Il était sorti seul, dans l’intention de se promener un peu, de prendre l’air mais surtout ? De s’éviter la présence continuelle des humains de la rébellion. Ceux-ci commençant sérieusement à user sa patience pourtant profonde et solide. Il appréciait l’humanité en général, une race jeune et pleine de vie, très adaptable et qui avait de l’avenir… Certes, une part sombre de sa personne, la part purement vampirique, ne les voyait pas exactement sous cet angle, mais sa part plus civilisée et plus intellectuelle appréciait souvent le contact de ces éphémères petites choses. Certaines étaient très agréables et particulièrement intéressantes. Elles le fascinaient véritablement et il s’estimait très chanceux de pouvoir les côtoyer. D’un autre côté, certaines de ces petites choses étaient au contraire particulièrement agaçantes et il commençait à ressentir le besoin fébrile de nouer ses mains autours de leurs cous pour les serrer lentement en les regardant bleuir… Les plus virulentes de cette catégorie se trouvaient être les mages de la rébellion, du moins une bonne partie, qui ne cessaient de le harceler pour qu’il se joigne au conclave et leur offre ses savoirs et expériences comme si il s’agissait d’un cadeau qu’il était contraint de faire du fait de l’alliance entre leurs peuples. Damnés opportunistes. Bien entendu, qu’ils voulaient ses savoirs, il était le second mage le plus puissant du continent tout entier, le premier si on omettait le dopage de Lorenz… Il s’y était attendu et préparé, avait tout fait pour rester calme et compréhensif, mais là, ça devenait vraiment étouffant. Et puis une bonne balade ne pouvait que lui faire du bien. Dans l’immensité des plaines, seul en compagnie du vent qui sifflait à ses oreilles dans la course de sa puissante monture vampirique dont les muscles jouaient entre ses cuisses.

Perdu dans l’océan herbeux, se fichant éperdument du temps qui passait, de l’obscurité… les étoiles froides filaient, floues, comme un halo lointain et inaccessible bénissant les enfants de la nuit. Il filait dans la mer de collines, cheveux au vent, serrant les jambes sur la selle, les mains sur les rennes, ressentant l’air qui lui fouettait le visage alors même que son regard fixe ne quittait pas l’horizon lointain. Droit devant, sans arrêts, s’éloigner de la rébellion, de la frustration, de la colère, de l’incertitude et des concessions diverses et variées qui rendaient l’existence plus difficile encore ces jours-ci. Lui qui était le premier à tenter de faire des efforts arrivait au bout de ses capacités. Il voulait de l’espace. Il voulait… revivre son vol avec Silarae, sentir la liberté qu’était le ciel, la certitude de pouvoir aller où bon leur semblait, libres de tout et de tous. Hélas il n’en avait pas vraiment la possibilité, mais cette chevauchée était déjà une bonne catharsis pour son esprit malmené. Il se laissait respirer comme un humain, savourait les sensations simples. Parfois, la simplicité était la meilleure chose qui pouvait être, non ? Loin de soucis, il ne se préoccupait plus de rien si ce n’était son caprice du moment et la certitude que rien ne pouvait l’atteindre. En cet instant, qui semblait durer une éternité, il n’avait rien d’autre à penser que son imagination débridée, entre ciel et terre. Et alors qu’il semblait que l’intense ferveur d’un rêve sombre atteignait son paroxysme, un nouvel élément s’ajouta à sa liberté, le couvert ombré d’une forêt dans laquelle il s ‘engouffra sans hésitation avant de mettre pied à terre. Laissant aller sa monture pour quelques instants, une présence vint frôler sa conscience et il sourit en la reconnaissant.

Dans la couronne d’une légère clairière, il se découvrit au regard d’une dragonne qu’il avait perdu de vue voilà plus d’un an. Et qu’il retrouvait, par pur hasard mais avec joie. Elle avait grandis, majestueuse sous ses yeux, ombre grandiose mais bien plus que cela. « Isyndar » murmura-t-il, la voix comme un souffle de vent léger. Ses yeux crevaient les ombres, embrassant la formidable présence et la détaillant avec admiration, affection. Il tendit une main avec douceur, la déposa sur l’imposant museau. Un geste intime que beaucoup auraient trouvés déplacés car manquant à l’accord du dragonnier de cette merveille qu’était la dragonne d’ombres. Mais Isyndar et lui n’étaient pas des étranger, loin de là même. Ils se connaissaient. Et plus que cela. Et le geste, empreint de tendresse, était la redécouverte d’une relation interrompue trop tôt et sur l’urgence d’une vie en danger. « C’est une bien heureuse coïncidence qui nous réunit, mais j’en remercie les esprits » dit-il avec sincérité, continuant de l’observer. « Je vais bien, mieux qu’auparavant… » Il caressa l’écaille rude sous sa main nue avec autant de délicatesse qu’il l’eut fait d’un objet de cristal. « Tu m’honores, je suis touché de savoir que tu m’accordais une place en tes pensées. J’ai également pensé à toi, souvent au cours de ces mois… Je ne puis dire que mon sort fut le plus agréable qui soit, mais mes souffrances se sont achevées avec l’intervention d’une courageuse dragonnière et d’un elfe qui me tient à cœur. Je déplore sa mort mais son sacrifice ne fut pas vain et ses espoirs perdurent. Je les porte désormais, en son honneur autant que par adhésion » S’interrompant, il se déplaça sensiblement, posant son autre main sur le large museau.

