L’hiver n’était pas encore totalement passé, pas totalement fané. Une fleur bleu-blanc au goût étrange de langueur et de sommeil. Les elfes se remettaient de l’attaque Alayienne sur le domaine Baptistral et encaissait la nouvelle d’un couronnement humain bien peu à leurs goûts… Là au dehors des bois, la menace planait toujours. Pourtant au cœur de la forêt, il sembla impossible de croire à tout cela, de voir au-delà du voile qui assourdissait l’excitation d’un monde qui allait beaucoup trop vite pour ce peuple. Il savait qu’Aranël voulait se battre à l’extérieur, qu’il brûlait de brandir sa propre épée… et Enetari ? Son parrain était au cœur des évènements, irait-elle loin des bois ? Peut-être pas encore. Mais un jour… qui pouvait vraiment savoir ? Lui, pourtant, ne s’intéressait pas tant à cela… sans doute était-ce de même source que le reste de son désintérêt généralisé pour les émois de tierces personnes et son incapacité à se sentir concerné par la détresse. Peut-être, ou peut-être pas, il n’était pas certain et ne voyait vraiment pas à quoi cela l’avancerait de le savoir de toute façon puisque cela ne changerait absolument rien à cet état de fait.
Il avait ses propres projets en tête, ses propres buts… l’hiver n’était pas une saison qu’il appréciait vraiment, trop froide, trop brumeuse et engourdie. La vie allait au ralenti, là où il espérait plus de constance, plus de force et de vitalité. Peu importait que les elfes soient capables de faire revenir l’été, ils ne le faisaient pas… ils respectaient les saisons disaient-ils. Bien dommage, il aurait préféré aller dans les bois en profitant du jeu du soleil entre les feuilles et les branchages épais, comme des haubans dorés illuminant le clair bois d’une chaude aura. L’odeur de végétation, la chaleur… il préférait cela, en contradiction avec son caractère froid.

Cela ne l’empêchait pourtant pas de rechercher la solitude, comme en cette matinée. Il en avait tout simplement eut assez, et comment aurait-il pu en être autrement ? Aranël n’était pas là, Enetari emplissait l’espace et l’étouffait un peu trop et son père était occupé à maudire le conseil. Il avait besoin de liberté et de solitude, pour penser tranquillement. Son cerveau était en surchauffe, l’esprit incapable de se fixer, papillonnant et bondissant d’un sujet à l’autre sans lui laisser de répit, ne trouvant pas satisfaction ni bonheur… Il avait envie de créer, mais les idées s’entrechoquaient dans un chaos innommable et seul un peu d’exercice parviendrait certainement à le faire raisonner de nouveau correctement. Aussi avait-il décidé de braver les frimas extérieurs et de parcourir la forêt encore doucement blanchie, enroulé dans un grand manteau de tissu qui traînait par terre et sa chevelure retenue par un simple morceau de tissu pour éviter qu’elle ne vienne traîner n’importe où et se prenne dans les branches basses et les fourrés.

Combien temps exactement était-il partit ? Il ne savait plus exactement. Ayant quitté la maison au petit matin après un réveil en fanfare, la luminosité ambiante lui indiquait qu’il était peut-être aux alentours de dix heures, ou onze heures. Le soleil était encore blanc et pâle, aussi froid que la nature en vérité. Il n’avait pas envie de rentrer, ça c’était certain… il n’avait pas du tout envie de rentrer, ni en cet instant ni même dans la soirée. Sans doute passerait-il la nuit à la belle étoile. Ce n’était pas si important que cela… Aranël rendrait la vie impossible aux autres, cela leur ferait les pieds. En attendant, il avait presque atteint la lisière des bois… Normalement il ne devait pas sortir seul et certainement pas aller jusque-là surtout avec des Alayiens grouillant partout dans l’Empire humain et tuant tout elfe ou vampire qui passait à leur portée. Oui, il savait très bien qu’il n’était pas censé être là et son père en ferait certainement un ulcère si il l’apprenait. De même que son frère si protecteur. Oui, ils en seraient clairement malades, mais il ne pensait pas réellement craindre quoi que ce soit et si c’était pourtant le cas, il n’aurait qu’à se fondre dans les bois et attendre une patrouille. Ce n’était pas plus compliqué que cela.

Et en attendant, il pourrait probablement aller marcher le long de la Wylorel… l’eau était claire, proche de la source, et très pure et il en aimait le bruit. Aussi bifurqua-t-il vers son nouvel objectif, à longues enjambée souples mais lentes, prenant le temps de profiter. Il se perdit à nouveau dans ses pensées en notant que sa migraine avait diminuée et parvint à faire un peu de tri, soupirant de soulagement… voilà qui était mieux, un peu plus et il se serait vraiment cru condamné. Peut-être que, au bord de l’eau et bien installé, il parviendrait à faire quelque chose de lui-même sans craindre l’inefficacité. En entendant le bruit de l’eau, il imagina immédiatement un bateau… ou… non mieux ! Une roue à eau ! Un peu comme les moulins mais en mieux ! Il s’imaginait déjà la constitution des mécanismes quand il eut enfin le fleuve en vue, et même un peu plus que le fleuve à vrai dire. Qui était-ce, celle-là ? Qu’est-ce qu’elle faisait dans son fleuve ? Qu’est-ce qu’une humaine seule et solitaire faisait, à l’orée de la forêt et en train de barboter dans l’eau ? Haussant un sourcil et sans bruit, il s’installa sur une pierre de la berge et braqua un regard fixe sur elle sans rien dire et sans s’annoncer… Mais que faisait-elle là ? Pas la moindre idée évidement, et il n’avait même jamais vu un humain avant cela….

La vie sur Armanda était devenue à elle seule une leçon indispensable de survie pour quiconque y avait juste été entrainé. On lui avait appris à chasser, à faire du feu et à passer des hivers rigoureux seule ou avec un petit groupe et surtout avec peu de moyens et s'il y avait quelque chose qu'elle avait apprit de son père et de l'armée Alayienne qu'elle n'aurait pas à oublier de si tôt, c'était bien ça ! Car sa situation n'avait toujours rien de bien enviable...

Les humains s'étaient alliés avec les Alayiens sans autre forme de procès, et malgré tout ces derniers étaient toujours hostiles aux porteurs de la marque du néant qui se faisaient un peu trop envahissant, mais le plus grand danger n'était pas dans les regards, ou les gestes de rejets des populations qui se contentaient de menacer ou de vociférer des insultes parfois blessantes. La véritable menace était clairement les autres Alayiens qui traquaient sans relâche ceux qui avaient abandonné leurs rangs, les condamnant à mort sans autre forme de procès, même si ces derniers étaient toujours fidèles au néant ! Pour les déserteurs les plus anciennement gradés, il y avait même eut des primes promises à leur capture mort ou vif. Ces possibilités de récompense avait même motivé certains humains à dénoncer les supposés déserteurs aux autorités alayiennes dès qu'ils en avaient l'occasion...
Les derniers endroits ou elle pouvait être dans une sécurité toute relative étaient les frontières entre l'empire humain et elfique, une sorte de no man's land ou aucun des deux peuples ne voulait prendre le risque de provoquer l'autre en y allant en trop grand nombre, offrant ainsi à tout types de fuyards de trouver un refuge temporaire le temps de se préparer à affronter d'autres ennuis, les affronter ensemble et même parfois s'entraider.

Cela faisait plusieurs jours qu'elle avait quitté sa dernière caravane qu'elle avait aidé à escorter en échange d'un peu d'argent et de vivres pour passer quelques jours à l'abri du besoin et ainsi de nouveau affronter la campagne seule à la recherche de son frère qui au final avait certainement quitté la région comme elle aurait dû le faire depuis bien longtemps... La Wylorel devait être sa dernière étape qu'elle allait longer pour rejoindre les prochains villages humains, mais avant de rejoindre la civilisation il valait mieux ne pas avoir l'air d'une vagabonde trop crade pour éviter d'attirer de trop près le regard des gardes locaux, et c'est ainsi que malgré le froid la déserteuse n'avait pas eut d'autres choix que de trouver une zone de haut fonds sans trop de courant pour se débarrasser de la crasse qui avait élu domicile sur son corps et ses vêtements depuis trop longtemps au point que sa propre odeur avait finie par l'incommoder.

Le froid rougissait sa peau et avait déclenché l'apparition d'une chair de poule incontrôlée, mais après avoir vécu tant de temps dehors à même les intempéries, le temps rend le froid beaucoup moins mordant. Certainement pas au point de s'épargner les maladies chroniques de la saison mais au moins assez pour pouvoir se laver convenablement ! Un rocher non loin avait servit à dissimuler ses affaires pour leur permettre de sécher, même si le cuir séchait très rapidement vu qu'il n'absorbait pas l'eau. Seul restait le tissus qui serait long à faire sécher et qui nécessiterait le risque d'un feu de camps. L'épée courte fut la seule chose qu'elle emporta avec elle dans l'eau ainsi qu'un sous-vêtement pour couvrir le bas et se laver soigneusement en toute discrétion à l’abri des regards indiscrets à l'aide d'un petit savon de mauvaise qualité qui aurait au moins l'utilité de la décrasser.

Un regard s'était posé sur elle alors qu'elle terminait. Fixant son dos avec insistance au point qu'il en devienne pesant plus que de raison, emmenant la jeune femme à dissimuler sa main droite portant encore la marque du néant dans l'eau et de se saisir du glaive dissimulé entre deux rochers à côté d'elle et son bras gauche venant trouver sa poitrine immergée afin de la dissimuler tant bien que mal de la vue de... D'un jeune homme ?! Non... D'un jeune elfe ! Ce n'était pas la première fois qu'elle en voyait un, mais la plupart du temps ils avaient plus cherché à la tuer qu'à autre chose et au moins ce dernier ne semblait pas armé... A moins qu'il ne soit pas seul. Dans tous les cas ce dernier ne semblait pas vraiment d'humeur de la laisser seule ni même de la lâcher du regard. Depuis combien de temps l'observait-il ainsi ?

"J'espère qu'il va me comprendre." dit-elle pour elle même avant d'enchainer immédiatement sur ce qu'elle avait pouvait bien avoir à dire. "Bonjour ! Tu pourrai te retourner le temps que je me rhabille s'il te plait ?"

Elle avait établit le contact d'une voix forte et claire, chaque mot prononcé intelligiblement, comme si elle s'adressait à un enfant qui ne la comprendrait même pas, accompagnant les mots d'un mouvement circulaire réalisé à l'aide de sa main gauche - qui quitta temporairement sa poitrine immergée - pour lui faire comprendre ce qu'elle attendait de lui peut importe les circonstances. Après si ces êtres étaient comme les humains du même age... Et bien ce dernier ne se retournerait pas et en profiterait pour allègrement se rincer l’œil face au corps dénudé de l'Alayienne qui devrait faire avec si elle ne voulait pas finir par geler sur place maintenant qu'elle ne se frottait plus vigoureusement le corps.

C’était la première fois qu’il voyait un être humain. Certes, des humains étaient parfois invités dans le royaume elfique, comme les chanteurs, ou des militaires, des membres de la famille royale. La princesse Esmelda Kohan par exemple, avait séjourné avec Galadrielle, et le dragonnier humain également… Amy… Amyal…oui bon, un nom à coucher dehors qu’il ne retenait jamais. Pourquoi les humains se donnaient toujours des noms ridicules qu’on ne pouvait pas prononcer, hein ? C’était ridicule cette manie. Quoi qu’il en soit, il n’avait jamais vu ces humains-là de près, tout simplement parce que ça ne l’intéressait pas beaucoup. Enfin surtout en ce qui concernait cette fameuse princesse ou les bardes qui perdaient leur temps à pincer des cordes. Voir le dragon doré en revanche lui aurait plût, mais il n’en avait pas eu l’occasion après qu’il eut éclot. Il ne s’était jamais beaucoup intéressé aux humains en eux-mêmes, créatures étranges et que l’on disait barbares de mœurs. C’était leur facilité d’apprentissage qui l’intéressait, leur technologie, la façon qu’il avait de compenser leurs centaines de défauts. Ça oui, ça ça l’intéressait. Mais jamais son père n’avait accepté qu’il quitte le royaume. Trop jeune disait-il, et puis il y avait Aranël à gérer. L’occasion d’en apprendre un peu plus était donc toute trouvée avec cette chose rose qui pataugeait dans le fleuve… Mais il était vrai qu’en l’instant, ce n’était pas gagné et il était déçu.

Dracos précieux. Mais c’était donc vrai qu’il ne savait pas résoudre une situation sans l’usage d’une arme ? Quel était donc l’apprentissage qui amenait une créature à saisir son arme à tout bout de champ pour en menacer le premier venu. Avait-il l’air si menaçant ? Un instant, une mesquine pensée lui vint. Elle aurait sans doute été bien plus surprise si Aranël avait décidé de lui sauter dessus pour lui prendre son arme. D’ailleurs… peut-être devrait-il effectivement lui prendre son arme ! Son frère adorerait avoir une arme ! Il y en avait une facile à prendre, là devant lui. C’était l’occasion ou jamais non ? Surtout qu’elle n’avait clairement pas l’air futée…Le murmure lui parvint distinctement aux oreilles, et il fronça les sourcils sans la lâcher des yeux. Si il utilisait un sortilège ou deux… il pourrait peut-être chiper l’objet et prendre la poudre d’escampette. Bon ça l’empêcherait de jouir de l’eau et de pensées calmes mais ça serait très drôle. Quelle tête ferait son père si il le voyait rentrer avec un glaive comme celui-là ? Il en serait sans doute très surpris. Le souci, c’était qu’il ne se sentait pas forcément capable de parvenir à lancer un sortilège sans faire d’erreur. C’était Enetari la prodige pas lui, de ce côté-là. Sans détourner le regard un seul instant, prunelles grises braquées sur le visage de la femme humaine, il laissa le silence s’installer.

Elle le prenait pour un imbécile ou c’était elle qui était complètement stupide ? Croisant les bras, il changea l’assise de ses jambes sur le rocher, pour soulager ses muscles. « Vous êtes mentalement déficiente pour parler avec un tel débit ? » grinça-t-il avec franchise et sans arrondir les angles. Il s’exprimait dans un commun parfait. Les langues n’avaient jamais été un problème pour lui, qu’il s’agisse de l’elfique, de la langue des hommes ou du langage vibratoire même si il ne lui servait à rien. « Sachez que je parle parfaitement bien votre langue, humaine…. Peut-être même davantage que vous en fait, votre accent est étrange, je ne l’avais jamais entendu auparavant » Un instant, il fut tenté de lui décocher une pique mauvaise pour le simple plaisir de le faire, mais se ravisa. Ce n’était pas drôle. Il se redressa finalement et se détourna d’elle. « Je ne vois pas vraiment ce que vous voulez me cacher, mais faites donc.... » Il resta debout cette fois-ci, et attendit qu’elle sorte de l’eau, écoutant attentivement le bruit de l’onde, les pataugement disgracieux de l’humaine et le frottement des vêtements qu’on enfilaient, le cliquetis des harnachement, des armes. L’arme suffisait à le savoir, mais c’était très certainement une guerrière quelconque. Il valait mieux d’ailleurs, pour se promener tout seul dans un lieu pareil en pleine guerre

« Qu’est-ce que vous faites là, exactement ? Rassurez moi… vous êtes au courant qu’une guerre a lieu, hein ? Les rôdeurs arrêtent tous les humains qui s’approchent de la forêt.Si ils vous prennent pour une Alayienne vous serez tuée… »

Il y avait au moins un point rassurant dans toute cette histoire : il était possible de communiquer avec ces êtres de magie dont les préceptes du Néant préconisait un traitement radical par une mort douloureuse pour les sauver de cette dernière. Enfin, c'était tout du moins les messages que faisaient passer ceux qui prêchaient la parole de Néant... Certainement avaient-ils déjà eut à faire avec le même genre d'elfe désagréable qui en guise de salutation vous insultait presque après avoir quelque peu violé votre intimité sans même s'annoncer. Oui, il y avait de quoi se vexer et avoir envie d'étriper l'individu si on manquait un tant soi peu de patience.

Maude ne préféra donc rien répondre, gardant ses sombres pensées pour elle-même vu que ce n'était pas vraiment le moment de se faire des ennemis supplémentaires. Surtout que malgré les mots irrespectueux l'elfe s'était retourné pour la laisser sortir de l'eau et pouvoir se rhabiller sans ce regard insistant et dérangeant, peut-être avait-il été simplement élevé par les bêtes et ne savait-il pas se comporter dans une société civilisée ? Après tout ces elfes ne lui avaient été présentés que comme des bêtes sauvages qui ne mangeaient que de l'herbe et des feuilles.

Une fois revêtue et après avoir pris soin de dissimuler sa marque sous son brassard, elle garda tout de même ses distances pour parer à toute éventualité comme la nécessité de fuir ou même de devoir se défendre si la fuite n'était pas une option viable. Il ne semblait être qu'un enfant, mais avec ce genre de créatures il fallait toujours se méfier un tout petit peu. Après tout elle ne connaissait pas grand chose des elfes et certainement que la majorité de son "savoir" était complètement erroné et déformé par rapport à la réalité. Finalement ce fut ce dernier qui reprit le contact en premier, la prenant visiblement pour un lapin de 3 semaines qui découvre le monde, ce qui en un sens avait une part de vérité...

"Et des soldats Alayiens continuent de rôder dans le secteur ce qui rend cet endroit autant dangereux pour toi que pour moi." compléta-t-elle simplement. "Et ce ne sera pas avec des mots que tu empêchera les soldats Alayiens fanatiques de te dépecer vivant pour te libérer de ta magie." conclut-elle dans un soupir pouvant trahir le fait qu'elle en avait certainement assez que tout le monde veuille étriper tout le monde.

Elle avait prononcé ces derniers mots normalement, laissant tomber les prononciations exagérées des mots pour se faire comprendre étant donné que c'était inutile. Elle avait cependant gardé le tutoiement comme cela se produisait généralement quand une personne s'adressait à plus jeune qu'elle, en particulier quand il s'agissait d'un enfant ou d'un adolescent.

"Rassure-toi, je ne te veux aucun mal, mes armes me servent simplement à me défendre."

Le ton se voulait plus rassurant cette fois, car après tout, cette mise en garde pouvait passer pour une menace silencieuse alors que ce n'était absolument pas le cas. Et puis c'était vraiment le moment de découvrir un peu les elfes par le biais de leurs jeunes représentants. Certains érudits disaient que les enfants traduisaient le plus souvent le comportement des parents et leur culture via l'éducation que ces derniers avaient reçu. Chez les Alayiens ceci se traduisait par une horde de fanatiques dévoué corps et âme au Néant ne pensant qu'à tuer en son nom et la violence envers ceux qui passaient au travers de cette éducation faisait office de sélection naturelle pour ne garder que les plus dangereux tandis que chez les humains Armandéens, rencontré pendant la croisade, la diversité primait.

C'était à son tour de regarder l'autre avec insistance avec un regard lourd comme si elle essayait de lire à travers ce jeune elfe et de comprendre comment il fonctionnait

A nouveau, il se fendit d’un lourd soupire, vidant ses poumons de tout l’air qu’ils contenaient, jusqu’à devoir forcer pour se faire. Alors seulement, il inspira à nouveau et se tourna à demi, l’éclat de son œil mercurien attrapant la lumière dans le mouvement. Peu convaincu.
« Certes. Mais il serait stupide de vouloir discuter avec des chiens enragés. Si j’ai à faire à ces Alayiens, je ne leur adresserais pas un mot » Oh non, il ficherait le camp aussi vite que possible après avoir rendu le sol aussi glissant qu’impraticable histoire que personne ne le suive et retournerait dans la forêt pour prévenir les rôdeurs. Il se tourna complètement pour lui faire face et l’observa une nouvelle fois, sourcils froncés. Elle ne lui voulait aucun mal, hein ? Encore heureux. Il n’aurait pas toléré qu’on lui veuille du mal et se serait certainement arrangé pour la rendre folle, en rétribution. Mais au moins avait-elle le bon côté de chercher l’apaisement, à défaut de ne pas mettre en lumière ce qui était évident.

« Et bien merci. Quoi que, si vous m’aviez voulu du mal, je pense que vous auriez profité que j’avais le dos tourner pour me trancher la gorge » Le ton qu’il employait restait professionnel et proprement plat, ne semblant pas s’émouvoir un seul instant à la pensée de sa propre mort. Sans hâte et sans faire grand cas du regard insistant posé sur lui, il s’approcha et se mit à lui tourner autours, la détaillant sous toutes les coutures, la traitant comme un sujet d’étude comme un autre bien que vivant. Il se rapprocha, resserrant les yeux et d’un doigt vint lui presser une côte, puis la joue et suivit le réseau des muscles sur la gorge avant d’examiner une mèche de cheveux. Son expression se fit de plus en plus contrariée et pensive. Elle était bizarre, cette humaine…. De ses cheveux, il passa à ses armes et à ses habits, puis recula légèrement.

« Votre structure corporelle est étrange. Je n’en ai jamais vu de semblable avant cela. Les livres ne rendent pas bien justice, je dois l’avouer, et les descriptions non plus » Avec une expression concernée, à mi-chemin entre la contrariété et la contemplation intéressée, les yeux rivés sur elle comme il l’aurait fait d’un livre particulièrement intéressant et captivant. Concentré comme il avait l’habitude de l’être, le reste du monde perdit progressivement de sa substance. Un long instant, il resta sourd et aveugle, puis cligna des yeux et se redressa, n’ayant pas eu conscience de s’être penché. Comme à chaque fois qu’il accordait trop d’attention à une chose, il en oubliait presque de respirer et devait ensuite revenir à la réalité pour s’éviter une apnée problématique. Avec un peu plus de précaution, il examina la femme humaine, comparant ce qu’il savait de ce peuple avec ce qu’il avait sous les yeux en se questionnant.

« Qu’est-ce que vous faites ici exactement ? Près de la forêt ? Vous cherchez quelque chose, ou avez-vous simplement décidé de voir du pays ? » La question, offerte sur un ton légèrement intrusif, s’accompagna cependant d’un nouveau clignement d’œil posé. Il croisa les bras sur sa poitrine. Il allait effectivement dormir dehors, à ce rythme mais au moins avait-il trouvé quelque chose pour occuper son cerveau en manque d’innovation.

Etait-ce une sorte de duel ou bien un jeu typique des elfes, savoir celui qui observait le plus l'autre sans détourner le regard ? L'Alayienne était bien en droit de se le demander à ce rythme et à l'insistance que l'elfe mettait à la regarder comme si elle était un objet de convoitise pour un collectionneur qui découvrait un nouvel objet dont il n'avait vu des descriptions que sur des illustrations ou même seulement par le bouche à oreille. Avait-il déjà rencontré des humains avant ? A le voir et à l'entendre parler des Alayiens elle en doutait fortement car il avait du entrapercevoir son tatouage mais n'avait rien dit ou plutôt n'en avait pas percuté la signification et cette créature était certainement plus dangereuse pour elle même que pour les autres à cause de son ignorance. Pour lui la mort ne semblait pas avoir d'importance, ou plutôt elle imaginait sans peine qu'il ne la pensait pas si rapide à pouvoir arriver, comme s'il avait le temps et qu'il ignorait certaines réalités de la vie.

"Tout comme ils trouveraient plus utile de te ficher un carreau d'arbalète entre les deux homoplates avant de poser la moindre question." lui répondit-elle. Il était visiblement ignorant de ce genre de réalité.

Mais pas seulement, elle avait également une envie folle de lui en ramasser une au milieu du visage pour la manière dont il s'adressait à elle car au final son comportement et sa manière de s'adresser à elle avait quelque chose d'irrespectueux et de dérangeant. Les parents elfiques ne devaient pas être réputés pour les corrections qu'ils distribuent à leurs enfants s'ils étaient tous ainsi. Enfin, ce n'était pas avec un seul cas qu'elle devait en faire une généralité car elle espérait un peu la même chose de la part des Armandéens pour ses origines et éviter qu'ils ne décident de la tuer, donc autant être ouverte, patiente et tolérante un peu plus que de raison non ? Elle l'avait été avec des fous-furieux, alors avec des mal éduqués...

Il se mit à lui tourner autour, la touchant du bout des doigts comme pour essayer de comprendre par le touché de ce qu'il pouvait voir comme pour définitivement l’imprégner dans sa mémoire. Ce fut d'abord un doigt au niveau de ses côtes, puis de sa joue pour redescendre le long de son corps. Elle profita des premiers gestes pour en faire de même avec une certaine curiosité en passant le bout de ses doigts sur les oreilles effilées de l'elfe qui l'appelaient depuis le début de l'entrevue. Quand elle les toucha il n'eut aucun mouvement de recul. Ainsi ce n'était ni douloureux ni trop sensible ? Mais elle fut tirée de ses pensées par le doigt mal placé du jeune elfe au niveau de sa poitrine, qu'elle chassa non sans ménagement. Elle fut forcée de réitérer l'opération lorsque les mains promeneuses de ce dernier s'aventurèrent un peu trop près de ses armes. Il pu en profiter pour voir qu'une partie de ses couches de vêtements étaient encore légèrement humide et que par conséquent elle devait avoir particulièrement froid.

Les livres ne rendaient pas justice ? Ainsi les elfes apprenaient à leurs enfants à lire et à écrire ? Elle avait toujours regardé ceux qui savaient le faire avec une certaine curiosité, les voir dessiner des symboles qui ne prenaient pas vraiment de sens particuliers sous ses yeux pour former des mots parfois incompréhensibles l'avait passionnée étant enfant. Bon, elle en connaissait quelques uns qui étaient les plus pratiques de la vie courantes et pouvait les imiter, mais de là a écrire quelque chose proprement, cela relevait plus du défi qu'autre chose ! On ne demandait pas à un soldat d'écrire des livres, mais de savoir tenir une épée et par quel bout l'utiliser.

Cette créature était donc curieuse et contre toute attente bien qu'un peu trop sauvage, il y avait un semblant de culture en dehors des bêtes sauvages qu'on avait pu lui décrire. Enfin, peut-être un peu trop, l'analysant comme elle pourrait le faire avec un pot de fleur de plantes inconnues. Elle ne sut d'ailleurs pas trop comment réagir quand le jeune elfe fit ses commentaires sur les descriptions en rapports avec les livres... Que ce soit flatteur ou non, ce n'était pas vraiment des plus diplomatique.

"J'évite d'emprunter les routes ou je pourrai croiser des soldats Alayiens." répondit-elle à la question indiscrète, mais ceci il devait certainement s'en douter vu qu'elle le lui avait déjà fait comprendre quelques instants plus tôt. "On dirait que c'est la première fois que tu croises un être humain. Rassure-moi, tu sais comment reconnaitre un Alayien quand tu en vois un ?"

Car c'était bien beau de dire qu'il allait fuir, mais encore fallait-il qu'il sache quoi fuir ! Parce que les armes de verre noir c'était bien beau mais quand elles sont au fourreau et que les tenues officielles sont couvertes de fourrures pour tenir chaud il était plutôt difficile de reconnaitre. Heureusement pour lui, les fanatiques aimaient bien prouver leur adoration en laissant souvent leur bras découvert pour exposer avec fierté leur marque. Surtout pour les troupes légères des patrouilles ou de chasseurs de déserteurs qui font de la vitesse leur principale arme. Elle se doutait d'ailleurs de la réponse à sa question.

"Ca ne te dérange pas que l'on fasse un feu ?"

Doucement elle s'éloigna de l'elfe pour grimper doucement sur un des rochers à côté d'elle, de là ou elle était, on pouvait deviner la présence d'un sac à dos mais également d'un petit rassemblement de branches sèches qui étaient visiblement prévues pour un petit feu de camps afin de se réchauffer et de finir de sécher ses affaires afin d'aider ce soleil toujours trop timide de la saison froide. Bien entendu elle ne parlait pas d'un brasier, mais juste un petit foyer qui permettait à une personne normalement constituée d'au moins se réchauffer un peu les extrémités et de faire chauffer un peu de nourriture ce qui limitait les possibilités de se faire repérer si l'on utilisait pas trop de matériaux frais ou humides sous condition que l'on bouge dans l'heure le temps que de potentiels hostiles s'organisent pour s'approcher aussi près des terres elfiques.

"On sera mieux installés, et je te parlerai de mon peuple. En échange je veux que tu me parles du tiens."

Au moins ça avait le mérite d'être clair, un échange au donnant donnant dans un cadre beaucoup plus agréable, au moins pour elle que de rester debout à se regarder comme deux chiens en faïence et à subir les assauts du froid.

S'il acceptait, en préparant le feu, elle retirerait son brassard pour tester la réaction de l'elfe face au tatouage de plus en plus discret qui ornait sa main et dont les prières irrégulières ne faisaient que ralentir sa disparition inexorable vers le néant. Dans tous les cas ceci laisserait le temps à l'elfe de commencer à parler de lui pendant qu'elle s'occuperait de faire démarrer le foyer.

Il était confiant en sa propre rapidité. N’était-il pas un elfe après tout ? Par nature, il était donc bien plus rapide que n’importe quel humain. En cela, il était donc parfaitement confiant et assuré de ce dont il était capable. A tort certainement, mais allez donc le faire comprendre à un jeune homme comme lui. Il lui semblait que cette humaine ne faisait que pointer du doigt des évidences qu’un enfant pourrait saisir… c’était vraiment frappant, cette façon d’aborder les choses. Cela dit, ça l’intéressait beaucoup moins que le reste pour le moment, car pour une fois qu’il avait la possibilité d’observer une humaine de près, il n’allait certainement pas s’en priver. Et si pour pouvoir l’étudier, il devait être patient et supporter sa façon de parler, et bien il le ferait ce n’était qu’un petit prix à payer. Après tout, il supportait bien Enetari et Aranël à longueur de journée… quoi que son cher frère soit un cas complètement à part qu’il était impossible de qualifier. Il aimait Aranël et lui passait absolument tout, car mine de rien, il comprenait parfaitement son frère. Et puis il le soutenait et le protégeait aussi à sa façon. L’utilisait également, cela dit. Mais c’était une autre histoire. Il en avait le droit après tout. C’était son frère à lui. Et il n’était pas loin de considérer que cette humaine-là était à lui également… après tout, il l’avait trouvé non ? Donc selon toutes lois, elle était à lui et puis voilà. Concentré donc et peu farouche, il se laissa touché sans réellement le sentir ou s’en offusqué, bien trop plongé dans son étude pour cela… tant qu’elle ne tirait pas les armes contre lui, il n’en avait pas grand-chose à faire, réellement. Et puis si elle voulait le regarder qu’elle le fasse, il n’avait pas honte et ne se sentait absolument pas mal à l’aise, d’aucune façon. En général, les elfes n’étaient pas des êtres particulièrement tactiles, c’était la pure vérité, mais pour le coup, il correspondait parfaitement au qualificatif qu’on tendait à lui octroyer : hors-normes. Mais même ces considérations-là étaient très éloignées de lui, sur le moment… Il n’avait jamais vraiment fait attention à ce que les autres pensaient et disaient de lui. Quand il se prononça finalement et lui laissa tacitement la parole, la question le fit cligner des yeux. « Et bien, les Alayiens ont des armures noires, en verre, des armes de même sortes. C’est tout ce que je sais. Ah et que ce sont des humains comme les autres en dehors de leur fanatisme » Pourquoi le lui demander ? Elle voulait lui en montrer un, là tout de suite ? Apparemment pas.

Un feu donc. Il secoua négativement la tête. Non ça ne le dérangeait absolument pas. Pourquoi est-ce que ça l’aurait dérangé d’ailleurs ? Si elle avait froid mieux valait qu’elle s’allume un feu plutôt que de mourir gelée, ça coulait sous le sens. Il n’allait certainement pas se vexer de cela… comme si il le pouvait, quand son frère avait déjà manqué de provoquer un incendie sans le faire exprès ! La laissant reculer et s’installer, il regarda les alentours un bref instant et surtout le bord de l’eau qui avait été son but à l’origine. Tant pis, il pourrait toujours revenir plus tard, le fleuve n’allait pas s’en aller en courant, mais l’humaine, elle, n’avait rien d’éternel. Il sauta lestement à son côté, comme un chevreuil, et s’installa à croupetons devant le tas de branchages. « Si vous le désirez, je peux l’allumer pour vous » Il lui laissa l’occasion d’accepter ou de refuser, ne proposant que par ennui et par curiosité de la réaction qu’elle aurait à voir de la magie. Oh les humains avaient de la magie mais certains étaient peu portés à l’utiliser surtout les mercenaires et soldats errants comme elle semblait l’être. Dans un cas, il ferait apparaitre des flammes sur le bout de ses doigts et en caressant les branches. Dans le cas contraire… il se conterait de regarder sans passion ce qu’elle faisait. Les elfes n’avaient pas vraiment besoin de feu même si on lui avait conté que sur le domaine Baptistrale se trouvait un immense puits de feu qui jamais ne cessait de brûler, éternelle source d’une magie extrêmement puissante et dangereuse. Lorsqu’elle retira son brassard, laissant apparaître un tatouage étrange, Nomin pencha la tête sur le côté, intrigué et changea de place en un mouvement rapide et souple, venant se poser à côté d’elle et lui attrapant la main pour la tirer vers lui et l’observer à loisir. Ça ne ressemblait pas à ce que certains elfes pouvaient dessiner sur leur peau grâce à des pigments spéciaux. Non ce n’était pas du tout la même chose même. « Hm » lâcha-t-il en passant les pouces sur la marque sans que celle-ci ne bouge d’un pouce, comme si il ne s’agissait pas de pigments, ou alors des pigments incrustés dans la peau comme une marque au fer rouge.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? Comment vous vous êtes fait ça ? » Un peu plus enthousiaste, il fronçait à nouveau les sourcils et resserrait les yeux. « Vous êtes maudite ? » Il quitta sa main du regard pour l’observer avec intensité, les yeux luisant. Parfois, les gens qui portaient ce genre de marques étaient des maudits. La conseillère Mewen par exemple, on disait qu’elle portait une marque qui ne disparaissait pas, un peu comme celle-ci… « D’où est-ce que ça vient ? Si vous êtes maudite vous devriez m’accompagner jusqu’au royaume elfique, nos mages pourraient sans nul doute vous venir en aide » Ce n’était pas son genre de proposer de l’aide comme ça… mais c’était son humaine à lui alors il n’avait pas envie qu’elle meure tout de suite. Autant faire en sorte que cela n’arrive pas. « Je pourrais vous montrer si vous voulez »

Décidément cet elfe était bien trop sûr de lui. La fougue de la jeunesse, après tout comment le reprocher ? Elle avait eut le même passage lors de son adolescence et s'était permise de remettre en cause les préceptes du néant avec l'assurance de la jeunesse et la volonté de bien faire en se posant les bonnes questions. Mais elle avait vite déchanté alors que le fouet venait mordre sa chair sans s'arrêter, et c'était certainement ce qui arriverait un jour à ce jeune elfe et il était certain qu'il ne comprendrait pas avant de recevoir sa leçon de manière brutal et douloureuse comme en témoigna la description des Alayiens par ce dernier. Oui, on lui avait certainement raconté ce que n'importe qui pouvait voir, ou avoir entendu, et il n'était pas bien difficile de se tromper en décrivant un uniforme classique d'un soldat Alayien mais il était à craindre qu'à l'avenir ils ne soient pas tous vêtus ainsi.

