Voilà, les différentes délégations étaient arrivées. Humains, vampires, les elfes étant arrivés avant. La tension était à son maximum, même si chacun savait ce qu'il avait à faire, il y avait toujours la peur de l'étincelle qui ferait rater la paix précaire sur Armanda.
L'arrivée des Alayens avait tout chamboulé dans le cercle de la vie et des tensions entre les différents peuples. Obliger d'en faire abstraction pour s'unir en revenir à une normale une fois ce léger soucis passé. Car Lyroë se doutait bien que si union, il y avait, si bataille et victoire contre le néant se faisaient, les vampires retourneraient à leurs quête de pouvoir sur le territoire, les elfes se cacheraient dans les bois et les humains continueraient leur ritournelle de lutte de pouvoir pour savoir qui serait le plus fort pour lutter contre une malédiction ancestrale. Autant dire, les Alayens apportaient seulement une entente précaire. A peine un dialogue illusoire.

C'était d'ailleurs là l'une des dernières dispute de l'elfe avec son ami d'enfance. Lyroë ne pouvait concevoir de se retrouver dans la même pièce que les vampires, que l'assassin de son lié, le voir en face d'elle et discuter tranquillement de la meilleure façon de décimer un peuple. Alors que la dernière fois qu'elle l'avait vu, il tuait de sang froid (normal pour un vampire) son lié, sa vie. Il commettait un acte aussi grave que même la malédiction des vampires n'était rien à côté. Alors comment arriver la bouche en cœur et reconnaître cette créature comme prince, lui reconnaître ce droit, cette fonction, alors qu'il n'est qu'un assassin imposteur qui les étouffera de ses mains dès qu'il en aura l’occasion. Et la dragonnière ne l'acceptait pas. Bien sûr Merything pensait autrement et ne se gênait pas pour le lui dire. Il ne se gênait plus depuis qu'il était chanteur. Et la pression de l'organisation devait aussi sûrement jouer beaucoup. Mais qu'importe, la jeune femme ne supportait pas cette idée et encore moins que son ami n'aille pas dans son sens. En même temps, il n'était pas là pour ça, mais pour s'assurer que Lyroë ne saute pas au cou de Lorenz ou vice versa. Entre autre. Les humains n'étaient pas exemptent de vouloir régler quelques comptes. Cela n'allait pas être aisé de négocier avant ça.

Depuis l'arrivée des vampires, la jeune femme était d'une nervosité peu commune. Déjà pas des plus aimables et souriantes, là ça en devenait carrément terrifiant. Il ne valait mieux pas la mettre en rogne, quoique la bénédiction des lieux par des sorts de protection aidait en beaucoup.
Alors la stupeur et la rage furent à leur apothéose, quand le Dracos mit sur sa route l'assassin de son lié. Lyroë ne s'y attendait pas. Pas là, pas comme ça. Pas préparer mentalement et encore moins physiquement. Son cœur reçut un coup presque fatal qui fit trembler ses jambes comme des feuilles en automne.

Son visage changea du tout au tout. Ses yeux d'un bleu glacial devinrent de véritables armes, et il n'était pas question de ne pas soutenir le regard de cet usurpateur. Oh par le Dracos pourquoi Mery l'a prévenu plus de cinquante fois de ne pas user de la magie ou des armes sous peine de graves sanctions. Pourquoi, car là elle n'avait envie que d'une chose. Devenir animal et lui sauter à la gorge. Lui faire bien pire que ce qu'il a put faire à cet être pur que pouvait être le dragon blanc. Et Lyroë avait une imagination débordante en terme de torture.

Le vampire était là, fier, avançant face à elle, se prenant pour le prince qu'il n'était pas. Quelle aberration !!! Il ne faudrait pas abuser et lui en demander trop, ne pas l'étouffer c'était déjà beaucoup. Elle était toujours plantée là, comme une plante d'ornement du palais des chanteurs.
La dragonnière inspira en profondeur. Pour prendre courage, il allait lui en falloir une très haute dose. Du courage et de la tolérance pour l'assassin de la créature qui comptait le plus à ses yeux. Et elle en voulait à son ami d'enfance de lui rappeler sa promesse, celle faites à Cymbor. De chercher un échappatoire à cette guerre, d'unifier les dragonniers et leurs liés.

