de te faire casser les pieds par les deux dragonnets ci-présent. Son expérience passée lui disait que oui. Les liés étaient d'une arrogance, stupidité et inconscience déconcertante. L'enfant de l'orage préférait donc donner immédiatement le ton. Verith commença, après avoir donné une petite leçon au dragonnet, leçon qui éveilla un certain agacement chez le petit cuivré, par se présenter. Il ne donna pas les titres avec lesquels l'affublaient les bipèdes. Dragon de l'ire suffisait amplement. Il était la colère, et les deux nouveau-nés auraient bientôt l'occasion de s'en rendre compte. Peut-être aurait-il dû se targuer d'un autre titre, le dragon libre. Mais attaquer immédiatement la discussion sur le lien risquerait de lui donner l'envie d'arracher une partie de la montagne et faire chuter les deux petits dragonnets. Il aurait de toute manière bien le temps d'aborder ce sujet tôt ou tard. Si cette rencontre pouvait s'avérer paisible dans un premier temps, elle n'en était rien. Ces deux êtres étaient tous bonnement deux futurs ennemis lorsque le rouge aurait le moyen de détruire la magie infâme créée par Edwyn Ruddy. Quoi qu'il en soit, le nacré et le cuivré répondirent à sa demande en se présentant.

« Je suis Kaalys, fils aîné de Silarae et Atalos. »

Le fils de Skade écaille d’orage plissa légèrement les yeux à l’évocation du nom des géniteurs de celui-ci. Peut-être aurait-il mieux fallu pour lui qu’il taise ses origines et faces comme lui se contente de son nom. Après tout, le rouge n’avait pas évoqué le nom de sa mère. Il n’avait pas jugé cela utile. Pourquoi mentionner le nom d’une traitresse qui avait au final décidé de mettre fin à ses jours. L’héritier de l’orage décida d’ignorer pour le moment la question du petit blanc. Le cuivré prenant la relève pour se présenter à son tour.

« Je suis Alkhytis, dragon de cuivre, fils de Trissi la Superbe et de Cynoë d'Améthyste, Lié de Luna-Dorée. »

Voilà donc la progéniture de ces deux idiots. C'était … non pas décevant, mais exactement à leur hauteur. Le rouge observa plus longtemps le petit cuivré et son aile atrophiée. Après tout, n'était-ce pas là l'héritage que lui avait laissé Trissi, elle qui fut incapable de faire face à un simple blizzard. Pauvre dragonnet, il allait devoir faire de gros efforts pour se dépêtrer de ce que lui avaient offert ses parents. Mais il y parviendrait sans doute, du moins s'il est aidé par la bonne personne, c'est-à-dire lui. Doutant sérieusement qu'un autre soit en mesure de l'aider à faire face à son handicape, en tirer parti en quelque sorte. Ici aussi, de manière volontaire, le rouge ignora la question du cuivré pour le remettre à plus tard.

« Fils aîné … ta sœur … »

Le rouge tourna la tête pour regarder en direction du domaine, y étendant son esprit avant de revenir ici.

« Mh, alors celle qui dort encore là-bas est également le fruit de ces ceux-là. J’ai entendu votre petite conversation tandis que je flânais dans les hauteurs. Ta sœur est … à la hauteur de ce que l’on pourrait attendre de la progéniture de Silarae l’infâme et Atalos le … mh … benêt … oui ce doit être le mot juste. Quel dommage d’être obligé de le qualifier ainsi. Je me demande ce qu’il va en être de toi. »

Le rouge dodelina légèrement de la tête tout en observant de ses grands yeux d’or le petit nacré. Il distinguait chez lui la carrure de son père, il ferait sans doute un bon adversaire, dans plusieurs siècles, tout comme son père. Du moins, s’il parvenait à vivre jusque-là. Les dragons liés ont la fâcheuse habitude de mourir jeunes.

« Et toi petit atrophié. On dirait bien que tu as hérité du même problème que ta mère, celui d’avoir du mal à voler. Mange des radis noirs, c’est ignoble, mais efficace tu peux me croire. Tu es cependant bien plus respectueux que ton père à notre première rencontre. Au moins tu n’as pas hérité de son effronterie. »

Verith aurait aussi pu très bien dire stupidité, mais il était encore trop tôt pour juger de cela. Reportant ensuite son attention sur le dénommer Kaalys, il vint frôler son esprit avec le sien, portant avec lui sa colère naturelle.

« Les dragons blancs ont toujours été plus portés que les autres sur tout ce qui est relatif à l’esprit. Tu fais honneur à ces derniers. Ce que j’ai fait à ta sœur … »

L’héritier de l’orage vint enrouler son esprit autour de celui de Kaalys, l’oppressant un peu, avant de se retirer.

« … je me suis contenté de la secouer un peu, on va dire. Juste une petite frayeur, elle s’en remettra. »

Dodelinant de la tête il pointa son museau en direction d’Alkhytis et vint à l’aide de ses griffes d’ébène taper contre une partie de son cou qui était recouverte par des écailles grisâtres. En la suivant, on pouvait remarquer que cette seconde couche d’écaille était présente sur une grande partie du corps du dragon de l’ire.

« Les dragons portent leurs écailles en guise d'armure. Les bipèdes eux s'enferment dans des carcasses de métal pour se protéger. Et il arrive qu'ils en fabriquent pour les dragons. Heureusement et malheureusement pour moi, cette chose n'a pas été construire par l'une de ses créatures inférieures. Et à mon plus grand dam, il est impossible de la retirer. La magie de l'être qui me l'a mis l'en empêche, même après sa mort. Le nuage qui m'enveloppe pendant que je vole est issu de cette même magie. Tant que je la porterai, les ténèbres accompagneront mon vol. »

En dépit du grand désavantage qu'imposait cette armure, celui du déshonneur, elle apportait certains avantages que le rouge avait finis par apprivoiser.

« Et toi, Kaalys, à qui es-tu lié ? Tu n'es pas un dragon libre. Je sens cette horrible magie en toi. Es-tu comme ta mère, lié à un cadavre animé par la magie ? Ou peut-être comme ton congénère, lié à un humain ? Où serait-ce un elfe ? Les liés ont toujours eu la sale habitude de mettre en avant leurs bipèdes lors de leur première avec moi. Mais tu n'en as rien fait. Intéressant. »

Si Kaalys était impressionné par la stature du nouveau venu, cela ne l’empêcha pas de sentir une boule de colère gonfler dans sa poitrine lorsque l’Ecarlate évoqua son avis sur ses parents. Le petit Lié de nacre ne les connaissaient ni l’un, ni l’autre mais il était certain qu’aucun d’eux ne méritait d’être qualifié de la sorte. Son regard doré qu’il tenait de son père se voila sous le coup de cette émotion qu’il ressentait pour la première fois aussi fort. En parlant de ‘’celle qui dort encore là-bas’’, il savait que Verith faisait allusion à cet œuf rose qui n’avait pas encore trouvé celui ou celle qui le libèrerait de sa prison délicate. S’il avait l’habitude de bien se tenir et d’user de tact pour dire ce qu’il voulait, le dragonnet n’eut pas cette patience avec son aîné aux écailles rubis et il opta pour l’honnêteté sans détour.

*J’ai bien peur de te décevoir puisque certains disent que je tiens à la fois de ma mère et de mon père sans plus ressembler à l’un que l’autre. Mais, de ce que je connais d’eux, je pense que je ressemblerais trop à ce ‘benêt’ et à cette ‘infâme’ pour pouvoir partager vos avis et ne pas décevoir les espoirs que vous vous faites.*

C’était risqué, il le savait très bien. Et si la prudence faisait partie de ses qualités en temps normal, il y avait cette loyauté envers ceux qui lui avaient donné la vie qu’il ne savait trop comment expliquer. C’était elle qui venait de le pousser à de telles paroles mais il ne les regrettait pas un seul instant. Si lui, fils de Silarae la Blanche et d’Atalos le Doré, ne prenait pas leur défense face à Verith l’Ecarlate, qui le ferait à sa place ? Personne. Et il s’en fichait d’avoir piétiné les ‘’espoirs’’ de ce dragon.

Et puis, le dragon rouge lui fit la démonstration de ce qu’il avait fait à sa sœur couleur de nuit. Il sentit l’esprit de son aîné s’enrouler autour du sien, l’opprimant un peu avant de s’éloigner. Dans cet acte, Kaalys put s’apercevoir de la puissance de l’Ecarlate mais il n’avait pas bronché une seule seconde alors que ses pensées s’étaient légèrement brouillées sous le poids de l’esprit qui l’enserrait. Ensuite, sachant qu’il avait déjà bien assez parlé, il laissa le dragon répondre à la question d’Alkhytis, s’y intéressant parce qu’il offrait peut-être un avantage pour plus tard, si un jour la diplomatie ne fonctionnait pas et qu’ils en venaient aux griffes et crocs. Chaque mot que prononçait Verith était empreint d’une haine que le petit Lié sentait féroce envers les bipèdes et le Lien. Dragon libre. Comment ne l’avait-il pas deviné plus tôt aux propos qu’il tenait ? Par manque d’attention ou d’expérience sans doute.

