Ses jambes souffraient encore douloureusement des péripéties des derniers jours. Chevaucher en amazone tout au long du chemin jusqu'à la Rhapsodie était sans doute une des idées les plus idiotes qu'elle eut jamais appliquée. D'autant que cette posture ne convenait absolument pas au cavalcade effrénée dans laquelle ses foutus Alayiens les avaient entraînés. Au moins, désormais, elle était propre et changée. Sa tenue resplendissait à nouveau de son éclat vermillon lorsqu'elle quitta le Puits Flamboyant.

Certain aurait trouvé fou de se remettre en route malgré la douleur. Ceux là ne savait pas à quel point il était désagréable de passer des négociations d'une telle importance en étant fourbue et avec des membres appesantis et engourdis. Ses pas la portèrent jusqu'à la tour céleste, une magnifique bâtisse s'il en était... un peu comme tout le reste du domaine d'ailleurs. Elle n'eut cependant pas le loisir d'y pénétrer. Ou plutôt, n'en saisit pas l'occasion. Parce que, comme elle se retournait sur le parvis de cette structure élancée, elle aperçut un peu plus loin un éclat métallique, glaciale et immobile.

C'aurait pu être une statue appartenant à la demeure des Baptistrels si ses traits n'avaient pas été si dissonant dans l'ensemble harmonieux de la Rhapsodie. En fait, instinctivement, elle se dit qu'il ne pouvait s'agir que d'une seule personne. Elle fit demi-tour avec une légère point de regret pour le contenu de cette tour et la vue qu'elle devait offrir à son sommet, et redescendit les marches pour s'avancer vers Althaïa Actaaë. Leur dernière entrevue remontait à son retour au Conseil au coté d'Achroma. Il était d'ailleurs étrange qu'elles n'aient plus vraiment eu l'occasion de parler vraiment par la suite. Mais elle ne s'en formalisa pas, la guerre avait son lot de bizarrerie et de contrariétés qu'elles pouvaient toutes deux comprendre.

Elle attendit d'être à proximité de la Vampire pour lui adresser la parole. Crier et gesticuler pour attirer l'attention, s'était bon pour les humains ou la fange d'Ygg-Chal. Elle était autrement plus digne que ce genre là. Elle prit même le temps de repousser une mèche rebelle derrière son oreille, elle n'avait pas jugé utile de tenter une coiffure complexe alors que toutes les délégations n'étaient pas encore arrivée et que les elfes avaient sans doute tous l’œil clos.

"Althaïa, cela fait longtemps que nous n'avons plus eu la chance de nous croiser ainsi, seules."

Mentalement, elle ne put s'empêcher d'ajouter une petite précision à sa déclaration: "et quelle bonne surprise alors que vous avez tous les droits sur cet Alayien et ces secrets..." Mais son regard ne laissa rien paraître d'autre qu'un sourire léger qui reflétait simplement la joie de pouvoir parler à une homologue en dehors des cérémonies officielles, et dévoilait également une de ses canines carnassières. Sourire qui disparut aussi vite de ses lèvres lorsqu'elle lâcha sa prochaine réplique.

"Cette nuit serait parfaite si nous n'avions dû nous contenter de sang défraîchi dans quelques coupes enchantées... Les négociations promettent d'être longues, il suffit de voir le comité d'accueil. Ces Maîtres Chanteurs peuvent enrober cela comme ils veulent, ils ne nous font pas confiance, et ce sera certainement pire pour ce qui est des hommes et des elfes. Assez compréhensible en soi..."

HRP:

Le sourire ne disparu pas de la bouche de Vanaël, tout au plus faiblit-il un peu pour ne pas paraître avide ou moqueur. Ces yeux ne cessèrent pas non plus de clamer la vérité de ce sourire. Avec le temps, on apprenait que faire disparaître la froideur de ses prunelles n'était pas si compliqué et que le résultat était sans appel. C'était avec un sourire d'apparence sincère qu'elle avait achevé elle-même son Maître et, de surcroît, son amant de ce soir-là, sans quitter son regard. L'entrainement avait été long, mais il avait porté des fruits juteux et savoureux.

