Comment avait-il pu en arriver à une si étrange situation ? Cela ne faisait que quelques nuits qu'il était à Aigue, et les choses lui semblaient déjà irréelles. C'était encore pire qu'au sanctuaire baptistrel quand il y pensait car là bas leurs instincts meurtriers étaient réfrénés par la magie. Ici ils n'avaient que leur parole et la vision sans celle renouvellée de ces petits anneaux qu'arboraient les rebelles et qu'ils possédaient eux même pour leur rappeler qu'ils ne devaient tuer personne. Pas question de se nourrir sur les humains du coin, aussi attirant que soit leur sang. Ils avaient juré, et le pire était qu'ils avaient bel et bien l'intention de tenir parole pour le moment. Lorenz du moins en avait la ferme intention, et ses vampires et bien... Ils n'avaient pas d'autre choix. A moins de vouloir le contrarier bien sur, et ils étaient bien peu à vouloir le contrarier... Question de simple prudence.

Il était tombé sur la scène alors qu'il visitait les lieux, faisant fi des regards hostiles de la plupart des gens qu'il croisait. Bande d'imbéciles même pas capables de s'apercevoir qu'il pouvait parfaitement les broyer dans la seconde si l'envie lui en prenait... M'enfin il serait dommage de briser l'alliance qu'ils avaient eut tant de mal à mettre en place simplement pour le plaisir de châtier quelques curieux. Cela viendrait sans doute, tout vient à point à qui sait attendre. Pour le moment il tenait bien plus à châtier les Alayiens que n'importe quel rebelle. Même les impériaux qu'ils haïssaient si fort ne l'intéressaient pas tant que cela, ce qu'il voulait c'était la tête des généraux du Néant. Et la défaite totale de cette armée de malheur. Histoire qu'il puisse reprendre le cours de ses projets en paix.

Il ruminait tout cela en se déplaçant dans le quartier général rebelle. Son pas et celui des deux gardes qui le flanquaient étaient parfaitement silencieux. Les trois vampires se mouvaient comme des ombres dans la semi obscurité bleutée de ce lieu, pas comme si ils n'avaient pas l'habitude de se trouver sous terre après tout... Cela déplaisait quelque peu à Lorenz qui y voyait là un injuste retour de l'état qu'il s'était efforcé de faire quitter à son peuple, mais encore une fois il devait se montrer patient. Si la rébellion était repérée et balayée alors il perdrait un allié de poids... Il n'avait d'autre choix que de jouer le jeu de la coopération, la défaite Alayienne valait bien ça après tout... Il en était arrivé à les haïr quasiment autant que les elfes. Des envahisseurs sur SON continent... Non mais et puis quoi encore ?

C'est à cet instant qu'il l'avait vue. La princesse Kohan, humaine de Kylian de son état, se tenait non loin de lui en compagnie de sa suite. Aucun humain n'avait encore repéré les trois vampires, parfaitement silencieux et invisibles dans les ombres qui les enveloppaient. Lorenz avait donc tout loisir d'observer la douce créature qui faisait face à un homme de sa suite et qui semblait le... Combattre ? Enfin ce n'était pas vraiment le bon mot, en fait de combat cela ressemblait plutôt à une mascarade grotesque. Ces deux là tenaient leurs dagues avec tant d'efficacité que le moindre assaut adverse aurait tôt fait de la faire sauter de leur main. Le mâle semblait mal à l'aise, il s'échinait à convaincre la princesse qu'il n'était vraiment pas bon dans cet art mais celle-ci semblait tenir à ce qu'il l'entraîne puisqu'il était au moins plus doué qu'elle. Presque dégouté par ce spectacle pitoyable, il ne pu s'empêcher plus longtemps de faire un pas en avant, dévoilant sa présence pour le plus grand déplaisir de tous. Ignorant les regards courroucés des gardes, ils interrogea avec ironie :

"Et peut-on savoir ce que tu compte faire de cela, petite princesse ? ?"

Il désigna la dague du menton, une lueur moqueuse dans l'oeil.

"Quel que soit ton but, vouloir apprendre un tel art avec l'aide d'un si piètre professeur ne pourra mener qu'à quelques catastrophes. Rares sont les élèves qui finissent par surpasser leur maître, veux-tu vraiment te limiter à.. ça ? Je sais que tu n'es pas issue d'un peuple très ambitieux, mais tout de même..."

L'humain frémit sous l'insulte, mais l'ancestral l'ignora royalement. Il fixait la princesse de son regard brûlant, un demi sourire carnassier sur les lèvres. Il n'aurait pas cru voir une scène si divertissante en cette fin de journée, au moins se serait-il amusé un peu. Son venin déversé, il la salua d'un mouvement de tête moqueur et s'accorda une dernière pique :

"Je vois que je dérange, je vous laisse tous à vos occupations. Dans mille ans, peut-être que l'un d'entre vous pourra prétendre maîtriser au moins le maintien de sa dague. Qui sait..."

Il n'avait pas l'air spécialement convaincu, mais c'était là tout le sel de la situation. Il était d'humeur joueuse aujourd'hui... Peut-être est-ce pour cela qu'il daigna s'arrêter lorsque la princesse le rappela...

Les jours étaient longs et se ressemblaient tous. La même langueur et la même ritournelle. La même attente : la princesse avait beau s'occuper du mieux qu'elle pouvait : en s’entraînant avec le Seigneur du nord, à créer un jardin de détente, et aider à la confection de potions de soins. Mais son esprit était loin, oscillant entre son peuple meurtri et le départ de Kylian, s'occuper de ses affaires personnelles. Loin d'elle. Proche de la guerre et des alayens. Lui aussi allait-il mourir ? Allait-elle le perdre comme, elle avait perdu son frère. L'angoisse de l'attente était insoutenable et la nausée ne la quittait pas.

Il y avait que quand elle pouvait exprimer sa rage et la violence qu'elle parvenait à s'épuiser suffisamment pour dormir d'un sommeil plus juste et serein, sans cauchemars. D'ailleurs depuis quelques semaines, Esmelda n'en faisait plus. Pas un seul, alors qu'avant... elle en était sujette. Les angoisses de la cour humaine devaient en être la cause.

Mais depuis qu'elle s’entraînait encore et encore dans le seul but de venger son frère, son peuple et toutes les familles qui souffrent comme elle, la jeune femme trouvait un certain repos de son âme, un but ultime à atteindre, un dépassement de soit à atteindre.
Mais cela n'était pas aisé. Le Seigneur du Nord n'étant pas toujours là pour manœuvre militaire ou politique, de même pour Matis, la princesse devait se trouver un moyen de s’entraîner et ne restait parfois à Aigue que des soldats peut enclin à se battre contre la cousine de l'empereur, ou bien pas à la hauteur de son aptitude à l'art de la dague.

Un beau jour, Esmelda chercha cette compagnie pour faire fuir ce tourment en elle. Mais les soldats rechignaient à répondre à ses coups. N'avait-elle pas raison en disant au Seigneur Svenn que tous n'aurait pas la même délicatesse que lui. En voilà la preuve.

Ce qui fit bien rire dans la pénombre, trois silhouettes dont Esmelda ne se rendit compte de la présence que lorsqu'une voix connue et redoutée s'éleva pour répandre son venin. Les soldats présents se raidirent, beaucoup serrèrent leurs mains sur leurs armes de prédilections. Malgré les alliances mises en place, certaines vieilles habitudes avaient du mal à se taire. La princesse quand à elle ne broncha pas, plantant ses yeux ambrés dans ceux plus clairs du vampire. Lorenz Wintel. Le prince vampirique. Celui là même qui l'avait menacé de mort devant son fiancé. Sa voix glaciale et son attitude méprisable ne put faire répondre la princesse que de façon hargneuse.

« -Pour vous sûrement brasser de l'air. »

Après tout n'était-il pas venu pour médire sur son compte, sur celui de son peuple ? Pour encore se pavaner tel un paon dardé d'arrogance et de mépris, cherchant la petite bête et se faisant passer pour la victime au final. Un peu comme lors de leur dernière rencontre.
La princesse profita, comme chez les Baptisrels, de sa protection pour répondre avec toute la franchise qui la caractérisait, toute comme la fraîcheur et l'innocence.

« -Si vous avez fini de critiquer mon peuple, peut être pourriez-vous cesser de brasser de l'air d'une autre façon et me montrer ce que vous savez faire. Sauf si je dois attendre mille ans pour cela?»

Qu'il parle et aille ailleurs ou bien qu'il se rende utile, mais qu'il cesse de se pavaner, la princesse avait autre chose à faire. Dont pouvoir se défendre contre lui qui semblait vouloir un jour prendre un malin plaisir à la faire souffrir rien que pour le plaisir de voir Kylian souffrir. Une chance au final que celui-ci soit loin. Déjà très protecteur, là il aurait frôlé l'arrêt cardiaque. Et pourtant, pour un vampire, ce n'était pas chose facile.

« - Ou bien que vous ayez peur, votre Altesse, de me montrer l'étendu de vos talents. Autre que verbaux. »

Oui, elle était certes facile et s'il la prenait au mot, Esmelda se devrait de pouvoir suivre face à lui. Car même si Esmelda savait tenir et manier les dagues, le vampire était plus fort et avait quelques années de plus de temps de pratique et d'expérience.

« -Après tout j'ai envie de voir l'étendu de vos ambitions. Vous parlez de Maître et d'élève alors montrez moi ! »

Folle, sûrement aux yeux des soldats autour d'elle, mais pas dénuée de bon sens, enfin d'un sens bien étrange qu'est celui d'aller de l'avant, la princesse lui offrit la place d'un de ses anciens compagnons d'armes pour le remplacer. Ne fallait-il pas connaître son ennemi pour le vaincre. Là, elle en aurait l’occasion. La seule chose à ce niveau était que rien de facheux ne lui arrive. Comme le fait que Kylian l'apprenne un jour.

La réponse agressive lui avait tiré un rictus amusé; il s'y attendait. C'est qu'il connaissait à le connaître le petit moineau Kohan... Cela n'aurait pas suffit à lui faire rebrousser chemin alors qu'il n'en avait pas la moindre intention mais elle continua et parvint même à la surprendre. Eh quoi, elle le réclamait comme professeur ? Elle était bien bonne celle là ! Comme si il allait perdre son temps à enseigner quoi que ce soit à une petite pimbêche au sang trop chaud pour sa sécurité. Décontenancé par sa témérité, il avait stoppé son pas sans prêter attention aux regards surpris de ses gardes. Vraiment... Vraiment... Ce ne serait pas raisonnable. Et si il la tuait par accident ? On serait capable de lui faire porter le chapeau tiens, et autant dire qu'il n'aurait aucune chance de convaincre les rebelles que non vraiment, il ne l'avait pas fait exprès. Il était un être raisonnable en général.. Mais là... C'était véritablement très tentant.

« - Ou bien que vous ayez peur, votre Altesse, de me montrer l'étendu de vos talents. Autre que verbaux. »

Il leva les yeux au ciel, agacé soudain. Savoir qu'elle le provoquait volontairement dans le but d'obtenir ce qu'elle voulait ne rendait pas la chose moins contrariante. Ces humains prenaient vraiment leurs aises depuis les négociations... Il devenait vraiment urgent de vaincre les Alayiens pour pouvoir reprendre leur juste guerre. En attendant il était décidément d'humeur trop joueuse pour refuser le défi si gentiment posé. Après tout, une telle occasion ne se représenterait pas de sitôt et le simple fait de voir s'étouffer de rage les gardes humains suffisait à son bonheur. Sans compter ce qu'allait penser l'autre imbécile qu'ils considéraient comme leur roi et Wallam... Ah rien que pour ce dernier, il voulait bien faire un effort. Sa voix résonna avec calme lorsqu'il se retourna vers elle :

"Je le peux, mais je suis un maître exigeant et sans clémence. Ne viens pas pleurnicher après cela..."