*Je suis le Lié de Dawan Sywel, elfe Chanteciel. Et je ne partage pas votre avis sur le Lien. Oh, je ne doute pas que tu aies tes raisons et sans doute que mon esprit est embrouillé par les pensées de mon Lié mais je dois vous dire, en toute sincérité, que je pense que tu fais erreur en qualifiant cette magie offerte par un esprit sage aux quatre peuples d’Armanda d’horrible. Et si je n’ai pas évoqué Dawan Cœur-Chantant en me présentant à toi, c’est parce qu’il est moi tout autant que je suis lui et que ton esprit sent notre lien en s’approchant du mien. Pourquoi alors te le dire puisque tu le savais déjà en quelque sorte ?*

Honnêteté, c’est ainsi qu’il aurait dû s’appeler. Mais il ne regrettait pas un seul des mots qu’il ait pu dire, les pensant tous, prêt à les défendre. Verith pourrait ne faire qu’une bouchée de lui mais ce qu’il craignait le plus, ce n’était pas de mourir mais bien ce qui attendait son doux Lié après sa mort. Le Lien n’était pas encore aussi puissant entre eux qu’il le serait demain ou encore le jour d’après, ou le jour d’après le jour d’après. Etait-il suffisamment fort pour détruire l’âme du petit elfe ? Il ne voulait pas prendre ce risque alors il ajouta un signe de tête respectueux à la fin de son échange télépathique, qu’il pensait tout de même, comme tout le reste. Et puis, il laissa la parole à ses pairs, attendant la réaction de l'Ecarlate ou la prochaine question du petit cuivré.

Était-ce une façon de le juger qui se voulait provocante ou simplement le reflet de ses pensées, en toute impartialité, agrémenté d'un généreux conseil ? L'imposant dragon qui se trouvait devant eux semblait empreint d'un caractère bien à lui et n'avait rien en commun avec tous ceux qu'il avait rencontré jusqu'ici. Bon, c'était vrai qu'il n'en connaissait pour l'instant presque aucuns, mais il avait cette intuition, ce sentiment, cette certitude au fond de lui qui lui dictait que c'était bel et bien le cas. Et c'était d'autant plus impressionnant ! Alkhytis était certain que cette rencontre était bien particulière et qu'elle le marquerait à sa façon. Serait-ce une bonne ou une mauvaise expérience ?

Le dragonnet avait envie de lui crier qu'il saurait le faire, qu'il pourrait voler, qu'il le prouverait, quels que soient les préjugés que l'on pouvait avoir sur lui, quelles qu'aient été les erreurs de sa mère. Mais il savait bien que les mots ne convaincraient pas l'opiniâtre dragon, si bien qu'il préféra se taire. Et si cela serait sa solution, alors les radis noirs n'avaient qu'à bien se tenir !

Alkhytis ne réagit pas quand Verith sembla adopter le même comportement avec Kaalys qu'avec la Noire, après tout, c'était la volonté du petit Blanc et il n'allait pas s'y opposer. Il se doutait bien que ce sentiment ne devait pas être agréable du tout, repoussant, effrayant même, et n'avait pas tellement envie de le connaître à son tour.
Puis ce fut à nouveau vers lui que l'attention du géant se reporta et il put largement assouvir sa curiosité par une explication suffisamment longue et détaillée. Ainsi, ce nuage étouffant n'était pas né de sa propre magie, mais de celle d'un autre. C'était un fait intéressant pour le petit être qui en apprenait un peu plus chaque jour en terme de magie et qui allait de surprises en surprises. Pourtant, il se sentit aussi attristé, comprenant que ça n'avait jamais été la volonté du dragon, il en était même révolté ! Comment un bipède avait pu infliger cela à cet être superbe ?! Les dragons, ce devait être synonyme de liberté, de grandeur ! Un être comme lui n'aurait jamais dû être asservi ainsi, quelle qu'en soit la fin !

« C'est impardonnable ! » S'écria-t-il avec une pointe de colère, sans doute un peu trop jeune pour se sentir complètement furieux. « Tu es bien plus éclatant sans cette armure inutile, Brasier-Écarlate ! »

Tout à sa sincérité, il aurait pu ajouter qu'il espérait un peu que ce bipède ait payé chèrement son affront, mais il n'en fit rien. En se touchant, leurs esprits communiquaient bien plus que des paroles et, tantôt intimidé, tantôt fasciné par cette âme si forte et indépendante, il se laissait doucement captiver par ce que voulait bien lui offrir l'esprit de la colère.
C'était là bien des sentiments négatifs dont il faisait une toute nouvelle expérience, mais il y goûtait sans crainte et essayait de les comprendre. Verith avait sans aucun doute quelque chose à lui apporter, quelque chose qui perfectionnerait ses connaissances et sa compréhension du monde, plus que tout, quelque chose dont il avait besoin.

Quand la discussion tourna sur le lien, Alkhytis lui-même ne put rester indifférent. Bien évidemment les mots de Kaalys semblaient sages et plein de sens pour lui qui s'était lié à la princesse des lumières. Le lien, indissociable de sa propre existence, ne pouvait rien avoir d'horrible à ses yeux tant il lui avait apporté du bonheur ! Et même si tout cela n'avait pas autant ravi son cœur, il ne pouvait s'imaginer vivre sans ce lien. Comment pouvait-il être sans celui-ci ? Aurait-il ressenti un grand vide ou n'aurait-il même pas remarqué la présence de la bipède de son cœur ? Cette deuxième pensée suffisait pour le déchirer.
Pourtant, il choisit de ne pas donner son avis dans cette discussion déjà tranchée. Qu'avait-il à apporter de plus ? Non, avant tout, il voulait savoir, se mettre un peu à cette place qui ne serait jamais la sienne, juste pour saisir un peu plus ce qu'était cet être de grenat et de flammes.

« Un dragon libre ? Qu'est-ce que ça représente au juste pour toi et qu'est-ce qui te rend aussi hostile envers le Lien ? »

Cela en faisait des questions, mais il savait par avance que le dragon n'hésiterait pas à leur répondre, peut-être même était il venu exprès ici pour faire la propagande de sa Liberté. Quel que soit ce discours, Alkhytis se sentait prêt à l'écouter, mais ce n'était peut-être pas le cas de Kaalys. Alors, plein de gentillesse, son esprit vient toucher celui de nacre pour le rassurer.

¤ La vérité sur le lien ¤

Lui qui n’avait pas voulu s’engager dans une discussion sur le lien, du moins dès le début, avait fini par foncer en plein dedans. Il faut dire qu’en même temps, lorsqu’on se trouvait en face de créatures acoquiner à cette magie infecte, ce n’était pas simple d’éviter le sujet. C’était comme ne pas parler de la maladie à un lépreux juste en face de vous avec qui vous parlez. Quoi qu’il en soit, la réaction qui émana du jeune lié de nacre ne fut pas une surprise. Il est bien comme sa mère finalement. Peut-être devrait-il lui montrer la fois où il avait failli tuer sa mère et où il battu son père pour le terroriser un peu. Ça pourrait être marrant. Non … il ne ferait pas cela. Pas dans l’immédiat et pas pour cette raison. Ces images pouvaient servir à quelque chose de bien plus constructif et utile. Il suffisait d’attendre le moment venu. Posément, le rouge laissa les deux dragonnets parler avant de tout bonnement … éclater de rire. Un rire forcé et mauvais qui plus est. Duquel s’échappait une haine profonde.

« Par un esprit sage … Oui je pense que ta mère devait penser la même chose alors qu'elle mourrait d'une lente agonie suite à la perte de son lié. Continue ainsi, et tu connaîtras le même sort pathétique qu'elle. »

Les deux pattes avant du géant de flamme se levèrent et vinrent rapidement se refermer sur les deux dragons liés.

« Restez sage. L'odeur nauséabonde des bipèdes qui se dégage de cette cité m'insupporte. »

Les deux dragonnets entre ses griffes d’ébènes, l’enfant de l’orage déploya ses ailes et se dégagea du rocher du troisième étage d’Estëllin. L’odeur des bipèdes l’insupportait oui, mais aussi il n’était pas particulièrement à l’aise dans sa position, à être ainsi agrippé à un rocher. Le dragon libre prit un peu d’altitudes avant de descendre pour atterrir dans la forêt. Ils n’étaient pas loin du domaine Baptistrale. Reposant ses pattes avant à terre, il libéra les deux dragonnets avant de s’asseoir tranquillement.

