Le soleil brillait dans le ciel de la ville dépravée. Autrefois, ce temps était synonyme de sorties : grandes cavalcades dans les prairies chaudes, laissant les insectes s'envoler devant les sabots des chevaux heureux de retrouver une certaine liberté. Le loisirs de voir voler dans le ciel, ses deux faucons et les voir fondre sur des petits lapins et les lui ramener afin de les offrir à la cuisine pour un repas autour de cette maigre chasse. Le bonheur d'un repas avec les cuisinières qui lui racontaient les dernières petites histoires de la cour. Des moments simples bercés par le soleil et la vie simple du palais. Mais aujourd'hui, même les rayons du soleil semblaient sombres et ne berçaient plus de leur lueur le palais. Non, ils l’assommaient un peu plus, soulignant encore plus les changement que Vraorg avait apporté à la ville autrefois magnifique.

Esmelda Kohan revenait d'une de ses missions dans l'orphelinat qui servait de dispensaire. De nouveaux arrivants, de nouvelles histoires à fendre le cœur de l'ancienne princesse des Hommes. De nouveaux drames. Un enfant était mort dans ses bras, sous les cris et les larmes de sa mère. Esmelda avait été incapable de le soigner, il était déjà trop tard quand lui et sa famille réussirent à parvenir au dispensaire. Ils avaient fuit un village déjà bien éprouver par la misère que leur imposait le nouveau régime, mais des dissidents qui semblaient s'y cacher. Le village fut retourné et les maisons brûlées afin de retrouver les courageux de dire tout haut ce que beaucoup pense tout bas. Bien plus courageux qu'elle. Et elle, princesse rebelle, capable de soigner les pires maladies, même pas capable de redonner son souffle à cet enfant qui n'avait rien demandé. Un sentiment de honte, de colère, de désespoir lui sautèrent à la gorge pour l'enserrer dans un étranglement sourd. Mais elle n'avait rien pu faire. Et ce sont les mains tremblantes qu'elle avait quitté le lieux, encadré par deux hommes en armes. Des sombres lames qui ne disaient mot lors de leurs déplacements. Se sentaient-ils concernés ou bien la prenaient-ils, comme beaucoup, pour une douce et naïve idéaliste vivant dans un monde qui n'existe plus, qu'elle devrait se contenter de ce qu'elle a, de celui qu'on lui avait octroyé comme compagnon de vie et cesser de vivre avec la bassesse du peuple. Après tout, elle avait la chance de vivre auprès d'un vampire craint mais respecté par le maître à penser et à faire de leur nouvelle vie. Mais comment se satisfaire de cette vie. Même tout le luxe, les privilèges, l'argent et le pouvoir ne pourraient donner à la jeune femme le loisir de vivre dans une vie pleinement bâtit sur des faux semblant. Non, Esmelda ne se complairait jamais dans cette vie.

L'ancienne princesse laissa les gardes reprendre une autre occupation, dont celle de décrire à Kylian les faits et gestes de la princesse, même s'il ne le demandait pas. Ne se dirigeant pas vers ses appartements et s'enfermer encore, la jeune femme avait besoin de s'aérer, de se sentir en vie après avoir vu la mort devant ses yeux. Esmelda appela d'un doux songe son lié pour qu'ils puissent se retrouver et partager un temps si rare mais si précieux.

En trois ans, CynoË avait bien grandit. Il était devenu un beau dragon fin et racé. Leur lien s'était développé et renforcé avec les épreuves, et il était bien loin le temps où la jeune dragonnière s'inquiétait de l'évolution de son nouvel ami. Non, maintenant, Esmelda s'angoissait pour ce que Vraorg lui imposait. Emprisonné, mais libre, il n'y avait rien de pire. Aurait-elle dû plier ou bien rejoindre la Mort avec Cynoë mais être libre, ou bien subir ? La question ne se posait plus, elle avait choisit la lâcheté.

Son lié la rejoignit quelques temps après dans l'un des parcs du palais. Autrefois riche et chatoyant il n'était aujourd'hui que roches et plantes sachant survivre à une atmosphère lourde et pesante. La plante verte de Vraorg s'approcha de son lié en posant une main douce et délicate sur les écailles chaude de la noble créature.

« -Emmènes moi loin d'ici, haut si haut là haut que nous aurons l'impression d'être seul au monde. Je veux être loin d'ici, loin de cette misère et de ce monde, loin de tous. Je les hais Cynoë, je les hais autant que je t'aime. »

La jeune femme s'accrocha à son lié pour prendre place sur son dos et le laisser prendre de la hauteur.

Cynoë ne mit guère de temps pour répondre à l'appel de sa liée. Il n'était jamais bien loin pour elle. Un seul songe et il avait capté toutes les brides de son désir de le voir. Il n'avait eu qu'à étendre ses ailes immenses pour prendre la voie des airs d'une impulsion et la rejoindre là où elle l'attendait déjà. Nul besoin de mots, nul besoin de cris. Juste l'expression qui vibrait entre eux et le Lien qui les unissait. Et dans son appel, il avait senti autre chose dans l'esprit de sa liée. Il savait le trouble qui hantait son être, les émotions qui troublaient son âme. En ces temps difficiles sous le règne de Vraog, comment pouvait-elle être heureuse ? La joie qui débordait dans son coeur et la passion qui l'animait s'étaient perdues à chaque jour, chaque mois et chaque année qui s'étaient écoulés.

Il s'était posé avec souplesse et grâce sur le pavé du parc. La poussière s'était levée à son atterrissage, s'envolant en des brides venteuses qui emportaient les derniers fragments d'un passé récent. Sa liée était là qui l'attendait. Il lui exprima par la pensée sa joie profonde de la voir. Toujours. Une douce chaleur fraternelle montait à travers leur lien quand sa main à la peau fine et soyeuse se posa sur ses écailles plus rugueuses au toucher. Puis sa belle liée exprima son ressenti, mêlant chagrin et haine. L'Améthyste avait commencé à se baisser tout en amenant un orbe à la forte couleur ambré au niveau du regard de sa liée.

°Pour toi ma liée, j'irai jusqu'au plus haut des cieux pour te faire oublier ce monde où tu n'arrives plus à t'épanouir. Oui volons toi et moi et ne pensons à rien d'autre...°

Il avait tendu son antérieur pour que la gracieuse princesse puisse l'escalader et atteindre le haut de ses épaules. En mettant ainsi son membre avant en ''escalier'', il aidait sa liée à le gravir. Une fois qu'il sentit sa liée prendre place sur son dos, toujours par le lien, il la savait prête. Ses ailes s'ouvrirent et il déploya toute la force des muscles qui les soutenaient pour décoller du sol. D'ordinaire, il se propulsait avec l'aide de ses postérieurs. En compagnie de sa liée, il prenait la voie des airs en souplesse et en douceur, pour assurer tout le meilleur confort pour Esmelda. Quand ses griffes quittèrent le sol, il battit plus puissamment ses membres alaires pour prendre de l'altitude.

