Les galeries supérieures du royaume prenaient une teinte plus claire, l'obscurité se faisait moins dense. L'air de la surface commençait à s'immiscer dans l'atmosphère lourde du sous-sol.
Althaïa ne faisait aucun effort pour dissimuler le bruit de ses pas. Le claquement des semelles métalliques se répercutait dans le long tunnel qui menait aux écuries des Ombres. Le vampire qui tenait les lieux figurait parmi les meilleurs cavaliers du peuple sombre. C'était aussi un être noir et retord qui tentait toujours de tirer profit de la situation. La Dame le connaissait de vue, il se rendait de temps à autre à l'Ygg-Chall pour présenter ses meilleurs produits aux vampires les plus fortunés.
En tant qu'habitante des profondeurs, Althaïa n'avait jamais prêté attention aux quadrupèdes que le petit vampire exposait. Aujourd'hui, les voyages dans les vastes plaines nécessitaient qu'elle revoit son point de vue.

L'endroit était presque désert. Seul le maître des lieux et un jeune palefrenier se tenait aux près d'une vingtaine d'animaux dont les yeux brillaient dans le noir. Tous originaires des marais vampiriques, garantie de leur puissance et de leur caractère sans pareille.
Althaïa s'avança droit sur le vendeur.
Il s'inclina bassement devant elle avec un sourire moitié avide, moitié inquiet. Le dominant de plusieurs têtes, Althaïa du se pencher en avant pour lui parler.
Elle cherchait un destrier. Un individu intelligent, rapide et rustique, adapté à sa taille. Le vampire joignit les mains devant son menton. Cela tombait fort à propos : sa récente chasse au marais lui avait permis de capturer et de dresser trois nouveaux chevaux sombres. Des produits exceptionnels qu'il désirait mettre entre de très bonnes mains, fussent-elles munies de griffes.
Althaïa resta silencieuse.
Il la mena au travers des stables, rudimentaires, jusqu'au box d'un grand destrier gris anthracite à la crinière de cendre. La vampiresse observa l'animal, qui tendit le museau vers elle avec un ronflement sonore. Le gant de métal se posa sur le nez du destrier, qui eut un léger mouvement de recul.
«Pas celui-ci. »
Le vampire fit la grimace, se détourna et l'emmena plus loin. Sa seconde proposition portait sur un cheval plus grand et plus large de dos, au regard mauvais. Lorsqu'Althaïa entra, il se tourna et coucha les oreilles. La Dame sonda le regard du destrier. Vif et alerte.  Mais hacun de ses muscles vibrait : une nervosité qui trahissait une instabilité émotionnelle. Son regard tomba sur l'un des tendon antérieur. Elle distingua une fine bande de poils plus clair : une cicatrice, témoin d'une ancienne blessure.
« Non. »
Le mot avait claqué comme un coup de fouet. Mauvaise augure pour les affaires. Le vampire commençait à montrer des signes de nervosité. Il traversa l'allée des box et ouvrit une nouvelle porte, s'effaçant devant son hôte.
La monture était d'un noir aux reflets cramoisis. Le regard pourpre était intelligent, l'animal semblait porter un certain intérêt à la présence étrangère. De nouveau, Althaïa détailla attentivement l'animal. Lorsqu'elle effleura son dos du revers de la main, il paniqua au contact du métal coupant. Elle dut l'immobiliser. Il était très résistant, mais ses membres courts laissaient supposer qu'il n'aurait pas la vélocité escomptée.
« Intéressant. Mais non. »
Et elle se détourna.
Le vampire serrait les poings, ses yeux cherchaient frénétiquement quelque chose. Althaïa en profita pour jeter un œil au travers des barreaux. Après quelques minutes, le vendeur revint vers elle en s'inclinant. Il avait une ultime proposition à lui faire.
Cette fois, le destrier enfermé manqua de se jeter sur elle. Elle l'arrêta d'un geste. Un souffle puissant accompagna le choc. Une jument.
Le vampire l'avait prévenue : ce cheval là n'était pas encore officiellement à la vente... parce qu'il n'était pas encore complètement débouré. Une vraie sauvage. Il fallait faire attention.
Les yeux froids de l'animal renvoyait un éclat dangereux. Althaïa sourit. Enfin un peu de volonté. Rapidité surprenante. La demoiselle avait le profil d'un cheval de course, ses sabots, bien formés et durs, causeraient de lourds dommages. Sale caractère, mais une ruse qui n'avait rien à envier à celle d'un renard.
La jument à la robe de nuit plaisait à Althaïa. Elle saurait s'en faire obéïr sans problème, même si le petit cavalier en doutait probablemment. Mais il n'aurait aucune considération morale du moment que le montant de la vente était réglé...
« Je vous la prends. »
Les épaules du vampire s'affaissèrent de soulagement. Le vendeur annonça son prix. Althaïa leva un sourcil. Bien plus élevé que prévu.
Le prix de base avait été multiplié par deux... la prenait-il pour une naïve ? Le maquinion allait tomber de son piédestal sur le champ et ramper plus bas que terre.
Ses doigts se replièrent doucement.
Elle n'eut pas à aller plus loin. La peur qu'elle lui inspirait désormais l'avait dissuader de marchander d'avantage. Le prix serait de trois-cent-cinquante pièces d'or, comme il devait en être. Ni plus, ni moins.
Althaïa fit apparaître la somme au creux de sa main gauche, alors que la droite s'emparaît de la bride de la jument récalcitrante. Le vampire s'empressa de récupérer son du et disparu au fond de l'allée. Mais Althaïa n'en avait pas terminé.
En sortant aux côtés de sa nouvelle monture, la vampiresse avisa une magnifique selle en cuir munie de sacoches enchantées.
Sa voix résonna à travers l'écurie et le vendeur n'eut d'autre choix que de revenir. Avancer en reculant paraît impossible, pourtant, c'est ce que le maître d'écurie tentait de faire. Althaïa désigna l'objet. Combien ?

« Je te nomme Tiahanloth, avait-elle dit à sa nouvelle compagne à quatre jambes, nous ferons de grandes choses ensembles. »
La jument avait frappé du sabot en signe d'assentiment.

Quelques dizaines de minutes plus tard, une silhouette fantômatique à l'aura noire s'élançait à pleine vitesse à travers l'immensité des plaines, libre comme la tempête furieuse.