« Je vais répondre à ta question Alkhytis, puis je vais vous raconter une histoire. L’histoire du créateur du lien et l’histoire de la souffrance que sa création et les bipèdes ont engendrée au sein de la race draconique. »

La queue du colérique vint s’enrouler autour de lui, à sa base, déracinant et couchant les arbres sur son passage, comme s'ils n’avaient été que de vulgaires brindilles.

« Je suis un dragon libre. Et ce titre je suis né seul, sans l'aide d'un bipède, ma mère et mon père étaient présents lors de ma naissance. Je suis né sur un autre continent, une terre que nous dragons avons fait notre après avoir quitté Armanda. Abandonnant les bipèdes à leur folie et à leur sort. Une terre resplendissante comme l'était Armanda autrefois. Une terre qui compte plus de dragons que jamais Armanda n'a pu en compter et ne pourra en compter. Un continent qui n'est pas affligé par la perversion du lien. Un continent où la liberté et les dragons règnent en maîtres. Je suis un dragon libre. Et ce titre je ne suis pas lié à un bipède, je ne suis pas attaché à lui. Mon âme n'est pas entravée par une autre, je ne suis pas affaibli par la présence d'un bipède. Je ne meurs que si l'on me tue moi et pas un autre. Je suis un dragon libre. À ce titre je fais ce qu'il me plaît de faire. Je ne souffre d'aucune entrave, d'aucune considération de bipède. Je vais où je souhaite aller et non pas où un autre souhaite se rendre. Je ne transporte pas de bipède sur mon dos comme une vulgaire bête de somme. Je ne suis pas domestiqué. Je ne suis pas soumis. Car tel est la véritable nature du lien. La domestication, la soumission, l'entrave, la dépendance et la souffrance. Je suis autarcique. Je suis mon propre maître.»

Des flammèches s’échappèrent des naseaux du dragon rouge, de la colère transpirait de son esprit. Fermant les yeux, il se calma, inspirant, avant de revenir à l’essentiel.

« Je vais à présent vous dire la vérité sur le lien. Et sur les bipèdes. Cette vérité que vous dragons liés refuser de voir. Cette vérité qui est l’un des fondements de ma colère envers le lien. Cette vérité qui me mènera à détruire le lien et détruire tout ce qui osera se mettre sur mon passage pour y parvenir. Vous, tout comme vos parents, êtes prévenu désormais. Lorsque ce jour viendra, si vous vous trouvez sur ma route, je serais sans pitié. Car entre la vie de quelques dragons liés, et l’assurance que la race draconique n’aura plus jamais à souffrir du lien … je n’hésiterais pas une seule seconde. »

Si Verith était déterminé ? Oh que oui il l’était. Ces dernières années, il avait laissé les dragons liés lui prouver l’inverse, lui montrer qu’il avait tort. Il avait même permis à l’un d’entre eux de partager le vol qu’il réservait à son frère décédé. Et qu’avait fait cette dernière ? Elle avait trahi sa promesse. Son lié avait trahi cette promesse. La preuve ultime que les bipèdes, le lien et tout ce qui y est rattaché, doivent être détruits pour la pérennité des siens.

« Edwyn Ruddy … »

Une haine sans bornes et une souffrance se dégagèrent du dragon rouge, venant vicier l'atmosphère, à la simple prononciation du nom de cet être honni. Des émotions palpables tant elles étaient fortes. Bientôt, l'esprit de Verith vint s'abattre de toute sa grandeur sur celui des deux jeunes liés. Non pas pour les blesser, mais pour les emporter. Les saisissant fermement, Verith les tira au sein de sa mémoire. Un brouhaha cacophonique de rugissement à vous rendre sourd, racontant chacun un fait, une histoire. Un kaléidoscope d'image tournant et vrillant dans tous les sens à vous en rendre aveugle. Une éruption de sensations et de sentiments plus fort les uns que les autres à vous en rendre fou. Puis plus rien. Le vide et l'obscurité absolue. Et pourtant demeurait cette sensation d'être en mouvement, de descendre encore et toujours plus loin, dans les tréfonds de la mémoire des dragons. Dans une zone oubliée de tous. Un sursaut magique arriva, cherchant à s'en prendre aux deux dragonnets, à les arrêter. Verith repoussa aisément cet assaut d'une autre époque, une entrave posée là par les Esprits dans la mémoire des dragons afin de leur faire oublier l'Âge de Platine et ses événements honteux. L'enfant de l'orage avait été libéré par ce même Edwyn Ruddy de ce sceau altérant sa mémoire. Si lui ne pouvait pas le retirer à son tour, au moins était-il en mesure de le repousser pour montrer ce qu'il savait de ce temps-là à d'autres dragons eux aussi sous l'emprise de ce sceau des esprits. Et tandis que les trois dragons s'enfonçaient toujours plus loin dans les tréfonds de la mémoire des dragons, l'obscurité s'étiola petit à petit. Verith vint s'arrêter un peu avant le moment de l'éveil de leur race, préférant garder cet épisode juger honteux par lui.

Les premières images qui apparurent montrèrent une Armanda totalement différente de ce qu'elle était auparavant. Bien plus belle qu'aujourd'hui. De nombreux dragons l'habitaient, mais pas seulement. La race draconique coexistait avec une autre race effacée des mémoires. Une civilisation ancienne, florissante et plus puissante que celles vivant en ce jour sur Armanda. Ces êtres étaient d'une grande beauté, plus grande que celle des elfes, et leur peau étaient bariolées de veinules argentées.

« Bien avant l'arrivée des elfes, des vampires et des humains en Armanda, nous dragons vivions avec une cinquième race. Ils se nommaient … les Tarenths. Mais il n'y avait pas qu'eux avec nous … »

Les images changèrent pour montrer sept créatures, bien différentes des Tarenths et pourtant d'apparence bipède, tous des hommes et se ressemblant.

« Vous êtes jeunes, très jeunes, aussi n'avez-vous jamais entendu parler d'eux. Ce sont les Esprits. Sept des huit esprits ayant créé ce monde ainsi que nous. Océan, Feu, Vent, Végétal, Vie, Mort et Terre … Aujourd'hui ces sept tyrans sont morts … de même que leur sœur Néant. La dernière guerre ne les a pas épargnés. Tout ce beau monde vivait en harmonie … du moins … pas tout à fait. »

Les images changèrent une fois de plus pour se concentrer sur un Tarenth, Edwyn Ruddy.

« Lorsque les esprits ont créé les Tarenths, ils les ont dotés de grands pouvoirs … à la hauteur de la mission qu'était la leur. Parmi ces pouvoirs se trouvait le don de voir l'avenir. Un don … je dirais plutôt une malédiction … Quoi qu'il en soit, Edwyn Ruddy se rapprocha d'un dragon du nom de Vraorg … je vous parlerais plus longuement de ce dragon plus tard si vous le désirez … Edwyn créa alors le lien. »

Il n'y eut pas d'image afin de révéler la création de la magie du lien. Ce souvenir n'étant malheureusement pas à disposition de Verith. Par ailleurs rien de garantissait qu'un dragon y est assisté. Non à la place il y eut des images bien différentes, provenant d'un souvenir plus récent. Verith et Edwyn se trouvaient en présence de l'esprit de la Vie d'un palais entièrement orange.

« Tu as demandé si le Tarenth connaissait les origines du lien entre dragon et dragonnier. Et il t'a répondu non. Il t'a menti »

« Si tu veux détruire les liens Verith, si comme tu l'as annoncé tu veux la fin de ces duos magiques entre les ancestraux et les bipèdes alors il faudra commencer par t'en prendre à moi. C'est moi qui dois cristalliser ta haine, moi le fondateur. J'ai créé le Lien. Je suis le premier des Dragonniers. »

Le souvenir s’étiola pour revenir à l’âge de platine. Montrant Edwyn en compagnie de neuf autres Tarenth autour d’une table et au centre de cette table se trouvait une pierre.

« Edwyn découvrit qu’avec l’aide d’un dragon, il était en mesure de voir plus loin dans l’avenir. Ruddy était un être cupide … avide de puissance … tout comme Vraorg. Mais cette simple découverte ne lui suffit pas. Alors il fabriqua cette pierre. Il la baigna dans le souffle de feu de mille dragons pour en accroitre la puissance. Puis par la ruse, il fit toucher cette pierre aux sept esprits pour leur voler un fragment de puissance. L’artefact atteint alors une puissance phénoménale … si grande qu’elle permit à Edwyn de voir très loin dans l’avenir, des millénaires et des millénaires plus loin … jusqu’à aujourd’hui. Et savez-vous ce qu’il y vit ? Eux … les elfes, les vampires et les humains. Ces trois races sur Armanda … toutes se faisant la guerre … Détruisant Armanda. Détruisant la magie. Détruisant le cadeau des Esprits. »

Un léger rire s’échappa du dragon de l’ire.