Elle détestait le mensonge, mais seulement chez les autres parce qu'elle les trouvait grossier et mal emmanchés. Rares étaient les orateurs, même au Conseil, qui arrivait à trouver un écho favorable à ses yeux concernant leur art de dissimuler. En fait, ce qu'elle haïssait le plus, c'était quand le menteur pensait, avait l'audace de croire qu'il pouvait venir à bout de sa perspicacité par des moyens si grossiers. Cette manie en était arrivé à un point qu'elle ressentait presque un soulagement lorsqu'elle ne décelait pas de faux et d'illusoires paroles dans les mots de ses interlocuteurs.

Et ce soir, elle ne distingua pas le mensonge dans les paroles presque sibylline de la Dame qui lui faisait face. Mais les mots ne lui écorchèrent nullement les oreilles malgré leur apparente rudesse. On pouvait presque parler de formule de politesse dans les mœurs vampiriques. Celui qui initiait ne devoilait rien, tournait autour du pot pour le dire vulgairement. Et l'autre demandait plus ou moins tardivement d'en venir au fait et de cesser les faux semblants. Rien de très anormal donc et rien de bien déstabilisant.

"Je viens parler de l'Alayien."

Elle avait prononcé le nom de ce misable bougre qui valait même moins que ces vaches à lait d'humain avec un tel dégoût et une telle répugnance qu'on aurait pu s'attendre à ce qu'elle crache son mépris au sol. Non content de renier les Esprits pour vouer un culte à leur engeance impie, ils se mettaient aujourd'hui dangereusement en travers de son propre projet, en travers du destin florissant de son peuple. Oui, les cartes de leur futur se joueraient ici, et c'était bien pour cela qu'elle était présente, pour assurer que personne ne viendrait spoiler le peuple d'Ygg-Chal de son dû ou pire... de ses aspirations.

"Je suis venu ici jouer mes atouts pour l'avenir de notre peuple. Mais je ne compte pas repartir avec une main vide. Je souhaiterais que vous me laissiez être présente lors de l'interrogatoire du prisonnier. Nous savons toutes deux pertinemment bien que nous ne le ramèneront pas avec nous. C'est un bagage inutile et les Elfes souhaiteront certaine nous soustraire toute prérogative sur lui. Si nous le laissons ici sans avoir tout tenté, nous resterons sur notre faim, comme avec ces coupes dorées qui nous attendaient dans nos appartements."

En fait... je le veux. Mais ces mots ne furent qu'un écho violent dans son esprit qui n'ébranla aucunement son masque de cour. Immobile, mais détendue dans une légère brise qui venait caresser les abords de l'observatoire, Vanaël attendit la réponse de l'autre. Le premier assaut était lancé, restait à voir combien de passes seraient encore nécessaire avant d'obtenir ce qu'elle voulait... Mon dû...

Une idée des plus délectable, c'était certain. Se débarrasser de l'Alayien et dans le même temps tendre un piège à son armée. Mais comment pouvait-on manipuler un être asservi au Néant? Cela augurait il des contraintes nouvelles? Et puis, il faudrait être subtil, les généraux Alayiens n'étaient pas idiots, ils soupçonneraient un piège... C'était un défit intellectuel intéressant. Y trouver une réponse s'annonçait une occupation assez délectable.

"Je conçois que le Prince aura le dernier mot sur le sujet. C'est sa prérogative indiscutable. Cependant, il me semblait logique de venir vous trouver avant de rien tenter d'autre. Après tout, le mérite vous revient à vous seule. Nous savons tous tuer sans sourciller, surtout les humains et plus encore ces pourritures sans âme. Mais peu d'entre nous peuvent se targuer d'avoir la force de s'arrêter avant la fatalité. Surtout quand il s'agit de fournir à notre camp un atout non négligeable.

