--- 10 Mars ---

On l’avait laissé sortir, pour une fois mais il fallait dire qu’entre le tremblement de terre, le tsunami sur les côtés (de ce qu’on en avait dit) et la canicule, sans parler de l’état de la végétation et des animaux… ils avaient mieux à faire que de l’empêcher de sortir. Protéger, aurait sans doute était un meilleur terme, dans tous les cas, lui s’en fichait comme d’une guigne. Pour l’instant il souhaitait avant tout aller voir quelqu’un et comme cette sortie ne constituait pas une menace dans l’esprit étriqué de ses gardes, enfin ses… bref, ils ne voyaient pas pourquoi ils l’empêcheraient d’y aller et ça leur suffisait à tous. Son père était avec les gardes, certainement, sa mère… peut-être à la recherche d’une solution dans ses livres, cela paraissait probable après la séance jungle de la matinée. Ce qui l’angoissait quelque peu. Mais toute chose en son temps et pour le moment, il se dirigeait vers un lieu où il espérait trouver Aegnor. Le royaume elfique au complet était en émoi et pour de bonnes raisons, ce qui n’était pas habituel… Mais il préférait rester calme, quoi que l’inconnu de cette situation commence à ronger un peu sa retenue. Il avait un peu peur, pour une fois. Peur parce qu’il n’avait pas prévu du tout ces évènements, peur parce qu’il ne comprenait absolument pas ce qui se passait et que, finalement, cela le ramenait à une constatation autrement plus effarante qu’un simple changement brutal de météo. Le fait été que, en l’état, la bulle hermétique que les adultes s’échinaient à préserver autour des vieux bois venait proprement d’éclater et plus encore pour lui, jeune elfe que l’on couvait encore. Les adultes s’informaient, même si ils dédaignaient l’extérieur, certains au moins mais eux ? Eux c’était différent. Ça donnait un relief et une profondeur nouvelle à ce qui était ‘ailleurs’, ‘au dehors’ des bois et de tout ce qu’ils connaissaient. Et que ce qu’il s’y passait, qu’il ne pouvait ni voir ni comprendre, était fondamentalement hors de sa portée. Il était totalement et irrémédiablement sans défense, plus encore que naturellement. Qui n’aurait pas angoissé devant pareille constatation, hein ? Mais en réalité, même si quelqu’un, en cet instant, avait effrontément levé la main pour l’informer courtoisement que si, il n’angoissait pas, il n’y aurait prêté aucune attention.

Il avait abandonné ses gardes à l’entrée du palais, été lui-même entré, puis ressortit par une autre porte pour parvenir à repérer où se situait le bureau d’Aegnor, pour enfin grimper de son mieux sur la façade et atteindre tant bien que mal la fenêtre ouverte par laquelle il s’achemina à l’intérieur. « Aegnor ? » appela-t-il en faisant de son mieux pour reprendre son souffle. Mais Aegnor n’était pas là. Et bien zut, où donc alors ? Il sortit en se préoccupant peu des serviteurs encore présents qui le regardait avec des yeux ronds, ne comprenant pas pourquoi il était là ni comment il était entré. Non, il se fichait bien de ces cervelles d’oiseaux, ce qu’il voulait lui c’était trouver le futur Empereur. Il ne pouvait quand même pas s’être transformé en fougère, si ? L’idée même était ubuesque. Bon si il ne se trouvait pas là… où chercher ? La zone d’entraînement peut-être ? Ou ailleurs ? La bibliothèque ? Il n’avait pas l’air d’un rat de librairie mais après tout… Non, il devait bien se trouver ici, quelque part. Et finalement, perdu dans ses pensées, il failli le percuter au détour du couloir qui menait à ses appartements. « Ah vous voilà » fit-il pour toute excuse, comme si il lui reprochait de se trouver du mauvais côté du couloir et de l’avoir fait chercher un moment. Lui décochant un regard aigu, il finit par indiquer l’extérieur d’un doigt, par une fenêtre. « Vous avez senti ? Ils s’inquiètent dehors… certains commencent même à paniquer et j’ai entendu dire qu’il y avait une tempête sur la côte… » Puis il observa une des fleurs sur le rebord de la fenêtre. A l’origine, ce devait être une rose. Le problème, c’était qu’elle avait la merveilleuse couleur d’une pieuvre à anneaux bleus…[Note : Pieuvre des eaux chaudes marines qui est venimeuse et peut être mortelle] « Et je crois que ce n’est pas l’unique problème en réalité… »