Voilà pourquoi Lyroë n'aimait pas se lier aux autres, on leur faisait tout un tas de promesses barbantes à tenir. Sans cela, elle aurait été libre de lui sauter dessus, même par principe, quitte à se faire foudroyer par le chant divin. Juste pour lui montrer qu'elle pouvait le faire. Mais, non, elle ne le ferait pas. Pas là, elle avait mieux et le temps où le joyau noir pourrait se révéler viendrait. Il fallait juste attendre et ne pas laisser sa haine et sa vengeance prendre le dessus. Tout vient à point à qui sait attendre.

Un silence profond régnait sur la forêt. Pas le moindre souffle de vent ne venait troubler le calme surnaturel qui régnait dans ce coin du sanctuaire et personne au monde n'aurait sans doute oser venir déranger le prince vampirique plongé dans ses réflexions. Mais réfléchissait-il vraiment ? Son esprit était vide, aussi limpide que l'eau claire et parfaite de la fontaine vif-argent. La souffrance de la malédiction pulsait en lui, entièrement maîtrisée par une volonté de fer. L'acier de ses yeux ne reflétait rien d'autre qu'une tranquille assurance et un total accord avec lui-même. Il n'avait pas prévu la situation qui avait repoussé ses armées jusqu'aux frontières est de l'empire, il n'avait pas non plus prévu de revenir à cet endroit autrement qu'en conquérant et plus encore en vengeur mais cela n'avait plus d'importance. Au sein de ce sanctuaire et les yeux plongés dans l'élément qui était lié à son âme et dont il portait même le totem il retrouvait ses certitudes et sa sérénité. Le feu pouvait faire des concessions, en période difficile il pouvait perdre de son flamboiement et se recentrer sur lui-même jusqu'à n'être plus qu'une braise patiente capable de rougeoyer pendant une éternité entière jusqu'au jour où il lui était possible de se réveiller enfin et de se révéler au monde comme un gigantesque et terrible incendie dévorant tout sur son passage. Ainsi serait sa vengeance. Implacable.

Un courant d'air soudain vint secouer les flammes qu'il observait avec attention. Le vent s'était enfin levé et s'engouffrait à présent doucement dans ses vêtements, le tirant de son état de méditation. Doucement, il inspira une goulée de cet air dont il n'avait pas besoin et qui apporta des milliers d'informations passionnantes à son odorat de prédateur. Il n'était pas seul. Un elfe se tenait dans le coin, un Baptistrel sans doute mais il n'était pas assez proche pour attirer l'attention de gardes vampiriques qui veillaient sur la tranquillité de leur maître. Une odeur humaine attira aussi son attention, elle était un peu plus proche et il la connaissait par cœur. Ambre n'était pas loin, d'ailleurs elle ne l'était jamais, il ne le permettait pas. Devait-il la retrouver à présent ? Il interrogea son corps figé, goûtant la très légère sensation de soif qui commençait à assécher sa gorge. Non... Pas encore. Il avait encore le temps, et la petite humaine aussi. A la place il se leva souplement, s'éloignant de la source du feu de sa démarche féline, silencieuse et pourtant si autoritaire que les gardes vampires n'eurent besoin d'aucun ordre pour comprendre qu'il ne voulait pas qu'ils le suivent. Il n'avait pas besoin d'eux.

Le soleil était presque entièrement caché par les branches des arbres, ce qui ne l'empêcha pas de plisser des paupières au moment où ses faibles rayons caressèrent sa peau blanche. En lui il sentit la puissance magique se rétracter, le pouvoir de la magie vampirique ne pouvait s'exprimer dans une telle situation mais elle était loin de composer son seul pouvoir. Pour la énième fois depuis son arrivée en ces lieux il effleura les protections baptistrales qu'il sentait en constante opposition contre sa propre magie. Elles lui résistèrent avec un bel ensemble et cette situation amena un sourire mauvais sur ses lèvres fines. Pouvait-il détruire ce réseau ? Peut-être... Lui-même l'ignorait en vérité, et il devait à tout instant contrôler le désir brûlant qu'il avait de se confronter pour de bon à ces liens. Tumultueux, son pouvoir réclamait ce duel et se languissait de l'explosion d'énergie que produirait un tel combat. Le serment qui le liait pouvait être détruit, il le sentait mais il ignorait si il possédait ou non la puissance pour y parvenir et même si c'était le cas il ne pouvait se permettre de s'y essayer. Ces négociations étaient importantes, le peuple vampirique ne pouvait vaincre seul l'armée Alayienne. Aussi profonde que soit son envie de se frotter à la magie baptistrale il ne devait pas y céder, il avait plus à y perdre qu'à y gagner, pour le moment...