« Mais ce n’est pas ce qui a de plus important à retenir de cette vision. Non plus l’important est … l’absence des Tarenth. Eux, à qui les Esprits ont tout donné, n’étaient plus là. Eux qui vivent aux côtés des Esprits, n’étaient plus là. Eux qui se pensaient aimés des Esprits … avaient été remplacés par ses trois races barbares. Mais la vérité c’est qu’Edwyn a vu les conséquences de son action. À l’origine, les Tarenths auraient dû être là. Si les Esprits ont donné d’aussi grands pouvoirs aux Tarenths, c’est pour qu’ils soient en mesure d’accomplir la mission qui était la leur. Et cette mission était la paix. Guider et mener les elfes, les vampires et les humains vers la paix. Mais tout ce dont est parvenu à faire Edwyn c’est à les mener à la guerre … en emportant les dragons à l’intérieur. »

Les images changèrent. Elles montrèrent une révolte. Une révolte de Tarenths qui vint s'en prendre aux Esprits. Des sorts furent lancés, puis une pierre … une pierre qui frappa l'esprit de la Mort.

« Edwyn a alors conduit les siens à s'en prendre aux Esprits et ils ont blessé l'esprit de la Mort, déclenchant ainsi la colère d'Océan qui décida de les détruire … »

Les images continuèrent de défiler, donnant vie à la scène. Face à la colère d'Océan se dressèrent les dragons qui clamèrent la clémence pour les Tarenths.

« Les dragons se sont alors levés pour défendre les Tarenths auxquels une bonne partie d'entre eux étaient liés par la magie du lien. Si Océan s'apprêtait à les détruire eux aussi, c'est Mort qui a fait preuve de miséricorde. Les Tarenths ne furent pas anéantis, mais ils furent bannis d'Armanda. Et nous dragons avons vu notre mémoire altérer afin que cette époque soit effacée à jamais. Et une partie d'entre eux virent leur âme déchirée, car les Esprits durent défaire le lien qui les liait à certains Tarenth. »

À nouveau l’obscurité vint s’abattre sur les trois esprits emportés dans ce flux mémoriel. Une fois encore ils se mirent en mouvement, quittant ce passé antique pour rejoindre une époque plus récente.

« Kaalys, la créature qui a créé le lien n’était pas un esprit sage. Mais un être infâme, honni d’entre tous, qui a conduit sa race aux bannissements et à l’extinction. Plus encore, qui a fait dévier le destin de sa route pour le mener vers celui de sa destruction. Si les bipèdes pensent que le pire est derrière eux, s’ils pensent qu’Armanda est entrée dans une ère de paix, c’est en réalité tout le contraire. La destruction plane au-dessus de nos têtes. Ceci est l’héritage d’Edwyn, celui de la fin. Et le lien fait partie intégrante de cette malédiction. Il est, tout comme la pierre des prophéties, un instrument menant à la destruction. À présent je vais vous montrer comment ce lien que vous chérissez tant … a déchiré notre race. »

Une explosion d'images et de sons se produisit alors. Une véritable avalanche de souvenirs venant s'abattre sur les deux dragonnets. Des violentes et terribles image. Celle de la guerre, de la guerre qui frappa Armanda dès l'arrivée des elfes et des vampires. Si cette dernière fut au début uniquement menée par des bipèdes, bientôt ce sont des dragons qui la rejoignirent. Des dragons liés chevauchés par leurs dragonniers, se combattant, eux qui sont de la même race, dans une guerre qui n'était pas la leur, venant s'entretuer à cause de la folie des bipèdes.

« Le lien a lié bipèdes et dragons, forçant ces derniers à participer à la folie des premiers. Conduisant nos ancêtres à s'entretuer. Mais bientôt, ce ne fut plus uniquement un combat de dragon lié contre dragon lié … »

Les souvenirs changèrent pour montrer des images de conflit entre dragons liés, chevauchés par leurs dragonniers, contre des dragons libres. Les images étaient violentes, les créatures ailées s’entretuant avec férocité. Ces souvenirs étaient un véritable pandémonium.

« Bientôt les dragons liés attaquèrent les dragons libres, car ces derniers se défendaient face aux bipèdes qui venaient les attaquer … qui venaient voler leurs œufs. »

Verith choisit un souvenir particulier. Celui d’une dragonne gigantesque, au cœur de la ville de Gloria. Elle faisait pleuvoir du feu et des éclairs sur la capitale humaine, la détruisant.

« Skade écaille d’orage, ainsi se nommait cette dragonne. Il y a plus de deux mille ans, elle détruisit la ville nommée Gloria pour leur reprendre ce que les bipèdes lui avaient volé … son premier œuf … son premier enfant … Cymbor. Lorsqu’elle l’eut récupéré, elle repartit, mais un dragonnier et son dragon lié la poursuivirent. Elle n’eut d’autre chose que de les tuer. En dépit de cela … en dépit de cet incident … lorsque vint le temps pour elle de quitter Armanda, elle confia Cymbor au Dracos et à sa volonté d’aider les bipèdes. Trois mille ans plus tard … lorsqu’elle revint sur Armanda, accompagnée d’Estelen sa fille et de son second fils. Cymbor son premier fils était devenu un dragon lié et était mort dans une guerre des bipèdes. »

L’enfant de l’orage libéra alors les esprits des deux dragonnets, les laissant réintégrer leur corps.

« Le lien a tué Cymbor. Le lien a tué Skade. Les bipèdes ont tué Estelen. Le lien et les bipèdes me les ont prit, m’ont pris ma famille. Il y a des milliards de raisons pour lesquels je hais le lien et je hais les bipèdes. Il y a des milliards de raisons pour lesquels je veux les détruire. Mais de toutes, celle-ci est la pire. »

Le colérique fit un pas en avant, abattant violemment sa patte qui défonça et fit trembler le sol.

« Alors jeunes dragonnets. Voulez-vous en apprendre plus sur votre merveilleux lien ? Peut-être voulez que je partage une autre monstruosité de cette magie ? Celle qui permet au bipède de nous commander et de fouler aux pieds notre liberté !! »

Bien malgré lui, Verith lâcha un rugissement terrible à l’encontre du lié de cuivre et du lié de nacre.

La question d’Alkhytis ne surprit pas vraiment son semblable aux écailles de neige. C’était celle qu’il n’avait pas encore posé. Et même s’il n’était pas certain d’être prêt à écouter la réponse qu’avait à leur offrir l’Ecarlate, il savait que sa curiosité ne serait pas assouvie s’il ne le faisait pas. Il accepta toutefois de bonne grâce le contact de l’esprit du Cuivré tout près du sien. Soudain, un rire forcé et plein de mépris s’éleva de la poitrine du géant rouge. Le Nacré ne se laissa pas impressionné et il fronça ce qui, chez lui, s’apparentaient à des sourcils alors que leur aîné évoquait le sort de sa mère disparue. Comment pouvait-il oser parler ainsi de l’un des leurs ? Décidément, plus le temps passait et plus Kaalys détester cet être qui se disait libre mais dont l’esprit était rendu étroit par ses préjugés. Mais le dragonnet ne dit rien.

Il se savait impuissant face au dragon, aussi ne bougea-t-il pas lorsque sa patte vint se refermer autour de lui. Bouger, c’aurait été risquer de s’abîmer une aile ou une patte. Pour la toute première fois, le petit écailleux vola. Enfin, il fut suffisamment haut dans le ciel pour que les bipèdes qui s’afféraient sur la terre ferme lui paraissent bien ridicules vu d’ici. Finalement, le trio prit place dans la forêt, non loin de là où Alkhytis et lui s’étaient libérés de leur œuf. Kaalys s’installa confortablement pour écouter cette fameuse histoire qu’allait leur raconter l’Ecarlate. Il prit le soin de se souvenir de demander à son doux Lié de lui conter la version bipède de ce récit.

Verith commença par leur expliquer son histoire et ce qu’impliquait d’être un dragon libre. Le dragonnet de nacre comprenait qu’il puisse voir le lien comme une entrave, une faiblesse mais il aurait voulu pouvoir lui montrer qu’il n’en était rien. Son âme et celle de Dawan se complétaient, faisant ressortir le meilleur en chacun d’eux. A ses yeux, le Lien était une vraie force puisqu’elle permettait aux bipèdes et aux dragons de comprendre le point de vue de l’autre, ou tout du moins en partie. Sans le lien, le seul rapport qui aurait pu exister entre le peuple draconique et les autres peuples d’Armanda aurait été un rapport de force, sans aucun échange. Et les morts auraient été nombreux des deux côtés, quoiqu’en pense son aîné aux écailles de rubis. Mais comment lui faire voir que Dawan n’était pas son maître mais une partie de lui, qu’il ne serait pas qu’une bête de somme mais un être respecté ? L’esprit du dragon rouge était si fermé que Kaalys doutait d’un jour pouvoir lui faire entendre raison. Et cette colère qu’il sentait émaner de lui l’effrayait par son intensité. Il le savait à présent, Verith le Libre serait un obstacle à la paix à laquelle il aspirait pour Armanda.