Les négociations sont primordiales, certes. Mais je pense que nous ne devrions pas négliger ce don du ciel qu'est cette proie. Comme je vous l'ai dit, nous sommes venu jouer cartes sur table. Mais ce n'est pas en jouant franc jeu que nous avons survécu jusqu'alors. Je parlerai avec le Prince et cette immondice nous livrera tous ses secrets. Histoire qu'il ne soit pas seulement le prix a payé pour étudier le verre noir...."

Et puis, retourner dans une salle d'interrogatoire lui serait tellement apaisant. Elle ne se sentait pas chez elle ici, pas à sa place. Sa place était auprès de son peuple qui luttait loin à l'Est. Et en même temps, elle avait l'impression qu'une partie d'elle-même appartenait à l'endroit. Comme si dans un lointain passé, un passé oublié, elle avait pu arpenter ces sentiers. Et dans ce malaise revenait sans cesse une image, celle de ce Baptistrel au regard brûlant qui l'avait dévisagé lors de leur arrivé. Il lui rappelait aussi un souvenir, quelque chose de viscéral, une sensation de noeud au plus profond d'elle-même.

Si Vanaël avait été une femme mortelle, elle aurait sans doute compris à quelle sensation cela faisait référence. Mais une Vampire ne peut connaître les joies de la vie tant qu'elle ne se souvient pas de ce qui fut. Ce sentiment resterait un mystère et elle ne pourrait pleinement en prendre la mesure qu'en se confrontant à l'inconnu. Et donc, d'après une ancestral loi des vexations, l'Elfe semblait s'être volatilisé. C'était peut-être cela qui l'avait menée à errer dans le domaine alors que le voyage la laissait encore fourbue. Et peut-être qu'un peu de compagnie silencieuse pourrait lui être appréciable. Curieux sentiment de la part d'un Vampire certes, mais elle était en droit de vouloir quitter un instant sa solitude, même si c'était pour rester dans le mutisme.

"Je comptais visiter cet observatoire. Nous ne pénétrerons sans doute plus jamais ici et il serait idiot de ne pas en explorer ce que l'on peut, ne serait-ce que pour jouir d'un privilège rare. Sans doute le seul qui nous sera donné dans les temps à venir, d'ailleurs. Souhaitez-vous m'accompagner?"

En fait, la proposition n'aurait jamais été faite à qui que ce soit d'autre. Sauf peut-être Achroma... Althaïa avait quelque chose de différent que les autres conseillers n'avaient pas. C'était une mante religieuse, une femme forte et indépendante. Une icone qui montrait au peuple Vampire définitivement qu'une femme était tout autant si pas plus dangereuse qu'un homme. Sans le savoir, sans le vouloir, elle avait fourni à la Dame Carmine un crédit nouveau et lui avait permis de s'affirmer dans plusieurs situation. Utilisant l'aura des autres conseillères comme un tremplin, c'était entre autre cela qui lui avait permis de s'assurer la place que beaucoup convoitait à l'époque.

Désormais, c'était un poste peu enviable que celui de conseiller. Lorenz était le chef incontesté et le conseil faisait office de ministres secondaires obligé de courber l'échine. De plus, la situation qu'ils devaient gérer était de loin complexe et inextricable. La place offrait désormais plus de responsabilités que d'avantages, ce qui avait eu l'effet miracle de dissiper la nuer d'avides opportunistes qui gravitait habituellement autour d'eux. C'était des idiots, idiots de ne penser qu'à eux et idiots de croire qu'il y avait moins à tirer de la situation maintenant que la guerre était à leurs portes. Ceux qui participeraient à la survie de leur peuple se ménagerait des honneurs et une renommée inégalée qui ne manquerait pas de récompenser les peines subies... il ne restait plus qu'à sortir vivant de ces peines et avec encore un peuple pour révérer...

