Le tavernier soupirait. Il aurait souhaité fermé boutique depuis une ou deux heures déjà et il était tout seul depuis qu'il avait permis à son unique serveuse de retourner chez elle. Dans ce petit établissement miteux, à l'enseigne peu attirante qui portait le si doux nom de Au rat enjoué, il ne restait plus qu'un dernier client et qui n'était guère engageant à voir sa dégaine. Bon, au moins l'avantage était qu'il avait payé toutes les verres qu'il avait bu depuis le début de la soirée, mais là, le tavernier voudrait bien le mettre dehors pour dormir le peu d'heures qui restaient avant l'aube. A son âge faire des nuits blanches étaient difficiles à encaisser.

Terminant de ranger un dernier verre à la propreté incertaine, il jeta un bref regard à cet individu qui avait fini par poser sa tête sur le bras, s'improvisant de la table un recoin pour dormir. Vu ce qu'il avait bu, pas étonnant de finir par sombre. Il avait commandé quoi déjà... trois bouteilles d'hydromel, l'un des rares bons nectars qu'il arrivait à se procurer pour le vendre dans son trou perdu. La contre-bande avait parfois du bon, surtout quand un client comme celui-ci payait pour en boire autant. D'ailleurs se soûler à l'hydromel, il fallait vraiment apprécier ce vin de miel pour être comme là. Manquerait plus que ce client bizarre ronfle.

Il sortit de derrière son comptoir pour aller réveiller cet homme. Un instant, le tavernier stoppa ses pas. Il hésitait. Mine de rien, ce gars là lui inspirait une grosse trouille. Son visage balafré renforçait l'idée qu'il ne fallait pas le chercher et l'épée rangée à son fourreau qui pendait à sa ceinture n'était pas là pour épater la galerie.

Se tortillant les doigts quelques secondes, le brave tenancier prit son courage à deux mains et se rapprocha de l'individu, tendant juste assez le bras pour le toucher à l'épaule et le secouer gentiment.

''Me-messire ? Je vais vous demander de partir... je dois f..''

Il manqua de crier dans un son assez aigu quand une forte poigne se referma sur sa main audacieuse. Le guerrier se redressa à peine sur sa chaise et lui jetait un regard courroucé et fatigué.

''Il est dangereux de réveiller des hommes en arme, aubergiste... Tu veux aller dormir ? Et bien vas-y et laisse moi veux-tu. Tout ce que je demande est qu'on me fiche la paix... ''

La main de l'inconnu rejeta sa prise et reposa sa tête sur ses bras croisés. Le tavernier, les lèvres pincés, fut tenté d'insister. Mais il n'avait pas le coeur téméraire et se résigna à passer une nuit blanche... Au moins, celui-ci ne ferait pas de grabuge comme il était seul. Ce gars là avait tout l'air d'être un homme qui voulait noyer ses soucis dans l'ivrognerie...

Mais c'est que la femme du tavernier ne voyait pas les choses ainsi. Si on voulait rester dans leur taverne la nuit, cela se payait. Après tout, quand bien même ils ne faisaient pas auberge, tout avait un prix. Et si l'on souhaitait transformer leurs modestes bancs en lit improvisé, cela se payait aussi.

Oui, mais voilà, c'est que son couard de mari n'osait pas importuner davantage l'ivrogne armé. La lame le faisait trembler rien qu'à la voir de loin. Il en était moite de sueur et bafouillait en lui expliquant ce que le "messire" lui avait dit. Pouah, pourquoi avait-il fallu qu'elle soit femme et se marie à un homme si fat ? Pourquoi fallait-il qu'elle porte la culotte sans avoir la force et la rudesse de faire face à ces ivrognes qui sans cesse les malmenaient par leur effronterie ? Non, vraiment, le sort était injuste, mesquin et aimait bien trop s'amuser d'eux. A deux doigts de cracher sa verve acide sur son poltron d'époux, elle préféra tourner talons, et aller quérir de l'aide ailleurs.

Et qu'importait alors les couinements effrayés de son mari. Elle en avait marre. Que cet ivrogne paye la nuit ou aille gouter les geôles de Vraorg, songea-t-elle.... alpaguant la première âme armée qu'elle trouva et qui semblait enfin capable de leur rendre justice.

Enfin âme.... Cela était sans doute bien vite dit, songea-t-elle en réalisant soudain à qui elle s'adressait. Mais déjà la voix basse et profonde du Sombre Garde lui demandait de s'expliquer au plus vite pour l'avoir dérangé ainsi lors de sa ronde.... Bafouillant à son tour, imitant l'irritante manie de son mari, triturant le torchon qui lui servait de robe, elle parvint enfin à émettre quelques propos cohérents et à expliquer ses tourments. Doutant, au fond d'elle, que l'âme noire en face d'elle daigne s'occuper de pareilles affaires.

Espérant même que ce ténébreux vampire, si effrayant avec ses cicatrices, si troublant aussi avec ses yeux pâles, doté d'une telle prestance, d'un tel charisme toutefois, avec ses traits altiers, son port digne, et ses oreilles pointues à peine cachées par ses longs cheveux pâles... espérant donc que ce ténébreux vampire refuse finalement sa requête. Un sombre garde et un vampire venir régler quelque injustice pour eux ? Cela ne se pouvait. Et cela pouvait s'avérer finalement bien plus dangereux. Pire... Injustice pouvait s'envenimer et ils risquaient de tout perdre s'il découvrait...

Mais l'âme noire déjà acceptait. Au grand dépit de la femme et à son grand effroi. Elle n'eut d'autre choix alors que de guider le Sombre Garde jusqu'à sa modeste taverne, dans un étrange silence mortellement froid.


Qu'est-ce qui l'avait poussé à accepter ainsi pareille mission inepte ? Pourquoi acceptait-il de prêter mains fortes à ces misérables humains loqueteux ? Peut-être parce qu'il s'ennuyait... Peut-être parce qu'il ressentait soudain un besoin ardent de se défouler, de trouver quelque exutoire à la tension latente qui le rongeait. Il se sentait frustré de son récent échec. Frustré, oui, de n'avoir pu tenir plus d'une semaine sans boire de ce sang infecte qu'on leur offrait. Il essayait de s'entrainer à museler l'ombre en lui qui chaque jour réclamait son dû et criait sa soif affamée. Il essayait de museler ses instincts meurtriers et dévastateurs qui menaçaient de le pousser sans cesse à vile bestialité, cette bestialité que son millénaire de Père lui avait dit vouloir repousser. Il essayait... d'être digne justement des rares enseignements de son aimé, qu'il puisse un jour se trouver face à face avec lui et lui dire qu'il avait réussi. Lui dire que, lui, pourtant jeune vampire, savait se maitriser.

Mais maitrise n'était pas encore là, pas tout à fait. S'il parvenait à tenir quelques jours, c'était au prix de grands efforts, et surtout les jours ne se comptaient pas encore en semaines, comme il aurait tant aimé. Mais il ne désespérait pas. Même s'il avait cédé à ses pulsions la veille, et s'était rassasié de sang tel un affamé désespéré, il était bien déterminé à poursuivre ses efforts, encore et encore...

Toujours était-il qu'il se trouvait frustré de pareil échec. Et qu'il avait un besoin urgent de décharger sa colère, sa frustration, et tous ces fourbes sentiments amers qui le rongeaient, sur quelque chose ou quelqu'un. Et, alors qu'il revenait de mission et songeait à regagner les quartiers des Sombres Gardes, on avait osé l'alpaguer... lui offrant là, peut-être, l'occasion en or dont il rêvait. Il avait, étonnamment, de suite accepté.

Non par altruisme, comme aurait pu le penser ces détestables humains si agaçants. Mais par pu égoïsme. Par un brin de curiosité aussi, se demandant à quoi ressemblait le boui-boui de cette miséreuse, et par un brin d'amusement aussi. Il avait envie de jouer... tel le chat s'étant trouvé une nouvelle souris. Puis, si la tenancière n'avait rien de joli, son air fourbe et fuyant semblait cacher quelques secrets...

C'est ainsi qu'Eliowir entra dans la taverne, de son pas faussement nonchalant, sa haute posture s'encadrant soudain dans la porte alors qu'il toisait de tout son dédain le tavernier blémissant... et l'ivrogne sur la table agonisant.

- On m'a dit que vous rencontriez quelques soucis avec un sombre malandrin, fit-il de sa voix grave.

Il observa rapidement les alentours, de ses yeux morts, maudissant quelque peu les images floutées, tronquées, que lui offrait toujours le diadème. Surtout en tel endroit qu'il ne connaissait pas du tout. Il nota toutefois les différents accès, évaluant toutes les possibilités de fuite qui s'offraient audit malandrin. Il n'était pas question que sa souris lui échappe. Qu'il soit un chat aveugle ou non n'y changeait rien...