Et puis, il prononça un nom. Edwyn Ruddy. Sa colère envers celui-ci était palpable. Tout à coup, son esprit vint s’abattre sur les leurs, les oppressant, les entrainant au sein d’un capharnaüm sans nom. La mémoire de l’Ecarlate. Non, c’était plus grand que cela encore, dépassant de loin la mémoire d’une seule vie, fut-elle celle d’un dragon. La mémoire de leur peuple. C’était à la fois effrayant et excitant. Ils finirent par s’arrêter et les images devinrent plus nettes. Ce devait être Armanda du temps où les peuples plus jeunes n’étaient pas encore et où dragons et Tarenths, peuple oublié des premiers temps d’Armanda, coexistaient. Mais Verith leur montra sept autres êtres, les Esprits. Dawan lui avait parlé d’eux et de leur disparition. Kaalys savait que c’était une grande perte pour nombre d’Armandéens. Dans son propre souvenir, la haine de Verith pour ce Tarenth, premier Dragonnier, transpirait plus encore qu’auparavant.

Le Nacré avait raison, il n’était pas prêt à connaitre la réponse de Verith aux questions du petit Cuivré. La tempête de souvenirs qui les emporta alors que l’Ecarlate leur montrait des souvenirs plus récents lui coupa le souffle. Il avait l’impression de se noyer au milieu de toute cette violence, lui, le pacifique lié à un Baptistrel. Le dragonnet aurait voulu pouvoir se dire que ses images étaient de faux souvenirs construits par son aîné surnommé Brasier-Ecarlate par Alkhytis. Mais il avait à faire là à la mémoire de son propre peuple et il ne pouvait nier la réalité de ces guerres. L’horreur de ces faits était incontestable. Cependant, Kaalys refusait de croire que le lien en avait été la cause profonde. Et le passé n’était pas à ses yeux le reflet du futur mais bien la source d’un nouvel avenir où les erreurs commises autrefois ne le seraient plus. Il refusait aussi de laisser croire à l’Ecarlate qu’il avait raison. Alors, prenant son courage à bras le corps et se relevant pour montrer que le dragon rouge pouvait rugir autant qu’il le voudrait, il ne cèderait pas. Le petit Lié aux yeux d’or n’était pas borné contrairement à son opposant, il avait conscience que plusieurs chemins pouvaient mener à la paix qu’il souhaitait voir naître. Ce dont il était aussi certain, c’était que la violence et la destruction ne faisait pas partie de ces chemins.

-Crois-tu que la violence et la destruction feront de ce monde un monde meilleur pour les Dragons ? Tu l’as dit toi-même, notre peuple a toujours coexisté avec des bipèdes. Que serions-nous devenus s’ils n’avaient pas été présents ? Ne crois-tu pas que nous aurions pu tout aussi bien nous entretuer sans avoir besoin d’eux pour nous y pousser ? On ne peut savoir ce qu’aurait été le monde sans le Lien mais le passé n’est pas un futur inévitable si l’on sait en tirer des leçons. Et c’est ce qui incombe à notre génération de faire, conclut-il en posant son regard sur le dragonnet cuivré.

Alkhytis partageait-il son avis ? Etait-il possible qu’il avance ensemble vers la paix ? Quelque soit le choix de son compagnon de jeux, Kaalys l’accepterait mais il espérait que le Lié de Luna Duruisseau saurait choisir ce qu’il pensait être la bonne voix.

Les serres vinrent se refermer autour de son corps avec une naturelle facilité, mais sans toutefois la volonté de blesser, quand il aurait été aisé pour l'imposant dragon de les réduire à néant. Sans faire le moindre mouvement, il ne se laissa pas gagner par la peur et accueillit même ce vol étrange avec un certain plaisir. Il avait adoré cette sensation sur le dos de sa mère et s'en rappelait avec plus de force maintenant, même si ici, ce n'était pas aussi agréable. Mais il pouvait quand même sentir le vent fouetter ses écailles et regarder le sol devenir minuscule, il pouvait contempler le ciel et le soleil avec l'impression de s'en rapprocher toujours un peu plus. Lui aussi, un jour, il étendrait ses ailes et s'imposerait dans cet espace fait pour eux, avec toute la fierté de son espèce.
Ce bonheur ne fut pas loin, tout juste de quoi s'éloigner suffisamment de la ville qui indisposait tant l'imposant dragon, mais avec sa corpulence, il lui était bien facile de traverser rapidement une distance qui aurait pris aux petits dragonnets bien plus de temps pour la parcourir. L'atterrissage ne fut pas trop brutal et il bondit hors des griffes pour retrouver sa liberté, sans toutefois s'éloigner du dragon qui nourrissait encore sa curiosité avec une vivacité folle.

Il s'assit à son tour et ne le quitta pas des yeux, extrêmement attentif à ce discours qu'il n'oublierait certainement jamais. La notion de dragon libre rejoignait bien ce qu'il pensait, mais c'était en même temps quelque chose qu'il avait énormément de mal à concevoir. Imaginer sa vie, sans sa Luna, sans connaître son existence même, semblait toujours laisser comme un énorme vide dans son cœur, c'était comme si on arrachait la moitié de son âme. Comment pouvait-on vivre ainsi ? L'ignorance, sans doute. Brasier-Écarlate ne connaissait pas cet état des choses, et cela semblait impliquer qu'il ne soit pas conscient de cette intolérable absence.
La liberté, la possibilité de n'être attaché à rien ni personne, était-ce quelque chose dont il pouvait avoir envie quand sa vie elle-même se construisait autour de ceux qu'il rencontrait et avec qui il avait commencé à tisser des liens solides ? L'absence des bipèdes, des dragons partout autour de soi. Alkhtyis se dit qu'il aurait été capable de vivre dans un tel monde, il aimait bien ces êtres à deux pattes, mais il se sentait mille fois plus attaché à ceux qui lui ressemblaient, ceux qui comprenaient son esprit, ceux qui ne pouvait faire qu'un avec lui. Mais c'était aussi le cas de Luna. Alors, était-elle un peu dragon, elle aussi ?
En revanche, il ne comprenait pas cette histoire de domestication, de soumission. L'avait-on un jour soumis à quelque chose ? Luna lui avait toujours demandé son avis pour leurs voyages et elle n'avait jusqu'à maintenant rien fait qui aurait pu lui déplaire. Jamais elle ne lui avait donné une telle impression, jamais elle ne l'avait considéré comme une bête, c'était plus qu'évident pour eux, quand il ne pouvait être que la moitié de son âme. Mais lui, de son œil si extérieur, pouvait-il le comprendre, voir les choses de cette manière quand les apparences pouvaient parfois être trompeuses ?

Ils pourraient en discuter plus tard. Verith avait décidé de leur raconter l'histoire du Lien et cela l'intéressait fortement. Évidemment qu'il était avide de connaître la raison, la naissance de ce qui faisait aujourd'hui son bonheur ! Pourtant, en sentant l'atmosphère autour de lui, mélange de haine, de rage et de douleur, il ne pouvait pas s'attendre à quelque chose qui ravirait son cœur. Cela ne l'empêcha pas de continuer à vouloir savoir.
Bientôt, il se sentit comme quitter son corps, son esprit entraîné par la poigne ferme de Verith, guidé par le sien alors qu'il savait où les emmener, où chercher dans sa mémoire, leur mémoire ? C'était un chaos tel qu'il se trouvait incapable de voir, d'entendre, de comprendre correctement tout ce qui se passait autour de lui, comme si des milliers de dragons essayaient tous ensemble de lui raconter tant de choses différentes qu'il n'était même pas capable d'en saisir une seule. Terriblement troublé, perdu, il essayait de se concentrer pour ne pas perdre une miette d'une chose aussi impressionnante, mais il se retrouvait avant tout noyé et veillait à bien s'accrocher à l'esprit de Verith, pour ne pas se perdre dans ces limbes où il ne savait nager.
Le voyage les mena dans des contrées qui lui étaient totalement inconnues, lointaines autant en espace qu'en temps de sa propre existence, jusqu'à une barrière qui voulait les retenir, mais que l'écarlate balaya avec une étonnante facilité, quand il aurait cru qu'ils ne pouvaient passer.