« Et toi, ô ombre dansante… je suis confus de n’avoir pu te retrouver, sur le domaine Baptistral. J’y ai croisé ton dragonnier, qui m’a dit que tu te trouvais en auguste compagnie, je n’ai pas osé te déranger. Comment va-tu ? Tu sembles… » Différente ? Non ce n’était pas le mot exacte…

Face à Isyndar, certains sentiments, enfouis sous les autres, refaisaient surfaces, en même temps que les souvenirs de leur dernière rencontre, alors que la dragonne de l’ombre n’était qu’un petit dragonnet à peine plus imposant que son avant-bras. Elle avait gagné en taille, en puissance, en majesté… pourtant, elle restait égale à elle-même, la plus douce des créatures. Plus douce que Silarae, même si sa blanche n’avait pas d’égale à ses yeux. Tout comme Roëric n’en avait pas pour Isyndar, très certainement. Car il s’agissait là d’amour plus que fusionnel et bien différent des passions matérielles, terrestres. Souriant, il accueillit les réponses qu’elle lui offrait au sein de son esprit comme des gemmes précieuses et pourtant sans prix, car entendre la voix d’un être aimé n’avait jamais de prix et n’en aurait jamais. Peu d’individus pouvaient se vanter d’avoir l’amitié d’un dragon, même un dragon aussi doux qu’elle l’était. Lui avait non seulement la chance d’être dragonnier, mais également de bénéficier de ce présent inimaginable qu’était son amitié et sa tendresse. Et pour cela, il la remerciait infiniment. « Si un jour nous pouvons nous le permettre, je serais ravis et honoré d’entendre ce récit de tes périples » Comment aurait-il ou ne pas s’y intéresser ? Il y avait certainement beaucoup à raconter, d’autant que cela faisait un moment. Une broutille aux yeux de son éternité, mais pas à ceux d’une jeune créature, toute ancestrale fut-elle. Et le monde tournait et changeait si vite, en ces temps, qu’il ne serait guère surprenant de voir qu’il se déroulait plus de choses en un an qu’en cent auparavant. Il l’avait d’ailleurs vécu de première main, pour son plus grand inconfort d’ailleurs. Vieux vampire, il ne changeait et n’acceptait le changement que très lentement et à reculons la plupart du temps.

Il sourit à l’affirmation de la dragonne de vouloir protéger celui qui l’avait aidé. « Il se nomme Eliowir. Un individu portant un lourd passé mais dont les qualités m’ont conquises. Plus qu’un sauveur, c’est un compagnon qui me tiens très à cœur… vraiment, beaucoup à cœur » Pour ne pas dire plus encore. Eliowir était sien, sa propriété, son doux ami… Il l’avait marqué d’un signe indélébile et il attendrait des centaines d’années pour l’avoir s’il le fallait. Pourtant il ne s’attarda pas sur ce sujet-là immédiatement, car il n’était pas le seul à l’avoir aidé. « Dame Lyroë désirait voir la création d’un ordre indépendant des dragonniers. Un ordre non soumis aux rois et souverains, qui protégeraient les terres d’Armanda qui nous sont si précieuses. Elle vint me trouver afin de me gagner au projet, et j’avoue le soutenir. Je veux voir cet ordre naître. Et si je dois le bâtir de mes mains je le ferais, j’enseignerais aux futurs dragonniers tout ce que je pourrais… Ce ne sera pas parfait, mais ce sera au moins un début de solution » Il n’avait pas l’ego de croire qu’il pourrait entraîner des dragonniers entièrement à lui seul, il n’avait pas de connaissances dans tous les domaines. Il n’était pas un bon maître d’armes, par exemple et la stratégie militaire ne lui était pas forcément des plus aisées… Mais bon, les choses restaient lointaines, elles n’auraient de corps avant des années. Et justement… savoir qu’elle portait la vie, la vie d’un nouvel ancestral, l’ému au-delà des mots. Un instant, il fut muet, avant d’inspirer et d’expirer profondément. « Félicitation Isyndar… c’est merveilleux…. C’est… »