Puis, s'avançant rapidement, d'un pas souple et félin, vers l'ivrogne, il dégaina une de ses lances, sa fidèle Yaajissim, et en abattit la pointe vers la table.

- Est-ce donc là l'ivrogne dont vous m'avez parlé, en ces lieux devenu inopportun ?

Le claquement de la pointe fut si soudain et si percutant, que cela réveilla par surprise l'Alayien qui s'était rendormi dans un sommeil qu'on pouvait dire de profond. Car il n'avait pas entendu la porte de la taverne s'ouvrir et se refermer au passage des gens. Donc pris de cours, il s'était éveillé en sursaut et là il avait cru bondir pour sortir son épée par réflexe, il se prit le bas de sa jambe dans la siège qui s'était reculé en même temps qu'il avait tenté de s'en lever. Le résultat n'en fut pas moins comique. Et il tomba de tout son long. Au moins cela renforçait l'image d'un humain qui avait décidément trop bu. Pourtant, pas tant que cela quand on regardait bien.

Alauwyr avait bu les trois bouteilles en effet, mais longuement sur plusieurs heures. La fatigue avait fait le reste. D'ordinaire, il ne se laissait pas aller à la boisson comme ça. Ce n'était pas dans ses habitudes. Mais à de rares occasions, comme cela se produisait chez les hommes, même de sa trempe, un coup de déprime appelait à la noyer en bonne et dûe forme, ce qu'il avait fait là et éreinté comme il était à ce moment là.

Il se redressa péniblement, une main portée à sa tête après qu'elle se soit cognée par terre. Grognant contre l'étourdissement, il manqua d'insulter le propriétaire des bottes qu'il aperçut en premier avant de se mettre totalement debout. Son regard encore embrumé de sa fatigue sourcilla quand ses yeux se posèrent sur le responsable de son réveil brutal.

''Par le Néant...''

Il avait bien besoin qu'un vampire viennent l'enquiquiner maintenant. Il jeta un regard lourd de sens et de reproche au tavernier, ne doutant guère de sa couardise et du secours qu'il avait dû aller requérir hors de son établissement. Et il a fallu que ce soit un vampire. Et celui-ci ne paraissait pas comment à la prestance froide qu'il dégageait. En clair qui n'invitait pas à faire le malin. L'Alayien se rappela amèrement qu'elle était sa place vis à vis de la majorité des vampires qui servaient Vraog. En comparaison, les vampires étaient comme des hauts dignitaires et les humains du menu fretin.

''Même dans une taverne de piètre qualité on ne peut espérer rester dans la sérénité. ''

Il passa une main sur son visage, déjà las d'être éveillé. Même si la nervosité enflait dans son esprit, il ne tenait pas à s'écraser devant ce vampire. Par contre, il devra éviter de jouer l'arrogant devant lui. Le vampire aura toute autorité sur lui pour le jeter en prison et il ne tenait pas réellement à se retrouver enfermer. Pour une fois qu'il aurait pu avoir une nuit paisible... et bien non !

''Que voulez-vous Nocturne ? Je doute que vous cherchez un compagnon de soirée avec qui boire une bière. Personnellement, je ne serai pas à votre goût si c'est de la boisson sanguine que vous cherchez...''

Il ravala à peine un regard glacial jeté envers Eliowyr. Fichus suceurs de sang ! Il fut tenté de reposer son séant sur la chaise. Mais par précaution, même si l'envie de se rendormir pour terminer de dessoûler en paix était tentante, il resta debout, sa main disposée non loin de sa ceinture où pendait le fourreau de son épée. On n'était jamais trop prudent, même au sein de Gloria la dépravée.

A observer le vampire, il crut comprendre que ce dernier avait été un Elfe avant de devenir vampire, on le voyait à la finesse de ses traits et surtout à ses oreilles à la forme si caractéristiques. Quelques cicatrices parsemaient la peau blafarde et même s'il paraissait bien svelte, il avait tout du port d'un combattant expérimenté. La lance n'était pas pas un banal joujou d'apparat. Non, ce vampire n'était pas n'importe qui. Quelle chance ou quelle déveine, on déplaçait un vampire, pour un Alayien tel que lui Alauwyr ne se rappelait pas avoir une telle importance dans le coin ou alors... Le tavernier ou un de ses proches avait réussi à convaincre cette sangsue de se rameuter ici... Un rictus dépité marqua alors son visage couturé. Non, la soirée ne se terminera pas tranquillement. Et comme l'alcool courait encore un peu dans ses veines, il pouvait s'avérer difficile de garder sa langue dans sa poche

''Si vous êtes là pour enquiquiner un humain, allez en cherchez dehors, ce n'est pas ce qui vous manquera....''

Si ces derniers mots, il releva sa chaise, dans la ferme attention de s'y rasseoir.

Un ivrogne, oui, en effet. Tout ce qui semblait le plus ivrogne, songea Eliowir en entendant un tumulte d'enfer et en voyant l'autre s'étaler par terre, quasi à ses pieds. Se prosternait-on soudain à ses pieds tant il faisait peur ? A cette pensée, un léger ricanement lui échappa tandis qu'il suivait doucement mais sûrement de la pointe de sa lance l'homme à terre.

''Par le Néant...''

Tiens, tiens, un ancien adepte fanatique de Néant... Voilà donc qui était soudain des plus intéressants, songea-t-il, sans se départir de son air moqueur et de son air assuré.

Le jeune vampire écouta d'une oreille distraite le babillement de l'humain, notant tous les détails, le peu de détails, que lui transmettaient son diadème. Aussi maigres soient-ils, il nota toutefois la main qui semblait prête à dégainer à tout instant. Et la rapière qui pendait à la ceinture à son côté. Un guerrier, une combattant. Un alayien, tout était dit en fait. Et celui-là ne semblait guère avoir perdu de ses anciens réflexes. Bien, bien... peut-être pourrait-il jouer. Qu'il ne soit pas venu en vain, après tout...

Un sourire carnassier vint remplacer la moue moqueuse qui jusque-là étirait ses traits, faisant ressortir et ses balafres et ses crocs bien aiguisés. Non pas qu'il ait véritablement faim... Non, pas, pas tant que ca du moins. Mais il avait soudain l'envie de ne plus se contraindre, de ne pas résister au doux chant de tambour qui l'appelait là, juste devant lui. Oui, si douce harmonie qui de son leitmotiv menaçait de l'enivrer... Quelle teinte carmine aurait ce savoureux nectar alors d'alcool imbibé ? Voilà une expérience qu'il serait sans doute cruel de manquer... n'est-il pas ?

Mais déjà l'autre s'avisait, arrogant prétentieux humain, de se rasseoir. D'un geste vif, étonnamment précis pour un soi-disant aveugle, Eliowir esquissa une fine courbe de sa lance, qui vint brutalement heurter les pieds de chaise à peine posés à terre. Et fit valdinguer l'objet de bois qui vint presque se fracasser contre un mur non loin.

- J'"enquiquinerai" qui me plaira là où il me plaira, vil vermisseau d'humain, fit-il alors bien sombrement. Et si à sérénité vous teniez tant, vous auriez été fort inspiré de ne pas jouer les petits malins.

Il s'approcha alors à pas de félins, vers sa proie de la nuit, son sourire féroce ne le quittant pas, sa lance toujours devant lui...

- Quant à goûter votre délicieux nectar... Laissez-moi juger des envies qui peuvent me titiller....

Il releva sa lame de lance et vint la pointer sur l'humain, toujours avançant, forçant ainsi l'autre à reculer. Doucement, insidieusement, à petits pas. Près à continuer ainsi jusqu'à ce qu'un mur force l'autre à s'arrêter... et que sa belle Yaajissim menace de le transpercer.

- Je dois avouer n'avoir encore jamais goûté de sang ainsi inhibé. Ce serait là une première pour moi. M'offririez-vous alors cette petite joie ? Ou devrais-je user de ce dard ?

Et se disant, il releva son autre main... révélant la griffe abyssale qui y trônait fièrement, prête à l'usage. Notons d'ailleurs qu'il ne menaçait nullement de le mordre, pas réellement... pas encore... Il n'avait nulle envie de planter ses crocs dans cette chère infecte qui avait pu être souillée par Néant il fut un temps. Non, vraiment. Déjà y goûter le sang...

Un léger frisson le parcourut au souvenir du sang noir, qui lui a valu d'être transformé en vampire aveugle... Maudit alayien, maudit Néant et maudit serviteur noir....