Seconde après seconde, le sol s'éloignait d'eux. Le brouhaha d'une ville de la taille de Gloria s'étouffait lentement au dur et à mesure qu'ils montaient dans le ciel. Bientôt, ce ne fut plus que le silence et le passage de l'air à leurs oreilles, un air frais et glaciale, mais qui étrangement plaisait à Cynoë. Là, il goûtait une réalité tout autre, loin de la morosité de Gloria et de ce qu'elle arrivait à déteindre sur lui ou sa liée. Une fois à une bonne hauteur, il tendit tranquillement son corps à l'horizontale, planant par moment pour apprécier le silence céleste et l'offrir à sa liée. Le soleil brillait loin au-dessus d'eux, les réchauffant de ses pâles rayons. Quelques nuages blancs paressaient au même niveau qu'eux et il vira légèrement pour les rejoindre, les frôlant du bout de son aile. Il alla même jusqu'à y rapprocher assez pour que la légèreté vaporeuse ne soit que pour lui. Il partageait bon nombre de sensations avec sa liée, mais il veillait à lui offrir un contact plus physique ; quand cela était possible. Comme là. Et si cela pouvait contribuer à aider sa belle liée à penser à autre chose qu'à l'existence actuelle qu'elle menait...

Le grand dragon d'Améthyste savait qu'elle se raccrochait à des actions à valeurs humaines, autant pour soutenir son peuple que pour ne pas être une coquille vide. Avec Vraog qui tenait leurs deux vies entre ses griffes, il était difficile de savourer une existence normale. Même si Esmelda vivait toujours dans ses privilèges liées à son rang et qu'elle avait son amant vampirique. Non, une cage dorée ne pouvait pas offrir une belle existence. Même si elle ne l'avait jamais vraiment a voué à son liée, la princesse s'en voulait presque d'imposer ce genre d'existence à son lié. Cynoë était un dragon qui était fait pour être libre, pas à servi d'arme à la moindre volonté capricieuse de Vraog le Blanc. Par le lien, Cynoë percevait cette mélancolie fautive.

L'Améthyste était troublé de ça. Lui aussi s'était posé des questions. Pourquoi n'avait-il pas pris avec lui sa belle liée pour l'emmener au-delà de l'Empire pour qu'elle rejoigne les Esprits et les Protégés ? Pourquoi ne pas avoir fui ? Lui aussi se considérait parfois comme un lâche. Prenant tranquillement la voie du Sud, il guettait le bon moment pour rassurer sa liée, de la convaincre que des fois, même avec toute la volonté du monde, on ne pouvait pas avoir le choix... Un choix qu'ils n'avaient pas eu d'ailleurs tous deux. Au jour où leurs chemins les avaient menés à Vraog, une entrave leur avait été imposée d'office.

Un cri strident de rapace le tira de sa réflexion et il n'eut qu'à tendre un regard sur le côté pour voir un aigle plané non loin de lui et de sa belle liée. L'oiseau planait, royal et souverain de son royaume aérien. Une nouvelle fois, il poussa un nouveau cri, presque de défi envers Cynoë. Le dragon poussa un léger grondement pour lui répondre, avec juste le ton qui fallut pour ne pas l'effaroucher. Après tout, ce chasseur à plumes avait autant le droit d'être ici qu'eux.

L'aigle leur jeta un regard qui parut être toisant avant de prendre une autre direction. Cynoë aurait pu en rire si le moral de sa liée avait été meilleur. Et en plus, il voulait aborder le sujet qui lui rongeait le coeur.

°Ma liée. J'ai senti en toi des émotions profondes qui te dévorent petit à petit. Je les connaissais depuis plusieurs mois si ce n'était plus. Mais aujourd'hui, elles sont plus présentes en toi et elles ne doivent pas s'ancrer. Si elles s'enracinent, tu en souffriras encore plus. Je sais tout ce que tu éprouves... Mais sache que tout ce qui se passe pour moi n'est de ta faute. Et ne le saura jamais. Moi aussi j'ai eu dans le coeur des choix que j'aurai pu prendre...que je regrette peut-être encore maintenant de pas avoir suivi. Mais je ne regretterai jamais d'être avec toi et d'être à tes côtés. Pour que tu ne sois pas seule à affronter ces épreuves qui nous éprouves. °

Il garda un bref instant de silence. Puis il reprit, rajoutant des émotions chaleureuses pour sa liée.

°Même si tu la crois éteinte, il y encore en toi cette flamme de courage et de passion. Cette flamme est ténu, mais elle est là. Ta force est encore bien là. Tu t'y raccroches encore sans le savoir. Ne perds pas espoir, ma belle liée. °

Il partagea avec elle la splendeur qu'il apercevait de l'esprit de sa liée. Il était encore battant et vivant. Même la barrière de mélancolie que s'imposait sa liée ne suffisait pas à ternir cette pulsation qui brillait au fond d'elle.

°Le ciel est à nous, et rien qu'à nous.... Dis moi ce que tu désires et je le ferai, rien que pour toi et moi. Car ce qui te plait me plait. Nos coeurs battent à l'unisson, en nous, comme un seul°

Il espérait réussir à la sortir des brumes grises qui emplissaient son esprit et ses ressentis

« -Mais je me sens pourtant responsable Cynoë. Si j'avais choisis de fuir, si je n'avais pas été lâche et faible, peut être que nous n'en serions pas là. Peut être ne sentirais-tu pas cette peine qui coule dans mes veines et rejaillit dans ton esprit ?Peut être que toi aussi, tu ne ressentirais pas ce besoin de te justifier de tes actes et de tes mots face à moi ? Je n'espérai pas cela pour toi mon lié. Pas que tu sois un dragon manipulé par autre chose que le son du vent et de l'envie de voler toujours plus haut et loin. »

Quel début dans la vie ! Et quel échec de ne pas avoir su protéger son lié.

« -Quels choix aurais-tu voulu que nous fassions ? Mourir ou survivre. Même si je trouve la mort bien moins douloureuse, j'ai pourtant le sentiment que se serait injuste. Pour toi, pour ma famille et pour mon peuple qui attend l'espoir d'un meilleur. Et si je peux faire quelque chose, même minime, même dérisoire alors je le ferai, de mon mieux. »

Mais parfois, ce n'était pas assez. Elle ne faisait pas assez.

« -Je ne suis pas seule et pourtant j'ai l'impression que Vraorg a réussi a nous donné le sentiment que si. Je sais que beaucoup souffre comme moi, si ce n'est plus ou du moins différemment. Et je pense aussi que ces personnes se pensent seules. Alors qu'ensemble, nous serions un tout solide. »

Mais le malheur, le désespoir et la tristesse avaient bien souvent plus tendance à séparer les gens qu'à les rapprocher. Une chance pour Vraorg.
Mais oui, elle n'était pas la seule à souffrir. Elle avait son lié, elle avait son aimé qui lui même avait sa liée auprès de lui. Tous n'avaient pas cette chance, comme son sauveur aux cheveux d'argents.