La patience, voilà un art qu'il comprenait et qu'il pouvait maîtriser sans mal. Il haïssait l'idée d'être si proche du royaume des Elfes et de ne pouvoir honorer son serment. Il haïssait l'idée de se retrouver à négocier avec eux et il n'aimait pas beaucoup plus l'idée de traiter d'égal à égal avec la race qui était sensé nourrir la sienne. Mais tout ceci n'était que transitoire, ces négociations prendraient fin à un moment ou à un autre et il devrait faire en sorte qu'elles se concrétisent par la défaite totale et irrévocable du peuple Alayien. Ensuite seulement, il pourrait reprendre sa route et terminer ce qu'il avait commencé.

Il en était là de ses réflexions lorsqu'un très léger craquement devant lui vint éveiller ses sens vampiriques. Il n'était plus seul sur le petit sentier qu'il parcourait, et la vision suivante était déplaisante. Une elfe... A quoi s'attendre d'autre dans ce satané sanctuaire ? Un masque impassible vint aussitôt protéger ses pensées et il plongea l'acier brûlant de ses prunelles dans le regard sylvestre. Il s'attendait à y trouver le dégoût, la haine de son peuple aussi mais il ne s'était pas attendu à cela. Une colère intense, une rage implacable qui titilla aussitôt son instinct et le persuada de se tenir sur ses gardes. Quelque chose émanait de cette elfe, elle n'était pas comme les autres et il lui semblait même l'avoir déjà aperçue... Il fallut quelques secondes à son cerveau pour recouper les informations et repêcher le vieux souvenir du visage ravagée de détresse et de souffrance qu'il avait à peine aperçu avant de perdre connaissance suite à son combat avec le dragon blanc. Sa dragonnière... Quelle étrangeté que le destin...

Une lueur amusée et presque curieuse s'alluma dans son regard tandis qu'ils se faisaient face, le sentier étroit ne leur permettait pas de passer en même temps. Mais aucun doute qu'aucun d'entre eux n'accepterait de s'effacer devant l'autre. Il laissa donc un léger sourire déformer son masque avant de prendre la parole d'une voix maîtrisée et quelque peu onctueuse :

" Salutations dragonnière. Je ne m'attendais pas à cette rencontre mais après tout c'est peut-être une bonne chose, nous n'avons pas eu le temps d'être présentés lors de notre dernière rencontre... "

De plus en plus amusé par la situation il s'immobilisa tout à fait, attentif. Il sentait la fureur bouillonner en elle, y céderait-elle ? Aurait-elle l'audace ou la folie de tenter un geste agressif ? Elle n'avait pas la moindre chance contre lui, et plus drôle encore elle risquait très gros en violant les règles de la trêve. Décidément il sentait que les choses allaient devenir intéressantes...

Par le Dracos, n'avait-elle déjà pas assez souffert à cause de cette créature malsaine, il fallait en plus qu'on le pose encore sur son chemin, comme un obstacle de plus à surmonter ?
Peut être justement. Il est des hasard qui ne le sont pas réellement. Et le Dracos, justement voulait peut être tester Lyroë dans ses retranchements. Voir si elle avait réellement mûrit sa vengeance comme elle aimait à le clamer haut et fort. Pouvait-elle se retrouver face au meurtrier de son lié, d'une partie de son être et chercher à apaiser sa souffrance, en la dominant et en usant du bon moment pour porter le coup fatal ? Il le faudrait. Car il serait des plus stupides de tenter quelque chose là, au cœur du royaume chanteurs, sous le feu des protections et au moment même de négociations. Non, ça serait stupide et l'archère aimait à penser qu'elle ne l'était pas.