Alauwyr manqua de sortir son épée du fourreau sous l'action vive et violente du vampire. Au moins à être secoué comme cela lui permit de prêter plus attention à ce que portait le vampire. Un diadème... voilà qui n'était pas courant pour ces sangsues à deux pattes. Un usage magique sans nul doute. Il grimaça à quand à l'usage que ce Dent-Longue pourrait en faire. Mais la question ne se posa pas plus loin, car la menace de la pointe acérée de l'arme d'Eliowyr, après que ce dernier se soit rapproché de lui avec la grâce d'un félin malveillant qui jouait avec sa proie, le contraignait à reculer. Une pointe au tranchant acéré et qui pourrait très aisément le transpercer. Il sentit parfaitement la pression aiguisée et mortelle de ce danger piquant. Car avec un malin plaisir, le vampire le pressait contre lui.

L'Alayien aurait pu résister, mais ses chances face à un vampire étaient plus que moindres. Et se rebeller contre un vampire était se rebeller contre Vraorg. Il ne put que reculer, tout en écoutant les paroles narquoises et prédatrices d'Eliowir, qui affichait tout autant son dédain, son air hautain et son plaisir de jouer avec sa petite proie humaine. Alauwyr lui ne le quittait pas des yeux, le toisant en silence, jusqu'à ce que son dos percute le mur. Voilà qu'il était acculé. Il grimaça. Les humains qui servaient Vraorg restaient que du consommable. Rien pour eux et touts pour les vampires. S'il n'avait pas autant bu, peut-être qu'il raisonnerait autrement. Plusieurs voix auraient été possibles avec un esprit sobre. Mais là... D'un rictus dédaigneux, il répondit à Eliowyr. Il aurait de quoi trembler devant l'issue probable de cette situation. Il n'était rien pour la Théocratie, donc sacrifiable pour le seul plaisir d'un vampire en manque de jouet...

''Vous avez une drôle de manière de demander. Soit je me plie sous la menace, soit je me fais étriper pour que vous ayez satisfaction. Quelle ironie...''

Ce fut à son tour de sourire, de façon sarcastique.

''Les vampires ont toujours de ''bons'' prétextes pour répondre à une vaine menace. Un humain juste un poil bravache et vous prenez la mouche. C'est tellement dans votre supériorité n'est ce pas ? Alors comme j'ai commencé à faire le malin, autant que je continue non ? Ce sera plus drôle. ''

Et oui, l'alcool ne pousse pas à rester sage, à réfléchir posément. Même la menace de la pointe ne l'invitait pas à tenir sa langue. Les boissons alcoolisées avaient tendance à les délier plutôt.

Il avait jeté un regard sur le dard qu'Eliowir avait levé. Ce vampire était bien équipé, il devait l'avouer. Donc il n'était pas du tout tomber sur un vampire de basse extraction. Quelle guigne. Plus un vampire montait haut dans la hiérarchie et plus il lui prenait des goûts de luxe. Etonnant qu'il s'en prenne à lui... Celui devait grandement s'ennuyer pour vouloir jouer.

''Il est vrai qu'à boire du sang, vous ne savez apprécier rien d'autres d'agréable. Quelle frustration cela doit-être quand dans vos souvenirs les plus lointains, quand vous respiriez et viviez, vous vous rappelez de la saveur d'un bon vin. Pas de chance que devoir se rabattre sur du vil bétail humain. N'est ce pas Nocturne. ''

Il savait qu'il devait la fermer. Ne rien rajouter de plus. Mais qu'avait-il à perdre réellement ? Là maintenant, ce soir ? Quand il s'enivrait, c'était pour noyer la déprime qui s'écoulait dans son sang. Il avait horreur de se sentir affaibli par ce genre de ressenti et ce soir, il avait gagné à en abuser. De toute façon, ce n'était pas en trois années qu'on changeait sa vision sur les vampires. Alayien qu'il était, ils avaient toujours été considéré comme la lie de l'humanité, à occire sans discuter. Et maintenant, devoir les tolérer n'était guère aisé. Ses yeux sombres se reposèrent sur le dard.

''La pointe de votre lance ou votre dard pour faire couler mon sang. Quelle originalité... Je vois que vous avez vos crocs. Une petite douleur dentaire vous empêche peut-être de me mordre. Pardonnez moi si je ne compatis pas à votre peine. ''

Il souriait toujours, avec ce même dédain que tout à l'heure.

''Pour avoir l'expérience d'un sang enivré, trouvez-vous une petite noble. Ce sera sans doute plus goûté et plus raffiné que mon sang d'Alayien.''

Et sans permission, il porta sa main sur la hampe qui soutenait la pointe, avec la ferme attention de l'écarter. Assez de discutailler avec cette sangsue.

Oui, effectivement sa demande n'était pas forcément une demande en bonnes et dues formes... telles que l'aurait attendu un humain du moins. Chez les vampires, avait-il appris, il n'y avait pas de bonnes et dues formes qui tenaient. Pas réellement. Pas pour la grande majorité d'entre eux. Etait-il étonnant alors que l'un d'eux présentât de telles manières osées ? Non, pas vraiment. Etait-il étonnant toutefois que le fils d'Achroma présentât de telles manières déplacées ? Oui, malheureusement oui. Il se montrait, en cet instant, indigne de ce que son millénaire aurait voulu lui inculquer s'il avait été là.

- Je ne me nomme pas Nocturne, misérable créature à l'insolence éhontée, répondit-il d'une voix faussement soyeuse où le grondement sourd qui faisait rouler les mots au fond de sa gorge n'était nullement le ronron de son ancien lion. Mon nom est Eliowir Serillëiel, et vous seriez inspiré de vous en rappeler. Quant à mes crocs...

Il les découvrit en un léger rictus moqueur, tout en passant une langue dessus, en un geste de nonchalante gourmandise.

- De les souiller avec vous, je n'ai nulle envie. Il ne leur sied pas de se planter dans votre peau impie.

Car oui, se faire mordre par lui se méritait, avait-il décidé il y a peu. Quand il s'était également décidé à se restreindre et se forcer à tenir le jeûn du sang plusieurs jours durant...

Mais déjà l'autre s'était emparé de sa lance. Sa main, à lui, ce vil humain, pire même ce vil alayien, sur SA lance, sa si belle et si majestueuses Yaajissim... Il la souillait aussi par ce geste honni ! Eliowir toutefois ne prêta à ce geste qu'une maigre résistance. Tout juste de quoi permettre à l'humain d'écarter cette menace directe, sans toutefois pouvoir repousser totalement la lame loin de son champs. Jusqu'à ce que...

Jusqu'à ce que, agacé, le jeune vampire esquisse un geste rapide et d'un mouvement ample dégage son arme... pour mieux en faire dériver la lame sur le bras qui avait osé ainsi l'écarter. Oh ce n'était guère un coup violent. Juste une petite estafilade, un petite éraflure presque, même si une éraflure de lance ne devait pas faire du bien. Du sang perla, et souilla d'ailleurs le bel acier. Du sang qui attisa soudain les sens délicats du jeune vampire.

Des sens qui alors enivrés par ce doux appel se focalisèrent sur ce nectar carmin qui s'offrait à lui. Obnubilé par cette capiteuse saveur qui faisait vibrer ses papilles, il s'avança doucement vers l'humain... Un pas. Juste un pas. Et il s'arrêta. Comme stoppé par une barrière invisible qui soudain l'empêchait d'atteindre ce petit torrent pourpre qui formait un fin filet sur sa lame. Et cette barrière n'était nulle autre que ces mêmes sens qui s'attisaient, s'enivraient, vibraient de mille feux et mille envies... Ces même sens qui soudain sentaient une palpitante odeur dans tout ce flot de saveurs. L'alcool, réalisa-t-il abruptement. L'alcool... qui devait déliter ce sang... ou qui peut-être lui donnait un petit goût liquoreuse ? Tout comme elle lui offrait un tout autre bouquet de senteurs ?

Une vive curiosité agita alors le jeune vampire, occultant en un instant la soudaine soif qui s'était emparé de lui. Oui, curiosité... celle de savoir quel goût cela aurait, quelle saveur, quel...

Un autre pas. Et de nouveau il s'arrêta, alors que son regard brumeux se posait enfin, de nouveau, sur l'humain lui faisant face. Non, il n'allait certes pas le mordre, décida-t-il en un effort de volonté. Il avait dit ne pas vouloir souiller ses crocs dans ces chairs alayiennes... Il n'allait quand même pas se parjurer poussé par une vile soif animale... Non, cela serait indigne de la noble lignée millénaire dont il était issu. Indigne, impropre et vile. Et, se forçant à une sérénité, qu'il était bien loin de ressentir, il approcha sa lame de son visage, en respira les flagrances métalliques, du fer et du sang, qui le grisèrent... et en lécha le sang qui la maculait. Hum... Pas mauvais. Il y avait un petit quelque chose... qui rendait ce sang presque... hum... exotique... Pour un peu il en redemanderait presque...