Il était curieux de regarder agir Althaïa. La dame de fer. Elle ressemblait parfois à un mécanisme automatisé, une sorte de moulin ou de clepsydre d'une complexité intense. Des mouvements saccadé, comme si elle agissait au rythme de courant qu'elle était seule à pouvoir voir, une immobilité de statue qui se brise pour faire place à l'animation avant de retomber dans le mutisme. Le tout accompagné de ce bruit caractéristique de métal et d'acier qui crisse et fait craquer le sol qu'il écrase.

Si Vanaël tirait son charisme de la fluidité aquatique de ses mouvements et de sa démarche, Althaïa avait celui de son comportement mécanique et métallique. Il semblait impossible que quoi que ce soit ne puisse ébrécher la contenance et la force de cette Vampiresse. L'observer était un privilège et un privilège généralement réserver au femme, parce que la mante religieuse n'est pas du genre à laisser un homme la dévisager avec trop d'insistance sans lui arracher les yeux. Elle avait déjà eu l'occasion d'apprendre que, quand elle était dans cette état un peu rêveur, il valait mieux ne pas se précipiter trop vite.

« Cependant... un pressentiment, injustifié... pourtant tenace, me porte à croire que nous ne serons pas les bienvenues dans les étages de cette tour. Vous n'ignorez pas les précautions des baptistrels à notre égard. Je pense qu'il ne serait pas de trop d'évoquer la méfiance vis à vis d'éventuels sorts ou verrous posés là pour évincer les esprits trop curieux.

Mais si l'aventure vous tente, vous avez trouvé là une partenaire de jeu très au fait des manières de contourner les obstacles encombrants. »

"Ce ne serait pas vraiment étonnant. Ils n'ont pas confiance, nous le savions dés le départ. On invite pas un loup dans sa bergerie de gaieté de coeur et encore moins sans prendre ses précautions. Fort heureusement, il me semble que le serment ne nous interdit pas de nous défendre contre des protections inertes. Et puis, un peu de curiosité et d'exploration ne peut qu'égayer un séjour déjà bien mal débuter..."

Et sur ces mots, elle lui emboîta le pas. Un curieux pressentiment... oui, curieux en effet. Elle aurait été très curieuse de savoir ce qui se cachait derrière cet euphémisme. Elle aurait pu le savoir, c'était un fait, il lui suffirait de plonger son regard dans celui de la dame et de poser la question. Alors tout le voile serait levé. Mais même si le mot courtoisie n'avait pas beaucoup de sens dans le monde vampirique, il y avait des manques de tact qui n'était pas excusable. Sonder l'esprit d'un conseiller en faisait partie. Du moins, tant qu'il n'y avait pas une grande nécessité à le faire.

L'observatoire était tout de même une impressionnante bâtisse, s'élevant plus haut que le Tomingorllo, dépassant même la canopée fournie de cette vénérable forêt. Tout traduisait la volonté d'atteindre les étoiles, de s'approcher le plus possible du domaine exclusif de l'esprit du vent. Et cela se ressentait jusque dans l'architecture de cette lance de pierre, aussi éthérée que l'élément auquel elle était dédiée. Encore un exemple de la splendeur du domaine Baptistral.

Combien de temps encore survivront ses merveilles... Là était toute la question qu'elle se posait depuis qu'elle avait pu poser les yeux sur les premières constructions. Les Alayiens se massaient peut-être déjà aux portes du domaine, ou en tout cas ils le feraient bien assez tôt. Et quand bien même ils n'auraient pas encore les moyens d'en percer les défenses et même si ce lieu devait être le dernier à tenir debout lorsque le Néant aurait apporté la ruine à Armanda, lui aussi viendrait à tomber. Que ce soit par la morsure du feu, du fer, de la magie impie ou tout simplement du temps. C'était son lot de pensées sombres du jour, cela passerait. Il ne restait plus qu'à faire en sorte que ces noires et cauchemardesques prophéties ne viennent pas à devenir réalité.

HRP: