Quand la jeune princesse eut quitté ses appartements, l'impératrice se sentit lasse de tout cela. Était-ce si compliqué à croire qu'elle voulait sincèrement aidé cette race encore si jeune ? Que ses projets n'avaient rien de malsains et d'égoïste parce qu'on ne pouvait pas les comprendre ou les accepter ? Il y a quelques années on l'aurait écouté avec davantage de soumission et de suavité parce que bien trop intimidé et apeuré face à tout ce que représentait, à présent... Ils étaient une race vieillissante qu'on maudissait et jalousait tout bas, dédaignant les précieux conseils parce que se croyant invincible et à la sagesse sans limite. Il est vrai qu'une vie d'homme est bien courte, que forcément voir aussi loin que le fait habituellement un elfe peut leur paraître sans intérêt mais quand eux s'effaceront dans les poussières du temps, qui sera encore là pour observer les conséquences de plans aussi réducteurs dans le temps ? Les vampires ? Tch... Ils danseront avec bonheur sur les cadavres exsangues de leur repas du jour, exploitant et reproduisant l'espère humaine comme un éleveur prend soin de sélectionner ses bêtes pour maintenir un bon sang dans son exploitation de bœuf ou de mouton. Non, ce seront les elfes qui seront là à regarder les suites de leurs idées finis, qui pleureront et n'oublieront jamais cette race qui fut vaincu... La blonde était fermement convaincue que Grégorist n'était pas un roi adéquat, que les mauvaises choses qui lui étaient arrivées avaient détraqué quelque chose en lui au point de le rendre inapte à gouverner, rien que sa volonté de faire un mariage inter-racial prouvait à quel point il devait céder sa place à quelqu'un de plus compétent.

Son regard se fit rêveur alors qu'elle se rappela la petite princesse humaine. Esmelda... Elle était fougueuse et maternelle envers son peuple, elle avait des rêves pour elle et des aspirations pour sa race, elle ferait une excellente impératrice et Galadrielle était fermement convaincue de ne pas se tromper là-dessus. Il ne restait plus qu'à faire comprendre à l'intéressée cette vérité plus qu'évidente... Cependant, elle avait raison sur un point : habituée à une éducation de suiveuse en tant que justement femme et princesse, cela aurait folie que de la mettre sur le trône dans l'immédiat : une bonne éducation adéquate, voilà ce qu'il lui fallait. Et quoi de mieux qu'une éducation donnée par des professeurs elfes hors pairs pour apprendre à gérer le royaume... Il était de notoriété commune, de toute façon, que le beau peuple était le meilleur voire le plus parfait dans beaucoup de domaine : l'éducation, la sagesse et la politique en était, entre autres, des exemples plus que probants.

Faisant signe à sa suivante, Galadrielle alla au gré de ses pas dans le palais et les jardins pour régler quelques détails et discuter avec les ambassadeurs elfes siégeant ici pendant qu'elle commencerait à faire les valises. Il était plus que temps pour elle de retourner auprès des siens, de se ressourcer en son pays, parmi la Nature : les ondes magiques et bienfaisantes des arbres lui manquaient, de même que le chant matinal des hirondelles à son balcon ou encore les chants de ses enfants... Tout cela lui manquait vraiment beaucoup et, sans être méchante, elle en avait vraiment soupé de ces êtres étriqués d'esprit pour des mois et des mois à venir. Lorsque la fin du mois arriva, la blonde elfique chevaucha en tête du cortège pour retourner chez elle avant de refaire un voyage courant juillet 1753 pour récupérer la jeune princesse, peinée de voir et de sentir la tristesse de cette jeune fleur qui ne demandait qu'à éclore à condition qu'on lui laisse sa chance, fatiguée par le lourd fardeau qui se faisait pesant dans son ventre. Il n'était jamais bon d'être princesse, cette vie-là ressemblait rarement à ce que l'on chantait ou contait : c'était beaucoup plus tragique et compliqué qu'on pouvait le croire... Une légère secousse donnée aux rênes et le convoi accéléra la cadence, l'âme de l'impératrice se revigora petit à petit alors qu'elle savait que chaque pas fait la conduisait toujours plus près de chez elle.

Bientôt elle serait enfin de retour chez elle.

L'air se fit plus frais à mesure qu'ils cheminaient en direction du Royaume Elfique et Galadrielle pouvait même percevoir par moment de légères effluves rappelant les fleurs de son pays, quelques aromates parfumés qui rappelaient les cuisines impériales et les mets délicats et fins. Tout proche... Encore quelques jours et ce sera le temps du repos, bien sûr elle superviserait l'éducation de son invitée mais cela lui paraîtra beaucoup moins contraignant que si elle devait le faire dans le palais de Gloria. Un frémissement dans l'oreille de sa monture et la blonde quitta les affres du désir de son âme pour relever son regard, ses yeux se mettant à luire comme des pierres précieuses alors que la végétation et les vibrations magiques du bosquet les entouraient : enfin elle était chez elle.

- Je suis rentrée... Bienvenue dans mon pays demoiselle Esmelda, dit-elle à l'humaine avec un sourire éblouissant.

Galadrielle avait parfaitement conscience que la jeune princesse se sentait vraiment mal. Qui de normalement constitué et d'un minimum sensible se sentirait heureux d'être contraint et forcé de quitter son chez soi et tous les gens aimés. Personne... Et ce n'était pas l'impératrice qui lui jetterait la pierre, bien au contraire : elle comprenait plus que bien la souffrance que cela causait. Mais elle ne pouvait rien faire d'autre que l'aider à surmonter cette épreuve en lui offrant quelques attentions qui seraient susceptible de la faire sourire. Pauvre enfant... Si Grégorist lui avait facilité la tâche, Galadrielle n'aurait pas ressentit le besoin nécessaire et impérieux d'emmener la jeune princesse chez elle pour parfaire son éducation et planter en elle les futures graines d'une grande impératrice.

Elle y croyait dur comme fer.

Le convoi resta cependant silencieux, les elfes savourant leur retour dans leur patrie et les humaines rongées par la tristesse de s'éloigner de la leur. Le temps était pourtant au beau fixe, l'air doux et le soleil éclatant, une petite brise tiède les caressant malicieusement : la nature semblait faire la fête en ce jour d'été. Puis, peu à peu, les murmures parmi ses enfants s'élevèrent de plus en plus fort : les arbres du bois elfique venait de crever l'horizon, l'heure de rentrer chez soi venait de sonner. Le cortège s'ébranla et c'est d'un trot allègre qu'ils franchirent la barrière magique de protection, fendant les frondaisons des arbres et pénétrant de plus belle sur leur terre. Même Galadrielle se sentait euphorique et les pépiements des hirondelles tintaient délicieusement à ses oreilles. Que c'était bon de pouvoir rentrer chez soi ! Nul doute qu'Esmelda se sentirait ainsi à son retour dans son propre chez elle, plus tard. En tout cas, ses enfants frétillaient littéralement de joie sur leurs montures et c'est en souriant de plaisir et de tendresse qu'elle les regardait discuter joyeusement : l'envie de galoper vers la capital leur fourmillait le corps mais la notion du paraître les en empêchait. Du moins... Pour le moment.

Continuant de chevaucher, le regard de l'impératrice se faisait flou alors que son âme entrait en résonance avec la nature, son cœur se ressourçant comme un assoiffé alors que les milles et un bruits de son royaume tintaient en une cloche cristalline de bienvenue : ils étaient enfin chez eux. Après un dernier virage, le palais et le cœur du royaume sylvestre s'ouvrirent à eux, le cortège se mettant alors à se disperser pour retourner les familles et les êtres chers, le peuple en liesse de leur retour. Galadrielle et sa garde continuèrent de chevaucher tranquillement jusqu'au palais impérial avec la princesse et sa suite avant de s'y arrêter.

- Venez très chère, lui sourit-elle tendrement en descendant de sa monture, son regard pétillant de joie : elle semblait irradier de lumière sous l'euphorie. Je vais vous montrer les appartements que vous occuperez durant votre séjour parmi nous, expliqua-t-elle en la prenant bras dessus bras dessous, l'entraînant vers les marches qu'elles montèrent.

Là encore, Galadrielle ne dit pas un mot de plus, la laissant s'imprégner de son nouveau lieu d'habitation, aussi bref soit-il, plutôt que de l'accabler de ce qu'il allait l'attendre. Une fois les escaliers puis les couloirs franchis, Galadrielle lui expliqua qu'elles se trouvaient à l'étage impériale, où se trouvait justement les appartements de la vieille elfe ainsi que quelques suites qu'elle réservait pour des hôtes de marques et des gens qu'elle appréciait.

- Voici votre chambre, jeune princesse, et la troisième porte du couloir sur votre gauche s'ouvre dans mes appartements : dès que vous en ressentez le besoin, vous pouvez toujours frapper chez moi, lui sourit-elle avant de clencher la poignée et de la faire entrer, la laissant explorer les lieux en espérant que cela lui plairait.

Le ballet des serviteurs autour d'elles pour installer les malles dans le petit salon-boudoir donnant sur la porte d'entrée ne les gênait aucunement et l'impératrice continua de la fixer avec tendresse, croisant les bras en attendant une remarque ou une réaction avant d'ouvrir la bouche pour lui expliquer le programme de ses journées : espérons que les cours le matin, la liberté l'après-midi et les discussions-débats dans la soirée autour d'une tasse de thé lui conviendrait.

Mais chaque chose en son temps...

Galadrielle n'avait jamais été aussi heureuse que de rentrer chez elle. Plus le temps lui froissait l'âme, plus le désir de rester chez elle pour diriger son pays la tentait : ce n'était plus de son âge de crapahuter par monts et montages, place aux jeunes. Elle se sentait détendue et souriante, son peuple était heureuse de la retrouver, elle et sa suite bien entendu, et elle-même était heureuse de les retrouver, elle le leur montra bien. Fatiguée mais au comble du bonheur, l'impératrice espéra sincèrement que la princesse humaine puisse sentir son corps s'apaiser dans son nouveau lieu de villégiature : elle comprenait très bien à quel point cela pouvait être douloureux d'être arrachée à sa mère patrie pour un endroit qu'on ne connaissait pas et avec pour seule compagnie, ses suivantes et ses souvenirs. La blonde aurait aimé tout attribué à son frère irresponsable ! Mais il fallait être lucide : si la situation avait été moins comme elle est actuellement, peut-être que ce jeune empereur n'aurait pas tourné de cette manière... Mais les choses sont ce qu'elles sont, elle ne pouvait rien changer dans le passé au contraire de l'avenir et c'était ce qu'elle voyait, les possibilités qu'elle pouvait apercevoir fleurir dans le sein encore jeune et palpitant de cette petite dame humaine. Une future impératrice si on lui donnait le temps et l'éducation pour que cela se fasse, et foi d'impératrice, cela se fera !

Serrant ses bras autour d'elle, Galadrielle lui laissa le temps d'explorer ses appartements, babillant l'air de rien tout en la fixant avec attention, regardant son visage et analysant chaque expression qui froissait sa jolie peau pour réfléchir à ce qu'il se tramait dans cette jolie petite tête. Mais tout ce qui ressortait de chez elle c'était la peine et l'envie d'être seule pour se laisser aller à son chagrin... Si jeune et déjà obligée de subir la dure loi de la politique... Le monde des hommes était décidément impitoyable. Et Esmelda en profitait malheureusement... Ses réponses courtes, sa mine blanche et basse... Elle avait l'air d'être sur le point de s'effondrer dans la seconde qui suivait, pauvre petite.

- Après un voyage pareil, vous devez être complètement épuisée mon enfant, dit-elle doucement en la couvant d'un doux regard, compatissant à sa tristesse mais ne pouvant hélas rien faire d'autre que d'essayer de soulager sa douleur en distrayant ses pensées. Je vais vous laisser tranquille, vous savez où se trouve mes appartements et si jamais vous désirez quelque chose, n'hésitez pas à demander à une sentinelle ou à un serviteur : vous êtes ici comme chez vous, princesse, continua-t-elle de dire avant de s'avancer vers elle et d'embrasser maternellement son front. Reposez-vous chère petite, nous commencerons les leçons dans quelques jours, quand vous vous sentirez un peu mieux et que vous vous serez habituée à votre nouveau lieu d'habitation, rajouta-t-elle en caressant sa joue avant de faire demi-tour et de marcher vers la porte.

Après un dernier regard et léger sourire, l'impératrice ferma la porte derrière elle et rejoignit ses appartements pour retrouver son époux qu'elle n'avait pas vu depuis des lunes et des lunes. Thran lui avait beaucoup manqué et elle se demandait s'il serait réveillé quand elle s’assiérait à ses côtés dans le lit pour se fondre dans ses bras et lui raconter tout ce qu'elle avait vu depuis son départ vers la capitale humaine. Thran... Encore combien de temps avant qu'il ne s'éteigne comme on souffle la flamme d'une bougie ? Elle ne voulait pas y penser : avec cette petite princesse dans son palais et la guerre au-delà des murs protecteurs, elle ne voulait pas penser à une nouvelle chose qui pourrait la miner et affaiblir ses forces en ces temps de troubles.

Demain est un autre jour comme disent les hommes... Et elle espérait qu'au moins le lendemain, Esmelda aille mieux après une fin d'après-midi, une soirée et une nuit rien qu'avec d'autres humains et le calme, l'exploration tranquille pour qu'elle s'apaise et soit plus réceptive à ses approches. Une vraie petite lionne d'ailleurs ! Un félin qu'elle prendrait plaisir à côtoyer, Galadrielle n'en doutait pas un seul instant.