Elle commença à préparer de quoi faire du feu et le faire démarrer à l'aide d'un briquet à amadou, lorsque l'elfe se proposa de l'allumer. Ainsi malgré le fait qu'ils vivent en forêt et en communion avec les bois, les elfes n'avaient pas peur du feu ? Pourtant ce dernier était l'ennemi naturel de leur lieu de vie donc ils devaient en avoir une certaine crainte ! Un peu comme la crainte qu'avait Maude de la magie Armandéenne à défaut de la connaitre réellement. En réponse elle rangea son briquet pour s'éloigner quelque peu du futur foyer et laisser sa place en l'invitant à le faire d'un geste de la main.

La marque du Néant ne passa pas inaperçue pour l'enfant elfe qui se saisit sans aucune gêne de sa main pour observer la marque avec une curiosité toute enfantine, comme si c'était la première fois qu'il voyait une marque permanente. Lorsqu'il essaya de l'effacer à l'aide de ses pouces elle ne put se permettre d'esquisser un sourire presque attendrit. Malgré son sale caractère qui lui aurait fait mériter une bonne correction, il avait cette part d'innocence qui faisait qu'il pouvait y échapper, et qui lui avait certainement sauvé la mise plusieurs fois face à la fureur de ses géniteurs. L'idée de la malédiction était bien originale, car oui pour le moment cette marque n'était qu'une malédiction, lui attirant la fureur des locaux et des ennuis autant qu'elle le pouvait à cause de la guerre causée par son peuple. Spontanément il se proposa de l'aider, pour une raison qui lui était propre et certainement très proche de la curiosité ce qui tranchait avec ses réactions hautaines des instants précédents.

"Tu disais pourtant savoir reconnaitre des Alayiens quand tu en voyais." lui répondit-elle calmement. "Cette marque n'est pas une malédiction, elle apparait sur la main de ceux qui croient en Néant. Plus elle est grosse et plus ils y croient et tu peux estimer que ce sont des fanatiques dès qu'elle va plus loin que l'avant-bras."

Elle ne fit aucun mouvement supplémentaire, ni brusque, ni doux de manière à ne pas l'effrayer plus que de raison. Déjà qu'il risquait de prendre la fuite à toute jambe après cette découverte et d'aller la dénoncer à ses autorités pour qu'ils la capturent ou la tuent, autant ne pas aggraver son cas et risquer le pire.

"La mienne est l'une des plus petites que l'on puisse avoir, je suis loin d'être comme certains de ces psychopathes assoiffés de sang. Je préfère comprendre ce qui m'entoure plutôt que de détruire ce qui est hors de ma compréhension. Et si je n'avais pas déserté, ils auraient certainement finit par me tuer pour hérésie. Ce qui arrivera s'ils m'attrapent"

En quelques mots simples elle venait de lui résumer la situation. Elle avait parlé de manière à ne lui inspirer aucune peur, dans la même lignée que le début de leur conversation. Il la prenait certainement pour une imbécile, mais ce n'était pas grave, tant que ce n'était pas la peur. Qu'il soit hautain ne l'empêcherait pas de permettre à l'ignorante qu'elle était sur les elfes d'en apprendre un peu plus sur eux et de le voir de ses propres yeux c'était le sacrifice à faire sur son égo pour pouvoir le faire.

Surpris, il cligna des yeux et pencha la tête, une lueur encore plus curieuse s’allumant dans ses prunelles. Une marque qui apparaissait sur la main de ceux croyant au Néant ? Donc, elle croyait au Néant ? Bizarre ça, elle ne portait pas leurs armures noires. Et puis elle n’avait pas non plus l’air d’une fanatique comme il entendait parfois de loin ce qu’on en disait… non elle ne pouvait pas être une Alayienne, ou alors une Armandéenne convertie récemment qui n’y croyait pas beaucoup. Pas de ce qu’elle disait… mais si elle ne croyait pas beaucoup, pourquoi est-ce qu’elle avait quand même voulu cette marque ? Et puis c’était quoi, cette marque ? Un signe de la croyance au Néant, et après ? Ça ne pouvait pas être des pigments alors c’était forcément de la magie. L’idée lui tira un fin sourire ironique et amusé… Le Néant utilisait aussi de la magie alors ! Tu parles d’une dictature anti-magique. Il mentait certainement à ses fidèles ! Enfin, dans le cas présent ça n’avait pas l’air particulièrement important. « Donc, vous êtes une fugitive » Il était invalide de comparer les Alayiens à des psychopathes. Au départ, les psychopathes étaient des malades mentaux, atteint par des troubles involontaires, parfois même héréditaires, transmis par le sang. Les Alayiens, eux, massacraient et se battaient volontairement. Il resserra sensiblement ses mains sur celle de l’humaine et se remit à étudier la marque qu’elle portait. Posant un doigt sur l’un de ses bords, il en dessina attentivement les contours puis essaya à nouveau de l’effacer un peu avant de la relâcher. Il tourna la tête vers la forêt en fronçant les sourcils, se demandant si des éclaireurs les espionnaient. L’idée ne lui plaisait pas. Il préférait que personne ne vienne les déranger avant qu’il ne l’emmène avec lui. Parce qu’il avait encore plus envie de la garder avec lui, effectivement. « Vous vous êtes enfuie… » Répéta-t-il pensivement, observant toujours la forêt, le regard semblant un instant se vider avant qu’il ne fasse un effort de concentration.

« C’est parce que vous êtes partie que vous n’avez plus d’armure et d’arme de verre noir ? Pourquoi est-ce que vous avez déserté ? » Oui, pourquoi ? Parce qu’elle n’avait pas envie d’être tuée pour hérésie ? Non, elle présentait ça comme une conséquence de son départ, non comme sa raison, il y avait donc autre chose. Mais quoi, ça il n’en savait rien. On ne désertait pas pour rien tout de même, c’était quelque chose de grave. Chez les elfes aussi, c’était grave. On aimait pas les déserteurs, d’autant plus qu’ils n’étaient pas des cents et des milles pour se le permettre. Mais dans ces cas-là, c’était souvent une exile plus qu’autre chose. Ils n’étaient pas des barbares. « Pourquoi est-ce que vous croyez au Néant ? Qu’est-ce qu’il vous apporte exactement ? Votre marque est petite parce que vous n’êtes pas une fanatique mais on peut croirez avec ferveur et pas comme les autres ? Qu’est-ce que ça veut dire chez vous être fanatique ? Chez nous, il y a des fanatiques des esprits parfois, mais ils ne sont pas plus et pas moins considérés que les autres. Et rien ne les distingues physiquement de nous… c’est bizarre » Il désigna sa main marquée « Elle est faite comment ? Quand ? Comment ça se fait qu’elle soit différente pour chacun ? Si un Alayien devient plus croyant, comment il fait pour changer de marque ? Est-ce qu’elle vous fait mal ? » Une fois la surprise première de savoir qu’elle était une Alayienne passée, son esprit résolument curieux s’emplissait de questions diverses et variées. « Mon père m’a dit que vous êtes venus en bateau, c’est vrai ? Mais vous venez d’où ? De loin très loin je veux dire, ou d’une terre proche de la nôtre ? Vous bateaux étaient comment ? Ils existent encore ? Ils sont grands ? Oh et comment est-ce que vous viviez ? Vous êtes comme les humains d’Armanda ? Vous mangez quoi ? »

Le jeune elfe semblait plus qu'intrigué par la nouvelle qu'effrayé, détaillant la marque avec un intérêt. Il semblait réfléchir aux conséquences de porter cette marque et ce qu'elle signifiait, certainement se posait-il les mêmes questions qu'elle avait osé faire lors de sa jeunesse, ce qui lui avait valut une sanction dont elle se souviendrait tout au long de sa vie. Néanmoins malgré ses tentatives enfantines d'essayer d'effacer la marque à l'aide de ses doigts il finit par comprendre la signification de ses mots. Oui, elle était une fugitive, elle avait abandonné son peuple pour se tourner vers tout autre chose.

Contre toute attente, ou plutôt sans aucune surprise l'elfe commença à littéralement l’inonder de questions partant des interrogations basiques sur ses motivations pour aller vers des questions bien plus basiques sur les différences entre eux et les humains d'Armanda. Il les enchaina de telle manière qu'il était difficile de ne pas voir une certaine excitation de la nouveauté et de l'inconnu dans le comportement du jeune homme qui n'avait pas pris la peine de les poser unes par unes pour laisser le temps à Maude de pouvoir y répondre dans l'ordre faisant que certainement la moitié d'entre elles ne trouveront jamais de réponses.

"Tu crois en tes esprits, je crois au mien." Elle retournait les questions simples, les questions auxquelles parfois l'on n'avait pas de réponses à donner, ou alors quand celle-ci était enfermée au plus profond de soi ou de son éducation car il était difficile de renier son passé. "Je viens peut-être de terres qui sont au delà de tes mers, mais je ne suis pas différente des autres humains."