Que dire, vraiment ? Que dire quand une dragonne s’apprêtait à devenir mère pour la première fois ? Il n’y avait véritablement pas de mots pour cela, alors il tenta, de son mieux, de transmettre ses sentiments purs, directement, par le biais de la télépathie. Sa surprise, son ravissement, son soulagement, son émoi… l’espoir que cela représentait… Il le transmit comme il put, avec l’espoir fébrile qu’elle parvienne à s’y retrouver dans ces émotions de mortels, tout immortel qu’il fut pourtant. Qui avait jamais dit que les vampires n’avaient pas de sentiments ? Il se reprit difficilement, essayant de se remettre de ses émotions justement, pour répondres aux interrogations finales de la dragonne. « Je suis ici pour prendre l’air, fuir l’enfermement des cavernes rebelles. Je suis resté auprès de mon peuple, c’est mon devoir… Mais parfois, cela devient tout simplement trop pesant et je préfère m’éloigner. Mes savoirs attisent la curiosité des mages humains…Quant à Silarae, elle vole au loin, éprise de liberté tout comme moi. A nous éloigner, nous prisons davantage nos moments de réunion » Il secoua la tête, encore sous le choc de la nouvelle et fit quelques pas dans la clairière. « Pardonne-moi… C’est simplement… Cette nouvelle est absolument magnifique, jamais mon cœur ne s’est autant réjoui depuis l’éclosion de Silarae pour moi…C’est une nouvelle aube pour Armanda »

Comment avait-il put finir lié à cet horrible personnage qu’était Lorenz Wintel ? Bonne question et hélas, la réponse la plus franche n’était également pas la plus plaisante à entendre pour certains. Ce qui était étonnant, c’était que ce qui était une véritable malédiction semblait attirer l’hostilité des conseillers et chiens du prince vampiriques qui semblaient penser qu’il put ainsi s’en prendre à lui et causer sa perte. Stupides créatures sans réflexion qui ne comprenaient franchement rien à la magie profonde, sortie des carcans des sorts raciaux… Les sortilèges qu’il avait inventés dans un lointain passé étaient des choses subtiles mais impossibles à contrer, et le Double Royal ne souffrait pas de sinuosité et de tricherie. Il avait été l’égal d’un chien docile pendant plusieurs mois et l’expérience était singulièrement dérangeante… mais moins que l’attitude de ces imbéciles, en règle générale. Enfin, s’ils voulaient perdre leur temps à chasser des ennemis qui n’existaient pas, ça les regardait. Cependant, conter tout cela à Isyndar, du moins l’idée de le faire, le mettait très mal à l’aise, car il n’imaginait pas vraiment le poids que cela put avoir, ou l’impact sur les réactions de l’écailleuse. Il faisait néanmoins confiance à Isyndar, aussi n’éviterait pas le récit… Cela en tête, il eut un rire léger et réellement amusé, empreint de chaleur. « Comment donc pourrais-tu me froisser en ne disant que la vérité ? Je sais bien que Lorenz Wintel n’est guère apprécié de la race draconique, si tant est que l’on me permette tel euphémisme. Et à raison d’ailleurs. Je n’ai cependant plus à souffrir de lui pour le moment. En réalité, nous nous voyons peu si non pas du tout ces temps-ci… »

Il ne voyait pas beaucoup de vampires en dehors des anciens lui rendant régulièrement visite et c’était sans aucun doute parfait ainsi. Bien entendu, il aurait adoré qu’un certain elfe vienne le trouver, un elfe dont il parlait d’ailleurs à la dragonne. Eliowir semblait adorer les dragons, l’histoire de cette race magnifique et tout ce qui avait tait à eux… Et puis, c’était un mage. Qu’en dire de plus… Il était évident qu’il serait ravis de rencontrer Isyndar et sans doute serait-ce une bonne chose qu’il trouve aussi un accueil un peu plus agréable comparé à ce dont il avait l’habitude. L’ancien se souvenait bien des troubles que vivait son doux ami et tout ce qui pourrait l’aider à aller de l’avant serait le bienvenu. Et puis c’était un tel honneur, un tel bonheur, que de pouvoir discuter avec une créature ancestrale… « Je suis bien d’accord avec cela. Et si l’occasion m’en est donnée, je tâcherais de le guider jusqu’à toi, afin que vous puissiez vous rencontrer, si bien entendu tu ne le croise pas avant cela. Je suis certain qu’il sera enchanté de pouvoir converser auprès d’une si magnifique dragonne » Si flatterie il y avait, elle était parfaitement sincère. « Je suis certain qu’il adorerait te conter la vie des elfes et il le fera sans aucun doute bien mieux que je ne pourrais » Pour tout son savoir, le vécu était cependant plus fort, les souvenirs plus intenses. Et l’expérience, tout simplement, plus appréciable.

Les mots de la dragonne lui faisait chaud au cœur, et se fut la reconnaissance qui filtra de son esprit pour venir caresser celui de l’ancestrale aux écailles d’ombre. « J’en suis ravis et heureux. Nous pourrons agir de concert, ainsi. Roêric était resté relativement muet sur cette décision la dernière fois que nous en avons parlé… ou bien ne l’avait-il tout simplement pas arrêté à l’époque. Quoi qu’il en soit c’est une bonne chose de vous savoir tous deux avec moi. Convaincre les autres risque d’être difficile, quoi que le dragonnier au lié doré m’est été très attentif et ouvert à l’ébauche de proposition que je lui ai faite… » Mais il ne voulait pas crier victoire trop vite. « Si bien entendu… cela dit leurs manières laissent à désirer. Je suis vieux Isyndar, un vieux vampire qui a vu le jour dans un autre monde. Il y a des choses que je parviens à tolérer plus facilement que d’autres, même en travaillant sur moi-même. Que l’on cherche à m’arracher mes connaissances par tous les moyens enlève beaucoup de la légitimité de leur curiosité. Et je ne peux prétendre que cela ne me chagrinerait nullement de savoir qu’ils utiliseront ces connaissances contre mon peuple par la suite. Quel que soit le chemin de destruction dans lequel les entraine Lorenz, ils restent mon peuple, de simples enfants que l’on guide faussement… Les voir mort me peine »

Que dire de plus que cela, réellement, alors que ce n’était que la pure vérité ? Autant qu’il était vrai que sa préséance allait à l’extérieur en ce moment, au grand air et aux paysages magnifiques de ces régions, quoi que ravagés par la guerre et les conflits. Et ses envies de libertés l’avait conduit ici en cette journée, pour revoir la dame des cieux et apprendre cette fabuleuse nouvelle… Une nouvelle sans précédent. « Sans doute contribuera-t-il à un nouveau futur, en effet… et je comprends ton inquiétude, du moins je le pense. Je suis moi aussi parent, quoi que mon enfant ne soit pas aussi important à la survie et l’avenir de ce monde. Sache que je protégerais ce bourgeon d’espoir de toutes mes forces, même si pour cela je dois affronter une armée entière. Tu pourras toujours compter sur moi, et j’en suis certain, sur Silarae également… Et sur tout individu qui aura à cœur le bien être de ce monde autant que de ton enfant. Dragons, dragonniers, mages… Mais certainement aucun plus que celui qu’élira cette nouvelle vie… »

Valait-il réellement mieux que Lorenz ? Voilà une étrange question à se poser et il n’était pas la bonne personne pour se juger lui-même sur ce sujet. Même si il n’agissait pas comme le prince maudit, ça ne voulait fondamentalement rien dire. Eviter un acte purement maléfique ne voulait pas en commettre un d’une autre sorte. Tourner le dos à un pécher ne signifiait nullement les éviter tous. Il n’osait se croire meilleure que ne l’était Lorenz, il n’osait penser qu’il valait mieux que lui. La vertu était un vernis qui se fissurait beaucoup trop vite, un vernis qui dissimulait des tréfonds que la bonne pensée préfèrerait voir éteint. Non sans doute ne valait-il pas mieux que Lorenz, il était… une autre forme de périls ? Un autre destructeur, quoi que bien à sa façon ? Pourtant ça aurait été une catégorisation encore bien trop étriquée et fermée. Peut-être valait-il mieux, tout simplement, ne rien en dire. Dans le doute un silence était encore la meilleure des réponses. Il afficha simplement un sourire affectueux et léger, presque l’ombre d’un sourire en vérité mais qui restait sensiblement plus marqué sur ses traits autrement très figés, comme le marbre d’une statue. « J’espère donc que tu trouveras donc les récits à ton goût » Il n’en doutait guère à dire vrai. Eliowir savait se servir de sa langue de bien belle façon et ses paroles lui avaient charmé l’oreille. Sans nul doute serait-il capable de charmer également Isyndar également. Mais qui donc aurait pu ne pas l’apprécier ? Cela lui semblait impossible que de pouvoir reprocher à son elfe quoi que ce soit.

Mais y penser relevait également d’un autre souci, qui se poserait forcément : l’entente des différents membres d’un ordre de dragonniers. Il fallait, à défaut de s’apprécier, vivre en communauté et en harmonie avec les autres, travailler ensemble et pas les uns contre les autres. Il fallait être capable d’empiler des connaissances, de les lier entres elles, lier des domaines de compétences entre eux. Ce ne serait jamais simple, tant en raison de leur caractères mais également en raison de leurs différences. Pourtant c’était possible. Il en était convaincu et ce qu’il avait vu l’encourageait dans cette voie. Il était possible de s’entendre. Possible de travailler ensemble, d’une façon ou d’une autre. Il suffisait de travailler et d’y mettre du sien. « C’est effectivement un domaine qui nous sera fort utile » répondit-il en pouffant légèrement. « Mais oui, ton lié a toujours été renommé pour son talent de bretteur. Je suis certain que ses élèves ne pourrons que se félicite de bénéficier de son expertise » En espérant qu’ils n’aient pas à se servir de ces talents-là trop souvent. Former des tueurs n’était pas former des dragonniers, et l’inverse était également véridique. Il ne voulait pas former des tueurs, ça n’avait aucun intérêt. Il voulait former des individus, êtres, capables de penser, de réfléchir, d’agir avec raison et justesse à défaut de justice. Il y avait bien assez de tueurs comme cela de par le monde, mais si peu de lettrés que s’en était triste à pleurer.

« Oui je me doute bien de son amertume à l’égard de ma race. Cette rancœur est hélas de mon fait. Je m’en repends mais hélas j’ai eu un geste malheureux que je ne pouvais éviter, à l’égard de son lié, de même que Kedrildan et depuis… » Il ne termina pas sa phrase mais après un blanc, conclut avec détermination. « Mais je ne perds pas espoir de rétablir le dialogue avec lui. Je suppose qu’avoir l’appui et le pardon de son lié sera un argument de départ… nous verrons bien » Il préféra ne pas s’attarder sur le sujet, se sentant relativement gêné d’en parler. Il n’était pas fier de ce qui s’était produit ce jour-là et aspirait simplement à ce que l’on comprenne qu’il n’avait jamais voulu de mal à personne, à défaut d’avoir la chance d’un pardon réel. Et ce même si cette utopie existait. « Tous les jeunes mâles ont besoins de se sentir fort. Cela passera certainement avec le temps et les rencontres. Même si il semble imperméable à la raison pour le moment, j’ai pu constater que les réflexions intérieures avaient toujours lieu. On peut feindre la surdité, mais on en devient pas sourd pour autant » Oui, ça il le savait bien. Et de même, on pouvait faire semblant d’être stupide, ça ne signifiait pas qu’on l’était réellement. Lui-même avait été un jeune mâle un jour lointain et avait eu sa part de posage. Il avait été jeune, buté et un peu bête mais il s’était amélioré avec le temps qui passait. « Ils adorent lancer des menaces. C’est tout autant un mécanisme de défense qu’un impondérable irritant pour les autres »

Il soupira. « Tu sais… » Il l’observa, une lueur lasse et triste dans les yeux. « J’ai toujours dit que les vampires apprendraient, qu’ils s’élèveraient au-delà de cet état de bête assoiffée et esclave de ses pulsions qui caractérise nombre des miens. Si nous, anciens, avons réussi, pourquoi pas eux ? J’ai pu prouver avec certitude que, en éduquant un nouveau-né dès sa transformation, on peut très vite lui rendre un comportement presque humain, raisonnable et logique. Qui ne se justifierait plus simplement par le terme de ‘vampire’. Ce qui m’inquiète pourtant, c’est ceux qui errent déjà sans guides et tous ces enfants que l’on abandonne à la faim sans fin… Si nous étions plus nombreux cela règlerait le problème. Jusque-là cependant… » La suite lui arracha un sourire également triste. « Je suis certain qu’il le fera, je n’ai aucun doute là-dessus » Secouant doucement la tête, il se détourna pour observer le ciel, restant un moment silencieux. Puis, lentement, il souffla. « Je ne veux plus voir se répéter le passé… L’une des raisons pour lesquelles je continue à me battre, c’est que je veux offrir un véritable futur à nos peuples. Qu’ils me haïssent ou non, ça n’a pas d’importance, tant qu’ils sont saufs »

Lui conter ses histoires ? Voilà une demande à la fois flatteuse et triste. La plupart de ses histoires n’étaient pas de jolies histoires roses et pleines de bons sentiments, ou si elles l’étaient, ça ne finissait jamais très bien. Ses histoires étaient inspirées de faits réels, d’expériences vécues souvent, ce qui expliquait aisément leur teneur. Des histoires de vampires et de dragons, d’humains aussi… il en avait beaucoup, certaines pour enfant, même tristes, d’autres uniquement pour adultes. Il était conteur en son cœur avant d’être conseiller ou mage de guerre. S’il marchait en ce monde, c’était aussi pour engranger d’autres histoires. Peut-être même des histoires plus belles et plus joyeuses ? Si il en trouvait, pourquoi pas après tout, non ? « Oui je l’ai vu… je te le raconterais si tu veux. Et peut-être qu’un jour c’est ton histoire que je conterais, qui sait ? » Il sourit légèrement, cela lui semblait une bonne idée et une belle histoire, oui. Est-ce que cela plairait à la dragonne ? Il en était moins certain. Oui ou non. En tous les cas il s’en inspirerait, au moins un peu. Mais conter le départ des dragons… ce n’était pas son sujet favori à vrai dire. Très triste et mélancolique. Il se sentait honteux quand il en parlait. Honteux car il avait participé de se départ, à sa minuscule échelle… Ce n’était certainement pas une raison de se glorifier. Son sourire se fit plus amer, avant de disparaître. Hélas, ceux qui savaient se battre usaient hélas souvent de leurs capacités… « Je n’espère pas autant, pas assez, pour clamer apprendre à quelqu’un la justice, Isyndar… mais sans doute puis-je les aiguiller vers la justesse. Ce serait déjà très bien, à mes yeux. Il y a tant à faire et aucunes bases solides. Il nous faudra du temps pour réellement créer un système d’apprentissage qui ira de pair avec les idéaux que nous poursuivons. Mais nous avons beaucoup de temps, fort heureusement » Oui, beaucoup de temps pour tout mettre en place. Quoi qu’il y aurait toujours un risque pour que leurs élèves décident de choisir le mauvais chemin. Ce serait pire, alors. Un individu faisant un mauvais choix par manque de connaissances, ça arrivait, par manque d’objectivité également… on pouvait penser que cette vérité-là se déclinait d’autres façons. Mais un individu parfaitement formé décidant de faire un mauvais choix en connaissance de cause était une autre paire de manches.

Sa tribune au sujet des vampires lui tira un soupire léger, et il l’observa avec affection. « Tu as raison, certes. Mais pour étendre la tolérance au monde, il faudra s’en faire les portes étendards » Et là, le bas blessait un peu quand même… Il aurait du mal à faire croire à qui que ce soit qu’il prônait et défendait la tolérance. Enfin bon, il verrait cela en temps voulu, ce n’était déjà pas si mal d’avoir convaincu le jeune humain. Et entre temps, il aurait revu Eliowir. Si un vieil elfe conservateur se décidait à l’accepter… d’autres le ferai peut-être aussi ? Il y avait tant de peut-être, ici, qu’il se trouvait avec l’impression fortuite de refaire le monde en ‘si’. « Nous verrons, mais je reste convaincu qu’il peut changer… qu’ils peuvent changer. Même dans leur démarche bornée, il y a certaines caractéristiques intéressantes » Cela faisait sans doute très sujet d’étude mais chaque façon d’être avait une raison et une logique, une mécanique qui lui était propre et il escomptait bien pouvoir les observer. Mieux vaut connaître son adversaire avant de vouloir s’en prendre à lui, même si c’était pour le faire changer. Si il pouvait convaincre un bipède, alors il tenterait la même chose avec les dragons, il n’avait pas grand-chose à y perdre. « Peut-être qu’une fois son but accompli, elle acceptera de vous guider vous et les futurs générations plus avant. Si non… et bien nous ferons sans. Les premiers dragonniers avaient également fait sans non ? Ce n’est donc pas impossible, loin de là » Avec de la détermination et un objectif, on pouvait se donner les moyens d’atteindre les plus vastes hauteurs. Il pencha de nouveau la tête. « C’est dur, pour vous. Vous êtes l’étincelle embrasant les feux de l’avenir. Mais je suis certain que tout ira bien, je vous fais confiance, à vous tous peu importe si vous m’incluez ou non dans cet avenir » Bien entendu, il parlait là pour l’ensemble des jeunes dragons du continent. Sa bonne humeur disparue cependant peu après, soufflée comme la flamme d’une bougie et il devint grave et silencieux un long moment, laissant la dragonne parler et le vent jouer…

« Cela m’importe, à moi. Je fais ce que je dois faire. Je ne me soucie pas de ces sentiments. Mais je ne suis ni fou ni dépourvu de cœur. Qui donc souhaiterait en toute conscience être détesté ? Pas moi, quoi que je doive certainement en arriver là. J’ai toujours sacrifié beaucoup, j’aimerais simplement que cela paye. Te savoir en sûreté est déjà un beau présent. J’espère que ce ne sera pas le dernier… Oui je me ferais certainement haïr, j’en ai l’habitude » Il eut un rictus désabusé mais vint poser sa main contre le museau de la dragonne « ô Isyndar… si je devais souhaiter quoi que ce fut pour moi-même c’est que tu n’aies jamais à contempler quoi que ce soit qui se rapporte à ce que j’étais par le passé. Si j’étais comme eux… Non j’étais pire, bien pire. Un jeune vampire arrogant, bouffi d’orgueil même et à qui le pouvoir été monté à la tête. Je ne craignais rien, je ne respectais presque rien. Je foulais au pied les codes du monde et je m’en moquais comme d’une plaisanterie de taille cosmique. J’étais plein de fiel. J’étais un danger pour tous, même pour mon propre camp. J’étais… pétris d’hérésie, de mauvaises mœurs, en guerre contre le monde… je suis loin d’en être fier… mais j’ai changé, oui… je le pense sincèrement. Ces erreurs m’ont appris, même si cela a coûté beaucoup… »

Plusieurs vies oui. Il était même plus vieux que les âges combinés de tous les autres dragonniers et leurs liés, un être intemporel né sous un autre ciel. Le plus étrange, peut-être le plus miraculeux, était qu’il avait eu droit à trois naissances dans son existence. Celle humaine, naturelle, qui l’avait ôté du giron maternel pour le jeter dans un monde glacé et silencieux, celle vampirique, qui avait arrêté son cœur sous le venin de sa seconde mère pour lui ouvrir les yeux à une éternité qu’il n’avait jamais rêvé… et celle du dragonnier, lorsque Silarae s’était liée à lui pour le meilleur et le pire, faisant de lui un espoir pour Armanda, alors que lui-même n’en avait pas eu. Il en avait désormais et c’était ce qui comptait. Aussi frêle et délicat que soit cet espoir, il était impérissable. Aurait-il préféré rester cet être virulent qu’il avait été ? D’une certaine façon oui, bien entendu. Vivre avec son peuple aurait été bien plus simple alors. Sa force aurait été son atout et sa ruse vicieuse son égide, et le tréfonds de son esprit inventif l’impulsion nécessaire pour faire de sa magie une arme redoutable. La faim sans fin… Elle resterait gravée, elle et ses effets, au fond de lui pour toujours. L’horreur de la voir en action l’avait vacciné à tout jamais contre ce genre d’expériences terribles et hérétiques. Ce n’était pas seulement souiller la vie, c’était la violer complètement, et avec elle toutes les lois de la nature. Il ne ferait jamais plus ce genre d’erreurs et la vigueur de la jeunesse, son enthousiasme, n’étaient plus sien depuis longtemps. Remplacé, il l’espérait, par un brin de sagesse. « Je dois avouer que je ne comprends pas plus pourquoi j’ai été choisis. Mais j’ai abandonné l’idée de savoir. Certaines choses, même si vous y aviez accès, ne doivent pas être dites je pense, cela casserait quelque chose. Je pense qu’il est bon que nous nous demandions pour toujours pourquoi… c’est une forme d’humilité, aussi frêle soit-elle. J’accepte le présent que l’on m’a fait et essaye d’en être digne. Je pense que je ne m’en sort pas trop mal jusque-là… mais je suis bien mauvais juge pour soupeser mes actions »

Il caressa plus encore les écailles magnifiques, se serrant contre l’imposant museau sans la moindre crainte, remettant sa vie entre les griffes d’Isyndar avec la confiance née de la plus absolue des certitudes. « Je ne pouvais t’abandonner à ton sort, pour ton lié, pour toi, pour nous tous… et j’ai bien fais, jamais je ne regretterais cela. Peu importe les risques, c’était la seule chose à faire et je l’ai faite. Mais si l’intérêt n’était pas ma motivation ça ne veut pas dire que je n’y ai pas gagné. Te connaître davantage et avoir l’honneur de me prétendre ton ami… » Il eut un pâle sourire. Oui, il y avait grandement gagné. « Et puis ton dragonnier et moi avons quelques liens. Je crois toujours que mon apprenti avait distingué sa valeur, je ne vois pas d’autre explication au don qu’il lui fit ni à ses paroles. J’ai beau me dire son maître il avait quelque chose que je n’aurais jamais… Enfin… rien ne sert de s’étendre là-dessus à présent » Adryne était mort après tout. Mais il était satisfait de voir qu’il pouvait désormais parler de lui sans douleur. Il avait fait son deuil. Ne restait plus qu’un fond de nostalgie et la douceur qu’il ressentirait toujours à son égard. « Bien sûr que cela en vaut la peine. Je t’ai rencontré. Et puis mieux vaut vivre une journée comme si c’était la dernière que cent jours oisifs et perclus… » Une réminiscence de son passé que cela, mais une bonne cette fois. Il aimait voyager, bouger… Il avait toujours préféré ça aux galeries et à la vie recluse d’ermite. Il était fait pour ces voyages et pour dévorer le monde de ses yeux. « Je ne crains pas ces tueurs. Qu’ils me chassent, je leur apprendrais pourquoi les humains natifs de ce continent craignent l’obscurité ! Je ne suis pas sanguinaire mais ce qu’ils font est inacceptable » L’espoir qu’elle lui offrait et ce qu’elle cherchait à lui insuffler le fit sourire et il vit tenter d’envelopper son esprit du sien, n’y parvenant pas vraiment mais le geste était là.

« Tout ira bien » affirma-t-il « Nous vaincrons les Alayiens, et nous verrons de nouvelles nuées de dragons embellir nos cieux. Tout ira bien Isyndar, je ne laisserais pas cette flamme-là s’éteindre » dû t-il la porter seul comme une cangue. « Nous peinons et nous doutons, mais c’est bien normal. Un espoir sans doute n’a pas plus de raison d’exister qu’une lueur sans obscurité. Cela dit, après notre victoire finale, j’ai l’intention de terminer mon voyage. Je ne pourrais adhérer à aucun groupe sereinement sans cela. Et peut-être que les dragonniers ne s’établirons pas directement sur le continent même. Il y a des îles proches et sans influences aucune… Je vois sans doute trop loin, mais ça ne fait pas de mal de temps en temps »

