--- 2 Juillet ---

Le silence était complet, en cette nuit souterraine, alors même que les rebelles se reposaient, lavant par les songes agités les épreuves endurées lors de la bataille de l'aube rouge… Dans la pénombre des cachots secs et frais, il se tenait-là, droit, sans bruits, petite silhouette enveloppée d'une cape de brume qui le dissimulait au regard de tous. Ceux qui gardaient ce lieu savaient qu'ils étaient là, ils n'avaient même pas essayé de l'empêcher de descendre. Il n'avait pas l'intention de libérer les prisonniers, de toute façon. Cela ne le regardait nullement, d'autant que chacun d'eux avait mérité sa place en ces lieux. Y comprit le maître des esclaves vampirique, créature pour qui il ne pouvait nourrir aucune compassion, quand bien même il ne le jugeait pas. A présent que ses yeux s'ouvraient à certaines vérités de ce monde, il lui semblait bien que c'était justement l'un de ces êtres qui n'avait pas assez de bien en lui pour être soutenu. Il n'en était pas dépourvu, mais il ne le cultiverait certainement jamais. Néanmoins, il n'était pas venu pour celui-là. Il était venu voir un autre meurtrier et tortionnaire, du nom de Christan Weren. Pourquoi lui en particulier ? Pourquoi pas un des autres alayiens, si véritablement il voulait contempler l'un de ces étrangers aux mœurs brutales ?

D'abord, parce qu'il avait pu lire sa présence dans le chant-nom de Dawan et le trouble, le traumatisme, causé par cet homme. Il avait vu leur rencontre, les soins qu'il lui avait prodigué, les injures, les menaces et les questions… Il avait également pu sentir la vérité des actes du soldat, dans les cavernes d'Aigue-Royale. Le massacre qu'il avait ordonné. Des femmes, des enfants, des personnes âgées… sans défenses, mourrant dans la peur et les souffrances, alors qu'ils auraient dû pouvoir vivre et faire fleurir leurs bourgeons en ce continent. Cette marque sanglante et honteuse était, certes, partagée par d'autres, mais il existait des individus que ne se réjouissaient pas d'un tel massacre, même en y ayant prit part. Le condamnait-il pour autant ? Non, il n'aurait pas pu le faire. Il ne l'avait pas fait avec Lorenz et ne le ferait jamais ainsi. Aussi l'observait-il, cet homme immense qui avait porté une noire armure à la bataille et avait éclaboussé de sang sa hache de verre noir. Mais le verre noir l'avait abandonné et il était désormais aux fers, sans armure et sans armes. Une perspective qui ne devait pas être particulièrement agréable.

Etre privé de liberté et de la capacité de se défendre… ce n'était pas enviable, et même si il avait lui-même dû apprécier de contraindre les autres, il n'était pas dit qu'à un tel titre, il manque de compassion envers lui. Il pouvait déjà lire dans son chant-nom les troubles de son passé, autant de son fait que de celui d'autres individus. Rien n'était blanc ou noir, pas même ce tueur. Et sans doute était-ce le plus triste, d'une certaine façon. Et le plus beau également. Qu'il n'ait pas tout à fait tort lorsqu'il affirmait que le mal véritable existait bien souvent qu'une lumière qu'on tentait d'étouffer. Avec un soupire musicale, il finit par élever une main hors des plus du tissu magique et les lueurs des pierres de visions revirent, éclairant les lieux d'une douce émanation, presque irréelle. Puis, il s'approcha enfin des barreaux, révélant par la même occasion sa présence en appelant le prisonnier avec douceur. « Christan Weren… Je suis venu pour vous voir » Le silence retomba sur ces mots, laissant la possibilité à l’interpellé de répondre s'il le désirait.

@Christan Weren

La réaction lui tira ce qui aurait dû être un sourire, certain las, mais un sourire. A la place, ses lèvres s'étirèrent sur un rictus à la fois amer et compatissant, doté d'un amusement cynique. Cela ne différait en rien de toutes les rencontres ou presque qu'il avait pu faire. Quoi que Lorenz eut été bien plus extrême dans ses menaces et ses propos. Mais cet homme ne faisait sans doute que s'échauffer. Les insultes glissaient sur lui comme l'eau sur une roche impénétrable. Autrefois, il se serait sans doute attristé d'une façon ou d'une autre. Aujourd'hui, il laissait parler. Il le laissait vider sa haine et sa frustration, simplement, s'offrant comme une cible. Mais lui refusant le droit de le blesser, même de façon éphémère. Il avait bien assez souffert. Il ne voulait plus souffrir. Et pour cela, il était même prêt à laisser Lorenz embraser ceux qui nourriraient pareils desseins à son encontre. « J'étais déjà au courant de votre manque de courtoisie, mais il semblerait que l'on m'ait édulcoré la vérité. Vous avez le verbe dur, je suppose que, pour un alayien, c'est une source de fierté ? » Il n'attendait, en réalité, aucune réponse. Pourquoi en aurait-il donné une après tout ? Dans un mouvement lent, il alluma d'autres roches et s'installa sur un petit tabouret de garde, proche de la cellule, reprenant de cette même voix calme mais légèrement traînante en raison de la fatigue au départ, qui devint progressivement dure comme la pierre sur les derniers mots « Votre état actuel de prisonnier ne me fait pas rire, et si quiconque, qu'il soit rebelle, loyaliste, ou alayien, est capable de rire d'un prisonnier, alors c'est un imbécile. On ne se satisfait pas de voler la liberté de quelqu'un » Il releva sensiblement la tête, ses yeux scintillant un instant dans la pénombre de sa capuche « Mieux vaut encore tuer que de contraindre ainsi. Personne ne mérite l'enfermement. Mais cela dit, personne ne mérite de mourir non plus comme vos innocentes victimes »

Et il ne lèverait pas le petit doigt pour aider les prisonniers. Il se lavait complètement les mains de leurs sorts et faisait confiance à Korentin et Edwyn. « Je ne suis pas non plus là pour te soigner, mon disciple a bien fait les choses. Tu vivras sans séquelles... » Il vivrait tout court, contrairement à ses victimes. Un long instant, il fut silencieux, puis, en reprenant la parole, sa voix se fit à nouveau douce. « Dites moi, Weren. Vous décririez-vous comme un homme mauvais ? » La réponse vint, et le fit à nouveau sourire. Il resta silencieux pendant quelques instants supplémentaires avant de poursuivre une nouvelle fois. « Je ne vous considère pas non plus comme un homme mauvais. Je ne vous considère cependant pas davantage comme un homme fort. Je vous considère comme un homme dont la mère était aimante, douce, et patiente, voulant inculquer des mœurs et une religion dans le respect. Je vous considère comme un homme dont le père le méprisait et le rabaissait en raison de sa naissance. Un homme dont le père l'a moralement maltraité, psychologiquement torturé pendant des années et qui s'est forgé avec ce passé pour devenir ce qu'il est aujourd'hui. Un homme ayant peu d'amis, et beaucoup d'ennemis. Franc dans ses croyances et zélé à l'extrême… Je vois un homme ayant eu du mal et du bien dans son passé, en résumé, et ayant fait du mal et du bien. Un homme ayant sué dans une sombre mine pour gagner sa ration. Un homme qui, aujourd'hui, a troqué sa hache pour un livre. Contraint, certes, mais tout de même…. » Il redevint silencieux en l'observant dans les yeux. Jusque là, il s'était arrangé pour qu'il ne lui coupe pas la parole, mais sachant qu'il ne réagirait probablement pas bien du tout, il poursuivit une ultime fois.

« J'étais simplement venu pour savoir si vous étiez réellement un monstre, comme beaucoup de rebelles vous décrive. Vous n'en êtes pas un, vous êtes un homme… et un homme avec des qualités malgré tout. Dites moi, aimeriez-vous connaître un morceau de l'histoire de néant? L'individu qui me l'a transmit connaissait bien les esprits, je suis certain qu'il aimerait que je partage ce savoir, surtout avec un homme dévoué comme vous »

Tout ce qu'il disait était conditionné par son passé. C'était tout à la fois une belle preuve de ce que l'éducation pouvait accomplir, et une tristesse que de voir l'attitude qu'il adoptait à cause de son ingérant de père. Le Gardien ne blâmait pas la religion de Néant, quand bien même elle était violente et parfois terrible, car il restait persuadé qu'à l'image d'un grand nombre de ceux qui la constituait… elle pouvait devenir quelque chose d'harmonieux qui ne menacerait pas le monde. C'était, de plus, une construction unique, qui devait être respectée en cela. Mais tout de même, il en avait, du vocabulaire, quand il s'agissait d'insultes… c'était presque un art chez lui, non ? Enfin pas que ça lui faisait grand-chose, il ne se sentait pas atteint par tout ça. Enfin sans doute pas au sens où l'autre l'aurait voulu. Il avait plutôt envie de rire un bon coup mais Weren n'apprécierait probablement pas et ferait ensuite la sourde oreille. Et il voyait déjà d'ici la tête des gardes s'ils le trouvait entrain d'essayer d'égayer un alayien boudeur. Non décidément ce ne serait pas conseillé… Tout était dans la respiration. S'il respirait bien, il n'aurait pas de problèmes pour se contenir. Mais en plus il avait une envie presque cynique de voir sa tête s'il lui annonçait qu'il prenait ça comme un compliment sur sa beauté. Et bien quoi, il avait bien dit qu'il était beau non ? Donc il n'était pas totalement fermé à l'esthétisme ! Non non, il ne devait pas le faire tourner en bourrique. Pourquoi pensait-il même à le faire tourner en bourrique ? C'était les nerfs qui lâchaient ou quoi ? Ou simplement cet homme qui, décidément, avait tout ce qu'il fallait pour égayer sa journée de la plus idiote des façons.

Enfin lui n'était pas idiot, ce n'était pas ça, mais c'était lui… enfin… est-ce qu'il se rendait compte des fautes de son discourt ou non ? Pas des fautes de parlé mais simplement d'idées ? Mais surtout, il aurait d'avoir une fois de plus raison. Il avait devant les yeux un homme, non une bête… un homme avec ses faiblesses, même s'il ne voulait pas l'admettre. Un homme avec sa sensibilité et une foi bien réelle, aussi cruelle qu'elle puisse être. Il aurait voulu pouvoir affirmer que sa propre foi était aussi forte que la sienne, mais s'il y avait bien un domaine dans lequel Christan Weren lui était supérieur, c'était bien celui-ci entre tous. Il croyait sincèrement, même maintenant que Néant l'avait abandonné… C'était vraiment très beau. Et touchant. Assez touchant pour passer la barrière de dureté dont il s'entourait désormais. Il l'aurait presque remercié pour ça. Presque seulement. Il n'avait pas l'intention de dispenser des remerciements qui tomberaient probablement dans l'oreille d'un sourd.Sourd principalement parce qu'il venait de lui envoyer dans la trogne l'essence de son passé et que ça ne.. passait, sans jeux de mots, pas vraiment bien. Rien de plus normal, vraiment, mais la réaction était tellement énorme, grandiose, qu'il su immédiatement qu'il avait touché un point particulièrement sensible et même vital. La bouillie lui passa près, mais sans le toucher et il pencha légèrement la tête en l'observant rugir de toutes ses forces comme s'il avait tenté de faire un concours avec un dragon. Il aurait pu le torturer davantage, lui retourner ses mots à la figure mais comme il l'avait dit, il n'était pas là pour rire de lui….

Cependant, il estimait que lui faire vider sa colère serait bénéfique. C'était comme le pus d'une plaie, il fallait que ça sorte pour aller mieux… ça, on le lui avait appris seulement quelques mois auparavant mais il s'en rappellerait sans doute longtemps. « Je ne puis mentir, jamais, mais de cela je doute que vous agréez qu'il s'agisse justement de la vérité ou non » Sa voix était toujours douce, comme si l'autre ne venait absolument pas de lui hurler dessus et de l'insulter de tous les noms possibles. « Il se trouve que j'ai beaucoup de respect pour Néant. Et que je suis très triste pour elle. J'aimerais l'aider mais je ne sais encore comment m'y prendre. Vous allez comprendre... » Et il entama l'histoire qu'Edwyn Ruddy lui avait lui-même conté, au sujet de Néant , de sa solitude face à ses frères et de sa venue, d'abord auprès des hommes, puis des dragons en Armanda. Il lui parla de Vraorg le blanc, et de la relation qu'il noua avec l'esprit, de l'amour qu'elle avait pour lui… Il relata comment le dragon assoiffé de pouvoir se joua de Néant et de son affection, Comment il finit par lui arracher le coeur, et avec lui le fondement de son être. Il tenta même de décrire, en lui disant bien que ce n'était qu'un fragment infinitésimal, la douleur que l'on ressentait quand son âme était manipulée, et l'horreur terrifiante qu'avait donc dû être le sort de Néant, des centaines, des milliers de fois plus douloureux. Il lui décrivit de la même façon ce que c'était que d'être totalement vide intérieurement et ce à quoi cela pouvait mener.

Il expliqua qu'elle n'était pas pleinement elle-même, en raison de ce supplice, Et finalement, il laissa le silence revenir autours d'eux.

Il était terriblement attachant, d'une certaine façon, son ignorance franche et sincère ressemblant à une oasis au milieu du désert de ses efforts pour de faire aussi vil que possible. Plus il le voyait et lui parlait, plus il avait sincèrement pitié de lui. Même en voulant être dur, il ne pouvait pas vraiment faire autrement pour cet homme en particulier. Il n'avait rien d'effrayant, ou de maléfique. Il était juste… et bien oui, pitoyable, dans cette violence brute et ces mots grossiers. Même sa malice était pitoyable. Pourtant il ne prenait pas du tout ce terme comme certains pouvaient le faire, comme une insulte et un mal. Il avait simplement et sincèrement pitié de lui. Il n'attendait rien de lui, ne lui demandait rien. Il n'essayait pas non plus de l'aider. D'ailleurs il n'essayait rien, il faisait simplement. Il le laissa une fois de plus parler, ne ressentant rien d'autre que cette compassion tranquille pour une telle personne. On aurait pu arguer que les choses étaient différentes, qu'il aurait agit différemment si l'autre avait été libre, en armure et en armes. Mais non, rien n'aurait changé. Absolument rien. Lorsqu'enfin l'autre se tut à nouveau, il répondit. « Non » Une point d'affection réchauffait sa voix, comme s'il avait répondu à la question d'un enfant remuant et grognon tentant de se donner des grands airs mais ne pouvant arrêter sa curiosité au sujet d'une histoire que l'on venait de raconter. « Non il n'est pas mort, de ce que je sais. Il a été enfermé quelque part, dans un lieu oublié et sombre. J'en déduis simplement que posséder le cœur de Néant le rendait trop puissant pour qu'il soit détruit »

Il n'essaya pas de le contredire pour le reste, bien qu'il l'eut aisément pu. Il n'était pas là pour parler théologie après tout. Surtout avec un fanatique comme celui-ci, ça aurait été profondément ennuyeux. Ce qu'il avait voulu, il l'avait eu ou fait. Weren connaissait à présent la vérité sur Néant et sur son destin. Il se releva. « Si vous sortez d'ici, je ne peux que vous conseiller de travailler à rendre son bien à votre Unique. Une si belle créature sans coeur, c'est un triste destin, surtout pour celle qui a aimé » Lui-même savait ce que cela pouvait faire que de perdre celui qui était le centre de son monde. Et d'une certaine façon, Eliow l'avait également trahit, en trépassant. Plus il y aurait d'individus cherchant le salut de Néant, plus ils auraient de chance d'y parvenir. Il se releva finalement et l'observa une dernière fois. « Je demanderais à un humain de venir vous faire une leçon de lecture, cela pourrait sans doute vous aider dans votre lecture. Bonne fin de nuit à vous, Christan Weren. Que l'amour de Néant brûle fort en vous » Et sur cet ultime salut, il s'éloigna sans un bruit, disparaissant dans les ombres comme un songe éphémère. Lorsqu'il remonta vers les gardes, il fit part de ce qu'il avait dit à l'alayien. Ils firent une drôle de tête mais agréèrent…. Au moins étaient-ils diligents.

HRP : Bon beh c'est partis en conclusion, je ne voyais pas quoi ajouter °° J'espère que cela ira tout de même et que tu auras apprécié le rp ^^