Ou plutôt si, qu'elle pleurniche. Si possible dans les jupes de son cousin et de son amant. Rien ne l'amuserait plus que de les voir débouler devant lui pour demander des comptes. Il ne serait pas en tort, et ce serait très drôle de les voir buter sur les lois de l'alliance. Bon à ce qu'il savait de son caractère ce n'était pas véritablement son genre, mais même sans pleurnicheries il y avait fort à parier que ces deux ennemis là feraient une syncope en apprenant qu'il avait croisé le fer avec leur oisillon. Revenu vers elle sans plus d'intérêt pour les protestations des humains, il la fixa d'un regard froid avant de tendre la main vers la dague du soldat qu'il remplaçait. Le sort de télékinésie la lui arracha des mains et il la tendit à la princesse :

"Tu as deux mains à ce qu'il me semble. Je ne vois pas pourquoi l'une d'entre elle devrait rester vide."

Efficacité maximale en toutes circonstances, c'était ce que son propre maître lui avait apprit et il s'était révélé bien plus doué dans ce style de combat particulier que dans tout autre art plus conventionnel. Satisfait de la voir la saisir, il tourna autour d'elle avec lenteur et entendit nettement tous les humains présents retenir leur souffle. Il était bien trop proche d'elle à leur goût, mais il n'en avait cure. Il observait son maintien et la façon dont elle tenait ses dagues. La prise de la main forte passait encore, mais elle n'avait pas l'habitude d'utiliser sa main faible. Vif comme le reptile auquel il était lié, il s'empara durement du poignet fragile et provoqua instantanément un concert de crissement des armes des gardes peu décidés à le laisser faire. Une lueur agacée passa dans son regard plongé dans celui de la princesse :

"Il va m'être difficile d'enseigner quoi que ce soit si je dois en parallèle exécuter une demi douzaine de crétins."

Le message était limpide. On le laissait faire ce qu'il voulait ou la leçon s'arrêterait là. Ce ne fut que lorsque les armes retournèrent sagement à leur fourreau qu'il écarta les doigts de l'humaine afin de les replacer correctement sur le manche de la dague. Il agissait sans douceur, mais sans réel désir de blesser. Lorsque chose fut faite il recula d'un pas et hocha légèrement la tête :

"Elle devrait t'échapper des mains moins facilement. Mais il n'y a pas de secret, ta main faible restera faible tant que tu n'auras pas fait en sorte de l'entraîner autant que l'autre. Il te sera toujours possible de ne combattre qu'avec une dague bien sur, mais deux valent toujours mieux qu'une seule."

Et il pouvait le prouver très facilement. Amarth et Lómë vinrent se loger dans ses paumes lorsqu'il ouvrit les mains, la première dans la gauche tandis que la plus petite prenait place dans ce qui avait été sa main faible bien avant qu'il ne devienne quasiment ambidextre. Son regard acéré n'avait pas quitté les prunelles de l'humaine et il bougea lentement, adoptant la garde fuyante de profil qui était la sienne. Il bougeait avec lenteur, attendant qu'elle l'imite et ce ne fut que lorsqu'elle trouva la position parfaite qu'il reprit :

"Tu n'as pas de bouclier, pas d'armure, pas de protection magique. Et les dagues ne sont pas adaptées aux parades. Chaque coup non évité peut donc te tuer... Tu dois être intouchable, fuyante. Tu ne combats pas, tu élimines. Chaque attaque doit te faire reculer, ton adversaire s'en offusquera. Se moquera peut-être... Et à un moment ou à un autre, il fera une erreur. A toi de ne pas la manquer."

Avait-elle comprit ? L'art qu'il pratiquait était bien particulier, à part Dorover il n'avait jamais rencontré personne qui le pratiquait. La plupart des combattants étaient trop fiers pour tolérer de se dérober ainsi d'un bout à l'autre des combats. Cela n'avait pas d'importances de toutes façons, tout ceci n'était qu'un jeu. Elle n'aurait jamais aucune chance face à un vampire, mais la situation était plutôt intéressante. Il esquissa un geste vers elle, l'invitant à l'attaquer.

La princesse s'agaça un peu affichant un air contrarié. Parce qu'elle était une femme pleurnicher faisait parti de son lot quotidien ? Eh bien n'en déplaise à l'homme devant elle, Esmelda n'était pas ce genre de femme. Ou bien était-ce parce qu'elle était princesse, choyée, protégée, et dont les moindres exigences étaient réalisées. Mais était-ce une raison pour la voir comme une enfant gâtée et pleurant sur la moindre contrariété ? Heureusement qu'elle n'était pas ce genre de personne. Sinon, elle passerait presque son temps à pleurer. Surtout en ce moment. Mais non, ce qu'Esmelda voulait c'était se battre, se défendre, avancer, aller de l'avant malgré tout. Et quel qu’en soit les moyens. Même si c'était se battre en duel d’entraînement avec le prince vampirique. Celui là même qui avait dit vouloir la tuer, la faire souffrir pour le simple plaisir de voir son ennemi de rebelle souffrir aussi. Qu'importe. Toutes expériences étaient bonnes à prendre et celle-ci serait une des meilleures. Des plus dangereuses, autant pour l'un que pour l'autre, mais tout deux semblaient avoir le même goût pour les défis étranges et un brin fantasque, frôlant avec le danger et la folie.

De sa voix douce et posée, la princesse affirma.

« -Je n'en doute pas. Rassurez-vous, vous n'êtes pas le premier à exiger cela de moi. »

Ni le dernier. On avait même tendance à lui demander une exigence maximum. Et Havard était passé avant Lorenz, alors niveau délicatesse elle avait donné, ou pas. Le seigneur du Nord l'avait entraîné sans voir en elle la petite princesse du sud qu'elle était. Alors un Lorenz Wintel qui passait ensuite lui faire la moral et prendre soin de ses jérémiades...

La princesse regarda les soldats la mains sur leur armes et d'un geste de la tête leur indiqua qu'ils n'avaient rien à craindre, eux.
La princesse ajouta non sans aucune rancœur ou violence, juste un état de fait.

« -Ils ne font que leur travail de soldat de l'empire. Et je ne pense guère vous outragez en disant qu'ils ont des raisons de se méfier au vue de notre dernière rencontre à Gloria. Mais ne vous inquiétez pas, ils ne bougeront que si vous me toucher et que le sang coule. Tout comme, vos gardes si jamais, je parvins l'exploit de vous blesser. Mais ne nous réjouissons pas trop vite.»

Une nouvelle dague collée dans la main, la jeune femme chercha à retrouver un semblant d'habitude qu'elle pouvait avoir avec sa main droite. Cela changeait tout. Elle avait l'impression de ne plus savoir se servir de la main droite pour le coup et d'être gauche avec la dague dans l'autre main. Mais le prince vampirique avait raison. Elle serait plus efficace et plus dangereuse, ou bien mieux protégée. Il lui replaça ses doigts non sans violence mais loin d'être délicat. Elle en frissonna presque quand elle sentit sa peau chaude sur ses mains, trop chaude, étonnamment chaude, cherchant à réprimer un coup au cœur, qu'elle savait entendu par l'homme. La dernière fois que le vampire la toucha son bras n'avait pas survécu.

« -Je m’entraînerai alors que l'une et l'autre soit à même force. »

Elle avait dit ça à voix haute, bien plus pour elle que pour son entraîneur. La princesse eut un léger étonnement voyant les deux armes arrivées dans les mans du vampires comme par magie, enfin grâce à leur magie propre. Devenue attentive à ses moindres faits et gestes, la princesse se tenait prête à la moindre de ses attaques, comme de ses conseils ou ordres d’entraînement. Elle ne devait plus le voir comme Lorenz Wintel, prince vampirique, ennemi de son amant, de son peuple, des dragons, des elfes, des alayens... Esmelda arrêta de penser à qui d'autres ensuite.
Ses conseils sur comment agir dagues à la main n'était pas dénué de sens et si on pouvait lui reprocher de nombreuses choses, celle d'être un bon combattant ne pouvait lui être enlever.

« -Éliminer. Ça me changera de me faire éliminer. Quand aux moqueries, j'en suis insensible. Seul compte le résultat final d'un combat. Verbal ou physique. »

Par cette phrase, elle affirma plus qu'elle n'allait pas se plier à des sensibleries de jeunes femmes. Elle ne lui avait pas proposé de lui montrer comment il se battait pour ensuite partir en courant. Bie trempée et audacieuse, voilà sa plus grande perte ou bien chance. N'était-il pas bon de voir comment se bat son ennemi ? Même si c'était se dévoiler. Puis cette façon de voir était plutôt judicieuse. Mener son ennemi dans un piège, faire croire à sa faiblesse pour mieux par la suite les faire ployer.

Un geste lui fit comprendre d'attaquer. Peut être voulait-il lui montrer par une pratique concrète? Soit. La princesse s'avança vers le vampire attaquant de sa main droite, se sentant encore un peu entraver par la nouvelle arme dans sa main. Sa lame rencontra celle du vampire, pour tinter de nombreuses fois l'une contre les autres. Esmelda pouvait que constater que le vampire retenait sa force avec elle. En un rien, assez douée au maniement des dagues ou pas, Lorenz pouvait faire voler son arme en pointant une de ses armes dans un espace vide de défense de la princesse.

Quelques cliquetis se firent entendre, mais d'un regard la princesse les fit ranger.

« -En effet, la deuxième dague a son utilité. »

Il n'y avait pas de doute. La princesse se redressa et laissa les dagues le long de son corps avant de reprendre et de demander. La princesse recommença à attaquer de la même façon en essayant de bouger plus avec son autre main, mais ce n'était pas régulier ni très performant. Main faible portait bien son nom. La jeune femme avança sur son adversaire comme si elle prenait l’ascendant sur lui, mais elle savait qu'à un moment ou un autre, il lui repointrait son erreur de se voir trop confiante. Elle le savait et l'instant où elle le lui montra, l'échange de regard en dit long. La princesse chercha donc à comprendre.

« -Pourquoi accepter ? De vous dévoiler ainsi. »

Car pour un combattant, c'était là une chose aussi pudique, personnelle que de se montrer nu face à un homme pour elle.

Une lueur d'intense amusement s'était allumée dans ses prunelles lorsqu'elle avait osé emettre l'idée qu'elle puisse seulement le blesser. Pauvre petit oiseau trop plein d'espoir pour seulement s'apercevoir qu'il s'était posé dans la gueule du serpent... Qu'il prenne fantaisie à celui-ci de brutalement la refermer et... Allons, il fallait qu'il contrôle ses instincts. Le jeu était trop intéressant pour lui donner une fin si rapide, d'autant plus que ça aurait des répercussions déplaisantes.

Il s'effaça instantanément lorsqu'elle attaqua, mettant en application ses propres conseils, refusant l'affrontement sans vergogne et daignant à peine bloquer un coup de temps à autre. L'amusement s'était mué en intérêt dans l'acier de son regard tandis qu'il réfléchissait à ce qu'elle venait de lui dire. Seul compte le résultat final... Tiens donc. Jamais il n'aurait imaginé que c'était chez les femmes Kohan qu'il fallait chercher l'intelligence qui manquait à leurs représentants masculins ! C'était donc là qu'ils la cachait... Son sens inné de l'ironie se délectait de cette découverte fascinante. Peut-être faudrait-il qu'il la partage avec les autres seigneurs vampires tiens...