Ce jour sombre, Lyroë fut d'un coup isolé du monde dans lequel elle vivait. Elle avait voulu mourir avec Cymbor, mourir et partir avec lui, marcher au loin pour toujours. Mais elle avait survécu, sauvé un œuf, une humaine, sa vie, et ce jour sombre et isolé du monde, elle avait survécu. Par la force du souffle de celui qui lui avait partagé son âme. Alors la dragonnière n'allait pas en une folle et coïncidente rencontre tout gâcher ce qu'elle avait construit. Ce n'était pas encore l'heure ni le lieu. Et la vengeance était un plat qui mijotait avec douceur et délectation et elle voulait le faire bien, le voir souffrir lentement. Le voir croire sa victoire acquise, le voir croire à la domination, alors qu'elle détenait en son cœur l'arme qui pouvait le faire chavirer, plier.

Mais avant, elle avait une autre chose à faire. Voir le projet de son lié mener à bien. L'unité des dragons et de leurs liés. Elle ne tenterait rien avant, car si jamais elle devait suivre le prince noir dans sa chute, ce rêve serait lancé. Qu'importe la suite, l'elfe aurait tenté d'ouvrir les consciences sur le retour des dragons, pas comme armes mais comme moyens de survie et de paix. Après, ce ne serait plus de son ressort.

Alors c'est droite devant Wintel que Lyroë ne broncha pas à ses mots froids et vide de sens. Certes un feu brûlait en elle, une rage folle, mais l'elfe fit appelle à son courage le plus profond pour ne rien faire, pas bouger. Juste être droite et fière devant lui. Et pourtant lui arracher la langue avec sa dague ne serait qu'une douce délivrance. Qu'il avale une fois pour toute le venin qu'il ne faisait que cracher.

Bien ancrée sur son passage qu'elle ne cédera que par la force, quoique n'est-ce pas le plus intelligent des deux qui cède, l'elfe lui répondit :

« - Vous aviez mieux à faire semble-t-il ? »

Ses yeux bleus perçant lui disant tellement d'autres insanités derrière ses quelques mots de fausse politesse.

« - Quand à être une bonne chose, nos notions du bon diffère semble-t-il, question de culture je pense. »

Car la vraie bonne chose serait de le voir à ses pieds, sous ses bottes et pas fanfaronnant face à elle, ne cherchant sûrement qu'une chose : qu'elle rejoigne son lié. Oui, mais pas sans lui.

Droite et figée devant lui, elle aurait presque pu passer pour une vampiresse tant la froideur qui émanait d'elle était mortelle. Elle n'avait pas l'intention de reculer d'un pouce et tout ceci l'amusait décidément de plus en plus. Tout aussi immobile, il la toisa des pieds à la tête de son regard tranchant et ce qu'il vit sembla lui plaire puisque un nouveau sourire carnassier s'afficha sur son visage. Une ombre énigmatique s'alluma dans ses prunelles lorsqu'elle lui répondit non sans ironie.

" Certes... "

Il était vrai qu'il avait été sacrément occupé ces dernières années mais après avoir passé des décennies entières à préparer son coup dans l'obscurité du royaume souterrain ce n'était que justice qu'il récolte enfin les fruits de son travail n'est-ce pas ? Et d'ailleurs il ne les récoltait pas autant qu'il l'aurait souhaité, à l'heure actuelle il aurait dû se trouver pas loin de Gloria et tout prêt à l'assiéger lui-même à la place de ces satanés Alayiens qui était venu ruiner tout ses plans.

« - Quand à être une bonne chose, nos notions du bon diffère semble-t-il, question de culture je pense. »

Il laissa passer un court silence avant de lui répondre enfin dans un soupir aussi maîtrisé que feint ;

" Que de tension dans ces paroles... Que de haine... Je pourrai m'offenser de ce mépris, ce qui serait fort préjudiciable pour les négociations encore à venir... Ce n'est pas le souhait des elfes n'est-ce pas ? "

Il laissa ses paroles rusées faire leur petit chemin dans l'esprit de la dragonnière. Il connaissait parfaitement ses atouts, l'armée vampirique bien qu'ayant subie de lourdes pertes étaient encore parfaitement opérationnelle et tout à fait organisée au contraire de l'armée humaine qui était à présent dispersée aux quatre vents. Quand aux elfes ils n'avaient quasiment pas subit de pertes puisqu'ils se terraient derrière leurs frontières mais ils n'avaient pas besoin de cela pour souffrir d'un manque cruel d'effectifs. Le peuple vampirique avait peut-être besoin des autres peuples pour s'en sortir face aux Alayiens mais certainement pas autant que les autres peuples avaient besoin de lui. Ce n'était pas la capitale de son allié qui se trouvait actuellement au bord de la rupture et toute proche d'être envahie avec le destin implacable que cela sous entendait pour les Kohan qui seraient capturés.