Doucement elle posa sa main sur celle de l'elfe, forçant doucement cette dernière à se poser sur le dos de sa main marquée par le Néant, comme pour lui montrer que cette dernière ne s'effacerait pas, mais ne le blesserait pas non plus. Qu'elle faisait partis d'elle, que c'était ainsi et qu'il n'y avait rien à faire à ce sujet.

"J'ai toujours eut cette marque, aussi loin que remontent mes souvenirs. Elle apparait et grandit avec la foi de la personne qui la porte. Et si la personne perd la foi, alors elle disparaitra avec cette dernière. Mais il semble que cette foi ne soit tolérée que par une seule manifestation qu'est celle de la haine et de la violence à laquelle je n'adhère pas."

Elle finit par relacher la main de l'enfant elfe, pour cette fois poser ses questions. Chacun son tour après tout non ? Elles seraient dans tous les cas du même niveau que celles de l'elfe car il était difficile de faire autrement que de poser les questions les plus basiques qu'il soit pour comprendre la suite de ce qu'elle pourrait observer.

"Et toi, pourquoi crois-tu en tes esprits ? Comment les vénères-tu et entretiens ta foi envers eux ?"

Elle savait que les Armandéens avaient des rites considérés comme païens et qu'ils ne portaient pas la marque qui les liait à leurs esprits et qui serait le moteur de leur foi. Comment pouvaient-ils croire en des esprits qui ne manifestaient pas leur bienveillance à leur encontre ou tout du moins qui ne se manifestaient pas envers eux ? Car au final c'était ça qu'était la marque, une manifestation de Néant pour leur dire "Je suis avec toi".

Il regarda son visage un moment, avant de baisser une fois de plus les yeux sur sa main marquée alors qu’elle répondait à ses questions. Elle ne se rappelait plus quand elle avait eu sa marque… était-ce donc à dire qu’elle était née avec ? Condamnée à vénérer le Néant dès la naissance ? Bien sûr, avec du recul on pouvait considérer que les Armandéens naissaient en étant contraint de vénérer les Esprits, mais ce n’était pourtant pas le cas. Les esprits n’intervenaient pas et ne forçaient personne à les adorer ou croire en eux. Ils étaient. Et au final, il fallait bien se le dire, ils seraient toujours, que de petites choses comme eux croient ou pas. Pas mal d’Armandéens ne faisaient pas plus cas des Esprits que cela, à en croire les elfes voyageurs. Et ils n’étaient pas foudroyés sur place. Comme quoi… En tout cas, plus elle en parlait et plus il lui semblait que la marque en question était, tout bonnement, de la magie. D’une autre sorte sans doute, mais de la magie. C’était amusant. Et surtout, intéressant. Une chose à creuser plus en profondeur. Pourtant, au milieu de cela, il y avait autre chose qui le troublait et il fronça délicatement les sourcils en s’interrogeant à voix haute. « C’est une marque qui mesure la foi. Mais elle régresse si on perd la foi. Hors vous avez la foi mais elle régresse, car elle ne prend en compte que la haine et la violence. Ce n’est pas logique. Est-ce que les esprits ne sont pas censés être logiques ? » Il secoua sensiblement la tête à cela, incapable de trouver une réponse convenable à ce sujet. Cela le frustrait, il aimait les réponses convenables. Il aimait les réponses tout court d’ailleurs. Et on l’en privait, lui fournissant plus d’interrogations encore à la place. Cependant, il fut tiré de sa frustration par les questions qu’elle lui posait et il lui décocha un regard amusé avec un petit sourire. Drôles de questions. C’était vraiment le choc des cultures, à ce niveau-là. « Pourquoi est-ce que je crois aux esprits ? Et bien pourquoi croirais-je aux rivières, à l’air et aux végétaux, au soleil qui me réchauffe et à la pluie qui nourrit la terre ? » Il se recula, s’installa contre un rocher et posa un poing sur sa joue, se soutenant sur son trône de fortune. « Je crois en mes esprits parce que je sais qu’ils existent, tout simplement. Ils sont tout autour de nous, dans la nature. Ils sont également là dans la magie. Nous sommes des êtres de magie, né en elle. Toi, même si tu ne vois pas tes parents, tu sais que tu en as. Et bien c’est pareil. Je crois en eux car je sais qu’ils sont là. Je n’ai pas plus besoin d’entretenir ma foi que de regarder le ciel pour savoir qu’il est bleu. Entretenir sa foi ? Cela voudrait dire qu’elle est factice, qu’elle a été créée de toutes pièces, alors que ce n’est pas le cas. Elle reste la même quoi qu’il arrive, aussi stable et solide que la terre sous mes pieds. Je leur montre mon respect simplement en prenant soin de la vie que j’ai reçu et de la nature autour de moi » Il tapota le rocher avant de poursuivre. « Mais il existe des fêtes en l’honneur des esprits, évidement. Tous les cinq ans, il y a une fête dédiée à tous les esprits et qui symbolise la prospérité et la renaissance. Tous les ans, Il y a la fête du pardon et la fête de la terre… et puis on offre des prières à l’occasion des mariages et des naissances ainsi que des décès. C’est très simple »

En quoi ce raisonnement était-il illogique ? Elle l'observa quelques instants en silence, sans bouger le moins du monde du foyer récemment allumé pour se réchauffer, se frottant simplement les bras comme pour se réchauffer. Non, il l'était parfaitement mais aux yeux du jeune elfe ce dernier ne correspondait pas vraiment à ce qu'il avait vécu et ce qu'il vivait actuellement avec ses esprits à lui. Pourquoi la marque ne pourrait pas régresser si l'on ne vénérait pas Néant comme il le désirait ? Si on te dit de faire "Noir" et que tu fais "Blanc" alors ça n'ira pas et la personne ne sera pas contente et bien dans le cas de Néant c'était exactement la même chose. Mais de là à l'expliquer pour qu'il comprenne à défaut de l'accepter, ce serait une toute autre histoire !

"Si tu demandes à quelqu'un de faire quelque chose, et qu'il fait l'inverse. Tu ne sera pas très content, je me trompe ?" Elle laissa quelques secondes passer. "Et bien pour Néant c'est pareil."

Oui, s'en était choquant quand on entendait les explications de comment les Armandéens vénéraient leurs esprits, c'est à dire sans aucune contrainte et selon leur bon vouloir. Leurs esprits ne s'offusquaient pas du manque d’idolâtrie à leur encontre et laissaient leurs croyants faire ce qu'ils voulaient. Dans les oreilles des prêcheurs ce genre de choses passait pour de la faiblesse et ce n'était donc pas une surprise qu'ils soient considérés comme inutiles s'ils n'intervenaient pas dans la vie de leur croyant pour les aider à passer les moments difficiles par exemple, un peu comme la béquille qui aide à marcher quand l'on s'est foulé la cheville. Néant était cette béquille mentale pour aider à toujours se relever.

"Prier activement un esprit veut également dire qu'on ne l'oublie pas et qu'il fait partis de notre vie. Comment veux-tu qu'il pense à toi, si tu ne penses pas à lui ? C'est assez injuste même si ça a une part d'égoisme."

Oui, c'était égoïste de vouloir être le centre de l'attention d'un esprit, mais ca l'était également de vouloir que l'esprit vous accorde de l'attention mais sans lui en donner en retour. Il fallait que les deux parties s'y retrouvent et aient chacune la même chose pour espérer que la relation fonctionne correctement. Ils n'avaient donc pas vraiment le même fonctionnement, vénérant plus par envie que par une sorte d'obligation culturelle dans l'espoir d'acquérir une sorte de renaissance et d'immortalité en tant que serviteur du néant comme l'étaient Lyra ou Adalkin. C'était également le but final de tout Alayien et fanatique qui se respecte, attirer suffisamment le regard de Néant pour avoir droit à ce traitement de faveur et ainsi échapper à la mort.

"Et pour ceux qui viendraient à mourir pour Néant et qui portent une marque qui recouvrent quasiment tout leur corps, il y a une sorte d'immortalité à la clé, Néant leur permet de s'incarner dans un autre corps pour continuer à le servir. Il s'agit du but ultime de beaucoup et du plus grand honneur faisant ainsi devenir un serviteur du Néant et la plus haute place dans la société."

Et le meilleurs moyen de le devenir était de prier et de répondre à la volonté de Néant en anéantissant tout ceux qui s'opposeraient à ses idéaux portés par ses sbires. Mais assez parlé du Néant, elle l'avait au final quelque peu abandonné pour ne plus avoir à massacrer des populations qui n'avaient rien demandé, pour ne plus avoir à porter ce fardeau ou plutôt les chaines de la soumission que lui faisaient porter son peuple en la forçant à être ce que justement, elle ne voulait pas être ! Et le changement de sujet vers les fameuses fêtes "païennes" à l'attention des esprits Armandéens était idéal !

"Et ces fameuses fêtes pour vos esprits, elles ressemblent à quoi ?"

Oui, la question avait quelque chose d'effrayant pour quelqu'un qui connaissait de naissance tout ceci, alors que pour une extérieure et une ignorante totale à ce genre de rituel ça pouvait avoir quelque chose d’intrigant et d'incompréhensible. D'ailleurs ce que racontaient les deux protagonistes devait être complètement obscur et illogique pour l'autre.

La question lui fit lever un sourcil. Si il demandait à quelqu’un de faire quelque chose et qu’l faisait l’inverse, serait-il vraiment mécontent ? Il avait, il l’avouait, l’égo de croire qu’il jaugeait assez bien de ce qu’il fallait ou ne fallait pas faire. Mais s’il prenait la peine de demander quelque chose à quelqu’un et que cette personne ne faisait pas ce qu’il indiquait… c’était avant tout cette personne qui y perdait quelque chose, pas lui. Si quelque chose devait absolument être fait et que cela lui tenait à cœur, il le faisait lui-même et n’irait certainement pas demander à quelqu’un d’autre donc ce qu’il demandait avait forcément moins d’intérêt pour lui-même. Le reste, les autres l’assumaient pleinement. Et puis… on parlait de fidélité à un esprit. Qu’est-ce que ça pouvait lui faire, à Néant, qu’on la vénère d’une façon et pas d’une autre ? Au final c’était de la vénération tout de même et si elle n’était pas capable d’apprécier, alors elle n’était qu’une ingrate qui ne méritait pas que quiconque lui accorde de l’importance. Il avait du mal à comprendre pourquoi un esprit voudrait se montrer si étroit d’esprit. Le monde n’était fait que de diversité et de changements, pourquoi un esprit voudrait-il se cantonner à une seule façon de faire alors que ses fidèles pouvaient fleurir en une multitude de possibilités diverses…. ? Bizarre tout ça quand même. Mais enfin, ça sonnait tellement évident quand elle en parlait qu’il imaginait bien que ça n’avait jamais dû être posé comme question jusqu’ici. Il fronça cependant les sourcils. « Pourquoi prier voudrait-il dire qu’on n’oublie pas ceux auxquels on croit ? Je veux dire, si on croit vraiment à quelque chose, alors on n’a pas besoin de ce genre de choses, on n’oublie pas et puis c’est tout. Est-ce que vous ne croyez qu’au moment de prier ? Bien sûr que non, ou alors vous priez en permanence ? Et c’est la même chose de leurs côtés. Si vraiment on est fidèle alors ils ne nous oublient pas c’est évident. Chaque geste de la vie quotidienne est aussi en partie pour les esprits, il n’y a pas besoin de se rappeler à lui… enfin à part si on a peur d’être oublié… c’est bizarre »

Il en restait véritablement perplexe, c’était une autre façon de penser. En fait, il avait du mal à concevoir en quoi prier pouvait aider. Même chez les Armandéens d’ailleurs. « Je ne pense pas que ce soit vraiment de l’égoïsme. Mais j’avoue que j’ai du mal à saisir le concept… c’est très éloigné de ce que je connais. Ça arrive, dans nos fêtes, que l’on prie, mais même pour ça, je ne vois pas trop à quoi cela sert. Est-ce que les mots peuvent vraiment atteindre les esprits ? De simples mots ? Ou est-ce quelque chose de plus fort véhiculé ? Et en ce cas, pas besoin de mots… enfin c’est sans doute un peu trop théologique pour être discuté, surtout si vous faites cela depuis longtemps » Il haussa les épaules. Oui c’était sans doute un peu trop théologique pour être simplement présenté comme une relation de cause à effet. En revanche, il grimaça un peu à la suite et posa un regard un peu plus soucieux sur elle. « Mais ça va à l’encontre des désirs de Mort ça… La réincarnation ça ne marche pas comme ça, chez nous. Enfin si je comprends vos explications, alors cette réincarnation se fait sur la base de votre foi ? Les plus croyants sont réincarnés ? Mais la croyance ne fait pas tout… chez nous, la réincarnation se base sur notre alignement et nos actions. Les âmes les plus méritantes, celles qui ont fait beaucoup de bien dans leur vie, sont réincarnées afin de continuer à apporter des bienfaits à Armanda et guider les peuples. Et les âmes très mauvaises et torturées qui ont besoin de se racheter et d’accomplir encore quelque chose sont également réincarnées. Pour elles c’est la paix qui est recherchées. Mais dans les deux cas ce n’est pas vraiment la personne telle qu’elle vivait. C’est l’âme, uniquement… ça paraît extrêmement mauvais et contre-nature de vouloir réincarner quelqu’un simplement pour sa foi et pour servir une seule personne »

Il chassa une mèche venue lui titiller l’œil « Enfin je résume assez rapidement notre philosophie en réalité, toutes les âmes se réincarnent à un moment ou un autre. C’est très complexe et je n’ai pas encore été mis au fait de tous les détails, mon apprentissage n’est pas fini. Mais si vos âmes se réincarnent dans un corps, est-ce un corps de bébé nouveau-né ? Parce que si non, s’ils se réincarnent dans des corps adultes, que se passe-t-il pour les âmes de ces corps-là ? Elles deviennent quoi ? C’est cruel et injuste pour elles, de ne plus avoir de corps… surtout si elles ont attendues longtemps ! » Il ne chercha cependant pas à continuer le sujet, y intercalant celui des fêtes Armandéennes. Il eut un demi-sourire et s’installa plus confortablement. « Et bien…. C’est un peu long, je vais essayer de les décrire correctement. Mais je ne participe pas à toutes activement et je n’en ai pas encore vécue beaucoup en raison de mon âge… j’espère cependant être assez complet là-dessus. La fête des esprits est très importante. Elle a lieu tous les 5 ans et est célébrée par tous, elfes, humains et vampires. On y honore les esprits dans un ordre bien précis, océan, vent, feu, terre, végétal, vie et mort, un peu comme le cycle des années ou de la vie. Elle a lieu le premier jour de l’année et est composée de cérémonies chantées. C’est la fête la plus attendue et celle à laquelle nous sommes le plus dévoués. Elle dure de 3 à 4 jours et est le moment d’une trêve complète. Il y a trois cérémonies chantées par jour, entre coupées de nourriture et de jeux. On chante et on danse beaucoup, en général, les plus belles représentations ont lieux à ce moment-là. On porte nos plus beaux habits et une broche spéciale qui représente l’ensemble des esprits. Elle est en or ou en argent et on l’a fait nous-mêmes, elle nous suit normalement toute notre vie. On offre à nos familles, amis et même ennemis une fleur différente pour chaque esprit. C’est un signe de rapprochement »


Il étendit ses jambes pour les étirer et continua « Ensuite, il y a la fête du pardon. Elle a lieu tous les ans, au premier jour du printemps. Il n’y a pas vraiment de cérémonie, mais il est d’usage d’offrir un présent à une personne que l’on a offensée afin de gagner son pardon. C’est une fête censée honorer le renouveau de la nature et un nouveau cycle fertile il me semble. Ah ! Et la personne à qui on offre un présent est forcé de l’accepter sous peine d’être mal vue par les esprits. Mais je ne m’y connais pas trop là-dessus, je n’ai jamais eu à en faire une. Je n’ai pas beaucoup de personnes proches pour ça… donc pas d’occasion d’offenser qui que ce soit » Il haussa de nouveau les épaules avant d’enchaîner, d’une voix paisible mais qui reprenait son souffle « On a également la fête de la terre. Elle a lieu sur les plages au milieu de l’hiver et sert à encourager terre dans sa lutte contre océan. On chante et on danse depuis le coucher du soleil jusqu’à l’aube et on lance alors un panier de fleurs marines dans l’océan, afin d’apaiser Océan. On y fait quelques jeux également… Je n’aime pas trop cette fête. On laisse les jeunes chanter. Une fois j’ai été choisi pour ajouter un nouveau chant à la tradition… j’avouerais avoir détesté ça. Le chant n’est pas franchement ma passion »

Il réfléchit un moment puis ajouta «On honore également les esprits pendant les mariages et les naissances, entre autre en se rendant dans les sanctuaires des éléments…. »

Le jeune elfe ne comprenait pas ce qu'elle essayait de lui expliquer, tout du moins pas complètement car même s'il avait plus ou moins compris le principe le reste n'était pas des plus simples surtout avec un tel choc des cultures. Pour quelqu'un ayant grandit dans cette éducation, se comporter ainsi était tout ce qu'il y avait de plus normal et c'était ainsi les autres qui ne l'étaient pas. Néanmoins pour l'esprit de la jeune femme, et surtout la manière dont elle avait grandit aux côtés de son frère de cœur les choses n'étaient pas aussi figées que pour le commun des Alayiens et autres croyants en Néant.

"Une prière n'a pas besoin de mots pour être entendue, même s'il est plus facile de les utiliser. Considère ces prières comme un signe d'allégeance, les peuples d'ici se mettent à genoux devant leurs rois ou empereurs, les miens le font devant un esprit et ceux qu'il a choisis pour être ses messagers."