Pouvait-on tomber amoureux d’un dragon, lorsque l’on était un pauvre petit bipède, tout millénaire qu’on fut ? Il ne savait pas et d’ailleurs, il avait déjà quelque qui occupait ce pant-là de ses pensées… Cela dit, dans d’autres circonstances, deux de ces fabuleuses lui auraient déjà ravis son cœur, tout mort qu’il fut. Silarae, bien entendu, avec qui il partageait un lien proprement unique mais qui empiétait également sur le reste de son existence. Et Isyndar, qui ne cessait de le charmer depuis le jour de leur rencontre, en 1752. Elle n’était alors qu’une très jeune dragonne, petite chose si frêle et si forte à la fois, perdue sur ce champ de bataille terrible et menacée de tous côtés. Elle avait, et aurait toujours, une place à part de toute autre dans son cœur, comme Silarae et Eliowir… mais singulière, différente. Il n’entretenait pareille relation qu’avec elle. Une histoire d’affinité sans aucun doute. Ça ne le gênait nullement. Il savourait sa présence comme un cadeau précieux. « Un peu d’orgueil ne fait pas de mal, en faisant attention » Elle avait de quoi être fière, comme les autres dragons. Oui elle avait de nombreuses raisons d’être fière et plus encore avec la vie qu’elle portait en elle… C’était le couronnement d’une vie, que de pouvoir enfanter. Et cela lui manquait cruellement. Depuis combien de temps n’avait-il pas offert une nouvelle vie ? Depuis combien de temps n’avait-il été père ? Trop longtemps en vérité. Il n’enfantait pas beaucoup mais s’arrangeait pour remplir son rôle de son mieux lorsqu’il le faisait. Il se sentit quelque peu morose à cette pensée.

« Oui, nous comptions retrouver les autres, mais pas seulement. Je désir voir les terres au-delà des flots, rencontrer les premiers vampires… et pourquoi pas les dragons ? » Il pencha la tête « J’ai rencontré les dorés, et Trissi et son dragonnier me sont acquis. Je doute que le dragonnier d’émeraude décide de rejoindre notre cause, il est roi après tout… Je crois savoir que le premier né et son lié étaient plutôt en notre faveur. Et je crois bien qu’il n’y en a pas d’autres… Mais votre aide serait la bienvenue évidemment, ce serait même avec plaisir » Il ne refuserait jamais de pouvoir la côtoyer, encore moins pour de telles choses. Toute aide était la bienvenue, mais celle d’une dragonne aussi digne l’était bien davantage encore. « Mais avant tout prend soin de toi, d’accord ? » Il s’en voudrait si il lui arrivait quoi que ce soit et peu importe qu’elle fasse des dizaines de fois sa taille et possède des arguments plus percutants encore. Elle restait sa douce dragonne. Et il poursuivrait sans la moindre merci l’individu assez fou pour lui faire du mal. Il ferma un instant les yeux, réfléchissant. « Une île serait une bonne idée, mais j’ai cru comprendre que du temps des nuées Armandéennes, vous préfériez les montagnes. Sans doute faudrait-il combiner les deux et… pourquoi pas l’île du flocon ? Il y a un ancien volcan, ce n’est pas extrêmement loin, nous pourrions rentrer n’importe quand sur le continent mais nous serions à l’abri et à l’écart »

Ça lui paraissait bien et ça lui plaisait, il faudrait qu’il aille visiter lui-même cette île justement. Et ce serait symbolique puisque les œufs avaient été dissimulés là pendant des années. Du nouvel espoir d’Armanda, il restait en majorité des dragons de la seconde génération, la première avait été décimée… Savoir ce que c’était que de ne pas craindre pour les siens, une aspiration, un idéal. Bien compréhensible d’ailleurs. Cela le peinait qu’elle n’ait pu le vivre. « Je suis désolé Isyndar… » Il l’était vraiment car il avait participé de cet état de fait bien malgré lui. Elle aurait dû pouvoir… Fronçant les sourcils, il vint caresser son esprit du sien et s’ouvrit à elle pour partager ses souvenirs. Il lui montra ses années de paix, dans la nature sauvage, aux côtés d’humains qui l’avaient acceptés et l’appréciaient. Il lui transmit ses images et ses ressentis, la paix qui avait été sienne alors et l’affection qui le liait au reste du groupe. Il lui montra les nuits à veiller ces mortels, regardant les étoiles qui formaient un dôme absolument époustouflant… Il tenta de transmettre la profondeur de sa paix d’alors, la certitude qu’elle pourrait durer éternellement, l’envie qu’elle dure éternellement, comme si plus rien n’avait d’importance que cette douceur de vivre qu’on lui avait offerte durant des centaines d’années.

Il était presque intarissable à ce sujet, s’ouvrant sans gêne, partageant cette extraordinaire expérience, et tout ce qu’elle lui avait apportée. De la plus petite fleur à la plus intense chevauchée… tout était là, la douceur du soleil, la berceuse des battements de cœur paisible des humains qui avaient endormis la bête en lui, la faisant ronronner comme un chat apprivoisé. Il lui transmit aussi les instants de saine faim et son ahurissement lorsqu’on lui avait pour la première fois offert de se nourrir sur l’un d’eux. Combien il avait été touché par le geste, sa délicatesse à le manipuler, et sa propre volonté ensuite de soigner et de faire amende honorable… Il avait appris à aimer de nouveau le jour et le soleil… mais rien n’avait valu le regard que les autres lui lançaient alors…. Et finalement, après un temps infinie, remontant le flot de sa mémoire, il revint à la réalité avec elle sans un mot, encore émus lui-même et frappé d’un puissant élan de nostalgie…