Dommage que cet humain semblât bien peu disposé à lui fournir de quoi satisfaire sa soudaine gourmandise. Dommage aussi qu'il soit le fils d'Achroma et que ce seul fait lui interdisât toute bestiale sauvagerie... Vraiment dommage. Lâchant alors un lourd soupir, quelque peu dépité en son sombre coeur, il sentit un agacement et une certaine colère se mêler à ce déferlement de sensations.

Et, attrapant vivement un bras de l'humain, il l'entraina à sa suite, alors qu'il commençait déjà à parcourir la salle, ouvrant une porte, puis une autre, à la recherche...

Percutant un banc qu'il n'avait pas vu, aveugle qu'il était, et qu'il maudit de tous les noms en un murmure sombre, tandis qu'il le brisait de sa lance... espérant que cette maudite rencontre ne révélât pas son véritable état, son délétère handicap...

A la recherche...

- Puisque vous sembliez tant vouloir vous enivrer, venez...

A la recherche...

Un tabouret valsa sur son chemin, quand il dépassa le petit bar qui semblait former comme une barrière intangible entre la partie client et la partie privée.

A la recherche...

- Vous qui vouliez tant perdre vos sens dans ces boissons alcoolisées...

A la recherche....

Il fit taire d'un simple geste le tavernier qui, bredouillant, s'apprêtait à vouloir protester.

Ah voilà qu'il avait trouvé ! Et tout son corps révélant cette soudaine joie, cette sorte de triomphe, il poussa durement l'humain au centre de la pièce. Au milieu de tonneau et barriques qui, comme l'odeur le lui indiquait, se révélaient être la réserve du tavernier en douce liqueur et autre savant alcool...

Savant alcool de contrebande réalisa-t-il soudain, quand son diadème lui renvoya l'image d'un symbole sur un tonneau. Un symbole qu'il avait appris à connaître... le symbole utilisé par certains contrebandiers pour désigner certains objets comme leur appartenant pour les faire passer certains controles, après maintes corruptions bien entendu. Un sigle de reconnaissance qui permettaient alors aux marchandises de passer certaines frontières sous le regard de connivence de certains gardes... Oui, il connaissait bien ce sigle. Même si lui-même ne se prêtait nullement à ce genre de corruption, on avait bien essayé...

- Mais que remarquons-nous là, sacripan de tavernier... Ne serait-ce donc pas quelque liqueur de contrebandier ?

Et c'est d'un rictus goguenard qu'il s'approcha du tonneau... et le transperça sans l'ombre d'un remord de sa lance...

- Tenez, fier alayien, de quoi noyer vote peine et votre douleur, ou que sais-je encore, dans cette suave et merveilleuse liqueur...

Alauwyr avait du touché une corde sensible quand à l'égo du dénommé Eliowyr Serillëil ; ainsi que le vampire se présenta. Il aurait pu en ricaner, mais d'avoir oser toucher la lance de celui-ci lui valut un estafilade au bras qui avait touché cette arme. Au moins, l'Alayien découvrit aisément le fil très tranchant, à la limite du parfait de la lame de la lance. Il grimaça sous la douleur fine et quelques gouttes de sang s'échappèrent déjà. Et déjà, sans doute à cause de l'odeur du sang, le vampire fit un pas vers lui, un seul pas. Même si Alauwyr avait déjà croisé le fer avec des vampires, cela ne lui empêcha pas de sentir une sueur froide couler au milieu de son dos, entre le bras des deux omoplates. Sensation désagréable et perturbante, car il savait que son esprit redoutait l'approche de ce suceur de sang. Seul l'alcool le poussait à l'audace. Mais ce n'était pas pour autant qu'il laissa la crainte envahir ses membres et il ne détourna pas les yeux de l'approche d'Eliowir.

Celui-ci semblait attirer par l'odeur du sang humain. Il fit un pas en avant supplémentaire. Alauwyr se crispa, se demandant s'il devait se préparer à se défendre ou pas. Un coup de poing n'aurait pas l'efficacité comme sur un vivant mais au moins pourrait-il gagner un peu de temps pour échapper à cet être. Il n'en fit rien néanmoins. Même l'esprit embrumé, il avait conscience que cela ne servirait à rien si ce n'était de s'enfoncer plus dans la mouise. A voir la tête de ce vampire, ce dernier apparaissait tenter à vouloir goûter son fluide vital. Au lieu de le mordre, il porta à ses lèvres le tranchant d'où s'écoulait encore le fin filet du sang d'Iskuvar. A voir la scène, l'Alayien fit une moue écœurée. Il paraissait si serein à cet acte qu'on pourrait classifier.... Alauwyr ne trouva pas de mot pour le définir. Et à voir comment les émotions défilaient sur le visage de la sangsue à deux jambes....et c'était quoi ce soupir ? Qu'est ce qu'il voulait ce nocturne à la fin ?

Sans permission -pourquoi un vampire la demanderait à un humain ? -, il attrapa le bras d'Alauwyr et le mena avec lui, l’entraînant dans son sillage. L'Alayien aurait pu se débattre, mais au lieu de cela, il fut un peu stupéfait de voir que le vampire paraissait erratique dans son déplacement. Il était perdu ? On pourrait dire qu'il était encore plus ivre encore que ne l'était l'humain. Surtout quand il percuta un banc, puis après un tabouret. Les deux objets subirent son courroux.

''Qu'est ce que vous voulez à la fin ! Faudrait vous décider ! ''

A entendre le tavernier qui s'apprêtait à ouvrir la bouche et que le vampire fit terre d'un geste, Alauwyr essaya de réfléchir. L'alcool embrumait toujours son esprit. Et ce fut encore plus difficile quand il fut pousser dans une pièce, d'où Eliowir avait jeté son dévolu. Alauwyr manqua de se fracasser la tête sur le sol en trébuchant. Il se rattrapa avec difficulté sur les tonneaux présents, tout en maudissant intérieurement le vampire de ce geste et de sa sale arrogance. Et pendant qu'il se redressa tant bien que mal, le vampire susurrait dans un ton presque de malice une remarque au tavernier. De la contrebande ? Qu'est ce que lui, Alauwyr Iskuvar en avait à faire ? Il comprit rapidement où Eliowyr voulait en venir quand il éclata un tonneau pour le libérer de son couvercle et dévoiler son nectar alcoolisé.

''Faudrait savoir ce que vous désirez à la longue. D'un côté vous avez soif de sang et de l'autre vous geignez que je ne serai que souillure à vos crocs. Au final vous vous délectez de mon sang après m'avoir écharpé du tranchant de votre lance. Ma peau si impur ne vous empêche pas de vous délecter de mon fluide sanguin, Sieur Nocturne Serillëiel !''

Il cracha presque avec médisance sur le surnom qu'il apportait et il finit par attraper deux petites chopes qui servaient à prélever la boisson pour la tester à l'ouverture du tonneau. Il les remplit dans aucune délicatesse aucune et les déposa sur ce qui restait du couvercle du pauvre tonneau. Il ricana. Au point où il était, pourquoi ne pas continuer à se moquer de ce vampire ?

''Vous m'offrez la boisson maintenant ? C'est trop gentil de votre part, trop aimable même. Je présume que mon sang alcoolisé manquait un peu de dose de jus fermenté ? Où alors c'est pour vous rappelez une époque révolue où vous pouviez encore savourer ce nectar ? A voir comment vous percutiez ce banc et ce tabouret, on pourrait penser que c'était vous l'ivrogne. Avez-vous trop bu ou est-ce autre chose ? Allez, osez prendre ce verre, ça ne vous coûtera rien Nocture... et laissez ce pauvre hère de tavernier, sauf si c’est dans vos habitudes de vous en prendre à tout le monde de vivant....Peut-être que c'est lié à une certaine frustration d'être un mort et non plus un vivant non ? ''

Il afficha un sourire plus que médisant encore... hautain et arrogant. L'alcool avait décidément de mauvais effets et il le savait en plus, c'était là le pire. Il saisit vivement sa dague en main et porta le tranchant sur l'estafilade qu'Eliowir lui avait offert.

''Allez je suis généreux, je vous assaisonne votre verre de mon sang.... Histoire que vous ne deveniez pas agressif à cause de votre faim inassouvie...'

Et il ricana à nouveau, laissant son sang goutter dans le verre.

Mécréant d'humain qui osait ainsi se moquer ! Se moquer d'un Sombre Garde, d'un vampire qui plus est ! Eliowir sentit soudain une vive envie d'arracher la langue à ce vaurien. D'ôter tout sourire sardonique, toute grimace cynique, à ce maudit alayien.