Lorsqu'il fut certain qu'elle avait parfaitement saisit le message il reprit avec l'assurance froide d'un être habitué à ce genre de confrontation :

" Ne va pas croire que je suis sans ressources simplement parce que la magie et les armes n'ont pas leurs entrées ici dragonnière. Ou devrai-je dire ex-dragonnière ? Tu sais mieux que personne ce qu'il en coûte de me sous-estimer, ton dragon a dû te le dire à l'instant où je lui éclatais les entrailles. "

Attentif malgré son air affable il termina sa phrase sur une moue plus qu'amusée, sachant pertinemment qu'elle était très certainement en train de lutter farouchement contre elle-même pour ne pas lui sauter à la gorge. Il n'attendait que cela et se délectait de la souffrance qu'il lui infligeait avec talent, une souffrance sans doute égale à celle que lui même ressentait depuis qu'on lui avait retiré ce à quoi il tenait le plus. Elle était une elfe après tout, et n'avait-il pas juré que les elfes se repentiraient un jour de ce qu'il lui avait fait ? Sans pitié, il rajouta de l'huile sur le feu dans un murmure faussement compréhensif :

" Cela fait mal n'est-ce pas ? "

Il s'approcha d'elle afin qu'elle puisse mieux entendre le chuchotis qui ne concernait qu'eux deux :

" Rassures toi, tu ne souffrira pas seule... Ceci n'est qu'un début... "

Brûlant, son regard était plongé dans le sien et il attendait avec patience le coup qui ne manquerait pas de venir, curieux qu'il était de voir enfin ce dont la magie baptistrale était capable. Après tout il fallait bien que cette rencontre serve à quelque chose n'est-ce pas ? A faire une expérience sur les liens qui les retenaient par exemple, ce serait peut-être utile plus tard...

Tout en cet être la dégoûtait. Même au delà du crime odieux et immoral qu'il avait commis aux yeux de la jeune femme. Malgré ces traits qui furent sûrement beaux en des temps immémoriaux, rien ne restait hormis une aura malsaine et rongée par la haine qu'il dégageait. A peine dans son cercle, On pouvait sentir ce malaise qu'il vous apportait. De quoi rendre malade, la plus en forme et saine des elfes.

Mais Lyroë ne broncha pas à ses paroles glaciales. La jeune femme n'avait jamais été du genre à s’écraser devant qui que se soit, vampire, prince, elfe ou autre. Alors ce n'était pas demain la veille que l'archère allait s'abaisser devant un assassin, un meurtrier, un usurpateur. Et ses paroles menaçantes n'étaient rien aux yeux bleus de l'elfe comparé à la haine qu'elle éprouvait pour lui.

« - La tension est là où vous désirez la voir. Quand aux préjudices des négociations, ils ne seraient tout autant guère favorable aux vampires. Vous ne pouvez-vous le permettre tout autant que les autres peuples. Alors ne nous leurrons pas sur une fausse amabilité ou leçon de politique, sinon aucun de nous ne serions là. »

Car il pourrait dire tout ce qu'il voudrait, si le prince auto-proclamé n'avait pas besoin des siens et des humains, il ne serait pas là à perdre son temps avec des futilités de négociations. Les alayens changeaient la donne et Wintel allait devoir faire avec. Quoiqu'il en dise, quoiqu'il en pense.

Et sous le sceau de la confession :

« - Ce qu'il m'a dit c'est de vivre pour pouvoir unir les dragons et leur narrer cette histoire. Le reste, seul le Dracos sait ce qu'il adviendra. Quand à la douleur, cher prince, vous devez en connaître les conséquences et les attenants autant que moi. Il y a un prix à payer pour chaque crime commis en ce bas monde.»

Elle ajouta avec le plus grand des sérieux, sans menace dans la voix, ou à peine, en tout cas une bien grande vérité.

«- Et un jour, vous entendrez bien plus que le cri d'un dragon en souffrance. »

Et quand il s'approcha, Lyroë ne put avoir qu'un mouvement de dégoût et de recul. Droite, son nez se pinça comme si une odeur malodorante venait chatouiller ses narines si délicates. Mais elle l'écouta avec attention avant de répondre en se penchant à son tour. A demi-mot, elle lui glissa avec une certaine animosité retenue.

« - Mais je suis toujours dragonnière, on le devient, on le reste, et ce lien qui existe avec un tel magique peut se renouveler avec une nouvelle génération. »

Lyroë n'en dit guère plus. A lui de cogiter sur le sens. Qu'il connaisse ou non l'existence d'Estelen.

Un dégoût des plus profonds luisait dans le regard de l'elfe mais cela ne faisait qu'amuser l'ancestral qui était habitué depuis bien des décennies à ce genre de choses. Il n'avait pas honte de sa condition de vampire, il avait bien trop haït sa condition d'elfe pour cela ! Elle le méprisait ? Grand bien lui en fasse, il méprisait tout autant ceux de sa race. Quand à ce qu'il avait pu accomplir ou non depuis sa transformation il n'en regrettait rien et était même plutôt fier de certains actes, en particulier celui qui avait consisté à sortir les vampires de leur enfermement forcé et à les remettre à leur juste place, c'est à dire dans les cauchemars les plus noirs et les plus terribles des humains et des elfes.

La réponse hargneuse de son interlocutrice lui tira un haussement de sourcil plus qu'amusé, c'est qu'elle mordrait par dessus le marché.. En vérité il n'espérait que cela et il ne se priva donc pas pour préparer une réplique cinglante qui aurait certainement déplu très fortement à la concernée si elle n'avait pas continué plus doucement, lui confiant un projet qui ne pouvait que lui faire à nouveau lever un sourcil, méfiant cette fois-ci. Aucun dragon ne devait de toutes façons ignorer ce qu'il avait fait, il était parfaitement conscient d'en avoir fait des ennemis mortels mais l'idée qu'une elfe puisse œuvre à les rassembler contre lui lui déplaisait. Elle était peut-être plus dangereuse encore qu'il ne l'avait cru... Voilà qui était intéressant à savoir et puisqu'elle avait eu la bêtise de lui dévoiler son jeu aussi stupidement il se ferait un plaisir de garder cette information dans un coin de son esprit afin de pouvoir la contrer dès que possible. Sa mâchoire se contracta presque imperceptiblement lorsqu'elle osa évoquer les affres de la malédiction, un tabou désormais au sein du peuple vampirique mais bien sur il ne pouvait pas en attendre moins de la part de ses ennemis aussi tenait-il une réponse toute prête :

" La douleur n'est qu'un signal du corps ma chère, et crois-tu que je serai ici si je n'avais pas trouvé le moyen de la contourner ? "

Ironique, il observa un instant la réaction de dépit qui n'allait sans doute pas tarder à apparaître. Il ne mentait pas tout à fait puisque le double royal lui permettait d'atténuer les effets de la malédiction mais bien sur ce n'était pas non plus entièrement vrai. La douleur était là, en lui et elle resterait sans doute jusqu'à la fin ou jusqu'à ce qu'il mette la main sur Dévoreuse. Ce qui ne risquait pas d'arriver tout de suite sauf heureux hasard puisqu'il ne pouvait tout simplement pas se permettre de courir derrière sa porteuse tant que les Alayiens étaient là pour lui casser les pieds. Comme la dragonnière prendrait-elle l'idée qu'il puisse avoir trouvé le moyen d'échapper à son châtiment ? Mal sans aucun doute... Et cela n'en était que plus intéressant. La promesse qui suivit lui tira une réplique presque immédiate :

" Ne fais pas de serment que tu regrettera, petite. "

Décidément les elfes avaient une fâcheuse tendance à faire des promesses à tort et à travers. Il détestait cela, le poids de ce genre de chose était bien trop important pour qu'on le prenne à la légère. Plus grave tout à coup, il lui décocha un regard lourd de sens. Il n'était jamais bon de lui faire ce genre de menaces. Toutefois ce regard se mua en une certaine curiosité lorsqu'elle parla de la nouvelle génération. Il n'ignorait pas son existence, comment l'aurait-il pu ? Mais il ne savait pas grand chose d'elle et s'en méfiait grandement. Des dragons adultes venus d'un autre continent hein ? Quoi de plus dangereux pour lui ? Ils avaient pour le moment eu la bonne idée de ne pas se mêler aux intrigues Armandéenne, mais cela durerait-il ? Et ne risquaient-ils pas de choisir le mauvais camp? Tout cela méritait une réflexion intense. Quand à ce qu'elle venait de dire il n'y croyait pas une seule seconde, qu'une même personne soit choisie deux fois par deux dragons différents serait une coïncidence si extraordinaire que cela frisait les frontières de l'impossible. Calmement, il haussa les épaules :

" Ce genre de chose ne s'est jamais vu de mémoire d'elfe ou même de vampire. A ta place elfe, je n'y compterai pas trop. "

Lassé tout à coup de ce petit jeu, il fit un pas en avant, se retrouvant ainsi à la toiser de toute sa hauteur, si proche que la chaleur surnaturelle de son corps ne pouvait qu'être ressentie par la dragonnière :

" Allons nous rester ainsi jusqu'à la fin des négociations ? Je crains que ce ne soit rapidement inconfortable, et pas pour moi... "

Tête penchée, il l'observa. Il n'avait pas l'intention de s'écarter pour laisser passer et encore moins de faire un détour...

Bien sûr qu'il avait dû trouver la moindre parade pour atténuer sa douleur. Normal pour un lâche de son genre. Ne pas assumer ses actes. Tuer un dragon ne suffisait pas, il n'en acceptait pas tous les aboutissants. Et ça ose s'appeler Prince. Assassin et lâche. Un instant, elle se demanda bien comment il put contourner ainsi la malédiction d'un dragon. Par quel subterfuge, quelle magie ? Mais Lyroë se garderait bien de le lui demander. Il n'était même pas sûr qu'il daigne lui répondre ou bien mentait-il, histoire d'induire en erreur la jeune femme.

« - Je vous fais très largement confiance pour ne pas assumer cette charge comme il se doit et ne pas faire face à vos actes. »

Que se soit dit ! Même si le ton était presque neutre à la limite du désolé. Quel petit joueur !!

Et des promesses, elle pouvait en faire, car elle n'avait pas pour habitude de ne pas les tenir. Point d'honneur pour l'archère. Alors d'un regard à peine hautain, le visage rempli d'une arrogance placée avec fierté,  qu'il en prenne acte ou pas, Lyroë ne la briserait pas pour autant.

Mais il avait raison sur un point. Il y a de nombreuses histoires concernant les dragons, des légendes aussi. Le retour des dragons sur le continent en serait une nouvelle. Une nouvelle histoire de ces dragonniers auprès de qui les dragons ont accordé leur confiance. Et Lyroë avait la chance d'avoir touché de près l'âme de deux dragons. Cymbor de façon fusionnelle et Estelen, encore lattant, mais sincère et profond. Et cela ça ne s'était encore jamais vu.
Et Lorenz Wintel pouvait penser ce qu'il voulait, elle resterait mystérieuse quand à son lien avec sa nouvelle amie. Celle là il n'y toucherait pas.

« - Les mémoires sont faites pour y ajouter de nouveaux faits. »

Ni plus ni moins. Après tout après qu'il imagine et pense ce qu'il veut, Lyroë en avait cure. Qu'il garde juste en tête qu'il avait tué son lié et que par ce simple geste, il était lié à elle maintenant. Et pour toujours. Lyroë n'aurait de repos avant de voir le vampire souffrir sous ses mains.

Lyroë ne bougea pas. Seule un sentiment de dégoût s'afficha clairement sur son visage pâle. Et la jeune femme ne chercha pas à en faire la moindre abstraction. Pourquoi essayer ? Lui mentir était inutile. Et des efforts, elle n'en ferait pas.