Quand ils arrivèrent à leur destination, Alkhytis sentait que son cœur battait plus fort, que son esprit vibrait d'une multitude d'émotions. Tout semblait se préciser autour d'eux et il put enfin saisir quelque chose, des premières images, quelques sons d'un passé à mille lieues d'eux. Alors il écouta, d'abord calmement car il n'y avait rien de révoltant ou de merveilleux, seulement des explications qui lui en apprenaient plus sur son passé, de manière totalement neutre. Mais les choses devinrent plus complexes au fur et à mesure de la narration. Vraorg, il avait déjà entendu ce nom qui sonnait comme terrible aux oreilles de bipèdes, les Tarenths, il ignorait tout d'eux.
Le Lien. Ils y arrivèrent. Alors, il avait été créé par cupidité, pour le pouvoir ? Alkhytis ne pouvait être que déçu à cette idée, quand il ne le concevait que comme de l'amour au sens le plus pur qui puisse jamais exister. Il était attristé, déchiré par les guerres qui s'étaient ensuivies, par ces luttes, ces tromperies et avait encore plus de peine pour Kaalys, qui s'était révélé dans son esprit comme étant si pur et si pacifique. Ces carnages, ces horreurs, cela déchirait son cœur, cela faisait pleurer son âme et il avait peu à peu envie de se blottir contre Brasier-Écarlate. Il avait vu de ses propres yeux ses souffrances, on lui avait arraché sa famille, il était meurtri et sa colère contre les bipèdes avait ses propres raisons.

Le choc de sa patte, ses rugissements, ils atteignaient son cœur et son être au plus profond de lui-même. La capacité des dragons à partager des choses était si forte que son empathie ne pouvait qu'en être décuplée, quand il avait eu, ne serait-ce que pour un court instant, l'impression de vivre et de souffrir à leurs côtés. Pour lui qui était né dans une époque de paix, presque de douceur, qui n'avait jamais vécu les prémisses du moindre conflit, le passé des Armandéens semblait terriblement dur, douloureux, difficile.
Ébranlé par ce discours d'une puissance indicible, il était resté silencieux, comme vidé, hagard, tremblant, mu par tant d'émotions qu'il n'était pas vraiment capable d'en faire le tri. Il fallut attendre les premiers mots de Kaalys pour qu'il se ressaisisse et il essaya d'écouter calmement son propre avis. Le Lien était comme quelque chose de tranché et de certain pour lui, quelque chose d'indispensable pour un dragon et il le comprenait parfaitement, lui-même n'aurait pas pu vivre sans ce Lien. Il le sentait au fond de lui, il l'avait attendu, il l'avait voulu, il avait cherché la moitié de son âme dans son monde et l'avait appelée jusqu'à lui, d'une voix muette et sans faire trembler le monde, mais le Dracos avait su transmettre son message et amener jusqu'à lui son Élue, son Amour, sa Princesse, sa Liée-Dorée. Pourtant, Verith se tenait en face de lui, comme la preuve qu'une autre réalité pouvait exister.

Ses mots ne vinrent pas tout de suite. Il était un peu pensif, s'était égaré dans les limbes de sa perplexité, de sa tristesse, son amour, leur malheur, sa liberté, sa propre incompréhension. Peu à peu, doucement, il releva la tête et, à la vision de l'indomptable colérique, il n'osa l'approcha, tendant à la place son esprit jusqu'au sien, pour l'enlacer, mélange d'affection, de compassion et de tendresse.

« Brasier-Écarlate… Je comprends ta colère, je comprends ta haine envers le Lien. Je suis Lié, je ne peux imaginer vivre sans ce Lien, je l'ai cherché au moment même où mon esprit s'est éveillé, alors même que j'étais encore dans mon œuf. Sans lui, il n'y aurait eu qu'un vide, tout comme pour toi, il ne peut y avoir de place pour lui. Nous sommes fondamentalement différent et pourtant, je sais que nous sommes les mêmes. »

Son amour pour les dragons était tel qu'il ne pouvait supporter cette souffrance qu'éprouvait Verith, lui-même devait aisément pouvoir la sentir et savoir qu'il ne mentait pas. Il aurait voulu consoler cette peine, cette douleur, l'effacer, mais il ne savait quoi faire, ni comment.

« Je regrette. Je regrette terriblement que le Lien soit né d'une chose aussi odieuse que la cupidité quand ce n'est pour moi qu'un profond, puissant et éternel amour. Je pleure les guerres, je pleure les morts, tant de ces choses que je n'ai pu connaître, mais que tu m'as partagées. Je suis abattu par toutes les pertes que tu as dû endurer. Je suis déchiré par ce que je vois, mais cela fait naître une solide détermination en moi. Plus jamais. Je ne veux pas que le Lien soit détruit, je ne sais pas si je pourrais vivre sans ma Liée-Dorée et je ne veux pas y penser aujourd'hui. Je crois que chaque dragon a le droit de choisir, personne ne m'a forcé à devenir Lié, nous sommes libres de vivre comme nous l'entendons. Je n'ai pas l'intention de suivre aveuglément les décisions de ma Liée, je n'ai pas l'intention de tuer ou de me battre contre les miens. Plus jamais je ne veux vivre cela. Je ferai tout pour ça n'arrive plus. Que les bipèdes se déchirent s'ils le veulent, mais je ne laisserai pas les dragons mourir encore. »

L'émotion l'avait rendu tremblant tout entier. Il ne savait pas comment les choses seraient, il ne pouvait pas le deviner, mais il refusait que cela revienne à nouveau. Non, il ne se battrait pas contre les siens, il ne savait pas s'ils pourraient établir cette ère de paix dont tant de personnes rêvaient, mais il voulait que ce soit le cas, au moins pour les dragons. Lui, il ne voulait pas partir en guerre, jamais.

« Brasier-Écarlate, je ne veux pas que tu brises le Lien, je ne t'y aiderai pas, mais nous ne sommes pas ennemis, nous ne sommes tout autant de dragons qu'il y a d'étoiles dans le ciel. Je n'ai rien pour te convaincre hormis des mots, mais je ne laisserai pas le Lien que j'ai avec Luna devenir néfaste, je te prouverai que le Lien peut-être bon, tout comme je ne te demanderai jamais d'être comme nous, j'aime te voir Libre comme tu as toujours aimé l'être. Ne te bats pas contre nous, mais sois le Gardien de ces dérives dans lesquelles nous ne devront jamais retomber, Libres comme Liés. »

Finalement, il n'avait plus peur, ne craignait plus l'orage et, après avoir frotté affectueusement son museau contre la tête de Kaalys, il osa s'avancer jusqu'à l'écarlate, se blottissant contre sa patte gigantesque, avec tout son amour de dragon.

¤ La destruction ¤

La vérité était désormais leur. L'horrible, l'infâme vérité sur le lien et sur son créateur. Sur les malheurs de cette chose ignoble avaient bien pu entraîner. Mais également sur les motivations de la haine de Verith. Prouvant une fois encore que sa colère n'était pas sans fondement, mais bel et bien juste et justifier. Il restait maintenant à savoir la réaction des deux jeunes dragonnets suite à ces révélations. Allaient-ils pencher dans le sens de Verith ? Allaient-ils accepter cette vérité ? Où au contraire allaient-ils la refuser, la rejeter ? S'obstinant dans la protection et la couverture des atrocités du lien ? L'enfant de l'orage avait déjà un petit doute sur la réponse. Ils étaient des dragons liés. Il n'avait donc que du mépris pour eux. Ils sont solidement enchaînés à ce lien maudit et le protégeront contre tout, peu importe l'évidence mise devant leurs yeux. Des êtres dénués de raison, de logique, de justice, d'honneur. Et encore une fois, il ne se trompait pas. La progéniture de l'infâme Silarae prit la parole en premier.

La violence est accessoire de la destruction. Et Verith est persuadé que la destruction permet un meilleur monde. La vie, la mort. La construction, la destruction. L'un ne va pas sans l'autre. Tout cela n'est qu'un cycle. Car de la mort naît la vie. Car de la destruction naît la construction. Parce que toute chose à une fin, la mort existe pour la vie. Parce que pour construire il faut détruire. L'enfant de l'orage en était persuadé. Il comptait bien détruire. Détruire toute chose qui permettrait d'obtenir un monde meilleur pour les dragons. Et dans son calcul, le lien et les bipèdes doivent être détruits. Car ils ne sont que nuisance pour sa race. Des parasites qui les affaiblissent, qui les condamnent, qui les tuent et détruisent prématurément.

Le rouge savait exactement quoi répondre au jeune nacré, mais il se contenant pour le moment d’un simple grondement, tournant lui aussi son museau en direction du cuivré pour connaître sa réponse à lui. Serait-il aussi fou que l’autre ? Il parlait bien, mais … il était malheureusement trop tard. Il avait déjà la chance à un dragon lié de le convaincre. Et quand était-il ressorti ? La trahison. Aussi lorsque le cuivré s’approcha de lui dans l’optique de poser sa tête contre sa patte, le colérique la retira.