Oh non, il ne souhaitait pas souiller ses crocs par ces chairs impures. Mais le sang... Le sang, aussi impur soit-il aussi, restait ce nectar de douce luxure. Ce n'était pas là encore ce sang noir avili par la puissance de Néant. Pas comme ce sang qui l'avait rendu aveugle en un éternel tourment. Non, pas encore, le pensait-il du moins. C'était un sang tout ce qu'il y avait de plus humain. Donc de plus gouteux, de plus suave et savoureux. Un sang dont il ne se priverait pas bien longtemps, si l'autre continuait ainsi sur ces dangereux sentiers...

Mais non, il ne devait pas céder. Pas encore, pas si vite, pas devant ce sombre sbire... Ce serait là donner victoire à ce vil être ivre d'ire. Non, il devait se maitriser, et ses sens controler... Et se disant, il se redressa en un maintien des plus hautains, dédaignant l'autre de sa haute stature, le toisant de son regard opalescent, sa lance toujours en main. Tout dans son port altier offrait à l'autre les mots qu'il préférait ne pas proférer. "Je vous honnis, vous vil humain si avili, je vous abjecte, vous et tout votre être."

Il l'observa ainsi, à travers les images floutées qui lui étaient accordées, dans un silence pesant, mais qui en disait long sur le sort qu'il ruminait pour cet ivrogne malfaisant. Il l'observa, sans broncher, servir, leur servir, réalisa-t-il, la colère montant alors en lui, deux chopes de cet élixir enflammé.

S'empêchant, autant que faire ce pouvait du moins, de rougir furieusement à l'allusion de sa démarche... vacillante, hésitante, percutant tout objet qu'il n'avait pas vu. Aveugle qu'il était. Il ne sut alors s'il valait mieux que l'autre devine l'infirme qu'il était, ou s'il valait mieux qu'on le croit ivre, d'une façon bien peu digne d'un vampire...

S'empêchant aussi de s'enivrer à la simple odeur du sang qui soudain coulait. Goutte à goutte certes, mais... Mmh, petit torrent de sang qui soudain s'offrait. Qui, là, devant lui, ses sens enfiévrait. Il tenta de controler l'attirance brutale et sauvage qu'il ressentait, il tenta de résister à ce sombre appel que le carmin pour lui criait. Il tenta... réellement tenta... mais faible qu'il était, l'ivresse l'emporta. Fermant les yeux, il inspira profondément ces douces effluves âpres et épicées, crocs légèrement saillants sur ses lèvres entrouvertes violacées et balafrées, presque salivant de venin empressé... Ecoutant ce lent et psalmodiant tambour battant qui l'ensorcelait... Oh oui, faim il avait. Comme personne, ou si peu, pouvait s'imaginer.

Et, incapable de résister plus longuement, il se jeta presque sur sa proie. L’agrippa rudement par la nuque, la lui tordant presque pour mieux tendre le cou, et s'apprêtant déjà à... à... Ses crocs n'étaient plus qu'à quelques millimètres à peine de la peau rugueuse de l'homme, quand... il réalisa. Il se figea aussi vivement qu'il s'était rué sur son prometteur repas. Quel était ce qui l'avait arrêté ? Quel était cette soudaine prise de conscience qui le retenait ? Il ne sut le dire précisément. Etait-ce le cri de la femme derrière eux ? Etait-ce le bruit d'une des chopes se brisant durement sur le sol poisseux ? Etait-ce l'odeur de peur qui soudain suintait tout autour de lui ? Etait-ce l'ivresse de l'homme qu'il tenait qui empestait ses sens et ravivait ses esprits ? Il n'aurait su. Et n'en avait que faire, finalement.

Tout aussi vivement qu'il s'était avancé, il s'écarta, repoussant rudement l'homme qu'il tenait, et mit quelque distance entre eux, honteux, mortifié, de s'être laissé ainsi aller à sa bestialité. Mais... mais faim, envie, toujours le tenaillait. Et ces sanglots, qui, tout proches, là, à quelques pas de lui, son esprit telle une enclume martelaient... Qu'ils se taisent, qu'ils cessent, maintenant... ou à jamais ! Et, n'y tenant plus, l'obscure bête en lui revendiquant ses pleins droits, c'est sur la femme qu'il se rua. Mais cette fois, il ne se retint pas. Ses crocs transpercèrent la fine chair, et enfin, dans un profond soupir, se délectèrent. Jaillirent soudain des cris, des pleurs, des suppliques, piètres prières. Des mots sans aucun sens qui se bousculaient, et qui surtout l'empêchaient de savourer ce nectar aux saveurs délétères. Agacé, sa lance vint lacérer la gorge qui se faisait bien trop babillante, bien trop bruyante, et en un rauque borborygme fit cesser cette odieuse cacophonie. Le son mat d'un corps tombant à terre, le râle rauque et âpre de l'agonie, vinrent alors chanter les agapes carmines dont il savoura chaque harmonie.

Ce ne fut qu'une fois terminé cet odieux festin, qu'il reprit peu à peu ses sens et que raison lui revint. Vile infâmie encore à laquelle il avait cédé, réalisa-t-il consterné, alors que la faim sembla enfin se taire, se tarir, et en un lourd silence se muer. Oui, vile infâmie, dont Achroma n'aurait guère été fier. Vile infamie qui souillait encore la belle lignée du millénaire... Il devait... Il devait... se ressaisir. Se maitriser. Se controler...

Et, tout à ces pensées, il sentit une présence toujours dans son dos. L'alayien apparemment était toujours là, n'avait pas fui. Sans doute, constata-t-il, alors que vue lui était peu à peu rendu à mesure qu'il maitrisait de nouveau son diadème, parce que le jeune vampire était en plein dans le passage. Bloquant ainsi toute possibilité de s'esquiver.

Se léchant les lèvres qu'il devinait légèrement souillées, et laissant le corps inerte lourdement tomber à ses pieds, il se retourna lentement, très lentement, vers le dernier être vivant dans cette pièce. Sans un mot, sans un geste, il se tourna vers lui, et.. lentement l'observa. Laissant planer un lourd silence... avant de finalement chasser la gêne malvenue qui s'insinuait en lui. S'approchant à pas lents de la dernière chope, il s'en empara, d'une main un peu trop tremblante pour être honnête... et goûta l'étrange mélange que l'autre lui avait offert. Grimaçant une moue légèrement dépitée.

Ce nectar là avait bien piètre goût à côté...

- Etrange saveur que celle-là, offrit-il alors enfin pour toute parole. Je n'y avais encore jamais goûté ainsi. Peu savoureux toutefois. Sans doute bien trop délité par votre sang impie.

Odieux. Il était proprement odieux. En avait conscience, en était honteux... mais se sentait incapable de réagir autrement, en cet instant litigieux...

Tout se passa vite. Très vite. Alauwyr n'eut à peine le temps d'écarquiller les yeux en voyant
Eliowir fondre sur lui, tel un faucon affamé hardi de planter ses serres dans la peau de sa proie. Dans le cas du vampire, ce serait plutôt ses crocs. La force du suceur de sang s'imposa à lui, l'agrippant et le contraignant sans avoir le temps de se rebiffer à tendre sa nuque de
telle manière qu'il y avait désormais bien assez de place pour planter ses canines de prédateur sanguin et mordre là où le sang battait à chaque pulsation d'un coeur vivant. Un coeur qui redoublé de battement quand à l'issue inévitable de son geste. L'instant fatidique où la mort va frapper, la vie être arrachée à coup de crocs par un vampire assoiffé. La crainte de mourir était bien présente sur ce fugace instant, comme n'importe quel être vivant pouvait la ressentir. cette frayeur coulait déjà dans les veines de l'Alayien sur la seconde où les crocs allaient perforer la peau de son cou...

Et qui ne percèrent pas. Une sueur poisseuse et glaciale coulait entre les omoplates de l'humain, le long de sa colonne vertébrale. Le vampire jouait-il avec lui où quoi ? Voulait-il qu'il soit encore plus apeuré que cela ? La réponse vint aussitôt quand la sangsue le repoussa aussi brutalement qu'il ne l'avait saisi. L'Alayien rencontra sèchement le mur et grimaça en se retenant contre ce même mur. Ce fut avec un air brièvement stupéfait qu'il regarda Eliowir paraître lui même dégoûté de sa propre attitude. Par contre, ce fut sauvagement qu'il se jeta sur la pauvre femme du tavernier qui avait hurlé quand Alauwyr avait manqué de devenir une proie. Le vampire avait opté pour une plus geignarde. La stupéfaction de l'humain se voua en horreur quand il assista malgré lui au sanglant spectacle. Tout en se repaissant de la malheureuse, son mari tenta bien de raisonner le vampire, pour sauver sa moitié de coeur. Hélas, d'un coup de la pointe acérée de la lance, il fut mis à mort sans sommation. Alauwyr avait déjà vu la cruauté à l'oeuvre au cours de sa vie, mais jamais à un tel niveau.

Figé dans cette demi-effroi, un rictus de dégoût à ses lèvres, il ne quitta pas le vampire des yeux, même pas quand celui-ci abandonna sa proie vidée de son sang qui tomba mollement par terre pour rejoindre le cadavre entouré de sang. A voir son air, il était difficile de savoir si le vampire savourait encore son repas où s'il regrettait son geste. Infâmes créatures que les vampires, se targuant d'être supérieurs aux vivants et qui devenaient des bêtes dès qu'il s'agissait de se nourrir...Il en avait eu la preuve devant les yeux. Le coeur tambourinant dans sa poitrine à ce qu'il avait échappé temporairement, il grinça des dents sur la suite. Même l'alcool dans le sang qui lui donnait bien du courage comme tout à l'heure n'arrivait pas à lui faire lancer un sarcasme à travers ses lèvres.

Eliowir se retourna avec une lenteur effrayante et aperçut Alauwyr. L'humain ne détourna pas le regard. Même si un frisson glacial le parcourut, l'humain ne tourna pas la tête autre part. Le vampire d'un pas posé se rapprocha.. de la chope, l'unique survivante. Alauwyr ne put retenir un sourcillement en voyant le suceur de sang s'en emparer et y goûter. Le constat qu'il en fit était détestable. Là, Alauwyr réussit à ouvrir la bouche, gardant une main elle-même un peu tremblante vers son épée.

''Et bien entendu, vous goûtez ce mélange après vous être joyeusement repu sur une humaine, tout en tuant le second. Est-ce que cela valait un tel massacre ? ''

Une petite voix lui dictait de se taire. Il n'en fit rien

''A jouer la morale, pour au final démontrer un tel niveau de... bestialité. Les vampires restent au même titre que les mortels on dirait. Aussi capables d'honneur que de monstruosité.

il réussit à déglutir. Les muscles encore tendus de la pression que cette situation imposait, il ne détournait pas ses yeux sombres.

''Deux morts pour une histoire de sang qui n'est pas à votre convenance. Quelle est la suite, histoire que je ricane de nervosité ? Suis-je le prochain ? Ou alors ces deux morts servaient d'avertissement à mon égard ? ''

Les vampires étaient tous les mêmes. Par Néant ! Qu'il regrettait de pas avoir le verre noir avec lui à l'instant ! Du moins sur sa bonne vieille lame. Il hésitait d'ailleurs à sortir son épée. La rapidité de ce vampire était plus de déconcertante et s'il venait seulement à la tirer hors de son fourreau, l'autre pourrait décider de l'abattre sur le champ....

Ce doux leitmotiv qui chantait près de lui. Ce coeur battant tambour et l'appelant presque à grands cris... Pour peu qu'il n'ait pas repris ses sens, sans doute aurait-il voulu de nouveau s'enivrer sous cette lente pulsation. L'entendre chanter sous ses crocs voraces, l'entendre s'épuiser sous son venin, et chanter sa funèbre oraison... Oui, pour peu qu'il n'ait pas recouvré toute sa raison, sans doute aurait-il été tenté de se laisser à cette folie sans nom. Mais....

Mais, ne s'était-il déjà pas laissé aller à sa faim éhontée ? Ne s'était-il pas déjà laissé aller à sa bestialité ? Qu'en penserait alors son noble millénaire ? Que lui aurait dit en cet instant son digne Père ? "Honte... Honte sur toi et sur ma lignée", assurément. Et soudain mortifié, il sentit déshonneur le frapper implacablement.

''Est-ce que cela valait un tel massacre ? ''

Non, certainement non. Mais à ce vil humain donner raison ? Hors de questions. Maudit soit cet alayien !

Il encaissa d'un air lugubre les sombres paroles de l'homme. Il n'offrit pas un geste, pas un mot, ne tenta nullement d'arrêter ce flot de paroles sans vergogne. Il se contenta d'écouter, chaque mot le frappant durement, dans toute sa franche vérité. Oui, ce n'était là que vérité, il n'était que bestialité. Vampire il était, jeune vampire affamé, et il avait beau tenter de se dompter... Il devait avouer que parfois il échouait. Souvent même, dure réalité.

S'il était le prochain ? La bête en lui avait envie d'acquiescer. De lui donner raison et de lui révéler ce qu'il advenait d'ainsi se moquer. Mais...

Mais un visage, une voix, voltigeant en son esprit, enserrant soudain sa frêle raison, l'en empêcha. Doux Achroma...

- Quelque avertissement que ce soit, est-il seulement efficace pour un tel être entêté ?

Il en doutait. Cette façon que l'autre avait de vouloir rétorquer.. de vouloir, même en sa piètre faiblesse d'homme, montrer qu'en rien il ne céderait...

- Oui, avertissement cela était, cela était censé être. Mais visiblement, vil alayien borné que vous êtes... Il semblerait qu'il ne faille bien plus pour un minimum de raison vous inculquer.

Il s'approcha alors, et jeta brutalement le contenu de la chope au visage balafré qui lui faisait face.

- Mécréant d'alayien, faible chaire qu'est la vôtre... Quand comprendrez-vous que vous n'êtes rien face à nous autres !

Et quand il parlait de "nous autres"... ce n'était pas que les vampires. Mais tous les Armandéens. Tous, vampires, elfes ou humains ! Mais il n'eut guère l'envie d'expliquer tout cela au sombres sbire.

Il considéra un long moment, en un long silence, l'humain en face de lui, hésitant sur la suite à donner. Le mordre et de sa vie le vider ? A Morneflamme ou dans quelconque sombre géôle l'incarcérer ? Ou de mansuétude faire preuve face à cet être aliéné ?

Non, mansuétude n'était que pour les faibles. Du moins dans les considérations étriqués du peuple sauvage qu'étaient la plupart des vampires. Non, mansuétude était fortement déconseillée. Du moins une mansuétude ouverte et avérée. Par contre...

Oui, par contre si cette once de mansuétude pouvait trouver, du moins aux yeux des autres, et aux yeux de cet être abjecte aussi, quelque raison valable... Oui, peut-être cela pourrait-il être tenté. Et peut-être pourrait-il ensuite en tirer profit à un moment improbable....

- En temps normal, même sort que ces deux humains vous serait en effet réservé. Mais...

Il s'avança encore, toisant de toute sa hauteur l'autre en face de lui.

- En temps normal, au minimum incarcération vous serez offerte, pour mieux vous briser. Mais...

Oui, mais... Allait-il oser ?

- Mais nous pourrions trouver quelque... arrangement. Pour vous éviter ces funestes sorts, du moins pour le moment.

Lui faire comprendre qu'il était à sa merci. A sa pleine et entière merci.

- Vous pourriez nous être utile, et collaborer pourrait être un avantage habile. Dans les bas fonds vous semblez aimer errer. Et d'informations dans ces milieux délabrés, nous avons besoin. Soyez notre informateur, montrez vous de cette utilité... et peut-être de votre sang je pourrais me passer, pour marcher avec vous main dans la main...

Et ses orbes polaires, aussi aveugles soient-elles, semblèrent vouloir sonder l'autre de leur opaque intensité. Révélant sans doute par leur étrange fixité, la morbidité qui les frappait.

Si les paroles d'Alauwyr touchèrent le coeur d'Eliowir, celui ne laissa rien paraître sur son blême visage. Le vampire arrivait avec perfection à dissimuler ses émotions ; un chance, car l'Alayien aurait su sans difficulté s'insérer dans la moindre faille émotionnelle révélée, l'alcool le poussant toujours à une certaine bravade envers Eliowir malgré la crainte qu'il représentait sur l'humain. Et quand enfin le vampire apporta sa réponse, Alauwyr continuait toujours de darder un regard glacial à son encontre. Etait-ce une farce ce qu'il venait de lui jeter à la figure ? A croire que cette sangsue à deux jambes tentait maladroitement de reprendre son odieux massacre comme un avertissement, en reprenant les termes de l'humain ; où comment retourner la conversation à son avantage

Soudain Eliowyr lui jeta le contenu restant dans la chope où il avait réussi à tremper ses lèvres pour tester la savoir à demi sanguine du breuvage. L'humain avait fermé les yeux par réflexe et les maintint clos. D'un geste lent, toujours dans un profond mutisme et les dents serrés derrière ses lèvres sous l'action à la limite de l'insulte, il essuya les gouttes qui coulaient sur son visage du revers de sa main. A ce geste, le suceur de sang en profita pour faire quelques pas de plus vers lui, se rapprochant assez pour le dominer de sa hauteur. L'Alayien le toisa presque après avoir réouvert les paupières. A entendre ce que ce dernier lui proposait au final en était écoeurant. Devoir prendre sur soi pour accepter d'obéir à des vampires et à Vraorg, le tour pour survivre n'était donc pas assez ? Il devait encore se rabaisser à servir cette Dent Longue pour mériter de rester en vie ? Au mépris de la vie de d'autres êtres humains ? Pas une seule seconde, il ne détourna ses yeux sombres de ceux blafards du vampire. Dans la hargne qui le prenait d'être à la limite insulté pour la vile proposition que ses oreilles avaient capté, il ne remarqua pas le détail léger et si évident qui les habitait. Une chance pour Eliowir

Alauwyr tourna la tête le temps de cracher et reposa son regard glacial sur le vampire.

''Que de simagrée pour si peu de choses.... Pourquoi me vouer une telle importance et tuer deux pauvres gens pour ensuite me traiter de têtu. Cela vous plait n'est ce pas de jouer de la vie des êtres vivants pour espérer avoir un gentil toutou à manipuler dans ces rues de bas-fonds. A tourner autour du pot avant d'en arriver à cette finalité ! Quelle jouissance ! Peut-être que ceux de mon sang ne sont rien à contrario des autres Armandéens...''

Sa main se porta vivement à la dague qu'il portait à la ceinture, pour appuyer de sa pointe bien piquante le bas du torse du vampire. L'alcool battait à ses tempes en même temps que le sang qui le charriait, propulsé par un coeur battant d'en découdre. Quand c'était trop, c'était trop. Et bien entendu toujours l'effet imbibé qu'il était, il était difficile de contrôler certaines émotions réactives. D'un rictus grimaçant, il jeta un air arrogant au vampire : celui d'un Alayien qui se battait encore trois années en arrière contre tout ce qui était à la magie.

''Tous ces discours pour vous servir ? Tout ce manège sanglant pour CA ? Les vampires ne changeront donc jamais ! Toujours à semer la mort d'une route sanglante, pour arriver à des objectifs précis. Toujours à user de la force et d'une subtilité morbide pour convaincre des mortels de vous obéir ! ''

Il appuya plus franchement sur son poignard, pour bien marqué sa résolution. Servir un vampire lui ? Jamais ! Pas quand on arracha la vie à coups de crocs et de lances pour argumenter !

''Donnez moi une seule raison de pas perdre la vie en même temps que de vous éviscérer....''

Obéir à des supérieurs vampiriques était une chose, quand on était qu'un simple soldat comme lui, mais de là à servir d'informateur à un vampire du genre d'Eliowir... Jamais oh combien jamais cela n lui aurait effleuré l'esprit. Même soûl, il gardait sa fierté alayienne. enfin presque...La réplique aurait pu être considéré autrement si le sang ne s'était pas répandu. Mais là...La crainte s'entremêlait toujours à sa hargne.

''A moins que vous ayiez trop honte ou peur d'aller droit au but, préférant vous laisser aller à votre sale nature que d'agir en être intelligent !''

Eliowir essuya les paroles amères et coléreuses du mécréant sans sourciller, d'un air faussement impassible, même si en lui une sombre colère bouillonnait. Cet idiot d'humain réalisait-il le danger à parler ainsi à un vampire, plus même à un Sombre Garde ? Pire même à un jeune nouveau né de faim sans cesse affligé, pouvant mordre à tout vent à la moindre mégarde. Non, visiblement non, cet alayien n'avait aucune once de prudence en la matière. Et comme s'il ne suffisait pas qu'il l'abreuve de paroles haineuses, il crut se sentir obligé d'y ajouter le piquant de sa modeste rapière.

Le vampire en aurait presque ri s'il l'avait pu. S'il n'était pas tenaillé par d'autres sentiments indus. Si la colère sourde et grondante, qui montait en lui tel un volcan en irruption, ne menaçait pas de lui faire perdre le peu de controle qu'il était parvenu à regagner après son massacre sanglant. Quel piètre arrogant, songea-t-il, tout en serrant les dents pour garder sa pleine et entière conscience et ne pas céder, de nouveau, aux viles pulsions que lui soufflait le bestial fauve en lui, réclamant sombre châtiment.

''A moins que vous ayiez trop honte ou peur d'aller droit au but, préférant vous laisser aller à votre sale nature que d'agir en être intelligent !''

Etait-ce à lui que l'on parlait d'intelligence ? A lui, vampire, Sombre Garde, actuellement en position de force indéfectible ? Etait-ce lui que l'on jaugeait à l'instant de sauvages incapables de quelconque réflexion intelligible ?

''Donnez moi une seule raison de pas perdre la vie en même temps que de vous éviscérer....''

Cette fois, c'en fut trop. Le jeune vampire dut lutter de toutes ses forces pour ne pas laisser colère prendre les rênes tout comme faim l'avait fait précédemment. Sang... sang, songea-t-il abruptement. Sang...

Et à ce mot, une pensée étrange lui vint, une idée étrange, déroutante de...

Sans même prendre la peine d'y réfléchir plus posément, il attrapa vivement la lame qui le titillait, tentait vainement de le menacer, de cette lame qui, en d'autres temps, tout de noir trempée, avait dû être mortelle pour tout être tel que lui... Une lame toutefois bien inoffensive en cet instant, démunie alors de tous ses anciens attraits, de ce puissant appui de Néant, qui aujourd'hui à l'impuissance était réduite... Il attrapa vivement cette lame donc, et l'enfonça. Doucement, lentement, sans même grimacer au lancinement qu'elle créait en lui alors qu'elle faisait mine de le transpercer. Douleur était là oui, mais si... si... risible. Lui qui déjà avait été empalé par une lame bien plus puissante, bien plus virulente... Oui, douleur bien risible. Qui ne lui extirpa alors aucune expression sur son visage, si ce n'est un féroce sourire.

De ces sourires qui ne présageaient rien de bon.

- Éviscérez-moi donc, cher guerrier alayien. Éviscérez-moi avant que ne le fasse ma main.

La lame venait d'entièrement pénétrée. Déjà d'un sang noir la garde se maculait. Le vampire ne la lacha pas pour autant, et tira plus encore sur elle d'une geste audacieux, attirant alors l'homme vers lui violemment, et les obligeant ainsi à se regarder dans les yeux.

- Éviscérez-moi, oui, et voyez donc tout le mal que cela me fait.

Et se disant, il retira la lame de son corps comme si de rien n'était, l'arrachant par le même geste des mains de l'homme, et l'envoya valser au sol, projetant par là même de noires tâches au milieu des marres carmines et des corps en charogne.

Le sourire mauvais d'Eliowir s'élargit encore, et son visage balafré se fit plus dur encore.

- Crachez donc tout votre fiel, votre venin n'a pour moi aucun attrait. Il ne peut égaler celui qui dans la non-vie m'a plongé. Quant à vos piètres tentatives pour me blesser...

Il se permit alors un rire. Sombre. Macabre. Grave et narquois. Un rire non pas de joie mais d'obscures railleries, tout de sarcasmes pétri.

A son tour il cracha au sol, mimant là l'acte de l'homme quelques instants auparavant. Et comme pour mieux marquer ses dires, déjà son corps cicatrisait. La plaie, lentement, insidieusement, se refermait.

- Je voulais vous laisser une chance d'échapper à un sinistre châtiment. Je pensais pouvoir vous éviter de subir le même lugubre sort que ces deux mécréants. Ils ne pouvaient être utiles, trop... si peu... oui si peu d'intelligence, si dépourvus de toute finesse. Vous, au contraire paraissiez... et bien j'aurais cru que vous, au moins, saviez penser, mais... dans votre ivresse...

Il cracha de nouveau, cette fois franchement écoeuré, avant d'agripper férocement la nuque de l'autre homme d'une main de fer, et de le forcer à le regarder.

- Sombres idiots que vous êtes, vous, vous tous, stupides humains. N'y-t-il que la force que vous compreniez enfin ? Et bien soit, s'il faut la force pour vous faire comprendre, vous si bornés....

Il projeta alors l'homme au mur, d'un rapide sort l'immobilisa, mains contre le mur, et d'un autre ses vêtements déchira. Il attrapa alors sans hésitation aucune son fouet, et l'activa. Par la pensée, seule, le dirigea et de toute sa force sur la chair humaine ainsi offerte le lança. Encore. Et encore. Et encore. Faisant taire l'appel du sang qui déjà le hantait, murmurant son doux chant en lui, en son esprit et son corps.

Il frappa. Frappa. Et frappa encore.