Elle écarta le bras et lui proposa de passer près d'elle, en ne bougeant pas. Après tout l'espace herbeux sur le côté pouvait lui servir de passage de fortune. Ou était la galanterie...

« - Je vous en prie mon Seigneur, je ne permettrai pas de faire perdre du temps à quelqu'un de votre stature. »

Mais s'il pouvait reculer un peu, les vampires n'étaient pas réputés pour sentir la rose, mais là la viande faisandée, rien de pire pour un elfe. Quand aux négociations, elle n'était pas sûre d'y perdre le plus, n'y participant pas officiellement. A la différence du noble prince. En même temps, ils étaient là face à un problème de taille. Jamais elle ne céderait et lui non plus. Merithyn viendrait-il jouer les arbitres ? Deux êtres aussi bornées que deux mules, fiers comme des paons, sur un chemin de terre. Heureusement que les protections baptisrelles étaient de mise.

Il y avait bien longtemps qu'il n'accordait plus la moindre importance à ce qu'on pouvait bien penser de lui, pour tout dire il n'en avait sans doute jamais accordé... Il n'accueillit donc la petite phrase méprisante de l'elfe qu'avec son habituel masque impassible, qu'elle pense donc ce qu'elle voulait lui n'était que satisfait de la façon dont il était parvenu à alléger le poids de la malédiction même si cela n'avait pas été réellement un acte volontaire et même si cela ne pouvait de toutes évidence pas suffire. Il lui faudrait trouver Dévoreuse à un moment ou à un autre si il voulait se débarrasser de ce problème, en attendant il profitait de la force gigantesque que le sang de dragon lui offrait et de la quasi impunité que lui offrait le double royal. Tout ceci ne serait sans doute pas de trop pour vaincre les Alayiens et finalement reprendre le fil de ses projets concernant les deux autres peuples.

Moyennement intéressé, il porta un regard empreint d'ennui sur son interlocutrice et haussa à demi les épaules. Elle n'avait pas tout à fait tort d'un côté sur le fait qu'une basse probabilité ne suffisait pas à rendre une chose impossible mais de là à y croire totalement... Les dragons étaient rarissimes, comment l'un d'eux pourrait-il choisir deux fois le même élu ? D'ailleurs il n'y avait pas eu de nouvelles éclosions depuis les six dernières, il y avait bien ces dragons sauvages dont il avait entendu parler mais ils étaient sauvages justement et il s'appuyait fermement sur ce fait pour se bercer de l'espoir qu'ils resteraient loin de toute l'agitation des bipèdes. Un espoir qui pouvait très bien être déçu par ailleurs mais jusque là cela n'avait pas été le cas et il avait bien assez de soucis pour ne pas aller s'inquiéter de l'éventuelle allégeance de créatures qu'il n'avait jusque là même pas aperçue. Il serait bien temps de s'inquiéter lorsque le danger serait réel et avéré.

Soudainement lassé de tout ceci, il sonda à nouveau la dragonnière de ses prunelles d'acier. Raide comme un piquet, elle ne semblait pas décidée à lui dégager le chemin comme il s'en était par ailleurs douté et il ne réprima pas le sourire narquois que cela lui inspira aussitôt. Croyait-elle gagner la manche en se plantant simplement là en plein milieu du sentier ? Bien sur ce petit bras de fer était des plus amusant et il aurait sans doute pu le faire durer encore un long moment, voir même pour l'éternité vu l'opiniâtreté dont elle semblait faire preuve mais il n'avait plus vraiment la motivation pour ce genre de petit jeu, aussi immortel qu'il puisse être le temps demeurait une donnée précieuse qu'il ne tenait pas tant que cela à gaspiller. Non sans ironie, il la salua donc d'une inclinaison de tête en s'écartant comme pour lui laisser le chemin :

"Je m'en voudrais moi-même de faire perdre son temps à une illustre dragonnière dusse-t-elle ne plus posséder de dragon. "

Sur cette dernière pique sanglante, il la contourna d'un pas assuré avant de s'éloigner non sans lancer par dessus son épaule :

"Puissions nous nous rencontrer à nouveau, en d'autres lieux et en d'autres temps. "

Sibyllin, son vœux résonna longtemps dans le silence du sanctuaire aussi empreint d'une glaciale courtoisie que d'une brûlante menace...