Le regard critique, il se concentra sur ce qu'elle faisait et nota qu'elle n'utilisait que trop peu la deuxième dague. Classique lorsqu'on était habitué à n'en utiliser qu'une, voir aucune. Ce style de combat ne venait pas naturellement, il était le fruit d'un travail régulier et elle ne pourrait en cueillir les fruits que dans plusieurs années. Elle restait consciente de cela néanmoins et ne commettait pas les erreurs arrogantes que lui avait pu commettre dans sa prime jeunesse vampirique. Il s'immobilisa sur une pose instinctive lorsqu'elle se redressa et laissa tomber les dagues de long de son corps comme pour mieux réfléchir à ces premiers échanges. Elle avait dû s'apercevoir elle-même de ses erreurs puisque elle se mit à faire l'effort d'utiliser beaucoup plus sa deuxième dague lorsqu'elle réattaque. Des capacités d'auto-analyse donc... Elle était vraiment pleine de surprises cette princesse...

Elle revint vers lui, frappa sans retenue, et il s'esquiva à nouveau avec la maîtrisée née d'une longue expérience. Il pouvait frapper à cet instant, il l'aurait pu aussi l'instant d'avant d'ailleurs... Pour tout dire, il pouvait la toucher n'importe quand. Elle était humaine, donc faible. Mais il ne pouvait s'empêcher de ressentir un soupçon de minuscule respect pour ce petit oiseau si concentré sur sa tâche et apparemment pas intimidé par le fait de combattre avec le prince des vampires. Quoi qu'on en dise, elle avait du cran. Il ne respectait pas le courage en général, il était l'apanage des imbéciles après tout. Mais elle n'était pas non plus une imbécile, il s'en apercevait de plus en plus à mesure qu'il apprenait à la connaître. Elle possédait une certaine intelligence même si il était perverti par la violence de ses sentiments idiots, et puis elle était magnifique, il fallait bien le dire. Kylian avait bien choisit au final, parmi les humaines il avait au moins eu la décence d'en choisir une à peu près potable... Oui vraiment, si il n'y avait pas eu Ambre peut-être bien qu'il l'aurait croquée pour de bon la petite princesse, et dans plusieurs sens du terme... Bref. En attendant, il était temps de renverser le jeu et de passer lui-même à l'attaque. Il amorçait déjà son geste lorsqu'elle l'interrogea :

« -Pourquoi accepter ? De vous dévoiler ainsi. »

Il changea d'avis brutalement et rompit l'assaut, préférant réfléchir à la question plutôt que d'attaquer tout de suite. Car oui, pourquoi ? Quelle raison l'avait poussé à se lancer dans un tel échange ? Il ne faisait rien sans rien en général, il y avait toujours une raison sensée à ses actes. Quelle était la raison de celui là ? Immobile à quelques pas d'elle en une féline position attentiste, il répondit après une courte réflexion :

"Je n'y perd rien. Mon style de combat est déjà connu de mes ennemis et n'en est pas moins efficace pour autant. Et j'ai d'autres armes, plus radicales."

Arrogantes ou pas, ses paroles n'en étaient pas moins des faits. Il était avant tout un mage et il comptait plus là dessus lorsqu'il s'agissait de se défendre ou d'attaquer. Conscient néanmoins de ne pas avoir vraiment répondu, il reprit :

"Cela m'amuse, simplement. La distraction est chose précieuse pour un immortel. Vient un moment où il n'y a plus grand chose, ni grand monde, qui nous amuses ou éveille notre intérêt. Tu fais partie de ces choses."

Un demi sourire carnassier dévoila ses canines tandis qu'il la fixait avec l'avidité du prédateur veillant sur sa proie. Oui elle l'amusait, il ne pouvait prétendre le contraire. Depuis leur toute première rencontre jusqu'à aujourd'hui et plus encore à présent qu'il savait qu'elle appartenait à son ennemi. Il bougea doucement, adaptant sa garde aux mouvements de sa partenaire de duel.

"C'est troublant d'ailleurs, cette capacité qu'ont certains humains à attirer l'attention des vampires alors même qu'ils ne devraient pas avoir la moindre espèce d'importance à leurs yeux. Comme si vous étiez fait d'un autre bois que les autres... On croise rarement ce genre de personnes, en général je prend grand soin de les transformer car ils font d'excellents vampires."

Il passa brutalement à l'attaque, maîtrisant sa vitesse et sa force pour lui laisser une chance de mettre ses leçons en pratique mais sans pour autant la ménager. Ce faisant, il interrogea :

"Il ne t'a pas transformée... Pourquoi ?"

La question l'intéressait véritablement. Il considérait la transformation vampirique comme une véritable chance, une manière de gagner en force et de devenir presque invulnérable. D'échapper au temps aussi... En la transformant, Kylian s'éviterait bien des problèmes. Refusait-elle ou bien était-ce lui ? Le prince noir évita habilement une contre attaque de la jeune femme et s'empara de son bras avec vivacité pour en faire tomber l'arme. La deuxième devint inutile lorsqu'il passa derrière elle et amena Lomë à caresser furtivement la carotide découverte. Ainsi placé à quelques centimètres de sa peau, il huma son odeur avec gourmandise et sourit en la sentant se raidir :

"Oui vraiment... Tu ferais une vampiresse d'exception..."

Les deux vampires de sa garde ricanèrent à cette vision mais leur rires se coupèrent net devant le regard assassin de leur maître. Lorenz s'était reculé brusquement, au grand soulagement des humains présents. Il pencha la tête en attendant qu'elle se retourne vers lui, attendant sa réponse.

La jeune femme l'écoutait avec attention. Comme il le disait, ses ennemis connaissaient ses attaques et apparemment ce n'est pas cela qui les aidaient. Mais connaissait-il l'homme. La faille viendrait de là. Pas de sa force, de sa façon de combattre. Sinon ça se saurait.

Assez ironique, souriante, la princesse posa une question rhétorique.

« -Comme vos dents ??? »

Esmelda releva ses armes avant de reprendre le combat et refaisant claquer les lames les unes contre les autres, ainsi que les dents des soldats de l'empire humain. Ne se laissant pas abattre par ses erreurs les corrigeant de suite, avançant en combattant mais le laissant de plus en plus venir à elle, reculant pour mieux avancer.
Donc se distraire, les grands de ce monde qu'ils soient humains ou vampires semblent avoir la même pénibilité à passer le temps.

« -La distraction et l'amusement ne sont pas l'apanage des immortels...les mortels aussi ont besoin de se distraire. Et j'en ai besoin...tout comme vous et preuve est que pour cela nous ne sommes pas différents, même si vous ne montrez pas le même intérêt que le mien. »

La princesse tiqua un instant sur la façon dont le voyait le vampire. Un de ces êtres qui les interpellait. Oui, parce qu'elle était princesse ou par le biais de Kylian. De plus Esmelda savait que ses paroles sonnaient faux. Il préférait la voir et la faire mourir que de la rendre vampire. Plus de peine pour Kylian. Ne lui avait-il pas dit durant les négociations ?

« -Et en quoi je le suis ? Car, je suis proche de votre ennemi et que cette relation suscite un vif intérêt ou plutôt une joie de voir une faille chez lui ? Ou bien même sans lui, je serai une de ces humaines, osant sans ciller du regard vous affronter ? »

Car on donnait de l'importance aux personnes de façon positive ou négative que parce qu'il y a ce quelque chose de plus. Rien d'exceptionnelle somme toute, sauf peut être qu'un vampire aime une humaine.

Bonne question ! Pourquoi Kylian ne la transformait pas. Car il l'aimait. Elle, pas sa race. Comme elle l'aimait lui pas le vampire. Au delà des races. La mordre pourquoi faire ? Elle l'oublierait, serait une autre Esmelda pas celle dont il est tombé amoureux. Et ils se plaisaient comme cela. Alors pourquoi changer. La princesse ne voulait pas voir Kylian devenir humain si le cas contraire pouvait se faire. La puissance vampirique ne faisait pas tout et selon son aimé c'était même une malédiction. Chose qu'il cherchait à lui éviter, même si leur vie à deux serait éternelle.

« -Car pour lui la vie a autant d'importance que la mort. Si ce n'est plus. Il n'a pas besoin d'une vampire d'exception ou d'un trophée. Qu'apporterai-je de plus en vampire ? Je dois le faire bien plus entant qu'humaine. Ce qui me convient, car je ne désire pas avoir ma vie contrôler par une malédiction, mais par mon envie de vivre et de respirer. Car cela ne vous manque-t-il pas parfois de ressentir ? Votre corps, votre cœur ? »

Un brin hautaine bien qu'elle ne se prenait pas au sérieux, Esmelda ajouta.

« -Eh bien, au risque de vous décevoir, nous le saurons jamais, car je ne compte que devenir une humaine d'exception. »

Dans une danse des armes, Lorenz prit l'avantage en se saisissant de son bras de faisant tomber son arme principale et se plaçant derrière elle. Esmelda ne put que se raidir ayant un sentiment de révulsion à le savoir contre elle. Heureusement qu'il ne respirait pas sinon, elle pourrait sentir son souffle morbide dans son cou. Son cœur se mit à battre bien plus fort quand la lame passa sur son cou, non pas qu'elle eut peur qu'il en use loin de là, mais plus par la satisfaction qu'il pouvait tirer de cet avantage et les mots qu'il prononçait. Qu'importe ce qu'elle pourrait être si...

« -Ou du moins pour vos yeux, un simple amusement de la journée. »

La jeune femme réattaqua en cherchant à beaucoup plus se servir de sa main gauche. Toujours aussi faible, mais la jeune femme chercha à y mettre toute sa volonté et son attention sur ce fait. Bien loin de penser ne serait-ce que parvenir à la moitié du niveau de son adversaire, Esmelda n'en était pas pour autant une novice en ce domaine et surtout elle était une élève studieuse et volontaire. Elle ne supportait ne pas y arriver et encore plus dans le cas présent. Le vampire la laissait encore avancer pour mieux la contrer ensuite, mais cette fois la princesse réussi à parer un coup avec sa main gauche avant de voir sa faute en baissant la garde à droite. Ce serait une habitude à prendre.

Esmelda se stoppa un instant et demanda avec une sincérité déconcertante.

« -Que lui reprochez-vous au juste ? »

Pas besoin d'en dire plus, d'expliciter plus. Le prince vampirique était bien loin d'être un imbécile et se serait une perte de temps et de souffle que d'user de vocabulaire. De temps aussi. Et pourtant, elle était curieuse de cette question. Kylian n'était pas le seul à lui avoir échappé, à l'avoir bravé et à être en vie. Alors pourquoi son fiancé avait un statut particulier. Même si la princesse avait de nombreuses hypothèses, ce n'était que des suppositions justement.

Il s'amusait encore de sa réponse précédente, elle maniait l'ironie avec presque autant de maîtrise que lui. Ce n'était pas à ses dents qu'il avait pensé en vérité, mais ce n'était pas faux pour autant. Elle n'avait cessé de parler pendant le combat, répondant à ses piques avec une certaine efficacité. Lui s'était retranché dans le silence, esquivant ses attaques sans efforts visibles jusqu'à parvenir à la surprendre et à l'immobiliser. Ils restèrent ainsi quelques secondes jusqu'à ce qu'il ne la relâche sans réellement répondre à sa réflexion. Elle était un amusement oui, mais pas uniquement de la journée. Pour tout dire elle l'amusait depuis le tout début... Depuis le premier instant où il l'avait rencontrée. Elle était particulière.

Leur combat reprit avec intensité tandis qu'elle apprenait peu à peu à se servir de sa main gauche. Il observa ses progrès, les orientant fermement mais sans brutalité excessive. Elle était une élève agréable au final... Etonnante pensée que celle-ci pour lui qui ne supportait pas grand monde en règle générale. La pédagogie n'était pas son fort, et si il pouvait s'avérer mortellement patient dans bien des domaines, ce n'était pas toujours le cas dans celui-ci. Pourtant, elle ne l'impatientait pas, ne l'agaçait pas non plus. Mieux que cela, elle démontrait certaines aptitudes qui le fascinait. Elle n'aurait pas pu plus s'éloigner de l'idée stéréotypée qu'il se faisait des princesses humaines en générale. Pas si stéréostypées que cela d'ailleurs, il avait pu s'apercevoir à de nombreuses reprises que ses opinions étaient justes. Mais pas pour elle. Etait-ce qui avait attiré Kylian ? Ses particularités ?

Une ombre passa dans ses prunelles inexpressives tandis qu'il réfléchissait à ce point, mais il ne se laissait pas troubler pour autant et il attaqua sans retard lorsqu'elle fit l'erreur de s'approcher un peu trop près. Ne pouvant esquiver, elle le bloqua, ce qui était une autre erreur en soit. Mais le fait qu'elle soit parvenu à le faire de la main gauche pour une droitière comme elle était un petit exploit qu'il salua signe de tête presque imperceptible. C'était loin d'être parfait malgré tout, elle avait découvert tout son flanc droit, mais c'était prometteur. Elle se débrouillait bien mieux qu'il ne l'aurait pensé au premier abord. Mieux que lui même la première fois qu'il avait été confronté à ces armes si particulières... Mais il fallait dire que son propre instructeur avait été bien plus brutal qu'il ne l'était lui-même avec l'humaine. Douce ironie que celle-ci encore... Mais il la garda pour lui, ce qui faisait partie de son passé lui appartenait à lui seul.

« -Que lui reprochez-vous au juste ? »

La question le désarçonna quelque peu. Il ne s'était pas attendu à être interrogé sur ce point. La plupart des gens s'arrêtaient simplement au fait que Wallam s'était opposé à lui et que cela expliquait tout. Mais elle était décidément trop intelligente pour se contenter des bribes inconsistantes d'informations qu'il daignait délivrer et dont la majorité des gens se satisfaisaient. Elle voulait le fin mot de l'histoire et rien de moins. Sans doute ferait-il mieux de le lui refuser.

Ils se toisèrent un long moment, chacun immobile dans la garde féline imposée par le maniement des deux dagues. Longtemps, il sembla que le prince noir allait garder le silence et lui refuser tout bonnement la réponse qu'elle attendait. Il ne lui devait rien n'est-ce pas ? Pourquoi lui répondre ? Et pourquoi pas d'ailleurs ? Ce secret n'en était pas un, ou alors ce n'était pas un secret auquel il tenait particulièrement. Il se décida soudainement, au moment sans doute où elle ne s'y attendait plus et sa voix onctueuse rompit le silence :

"Kylian est faible. Sans doute le plus faible de ceux qui ont osé s'opposer à moi au sein de notre peuple."

C'était un fait qu'il énonçait sans complaisance, jugeant avec dureté cette faiblesse honteuse qu'il dénonçait chez son adversaire. Et pourtant le simple fait qu'elle soit là suffisait à rendre la chose intéressante. Qu'un puissant vampire aux féroces ambitions le provoque, c'était une chose qu'il pouvait comprendre. Mais qu'avait-on à gagner à le faire alors que l'on ne possédait pas les atouts nécessaires pour augmenter la probabilité de réussite, et de survie ? Kylian avait cela de spécial qu'il l'avait défié alors même qu'il n'y avait aucun espoir. Et c'était peut-être ce qui le rendait si agaçant. Et potentiellement dangereux, comme il le souligna :

"Il est des êtres qui naissent faibles et qui démontrent ensuite des prédispositions dans certains domaines. Des êtres que personne n'attendaient, et qui un jour se retrouvent parmi les puissants."

Parlait-il de lui-même ou bien du renégat ? Il n'aurait pas su le dire. Ces faits là pouvaient aussi bien s'adapter à lui qu'à l'autre, et c'était précisément ce qui l'avait interpellé à l'instant où Kylian s'était élevé contre lui. La magie et la ruse pour l'un, le courage et le charisme pour l'autre. Les deux premiers atouts lui avaient permis de s'élever à sa place actuelle, et il ne lui avait pas fallu longtemps pour deviner que les deux derniers pourraient bien permettre à son ennemi de s'élever à son tour. On pouvait faire beaucoup lorsqu'on était capable d'entraîner les gens derrière soit et de s'octroyer leur loyauté sans effort. Kylian n'était peut-être pas conscient de tout ceci, mais Lorenz l'avait vu au premier coup d'oeil. Deux potentiels meneurs au sein du camp vampirique, c'était un de trop. Conscient que ses mots pouvaient faire un peu trop plaisir à son interlocutrice, il tempéra aussitôt, le regard assuré :

"Ne sois pas trop ravie d'entendre que je reconnais certains talents à ton cher vampire. C'est là justement ce qui le condamne. Ses idées sont bien arrêtées et parfaitement opposées aux miennes, aucune chance donc qu'il ne mette ses atouts à mon service. Si il n'est une aide alors il est au moins un frein, sinon un danger pour mes propres objectifs. Voilà pourquoi je le détruirai."

Il parlait d'une voix sans appel, absolument certain de sa propre réussite à venir. L'autre ne lui faisait pas peur même si il voyait, et sans doute même mieux que Wallam lui-même, toute l'étendue de ses ressources. Le renégat avait du potentiel, c'était indéniable. Mais lui-même n'en était plus à ce stade. Il était au summum de sa puissance, et peu disposé à concéder un seul pouce de terrain. Ayant répondu sans détours aux interrogations de l'humaine, il en revint au sujet qui l'intéressait :

"Soit, il ne t'a pas transformé parce qu'il te veut en vie. Mais qu'en sera-t-il lorsqu'il devra s'opposer à la mort ? Elle viendra te chercher en un battement de cil au regard de nos éternités... Je concède que ma présence en ce monde augmente considérablement la probabilité que sa propre éternité ne se termine brutalement, mais vous avez bien dû vous poser la question tout de même... Qu'arrivera-t-il si l'existence de ton aimé se prolonge au delà de la tienne ?"

La question l'intéressait d'autant plus prodigieusement qu'il était désormais confronté au même problème. Il ne lui offrirait pas cette vérité là bien sur, mais c'était ainsi...

La princesse reprit l'échange avec le vampire au cœur sombre. Les lames tintèrent encore, et la princesse s'appliquait avec attention et cherchant à faire au mieux, mais son adversaire était certes assez noble pour ne pas montrer l'apanage de tout son talent mais restait au dessus de son niveau. En un rien de temps et de mouvement, il arrivait à l'immobiliser. Mais qu'importe. La princesse mettait du cœur à l'ouvrage et elle ne s'abaissait par pour autant. Elle reprit sa quête d'au moins toucher sa cible au moins une fois, du moins le faire ployer ne serait-ce qu'un ongle. Essayant de jouer autant de la main droite que de ma main gauche. Mais cette dernière restait en retrait et en retard. Qu'importe, il fallait tenter, son entraîneur à dents ne lui avait pas dit que cela l'aiderait. Elle chercha aussi à l'attirer dans sa propre toile mais jouant sur le même terrain cela en devenait compliquer.

Mais la fin justifiait les moyens et la princesse n'était pas du genre à baisser les bras et à se sentir léser de ne pas réussir. La tâche était si grande et il fallait reconnaître les petites victoires.
La princesse devait se souvenir qu'il fallait se servir de la force de son adversaire. Même si là elle ne voyait pas trop comment. Sauf faire un geste désespéré et complètement fou. Comment percer sa carapace et cette peau épaisse ??? La ruse, mais laquelle ? Elle devait le laisser venir à elle, bouger, elle ne devait pas être le moucheron attaquant mais celle qui attendait que l'autre s'escrime à bouger pour elle. Ainsi avec plus d’aplomb, plus d'assurance, ses gestes minimalistes iraient droit au but.

Mais avant tout ceci, quelque chose attira son attention.

« -Pourquoi en serais-je ravie ? Vous venez de me prouver que vous êtes bien plus intelligent et réfléchit que l'être cruel et violent que l'on m'a toujours décrit. Vous savez juger les qualités et les défauts de votre ennemi, en ne les reniant pas. C'est une grande qualité. »

Oui, on l'avait toujours décrit comme un personnage froid, violent, avide de sang, sans aucun scrupules. Il y avait de quoi penser cela, et les faits étaient là, mais beaucoup oubliait une chose : il était très intelligent. Peut être trop. Et ce n'était pas un fait à négliger, peut être même bien plus que sa force.

« -Aussi car je pense comme vous. Sauf que ce que vous appelez faiblesse est pour moi une non reconnaissance de la part de Kylian de ses aptitudes. Je pense que ce n'est ensuite qu'une question de point de vue. »

Et du sens que l'on pouvait accorder aux mots.

« -Il est un frein, car votre dessein est une pure folie sans nom et totalement inutile. Quoique soit la chose qui ronge votre cœur, votre rage, votre haine, ne s'apaisera pas de cette façon. Vous verrez si un jour vous y parvenez. Vous ne vous sentirez pas satisfait pour autant. Quoique vous vouliez me répondre à l'instant. »

La haine et la vengeance consumaient tellement de l'intérieur qu'une fois la satisfaction passée, il ne reste rien. Rien que la solitude et le désarroi. Le souhaitait-elle pour le prince ? Nullement, car cela passerait par tant de destruction en amont pour au final rien. Même pour lui. Tout ce mal pour un résultat décevant. Fallait-il se donner tant de peine ?

« -Détruisez Kylian si cela vous plaît, mais sachez que la tâche ne sera pas aisée. Ses idées sont tout aussi arrêtées et déterminées. Et la puissance ne fait pas tout. Une idée survit parfois à son créateur.»

Bien que la princesse ne doute pas que le prince ne le sache pas. Mais Kylian n'avait pas que des faiblesses, même si le principal intéressé en doutait grandement, il avait de nombreuses qualités et forces. Et pas seulement sa dragonne. Même avant sa rencontre avec Skade. Il était humble, curieux, attentif, bon, loyal et avait cette force de s'attirer la sympathie de nombreuses personnes, même si cela parfois commence dans un fracas. Mais surtout il était sincère.

« -Eh bien si vous échouez dans cette quête, ce que j'espère au plus haut point, la mort me laissera quitter la vie naturellement de vieillesse. Même si Kylian se plaît à croire qu'il m'aimera toujours en étant une vieille femme, ma conviction de femme et d'humaine me fait dire que les choses seront un peu différentes. Mais ce futur ne m'intéresse pas. C'est le présent qui compte. »

Un présent déjà bien chaotique, dont personne ne savait de quoi demain serait fait. Et ayant perdu tant en si peu de temps, la princesse voulait profiter du moment présent. Même si ce moment était sans Kylian et sur un départ le cœur gros d'une dispute dissimulée.

« -Je me plaît en humaine et ne voyez point là une offense à votre race, mais la vie doit suivre son cours, la mienne comme celle de Kylian. La vie est faites de rencontres et de pertes. Kylian a vécu avant moi, il vivra après. »

Et maintenant, elle en avait la certitude. Même si le vampire lui avait de de nombreuses fois qu'une fois la mort venant l'arracher à son dernier souffle, le Dracos avait mis sur la route du vampire une dragonne. Et connaissant son aimé et sa loyauté, il ne laisserait pas Skade, mère des tempêtes continuer sans lui. Les prières de la princesse avait été exhaussée. Kylian vivrait encore après elle, longtemps, voyant leurs rêves se réaliser et le vivant peut être avec une autre. Même si cette pensée l'attristait, de le savoir vivre sa vie passait outre les tourments de son propre cœur.
Et même si le prince s'interrogeait de sa non transformation en vampire, Esmelda ne pouvait qu'ajouter avec fatalisme.