« -L'espoir, je le perds quand je vois dans les yeux d'une mère le désespoir de perdre son enfant, quand je vois un mari perdre son aimée ou un jeune homme perdre une sœur, et que je ne peux rien faire pour panser leurs plaies. La vie m'a donné cette nouvelle possibilité de soigner, de guérir. Une ultime chance dans notre malheur, un don, une confiance, une main alliée que je déçois encore. »

L'ancienne princesse n'avait pas vraiment compris ce qui lui était arrivée quelques années plus tôt, quand la magie de ses sorts de soins allaient au delà de ses espérances. Elle n'avait jamais été une mauvaise guérisseuse, de plus l'apprentissage qu'elle avait eu auprès des elfes avait renforcé ses connaissances en la matière. Mais là c'était plus instantanée, presque comme logique, et cela même avec des blessures complexes qui demandaient une puissance magique qu'elle n'avait pas. Au départ prise au dépourvue, Esmelda apprit à s'en servir et à le contrôler à bon escient. Pour elle, cela ne pouvait qu'être le résultat de sa rencontre avec Vie, le tatouage qui ornait fièrement le bas de son dos et la confiance que devait avoir finalement cet Esprit malgré son échec dans la grotte du désespoir. Oui, la dragonnière espérait que se soit une marque de confiance, qu'il veillait encore un peu sur elle, sur eux. Et qu'il n'était pas déçu de son échec.

« -Vole haut très haut et laisse toi aussi aller au plaisir de voler en caracolant au gré des nuages. »

Esmelda lui envoya l'image de lui virevoltant dans le ciel, se laissant porter par le souffle de l'air et plonger pour mieux remonter. La jeune dragonnière n'avait plus peur de voler. Plus aujourd'hui, mais l'apprentissage fut long et laborieux. Mais son lié avait une telle maîtrise de son univers qu'elle se remettait à lui totalement et avait peu à peu appris à dompter sa peur du vide et du gigantesque, pour laisser place à l'émerveillement de la vue que lui offrait Cynoë.

°Ma liée, ne te crois pas la seule fautive. Ce que tu ressens, ce que tu crois avoir été incapable de faire, alors c'est valable pour moi. Je suis un lâche, car je n'ai pas eu l'audace de te prendre dans mes griffes et t'emmener loin de Gloria, loin de ces terres, pour te mener chez les Protégés dès les premiers jours. Je n'ai pas su prendre le courage qu'il aurait fallu pour te préserver de tout cela. Mais je ne voulais pas te voir souffrir d'être loin du peuple que tu soutiens de ta présence, de ton aide, malgré la déception que tu crois avoir en retour. Et quand nous avions commencé à nous connaître à partir du premier jour de mon éclosion, tu voulais ardemment être aux côtés de Kylian. Peut-être que j'ai été trop égoïste de croire que d'être à ses côtés t'aurait soulagé. °

Sa liée avait toujours aimé ce vampire. L'en éloigner aurait peut-être brisé son coeur. Comme le savoir après tout ? L'amour que les bipèdes exprimaient entre eux pouvait avoir un lien puissant et était si complexe que même Cynoë peinait à le comprendre. L'amour qu'il exprimait lui pour sa belle princesse était d'une autre nature.

°Même si tu penses que c'est vain, tu continues, tu vois le bien que tu fais auprès de ceux que tu soignes, que tu soulages, avec qui tu parles. La vie t'a donné un pouvoir pour ça, même si tu ne pourras jamais lutter contre certaines fatalités. Mais que ressens-tu quand des yeux brillent d'un remerciement sincère quand tu soignes un enfant, quand tu le remets dans les bras de la mère qui pensait le perdre ? Quand une blessure infectée se retrouve saine et refermé pour permettre au mari d'enlacer sa femme qui pleurait à son chevet ? Tu vois le désespoir, mais n'oublie pas l'espoir ma liée. Tu l'évoques dans tes pensées. Tu te déçois à toi-même, car ton coeur généreux voudrait faire plus, rendre plus. Tu voudrais tellement apporter le bonheur autour de toi pour faire oublier la grisaille qui embrument nos vies. °

Il battit un peu plus des ailes pour prendre un peu de hauteur. L'air qui passait sur son corps était si frais qu'il invitait à voler plus vite pour ressentir plus intensément son contact.

°Gardons l'espoir ma belle liée. Nous sommes ensemble et nous ne sommes qu'un. °

Puis il étendit ses ailes pour les rabattre plus fortement en arrière, se donnant de la vitesse pendant qu'il inclina son corps vers les cieux. Sa liée n'avait plus la crainte de voler. Il se rappela des toutes premières heures, ou lui maladroit dans ses décollages brutaux, n'aidait guère sa liée à avoir confiance en chacun de ses mouvements. Et l'altitude, pour le vertige... Mais maintenant, le lien qu'il partageait avec elle permettait à la princesse d'anticiper les mouvements de dragon, comme si c'était elle qui volait à sa place. Ainsi, elle savait comment se positionner sur ses larges épaules et placer son équilibre.

Le dragon monta et monta encore, mais à la limite du raisonnable, sa liée ne pouvant pas respirer aussi bien que lui dans ces hauteurs et doucement, il vira sur l'aile pour redescendre, dans un magistral virage descendant et là il se mit à virevolter comme le souhaitait sa belle liée, c'est à dire à laisser aller ses envies d'acrobaties dans ces airs libres de tout et ne dépendant de personne. Ici, dans cet empire de nuages et de ciel, ils étaient que tous les deux, à sentir l'air siffler à leurs oreilles quand le dragon piquait, à voir les nuages danser en rond dans leurs yeux quand le saurien accomplissait un lent et long tonneau avant de repartir en flèche. Le ciel était une dimension unique, où chaque mouvement, chaque figure exécutée n'avait pas son pareil. Quand Cynoë recroisa l'aigle, il prit plaisir à le suivre, répondant au défi de cet oiseau royale de piquer à sa suite. Une course de vitesse ? Il poussa un rugissement et piqua à la suite de l'oiseau de proie.

Esmelda s'accroche et laissa son lié se jouer de leurs sensation et virevolter dans les airs. Si haut dans le ciel, ils étaient loin de Vraorg et de sa folie. Ils étaient libres tous les deux. Pensant à rien d'autre que de sentir l'air frais sur leur visage. Et ce n'était pas les pirouettes pour y parvenir qui allaient stopper la dragonnière. Bien au contraire. Elle adorait cela. Oui, Esmelda faisait corps avec son dragon et suivait chacun de ses mouvements en se faisant légère sur son dos. Si elle ne pouvait plus jamais quitter les cieux.

Quand son lié reprit un vol plus calme, Esmelda reprit, l'esprit aussi nuageux que les quelques cumulus qui avançaient rapidement au dessus de leurs têtes.

« -Si nous pouvions, si nous y arrivions, par je ne sais quels moyens, de fuir d'ici, de partir loin, auprès des protégés, auprès de la liberté et des Esprits, serais-tu heureux ? M'y suivrais-tu ? Mon peuple est aussi là bas, et je peux aussi lui venir en aide de là-bas. De bien d'autres manières, même si je pense que la vie au delà de la barrière est un monde bien moins pénible que celui dans le quel nous vivons. Mais de là bas, je serai peut être plus utile et mènerait des combats de façon plus direct que ici ? »

Après tout peut être ne se sentait-il pas de se diriger vers l'est et son désert. Mais si jamais, Esmelda trouvait la solution pour rejoindre les protégés, elle le ferait. Mais pas sans son lié. L'idée déjà d’abandonner Kylian lui serra le cœur. Il fallait parfois savoir abandonner ce qu'on avait de plus cher pour parvenir à avancer et au final arriver à se sauver. Et c'était cela qui tracassait Esmelda.

«- Je ne sais pas si je serai plus heureuse loin de Kylian qu'auprès de lui. La culpabilité que je lis dans ses yeux dès qu'il les pose sur moi est la pire des tortures. Je ne sais comment la lui enlever et ne cesser de lui reprocher de ne plus se battre. Je sais qu'il le fait de peur que cela retombe sur moi, mais si je suis loin, peut être que cela changerait ? Ou bien sombrerait-il encore plus dans la noirceur de son âme. C'est arrivé avant que tu naisses, j'ai tellement peur que cela puisse de nouveau arrivé. Malgré la présence de Skade. Elle aussi n'est nullement épargnée par la nébulosité de ce que lui impose Vraorg. »

Une difficile décision. Mais elle savait qu'il serait bien plus difficile pour le dirigeant des lames sombres et de sa dragonne passeraient bien moins facile que la petite courtisane et son frêle dragon.

« -Je pense que Vraorg cherche à nous pousser et nous voir lâche, cruel ou diminuer. Accentuer nos pires craintes, nos pires défauts exacerbés au maximum de ce qui nous est supportable. Tu n'es pas lâche, je ne suis inutile, Kylian n'est pas un assassin sans scrupule et Skade n'est pas une machine de guerre. Nos peurs ne doivent devenir réalités et nous dicter. Nous devons repasser nos rêves au premier plan pour les atteindre et les voir se réaliser. »

Esmelda se pencha pour entourer son lié de ses bras attendrit avant de se relever pour ne pas se blesser contre les écailles coupantes de la perle violette.

« -Et nous trouverons un moyen de parvenir à tout ce que cela devienne possible. Je le sais, c'est devant nous mais notre peine nous aveugle. Alors cessons de l'être. »

Esmelda se leva et envoya son envie à son lié avant de sauter dans le vide. Elle le savait il la récupérait qu'importe comment. Elle avait besoin de se sentir encore plus en vie et laisser le vide l'aspirer un instant.

Cynoê sentait bien que sa liée était déchirée entre deux univers, pris entre deux passions. Être coincée en Théocratie était difficile et avalisant même si elle gardait une certaine liberté tout étant aux côtés de Kylian, son plus grand amour. Partir chez les Protégées lui permettrait de rejoindre les gens qui se battaient contre Vraorg et sa folie, mais elle laisserait derrière elle le vampire pour qui son coeur battait ardemment. Sacrifier une partie d'elle-même pour adhérer à un autre partie était rude pour elle et le choix était difficile à prendre. Elle les énonçait les faits sur les possibles décisions qu'elle venait à prendre. Il la suivrait partout de toute façon, quoiqu'elle décide. Il ne pouvait lui imposer de choix à faire. Lié à elle depuis son éclosion, il sentait au plus profond d'elle l'attachement qu'elle éprouvait pour Kylian. Il n'y aurait pas eu le dragonnier de la Grande Dragonne, la décision aurait été vite prise et ils seraient parti tous les deux vers la frontière.

°Ma belle liée, ce qui m'importe est d'être à tes côtés, où que tu sois. Tu penses à moi, mais je pense aussi à toi. Ton bonheur, ta joie de vivre est important pour moi. Si nous venions à trouver une solution pour rejoindre les Esprits et les Protégés, tu seras loin de Kylian et tu en seras malheureuse. Et par le lien, je ressentirais cela et je m'en voudrais. Nous vivons dans une cage dorée pour l'instant et le plus important à mon esprit est que tu puisses malgré tout, avoir un peu de baume au coeur. Je comprends ta crainte pour Kylian. et aussi pour Skade. °

Un départ précipité vers la frontière ne laissait guère deviner comment réagirait réellement le vampire. La princesse avait évoqué deux voies possibles et il n'était pas tentant de les éprouver. Cynoë ne voulait pas que sa princesse se retrouver à sacrifier sa présence aux côtés de Kylian pour le perdre à jamais. Elle ne s'en remettrait jamais.

°Oui Ma liée, la peine et la peur qu'engendre sur nous Vraorg nous fait perdre la ligne d'horizon de cet espoir, qui luit mais que nous discernons plus. Gardons ensemble la tête haute. °

Elle se redressa sur son dos écailleux. Légère comme tout, il ne sentit son changement de posture que par la petite pression exercée sur ses écailles. Il tourna légèrement la tête pour la contempler et attendit qu'elle se lance dans le vide. Bien qu'inquiet par cette initiative, il la laissa faire. Vouloir affronter le temps d'une chute libre les éléments aériens lui donnera l'impression d'être maîtresse de son destin et de sa vie. Une fois qu'elle se fut lancée, il vira brusquement sur l'aile pour rejoindre son sillage et replia ses ailes tel un rapace fendant sur sa proie. Il gagna en vitesse et rattrapa sa liée. Il se mit à une courte distance et la fixa de ses yeux ambrés.

Le corps tendu, la tête dans l'alignement de son corps, elle ne paraissait pas tomber, mais planer. Bien qu'un bipède ne pourra jamais posséder la grâce d'un être volant, Esmelda était à l'aise, profitant sans nul doute de la sensation de vitesse grandissante sur sa peau comme de l'air qui sifflait tout autour d'elle. Cynoë la regarda et par simple jeu, exécutant un large tonneau autour d'elle, grondant sa satisfaction de la voir ''voler''. Il refit un autre tonneau pour se retrouver sur le dos, position guère stable, mais il y resta le temps de ''jouer''. Puis il tourna encore, pour se mettre sous sa liée. Ainsi, doucement, il laissa son corps immense remonter vers l'humaine tombante, pour qu'elle prenne place à nouveau sur lui sans heurts, sans brusquerie et tout en souplesse. Peut-être que sa liée aurait désiré chuter quelques secondes de plus, mais le temps défilaient très vite dans l'appréciation de ces fortes sensations.

Une fois sa liée sur son dos et assuré qu'elle se tienne bien, il déploya plus largement ses ailes pour freiner sa vitesse de chute et manœuvra pour reprendre doucement de l'altitude.

°Ma liée, tu étais en harmonie dans les airs. C'était si beau que ce fut presque un sacrilège de te récupérer. J'espère que je me suis correctement présenté pour te réceptionner. °

Il n'oubliait pas que l'humaine avait la peau fine, fragile en comparaison de ses écailles tranchantes. Il n'aurait pas aimé la blesser par maladresse.

°Nous volerons encore plus haut si tu le désires, pour apprécier plus longuement les sensations que tu as éprouvées. Tout ce qui te plaira me plaira ma belle liée. °

Il était à répondre au moindre désir de sa liée pour qu'elle chasse le brouillard mélancolique de son esprit, qu'elle oublie l'existence de Vraorg. Même si ce n'était que pour l'espace d'une minute. Puis doucement, il profitera d'un moment propice pour évoquer quelque chose de particulier.

°Ma liée, il y a quelque chose dans le nord. Quelque chose qui m'attend et que ma Mère-Dragonne m'a transmis. Il est temps pour moi d'aller voir....°

Alors que le vent s'emparait d'elle lui coupant le souffle, lui chatouillant de son air froid les entrailles, Cynoë la rattrapa. Un lourd choc se fit entendre malgré le poids et la taille de la dragonnière. Et la douleur ainsi que l'adrénaline battant dans son cœur se firent sentir. Sentir en vie. Un moment où tout son corps et son esprit avaient été mis en pause pour laisser sa chute libre prendre le dessus. Un moment de bonheur qui valait bien quelques égratignures qu'Esmelda put soigner très rapidement. Et puis, elle savait que son lié serait là pour elle, pour la rattraper, la sauver et tout faire pour la protéger de sa présence.

« -Ce fut parfait mon dragon des airs, prince des nuages. J'en avais envie. De voir ce que c'était de tomber sans avoir rien d'autres à se raccrocher que ce lien qui nous unit toi et moi. »

Le dragon vira pour se diriger vers le nord en lui envoyant l'image mentale du lieu vers lequel ils se dirigeaient.

« -Alors allons-y, nous avons tout le temps en cette journée. Et une mère n'attend pas. Que se soit par sa présence ou non. J'ai eu la chance de la rencontrer, une fois, avec son lié. Dans une cabane de chasse, mais je ne l'ai que très peu vu. La discrétion semble de mise pour leur couple draconique. Et je devais soigner une blessée. »

Esmelda lui envoya l'image qu'elle avait de sa mère dragonne. Dans le flou des souvenirs de cette journée, où elle soigna la chef de la Horde. Sa rencontre avec Mélusine et l'accord tacite entre eux. L'aide que la princesse leur apporta ensuite afin qu'ils puissent aider le peuple dans le besoin.
Esmelda reprit le fil de leur discussion alors que son lié filait à toute allure vers son passé.

« -Mon cœur sera brisé d'être loin de lui. Cette fois-ci c'est bien différent de nos autres séparations. Même si la peur de le perdre était présente, de le savoir loin une torture, il restait libre. Là il est enchaîné et je suis un de ses maillons. Même la présence rassurante de Skade ne l'est plus. Si Vraorg ordonne à Skade de manger son lié, la pauvre ne pourra rien faire d'autre que de s'exécuter. Comment peut-on vivre avec pareille peur. Ce n'est plus celle de mourir au combat, un combat qui était le notre, mais de devenir un jeu sur un échiquier et de suivre les désirs souvent loufoques et aberrants d'un aliéné. Mais je ne suis pas plus heureuse auprès de lui, à le voir s'enfoncer dans ce que je redoute le plus : sa part d'ombre. Sans rien pouvoir faire d'autre que le laisser faire. Ne pourrai-je pas mieux lutter au delà des frontières magiques pour le sauver ? Unir mes forces à ses gens ? Ce dilemme ne cesse de me ronger l'esprit et le sang. »

Après tout, Esmelda ne le saura que si elle essayait, mais le problème est que cet essai ne pourra être une impasse, car aucun demi tour ne sera possible.

« -Mais je sais que tu es là. Mon doux lié, c'est bien là un de mes seuls réconforts. Tant que nous sommes ensemble, nous serons plus fort. Et nous pourrons nourrir du peu que nous pouvons cet espoir. Lorsque nous tombons, il nous faut se relever. »

Mais quand un fou tirait la chaîne pour vous maintenir au sol, c'était bien difficile.

Au plaisir que sa liée avait ressenti en se sentant parfaitement libre dans sa chute, l'Améthyste lui envoya des songes de satisfaction et de plaisir. Plus que n'importe qui dans ce monde, elle appréciait la simplicité de certaines choses, que les dragons savouraient au quotidien. Savoir qu'elle s'était sentie vivre, pendant que l'air la caressait de ses mains fraîches le long de sa peau délicate, était d'une satisfaction intense pour le saurien. Il n'y avait pas de mots ou de pensées humaines de savoir que sa liée partageait quelque chose innée et unique aux dragons. Le destin les avait bien trouvés

Doucement, le dragon vira pour prendre la direction du nord tout en partageant l'image du lieu, ce lieu même confié aux bons soins de sa Mère-Dragonne. Il s'agissait d'une caverne perdue au milieu de nulle part, loin de tout chemin possible. Seul un grand hasard pousserait quelqu'un à se perdre dans de tels lieux. Et même avec ce qui attendait Cynoë, les chances de dérober le bien d'Isyndar relevait de l'impossible.

Sa belle liée lui partagea ensuite le court instant où elle avait rencontré la Dragonne des Ombres, dans un de ses nombreux actes charitables qu'elle apportait auprès des siens. Même à travers tout un flot de d'autres souvenirs de cette journée qu'elle avait eue, elle gardait bien ancré en elle l'image d'Isyndar. Comment ne pas oublier un dragon et son lié en même temps ? Le dragon battitses ailes de plus en plus puissamment pour prendre un rythme rapide et droit, pour rejoindre leur lointain objectif

°Même si ce fut bref, tu en gardes un souvenir net et fort. J'espère que tu auras de la revoir tout comme j'ai eu la chance de la rencontrer depuis que je suis sorti de l'oeuf. Là les retrouvailles seront plus intenses°

Et bien plus encore une fois Vraorg destitué de son trône de destruction et de sang. ce jour là...

Esmelda revint sur la lourde peine qui lui pesait sur le coeur, quand à ses sentiments pris en tenaille entre Killian et ce qu'elle souhaitait faire pour aider au mieux le monde qui souffrait de la domination du Blanc.

°Ma liée, il doit aussi se poser les mêmes tourments quand à toi. Lui aussi tiens à toi plus qu'autre chose. Lui aussi est enchaîné par ce qu'il doit accomplir pour Vraorg. Skade tout xomme moi je présume aurait préféré agir autrement, mais avec la volonté de Vraorg contre la sienne...Même si nous arrivons à nous rendre de l'autre côté, il ne faut pas mettre de côté un grand risque : une probable confrontation. Vraorg se joue des émotions. Il se délecte de la souffrance... Que se passerait-il par simple jeu d'imposer à Skade et à Killian de s'en prendre à toi si nous sommes de l'autre côté de la frontière. je n'ose imaginer ce qui pourrait se tramer. Je sais que de tout ton coeur, tu feras tout pour le sauver. Mais lui ? Jamais il ne pourra se pardonner malgré que Vraorg sera le seul fautif. Et puis.. Vraorg a trop besoin de nous, les dragons véritables pour en sacrifier par simple vice.°

Si Vraorg était logique bien entendu dans ce sens... mais la folie était aussi dans son esprit. Il serait donc capable d'agir comme le supposait Esmelda. Mais continuer à parler des hypothèses, des possibles voies de sorties avec le prix à payer en contrepartie apportait trop de soucis et de tristesse au coeur et à l'esprit. Il renforça les dernières paroles de sa liée en lui transmettant une puissance sensation réconfortante.

°Nous sommes deux, mais à deux, unis en un seul, nous sommes encore plus forts oui. et nous réussirons à garder le fanal de l'espoir dans nos deux coeurs, ma belle liée. Si tu tombes, je serai là et si je sombre, tu aideras à garder la tête haute et les ailes tendues vers le ciel°

Son ombre filait aussi vite que le vent, passant telle une flèche sur le sol herbeux qui se tenait en dessous d'eux. un cervidé, un des rares rescapés du chamboulement écologique de Vraorg, poussa un cri en voyant l'ombre passer sous son nez, détalant pour fuir le prédateur invisible. Cynoë avait à peine assisté à la panique de l'animal. Toute son attention était tendu vers le Nord. Au rythme où il filait, ils ne tarderaient plus à approcher de la destination qu'il portait dans ses souvenirs. Et quand cette dernière se présenta enfin, il ralentit son allure en commença à entamer la descente plus en douceur.

°Ma liée, pardonne ma vitesse, j'espère que tu n'as pas attrapé froid par mon empressement. °

L'image de Rachèle ne put que passer dans l'esprit de la princesse. La tristesse envahit son esprit. Sa mère lui manquait. Même si fort heureusement, l'ancienne reine mère avait pu fuir de l'autre côté de la barrière. Sauve, loin de cette vie qui n'en n'était pas une. Elle ne le méritait pas. Et surtout, une épine de moins dans le pied d'Esmelda. Vraorg ne pourrait pas l'atteindre par elle ou vice versa. Pour Cynoë, cela devait être la même chose. Isyndar loin, il n'avait pas à se soucier de son sort. Il avait bien suffisamment à faire avec sa liée. Même si l'ancienne princesse était bien moins téméraire qu'autrefois. Tout s'était éteint. Même cela.

« -Je te l'espère de la revoir. Si ta mère te manque autant que la mienne, je ne peux que comprendre ce manque. Et pourtant toi comme moi nous avons la chance de nous avoir. La guerre a séparée tellement de famille. De fils, de filles, de frère ou de père. Il me manque. Elle, Korentin. Mais je t'ai, j'ai Kylian. Je n'ai pas à me plaindre. Mais oui, une fois libre, les retrouvailles seront un vrai moment de joie. Pour tous. Mais il nous reste à faire, ou à espérer. En vain. Comment vaincre un dragon de cette taille, de cette force, avec en lui les pouvoirs d'un esprit. Ils n'ont pas réussi unis à le vaincre. Alors nous, avec nos rêves de retrouvailles. C'est inutile. »

Pessimiste, si peu. Réaliste surtout. Il fallait l'avouer : il y avait de quoi désespérer face à un tel échec. Il n'allait pas falloir leur en demander beaucoup, là où même les esprits échouaient. Il n'y avait pas de force plus brute et puissante.

« -Je sais Cynoë, je sais que Kylian est comme nous, Skade aussi. Peut être même que leur situation est pire. Vraorg m'humilie, mais pour tous les deux il les utilise pour quelque chose dont ils sont fondamentalement contre. Mais je ne peux m'empêcher de lui en vouloir quand il revient le soir en silence. J'aurai préféré qu'il me sacrifie et ne se plie pas. »

Même si Cynoë n'allait pas apprécier ses paroles. Mais elle était sincère. Parfois la mort était bien mieux que de vivre une vie sans vie, morne, terne, triste, et ou l'avenir n'était que sombre.

« -De l'autre côté, je chercherai à le libérer. Comme tu dis, Vraorg a besoin de nous. Il ne nous tuerai pas. Pas un aussi petit dragon qui peut se faufiler partout et voler telle une ombre silencieuse. Et il a besoin de la force de Skade. Il se joue juste de nous, à la limite du possible. En vie, mais à moitié mort. La peur, c'est seulement ça notre nouvelle ligne de vie. Vivre dans la peur. Je ne veux plus vivre cela. Je ne veux plus avoir peur. M'en voudras-tu si je le décide un jour ? »

Car cela ne serait pas conséquence pour lui. Bien au contraire. Mais entre vouloir et pouvoir... Il y avait un grand gouffre qu'Esmelda était bien loin de franchir. Car pour le moment, la peur la dominait et la dirigeait, comme tout le monde dans cette théocratie bien dressée.

« -Non, vole Cynoë. Je me sens en vie que dans ces moments à nous. »

Mais le moment fut vite un atterrissage, car son lié avait battu l'air de ses ailes à toute vitesse.

« -Est-ce là ? »

Esmelda regarda à droite et à gauche, s'avançant d'un pas hésitant, pas très rassurée de quitter de trop loin son lié. Au vue des bêtes qui rodaient dans le coin. Même avec un dragon dans le coin, elle préférait se méfier. Prudence est mère de sûreté.

« -Oui regarde là bas, un bosquet. Cela doit être dedans. »

La jeune femme y courut et chercha en poussant les branchages qui lui cinglèrent les bras. Mais derrière à l'abri, le métal se faisait force et laissa apparaître son éclat. L'ancienne princesse tenta d'arracher un peu les branchages et de tirer la massive armure. Mais en vain. Elle était bien trop lourde pour elle et se tournant vers son lié, elle ne put que constater.

« -Eh bien, ta mère te veut sain et sauf. »

Oh oui le saurien couleur améthyste espérait sincèrement revoir sa Mère-Dragonne un jour prochain et il avait acquiescé mentalement aux dires de sa liée. Cette guerre provoqué par le Blanc avait déchiré bon nombre de familles, séparé bien des proches.

°Il faut se raccrocher aux souvenirs les plus joyeux et les plus heureux que nous avons des êtres que nous aimons pour ne pas les oublier et se raccrocher. eux aussi doivent songer à ceux qu'ils attendent de revoir, en revoyant leurs souvenirs. Les sourires, les rires. Cela aussi leur permet de garder un espoir, ou mieux... de continuer la lutte, quelque soit la façon de procéder. °

Sa belle princesse avait de la chance au contraire de bien des bipèdes à la vie déchirée par la perte ou l'éloignement de ses proches : elle avait Killian. Néanmoins, la présence du vampire entachait un peu l'amour qui les unissait. Esmelda avait presque souhaité qu'il la sacrifie que de souffrir pour rester à ses côtés Le dragon ne pouvait pas reprocher à sa liée d'en vouloir à Kylian. Tous les soirs, son amant la rejoignait, l'esprit torturé par ce qu'il devait exécuter au nom de Vraorg. Sous Vraorg, les choix qu'il avait imposés avaient son lot de tourments. Sa liée et son aimé n'échappaient pas à cette règle.

°Si un jour prochain tu décides de faire le pas qu'il faut pour ne plus avoir peur, ce jour là je saurai pourquoi tu le feras. Je ne pourrai pas t'en vouloir pour un tel choix. Nous sommes unis, mais je ne te gouverne pas ma belle liée. Je n'impose pas ma volonté comme le fait le Blanc. Si tu prends une décision, je sais déjà via notre lien pourquoi tu la prends. Mais la peur est une chose naturelle, qui n'est pas appréciable. Tu ne voudrais plus la sentir, tu désirerais plus qu'elle s'impose à toi comme cela. Ne penses pas qu'elle est ancrée en toi comme tu le songes. La force de ton esprit et de ton âme la contienne encore bien loin de toi. Il faut juste ne pas se laisser prendre dans le filet des doutes et des craintes qu'elle impose. Dis toi que Kylian doit être pris dans ce même piège...°

L'amour que Kylian et Esmelda éprouvait l'un pour l'autre était bien des plus complexes. Le saurien ne pouvait entrer en profondeur dans des pensées rassurantes, de crainte de glisser sur un bord un peu effrité de l'esprit de sa liée. Au lieu de la rassurer, il pourrait provoquer l'effet inverse. Heureusement, elle se concentra sur le vol qu'il lui offrait, savourant l'air qu'ils fendaient tous les deux.

°Je volerai à l'autre bout du monde pour toi alors ma belle liée. Jusqu'au bout du monde pour que tu sois vie le plus longtemps possible. °

Une fois posé sur le sol, Cynoë s'était baissé pour aider la princesse à descendre de son dos, qui s'empressa de rejoindre le petit bosquet. L'Améthyste la suivit à une petite distance de sécurité et posa son regard ambré sur l'armure qu'Esmelda dévoila au grand jour, en repoussant les branchages qui la couvraient. La jeune femme tenta bien de la tirer de là mais le poids était conséquent pour ses bras. La magie paraissait vibrer dans cette lourde armure.

Le dragon s'approcha un peu plus, écartant les petits arbres de sa large carrure, restant précautionneux quand à ses gestes pour pas que sa liée ne prenne une branche sur elle par mégarde. Il darda la tête vers les diverses parties de ce précieux don fait par sa Mère-Dragonne.

°Pour me couvrir du tranchant de ceux qui sont autant nos alliés que nos adversaires d'infortunes...°

Ainsi Isyndar lui avait-il ces mots pour cette armure. Puis il étudia chaque élément qui composait cette précieuse protection.

°Ma liée, nous allons apprendre communément à revêtir cette armure. Autant pour l'essayer pour pour voler avec elle. Je vais prendre chaque élément pour les mettre là où elles doivent prendre place. Ta précieuse dextérité m'aiderait à les lier°

Car il présumait que le dragonnier contribuait à lier l'armure sur le dragon une fois qu'elle était mise au bon soin de ce dernier. Vu le poids, nul doute que le dragon avait sa part de travail pour la revêtir.

Le bonheur, y avait-il goûté, ce dragon né au beau milieu de la guerre. Esmelda espérait qu'un jour, il y arriverait. Elle voulait tout faire pour. Mais comment ? Avant, Esmelda savait, elle avait toujours une solution et une raison d'y parvenir, mais aujourd'hui, plus rien. Que le noir. Elle était juste là, poser. A attendre.

« -Mon lié, mais je t'ai dès ta naissance plonger dans la noirceur de ce que nous savons faire de pire en ce monde. Tu es arrivé dans un palais où mon cousin nous tenait comme des prisonniers, une attaque de perles de néant, sans oublier le voyage dans les tréfonds de nos terres qui nous a conduit à cette vie aujourd'hui. J'aurai dû fuir avec toi dès ta naissance, loin de tout cela. Je suis désolée. De t'avoir fait ça. De t'avoir fait vivre cela. Je t'espérai un monde où tu pourrais voler librement avec les tiens. Pas à sortir cette armure, même maternelle, pour te protéger et te battre. Me le pardonneras-tu un jour ? »

Car cela l'aiderait, peut être, à se pardonner plus tard. Pas pour le moment. Elle s'en voulait trop, elle était trop blessé, elle avait trop peur pour pouvoir se pardonner. Cynoë avait encore ses ailes pour voler, mais Esmelda avait l'impression que sa cage dorée ne se ré-ouvrirait pas. D'étouffer. Mourir peu à peu. Et aucune sortie possible, la seule monotonie de la vie pour la laisser morte mais respirant. Vraorg le savait. Que jamais elle n’abandonnerait son peuple, son lié, Kylian. Et l'éternité pour vivre cette douleur.

« -Je veux me libérer de ce piège et que tu puisses lire en moi le bonheur, la joie et la liberté. Kylian est encore plus ancré dans ce piège que je ne le suis. Mais j'ai peur. Car même si Skade veille sur lui, je sais aussi qu'il sait sombrer dans les noirceurs de son cœur. Et croit-moi, ce n'est en rien plaisant. Et avec les moyens dont il dispose aujourd'hui, j'ai peur autant pour lui que pour les autres. Et je sais qu'il ne se remettra pas de ses actions. Il ne peut que sombrer un peu plus. Car ma peur est chez lui une colère sourde et latente qu'il retournera contre lui. S'avançant portant des œillères vers ce qui pourrait le faire basculer un peu plus.»

Esmelda ne put que repenser à ce petit diamant qui avait amené son aimé vers les voix de la noirceur la plus totale, devenant un autre près à tout pour parvenir à ses fins. Même à faire mal et blessé les personnes qui avait une place dans son cœur.

« -Et je te suivrai au bout du monde mon petit lié d’Améthyste. Si je pouvais savoir que tu y es bien. »

Esmelda passa ses bras autour du cou de son lié et posa doucement sa joue contre ses écailles avant de se redresser et avec entrain, elle se rapprocha de l'armure.

« -Oui allons-y, essayons de te la mettre. Guide moi, et je disposerai les éléments comme il se doit. En tout cas, la dragonne de l'ombre t'as donné une bien belle armure. J'aurai dû t'en prendre une depuis le temps. Mais aucune n'était digne de toi à mes yeux. »

Seule la selle que Kylian lui avait offert au moment où le vol avec Cynoë était devenu possible ornait le dos du saurien.

« -Je vais m'aider de la magie pour tenter de soulever des pièces. Et tu seras le plus élégant des dragons de ces cieux. »

L'ancienne princesse aider de son lié, de la magie et de beaucoup d'effort parvint à le vêtir de sa nouvelle armure. Il avait fier allure. Son lié était devenu grand, fier, à la musculature fine mais bien présente. Elle avait douté depuis sa naissance, maintenant elle n'en n'avait plus. Tous les deux avaient grandit, dans la difficulté, mais son lié était devenu un dragon digne de sa race.