Il essayait de comprendre, de mettre ces informations dans son propre contexte de compréhension et de son peuple. Comparant ces activités à celles qu'il pratiquait lui même plus ou moins alors que la prière n'était pas quelque chose de commun chez eux. Ce n'était donc pas étonnant qu'ils soient considérés comme des impies, ils ne prient même pas leurs esprits protecteurs et après espèrent que ces derniers le fassent sans contrepartie. Certaines des croyances Alayiennes allant même à l'encontre de leurs préceptes ou de ce que faisaient leurs propres esprits, à commencer par celui de la mort quand elle parla de la réincarnation de ceux qui avaient le plus servit Néant, autant dire les plus fanatiques qui étaient morts pour lui. Leur esprit de la mort était considéré comme un esprit faible par les Alayiens et donc par Néant, il n'était donc pas illogique de passer outre son avis. Quant aux âmes réincarnées et celles qui leurs laissaient la place... Et bien c'était une autre histoire !

"Votre esprit de la mort est considéré comme faible puisqu'il ne peut pas s'interposer à la volonté de Néant qui choisis un corps adapté à l'âme qu'il veut réincarner. Elle prend soin de l'âme qu'elle retire de ce corps, déjà adulte pour y mettre à la place son dévot pour qu'il puisse continuer à la servir." Elle fit une pause. "Il devient ainsi un serviteur du néant, Adalkin ou Lyra du Néant en sont, ce ne sont pas leurs corps d'origines mais ceux de personnes choisies comme refuge pour leurs âmes. Être choisis pour accueillir un serviteur du néant est considéré comme un immense honneur par mon peuple, ce n'est donc pas une injustice à leurs yeux."

Faire le lien entre les deux cultures au niveau de la croyance envers les esprits s'annonçait de plus en plus difficile, les manières d'être, de faire et de considérer étaient en opposition. Les Armandéens avaient rejeté Néant et les Alayiens avaient rejeté les Esprits des Armandéens. Cette opposition ne leur permettrait jamais de concilier les deux cultes et soit le premier absorbait le second, soit l'inverse serait fait et ce conflit ferait forcément couler le sang encore plus qu'il ne l'avait déjà fait. C'était un sujet sans fond et sans fin car aucun des deux partis n'était réellement prêt à faire le premier pas, et même si les Armandéens pouvaient le faire, les Alayiens refuseraient aussi sec toute forme de tolérance, le seul moyen aurait été de renoncer à ce fanatisme et donc à leur foi envers Néant qui les rejetterait comme il était certainement en train de le faire avec elle, comme en témoignait sa marque qui s'effaçait peu à peu.

"Il s'agit plus d'une sorte d'immortalité que d'une réincarnation, puisque l'élu revient avec tous ses souvenirs pour diriger le peuple selon la volonté de Néant. Ca ne ressemble pas vraiment à ce que tu me dis sur la vision de ton peuple sur la réincarnation..." compléta-t-elle pensivement

Puis vinrent les explications sur les cérémonies de commémoration des esprits, ou plutôt les fêtes qui y sont liées. Pas de prières dans le silence ou autre ordonnancement dirigé par un quelconque prêcheur, mais plus une certaine liberté de la population tant qu'elle respecte le dit rituel. Beaucoup d'Alayiens n'avaient pas besoin d'être motivés pour aller prier, mais pour certains il s'agissait souvent d'une obligation, hors dans ce qu'il semblait dire ils n'y avait rien de tel dans ces cérémonies. Bien entendu, sa curiosité fut piquée à vif ! Avoir la possibilité d'y assister aurait été un grand honneur, mais pour cela il fallait bien évidemment qu'elle survive assez longtemps pour s'infiltrer dans une de ces parades si tenté que l'armée Alayienne en place ne décide d'y couper court sans autre forme de procès, jugeant ces pratiques illégales en partenariat avec l'empire humain.

"J'aimerai pouvoir y assister, mais avec l'alliance entre mon peuple et les humains Armandéens, je ne risque pas de pouvoir m'approcher des grandes villes sans risquer d'y perdre la tête."

Au ton qu'elle employait, il était clair qu'elle ne parlait pas au sens figuré du terme, mais bien au sens propre. Les déserteurs étaient punis de morts, et à peu de choses près de la même manière que ceux qui avaient reniés leur foi sans pour autant déserter. Dans son cas, les deux risquaient de se manifester en même temps et les choses seraient certainement tout aussi compliquées pour vivre ne serait-ce que quelques heures de plus.

"Au moins on ne risque pas de s'y ennuyer ! Elles n'ont pas l'air de toutes se ressembler comme celles dédiées à Néant. Il y a un signe particulier qui en marque le début pour que tous sachent quand le faire ?"

L'intérêt était réel, il n'y avait pas de faux semblants comme si elle souhaitait réellement découvrir la culture locale. Après tout, ne l'avait-elle pas déjà fait comprendre voire même dit plus tôt ? La diversité des cérémonies semblait rendre chacune d'elles complètement uniques et indépendantes les unes des autres contrairement à la répétitivité de celles dédiées au Néant. Certainement une des sortes d'avantages à vénérer plusieurs esprits : il n'y avait pas la possibilité de s'ennuyer.

Ce qu’il retenait principalement de ce qu’elle disait, c’était que la religion Alayienne était très intolérante et fermée. Non seulement envers ses propres adeptes, mais également à l’égard d’autres religions. C’était quand même impressionnant de voir à quel point ils pouvaient se croire parfaitement dans leurs droits à troubler l’ordre naturel des choses… Faible ? L’esprit de la mort ? Il était pourtant fort, d’une force tranquille, du moins le pensait-il. Mort gouvernait absolument tout car tout avait une fin. Même Néant était forcé d’attendre la mort de ses serviteurs pour les réincarner. Il était dépendant de Mort qu’il le veuille ou non. Tout finissait par mourir, les individus, les animaux, la magie… tout. Il fallait respecter Mort. Bien sûr périr était effrayant, et on avait du mal à se l’imaginer, mais la certitude d’en arriver là au bout du compte était bien ancrée qu’on l’admette ou non. Enfin bon, c’était une autre culture, c’était ça qu’il fallait se dire. Mais il avait des doutes sur le fait que cet esprit prenait réellement soin des âmes qu’il retirait. Si il était capable de retirer une âme d’un corps sans le moindre respect alors il n’y avait pas vraiment de raison qu’il fasse preuve de douceur ensuite avec l’âme en question… où mettait-il cette âme ? Avait-elle la possibilité de se réincarner ou restait-elle dans le vide indéfiniment ? Il n’espérait pas, tout de même, ce serait pire que de la cruauté, une abomination, un crime grave envers ces âmes, une hérésie qui n’avait pas à voir seulement avec sa religion à lui, la religion Armandéenne… c’était pire, oui. Enfin, pas besoin de l’accabler. Pas encore du moins ? Disons qu’il se demandait si elle aurait vraiment trouvé qu’il s’agissait d’un honneur si c’était son âme à elle qu’on avait ôté. Peut-être pas. Lui en tout cas aurait paniqué, si une âme le pouvait.

Autant ne pas continuer là-dessus… au pire il pourrait y revenir par la suite. S’il en avait le temps. Il ne commenta donc pas davantage sur cela. A la place, il enchaîna donc sur les fêtes et attendit de savoir si elle avait tout comprit de ce qu’il avait pu lui dire. Ce n’était pas très difficile, il n’y avait rien d’énorme ou de mystique dans les fêtes des esprits, c’était des moments très conviviaux et très appréciés de tous, y compris des vampires apparemment, ce qui montrait à quel point elles étaient universelles sur le contenu. Ces fêtes étaient un moment de joie et de partage, de convivialité… c’était une bouffée d’air frais, une occasion de rêver en groupe. C’était simplement une occasion d’inviter les esprits plus physiquement chez eux, ce qui ne rendait pas la vie de tous les jours moins pleine de sens. Lui-même aimait ces fêtes, le peu qu’il en avait expérimenté… particulièrement la fête des esprits évidement, beaucoup moins la fête de la terre évidemment. Mais dans l’ensemble il approuvait et soutenait ces évènements qui avaient une véritable raison d’être en dehors même de la vénération aux esprits. Ils étaient incluent dans chaque société et chaque strate sociale… c’était vraiment intéressant. « On apprend très tôt à les fêter et quand elles commencent. Au Royaume elfique on en marque le début par le chant d’un instrument particulier, en dehors de la fête du pardon. Celle-là, on sait simplement qu’elle débute en fonction de la journée » répondit-il « La fête des esprits par exemple est marquée par le chant d’une flute » Il se releva, dissipant le feu qui crépitait et esquissa l’ombre d’un sourire. « Si vous voulez, je peux vous montrer le royaume, ainsi vous en apprendrez davantage… je pourrais vous montrer les instruments des fêtes, par exemple »

Au bout de longues minutes supplémentaires, ils finirent par se mettre en route, Nomin la guidant dans la forêt vers la barrière, vers l’endroit où il savait pouvoir passer.

RP TERMINE