Il était une vraie princesse, accoudé à un balcon d'un des bâtiments circulaires qui constituaient le domaine. L'eau coulait avec hâte le long d'un pilier à côté de lui, réchauffée par une flamme qui brûlait au centre de la pièce. Crépitements, ruissellements… Et pourtant, le temps s'éternisait. Le visage fin de l'elfe s'appuyait sur sa main, aux doigts fins de vièliste. Ses cheveux d'or effleuraient ses épaules, lesquelles se haussaient et se rabaissaient au rythme d'une respiration pourtant lente, couvertes d'une tunique diaphane trop légère pour cette saison, pour ce froid qui saisissait chaque parcelle de peau et venait geler jusqu'aux os, pour ce vent qui s'infiltrait à travers les moindres mailles de vêtements et constituait comme une étreinte sur tout le corps. Ses grands yeux gris se portaient vers un point précis à l'horizon, mais les longues heures passées à cette unique occupation avaient rendu ces mêmes yeux vitreux, distants. S'il le fallait, il passerait sa journée ici. La hâte de revoir la princesse, son amie, de profiter de sa présence, enflammait son âme et ses nerfs, avait écourté son temps de sommeil. L'aube n'était pas même levée lorsqu'il était venu ici. Désormais, le dépit de la lenteur du temps le calmait de plus en plus, avait poussé ses jambes à ne plus le faire tourner en rond autour du feu, avait fait taire les divers chants qu'il avait naturellement émis. Pourtant, son coeur brûlait de plus en plus d'une même idée: la princesse ne saurait tarder.

Le bruit de son pas sautillant sur le sol de pierre, descendant les marches à un rythme saccadé. Plusieurs fois il passa sans le réaliser à côté d'autres personnes, totalement absent. Il fallut qu'un Enwr l'intercepte et le pousse à lui parler un peu pour qu'il revienne brièvement à ce monde, offrir politesse et explications, avant d'être à nouveau à sa quête. Plus rien n'avait d'importance. L'air froid revint lui offrir son étreinte passionnée lorsque qu'il quitta les enchevêtrements de couloirs qui l'avaient guidé jusqu'à une des entrées en contact avec le sol. Il s'enfonçait tout juste dans la neige. Les flocons venaient à nouveau. Peu importait. Il savait que, par là-bas, une aile de bâtiment offrait un refuge aux divers animaux protégés des baptistrels. il s'y engouffra à nouveau, déstabilisé dès qu'il dut cesser d'affronter le vent de l'extérieur, déstabilisé par la chaleur produite par ce beau monde. Tout naturellement, il retrouva Shi'Ry, une jument sombre qui lui était liée par les liens tendres d'une amitié au-delà des espèces. Il avait enfin pu lui offrir les soins qui lui étaient dus après les multiples lourds services qu'elle lui avait rendus, tous ces longs voyages dans le désert et dans ses alentours. Elle accepta sans souci la balade qu'il lui proposait. Le petit elfe se hissa sur son dos, la dirigea à travers les bois environnants, sur une route qu'il connaissait déjà bien.

Plus il avançait sur le chemin blanc, plus la vie semblait revenir en lui, plus le monde regagnait un intérêt à être parcouru. Il réduisait lui-même les derniers kilomètres qui le séparaient de la princesse. Les bois sombres qui se distinguaient tout juste sous la neige faisaient siffler un vent un chant long et doux, une promesse d'un adulte pour apaiser un enfant. Cela ne fonctionnait pas. Les flocons dansaient, tourbillonnaient, pour le plus grand émerveillement du petit bipède. C'était comme si… Comme si la princesse s'approchant influait son environnement, et les milliers de lumières qui la composaient s'échappaient, suivaient sa musique. Il le savait. C'était son rythme, son émotion. Comment avait-il pu se passer d'elle aussi longtemps ? Comment avait-il pu se contenter des images et des sons de vulgaires pierres de communication ? Il supplia Shi'Ry de lui offrir son galop. La vitesse glaciale fit pleurer ses yeux autant que la joie qui palpitaient en lui, réchauffait tout son corps et changeait la neige en un océan de lumières.

Enfin, il la vit. Sa silhouette, reconnaissable entre mille, sa pâle chevelure flottant doucement en étendard sous le vent, ses yeux et son sourire. C'était elle. C'était Luna, la princesse des Lumières. La poésie dans un corps d'humaine. Un fragment de Soleil que l'on aurait tenté en vain d'enfermer dans de la chair, et qui voyait ses rayons s'échapper par chacun des pores de sa peau. Dawan sentit le regard qu'elle posa sur lui. Il sut que, sans souci, malgré les changements que le temps avaient gravé en lui, elle l'avait reconnu. Il descendit de sa monture pour parcourir les derniers mètres qui les séparaient en courant. Ses bras se refermèrent avec force sur la jeune femme, il se noya dans les vibrations qu'elle émettait, sans s'empêcher de les entendre comme il le faisait avec d'autres. Un océan de bonheur, un chant-nom plus sincère dans ce geste que dans n'importe quel autre mot. Elle avait parcouru des terres entières pour le voir. Elle était là, son amie, sa précieuse amie. Comment avait-il pu espérer briller sans elle ?
Une pensée lui traversa l'esprit: il aurait fallu figer ce moment. Il aurait dû prévoir de quoi l'enfermer, un joli caillou pour capturer ce fragment de temps. Il aurait fallu en arrêter la course…

Elle avait su l'empêcher de devenir triste, elle avait su lui montrer comment profiter de la lumière qu'elle émettait. Ils avaient pris ensemble le chemin qui menait vers le Domaine, avaient parlé avec l'insouciance des temps de paix de soucis triviaux, de ce qu'ils allaient faire en arrivant, de ce qu'ils feraient plus tard, de leurs diverses folies, du chemin que Luna avait parcouru, de tous ces changements autour d'eux. Dawan avait des étoiles dans les yeux, la forêt était devenue comme un cocon pour les protéger. Le temps parut autrement plus rapide au tout jeune Cawr -il avait bien perdu une soixantaine d'années par la seule présence de son amie-, ils eurent tôt fait de rejoindre le confort sobre du Domaine. Leurs montures furent remises en endroit sûr, soignées, remerciées comme il se doit. Dawan s'occupa à veiller à ce que Luna ne manque de rien. Ceux qui l'avaient vu partir, comme une âme dépossédée de ce qui lui permettait de vivre, pouvaient le trouver transformé dans l'énergie apaisée qu'il dégageait. Il fit un détour par le garde-manger pour récupérer de quoi remplir le ventre de sa protégée. Il porta avec elle tout cela jusqu'à la chambre qui avait été apprêtée pour elle: une chambre de potentiel Enwr, qui disposait d'une trappe dans le plafond menant à un extérieur encerclée d'un balcon, d'un toit en coupole soutenu par une douzaine de piliers de pierre blanche harmonieusement sculptés. De là, elle pourrait admirer la vallée, les monts environnants. La chambre en elle-même n'attendait plus que les affaires de Luna: qu'elle se l'approprie, et Dawan serait comblé ! Qu'elle fasse ici comme chez elle, c'était ce qu'il voulait. Il avait adapté les couleurs de la pièce à la couleur préférée de sa princesse. Il la laissa se rassasier, se reposer, ne parlant que ce qui était nécessaire sur cet instant-là, attendant que la belle humaine ait fini de manger pour lui proposer à la fois d'apaiser ses muscles et de visiter le Domaine.

Ils évoluèrent à travers ce qui était la maison de Dawan. Il présenta les divers sanctuaires à Luna, quelques bibliothèques, quelques pièces importantes, quelques chemins et raccourcis, quelques visages. Luna dut entendre quelques baptistrels s'exclamer "ah, la fameuse Luna !" tant il avait évoqué son nom ces derniers jours, et sa hâte. Il leur restait encore des éléments à découvrir, des clairières et bouts de forêts, si le temps le leur permettait. Ils iraient sans doute en Estellïn, mais un autre jour. Il y avait une pièce particulièrement chère au coeur de Dawan, qu'il voulait à tout prix lui montrer. Sur le chemin, il conta cette histoire: Silarae lui accordant sa confiance et le devoir de veiller sur ses oeufs, la fin de la guerre et la construction du Domaine. C'avait alors été évident: c'était le lieu où devaient être ces oeufs. Ils seraient en sécurité autant face aux éléments que face aux convoitises des Hommes, le Domaine étant lieu neutre et lieu de paix. Il avait accueilli quelques prétendants au Lien, savamment escortés. Mais pour l'heure… Tous les oeufs étaient encore là: ceux de Silarae et celui, plus récent, de la Dame d'Argent. Dawan n'avait pu que s'incliner lorsque cette dernière avait élu cet endroit comme lieu idéal pour sa progéniture.
La porte fut en vue, sobrement gravée de dragons stylisés, encadrée de piliers qui contenaient un enchantement garantissant la sécurité des petits. Elle donnait sur une pièce circulaire, taillée à même la montagne, au toit en forme de dôme soutenu par de multiples piliers de pierre. Tout ici était sculpté, décoré, de dragons et d'astres, d'un bestiaire du continent et de plantes plus ou moins récentes. Dans des creux dans le sol, des braseros étaient disposés, qui rendaient la pièce chaude. Au centre, dans un nid fait de tissus, les oeufs reposaient, paisibles. Dawan se tourna vers Luna, la laissa passer devant lui, un fin sourire sur les lèvres. Lui aimait ce lieu, le connaissait très bien. Il savait qu'elle l'apprécierait également, sans doute à sa façon, sans doute pour d'autres raisons, qu'il avait hâte de découvrir.
Déjà, voyant Luna se glisser devant lui, la voyant au milieu de ce sanctuaire aux dragons, Dawan ne put retenir une pensée: elle s'accordait très bien avec cet endroit. Il fallait qu'elle mêle ses vibrations à celles des oeufs. Il le savait… Mais n'eut pas un geste pour la pousser en ce sens. Cela viendrait sans doute seul. Au lieu d'offrir à la princesse les discours de savoir et d'anecdotes dont il l'avait abreuvée pendant toutes leurs précédentes visites, il resta dans l'encadrement de la porte, attentif, admirateur humble, laissant à la princesse et aux plus hautes créatures de ce monde son silence pour les aider à composer une nouvelle harmonie.

Cela faisait tellement longtemps que Luna n’avait pas vu Dawan! Si loin de son ami elfique, cela lui avait presque paru une éternité et une éternité, c’est franchement long pour une jeune humaine. Heureusement qu’il y avait eu cette pierre de communication pour garder contact, pour se voir à travers l’étrange miroir de brume et pour pouvoir se parler de tout et de rien. Parfois, il s’agissait simplement d’un « bonjour » ou d’un « bonne nuit » tandis que d’autres fois, c’était pour chanter ensemble ou jouer de la vièle. De plus, les occasions pour partager ce que chacun vivait de leur côté n’avaient pas manquées et au fil des descriptions, Luna pouvait presque s’imaginer à quoi ressemblait le domaine baptistral. La pierre, c’était bien, mais rien n’équivalait le fait de pouvoir voir de ses propres yeux l’endroit où résidait son ami et de pouvoir enfin le voir en personne.

Une date avait été déterminée : début janvier. Rien ni personne n’aurait pu empêcher la protégée de Korentin de se rendre dans le royaume elfique maintenant que sa décision avait été prise. Le chemin lui avait paru extrêmement long. Elle avait eu si hâte d’arriver à destination! Le bateau lui avait semblé parcourir les eaux à une vitesse de pas de tortues et ce fut même l’impression que lui donna Vaïwe, son destrier des tempêtes. Heureusement, la jeune femme d’eut pas d’embûches sur le chemin et gardant contact avec Dawan de temps à autre, elle lui annonça la bonne nouvelle : elle y était presque et le 8, elle serait là normalement.

Le froid de la montagne mordit son visage, mais son cœur se réchauffa aussitôt lorsque son regard se posa sur une petite tête blonde qu’elle connaissait que trop bien. La neige ne put ralentir ses pas tandis que la princesse des lumières s’élançait vers son Dawan pour l’étreindre dans ses bras de concert avec lui. Serrer le baptistrel dans ses bras, combien de fois avait-elle rêvé à ce moment? Ça, la pierre ne lui avait jamais permis. Baignée dans une joie incommensurable, elle savoura cet instant, les yeux fermés et un immense sourire trônant sur ses lèvres. Le câlin dura de longues minutes qui ne parurent qu’une petite seconde pour les deux amis. C’est ensemble qu’ils se dirigèrent vers le Domaine et c’est sans la moindre hésitation qu’elle laissa son sac magique contenant ses armes à l’endroit indiqué. Ici, à la demeure de son ami, Luna n’en aurait pas de besoin.

La soldate salua poliment quiconque elle croisait dans les couloirs et elle n’eut pas besoin de se présenter tant la plupart avait déjà entendu son nom. Cela lui arracha un sourire de savoir à quel point l’elfe avait eu hâte qu’elle arrive. Oh! Et elle aurait une chambre juste pour elle? Luna bondit de joie jusqu’au lit où elle laissa tomber son sac. Elle remplit volontiers son estomac avec le pain, les légumes et les biscuits qu’ils avaient été cherchés plus tôt. Entre deux bouchées où elle raconta à Dawan que son elfique allait de mieux en mieux, elle accrocha sa cape pour la faire sécher, plaça sa boîte à musique près de son lit et déposa sa vièle sur le bureau, prête à être utilisée. Entourée de chanteurs et de musiciens, elle croyait fermement qu’elle aurait de nombreuses occasions de sortir Nilmë de son étui. Maintenant qu’elle était arrivée, elle ne comptait pas partir de sitôt!

Le premier élément que Luna voulut s’enquérir fut l’emplacement de la chambre de Dawan. Sa chambre à lui, elle se trouvait où dans cet immense endroit? Le domaine baptistral était beaucoup plus grand que ce qu’elle avait cru et elle s’imaginait mal se retrouver facilement à travers ses nombreuses pièces. Mais elle porta une attention particulière aux directives de son guide, prenant note dans sa tête des différents passages et se donna quelques repères pour se retrouver. Et si elle se perdait tout de même? Dans le pire des cas, elle demanderait son chemin à un sympathique membre de l’ordre baptistral. Ce n’était pas plus compliqué que cela.

- Des œufs de dragons, ici? Sérieusement? Prononça-t-elle d’une voix empreinte d’étonnement.

Des étoiles avaient brillé dans son regard bleuté à l’idée de pouvoir voir de ses propres yeux ces trésors. Qui avait la chance de pouvoir se vanter de cela? Elle, la petite lune, pourrait juste après avoir franchi cette porte. Elle n’avait alors jamais imaginé la possibilité de devenir dragonnière, cette idée n’avait même pas effleuré son esprit. C’est la curiosité qui mena ses pas jusqu’au nid où elle toisa les œufs longuement. Pouvait-elle les toucher? À quel point était-ce fragile? La curiosité prit le dessus sur ses craintes et elle s’approcha davantage.

Posant ses genoux sur le tissu recouvrant le nid, la princesse des lumières avança ses doigts vers l’un des œufs. Sa main aurait pu se poser sur l’immense perle qui se trouvait là, mais c’est plutôt la sphère cendrée qu’elle caressa doucement. Ce n’était ni lisse, ni rugueux, simplement étrange. La sensation de l’œuf sous sa peau lui apporta des frissons, mais elle ne voulut pas arrêter pour autant.

- Tu as déjà soulevé un œuf, Dawan? C’est lourd? Demanda-t-elle à son ami.

Mais déjà, ses deux mains entouraient l’étrange pierre et venaient le poser sur ses genoux, une fois que Luna se soit installée en position du tailleur dans le nid.

Le temps et l'espace étaient des choses trop subtiles pour qu'il en ait réellement conscience et il sentait simplement alterner en lui une succession d'instants, tantôt agités, tantôt calmes. L'attente insoutenable le poussait constamment à crier sa détresse, mais il n'avait pas encore appris à communiquer et il n'y avait personne pour l'entendre. Il s'épuisait sans cesse à s'agiter dans sa prison, à sonder ce qu'il percevait du monde dans l'espoir d'une délivrance et celle-ci s'incarnait en une jeune humaine dont il savait simplement reconnaître la présence. Son aura semblait si forte que le reste n'était qu'un vide insaisissable et incompréhensible. Une sorte d'image s'imposait à lui, comme une immense lumière, étincelante, qui faisait vibrer son cœur plus fort que le monde tout entier et il criait alors, encore et toujours. Puis il se sentait à nouveau terriblement fatigué et retombait alors dans une profonde léthargie où il flottait dans un univers imperturbable, totalement serein. Ces moments de sommeil effaçaient toute sa souffrance, mais le plongeaient dans un état dépourvu d'émotion, jusqu'à ce que sa conscience s'éveille à nouveau.
C'était le meilleur moment dans son attente, où une présence chaude et bienveillante semblait vouloir l'accueillir, le serrant contre elle et faisant naître en lui un bonheur infini. Puis il se rendait compte qu'elle n'était pas vraiment là, que le lien n'était pas encore très bien tissé et que ses impressions n'étaient pas si fortes. Le besoin devenait alors croissant, le plongeant alors dans toutes sortes d'émotions négatives.

Le temps s'étirait à l'infini. Et si la distance entre eux ne se comblait jamais ? Comment faire pour l'appeler, la faire venir jusqu'à lui ? Ses efforts avaient beau être innombrables, il comprenait petit à petit qu'ils étaient vains. Noyé dans la confusion de son esprit, dans l'incompréhension totale due à son extrême jeunesse, le bébé cherchait à s'agiter sans trouver la force de faire bouger son œuf. Si sa volonté de fer avait suffi, il aurait roulé, traversé les guerres et les tempêtes jusqu'à ce qu'il puisse arriver si proche d'elle qu'ils auraient fusionné. Il aurait su trouver le chemin, son instinct le lui dictait.

Puis un jour, il fut frappé par une certitude : cette partie qui manquait en lui avait commencé à se rapprocher. L'instinct, ou peut-être simplement l'espoir, le persuadait que c'était pour lui qu'elle venait. Quelque chose avait permis cela, comme si son appel avait été entendu, et il fut soulagé, la peur de rester emprisonné éternellement s'effaça. Terrassé par son impatience, ces moments furent sans doute les plus difficiles, mais aussi les plus heureux car plus elle avançait, plus leur lien se formait et il sentait toujours plus sa présence, faisant naître en lui un bonheur indicible.
Cette sensation de manque et de plénitude à la fois atteignit bientôt son paroxysme alors que quelques mètres seulement les séparaient. Était-ce le destin, le lien qui les unissait qui l'avait poussée à ne toucher que son œuf ? Avait-elle entendu son appel ? Il ne chercha pas à comprendre, son esprit était tout entier obnubilé par ce qu'il attendait depuis toujours et un simple contact fit naître en lui toute la force dont il avait besoin, comme une éruption.

Elle avait à peine posé le gros œuf su ses genoux que celui-ci se mit à vibrer, d'abord de manière presque imperceptible, puis de plus en plus fort, jusqu'à ce que les yeux puissent discerner de véritables mouvements. Le petit être s'agitait frénétiquement, il se battait contre cette coquille trop dure qui refusait de le laisser sortir, mais sa volonté était plus puissante et il ne pouvait s'empêcher de frapper sa tête contre la paroi. Il ne sentait pas la douleur, il ne contrôlait pas ses mouvements, il ne faisait que répondre à ce besoin titanesque qui faisait tressaillir son corps et son âme. Maintenant qu'elle était tout contre lui, il fallait qu'il sorte, pour la toucher enfin.
Les tremblements étaient irréguliers, mais de plus en plus intenses. Ils se calmèrent pourtant un instant, avant qu'il ne porte le dernier coup et soudain, sa tête perça la barrière qui les séparait. A peine sorti, ses yeux s'ouvrirent et il fut assailli par toutes sortes des choses. La lumière l'aveugla violemment et il commença à respirer l'air extérieur, à la fois étrange et terriblement nécessaire. Les sons, d'habitude étouffés, semblaient mille fois plus forts et il se sentit terriblement perdu. Son instinct le poussa à s'agiter encore, brisant ce qu'il restait de l’œuf jusqu'à ce qu'il puisse complètement la toucher, elle, le reste de lui-même, et la coquille morte roula sur le sol.

Livré à une incroyable détresse, il poussait de petits cris et se colla contre elle, seul élément rassurant dans le grand inconnu, alors que leurs esprits semblaient comme fusionner. Incapable de comprendre, il lui communiquait sa détresse par grands flots d'émotions et se raccrochait comme il pouvait à son esprit terriblement bienveillant, plus lumineux et beaucoup moins agressif que le monde blanc.
Il avait faim, il avait soif, il avait peur, il avait sommeil, une myriade de besoins s'accumulaient en lui alors qu'un seul était complètement satisfait, son Lien, immuable, indicible, et c'était tout ce qu'il fallait pour le rendre heureux.

Dawan n'avait pas répondu à Luna, pas plus qu'il n'avait bougé de son emplacement, pour ne rien troubler, pour s'effacer. Il aurait pourtant pu dire qu'il n'avait jamais voulu toucher à nouveau les oeufs depuis qu'ils étaient déposés en ce lieu, les ayant déjà suffisamment malmené en les rapportant du désert jusqu'ici. Quant à leur poids… Difficile à dire, tant par leurs différences de forces respectives que parce qu'il n'était pas impossible que les oeufs aient pris du poids entre-temps. Les derniers prétendants au Lien qui, eux, avaient osé toucher et porter les oeufs, sous l'oeil protecteur du tout jeune Cawr, avaient paru l'air de dire qu'ils pesaient le poids d'un petit animal, effectivement.
Il aurait pu répondre cela, oui. Mais sa place n'était pas à ce dialogue futile. Sa place était à la perception. Il perçut bien avant que la coquille se fende les vibrations inhabituelles qu'elle émit. Dès cet instant, il sut que ce premier jour, cette première nuit, où il avait dansé avec Luna au son des vièles, ce jour-là avait été précieux. Il sut que chaque geste qu'ils avaient eu l'un envers l'autre avait été un bon choix. Mais le meilleur des choix restait celui de Luna de le suivre jusqu'ici, puis de se saisir du petit oeuf.
Si à ce moment-là il avait bougé, s'il avait décidé de s'occuper de plus futiles considérations, il aurait fait une erreur. Il n'aurait pu alors percevoir dans son entièreté ce fragment de temps unique qui se créait sous ses yeux. Un enchevêtrement de vibrations exceptionnelles entouraient Luna et son oeuf. Dawan les reconnaissaient entre mille: des notes majeures. Ce fut le premier impact du dragon auprès de lui, la première identité qui s'associa à lui. Et sa Luna… Sa Luna gagnait tant. Il ne sut suivre les moindres changements, en si peu de temps, et le regretta. Il aurait voulu arrêter la course folle des secondes pour ne rien oublier, pouvoir tout retranscrire ensuite. Pour que jamais l'on n'oublie.

Les premiers cris du petit être vinrent directement à son coeur. C'était plus qu'une naissance, c'était la naissance d'un enfant de Trissi, d'un porteur de magie. Devant lui, encore tout petit et malhabile, c'était un futur maître de ce monde qui venait se blottir contre Luna. Sa Luna si jeune encore quelques années plus tôt ! Il aurait dû pourtant ne pas être surpris de la voir ainsi élue par un dragon. Elle attirait naturellement à elle tout ceux qui cherchaient la lumière. Ils feraient, à eux deux, un couple magnifique, brillant comme mille soleils.
Les vibrations ici-bas s'étaient un peu apaisées. Dawan entonna un bref chant, croyant n'être entendu que par lui-même, ayant oublié qu'il était plus qu'un simple heureux et chanceux admirateur du spectacle unique que le monde venait de lui offrir. C'était un chant baptistral, et les autres maîtres entendraient ses prochains mots: des dragons sur lesquels il avait voulu veiller, l'un avait vu le jour. Semblable au cuivre, il était venu au monde pour Luna Duruisseau, son amie humaine. Il demanda à ses frères et soeurs, d'une voix incroyablement sereine, rendue claire par une joie plus pure que l'eau de leur sanctuaire, si le coeur leur en disait de répandre la nouvelle, et d'informer Trissi et Kedrildan Maralawë, proposant d'être celui qui écrirait pour Cynoë et Esmelda Kohan.
Ceci fait, il laissa sa voix s'éteindre, jusqu'à se que les échos qui s'étaient répercutés sur les murs de pierre soient étouffés par la légère chaleur de la pièce. Etait-il désormais légitime de s'approcher ? Oui. Quelque chose dans l'attitude de Luna et du petit être contre elle parut le lui indiquer. Timidement, comme pour ne pas les effrayer, il s'approcha en silence pour s'assoir aux côtés de Luna. Il perçut alors l'aile atrophiée du petit, mais… Cela ne lui fit aucun effet, ne lui arracha pas de réaction. C'était ainsi. Il ne fit pas même la déduction que ce serait gênant pour voler. Il inclina légèrement la tête devant le petit.

"- Bienvenue en notre monde, Seigneur Dragon." exprima-t-il avec révérence.

Ceci fait, ses grands yeux gris cherchèrent ceux de Luna. Dragonnière…. Mais cela faisait un moment désormais que Dawan avait compris qu'il devait ne pas s'incliner devant elle, quand bien même il avait grande admiration pour ce qu'elle émanait. Une réalisation le frappa soudain, lui offrant l'air surpris, un bref instant, avant de faire luire ses yeux d'humidité. Il remua, doucement, pour venir poser sa tête contre son épaule, serrer le tissu de sa tunique, au niveau de son bras, dans une petite poigne qui devait tout juste donner à Luna l'impression d'être effleurée.

"- J'ai l'espoir que tu me survives, désormais." murmura-t-il, lui offrant un aveu qu'il lui avait soigneusement caché jusqu'alors.

C'était une vilaine angoisse qui enfin s'en allait, c'étaient des promesses de temps passé ensemble. C'était le futur que Dawan s'était imaginé qui changeait de forme, des années de peine qui se changeaient en années de bonheur. Silencieusement, les yeux fermés, il remercia les Huit pour l'instant qui avait précédé, qui les avaient tous trois si profondément marqués.

"- Comment te sens-tu ? Comment vous sentez-vous ?"

Mais que se passait-il? C’est un regard inquiet qui se posa sur l’œuf de la couleur des cendres qui venait tout juste de vibrer sur ses jambes. Puis, plus rien. Avait-elle imaginé cette sensation? Un pli se forma sur son front et elle posa ses deux mains à plats sur la coquille afin de le stabiliser. Aussitôt, elle ressentit un martèlement. Il y avait quelque chose là-dedans! Bien sûr, comment pourrait-il en être autrement sachant qu’il s’agissait d’un œuf de dragon. Mais c’était toute une surprise pour la jeune femme de ressentir l’œuf trembler et de ressentir la petite chose s’agiter à l’intérieur. Elle n’avait même pas encore réalisé que c’était pour elle qu’Alkhytis s’acharnait à vouloir briser sa prison et que cela signifierait qu’elle ne serait plus jamais seule. En effet, ses pensées étaient encore à l’étape de se demander ce qui se passait.

Luna échappa une exclamation de surprise lorsqu’une petite tête cuivrée défonça la coquille. L’océan fixait ce petit être qui s’agitait dans tous les sens et il ne le quitta pas lorsque les vestiges de l’œuf roulèrent sur le sol. Elle n’avait d’yeux que pour Alkhytis et un large sourire se dessina sur son visage. Instinctivement, ses bras se refermèrent tendrement contre le dragonnet collé contre elle. C’est une vague d’amour qu’elle lui transmit comme tout premier message via le lien télépathique qui s’était formé. La princesse des lumières avait du mal à assimiler ce qui venait de se passer, mais elle était certaine d’une chose : elle aimait Alkhytis.

- Bienvenue parmi nous, Alkhytis. Lui murmura-t-elle d’une voix douce. Je suis Luna.

Son nom lui était apparu d’ailleurs comme si elle l’avait toujours su ou que c’était un élément tout à fait normal de connaître. Délicatement, elle vint caresser la tête du dragonnet et sa main descendit le long de sa colonne vertébrale. Aimait-il cela? La soldate ne connaissait rien aux dragonnets, mais elle ne pouvait pas croire qu’il n’aimerait pas cela. C’est lorsqu’elle atteignit ses ailes qu’elle remarqua que l’une d’elle était plus petite que l’autre. Il n’en était pas moins beau en tout cas, mais était-ce douloureux? Oh non! Elle ne voulait pas qu’il ait mal et voulait à tout prix le rassurer. C’est une vague d’apaisement qu’elle lui envoya sans même s’en rendre compte, partageant ses émotions avec lui.

La voix de Dawan résonna dans la pièce, toujours aussi harmonieuse que dans ses habitudes. Lorsque le chant s’éteignit, son regard se déplaça jusqu’à lui et c’est un sourire qui l’invita à se joindre à eux. Pour sa part, elle ne comptait pas bouger du nid avant un bon moment.

- Alkhytis, je te présente mon ami Dawan. Prononça-t-elle joyeusement. Dawan, voici Alkhytis.

Le dragonnet comprenait-il ce qu’on lui disait? Peu importe, la petite lune avait cru bon de faire les présentations. Ne serait-ce que par le ton de sa voix, il comprendrait qu’il n’avait pas à craindre de son grand frère elfique? Elle lui offrit une nouvelle caresse pour le rassurer et ses doigts vinrent gratter la base de son cou tandis que l'azur brillant croisa le regard du chanteur. Il avait raison! C’est maintenant qu’elle réalisait que si elle était dragonnière… Non, qu’elle réalisait qu’elle était dragonnière! Il n’avait pas été le seul à s’angoisser à propos de son temps limité et c’est le cœur léger qu’elle lui sourit. Ils allaient pouvoir vivre tout plein d’aventures, jouer de la vièle ensemble et faire tout ce qu’il leur passerait par la tête sans ressentir le besoin de se presser. Elle allait pouvoir lui éviter l’appréhension de la voir vieillir et la tristesse de subir la disparition d'une amie parce que le dernier grain de sable du sablier venait de s’écouler. D’un mouvement de la tête, elle vint d’ailleurs effleurer la sienne puisque ses mains étaient toujours posées sur son lié.

- Je me sens… bien. Vraiment. Commença-t-elle. Elle marqua une pause et couvrit Alkhytis d’un regard affectueux. Et confuse… Je n’arrive pas à croire que c’est moi qu’il ait choisie. De toutes les personnes, moi? J’espère que je serai à la hauteur.

Dawan n’avait pas besoin d’être baptistrel pour savoir que son amie disait la vérité. La princesse des lumières était si heureuse, mais des craintes teintaient sa joie. Et si elle n’arrivait pas à en prendre soin? Qu’arriverait-il s’il ne l’aimait pas? Était-ce seulement possible que le destin se trompe?

L'empressement du petit être à rejoindre son aimée l'avait fait naître trop tôt et il était encore prématuré. Un peu plus petit qu'un bébé dragon ordinaire, il ne manquait pas de vigueur, mais n'avait pas laissé le temps à son aile de se développer. Ce n'était alors pas important pour lui et il ne s'en rendait même pas compte, entrant tout juste dans ce nouveau monde, ce grand inconnu, mais il n'aurait jamais à regretter ce choix. Comment aurait-il pu attendre une seconde de plus alors que sa Liée, si proche de lui, avait touché sa coquille ?
La crainte s'était évanouie aussi vite qu'elle était apparue : serré dans les bras de sa Liée, recevant ses caresses remplies d'amour et ses pensées rassurantes, il se calma peu à peu alors qu'une voix s'élevait doucement, créant des sons qu'il n'avait encore jamais entendus et qui, une fois mêlés, formaient une merveilleuse harmonie. Il ne savait pas ce que c'était, mais ressentit cette succession de sons comme un message accueillant, chaleureux. C'était agréable à écouter et il se laissa tranquillement bercer par la mélodie qui racontait sa naissance.
Puis, secouant doucement la tête, il tenta de comprendre un peu mieux tout ce qui l'entourait et cligna plusieurs fois des yeux. La lumière, d'abord terrible, le piqua aussitôt et il lui fallut s'y prendre à plusieurs fois avant de s'y habituer un peu plus, juste assez pour qu'il puisse commencer à discerner ce qui se trouvait autour de lui. Mais il n'était avide que d'une image et, cherchant à tout prix du bout de son museau Luna, il la vit pour la première fois quand il toucha son nez. Quelle créature étrange ! Tout était nouveau pour lui et pourtant, il ne l'aurait pas imaginée autrement. Ses yeux s'enivraient de son regard bleuté et de ses cheveux dorés, c'était autant de couleurs qu'il aimait et il lui lançait par salves entières des émotions de bonheur insaisissable. Son image était comme familière, comme si le lien qui les reliait était si fort qu'il avait ressenti tout son être avant même d'avoir ouvert les yeux. Mais pouvoir enfin la regarder, c'était pour lui un spectacle merveilleux.