Il avait envoyé à sa cavalière des émotions bien plus fortes qu'une parfaite amitié, des émotions que le lien seul pouvait apporter et partager. A travers ce qu'il ressentait, il partageait une fois encore malgré ce que sa liée ne voulait pas voir en plus profond d'elle-même, ce bonheur d'être unis, de ne faire qu'un malgré leurs différences. Deux coeurs qui battaient indépendamment mais qui restaient ensemble, quoi qu'il puisse arriver. Par cet échange, le dragon n'avait pas besoin de s'exprimer par la pensée pour faire comprendre à sa liée qu'elle n'avait pas à se reprocher la venue des conditions après son éclosion. L'adversité ne pouvait que renforcer son être, même si la difficulté apportait malheur et découragement. Sa liée était là pour lui et lui était là pour elle. Pourquoi lui reprocherait-elle tout ce qui se passait ? Être liée déjà à elle était le plus importante à ses yeux... et à travers ce qu'il partageait, il exprimait la fierté d'être avec elle. Personne ne lui arrivait à la cheville.

Puis doucement, il fit perdre de cette intensité mentale. Il ne devait pas noyer Esmelda dans tout ce flot. Bouleversée comme elle était, il ne devait pas trop en faire pour éviter d'intensifier sa culpabilité. C'était si complexe et cela paraissait si facile de chercher à la consoler, à vouloir l'encourager. Mais il comprenait. Il y avait des blessures qui demandaient du temps à se cicatrisent, des bonnes conditions. Et là, il n'avait pas tout cela pour ''soigner'' sa liée. Par contre, il voulut aider Esmelda à chasser la peur qui la rongeait à propos de Kylian. Le vampire se morfondait tout autant qu'elle à leur sujet respectif et comme il avait déjà sombré dans les ténèbres de son être. Peut-être que d'aborder le cas du vampire sur une note d'humour...

°Penses-tu que mes flammes pourraient le motiver à sortir vite et bien de son gouffre de noirceur ? Juste une flammèche au fondement pour le voir remonter en vitesse pour penser à toi pourrait le motiver... ne penses-tu pas ? °

Cynoë doutait de l'effet qu'il escomptait. Chose certaine était que si Kylian virait mal, il serait difficile de le raisonner.

°Dis moi où nous rendre ma liée et nous y serons heureux toi et moi...°

Après avoir savouré avec plaisir et bonheur le contact doux et chaleureux de la peau de sa liée après qu'elle l'eut enserré et poser sa joue délicate contre ses écailles, la princesse s'approcha de l'armure; Cynoë continuait d'observer les éléments et trouva quelle pièce se mettait à quel endroit.

°Rien n'est plus digne que toi sur mon dos ma liée. L'armure de la Dragonne de l'Ombres, ma Mère-Dragonne, te rendra encore plus digne cavalière°

Grâce à la magie d'Esmelda, sous les guides mentaux de son lié, l'armure le recouvrit petit à petit, s'accordant parfaitement à sa silhouette, comme si chaque élément qui la composait avait été fait pour lui. Quand tout fut bien fixé, le dragon tourna la tête pour voir son corps désormais cuirassé. Cela lui fit un peu bizarre et en même temps, il exprimait mentalement à la belle princesse une certaine fierté. Il remua un peu ses antérieurs et ses pattes postérieurs. Il n'était à peine gêné dans ses mouvements. Maintenant restait à voir ce que cela donnera dans les airs avec cette magnifique sur le dos.

°Désires-tu voler avec moi pour voir comment je réussis à tenir dans les airs avec cette armure sur mes écailles ? °

Ainsi protégé, le dragon avait l'impression de se parer pour une grande bataille. Manquait plus que sa liée porte une armure aussi magnifique qu'elle et il aurait là un duo étincelant sous le soleil, à faire pâlir les étoiles de scintiller presque comme elles en plein jour.

Cynoë la fit sourire, et sincèrement. Ce qui était rare en cette période. Trop rare. Mais sa façon de lui envoyer ses pensées et de vouloir prendre soin d'elle ne pouvait que lui donner l'envie de plus de légèreté et de joie. Un moment précieux d'un bonheur fugace qui s'en allait bien trop vite et revenait que trop rarement. Oui, il l'aiderait à ramener Kylian des tréfonds de son âme si celui-ci y coulait. Cynoë avait bien vite comprit ce lien étrange entre l'humaine et le vampire et jamais il ne s'était opposé, questionné souvent, taquiné la plupart du temps. Mais toujours avec l'envie que sa lié ne subisse pas les sombres actions de son amant. Mais parfois l'envie ne suffisait pas. Kylian savait être rude et sombre, sa part vampirique, qu'il tentait de taire, mais qui revenait quand il désirait plus que tout la mettre à l'abri d'un danger. Le diamant de Lorenz aurait été le salut de la fin de son ennemi, celui là même qui désirait la tuer pour l'atteindre. Alors là ? Que serait-il près à faire ? Esmelda avait peur.

« -Je ne sais pas. Notre rupture n'avait eu aucune effet. Mais peut être que cela fonctionnerait. J'espère que nous n'aurons pas à le tenter ni à le faire. Je ne veux pas savoir ce qui le remettrait loin du chemin de ses sombres pensées. Je veux juste qu'il n'y aille pas de lui même ou en fasse vite demi tour seul. Mais cela me touche que tu prennes soin de moi ainsi. »

La dragonnière reposa une main câline sur le museau de son lié d'améthyste. Fixant les dernières attaches de l'armure, Esmelda soupira toujours tourmentée autant par son aimé que la vie qu'on imposait à son peuple. Que Vraorg la fasse souffrir, mais pas eux. Ils n'y étaient pour rien.

« -Mais entre ce que je veux et la réalité, il y a un Vraorg. Si Kylian était le seul à occuper les sombre pensées de mon cœur. Il n'est pas le seul à sombrer dans les ténèbres. Tous, nous sommes susceptibles de le faire. Je le vois chaque jour, des pères près à devenir des chasseur de primes afin de nourrir leur enfants, d'anciens commerçants qui n'ont jamais tenu une arme. Ou des paysans. Que puis-je leur dire pour voir un rayon de soleil dans cette vie ? Tous n'ont pas un lié comme toi. Pour veiller sur eux. »

En rangeant la dernière sangle, Esmelda se hissa sur le dos de son lié avec son aide. Elle cherchait sa nouvelle assise et quand elle la trouva, elle était prête à dominer les cieux.

« -Allons couvrir le ciel de tes grandes ailes mon doux lié. Maintenant que ton armure est bien installé. Allons la tester. Enfin sans aller pour autant nous battre. »

Esmelda attrapa un lien qui dépassait de la selle pour mieux se tenir. Et murmura pour elle.

« -L'armure sombre de deux ombres draconique. Espérons que ta mère puisse avoir raison et qu'elle te protège si je ne peux le faire. »

Et Cynoë prit son envol vers le ciel bleu et chaud de cet hiver.