« -Vampire, je ne serai plus moi, une autre Esmelda différente. Et certaines magies sont trop dangereuses ou bien trop enclines à bercer vers la noirceur de l'âme pour permettre de continuer à vivre avec une dignité humaine. »

La princesse s'arrêta de nouveau après quelques assauts envers le prince vampirique. Une question qu'elle estimait légitime la taraudait depuis des années. Pourquoi ? Certes les vampires étaient un peuple conquérant, assoiffés de cette malédiction, mais si des vampires comme Kylian ou Roëric pouvaient s'allier aux humains pourquoi pas d'autres, pourquoi pas leur prince ??? Après tout...

« -Et pourquoi cette haine ? Et ne me dîtes que c'est parce que vous êtes vampire. Je ne suis pas d'elle qui croit que la race justifie tels ou tels actes. »

Le compliment l'étonna. Il s'était attendu à un autre type de réaction et elle venait encore une fois de prendre le contrepied de l'image qu'il se faisait d'elle. Elle faisait parti des rares à tenter de voir plus loin que l'image horrible qu'il s'efforçait de renvoyer, ce qui était aussi agréable que frustrant. Si il s'était forgé cette carapace c'était justement pour être plus fort, tout être qui parvenait à l'effriter était donc un danger. Merithyn en premier lieu, Ambre ensuite, elle à présent. Quelques années plus tôt, cela n'aurait fait que le rendre nerveux et plus violent encore. Mais plus le temps passait, plus il s'apercevait qu'il existait en lui en profond besoin d'être vu autrement par au moins quelques personnes. Il changeait... Lentement, comme tout vampire. Mais surement. Il n'aurait su dire si c'était une bonne ou une mauvaise chose, ce qui était sur c'est que c'était inéluctable. Ne serait-ce que parce qu'il s'était révélé capable d'aimer à nouveau.

Il écouta son point de vue en silence, tournant autour d'elle avec lenteur tandis qu'elle le suivait de ses lames. Des aptitudes qu'il ne reconnaissait pas, qu'il aurait raté ? C'était possible, mais peu probable. Il s'intéressait toujours de très près à ses ennemis et le renégat en était un depuis trop longtemps pour avoir échappé à cette analyse. Son mental était un atout, son charisme aussi. Mais magiquement et physiquement, il n'était pas une réelle menace. Sur ces points là au moins, il n'avait pas à se poser de questions. Quand à la suite, elle lui tira un froncement de sourcils et une réponse immédiate :

"Mon coeur va très bien, d'autant mieux qu'il est figé depuis neuf siècles. Quand à mes desseins, ils suivent simplement la logique. Un peuple de proies ne peut que se soumettre face à un peuple de prédateurs."

Il se rembrunit suite à sa remarque suivante, elle venait de mettre le doigt sur un problème qu'il avait déjà décelé depuis longtemps. Une idée pouvait survivre à son créateur... C'était vrai. Et plus le créateur vivait longtemps en échappant à ses adversaires, plus celle-ci avait de chances d'être entendue et de se développer. Kylian était un problème qui gagnait en intensité au fil du temps, c'était assez frustrant d'en être conscient et de ne pas régler ça aussitôt... Mais il y avait moyen de contre balancer ce genre de choses, et il était passé maître dans cet art. La répression brutale et sans clémence serait suffisante à effacer ces idées dérangeantes dans l'esprit de la plupart des gens. Les plus têtus résisteraient un peu, mais il suffirait de se montrer encore plus convaincant. Sauf qu'avant de passer à cette phase il fallait déjà éliminer celui qui répandait ces idées, sinon cela n'aurait aucun intérêt. L'être soigneux et ordonné qu'il était n'était pas du genre à ne pas faire les choses dans l'ordre.

Il rumina ce point quelques secondes mais ne s'y attarda pas plus longtemps, il avait déjà réfléchit à cela de nombreuses fois après tout, et la suite était bien plus intéressante. Pour ne pas dire carrément perturbante... Que venait-elle de dire là ? Non seulement elle comptait laisser les années s'écouler à son détriment sans rien faire contre cela mais en plus elle pensait que son amant se désintéresserait alors d'elle ? Et elle finirait par accepter la mort par dessus le marché, en pensant certainement lui rendre service ainsi ? Il retirait tout ce qu'il avait pensé précédement, en réalité elle était encore plus cruche que Wallam pour peu que ce soit possible... Piqué au vif par ce sujet sensible à ces yeux, l'ancestral ne pu réprimer la lueur farouche qui s'alluma dans son regard lorsqu'il répliqua sèchement :

"Il ne vivra rien du tout. Si ce n'est un martyre. Si c'est moi qui suis cruel petite princesse alors il va falloir inventer un autre mot pour te décrire. Ce que tu te propose de faire, c'est un crime que je renierai moi-même. On dit ce qu'on veut de moi, mais je n'ai jamais laissé vivre inutilement un être qui en est arrivé à un tel niveau de souffrance. Toute blessure peut-être supportée, dès lors qu'elle est physique. L'âme, elle, ne se remet pas. Jamais."

Le dernier mot n'avait été qu'un souffle à demi étouffé par une tonne de souffrance qu'il avait maîtrisée de son mieux afin qu'elle ne soit pas trop tangible. Ses prunelles avaient fugitivement prit une teinte moins froide, retrouvant pour une demi seconde leur clarté océane d'antant avant de redevenir aussi tranchante que l'acier à l'instant où le souvenir cinglant de son propre drame lui revenait à l'esprit. La princesse ne pouvait le savoir, mais le choix qu'elle semblait décidée à faire d'elle même et sans prendre en considération l'avis du principal concerné le dégoutait totalement. Il fallait avoir vécu ce qu'il avait vécu pour goûter toute la saveur amère d'une telle décision unilatéral. Le vampire ne s'en remettrait pas, et si Lorenz pouvait se réjouir de sa mort il ne pourrait en revanche que détester une telle vision. Sa voix résonna à nouveau avec plus de froideur qu'elle ne l'avait jamais fait à l'encontre de cette humaine :

"La dignité... Piètre autel pour sacrifier un tel lien. Aimer, princesse, c'est savoir s'affranchir de toute autre considération. Si tu n'es pas capable de renoncer à une telle chose pour lui alors votre union ne vaut pas plus que le sang d'une famille de rats aux yeux d'un vampire. Prie simplement les Esprits qu'il en soit pareil de son côté à lui... Car dans le cas contraire, tu auras une sale action sur les mains. Et je ne crois pas que tu puisse le supporter aussi bien que moi."

Il avait reculé, rompant le combat afin de se concentrer sur cette conversation désormais trop importante à ses yeux. Il s'était découvert énormément, beaucoup trop par rapport à ses habitudes. Alors même qu'elle posait sa question, il suffisait à l'ancestral de soutenir son regard pour deviner qu'il lui en avait apprit beaucoup en très peu de temps. Qu'est-ce qui lui avait prit ? Il avait tout de la forteresse inexpugnable en général, pourquoi cette soudaine saute d'humeur ? Et plus important encore, pourquoi ne l'avait-il pas maitrisée comme il le faisait si bien d'habitude ? Frustré et nerveux, il la transperça sur place de toute l'intensité de ses prunelles d'acier. Après un silence, il se décida à répondre d'une voix grondante :

"Je hais pour des raisons qui me sont propres, et qui ne concernent personne ici. Et je n'ai de toutes façons pas besoin de haïr pour vouloir justice pour ma race. Les vampires ne sont pas fait pour vivre sous terre, je ne fais que les rétablir à la place qu'ils méritent."

Son agressivité soudaine ne s'apaisait qu'avec lenteur, il détestait qu'on vise aussi juste et il ne pouvait qu'admettre qu'elle y était involontairement parvenu. Désireux de renverser la situation et sans doute de noyer un peu le poisson en passant, il reprit plus calmement :

"Pourquoi tant d'intérêt de toutes façons ? Tu viens de dire toi même qu'il y a des choses que tu ne ferais pas, même par amour. Quoi que je puisse dire donc, rien n'excusera mes actes à tes yeux. Ce qui n'a d'ailleurs pas d'importance aux miens... Nous perdons notre temps tous les deux."

Malgré tout il restait... Etrange paradoxe que celui-ci, et pourtant bien réel.

Attendant que lui attaque, en tournant autour de son ennemi du moment, comme deux félins attendant que le premier attaque, Esmelda lui répondit avec un ton qui semblait une évidence implacable.

« -Sommes-nous obligés de nous conduire tels des animaux, alors que nous sommes dotés de raison, de sentiments, bons ou mauvais, et de logique. Surtout quand autour de nous fourmille magie et façon d'établir la vie autrement ?? La domination n'apporte que ce qu'elle sème. Et ce n'est rien de bon. Il y aura toujours un Kylian pour se dresser contre vous. Puis deux, puis trois, alors que votre peuple pourrait avoir sa place à l'égale des deux autres. »

Car oui, il y avait des solutions à la faim vampirique, premier petit soucis de mésentente des peuples. Mais fallait-il encore se donner la peine de vouloir les observer, les chercher, les comprendre et les utiliser. Tout comme face à la violence, à l’oppression, il y en a toujours qui finira par dire non. Un seul. Un fou peut être, mais un qui sera écouté, suivis, et qui ouvrira la voie à une autre possibilité de vie.

« -Quand à la logique n'est-elle pas faite pour évoluer avec ce que nous sommes et vivons ? Votre peuple à évoluer depuis des siècles, le miens aussi, même celui des elfes, quoiqu'on en dise et pense. Pourquoi ne pas évoluer par autre chose que toujours la violence et le sang. Ne me faites pas croire que votre peuple n'est que cela, car je ne vous croirai pas. »

Non, car elle y avait vu autre chose en rencontrant Kylian, Roëric, Veren ou Hyrriena, des vampires ne voulant que la liberté.
Mais le vampire soulevait un point qui l'intriguait juste assez pour le souligner : « Toute blessure peut-être supportée, dès lors qu'elle est physique. L'âme, elle, ne se remet pas. Jamais. »

« -Et vous parlez en connaissance de cause ? »

La princesse n'attendait pas de réponse, elle était curieuse certes, mais même un prince vampirique cruel avait le droit à ses secrets les plus sombres. La jeune femme continua d'ailleurs à parler pour le lui prouver.

« -Je suis humaine, avec ce qui va avec, la vie, la croissance et la mort. Je respecte les vampires, du moins ceux qui le mérite. Mais je ne renierai pas ma condition d'humaine pour devenir vampire. Oui, même par amour, car ce serait mentir à Kylian que de lui donner l'espoir de me revoir, comme je suis, comme il tient à moi. Je sais ce que devenir vampire veut dire et engendre. Et je sais que, même si c'est dure à entendre et comprendre, il ne veut pas que je subisse les tortures de l'âme que lui aussi subit chaque jour. Ne serait-ce pas plus dur que de voir en plus l'être aimé ne plus être soit et en plus être ce que vous cherchez à renier ? Je suis peut être cruelle en disant cela, mais je sais que je le serai encore plus en devenant ce que je ne suis pas. »

Il pouvait lui faire des leçons sur sa relation avec Kylian et leurs avenir mais il n'était pas mieux avec son cœur figé dans le temps. Un brin boudeuse, ses narines indiquaient son agacement. Puis n'arrêtait-il pas de dire qu'il allait les tuer. Alors autant vivre au jour le jour sans se soucier du reste. Elle aimait Kylian et n'avait besoin de rien ni personne pour le lui dire. Elle l'aimait comme il était, oubliant parfois qu'il était vampire.