« Il est trop tard pour me prouver quoi que ce soit, Alkhytis. Je vous ai déjà laissé une chance à vous, dragons liés. J'ai laissé à une dragonne cette opportunité. Elle s'est engagée à faire quelque chose et pourtant elle n'a pas tenu sa parole. Elle a laissé son lié briser cette parole. Vous n'avez plus le moindre honneur à mes yeux. Et je ne me laisserais pas convaincre par des créatures sans honneur. Nous avons peut-être la même apparence. Mais vous n'êtes pas de véritable dragon. »

L'héritier de la lignée de l'orage braque son regard en direction de Kaalys.

« Oui Kaalys. La destruction permettra d’obtenir un monde meilleur pour les dragons. Je détruirais celui-ci afin de pouvoir en bâtir un nouveau. Car seule la destruction permet d’obtenir une création sans le moindre vice à sa base. Nous avons vécu auprès des bipèdes et nous en avons souffert. Notre mémoire a été violée. Puis ce fut au tour de notre unité et enfin de notre territoire. Si les bipèdes n’avaient pas été là … nous mènerions une vie en paix. Là d’où je viens, il n’y a pas de bipèdes et les dragons s’en portent à merveille. Les dragons se battent pour mettre leur force à l’épreuve, mais ils ne s’entretuent pas. Car la zizanie et la division sont des maux purement bipèdes. Je sais donc exactement à quoi aurait ressemblé un monde sans le lien. Un monde de paix pour les dragons. »

Doucement, Verith leva sa patte, paume vers le ciel, faisant rejoindre ses griffes d’ébène au centre de cette dernière.

« L’histoire est un éternel recommencement. Les Tarenth s’en sont pris aux Esprits. Des siècles plus tard, Vraorg le lié de l’instigateur de cette folie s’en est à son tour pris aux Esprits. Les bipèdes eux se sont fait la guerre, encore et encore, à répétition. Les dragons liés se sont attaqués aux dragons libres. Puis les dragons liés se sont attaqués aux autres dragons liés. Une répétition du conflit de dragons contre dragons. »

Lentement, le colérique reposa sa patte massive au sol.

« Les anciennes générations n’ont tiré aucune leçon. Et celles qui les ont suivies n’ont pas fait plus que celles d’avant. Vous, dragons liés de ce jour, êtes les enfants du Dracos, tout comme mon frère le fut. Vous êtes les sacrifices de son fol objectif de faire retenir la leçon aux bipèdes. Mais cet objectif a échoué. Vous avez échoué depuis le début. Le Dracos a néanmoins continué à vous sacrifier, s’obstinant. Tu penses avoir eu le choix Alkhytis ? Tu es né avec le lien. Tu ne t’es pas lié après ta naissance. Tu n’as jamais eu le moindre choix quant au fait de te lier ou non. »

Des flammes s’échappèrent des naseaux du colérique.

« Cet éternel recommencement prend fin. L'objectif du Dracos de même que ces échecs à répétition prennent fin. Ces décennies de folies prennent fin. Je vais détruire l'héritage d'Edwyn Ruddy. Tout son héritage maudit qui nous a conduits ici qui a entraîné le monde sur une route qui n'était pas la sienne. »

Le regard volcanique de Verith se posa sur Kaalys puis sur Alkhytis.

« Je ne serais pas le gardien des dérives. Je ne sacrifierais pas ma vie à l'objectif du Dracos. Je ne permettrais plus que des dragons trouvent la mort de cette folie. Je ne la cautionnerais pas. Je vais y mettre fin une bonne fois pour toutes ! Je mettrais ce monde sur une voie qui conduira à la domination et l'épanouissement des dragons ! »

Kaalys se tint bien droit alors que le dragon aux écailles rubis répondait enfin à ces questions. Décidément, convaincre Verith que le Lien n’était pas une chose mauvaise au point de vouloir la détruire était une de ces causes perdues par la bêtise et l’obstination butée des êtres. Mais le dragonnet de nacre écouta les paroles de son aîné avec autant d’attention qu’il aurait accordé à un être sain d’esprit. Parce que, oui, pour lui, le fils de l’Ancestrale avait été traumatisé et c’était ce traumatisme qui était à l’origine de cette haine féroce envers le Lien et la magie qui allait avec. Il ne pouvait concevoir que la haine soit gratuite et, à entendre ce qu’il disait, ce n’était pas le cas. Mais il vivait dans la fatalité d’un perpétuel recommencement du passé. Kaalys, lui, se refusait à cela, convaincu que tout était possible.

Discuter avec l’Ecarlate aurait été inutile tant ses convictions étaient ancrées au plus profond de lui. Mais le petit dragon se demandait ce qu’il attendait pour passer à l’acte. Pourquoi ne les détruisaient-ils pas dès à présent ces bipèdes qu’il détestait tant ? Il n’était pas mécontent qu’il attende, qu’il lui laisse le temps de grandir pour avoir une chance de peser dans ce combat mais il craignait que cette colère n’explose soudainement, alors que plus personnes ne s’en méfiaient. Alors, Kaalys prit note dans un coin de son esprit d’avertir sans cesse les gens de la menace qu’était le dragon de l’Ire, de ne jamais cesser de le leur rappeler. S’ils se croyaient en sécurité, ils cesseraient de scruter le ciel et il deviendrait bien plus facile de les détruire.

Plus Verith parlait et plus Kaalys prenait conscience du fossé qui les séparait. La tentative de rapprochement d’Alkhytis s’était, elle aussi, soldée par un échec. Pendant un instant, le nacré avait même cru que son ami cuivré allait se faire avaler par l’immense écailleux. Heureusement, celui-ci s’était contenté de retirer sa patte. Pour réconforter le dragonnet, le Lié de Dawan lui transmit une vague mentale de tendresse. Lui l’appréciait tel qu’il était, qu’il soit Lié ou non. Parce qu’à ses yeux, dragons libres et dragons liés étaient un seul et même peuple, quoiqu’en pense l’Ecarlate. Il ne sut pas si leur aîné perçut son geste de soutien mais il s’en fichait. S’il devait s’opposer chaque jour à ce dragon pour sauver le Lien, il le ferait. S’il devait l’affronter un jour, il ne se défilerait pas. Bien sûr, ses chances de l’emporter étaient bien maigres et le resteraient pour bien longtemps, peut-être même toujours, au vu de la taille du dragon de l’Ire.

Le petit écailleux au regard doré s’approcha d’Alkhytis et, d’un coup de tête, il lui fit comprendre qu’il voulait s’éloigner de cet être rempli de haine. Que pouvaient-ils attendre de plus de lui ? Kaalys n’avait rien à ajouter et il se demandait bien ce que son nouvel ami pouvait avoir à dire de plus. Sans plus attendre, le nacré s’éloigna sans précipitation entre les arbres, bien décidé à prendre son temps pour rentrer jusqu’à Estellin même si Dawan risquait de remarquer son absence et de s’inquiéter.

Ça n'avait été que des mots quand il aurait voulu transmettre bien plus. Ce contact qu'il avait voulu créer n'avait pas eu lieu. Rien de tout ce qu'il avait pu dire ou faire n'avait eu l'effet escompté. La guerre, il ne l'avait vécue qu'à travers les souvenirs des autres et il était certain de ne pas tout à fait la comprendre, ainsi, même s'il ne pouvait nier son orageuse colère, il n'en saisissait finalement pas grand-chose. Son refus l'avait baigné dans la tristesse, mais il ne pouvait pas lui en vouloir. Alors un autre dragon avait lui aussi prononcé toutes ces choses et n'en avait rien fait, pire il semblait avoir fait tout le contraire. C'était normal, dans ce cas, en voyant son caractère et cette haine profondément ancrée en lui qu'il n'accepte pas un accord qu'il voyait aujourd'hui comme vain. Il aurait voulu savoir qui était cette dragonne, mais il n'en fit rien. Mieux valait peut-être rester ignorant.
Était-il naïf de croire à ses paroles ? Ses sentiments ne l'avaient-ils pas obscurci, ne l'avaient-ils pas englouti dans des profondeurs d'où il ne pouvait plus s'arracher ? Il devait bien pourtant y avoir une part de vérité quelque part. Ce monde sans bipède, ce monde jouissant d'une paix qui semblait certaine, il avait envie de le connaître et de le constater de lui-même.