Bon et bien ? Il réagissait oui ou non ? Il comptait peut-être rester planté là pendant des heures ou attendre que cette plante pieuvre passe à l’attaque ? Non parce que, déjà, l’idée d’être attaqué par une pieuvre mal embouchée en faisant trempette ça ne lui plaisait pas vraiment, mais alors quand il s’agissait carrément d’une plante ayant la riche idée de se prendre pour une pieuvre mal embouchée, là il rendait les armes, c’était trop ! Pour un elfe il n’avait certes pas la main verte, mais cette histoire était en passe de lui ôter les quelques amours végétales qu’il avait jamais pu avoir ! Et quand finalement il répondit, après s’être débarrassé de la fleur en question, ce fut pour… de quoi ? Comment ça il avait demandé qu’on retire toutes plantes du palais ?! Haussant légèrement un sourcil, le jeune adolescent l’observa un instant comme si il était littéralement tombé sur la tête et c’était mis à danser et chanter des chansons paillardes humaines. Non mais, il avait fumé une mauvaise herbe ou quoi pour donner un ordre pareil ? Il comptait déraciner le palais entier aussi ? Non parce qu’aux dernières nouvelles, le palais tout entier était non seulement recouvert de végétation, mais était en plus construit dans un arbre énorme alors… enfin, il fallait supposer que les mages impériaux allaient effectivement pouvoir faire quelque chose, ou ils auraient tous de graves problèmes. Si une simple fleur pouvait se transformer en psedo octopode, il ne voulait pas savoir ce qu’un arbre plusieurs fois millénaire pouvait trouver comme blague à faire à ses occupants, ça avait légèrement tendance à le crisper. « Tient donc » souffla-t-il tout bas. Certaines plantes étaient devenues folles et dangereuses, ah non il n’avait absolument pas remarqué ça avant, non vraiment…

Il hocha néanmoins la tête au conseil. « Je crois que ça vaut mieux effectivement » admit-il. Il ne tenait pas à ce que sa magie devienne folle elle aussi, qu’elle soit elfique ou vampirique, elle causerait tout autant de soucis. D’autant qu’il n’était pas encore très bon avec elle, contrairement aux adultes. Il préférait déjà ne pas y toucher et heureusement qu’il n’en avait pas réellement besoin au quotidien. Il pouvait s’en passer facilement. Il lui emboîta le pas alors que l’autre se dirigeait vers son bureau. Il resta un instant silencieux, puis referma la porte de bois avant de prendre la parole, n’ayant pas forcément envie que tout le monde les écoute. « Franchement, vous croyez que de tels phénomènes pourraient être ponctuels et nous toucher simplement nous ? Aucun mage n’a le pouvoir de faire s’abattre autant de catastrophes en même temps, même sur une simple forêt. Le reste du continent doit être touché, et ils ont peut-être fait face à des choses que nous n’avons pas encore vues » Il croisa les bras, faisant face à la fenêtre qui semblait caressée par des lierres ressemblant à de petites mains délicates, ce qui ajoutait une touche sinistre ou du moins dérangeante à toute cette affaire. « Je ne m’y connais pas encore vraiment en magie de haut niveau mais j’ai lu que la trame est alimentée par le pouvoir des Esprits supérieurs. De toute évidence, ce sont eux qui ont un souci. Les plantes, c’est l’esprit végétal, les tempêtes et typhons marins c’est océan, le vent, c’est.. est bien… vent… La chaleur c’est feu. Ce qui signifie qu’il nous reste encore à voir les ‘cadeaux’ de Vie, de Mort et de Terre. Si cette dérégulation prend la forme de catastrophes naturelles, on peut penser que pour Terre ce sera des tremblements non ? Mais et les deux autres ? »