« -Vous parlez d'amour comme si vous y connaissiez quelques choses. (Aimer c'est ce qu'il y a de plus beau, aimer c’est monter si haut et toucher les ailes des oiseaux...) Aimer, c'est être soit au travers des yeux de l'autre, être grandit et fort. Et quand être capable de renoncer à un bon nombre de choses. Réfléchissez un peu votre Altesse. Je suis humaine, il est vampire. Je renonce à beaucoup, tout autant que lui. Mais en rien ne changerait d'avis le concernant. Rien ni personne. »

Pas même une guerre. Esmelda reprit non pas par justification, pour elle l'amour n'en n'avait nullement besoin, mais par envie d'éclaircir les choses.

« -Quand à mes actions, je suis prise entre deux feux, il y aura forcément un poids sur mes épaules, mais justement il est des choix qui valent la peine qu'on se batte pour elle, et Kylian le vaut. Quoique vous pensiez, quelque soit votre haine. Car je me doute de vos raisons...Et même si les vampires ne sont pas fait pour vivre sous terre, mais les humains ne le sont pas pour être vos esclaves, et les elfes de simples amis de la nature. Chacun a sa place dans le cercle de la vie. »

Et la jeune princesse se battrait pour cela. Lorenz pouvait lire sa détermination et son aplomb quand à l'avenir de son peuple.
Puis, elle se stoppa dans ses mouvements, un peu perplexe sur le fait de faire des choses ou non par amour. Aimer ce n'était pas faire pour l'autre, mais faire avec lui.

« -Bien sûr que je ne ferai pas des choses par amour. Que se soit par amour familial ou de cœur. Personne n'est prêt à tout sacrifier par amour, si cela ne va pas avec ce que nous sommes. Si on aime il faut aussi savoir accepter l'autre dans sa globalité, avec ses qualités et ses défauts, ses façons de faire et de voir. Et je ne demanderai pas à Kylian des choses que je ne serai pas capable de faire. »

Bon dans l'idéal, mais les choses n'étaient pas toujours évidente quand on était princesse.

« -Justement, l’intérêt est de changer la donne, de chercher à comprendre au lieu de toujours continuer dans le cercle de la haine. J'ai ouvert les yeux sur un peuple qui m'a été décrit comme impitoyable, sanguinaire, à la limite de la bestialité. Et pourtant le premier que j'ai rencontré m'a montré qu'il en était autrement. Une autre voie. Le passé n'a rien donné de bon, peut être qu'il faut savoir s'ouvrir vers autre chose et accepter de changer. Donc oui, il est des choses que je ne ferai pas, mais est-ce que cela veut dire que je ne peux chercher à comprendre, à voir. L'un n'est pas compatible avec l'autre. J'aime un vampire, mais je ne suis pas prête à le devenir. Et si vos mots n'étaient que vent à mes oreilles, j'aurai mis fin à cette discussion. L'inverse est-il donc possible aussi ? »

Non, mais !!! Il pouvait jouer les méchants vampires, mais en attendant, il était là à discuter avec elle, à ne pas fuir, donc la discussion lui plaisait. Et pas l'idée de la mettre à terre en un rien.

Il haussa les sourcils en l'entendant parler de sentiments. Ignorait-elle quel point ceux des vampires étaient différents de ceux des humains ? Oh ils en ressentaient bien sur, ils n'étaient pas totalement froids et implacables mais ils ne les géraient pas de la même manière et lui-même n'était franchement pas une référence dans cette matière. L'amour, la haine, ça il connaissait. Son histoire lui avait prouvé qu'il était capable de ressentir l'un comme l'autre, mais tous les sentiments intermédiaires alors ? L'amitié ? La confiance ? Le simple amour filial ? Les remords ? Il ne connaissait rien de tout ceci, ne l'avait jamais ressentit. Il s'en était aperçu très tôt d'ailleurs, lorsque dans sa plus tendre enfance elfique il avait prit conscience qu'il n'avait que détachement et même un certains dédain pour ceux qui l'entouraient, y compris sa propre famille. Peut-être était-ce pour cela qu'il avait été si heureux de tomber amoureux d'Enelya, il avait alors fait l'expérience des sentiments autre que la haine ou la rancune pour toute première fois. Avait-il donc besoin que les sensations franchissent un certain seuil d'intensité pour les ressentir vraiment ? Un amour fou ou rien du tout ? Si c'était le cas alors ça expliquait pourquoi il s'était sentit aussi vide pendant la plus grande partie de son existence...

Toujours en silence, il l'écouta défendre avec passion l'image qu'elle se faisait du peuple vampire, ou plutôt de ce qu'il pouvait devenir. Cela ne lui tira qu'un demi sourire presque indulgent. Ce qu'elle était naïve tout de même... Il rétorqua non sans une certaine lassitude :

"Ce n'est pas parce que tu as croisé ou même cotoyés de près deux ou trois vampires marginaux que tu peux considérer que tu connais notre peuple, princesse. A ton avis pourquoi sont-ils solitaires si ce n'est parce qu'ils ne peuvent s'adapter à notre style de vie ? Tu semble croire que je mène les vampires sur une voie qui ne leur convient pas, or je ne fais que suivre la voie que la plupart d'entre eux désirent... Certains ont même des idées encore plus dures que les miennes... Il serait plus aisé d'apprivoiser une troupe de dragons sauvages que de vouloir faire de nous ce que nous ne sommes pas. La violence et le sang font partie de notre culture, nous aimons cela. Et nous ne respectons que la force, ce qui est difficilement conciliable avec la paix à laquelle tu aspire..."

Etait-elle consciente de cela ? Peut-être en partie, mais pas entièrement. On ne pouvait comprendre le peuple vampire à moins d'avoir vécu parmi eux pendant des années, ce qui était parfaitement impossible lorsque l'on possédait du sang chaud. Non... Pas impossible. Le souvenir d'un baptistrel à l'opiniâtre caractère vint le détromper, et il hocha la tête pour lui-même. Merithyn Shadowsong était peut-être le seul être en ce monde possédant légitimement le droit de prétendre connaître la race vampirique. Il y réfléchit quelques secondes, et en fit la remarque :

"Si tu ne me crois pas moi, interroge le gardien des baptistrels. Il a vécu parmi nous assez longtemps pour confirmer mes dires. Cela ne lui plait sans doute pas plus qu'à toi, mais lui est conscient qu'il ne peut nous changer en profondeur. Nous sommes ce que nous sommes."

Et c'était parfaitement irrévocable, comme le prouvait le ton de sa sentence. La suite par contre le fit se raidir, et se murer de nouveau dans le silence. Si il parlait en connaissance de cause ? Evidemment... Mais il n'allait certainement pas lui dire, elle avait déjà deviné assez choses comme ça. Par chance elle n'insista pas là dessus et préféra continuer, ce qui l'obligea à un sévère contrôle de lui-même pour éviter de lui cracher en pleine figure qu'il savait parfaitement et sans doute mieux qu'elle ce qu'était que l'amour. Bien sur cela n'aurait pas arrangé du tout ses affaires, il ne manquerait plus qu'elle le voit en vampire transit tiens... Il se contint donc avec difficulté, mais ses jointures blanchirent sur le manche de ses dagues. Etait-elle vraiment en train d'essayer de plus expliquer ce qu'aimer signifiait ? A lui ? Lui qui avait tout donné, jusqu'à son âme, pour le pâle reflet du souvenir symbolisé par une promesse ? Ses crocs se dévoilèrent une seconde tant il mourrait soudainement d'envie de les planter dans la peau délicate de l'humaine. Elle n'aurait pas pu l'insulter plus sévèrement, et le pire était qu'elle ne pouvait même pas en être consciente. Comme souvent lorsqu'il était ébranlé, il choisit la provocation :

"Le problème étant que ma place à moi et à mon peuple se situe au dessus de celle de tous les autres... Le cercle de la vie ne comprend pas les morts, ou si c'est le cas cela ne m'intéresse pas. Je ne veux pas savoir pourquoi les différentes races sont faites, elles seront ce que je décide."

Et ceci simplement parce qu'il en avait le pouvoir et la volonté. La loi du plus fort fonctionnait ainsi, et tant pis si elle ne pouvait le comprendre. Il secoua la tête avec dégoût en l'entendant dire qu'elle ne ferait pas certaines choses par amour et décréta sans clémence :

"Alors c'est un amour partiel. Imparfait."

Car elle se trompait sur un point important, mais il ne pouvait pas le lui dire. Un être au monde avait été capable de tout sacrifier par amour, et il se tenait devant elle. Il avait tourné le dos à son propre peuple en se rapprochant d'Enelya, sachant inconsciemment au plus profond de lui ce que cela lui coûterait. Il avait renoncé à tout et plus encore même après qu'elle ai perdu la vie. Il avait tué sa propre famille, puis tout ceux qui s'étaient mis en travers de sa route. Il s'était tué lui-même, ivre de sang et noyé en lui jusqu'à l'ivresse. Son âme il l'avait déchirée, la livrant sans vergogne aux assauts voraces de sa haine et de sa rancoeur. Il avait sacrifié jusqu'à son moi profond, changeant entièrement et irrévocablement pour devenir ce qu'il était à présent, ce prince noir maudit et haït de tous qui pouvait accomplir ce que l'ancien Lorenz Wintel n'aurait pas eu la force de faire. Jusqu'à très peu de temps, en fait jusqu'à ce qu'Ambre apparaisse dans sa vie, il n'avait plus rien eu à sa raccrocher. Sombrant de plus en plus profondément dans une noirceur qu'il savait sans retour et acceptant consciemment l'ineluctable folie qui finirait pas s'emparer de lui. Il avait tout perdu, tout donné plutôt pour le simple reflet d'un amour perdu. Alors oui, il existait bien une créature sur ces terres capable d'aller aussi loin. Et c'était lui. Il n'en tirait ni fierté ni honte, c'était simplement sa réalité.

Il revint à la réalité à temps pour entendre sa dernière question et ne pu réprimer un sourire, cette fois plus honnête et dénué d'ironie que tout les rictus qu'il avait pu avoir jusque là. Pressentant que leur entraînement ne pourrait plus reprendre un court normal après cette conversation, il relâcha sa garde et fit disparaître ses dagues avant de remarquer d'une voix neutre :

"Tu as l'esprit affuté princesse. Plus que la majorité des gens."

Elle l'avait coincé. Il ne pouvait prétendre que ses mots à elle étaient du vent à ses oreilles à lui, il avait été plus passionné par cette conversation que par aucune autre depuis des siècles. Il n'était pas d'accord avec elle bien sur, elle avait tort sur de nombreux points mais il ne pouvait pas lui en vouloir. Elle ignorait trop de choses sur le peuple vampirique et sur lui-même pour pouvoir tout comprendre. Par contre elle avait le raisonnement rapide et sur, presque autant que celui d'un vampire.

Il l'observa avec intensité, son masque impassible ne laissant rien passer de ses pensées pourtant passionnantes. Elle l'avait vraiment impressionnée que ce soit par la férocité qu'elle avait mit dans leur entrainement ou par celle qu'elle avait mit dans leur joute verbale. Pour une humaine, elle avait de la hargne à revendre et il en était à se demander si il ne devait pas remercier le Dracos que les Kohan se refusent à laisser leurs femmes gouverner. Elle n'aurait pas eu la moindre chance contre lui pour autant, mais la lutte aurait sans doute été plus terrible encore. L'idée l'amusa et une lueur aussi rieuse que brûlante passa dans ses prunelles lorsqu'il interrogea :

"Comment supporte-tu le rôle qui t'a été assigné au sein de ton peuple ? Vous respectez le sang et la naissance, nous respectons la force. Chez les miens, tu serais déjà au sommet et peut-être même en train de lorgner sur ma place, pour mon plus grand amusement."

Il cru déceler de l'irritation en elle et précisa :

"Paix. Je ne cherche pas à te recruter ou à mettre à nouveau en avant les avantages que tu aurais à devenir vampire, d'autant plus que ce serait profitable à Kylian plutôt qu'à moi. Je m'interroge simplement... Les lois de ton peuple t'obligent à t'incliner devant des êtres qui possèdent pourtant moins de prestance que toi. Cela ne te pèse pas ?"

Il connaissait déjà la réponse, l'ayant déjà entendu préciser qu'elle se considérait comme en cage à cause du caractère protecteur de certaines personnes l'entourant. Mais il voulait en entendre plus, et de sa bouche de préférence. Tout ceci l'intriguait.

« - Je ne prétends pas tout connaître de votre peuple. L'histoire, les guerres, la vie de vampire. Mais je la connais au travers des humains, de nos rapports, de nos histoires. Ce que j'y ai vu, appris ne m'a guère plus et j'ai haït votre peuple. J'ai voulu sa destruction jusqu'au dernier. User d'autant de violence que vous, vampires, en avaient eu à notre égard. Je ne valais guère mieux que ceux que je méprisais. Mais j'ai rencontré une autre alternative, possible. Alors, oui, ce sont peut être des êtres marginaux aux yeux des vôtres, mais si eux ont changé, pourquoi pas d'autres ? Pourquoi ne pas chercher à vouloir autre chose ? Car des vampires vivent ainsi depuis des siècles, parce que la violence est finalement bien plus facile que l'apaisement ? Le monde change autour de nous cher prince, tout change, pourquoi pas les vampires ? Tous les vampires ? »

Oui des questions, encore des questions, peut être sans réponses, mais la jeune femme se devait de les poser. Car curieuse elle était. Cherchant à vouloir comprendre le monde et les rouages des choses qui l'entourent par la source. On lui avait tracé un portait des vampires et elle en avait vu un autre. Comme on l'avait fait auparavant pour le nord. Maintenant, Esmelda voulait comprendre par elle même.

« -Je vous le demande en toute sincérité. Oui, je ne vous connais pas, peuple vampirique. Du moins, je ne connais que ceux que vous même méprisez au sein de votre peuple. Mais ils sont là et existent comme une autre façon de vous voir. »

Il fallait commencer petit afin de voir grand par la suite. Et pourquoi ne pas renverser la vapeur (qu'ils n'utilisent pas encore) ?

« -La force peut revêtir bien des aspects. Et celle de l'esprit est bien plus difficile à atteindre que celle de la force physique. Du moins, c'est ce que je pense. »

N'avait-elle pas réussi à planter de sa frêle main un serviteur du Néant deux fois plus grand qu'elle et dont les services d'armes doivent dépasser les siennes au centuple ? Si, mais elle avait force d'arriver à sortir de ses griffes. Mourir, pourquoi pas, mais pas comme ça. Enfin pour le moment, ça fonctionnait, non ?

« -Alors je lui parlerai. Car, je porte sûrement autant que lui d’intérêt à tous les peuples d'Armanda. Changer est inévitable pour survivre. Cet homme pourra me guider sur ce que je ne comprends pas face à vous. Cette haine enfouie ou bien cette colère. »

Ou les deux. Ou bien, elle se plantait encore. Mais cela n'entachait en rien sa curiosité sur Lorenz, son peuple. Car cela était aussi un pan de partie de l'histoire de Kylian. Et son aimé ne parlait que peu de lui, de sa vie de vampire, préférant se focaliser sur eux, sur elle, sur la vie. Mais la jeune femme voulait des réponses à ses questions et aux reproches que lui faisait parfois son aimé à demi mot, sur sa condition d'être de la nuit.

« -Un amour imparfait ? Peut être, mais pas partiel, réel. Car nulle chose n'est parfaite. Personne ne l'est, alors l'amour ne peut l'être aussi. Mais il n'en demeure pas moins sincère et présent. »

Que pouvait-il dire sur l'amour alors qu'il n'était que haine. Oui, son amour avec Kylian n'était pas parfait, mais c'était aussi là leur force et son attachement. Kylian n'était pas parfait, mais elle encore moins. Mais à deux ils avançaient avec leurs qualités, leurs défauts, leurs rêves en voulant les bâtir côte à côte. Non, elle n'était pas prête à tout pour Kylian, mais elle ne lui demandait pas d'en faire autant. Se perdre totalement dans l'autre en oubliant d'être soit n'était pas de l'amour pour la jeune femme.
Esmelda fut surprise que le prince fasse disparaître ses dagues. La leçon était-elle donc finie ? Ou bien la discussion et son intérêt avait pris le pas sur le petit amusement auquel il s'imaginait. Et elle n'avait presque pas fini à terre. Un exploit.

« -Je ne peux que vous remercier du compliment. Même si me demande s'ils sont pour moi ou la vampire que je pourrai être.»

Le prince vampirique devait avoir faim pour vouloir encore la voir de la sorte. Ou bien avait-il vu lui, ce que beaucoup se refusait à voir.

« -Et aurai-je mes chances ? »

Dit-elle avec un aplomb désarmant. On sait jamais, il fallait penser à toutes les options possibles quand à l'avenir.

« -Il y a derrière tout homme, une femme qui s'y dissimule. Le pouvoir peut revêtir bien des formes, même si on n'en a pas les rênes. Je suis au sommet, de là où je veux être. Seul m'importe de venir en aide à mon peuple, je me donne les moyens de le faire avec ce qui m'est donné. Mais les choses changeront peut être. Les humains aussi un jour verront la perspicacité et l'intelligence bien plus que la force brute d'un homme. »

Car n'était-ce pas là la seule raison de voir un homme au pouvoir. On le vouait plus fort, plus à même de mener une armée, manier des armes qu'une femme. Et pourtant la princesse connaissait bien des femmes capables de manier mieux l'épée que des hommes. Mais la frêle créature féminine avait encore du soucis à se faire face à la force dominante masculine et encore plus dans la haute noblesse où depuis toujours les femmes sont vues comme fragiles, délicates. Beaucoup de femmes entretenaient aussi cette façon de voir, préférant bien plus les batifolages à l'ombre des arbres, parlant bijoux et se gaussant dans le luxe. Diriger. Elles le faisaient chez elle, ça leur suffisait. Peu pour Esmelda, elle essayait déjà de diriger sa vie, et ce n'était pas une mince affaire. Mais Lorenz avait vu juste en sachant que la princesse recherchait plus, en voulait plus sans pour autant être au sommet.

« -Même si je ne pense pas que cela soit profitable à Kylian, je continuerai à m'incliner devant ce que notre peuple à établit comme lois, notamment de succession. Mais cela ne m'empêchera en rien de continuer à dire ce que j'ai à dire et quand bon me semble. Et sans le poids d'une couronne n'ai-je pas les mains plus libre et moins d'attentes pour réaliser et aider ceux qui en ont vraiment besoin ? »

Bon, sur les attentes, Esmelda n'en n'était pas vraiment sûre. Beaucoup d'yeux étaient posées sur elle et ses faits et gestes. Mais depuis toujours la petite princesse n'avait pas sa langue dans sa poche et ses pieds immobiles pour se fondre dans un carcan bien établit par la royauté. Un trait de caractère de sa grand-mère maternelle. Une femme de poigne et dont le langage faisait parfois rougir les plus pudiques. Qu'importe, de toute façon, elle n'était pas de celle qui gouvernerait, mais de celle qui apporterait la pierre à l'édifice de l'empire par les chemins détournés. Et quelques part, Esmelda préférait cela.

Impassible, il l'écouta parler de la haine et des rancoeurs qu'elle avait pu éprouver envers les vampires sans s'en formaliser. Enfin une réaction logique... Une réaction qui tranchait avec ses positions actuelles si différentes de celle de la plupart des humains. Quoique cela changeait peu à peu... Avec beaucoup de lenteur mais de façon palpable. L'élément le plus décisif de cette évolution étant sans nul doute le couronnement de ce nouveau roi, si ouvert par rapport à son prédécesseur. Ce que lui en pensait ? Pas grand chose. Il n'accueillait ces initiatives qu'avec méfiance et dédain, comme le loup le ferait devant un drapeau blanc agité par les agneaux. Il n'avait rien demandé à personne et ne comprenait qu'à moitié ces efforts consentit par une partie de la famille royale humaine afin de soit disant tendre la main à son peuple. Que l'alliance nécessitent quelques ajustements, cela il en était parfaitement conscient. Mais de là à brasser de l'air comme ils le faisaient... La question de la princesse lui tira un rictus indéfinissable :

"Et de quel droit nous changerais-tu, princesse ?"

C'était bien mignon tout ses rêves à l'eau de rose là, mais cela ne correspondait ni à la réalité ni à ses propres projets. Et certainement pas non plus aux désirs d'évolution des vampires, qui n'évoluaient d'ailleurs et de toutes façons qu'à des échelles totalement impensables dans l'appréhension du temps des humains. En bref ? Elle aussi elle brassait de l'air... Et donc lui avec puisqu'il restait planté là sans se décider à prendre congé comme son instinct le lui ordonnait. A nouveau il rejeta cette possibilité et répondu :

"Fabius Kohan existe lui aussi. Les Alayiens qui après tout sont humains... Et si c'était moi qui demandait à la totalité de ton peuple de faire un effort pour devenir comme ces derniers ? Ou comme ce cousin dont la simple évocation du nom allume les flammes de la colère dans ton regard ? Pourquoi ta vision du monde devrait-elle être meilleure que la mienne ou que celle de n'importe qui d'autre ? Tu fais preuve d'arrogance."

Etrange accusation de sa part, mais lâchée sans réelle agressivité. Il l'observait intensément, une lueur d'intérêt dans l'oeil. La joute verbale l'amusait malgré tout et il ne la sentait pas prête de rendre les armes, pas plus qu'il ne l'était lui-même évidemment... Finalement, ils s'étaient bien trouvés tous les deux. Ils pourraient discourir ainsi pendant des heures sans vraiment lâcher leurs positions respectives. Il hocha la tête en l'entendant parler de la force de l'esprit, sibyllin :

"Et crois-tu que j'ai encore besoin de travailler pour l'atteindre ?"

Ses lèvres fines s'étirèrent sur l'ombre d'un sourire tandis qu'il la fixait de toute la dureté de ses prunelles d'acier. Il était passé par tant et tant de combats, de drames et de péripéties qu'il ne craignait plus grand monde sur ce terrain là. Qu'importait la force mentale de ses ennemis, il pouvait tenir la concurrence contre n'importe lequel d'entre eux. Ou presque, mais lorsqu'on était appuyé par un totem cela ne comptait pas tout à fait... Quand à l'idée d'utiliser cette force pour faire changer son peuple, oh cela allait arriver pour sur... Mais pas dans le sens qu'elle espérait. Il poursuivait ses propres objectifs et aucun autres, la vision d'avenir de la jeune femme ne pouvant de toutes façons pas le satisfaire. Son avenir à lui c'était la vengeance, ce qu'il y avait au dela ne l'intéressait absolument pas. Quand à sa résolution d'aller parler au baptistrel et bien... Il ne savait pas trop ce que cela lui inspirait. Elle en apprendrait plus sur les vampires, mais Shadowsong s'arrêterait-il là ? Il n'y réfléchit qu'une seconde avant de se rassurer. Une leçon suffisait en général à cet elfe là, et la dernière l'avait ébranlée même si l'ancestral n'y était absolument pour rien dans cette affaire... Il garderait ses secrets. Logique simple ou véritable confiance ? Un mélange des deux sans nul doute... Penchant plus vers la logique. Il restait le même après tout. Il corrigea donc avec un brin de menace :

"Je t'ai dis de le voir pour en apprendre plus sur les vampires en général. Je ne suis pas un sujet d'étude, beaucoup l'ont apprit à leurs dépends."

Il laissa passer les affirmations sur l'amour, renonçant à lui faire comprendre ce qu'il avait bien pu vouloir dire. Il avait remarqué depuis bien longtemps que sa façon d'aimer à lui était bien plus proche de la folie que de l'exemple des autres couples. Il était exclusif et sans la plus petite nuance dans ce domaine là, d'où l'intensité de son désir de vengeance d'ailleurs. Elle ne pouvait donc comprendre, et tant mieux. Cela ne légitimait que mieux sa conviction selon laquel aucun amour ne valait celui qu'il avait pu éprouver pour Enelya. Dans ces conditions, il ne pouvait éprouver le moindre remord d'avoir à détruire un couple. Sa vengeance passait au dessus de ces considérations.

Il accepta son remerciement sans laisser filtrer la moindre émotion et sans répondre autrement que par un coup d'oeil mystérieux à ses interrogations. Mais la lueur se mua en surprise lorsqu'elle le provoqua avec un sérieux tout à fait déconcertant et il garda le silence un moment. Pesant de toute cette froide capacité d'analyse vampirique les points forts et faibles qui les séparaient avant de répondre calmement :

"Aucunement."

Et ce n'était pas bravade. Sa réponse était le résultat d'une réflexion intense pendant laquelle il avait imaginé la vampiresse qu'elle deviendrait et les événements qui pourraient advenir. Dans tous les scénarios possibles, il était vainqueur. Qu'elle en soit consciente ou non, il avait vaincu des adversaires bien plus puissants, retors, rusés, charismatique ou même tout cela à la fois. Il possédait une infinie confiance en lui-même et en ses capacités, confiance qui pourrait être un handicap si il elle n'était pas réellement bien placée. Nul autre que lui n'avait jamais accomplit l'exploit de rassembler le peuple vampirique en son entier et de le garder sous une totale autorité. Nul autre prince à sa connaissance n'avait vaincu un dragon en combat singulier, et bien peu à sa connaissance n'avait jamais fait montre des mêmes capacités, même autres que magiques. La modestie ne l'étouffait pas, non. Ce serait mentir que de dire le contraire. Mais ce n'était pas pour autant que l'on ne pourrait taxer d'imbécile celui qui aurait le sottise de le sous-estimer. Il en faudrait beaucoup pour que le prince vampirique change de prince dans les prochains siècles...

Elle lui répondit enfin aux sujets de ses interrogations sur sa place au sein du peuple humain, lui tirant un haussement de sourcil. Une femme dissimulée derrière chaque homme hein ? Théorie amusante... A nouveau elle reparti dans ses rêves et il ne réprima son soupir que de justesse. Autant elle pouvait être une interlocutrice fascinante, autant ce côté naïf de sa personnalité l'agaçait. C'est qu'elle était bientôt aussi rêveuse qu'Ambre... Mais Ambre avait cette excuse là qu'il l'aimait et que chaque battement de cil de sa part restait un émerveillement à ses yeux. Ce n'était pas tout à fait le cas de cette jeune femme là et il reprit sans concessions :

"Un jour viendra peut-être où tu en aura assez de t'incliner. Ou alors tu t'apercevra que le pouvoir est un passage obligé pour accomplir tes projets, quels qu'ils soient. Quand à la couronne, il n'appartient qu'à celui qui la porte que de décréter qu'elle est trop lourde et doit être changée..."

Un point sur lequel il ne transigeait pas. Son premier acte en tant que prince avait été de retirer la plupart des prérogatives et des libertés du conseil. Son second avait consisté à faire comprendre à chacun que l'on ferait désormais à sa façon et certainement pas autrement. Si les rois humains étaient trop faibles pour s'émanciper de règlements datant de siècles entiers alors c'était leur problème.

Leurs regards se croisèrent à nouveau, désormais plus sensibles à ce qu'était véritablement l'autre et aux projets qu'il pouvait bien poursuivre. Ce qui ressortirait de cet échange ? Il n'en savait rien, peut-être pas grand chose... Cela n'avait d'ailleurs pas été son intention, il était venu pour s'amuser, et c'était un autre genre de passe temps qui lui était tombé dessus. Il réfléchirait à tout ceci et décortiquerai le moindre mot prononcé comme il le faisait toujours. En attendant, il était temps d'en terminer. Son regard croisa celui de ses gardes restés totalement immobiles pendant tout le duel et ne daigna pas se poser sur les humains qui observaient toujours la scène de loin, puis il revint enfin à la jeune Kohan :

"Je serais curieux de voir ce jour si il finit par arriver. M'est avis que ce serait très instructif... Et puis il serait plus agréable de venir chercher la couronne du royaume humain sur une tête connue que sur celle de n'importe lequel de tes cousins..."

Il était difficile de définir le sérieux de ses dires et de deviner si il ne faisait que plaisanter ou si la provocation était réellement menaçante. Une lueur d'amusement éclaircissait pourtant l'acier de ses prunelles, mais l'aura sombre qui entourait sa personne contrebalançait cette impression. Conscient de lui avait donné matière à réfléchir, il la salua d'une inclinaison de tête que l'on n'aurait su dire non plus si elle était moqueuse ou simplement respectueuse :

"A très bientôt princesse. Et n'oubliez pas, si la main faible reste faible c'est elle qui sera responsable de la défaite toute entière..."

Il se détourna sans plus d'intérêt pour elle et sans prêter attention à son éventuelle réaction. Déjà, ses gardes l'entouraient et déjà, les créatures silencieuses s'évaporaient dans la semi obscurité des cavernes... Tiens... L'avait-il vouvoyée ?

Oui après tout pourquoi. Pourquoi ses paroles de petites humaines, ses envies changeraient quoique se soit et passeraient au dessus des désirs des autres ? Parce que même sans en jouer, on avait répondu au moindre de ses caprices ? Parce que logiquement ou stratégiquement c'est ce qu'on lui avait enseigné depuis le berceau ? Mais concrètement ? Pourquoi Lorenz ne chercherait pas lui aussi à lui prouver que sa façon de voir n'est pas la meilleure. Et que lui répondrait-elle s'il le faisait là.
Bien moins à l'aise, la princesse s'excusa presque en tentant d'expliquer et d'argumenter son point de vue. Parce qu'au final, malgré, tout sa vision était emprunte d'une chose essentielle à ses yeux pour vivre : le respect.

« -Vous avez raison. Je n'en n'ai nullement le droit. Ni même en tant qu'humaine ni même en tant que dirigeante de l'empire des hommes. Et ce que je veux ne compte guère au final, mais il est une chose qui elle ne changera pas. Nous avançons tous, nous changeons tous, nous évoluons tous. Combien de vampires s'opposaient à vous hier ? Aujourd'hui ? Et demain. Des barrières tombent, des liens se créent, des personnes se rencontrent. Moi, je ne vous changerai pas, malgré mes envies. Les autres le feront pour moi. »

Du moins, elle le pensait et l'espérait. Mais l'innocence de ses pensées et la fragilités de ses paroles ne feraient guère le poids dans le cercle géant de la politique et des rapports de force. Lorenz venait encore une fois le le lui démontrer. A juste titre. Peut être en tout cas, le chemin serait encore long.

« -Nous plaçons chacun nos visions idylliques en bandoulière. Et parce que je pense sincèrement que c'est de cette façon que cesserons un bon nombre de violence et de chaos qui règnent au cœur de notre terre. Nous sommes trois peuples, luttant chacun dans son coin, pour la même chose, avec certes des envies et des façons de voir différentes, pourquoi ne pas s'aligner sur une façon unique de voir ? Je ne dis pas que la mienne fait office de paroles bénites des Esprits, mais peuvent être force de considération et peuvent être entendu aux mêmes titres que les vôtres. Je ne viens pas imposer, je viens proposer. Car comme vous me l'avez bien fait remarquer, je dois pour le moment baisser l'échine et me contenter de voir d'autres gouverner de façon non égalitaire pour cet équilibre auquel je tiens. Et je n'ai jamais dit ou penser que tous les hommes étaient bons ni même meilleurs ou supérieurs aux autres races, dont les vampires.»

D'ailleurs Esmelda ne fonctionnait pas en terme d'appartenance à une race, une caste. Mais à la façon dont on défendait la paix et la conviction de se battre pour un monde meilleur pour tous. Tous les alayens n'étaient pas des bêtes assoiffées de violence et se refusant à toute forme de vie ou de côtoiement de la magie. N'avait-elle pas rencontré des cas contraire. Comme des Kylian chez les vampires ou des Eliowir chez les elfes ?

« -Je pense que vous êtes le seul à juger de ce que vous devez travailler ou pas. Comme vous me l'avez si justement souligné, je ne vous connais pas. Et ce que je cherche à comprendre, ce n'est pas tant vous. Mais votre peuple, son fonctionnement. Et par extension son chef, forcément. Et cela pas seulement pour connaître au mieux celui qui se trouve en face de moi sur le champ de bataille ou bien à côté. Mais aussi pour mieux comprendre ce qui fait parti de mon quotidien. La curiosité fait partie de ma vie, la connaissance c'est le savoir, la savoir la force. »

Se connaître soit même certes, mais connaître celui qui se trouvait en face d'elle avait aussi son importance. Ici en l’occurrence Lorenz Wintel. Il semblait ne pas vouloir se dévoiler. Certes, et la princesse ne le voulait pas. Connaître les détails de sa vie ne l'intéressait guère, le connaître en tant que chef, que prince, que vampire là oui. Il la passionnait même. Et c'est de cela, qu'elle aimerait en savoir bien plus.

« -Eh bien si ce jour arrive, sachez que je ne serai pas là à attendre que vous veniez la prendre. Je n'ai peut être pas la force d'un homme, mais j'ai la hargne d'une femme et si je mérite cette couronne, ce n'est pas pour la laisser à quiconque, et encore moins à vous. »

Même si cela n'était pas autant prêt d'arriver que de voir Lorenz serrer la main de Kylian et faire la paix, dans les yeux de la princesse luisait la détermination qu'elle se battrait jusqu'au bout que personne ni rien ne lui enlèvent ou viennent entacher l'honneur retrouvé de son empire.

« -Merci du conseil, cher prince, je saurai m'acquitter de vos conseils et vous remercie pour ceux-ci. »

Esmelda le salua dans un geste princier, sincère et coutume des bonnes règles de biens séance. Après tout, pourquoi finir sur une note impolie. Puis ce n'était point le genre de la maison d'agir comme une effrontée. Ou presque. Que dirait Kylian s'il la voyait. Il en blêmirait de peur et de colère. Une chance au final qu'il soit bien loin lui et ses oreilles. Mais ses conseils n'étaient pas tombés dans l'oreille d'une sourde et en bonne élève, elle s'appliquerait à ne plus avoir de main faible. Un bouclier en plus.

« -Je vais bien, mais si vous pouviez rester discret sur cette rencontre, j'irai encore bien mieux par la suite... »

D'un regard enjôleur, elle demandait surtout implicitement de ne pas raconter cela à son cousin, qui ferait une montagne de cette rencontre, qui fut bien moins terrible que les dernières. Au final, ils pouvaient se parler de façon polie, quand n'était pas en jeux un grimoire, ou des esclaves, ou l'intervention d'un vampire jaloux et un elfe inquiet.