L'attente, ces moments de semi-conscience et de douleur s'étaient perdus dans le néant, il en avait déjà tout oublié et se réjouissait de vivre, d'être juste là, dans ses bras. Ses mains, parcourant ses écailles, étaient une sensation agréable et il laissa échapper un petit grognement de plaisir. Cette communion fabuleuse lui avait presque fait oublier tous ses besoins et il ne voulait rien d'autre que sa proximité. Sa voix possédait un ton rassurant et il aimait l'écouter, voulait lui répondre. Il avait envie de dire « Luna... Luna... », c'était le seul mot qu'il connaissait et qu'il avait envie de prononcer, mais il ne savait comment faire et ne réussit qu'à lui transmettre des sensations pleines d'affection, bien qu'elles soient toujours un peu chaotiques et perdues.
Un autre être s'approcha alors et il sursauta avant de se mettre tout contre Luna, tremblant. Que se passait-il ? Était-ce un prédateur qui venait les manger ? Pire, allait-on lui prendre sa Luna ? Il ne voulait pas et s'évertuait à rester aussi près d'elle que possible, enfouissant sa tête contre sa poitrine, dans l'espoir que cela suffirait. Une peur terrible l'envahissait et seule la voix douce de sa Liée réussit à le calmer. Elle n'avait pas été effrayée et semblait vouloir attirer son attention jusqu'à lui. Un peu rassuré, il reprit confiance et avança son museau jusqu'à l'être inconnu. Finalement, il ne semblait pas hostile et le bébé prit le temps de l'observer un peu avant de s'avancer davantage. Si ce n'était pas un prédateur qu'est-ce que c'était alors ? À manger ?

Un peu timidement, mais poussé par une grande curiosité, Alkhytis avança son museau jusqu'à toucher la main de l'inconnu et ouvrit la bouche pour le mordiller. Mais un cri l'arrêta aussitôt et il se recula immédiatement pour regarder Luna d'un air mi-effrayé mi-penaud. Non, ce n'était pas de la nourriture et les pensées qui arrivèrent jusqu'à lui lui firent comprendre que ce n'était pas bien.
Le bébé fut alors pris de panique, terrorisé à l'idée d'avoir attisé la colère de sa Liée. Est-ce qu'elle l'aimait encore ? Est-ce que tout allait bien ? Agité, il se mit à pousser des couinements et chercha à se dégager de l'étreinte. Il fallait qu'il se cache quelque part, peut-être que ça irait mieux après ? Pourtant, il avait à peine posé ses pattes sur le sol et perdu le contact avec Luna qu'il se sentit encore plus mal, comme si leur lien pouvait véritablement se rompre s'il s'éloignait.
Ni une, ni deux, il bondit à nouveau dans ses bras et se roula en boule sur ses genoux, pris de terreur. Heureusement, cette simple proximité suffit à le rassurer un peu, même s'il tremblait toujours...

"- Je ne m'inquiète pas à ce sujet. Je suis sûr que tu seras une Liée fabuleuse. Tu as toujours été exceptionnelle à mes yeux."

Et il serait son premier admirateur, la faisant rentrer dans la légende par moult textes pour conter ou chanter ce qu'ils étaient, elle et son Lié. Sa tête était restée contre celle parée d'or de la princesse humaine, en témoignage d'affection tendre et léger. Cela devait faire un moment désormais qu'il ne s'était plus senti aussi confiant, ayant connaissance du Contrat Originel et de la menace qui planait au-dessus de la tête des armandéens. Un dragon était né, il avait accepté de se lier à l'un d'eux, ils n'avaient plus à craindre le départ de Luna… Quelle peur pouvait-il rester ? Son coeur au rythme apaisé cherchait à entrainer avec lui celui de l'amie à ses côtés.
Il vit le petit être tendre son cou vers lui, songea qu'il s'agissait sans doute là de sa façon de chercher les présentations, comme le faisaient nombre d'autres créatures plus ou moins quadrupèdes. Tout juste né, le monde devait être pour lui un assaut de sensations, d'informations qui venaient de tous les sens, sans ordre, parfois sans lien. Ses premières sensations. Un imbroglio auquel il ne pouvait échapper, et qu'il devait apprendre à maîtriser à folle allure. Parmi les découvertes, il y avait sans doute ce lien, encore neuf, avec l'esprit de Luna. Dawan peinait à imaginer le ressenti que cela pouvait apporter, quand bien même il aurait aimé, parfois, partager son âme avec sa petite soeur humaine, percevoir l'écho de ses sentiments et pouvoir directement communiquer les siennes. N'était-ce pas pour cela qu'ils jouaient ensemble avec la musique ?
L'esprit du petit devait être mille fois occupé, peut-être même ne savait-il pas encore comment se tendre vers d'autres que l'autre moitié de son âme. Alors, innocemment, naïvement, Dawan avait approché sa main de lui, pour l'aider et lui montrer qu'il était, comme le disait Luna, un ami. Ce faisant, son esprit encore trop actif partait vers 'autres horizons. À ses songes, loin de tout ce qui pouvait être terrestre, sa voix était le murmure distant d'une âme éthérée lorsqu'il ajouta à voix basse, pour rassurer la princesse:

"- Si jamais tu as besoin d'une expérience pour guider la tienne, peut-être pourras-tu demander à Elr-AHŸ !"

De la surprise plus que de la douleur, mais un retour à la réalité bien brusque. Dawan ramena sa main meurtrie auprès de lui, en observa les phalanges, partagé entre l'inquiétude et la fascination. Le sang perlait, rouge, sur sa pâle peau. Il n'eut pas un geste pour se soigner, et commença à se questionner: qu'avait-il fait de mal ? Il devait y avoir quelque chose, il ne pouvait être puni sans raison. Avait-il insulté Luna, sans le réaliser ? Oh sa princesse allait être si bien protégée, avec un tel prédateur à ses côtés ! Alors qu'il s'apprêtait à porter sur Alkhytis un regard tout de reconnaissance et d'excuses, Dawan fut surpris de l'entendre couiner. Mais avant même qu'il ait pu réagir, le petit dragon faisait des allers-retours entre Luna et le sol. Lorsqu'à nouveau le petit fut sur les genoux de Luna, l'elfe eut le réflexe de vouloir le caresser, le rassurer. Sa main s'arrêta avant de l'effleurer. Non… S'il l'avait mordu, peut-être n'était-il pas la bonne personne pour le rassurer. Gêné, inquiet, Dawan esquissa les premiers mouvements pour se redresser, et s'écarter.

"- Y a-t-il un problème, Luna ? Faut-il que je parte…?"

Et comme il parlait de partir, une arrivée se fit. Présence encore aérienne, à vive allure. Éclats d'un argent mat qui, quelques instants plus tôt, profitaient de la musique d'un Cawr. Elle avait accouru, curieuse et craintive: elle connaissait mal cette Luna Duruisseau, voulait veiller à ce que ce soit là une âme digne de sa progéniture, de sa marque en ce monde.
Dès qu'elle fut à une distance convenable, elle tendit son esprit vers celui qui devait être le nouveau-né. Elle le reconnut vite, neuf qu'il était, pas encore façonné par le Lien et le langage des bipèdes. Elle le reconnut… Et sa voix mentale s'emplit immédiatement d'une sourde colère qu'elle projeta tout autour d'elle:

"- Est-ce de la peur que je ressens ? Qu'est-ce qui ose terroriser mon fils si tôt après sa venue au monde ? Et toi, n'as-tu pas hérité de plus de courage ?" Mais tout en affirmant ces derniers mots, elle lui offrait une ébauche d'étreinte mentale. Un encouragement, pour le moment. Qu'il se montre digne d'elle. Les fines pattes de la dragonne d'argent vinrent en douceur rejoindre le sol. Les bâtiments humains étaient trop étroits pour elle. Elle replia lentement, gracieusement, ses grandes ailes aux membranes écarlates. "Que l'on me montre mon enfant." Oui, elle pouvait se permettre ce ton. Elle le pouvait d'autant plus qu'elle avait confié son oeuf aux baptistrels afin qu'il soit en sécurité. S'ils venaient à faillir à ce devoir, elle ne pouvait que se montrer acide et rancunière, jusqu'à ce qu'ils se fassent pardonner.

Mais quelle étrange sensation. C’était tout nouveau pour Luna et si étrange pour elle, mais elle savait qu’elle ne pourrait plus jamais se passer de cette proximité avec ce petit être qui venait de voir le jour. Ils ne faisaient qu’un désormais. Ce fut à son tour d’être couverte d’amour et de percevoir ce que ressentait Alkhytis à son égard. C’était tout réciproque en tout cas. Une main vint caresser tendrement son dos tandis que la jeune femme lui transmettait sa joie d’être avec lui. Il n’existait pas de mot pour signifier à quel point elle l’aimait, qu’elle voulait apprendre à le connaître et qu’elle voulait partager sa vie avec lui.

Elle était également heureuse de partager ce moment avec son meilleur ami. Un sourire fendit ses lèvres et acquiesça d’un signe de tête, rassurée par les paroles de Dawan. Exceptionnelle à ses yeux? N’exagérait-il pas? Non, il était sincère en tout cas. N’importe qui d’autre aurait pu être jaloux du lien qui venait de se créer, mais pas lui. Il n’était pas comme ça et jamais il ne voudrait faire de tort à Alkhytis. C’était une certitude que Luna embrassait. Intérieurement, l’humaine espérait qu’ils s’entendraient bien tous les deux.

La faim? Qu’est-ce que la faim venait faire là? Luna ne comprit pas que cette émotion venait de son lié et la confusion se fit dans son esprit au moment même qu’Alkhytis mordait Dawan pour vérifier si ça mangeait. Elle ouvrit grands les yeux face à ce geste. La panique et l’inquiétude la gagna. L’elfe était-il blessé? Elle n’aimait pas la vision du liquide écarlate recouvrant la main du chanteur et encore moins la scène qui suivit.

La jeune femme sentit son lié trembler contre elle et se battre contre ses bras pour se détacher d’elle. La détresse qu’elle ressentit lui fendit le cœur et le vit sauter sur le sol, loin d’elle. Or, il était là à quelques centimètres d’elle, mais elle avait l’impression que la distance était infinie. Elle ne le ressentait plus et fut terrorisée à l’idée de le perdre. Aussitôt, l’idée de se relever pour rattraper son dragonnet avait germé dans son esprit. Elle n’eut pas le temps de bouger, car déjà Alkhytis sautait dans ses bras qu’elle avait grandement ouverts pour le réceptionner. Elle le serra fort et vint poser un baiser sur son front cuivré. Luna avait fermé ses yeux tandis que ses sentiments guidaient ses pensées:
« Mon cher Alkhytis, je t’aime plus que tout au monde et rien ne viendra jamais changer cela. J’ai peur de ce que le monde nous réservera, mais nous serons deux pour l’affronter et à tes côtés, j’ai l’impression que l’impossible n’existe pas. Ne me quitte pas, jamais, je ne saurais vivre sans toi. »

Relevant les paupières, elle couvrit Dawan d’azur et lui fit un sourire désolé.

- Alkhytis ne savait pas qui tu étais. Tout est nouveau pour lui. Il n’a pas voulu mal faire, Dawan. Ne lui en veut pas, d’accord? Demanda-t-elle doucement. Désolée pour ta main. Elle n’est pas trop blessée? Ça va aller? Ça se soigne? S’enquit-elle.

Une pointe craintive s’était logée dans sa voix. À quel point les dents du cuivré étaient perçantes et coupantes? Heureusement qu’il n’était qu’un jeune dragonnet, car l’elfe n’aurait peut-être plus de main à l’heure actuelle sinon. Par chance ça pouvait repousser, mais parlant avec expérience, il valait mieux éviter de devoir passer par un tel processus.

Ses bras resserrèrent davantage le petit être que la princesse des lumières tenait lorsqu’une dragonne argentée fit son apparition. L’océan s’était fixé sur Trissi, dragonne qu’elle avait déjà rencontrée auparavant, mais qu’elle connaissait que très peu également. La surprise de la voir se dissipa, comprenant qu’il soit normal qu’une mère voulait rencontrer son enfant et peut-être même la dragonnière à laquelle il s’était liée. Luna était toutefois anxieuse. Qu’arriverait-il si elle pensait qu’elle n’était pas digne d’Alkhytis?