Et bien là, ça faisait peur, à demander. Quelle catastrophe allait incarner le dérèglement de Vie et Mort ? Il n’avait pas très envie de le savoir. Secouant la tête, il poursuivit, voyant que son interlocuteur ne répondait pas. « Aegnor, le royaume elfique tout entier est constitué de végétaux, même nos maisons… si ce dérèglement se poursuit, il vaudrait mieux que nous quittions tous les bois ou nous allons avoir de gros problèmes. Je n’ai pas vraiment envie de ne plus me réveiller un matin parce que mon lit m’aura étranglé pendant la nuit, et vous ? »

Il le regarda durement, parfaitement sérieux alors que l’autre se récriait, gardant le silence jusqu’à ce qu’il en est terminé avec l’auto-persuasion. Puis, enfin, lorsqu’Aegnor en eut terminé, il répliqua calmement. « C’est bon ? Vous en avez fini ? » Question rhétorique, il avait fini oui et c’était donc son tour de parler. « Ecoutez Aegnor, je comprends tout à fait que cela puisse être difficile pour vous d’envisager pareille solution, cependant il va bien le falloir » L’adolescent croisa les bras sans le quitter des yeux. « Soyons clairs, que nous restons ou que nous partions, nous allons devoir nous battre. Cependant, on se bat plus facilement contre des humains, ce que sont les alayiens, que contre toutes les forces de la nature réunies. Essayez une petite seconde de réellement penser aux solutions que vous venez de m’exposer : Vous tuerez chaque fleur ? Vous ficèlerez les arbres ? Vous voulez vous battre contre la nature et vous avez tout de même le culot de me brandir au nez que quitter les bois serait renoncer à notre chez nous ? Vous croyez que ce que vous proposez est mieux ? Vous voulez forcer les elfes à tuer des plantes, à les contraindre, alors que nous vivons avec elles, en harmonie, que dis-je… en symbiose totale ? Les elfes sont la nature, vous croyez que ça leur fera quoi exactement de devoir en arriver à de telles extrémités ? Vous leur arracherez le cœur aussi sûrement sinon plus que moi » Il allait vraiment falloir remettre les choses à leurs places. « Vous me dites que nous aurions à nous battre à l’extérieur, mais nous nous battrons aussi ici et dans un espace beaucoup plus dangereux et restreint que celui du royaume humain. Nos maisons sont des arbres, la nature est maîtresse ici et nous étions des invités de marque avant ce jour. Maintenant nous sommes des importuns que la forêt veut tuer et vous ne pourrez pas l’empêcher, quelque que soit le nombre de fleurs que vous couperez. Vous auriez plus tôt fait de brûler la forêt. Elle vous aura. Vous serez en permanence sur vos gardes, car vous ne pouvez changer ce royaume d’un claquement de doigts. Vous serez tout aussi sur le qui-vive qu’à l’extérieur, à attendre de vous faire empoisonner, ou que sais-je encore, en permanence. Mais la différence, c’est que le royaume humain est des centaines de fois plus vaste que le nôtre et que les alayiens auront bien du mal à le quadriller, si jamais ils devaient être informés de notre sortie. Non seulement cela, mais nous sommes toujours alliés avec les humains. Nous aurions un asile chez les rebelles… » Il se déplaça légèrement en poursuivant. « Les alayiens sont occupés à se battre contre les rebelles, vous croyez vraiment qu’ils surveillent nuit et jour les vieux bois ? Non seulement cela, mais à découvert le surplus de magie serait bénéfique contre les rares assaillants que nous croiseront » Sans laisser ne serait-ce qu’un instant la possibilité à son vis-à-vis de commenter ses paroles, il poursuivit sur sa lancée. « Où est passée votre volonté de changement ? Votre détermination à choisir le meilleur pour votre peuple ? Dès qu’une difficulté se présente vous retourner votre veste ? Ce qui est lâche c’est de refuser de prendre la bonne option au bon moment, aussi dure soit-elle. Vous vous contredisez vous-même. Arrêtez de ressembler à ces vieillards du conseil… la menace vient de l’intérieur ? Non la menace vient du plan astral, des esprits et de ce monde et ce monde ne se limite pas au nombrilisme elfique et il vient de nous le prouver. Les alayiens ne sont pas responsables de cela. C’est la magie. Qu’est-ce qu’il vous faut ? Que la forêt s’embrase ? Qu’on ne puisse plus y marcher sans perdre la vie ? Qu’une tornade nous emporte ? Vous ne voyez pas plus loin que le bout de votre nez… mais soit, faites donc ce que vous voulez, vous pourrez toujours considérer ma proposition quand la moitié du royaume aura périt » Et il réouvrit la porte avec la ferme intention de partir. Il était venu parler avec un futur souverain, mais un elfe borné.

S’il s’arrêta, ce fut uniquement dans l’espoir qu’il aurait une illumination et comprendrait immédiatement. Mal lui en prie. Dès qu’Aegnor ouvrit la bouche, une profonde lassitude le saisit et il manqua soupirer, sans se l’accorder. Il aimait bien l’héritier, mais parfois celui-ci était réellement bouché… à tel point que ça aurait même pu devenir comique si le sujet n’avait pas été si grave, si alarmant. Il croisa à nouveau les bras et le laissa à ses élucubrations. Par Dracos il aurait tout simplement dû le planter là. Il aurait eu l’air fin tient… Mais bon, il ne l’avait pas fait, tant pis, ce serait pour la prochaine fois. En attendant, il le laissait parler sans vraiment accorder d’importance à ce qu’il racontait. En réalité, il l’aurait bien fait, le problème était qu’à chaque fois qu’il tentait de reprendre le fil il tombait des nues devant la candeur et la naïveté de l’Evanaelle… et il devait avouer que de voir autant d’enfantin chez cet individu censé un jour les diriger était terrifiant au possible. Quel était son totem déjà ? Hibou ? Il l’aurait bien vu en taupe…Pinçant sensiblement les lèvres, en une réaction presque indétectable, il le cloua sur place de son regard. Le petit géni n’avait pas envie de jouer, là tout de suite, et sa réaction instinctive aurait été de démonter ses paroles unes à unes, à prenant bien soin de lui faire sentir à quel point il était stupide de suivre un chemin de pensées pareil, aussi brouillon et incohérent, à tel point que le jeune elfe se demandait même s’il comprenait exactement de quoi il lui parlait. Cependant, il se retint et continua de l’observer un long moment, ouvertement critique, après quoi il répondit de son habituel ton neutre. « Oh si, vous manquez de clairvoyance… Et pas qu’un peu » S’autorisant enfin son soupire, il se vida les poumons avant de poursuivre, égal « Je n’essayerais pas de vous faire entrer dans la tête ce que je dis, vous avez entendu mes paroles, à vous d’y réfléchir ou de ne pas le faire et d’en porter les conséquences, ça vous entraînera à votre rôle de souverain je suppose. Rappelez-vous en simplement lorsqu’il vous faudra partir. Parce que partir il le faudra, j’ai raison » Il ne doutait même pas un instant de cela. « J’ai dit ce que j’étais venu dire. Je n’ai pas d’autres raisons de rester après cela » Il y eut un silence avant qu’il ne rajoute, avec une pointe de venin sarcastique, ne pouvant guère s’en empêcher. « Vous allez avoir besoin de tout votre temps et concentration si vous voulez ficeler des arbres » Et cette fois, sans prête attention à quoi que ce soit qu’il pourrait dire, le jeune homme parti et descendant par une fenêtre, histoire d’en rajouter une couche.

[Hrp : Bon c't'une conclusion au final mais c'est venu tout seul OO merci pour le rp ! c'était quand même super sympa mdr en espérant qu'on se recroisera ^^]