Brasier-Écarlate devait avoir raison, ce Lien, il était bien probable qu'il ne l'ait pas choisi et s'il n'avait vécu que de bons moments avec les bipèdes, c'était peut-être parce qu'aucun d'entre eux n'avait été poussé encore par un quelconque vice. Il dressait là un tableau terrible de ces êtres avec qui ils partageaient tous un peu de leur vie qu'il n'avait pas envie de connaître, malgré toutes les curiosités qu'il pouvait bien avoir pour eux.
Mais après tout, était-ce si grave qu'il n'ait pas choisi ce Lien ? Était-ce vraiment une abomination qu'il fallait à tout prix faire disparaître ou n'était-ce pas simplement comme la vie, quelque chose qu'on leur offrait et avec lequel ils étaient libres de devenir les meilleurs comme les pires ?
Alkhytis ne pouvait pas avoir l'avis tranché de son congénère, il aimait sa Luna, il n'avait pas envie de vivre sans elle ou de l'oublier, il ne voulait pas la lui voir arrachée et s'ennuyait déjà de son absence. Il ne pouvait pas être juge pour les autres Liés, mais Luna était gentille, compréhensive et aimante. Elle non plus n'aimait sans doute pas avoir à combattre et voulait simplement protéger les siens. Ensemble, ils ne seraient pas assez forts pour braver le monde entier, mais ils pourraient peut-être un peu le changer.

Il était resté silencieux, laissant ses arguments et ses réponses se bousculer dans sa tête sans jamais rien lui communiquer. Face à ce dragon, les mots n'avaient aucun poids et il avait peut-être bien raison de ce côté-là, alors il ne dirait plus rien et se contenterait de tenir ses résolutions, prouvant qu'autre chose était possible, mais par des actes cette fois.
Il ne savait comment l'arrêter autrement dans ses mesures radicales et ça n'aurait peut-être aucun effet. Mais il devait garder espoir, n'est-ce pas ? Lui aussi refusait que de nouveaux dragons meurent ou dépérissent, ils étaient déjà si peu présents que leur nombre ne pouvait diminuer encore ! Surtout maintenant qu'il avait pu goûter à quelques-unes de ces rencontres, constater quelle joie ce pouvait être, même celle de rester en compagnie de l'immense colérique.

Kaalys, lui, ne pouvait plus supporter sa présence et voulait s'en aller. Il le comprenait bien même s'il aurait voulu rester encore un peu, discuter d'autre chose peut-être. Mais il ne pouvait certainement pas laisser le petit dragonnet de nacre repartir tout seul, alors qu'il se promettait déjà de veiller sur lui. Son regard n'avait jamais quitté le dragon de l'Ire, oscillant entre la tristesse et le plaisir de le voir se dresser ainsi, intimidé, mais fier qu'il soit là pour se refléter dans ses yeux ambrés.

« Brasier-Écarlate... » Ils allaient se revoir, n'est-ce pas ? Cette question, il n'osait pas la poser, il ne voulait pas qu'il s'en prenne à sa Liée ni se battre contre lui à aucun moment de sa vie. Pourtant, il n'avait pas envie de l'éviter, de fuir l'éventualité même d'une rencontre. Il ne voulait pas que sa Liée se trouve en sa présence, jamais, il ne voulait ni qu'il la connaisse, ni qu'il la regarde. Il voulait simplement qu'ils soient deux dragons, sans ce débat où chacun ne pouvait vraiment s'entendre, alors seulement pourraient-ils peut-être un peu mieux se connaître.
Déjà Kaalys avait commencé à s'éloigner, il ne pouvait plus vraiment s'attarder davantage, mais avant de détacher son regard, il voulait encore s'imprégner un peu de son image.

« Grooonh. » Se contenta-t-il simplement de grogner. Ce n'était ni un adieu, ni une promesse de se revoir ainsi.

Puis il s'arracha à cette vision et se mit à galoper pour rattraper ce presque petit frère, le bousculant légèrement quand il arriva à son niveau et l'interpellant joyeusement, comme pour jouer. Devaient-ils se chagriner sur des choses si sérieuses et qui dépassaient leur portée ? Après tout, ils n'étaient encore que des dragonnets.

¤ Une scène déjà vue ¤

Il refusait, il refusait catégoriquement. Il ne serait pas un gardien de la paix ou de l’équilibre entre les races, entre les dragons liés et libres, entre le passé atroce et le futur à construire. Jamais il ne ferait cela. Il n’était pas un constructeur, pas encore. Et même les mots, la malédiction, et la volonté de l’esprit de la Vie n’avaient rien changé à cela. Si un esprit n’y était pas parvenu, alors ce n’était très certainement pas un dragonnet lié qui allait y parvenir. Peut-être qu’un jour, à une époque, les propos qu’ils avaient tenus auraient pu, peut-être, réussir si ce n’est à convaincre le colérique, à le faire réfléchir. À apporter un certain poids dans la balance. Or à présent, c’était impossible. La balance penchait irrémédiablement en faveur de la destruction du lien et de l’anéantissement des bipèdes. Tout ce qui s’était passé. Tous ces évènements. Toute la tristesse. Toute la colère. Toute la trahison et la perfidie. Le cœur du dragon rouge était trop lourd de ressentiments pour accepter cela. C’était beaucoup trop facile. Le passé ne pouvait pas être oublié. Et il était là pour s’en assurer. Mais il ne serait pas un simple gardien qui lèverait la griffe lorsque l'erreur viendrait à être répétée afin de prévenir. Il ne serait pas un simple gardien qui combattrait pour que l’erreur répéter n’aille trop loin, pour l’empêcher ou la corriger. Non, il ne sacrifierait pas sa vie pour cela.

L’héritier de la lignée de l’orage serait un destructeur. Il annihilerait tout ce qui avait conduit à ce tragique présent. Il ferait table rase de tous ses éléments. Il épurerait la terre. Afin que de nouvelles terres vierges soient prêtes à la construction. Et seulement alors, il accepterait de devenir un constructeur. Uniquement lorsqu’il aurait la garantie que ce qu’il construirait ne s’effondrerait pas à cause des bipèdes et du lien. Mais cela, les deux dragonnets face à lui ne pouvaient le comprendre. Bien trop corrompu par ce lien maudit qui les enchaînait.

Le dragon de nacre semblait obtus et aveugle tout comme l’étaient sa mère et son père. Il n’y avait rien à tirer de lui de ce point de vue-là. Il serait un ennemi. Donc la seule chose à en tirer serait d’avoir un adversaire intéressant, chose devant laquelle le dragon rouge ne rechignait pas. Malheureusement, il faudrait des années avant que ce dernier ne le devienne. Et Verith n’avait pas l’envie d’attendre plus que de raison. Déjà qu’il était suffisamment retardé comme cela, par Vraorg, les Esprits et maintenant les Chimères.

Pour le dragon de cuivre en revanche c'était différent. La prochaine fois qu'ils seront amenés à se rencontrer à nouveau, Alkhytis risquerait d'avoir un choc. Car si cette discussion avait eu un intérêt, ça avait été d'apprendre que le cuivré était lié à Luna Duruisseau. Bipède qui se trouvait justement être l'obligé de Verith puisqu'il lui avait sauvé la vie. Douce ironie du sort. Le colosse de flammes se demandait déjà comment il pourrait tirer avantage de cette situation et nuire au lien. Après tant d'années, l'enfant de l'orage sentait ce vent si turbulent qui l'avait ballotté de droite à gauche, souffler pour lui aujourd'hui.

Alors que le nacré comprenait qu'il ne parviendrait pas aujourd'hui, ou même demain, à faire changer d'avis Verith, il décida de tourner les talons et commencer à partir. Le rouge le laissa faire, il avait dit ce qu'il avait à dire. Il avait fait connaître la vérité. À présent à lui d'en tirer les conséquences. Et s'il refusait de voir la même chose que lui, alors tôt ou tard, leurs griffes s'entrechoqueraient. Le cuivré lui hésitait, mais semblait vouloir emboîter le pas à son ami lié.

« Brasier-Écarlate... »

Alors que le petit atrophié l'observait, Verith donna un petit coup de museau pour lui indiquer de suivre Kaalys et de déguerpir de sa vue pour aujourd'hui. Ce dernier lui répondit simplement en lançant à son encontre un petit rugissement. Le rouge s'en amusa et fit part de son amusement à Alkhytis par des mots énigmatiques.

« Tel père tel fils n'est-ce pas ? »

Dépliant ses ailes et se dressant sur ses pattes arrières, dragon rouge inspira profondément avant de pousser un terrible et puissant rugissement qui alla se répercuter dans les montagnes. Ailes déployées il prit ensuite son envol, à nouveau un nuage de ténèbres venant l'envelopper.

hrpg : Et voilà pour la conclusion, merci à vous deux pour ce rp catkiss

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Découvrir le monde à trois, c'est toujours mieux que tout seul ! [PV Alkhytis & Aïasil & Verith]

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