- L’inconnu est une notion terrifiante. Répondit-elle.

Attrapant le dragonnet dans ses bras, la jeune femme se releva et s’approcha de la dragonne. Elle s’arrêta à une courte distance d’elle et se demanda si elle n’était pas mieux de déposer Alkhytis au sol pour qu’il se rapproche lui-même de sa mère. Toutefois, l’idée d’être séparée ne serait-ce qu’un court moment la rebutait déjà. Pour l’instant, il resterait dans ses bras. Toutefois, si c’était le désir du cuivré, elle le laisserait faire.

- Bonjour Trissi. Prononça-t-elle doucement.

Luna ne savait pas trop quoi dire et s’était arrêtée sur des salutations.

La séparation qu'il avait désirée pendant un bref instant de panique avait été comme arracher lui-même son âme. Terrible expérience, ce court instant à peine vécu lui suffit bien assez pour qu'il se jette à nouveau dans les bras de celle qui était tout pour lui. Là seulement, il put à nouveau se sentir un peu mieux, le monde était comme un vide effrayant pour lequel il n'était pas encore tout à fait prêt et si un instinct de courage et de curiosité l'y tentaient légèrement, il l'avait refréné aussitôt. Déjà un peu plus aguerri de son lien, il comprit cette fois que les émotions troubles de Luna n'étaient ni colère, ni reproche, mais une surprise qu'elle lui avait communiquée entièrement, dans toute sa brutalité.
Leurs retrouvailles avaient été un moment de bonheur et d'amour infini, un sentiment commun qu'ils pouvaient partager sans frontières. Les mots qu'elle guidait jusqu'à lui n'avaient pas besoin d'être prononcés, il les entendait très bien, ils n'avaient pas besoin d'être imaginés, leurs émotions savaient s'exprimer d'elles-mêmes. Oubliant aussitôt ce douloureux moment, le petit bébé s'empressa de la rassurer comme il le pouvait. Bien sûr qu'il ne la quitterait pas, jamais, il voulait pour toujours rester à ses côtés et il l'aimait plus que, plus fort que tout.

Calmé et apaisé par ces messages d'amour, son attention se porta à nouveau sur l'être qu'il avait mordu et qui faisait naître en Luna bien de l'inquiétude. Il comprenait maintenant, ce n'était pas quelque chose à manger, c'était autre chose. Un autre chose qui ressemblait à sa Luna, mais pas tout à fait car il n'était rien comme elle. C'était une chose étrange en tout cas, mais sa Liée semblait l'aimer et ça lui suffisait pour l'instant. Alors il tendit à nouveau son museau dans sa direction, essayant de lui dire quelque chose qui ressemblait à un « je pense que je t'aime bien, moi aussi » déformé et grotesque tant il ne savait pas comment faire avec cet être dont l'esprit, à peine effleuré, lui semblait si loin. Peut-être même que son message n'arriverait jamais à destination et qu'il n'entendrait que le léger et innocent grognement qu'il avait lâché dans son effort.
Il allait rester ainsi, immobile à attendre de voir l'effet de sa piètre communication, quand une présence s'imposa à lui, terriblement plus forte et planante, comme si elle venait pour l'envelopper dans un grognement sourd.

Le dragonnet se tourna aussitôt dans sa direction et ouvrit grand ses yeux pour observer ce qu'il voyait. Il était quelque peu déconcerté par la situation, mais curieusement ne ressentit pas de peur, comme s'il savait qu'on ne venait pas ici comme une menace. Son esprit réussit facilement à toucher celui du dragon qui se trouvait en face de lui et sans vraiment le comprendre, il sut tout de suite qui se trouvait devant lui. Un lien les unissait, il sentait qu'une partie de lui était comme elle et qu'elle, c'était sa mère, Trissi.
Imposante dans ses mots comme dans sa stature, elle grava en lui une image impressionnante et à laquelle il eut tout de suite envie de ressembler. Quand certains auraient pu être effrayés, il se trouvait davantage inspiré et en un indicible instant, il grandit un peu. Non, il n'avait pas peur et il ne manquait pas non plus de courage, sa présence même, aussi imposante soit-elle, encourageait sa fierté de dragon.
Il se sentit heureux de la savoir à ses côtés, alors qu'elle s'érigeait comme un modèle et il avait l'envie irrépressible de communiquer avec elle pour lui dire qu'il n'était rien de ce qu'elle pensait tout de suite. Personne ici ne le terrorisait et s'il avait eu peur un bref instant, c'était simplement pour en connaître le goût, pour savoir, maintenant que ce sentiment s'était effacé, qu'il n'était pas de cette trempe-là. Pourtant, il ne dit rien, sachant profondément en lui que les mots ou les émotions ne seraient pas suffisants et qu'on pouvait y préférer les actes. Alors Alkhytis se tourna à nouveau vers sa Liée, frottant son visage contre elle tout en la rassurant, il allait s'éloigner un peu, mais elle n'avait pas de raison de s'inquiéter cette fois. Son esprit resterait toujours avec elle, maintenant qu'ils étaient liés, il ne la quitterait jamais, il serait toujours là pour l'envelopper de son amour brûlant, pour la rassurer ou l'encourager, quel que soit le moment.

Puis il se résolut à sauter de ses bras. La chute était haute et il trébucha à la réception, mais ses membres étaient souples et il n'eut pas vraiment mal. Un peu sonné, il secoua la tête pour se ressaisir et regarda à nouveau Luna pour s'assurer que tout allait bien de son côté. Une toute nouvelle volonté l'avait envahi et il se laissait guider par l'orgueil du dragon, avançant vers sa mère, avec toute l'assurance que l'on pouvait confier à un dragonnet qui marchait pour la première fois. Quand il se sentit assez proche d'elle, il s'arrêta et s'assit, levant son museau en direction du sien. Comme elle était grande ! Comme elle était belle avec ses écailles argentées qui étincelaient de toute part !
Il se tint alors bien droit, dressé vers elle et lui dit de sa manière encore enfantine à quel point il était fier et ravi d'être son fils, à quel point il était heureux de pouvoir la rencontrer, lui, Alkhytis.

Dawan avait eut tôt fait de rassurer Luna sur sa blessure d'un signe de main désinvolte. Ca irait sans souci, et sans soin. Il était même davantage de chances pour que l'elfe cherche à entretenir sa cicatrice, cette marque de la venue au monde d'Alkhytis, comme un moyen d'appeler à lui des forces quand l'espoir lui tournerait le dos. Il avait suivit son amie humaine, avait passé un bras autour de ses épaules pour lui offrir son courage alors qu'elle s'adressait à la dragonne d'argent. Puis il était resté muet, comme fasciné, ses grands yeux rivés sur les dragons.

Les saphirs de la dragonne mère avaient capturé, un instant, ceux de Luna. Un grondement rauque avait paru accompagner la lente respiration de cette immense créature. Elle s'apprêtait à prendre la parole de façon sans doute peu agréable, lorsqu'un mouvement l'interrompit. Elle vit le petit bout de cuivre se glisser à terre. Un regard à sa Liée, et il se tournait vers elle. Assis, fier, le museau dressé. Son tout petit esprit -mais toujours plus grand que celui des bipèdes- s'approcha du sien. Trissi redressa lentement la tête, silencieuse. Ce fut alors comme si tout le Domaine guettait sa réaction, et seul le bruit du vent dans les cimes enneigées troublait le silence. La main de Dawan raffermit doucement sa prise sur l'épaule de Luna.
L'argentée avait aimé ce qu'elle avait perçu. On eut dit le flot d'une vague d'eau encore pure, fraîche. Sans colère. D'une joie légère, comme elle n'en avait plus ressenti depuis que les aléas de ce monde avaient assombri son âme. Elle perçut à travers lui les temps nouveaux qui venaient. Il était le fils de son ventre et de celui de Cynoë, mais il était surtout le fils de la victoire des Protégés, de ceux qui croyaient en un avenir bercé de magie et de l'existence de tous les peuples, libres. Il était le premier dragon à naître sur ce continent en cette nouvelle ère de paix, et le long de ses écailles, un reflet jouait à imiter la couleur du ciel à l'aube, à dessiner des instants où il pourrait apprécier son indépendance, profiter de son existence en se satisfaisant du sentiment de n'avoir personne au-dessus de lui.

"- Alkhytis..."

La flamme nouvelle, prête à brûler. Il ne restait plus qu'à lui offrir ce qu'elle devait consumer. D'un toucher d'esprit plus doux, mais incroyablement brûlant et fort, elle lui apporta les espoirs qu'elle mettait en lui, et la joie profonde qu'elle avait à le voir ainsi devant elle. Baissant la tête, lentement, elle approcha le bout de son nez du petit, souffla doucement sur son visage, avant de frotter son bout de museau à lui. Ce faisant, elle lui transmettait, veillant à rester audible à ceux qui les entouraient, de plus pragmatiques paroles:

"- L'inconnu n'est pas terrifiant. L'inconnu est ce que ce monde a de mieux à t'offrir. S'il te le refuse, il faudra l'arracher de tes crocs, pour que toujours tu puisses découvrir. C'est ainsi que grandissent les dragons." Etrangement, ç'avait été dit d'un ton vide de reproches, plus proche d'un enseignement empreint d'orgueil. Pour lui seul, elle ajouta: "Ne crains rien, car tu n'as rien à craindre. Tu es déjà suffisamment fort pour affronter les dangers qui pourraient peser sur ta petite silhouette. Si tu les crains, tu ne pourras aller au-devant des découvertes qui te forgeront." C'était bien plus affectueux, et surtout... Confiant. Elle voulait lui montrer la confiance qu'elle avait en lui, pour que lui aussi se fasse confiance.

Remuant la tête pour mieux le voir, elle constata alors ce détail qui jusqu'alors lui avait échappé, peut-être par un jeu de reniement de son propre esprit. Son aile... Par le Dracos. Comment son petit pouvait-il avoir hérité de... Ceci ? Cynoë était un mâle de bonne constitution. Elle, elle était la reine des airs. Un instant, l'idée vint à Trissi de renier ce demi-dragon malformé. Elle chassa bien vite cette suggestion. Ce qu'elle avait perçu de lui suffisait à lui faire comprendre que cette blessure à l'orgueil n'était qu'une façade. Alkhytis lui donnerait bien des raisons d'être fière de lui. Il ne pouvait en être autrement: avec ou sans cette aile atrophiée, il restait son petit, avec toutes les qualités que cela impliquait.
Trissi crut saisir que ledit petit avait perçu son regard appuyé sur son aile. Son esprit se fit plus dur:

"N'aies jamais honte de toi. Tu trouveras ta propre façon de t'élever." Ce faisant, elle l'attrapa du bout du museau, au niveau de la jonction entre cou et corps, comme un petit chaton, pour le poser sur le haut de la tête de Luna.

Une petite voix s'insinua, presque timide, dans la conversation. "Les Cawrs devraient pouvoir modifier son aile." Sentant que l'attention était venue sur lui, le jeune Cawr détourna savamment le regard vers la forêt, par-delà les dragons qui lui faisaient face. Il parut ainsi s'adresser au vide, l'air lointain, comme vivant dans son propre monde. "Nous le pourrions sans doute. Mais... Notre philosophie ne nous encourage pas à cela. Il vaudrait peut-être mieux, d'abord... Qu'Alkhytis prenne son temps. Qu'il réfléchisse, qu'il apprivoise ce corps neuf qui est le sien. Nous y réfléchirons alors plus tard, si l'envie lui vient et demeure."

Rempli de cette nouvelle assurance, de cette volonté de vouloir braver l'inconnu et l'obscurité pour atteindre ce qui lui était cher, Alkhytis avait dressé sa tête en direction de sa mère et ne l'avait pas quittée des yeux en attendant sa réaction. Il ne tremblait plus depuis longtemps et pour l'une des rares fois qui lui seraient données, parvint à se tenir tranquille, immobile, tout captivité qu'il était par l'Argenté étincelante. Dragonne mère, Trissi, son nom avait une certaine chaleur qui réchauffait son cœur et faisait trembler son âme. Le dialogue ouvert, il put ressentir cette joie qu'elle avait pour lui, ce sentiment agréable, ils pouvaient le partager en toute réciprocité.
Son nom prononcé ainsi le gonfla d'orgueil, dans la voix de Luna, il était amour, dans la sienne la fierté d'une dragonne, ce sentiment qui ne cesserait jamais de croître en lui. En la regardant ainsi, et sans trop le comprendre, il pouvait graver en lui une image de ce qu'il pourrait être plus tard, quand il aurait assez grandi pour s'élever au-dessus des bipèdes.

Sa voix résonna à nouveau en lui, pleine de conseils et d'assurance, tissant solidement en lui cette confiance qui avait failli se dérober à lui et qu'il se jurait déjà de ne plus jamais perdre. L'inconnu était un mot bien étrange, mais il lui plaisait, il en aimait la sonorité et avait déjà envie d'en redemander un peu. Les découvertes, aussi terrifiantes puissent-elles être parfois, lui avaient permis de se trouver ici et de rencontrer sa Luna. Sans cette curiosité naturelle, ce besoin de voir de nouvelles choses, il n'aurait jamais su percer sa coquille et se plonger dans ses bras avec un bonheur infini. Oui, les découvertes lui apportaient toutes sortes de choses et d'expériences, et il en voulait encore.
C'était pour cela que lorsqu'elle avait baissé sa tête vers lui, il n'avait pas hésité à s'avancer et à se tenir en équilibre sur ses pattes arrières pour aller à la rencontre de son museau. Il avait aimé son souffle chaud sur ses écailles et ce contact qui semblait avoir rapproché son esprit du sien. Ce léger frottement, c'était comme une douce caresse où elle lui communiquait son amour de dragon.

Puis il s'était rassi, gardant ses yeux grands ouverts pour capter dans son regard toute son attitude, cette prestance incroyable qu'il essayerait d'imiter sans doute un jour. Mais son regard s'était fixé sur quelque chose derrière lui et, curieux, il tourna la tête pour voir ce dont il s'agissait, agitant consciemment ses petites ailes pour la première fois. Était-ce ça qui captait toute son attention ?
Il se retourna quand elle s'adressa à nouveau à lui. Honte ? S’élever ? Il ne comprenait pas encore ces mots, ne pouvait encore y associer qu'une vague intuition offerte par la mémoire des siens, encore trop lointaine et mystérieuse pour qu'il la saisisse, n'ayant jamais connu de lui-même ces choses dont elle lui parlait. Il pencha alors sa petite tête sur le côté, comme si ça allait l'aider à comprendre un peu mieux.

Sans discuter davantage, Trissi revint à nouveau vers lui et l'attrapa cette fois au niveau du cou. Il se sentit s'élever et agita légèrement ses ailes par pur instinct, comme pour retrouver son équilibre perdu. Était-ce ça dont elle venait de lui parler ? Son premier vol assisté l'emporta jusqu'à la tête de sa douce Liée et il s'y posa sans encombre, serrant légèrement ses petites griffes pour s'accrocher, tout en veillant à ne pas lui faire de mal. Mais contrairement à Dawan, il sentait la moindre de ses émotions et pouvait facilement s'y adapter, à la moindre erreur, se corriger aussitôt.
Les yeux brillants, il se mit à regarder tout autour de lui, saisit la pièce dans laquelle il se trouvait, ces œufs dont il avait partagé la compagnie et la chaleur ces derniers jours et le sien, brisé en morceaux, dont il s'était libéré avec tant de joie. Tout à coup, le monde était devenu plus vaste et il adorait ça. Sa tête vint même à se poser sur le front de Luna pour contempler le sol, puis se frotter doucement contre elle, comme il l'avait fait avec sa mère, lâchant un petit grognement de plaisir.

Il n'écoutait plus ce qu'ils racontaient, leurs mots étaient devenus trop compliqués et il ne comprenait pas le sens de leurs phrases, ni de quoi le petit être chantant parlait à sa dragonne mère. Il ne réagit qu'en entendant son nom, réalisant alors qu'on parlait de lui, mais cela ne l'éclairait pas davantage.
Le petit dragonnet s'apprêtait à se renseigner auprès de sa Liée quand soudain, il fut faim. Très faim. Une faim dévorante.

Son cœur lui avait crié de retenir ce petit être dans ses bras et de ne pas le laisser s’éloigner. Cependant, Luna n’avait pas écouté cette voix et elle s’était résolue à voir Alkhytis descendre, non sans mal, pour aller rejoindre sa mère dragonne. Jamais elle n’avait ressenti telle émotion, d’être aussi déchirée par le fait d’être loin d’une personne qui lui était chère. Pourtant, l’océan fixait son lié qui était là, à quelques mètres d’elle, sans pouvoir s’en détacher. Sans lui, elle se sentait incomplète et elle se sentait si seule. Mais elle ne l’était pas et le bras de Dawan entourant ses épaules le lui rappela. En échange de son courage, elle lui offrit son plus beau sourire et vint attraper sa main avec les siennes.

La dragonnière devait laisser le dragonnet faire ses propres découvertes et vivre d’incroyables expériences. L’idée d’aller s’enfermer ensemble dans une grotte jusqu’à la fin des temps était saugrenue. Pourtant, cette idée lui avait traversé l’esprit tant elle s’inquiétait qu’on la sépare de sa moitié. Une grande respiration la calma et lui fit réaliser à quel point elle était idiote. La jeune femme ne devait pas être égoïste, pour le bien d’Alkhytis et du sien. Fermant les yeux et dessinant un doux sourire sur ses lèvres, elle chercha à travers le lien à donner une poussée d’encouragement au dragon de cuivre. Qu’il soit fier et courageux, qu’il avance vers Trissi et aille faire sa connaissance. Tout irait bien.

Son regard s’accrocha à l’argentée et silencieusement, elle observa leur échange. Elle n’avait pas à intervenir, c’était un moment pour Alkhytis et Trissi seulement. Elle n’avait rien à faire là-dedans. Du moins, c’est ce qu’elle pensait. Les paroles de la dragonne firent parcourir des frissons sur sa peau et elle acquiesça également d’un signe de tête, même si elles ne lui étaient pas directement destinées. C’est qu’elle avait tellement raison! Sa liée serait à ses côtés et il aurait tout son support pour affronter les obstacles qui se dresseraient sur son chemin. À eux deux, rien ne pourrait jamais les arrêter et l’impossible n’était pas un mot qui aurait du sens.

- Chaque chose en son temps. Murmura-t-elle doucement.

La conversation avait dévié sur l’aile atrophiée d’Alkhytis et c’est ce que Luna avait répondu. Qui sait si en grandissant, l’aile finirait par maturer? Pour l’instant, ce n’était pas quelque chose qui la gênait et ça ne semblait pas être le cas de son lié non plus. Néanmoins, il était rassurant de savoir qu’une solution s’offrait à eux si jamais ils en avaient le besoin.

Le cœur de la princesse des lumières s’agita lorsque la mère attrapa son fils par le cou. Il fut à nouveau apaisé lorsqu’Alkhytis devint fièrement son chapeau et Luna vint aussitôt le caresser. Elle l’aimait tant et le contact de sa main sur ses écailles cuivrées la réconfortait. Mais des plis se dessinèrent sur son front. Quelque chose n’allait pas. C’était Alkhytis. Qu’y avait-il? Elle ouvrit de grands yeux surpris, réalisant ce qui le dérangeait.

- Oh! Alkhytis! Prononça-t-elle d’une voix troublée. Tu as faim! S’exclama-t-elle.

Mais qu’est-ce que ça mangeait un dragon? Un peu de tout, certainement… N’y avait-il pas une certaine dragonne verte qui raffolait de citrons? Mais il fallait quelque chose de plus nourrissant, de la viande certainement! Y en avait-il au domaine? Probablement que leur menu était surtout végétarien.

- Allons chasser. On va te trouver de quoi à te mettre sous la dent, mon beau Alkhytis.

Luna ne le laisserait pas mourir de faim en tout cas! Elle lui offrit un sourire rassurant et une nouvelle caresse. Son regard s’accrocha à la dragonne argentée.

- Merci pour vos conseils, vénérable dragonne. Je vous jure qu’Alkhytis sera heureux à mes côtés. Je ferai tout ce qu’il faut pour lui et bien plus encore. dit-elle avec conviction.

La petite lune ignorait si Trissi l’aimait ou non, mais ça n’avait pas d’importance à ses yeux. Ce qui comptait portait le nom d’Alkhytis.

Trissi avait regardé d'un mauvais oeil le bipède mâle qui avait osé évoquer l'idée de corriger son fils. Quoi ? Il ne lui plaisait pas ? Alkhytis était parfait tel qu'il était. Aussi s'était-elle vite détournée de lui pour porter à nouveau son attention sur sa progéniture, sa création, celui qu'elle avait apporté à ce monde. Il comprendrait, un jour, ce qu'elle lui avait dit. Elle en était certaine. Quand bien même il oublierait, elle avait pour intention de rester vivante, être présente pour lui rappeler ces mots et le guider, comme elle avait promis de guider les enfants de Silarae. Mais en aurait-il seulement besoin ? Il savait remuer pour tenir sur la tête de sa Liée, il lui offrait un semblant de geste d'affection même dans cette position. "Adaptable", songea Trissi. Un trait typiquement humain. L'avait-il hérité d'elle, de Cynoë, ou de la proximité que ses deux parents entretenaient avec les humains ? La dragonne serra les crocs. Cynoë. Ce ne pouvait être que lui. Elle, elle jouait avec les humains sans jamais laisser son esprit s'abrutir à l'image du leur. S'ils ne voulaient pas, en quelques générations, se retrouver avec des humains dans des corps d'écailles, il allait falloir que les dragons s'appliquent davantage. Le regard bleu glace de Trissi s'accrocha à la Liée d'Alkhytis, dont l'esprit devait être ensauvagé, désormais, libéré de quelques liens que les humains s'étaient créés. Il fallait qu'elle cultive cela, ce gain du Lien, qu'elle tende à devenir dragon. Trissi veillerait sur elle, sur eux, pour que davantage d'ailes s'étendent dans les cieux.

Pour l'heure, il était bien trop tôt. L'aube de leurs vies n'avait qu'à peine montré ses premiers rayons de lumière. Ils s'approchaient tout juste. Trissi avait eu cette expérience, elle le savait: cette étreinte qu'ils pensaient échanger n'était qu'un toucher d'âme en comparaison à ce qu'ils pourraient éprouver avec le temps, se mêlant l'un à l'autre. Il était inutile d'aborder dès maintenant certains sujets, certains plans, quand le nouveau couple devait avoir en tête les considérations qui faisaient la base de leur existence: qu'allaient-ils faire, qu'allaient-ils devenir ? Pour Alkhytis, il s'agissait de découvrir et s'habituer à ce monde. Pour Luna, c'étaient ses plans de vie de misérable humaine qui venaient d'être balayés pour l'engager sur un chemin au-delà de sa condition, qu'elle n'aurait pu jusqu'alors qu'imaginer, sans vraiment le concevoir. Oui, il allait leur falloir un minimum de temps, pour qu'ils n'aient plus certains soucis en tête et soient tout à elle pour l'écouter…
L'humaine mit fin aux mots de son ami chanteur, Trissi en fut ravie. Pas qu'elle ne l'aimait pas, mais… Son ressenti à son égard était toujours mitigé. En revanche, cette humaine dorée lui commençait à lui plaire. Il était regrettable qu'elles ne se soient pas précédemment connues. La dragonne d'argent aurait pu d'ores et déjà pu savoir avec quel type de personne son tout-petit allait passer son existence, et comment corriger cette dernière. Etait-elle aussi fine d'esprit que les siens pouvaient l'être ? Quels étaient ses idéaux ? Sa magie était-elle puissante ? Jusqu'où était-elle prête à aller pour lui ? Trissi voulait la connaitre, la jauger, l'expérimenter… Et Alkhytis lui offrit une occasion en or.

Le petit elfe tendait timidement sa main vers Alkhytis, caressant plus ou moins consciemment les cheveux de Luna. La mine perdue, tendit que l'émerveillement logeait toujours en son coeur, il s'était jusqu'alors fait silencieux, offrant à Trissi le présent de pensée qui n'étaient point dérangée par sa voix aiguë. En revanche, il reprit la parole après que Luna l'ait remerciée, comme pour prévenir qu'elle et son Lié allaient partir seuls. Sa fine main de joueur de vièle s'était glissée sur le poignet de Luna.

"- Nous avons également de la viande, au Domaine, si…
- Laisse-les."

L'ordre avait fusé, coupant net Dawan dans son envie d'expliquer à Luna qu'ils ne manqueraient de rien, et comment s'approprier cette denrée qui en ces lieux était rare, mais soigneusement conservée pour les plus omnivores des baptistrels. Le petit Cawr s'était immédiatement immobilisé, sans regarder qui que ce soit dans les yeux. En son coeur, il avait la crainte d'avoir mal agi. Aux yeux de Trissi, c'était bien le cas. Son agacement était perceptible lorsque son esprit toucha les trois personnes présentes:

"- Mon fils et sa Liée ne seront pas de ces paresseux qui laissent la nourriture venir à eux. Ils sont des prédateurs, des chasseurs, avec les qualités que cela implique." L'orgueil. Elle avait redressé la tête, pour dominer les bipèdes de toute sa hauteur. Elle apprécia néanmoins de voir l'elfe se tourner vers elle pour mettre le genou à terre et s'excuser. Cela lui convenait. Elle ne lui en fit pas part néanmoins. "Alkhytis, et toi, Liée-dorée, grimpez donc sur mon dos. Nous partons chasser, plus loin." Envers eux, elle était plus douce, plus agréable. Elle avait s'était même allongée, pour permettre à Luna de se hisser sur elle. Sa fine tête se tournait vers l'horizon, songeant déjà à l'endroit qu'elle visait, aux divers moyens de tester un peu cette Liée. Dawan, lui, ayant compris qu'il n'était pas convié, s'était timidement écarté.

[HJ: Si vous voulez effectivement la suivre, n'hésitez pas à bien avancer, hein, limite jusqu'à la fin de la chasse si le coeur vous dit =D]

Chasser. Le petit être ignorait tout de ce que signifiait ce mot, il n'était pas né avec le langage des bipèdes dans sa tête et ce mot n'aurait pu n'en être qu'un parmi tant d'autres, héritier d'un sens certain, mais dont il ignorait encore tout. Pourtant, son instinct lui dictait qu'il aimait ce mot, sans vraiment savoir pourquoi ni pouvoir peindre une image précise devant ses yeux, il lui évoquait quelque chose d'important, quelque chose d'amusant et certainement complètement en relation avec sa faim, puisqu'il y avait fait directement suite.
Chasser. Ce mot lui plaisait. Et il lui tardait déjà de goûter à cette expérience inédite, alors qu'en lui commençait à bouillonner une impatience inépuisable. Cette excitation, cette envie, ce manque cruel de patience, ce seraient des choses auxquelles Luna allait bien vite devoir s'habituer, car elle les sentirait souvent flotter dans sa tête et elles lui permettraient de voir le petit dragonnet galoper d'un endroit à un autre, en quête de choses toujours nouvelles.

Alkhytis n'avait effectivement rien d'un paresseux, c'était peut-être même tout le contraire, car il ne tarissait jamais d'énergie et, à peine né, la faim grondant dans son ventre, il ne s'en sentait pas affaibli pour autant, puisant dans la vivacité de son jeune esprit toutes les forces dont il avait besoin. Écoutant sa mère sans tout comprendre ce qu'elle voulait lui expliquer, il était ravi d'y voir son approbation et n'avait que plus encore hâte de devenir ce chasseur, ce prédateur qu'elle espérait reconnaître en lui.
Alors il ne se fit pas prier plus longtemps, comprenant que sa mère serait le médian de cette nouvelle découverte, il bondit de la tête de Luna, cette fois de manière plus agile et plus assurée sans doute, aimant déjà cet instant où il ne se trouvait ni au sommet de quelque chose, ni sur la terre ferme, mais encore livré à l'air libre. Ce ne fut qu'un bref instant et il atterrit lestement au sol, sans dérapage ni couinement. Déjà, le petit être commençait à prendre possession de son corps, il s'habituait à sa taille et aux mouvements que ses membres lui permettaient de faire, qu'il s'agisse de ses pattes, de ses ailes ou de sa queue.

Une fois de plus, il couvrit la distance qui le séparait de sa mère, cette fois un peu plus rapidement et sans avoir besoin de faire appel à tout son courage. L'Argentée avait beau être imposante et avoir quelque chose d'impressionnant qui résonnait dans sa voix, comme un grondement, il désirait ardemment se faire une place à ses côtés et sentait bien que ce ne serait pas en jouant les timides et en attendant qu'elle fasse tout pour lui. La proposition même de grimper sur son dos ne se renouvellerait peut-être pas et une fois arrivé à la bonne distance, il mit toute sa force dans ses pattes arrières pour effectuer un nouveau bond et entamer son ascension jusqu'au sommet de sa mère. Trop petit encore, il dut user de ses griffes pour s'accrocher sur ses écailles et, bien déterminé, grimpa sans relâche le bout de pente qu'il lui rester à gravir.
Une fois arrivé sur son dos, il s'arrêta un petit instant pour observer le monde autour de lui, d'ici il avait plutôt un bon point de vue et il avait même l'opportunité de se balader un peu, l'endroit étant bien assez vaste pour cela. Pourtant, il avait largement préféré se trouver sur la tête de Luna. Bien sûr, il y avait le contact physique avec sa Liée dont il ne pouvait encore presque pas se passer, mais aussi cette sensation de se trouver au sommet. Alkhytis avait envie de la retrouver.

Plein d'enthousiasme, il se dirigea donc jusqu'à son long cou et s'affaira à remonter, s'aidant des écailles qui ressortaient du haut de son cou pour continuer encore et toujours son ascension. Certain que sa Liée n'était pas du tout loin de lui, il pouvait profiter pleinement de cette phase d'exploration, alors qu'il commençait à s'aventurer en plein inconnu, dans cette mer d'écailles étincelantes. C'est ainsi qu'il arriva jusqu'à sa tête et qu'y trônant fièrement, il put lancer à leur intention d'ardentes sensations qui ressemblaient à quelque chose comme :

« Allons chasser ! »

Luna ne s’était pas attendu du tout à se faire inviter à grimper sur le dos de Trissi pour aller chasser entre mère-fils et liée. La surprise la maintint sur place pendant quelques secondes tandis que la phrase se répétait dans son esprit. Son nouveau surnom « Liée-Dorée » lui arracha un sourire et la rassura à nouveau. Elle voulait faire une bonne impression auprès de la dragonne d’argent et par bonheur, jusqu’à présent, cela semblait réussi. En tout cas, la relation entre Trissi et Luna semblait être meilleure que celle entre Trissi et Dawan.

- C’est un grand honneur que vous me faites là et je vous en remercie. Prononça-t-elle respectueusement.

Hors de question de refuser cette proposition! C’était une opportunité qui ne s’offrirait pas deux fois à elle si elle déclinait. La jeune femme n’était pas la seule à être excitée à l’idée d’aller chasser et l’intérêt d’Alkhytis était palpable. Il était si mignon à voir et son enthousiasme était contagieux. En moins de quelques secondes, il était déjà accroché à sa mère.

- Ne perdons pas une seconde. Allons-y! Dit-elle d’une voix enjouée.

Mais s’approchant de l’Argentée, un air perplexe peignit les traits de son visage. Un peu plus et elle allait oublier qu’elle n’était qu’une malheureuse petite humaine et non pas un être écaillé. Contrairement à eux, Luna finirait frigorifiée si elle sortait ainsi à l’extérieur en plein hiver et elle deviendrait la première dragonnière de glace. Elle se tourna vers Dawan et lui fit un sourire gêné.

- S’il-te-plait Dawan, tu voudrais bien aller chercher ma cape? Je l’ai laissée dans ma chambre. Demanda-t-elle gentiment.

La princesse des lumières aurait pu aller la chercher elle-même, mais elle ne voulait pas se séparer davantage d’Alkhytis et elle ne voulait pas le séparer de sa mère non plus. Heureusement, elle pouvait toujours compter sur l’aide de son ami baptistrel.

Ne perdant pas de temps, la nouvelle dragonnière rejoignit Alkhytis sur le dos de Trissi. Quelques bonds plus tard, l’elfe revenait déjà et Luna attrapait la cape qu'elle attacha à son cou. Tout ce qu’elle avait sur elle était ses bottes, ses vêtements et maintenant sa cape. Ses armes lui aurait probablement été utiles pour chasser, mais tant pis, elle avait déjà fait perdre assez de temps comme ça à ses camarades de chasse. C’était un défi qu’elle n’avait pas peur de relever.

Passant tendrement sa main sur les écailles cuivrées du petit, elle lui transmit la joie que lui procurait de faire cette toute première activité avec lui. La soldate s’accrocha solidement lorsque Trissi battit des ailes et la peur de glisser la tint jusqu’à ce que ses pieds s’enfoncèrent finalement dans la neige. Nombre d’oiseaux s’envolèrent, paniqués de voir atterrir la grande dragonne, et plusieurs animaux suivirent leur exemple en s’enfuyant.

[Dawy? Ça te dérange pas le passage où j'ai PNJisé Dawan?
J'ai avancé un peu le RP jusqu'à la chasse, ça vous va?]

Une cape ! Innocente créature. Trissi la laissa faire, néanmoins. Certaines choses ne pouvaient être apprises par les conseils, et devaient être vécues. En l'occurrence, mieux valait apprendre dans ces conditions, où il n'en résulterait qu'un inconfort moyen, et non des dommages physiques.
Elle attendit qu'Alkhytis ait trouvé une place plus sage, sur son dos, auprès de Luna. Lorsqu'elle sentit que ses deux cavaliers étaient prêts, la dragonne d'argent décolla. Elle avait de la chance, la princesse des lumières, d'avoir pour instructrice une dragonne aussi habile en vol. Son décollage était tout de grâce et de douceur, tant pour elle, qui glissait dans les airs comme si elle était de la même composition, que pour son environnement, qui subissait quelques poussées d'ailes mesurées plutôt que de chaotiques tourbillons, que pour ses cavaliers, qui n'avaient à supporter qu'un mouvement fluide, lent, et sans à-coups. La vitesse vint peu à peu. Pour Trissi, c'était une vitesse de croisière, ni rapide ni traînante. Le but n'était pas tant d'impressionner Luna par ses propres capacités, ce jour-là. Elle visait plutôt à lui faire apprécier les dragons pour leur seule nature, pour qu'elles et Alkhytis tournent toujours leurs regards vers le ciel, et non vers le sol. Silarae l'aurait dit: on ne cueillait pas les victoires en mangeant de la terre. Avec ou sans aile atrophiée, ils devaient savoir ce qu'ils valaient, et viser toujours au-delà.
Outre cela, Luna allait bénéficier d'une leçon très pragmatique: le froid. Dans les airs, pour les bipèdes, il était bien plus prenant que sur la terre. Plus fort, plus violent aussi, par le vent qui s'écoulait autour d'eux. Elle allait avoir froid, elle allait désirer le retour à la terre pour cela. Elle n'oublierait pas.

Pour que le vol reste un plaisir, Trissi ne fit pas durer le voyage plus que nécessaire. Elle oublia assez tôt le seul plaisir d'évoluer en ce milieu, et se laisser planer sur les courants d'air froid, pour s'attacher à dégotter une proie. Lorsque ce fut fait, elle se glissa entre les arbres, veillant à n'y point blesser ses ailes, pour atterrir en douceur sur la neige, où elle s'allongea pour laisser à Luna et son petit le soin de descendre.

"- Un lapin. Voilà ce que sera ton premier repas, Alkhytis. Il est parti par là."

Du menton, elle désigna l'Est, où les pins et autres conifères semblaient s'aligner sans fin, ombres filiformes sur une toile blanche, en apparence paisible

"- Je vais veiller à ce qu'il ne s'écarte pas trop de vous. Cette chasse devrait être facile, pour des Liés. Même désarmée, tu ne seras pas inutile à ton dragon, Liée-dorée."

"Ton dragon", elle l'avait prononcé avec une pointe de sentiment de supériorité. C'était plus fort qu'elle: les dragons étaient au-dessus de tout. Mais plus important que ce sentiment, elle leur transmit une sorte de schéma mental, leur indiqua que si le lapin allait trop loin, elle saurait, d'un vol, d'un bond, ou d'une flamme, le faire repartir dans l'autre sens. De ce réflexe de leur proie, ils allaient devoir jouer. Ils devraient néanmoins le deviner par eux-mêmes: pas question de leur donner la solution du jeu ! Du moins, pas s'ils ne galéraient pas suffisamment avant. Trissi faisaient néanmoins confiance à Alkhytis. Elle était certaine que ce petit allait justement en profiter pour démontrer sa valeur: celle qu'il avait héritée d'elle.

Perché sur la tête de l'imposante Argentée, le nouveau-né se sentit empli d'une fierté sans limite alors que l'air frais glissait doucement sur son petit museau. Déjà d'ici, la vue lui paraissait bien meilleure et il commençait à percevoir le monde autrement. Avec prudence, il se pencha un peu pour frotter son nez contre la tête de sa mère, ravi de ce voyage qu'elle leur proposait, puis il comprit que ce n'était peut-être pas la position idéale pour voler, pas pour le moment en tout cas et, sagement, il se laissa glisser le long de son cou pour buter contre Luna. Légèrement déstabilisé, il se redressa et secoua doucement la tête.
Sa Liée l'attrapa d'un bras pour être sûre qu'il ne risque pas de tomber tandis qu'il s'accrochait aux écailles avec ses petites griffes et la Superbe déploya ses ailes. D'un simple effort, les membranes les propulsèrent dans les ailes et ils se mirent à monter de plus en plus haut jusqu'à ce qu'ils atteignent une hauteur suffisante pour planer sans gène.

Alkhytis se souviendrait probablement pour toujours de ce premier vol. Ce n'était peut-être pas le sien, mais il en goûtait déjà les sensations délicieuses qui en découlaient. Les yeux grands ouverts et son esprit tout de joie, il adora sentir le vent froid s'infiltrer entre ses écailles, épousant son corps. Il ne pouvait pas avoir le vertige : d'ici le monde était devenu plus petit et lui plus grand, comme s'il embrasait toute cette terre lointaine et qu'il en devenait presque le maître.
Il comprenait déjà que le vol de sa mère était maîtrisé et qu'elle faisait ici ce qu'elle voulait ; c'était l'ultime liberté. Il aurait voulu qu'ils se laissent emporter par tant et tant de pirouettes et de cabrioles dans les airs, mais il fallait sans doute rester un peu plus tranquille. Si pour lui ce premier vol était comme un instinct qui se réveillait, comme quelque chose qu'il avait toujours eu au fond de lui, ce n'était peut-être pas le cas de sa Liée, mais il n'était pas sûr de percevoir en elle de l'inquiétude ou du plaisir, tant ses émotions virevoltaient et brouillaient une certaine forme de compréhension dans son esprit. Alors il se serra contre Luna, inondant inconsciemment sa Liée de ses émotions fortes.

Pourtant, le voyage lui sembla terriblement court, comme s'ils s'étaient à peine élevés pour tout de suite redescendre. Il en avait presque oublié sa faim et aurait aimé qu'ils restent un peu plus dans le ciel, mais l'esprit de sa mère était inébranlable. L'atterrissage, bien que fait tout en douceur le surprit un peu et il resta un petit moment encore sur son dos, se penchant à peine pour regarder à nouveau la terre ferme.
Le sol était revenu à lui et l'attendait, comme s'il ne s'était jamais élevé tout là-haut et qu'il y était intimement borné. Mais s'il sauta pour redescendre, il leva ses yeux vers le ciel. Un jour, lui aussi saurait fendre ces vastes horizons bleus et il survolerait toute cette terre avec la même étonnante facilité. Sa tête se tourna vers ses petites ailes qu'il essayait d'agiter dans un esprit d'imitation. Mais il ne savait pas encore capter l'air sous ses membranes et en faire sa force.

Puis, écoutant les paroles de sa mère, son attention se redirigea sur le monde alentour. Un lapin, c'était cette petite créature qui s'était mise immédiatement à détaler en leur présence et qui s'était faufilée entre ces arbres qui s'étaient rassemblés les uns autour des autres. La faim vrombit une nouvelle fois dans son ventre vide et il ne se fit pas prier pour s'élancer à sa poursuite. Mais le petit animal avait déjà pris de l'avance et par instinct de survie, se révélait plutôt malin.
Comme il était impossible de simplement lui courir après, Alkhytis s'arrêta silencieux, à l'écoute des bruits environnants et de l'odeur de son dîner. Il savait sa Liée non loin de lui et se sentait assuré en sa présence, alors il n'hésitait jamais à bondir de-ci de-là, dès qu'il pensait pouvoir attraper la petite bête, pourtant, il échoua à chaque fois.

Cette course-poursuite était follement amusante pour le petit dragonnet qui était fort étonné de tous les bonds que faisait le lapin, sans pour autant qu'il ne cherche à faire durer le plaisir. Il n'y en avait d'ailleurs plus pour longtemps, car si la proie commençait à se fatiguer, c'était encore loin d'être le cas pour ses chasseurs...

♥ ♥ ♥ ♥ ♥

Tu es mon petit trésor
À tes côtés est mon cœur
Car j'aime te câliner
Mon amour adoré

C’est ce que les lèvres de Luna auraient chanté pour Alkhytis si elle n’avait pas été déconcentrée par l’immensité du ciel azuré et de la terre disparaissant au loin pour la transformer en un vague manteau blanc. C’était effroyablement… excitant! Ce vent ébouriffant sa chevelure blonde et caressant doucement, quelque peu froidement, sa peau. Elle frissonna, autant par l’air glacial qui s’engouffrait dans sa cape (heureusement qu’elle était enchantée pour bien protéger de la température!), que par ce point qui la tiraillait dans sa poitrine à la simple idée que le vide pourrait l’engloutir, si tel était le désir de Trissi. Mais l’excitation et l’émerveillement étaient bien plus puissants que les craintes qui pouvaient assaillir la jeune femme.

Bizou Bizou Bizou Bizou!
Tu es mon petit Alkhy
Tu es mon dragonnet que je garde avec moi

Ses bras vinrent entourer la petite boule écaillée et elle vint la loger là où elle aimait l’avoir, c’est-à-dire collée à elle. C’était le premier vol pour Alkhytis. Il devait adorer la sensation, n’est-ce pas? Elle était certaine que si. Comment ne pas apprécier ce sentiment de liberté? Même si c’était la troisième fois qu’elle nageait parmi les nuages, cette extase ne s’éteignait pas pour Luna. Un jour, le dragon et sa dragonnière vivrait ce moment en tête à tête. Ce n’était pas cette petite aile déformée qui allait briser ce rêve.

- Alkhytis et moi, nous formons une équipe!

Que la chasse commence! Déjà au sol, il n’y avait pas de temps à perdre. Si les gens croyaient que Luna avait besoin d’armes pour se débrouiller, ils se trompaient. Toutefois, Trissi ne semblait pas sous-estimer ses capacités. Elle était une humaine débrouillarde. Mieux! Elle était la liée de son enfant.




Elle avait laissé l’éclat scintillant s’élancer vers le lapin. Pauvre de lui, ce n’était pas des câlins qui lui étaient réservés. Il fallait bien qu’on remplisse ce petit estomac qui criait famine! La princesse des lumières regarda sa technique avec amusement. C’était un jeu et elle allait maintenant entrer dans la partie!

- Il est à toi, Alkhychou!

Non, ce n’est pas une boule de feu qu’elle allait balancer à la malheureusement créature pour la faire cuire prématurément. Elle n’allait pas non plus le transpercer d’une flèche magique ou d’un javelot de glace. Ça briserait la fête, non? Elle pouvait le faire figer sur place pour que son ami l’attrape ou le faire mouvoir dans sa direction par un peu de télékinésie. Tant de choix qui s’offraient à elle… Et pourtant, elle opta plutôt de ne jamais toucher à la boule bondissante. C’était à Alkhytis de l’attraper et de connaître la fierté d’avoir capturé sa première proie.

Donc, tout ce que Luna fit fut de suivre le parcours du lapin et de lui bloquer le chemin lorsqu’il venait à s’éloigner trop. Un simple bond magique suffisait pour l’empêcher de poursuivre son parcours et le faire rebrousser de chemin. Quelques bonds magiques plus tard, c’était un Alkhytis qui bondissait à son tour sur son lapin pour le transformer en succulent repas.

Mission accomplie!

Maman dragonne était-elle fière de son filston?

Liée-dorée l’était en tout cas.