- Châtiments corporels sont les premiers fléaux pour ceux osant bafouer l'autorité. Entêtez-vous dans de tels outrages, dans votre insubordination continuez, et ce ne sera pas que le fouet mais également amende fort honorable et emprisonnement ou travaux forcés. Est-ce donc cela que vous souhaitez ? murmurait-il entre deux coups de fouet. Est-ce cela que votre fierté mal placée appelle à si grands cris ?

Il lâcha enfin le fouet, alors qu'une dizaine de lacérations sur la peau halée se dessinaient et déjà leur pourpre tracé esquissaient...

- Appelez-en à votre raison, et acceptez le marché offert en cette nuit. Châtiment cessera alors et aucune suite ne surgira. Quelques utiles informations quand le temps viendra et sur vous plus jamais ma main ne s'élèvera.

Et il pensait réellement chaque mot. Il avait bel et bien l'intention de faire de cet entêté borné un possible allié. Si seulement il pouvait lui dire... lui révéler... que tout Sombre garde qu'il était... mais non, il ne pouvait. Pas encore. Pas maintenant. Un jour peut-être. Ou peut-être pas.

- Le choix, humain, maintenant vous appartient. Douleur obtuse ou alliance étrange pour d'autres lendemains.

Et se disant, il tendit une main. L'autre main qui ne tenait pas le fouet. Son regard mort sondant, sans le voir vraiment, l'homme alors libéré des entraves magiques avec lesquelles il l'avait enserré.


[HJ : Oui, osé, si souci tu me dis. Mais... et bien étant sombre garde je ne peux pas trop ne pas réagir vivement, surtout jeune vampire tout juste né. C'est ca ou je te mords
Sans compter qu'en toute logique, au vu du système de justice, ton personnage risquerait :
Niveau 2 : Outrage à une personne importante, espionnage, abri d'une personne recherchée, insubordination, désertion, propagande anti-impériale, tentative d'assassinat d'une personne d'importance (noble, juge…)

Sanction : Amende allant de 200 Po à 400(fonction de la gravité) / Un mois en prison (matérialisé par 4 posts rps en prison) / Travaux forcés pendant un mois si pas de prison + dans tous les cas châtiments physiques ( coups de fouets + marquage au fer + perte d'un bout de quelque chose en fonction du délit)

Bref, à voir ensemble du coup si souci^^]

Quand on sait qu'on dépasse les bornes et ce malgré de nombreuses et mauvaises expériences dans le domaine, l'Alayien ne pouvait s'empêcher de les frôler une fois encore et de les franchir encore. A croire que cela ne servait jamais de leçons. En plus, imbibé d'alcool qu'il était, la raison n'était guère empli de sagesse et de recul par rapport à toute cette bravade. On pourrait penser d'un point de vue extérieur qu'il était suicidaire. Qu'avait-il réellement à perdre quand il cherchait à s'enivrer ? Quasiment rien. Il n'était qu'un combattant issu des anciens rangs Alayiens, de cette grande armée qui se déversait comme une nuée de sauterelles avides de tout plier sur leur passage pour servir Néant. Que restait-il de tout cela ? Rien... Même ses propres convictions n'aidaient guère...

Quand sa lame s'enfonça doucement dans les chairs du vampire, de sa propre volonté après l'avoir attrapée, Alauwyr s'était pétrifié. Jamais il n'aurait été aussi loin. La menace arrogante avait été sa seule limite, mais sa dernière réplique avait mis le feu aux poudres. Figé dans la scène à demi-macabre qui rajoutait quelques gouttes de sang à celui déjà répandu sur le sol, il regarda ce vampire qui jouait avec lui, avec un sourire à faire dresser les poils de la nuque. Comme précédemment, le coeur de l'Alayien ne fit qu'un bond dans sa poitrine. La frayeur se mêlait à la stupéfaction de ce qui se tramait. Une frayeur qu'il arrivait encore à juguler, mais il ne pourra empêcher son rythme de se plier à sa présence en augmentant son tambourinement. Et ce sang noir qui arrivait jusqu'à la garde aurait eu de quoi écoeurer n'importe quel être vivant. Et ce bougre de vampire qui exigeait qu'il perpètre son geste jusqu'au bout ! Et ce sourire de prédation malsaine qui s'affichait.

Eliowir imposa une nouvelle traction sur l'épée, attirant de cela même Alauwyr plus proche encore de lui, le contraignant à voir son propre reflet dans ses yeux, à la couleur bien étrange d'ailleurs au premier regard. Mais ce détail n'était pas vital sur l'instant. Il était insignifiant en comparaison de la dangerosité quasi mortelle du vampire qui exhala encore une provocation. L'éviscérer...il n'avait que ce mot là à la bouche. La lame ne lui apportait aucune douleur, aucune souffrance. Même pas une gêne quand il la retira de son corps pour la jeter au loin, éparpillant son propre sang en quelques gouttelettes qui éclaboussèrent à nouveau le sol. Alauwyr n'avait pas quitté ses yeux, grimaçant devant la pression émotionnelle qu'imposait le faciès carnassier et souriant d'Eliowir. Là était le vrai vampire, ce monstre avide de sang ! Et son rire retentit presque dans le tréfonds des entrailles maintenant noué de l'Alayien.

Quand il l'attrapa à la nuque après avoir craché et jeté son fiel de pensées à sa figure, Alauwyr n'avait pas détourné une seule fois son regard de celui du vampire. Par contre, il avait grimacé sous le contact forcé et glacial de cette main qui le tenait fermement. Ses yeux sombres, plongés dans ceux vide d'Eliowir, s'étaient plissés, même s'il se tendait de plus en plus. Il était difficile de savoir ce que ton avenir des prochains instants lui réservaient et son esprit se questionnait déjà sur l'intérêt morbide que lui portait ce vampire. Ainsi, le tavernier et sa femme n'étaient rien à ses yeux ? Eux qui avaient dû travailler durement pour avoir leur commerce et le faire marcher ? Lui un soldat alayien avait plus de valeur à ses yeux ?

Il ravala une injure à jeter à la face du vampire, surtout qu'Eliowir le coupa nettement quand il confirmait que les humains avaient besoin de connaître la force pour se ployer à la volonté de celui qui en usait. Comme si les suceurs de sang étaient les seuls à l'employer ! Tout ce qui était à deux jambes usaient de force pour se montrer supérieurs aux autres, Alauwyr également. Quelle vilenie. A lui, lui laisser une chance. Et les deux cadavres ? En avaient-ils eu eux ? On pourrait répondre avec ironie à la chance de plus souffrir... Tout cela parce qu'il semblait complaire au vampire pour ses propres desseins ! Il aurait du le tuer par le refus qu'il lui avait craché. Mais au lieu de ça....

Eliowir le projeta contre le mur, liant mains et dos contre avec l'aide de la magie pour ne pas qu'il tente de s'échapper. Il grogna de sa rencontre percutante avec le mur. Infâme magie ! Puis le bruit d'un tissu qu'on déchirait vivement et quelque chose qui se leva dans l'air. Alauwyr se tendit, ne pouvant empêcher son dos sentir le passage de la peur dans tout son long, ce sentiment qu'il n'aimait guère et réussissait à repousser. Mais sur l'inconnu de ce qui allait suivre et qui rapidement en un claquement cinglant et puissant sur le haut de son dos. Alauwyr serra les dents sur ce choc violent qui lui brûlait déjà l'épiderme

La force du coup se répéta encore et encore. Encore. Claquement après claquement. Eliowir s'exprima entre deux coups. L'Alayien ne souffla aucun mot, se concentrant sur la souffrance qui lui lacérait le dos. Il avait si serré les dents pour ne pas crier que les muscles de ses mâchoires protestaient de cet effort intense. Le vampire évoquait la fierté... Au moins aurait-il la fierté de pas lâcher de cris, pour ne pas offrir de la satisfaction à cette sangsue.

Quand Eliowir rouvrit à nouveau la bouche, les coups avaient cessé de pleuvoir ; des coups portés avec force vampirique bien entendu ce sut pour refaire la proposition précédente. Ce marché... La vision voilée par la souffrance qui pulsait atrocement dans le dos, Alauwyr laissa son esprit digérer les menaces qu'Eliowir lui avait doucement rappelé, s'il continuait à être aussi borné. Par Néant, il avait attendu quoi pour les rappeler celui-là ! Il grimaça à sa propre honte de les avoir oubliées. La prochaine fois il ne boira pas autant. Une fois de plus, il payait encore sa propre bêtise. Ses poings serrés, il tenta de raisonner correctement. Entre les lacérations de son dos qui l'élançaient fortement, de la sueur qui rajouta à la douleur par le picotement désagréable du sel qu'elle contenaient pour celles qui étaient un peu ouvertes et du reste d'alcool qui coulait encore dans ses veines...

Des mots arrivèrent à trouver une voie pour se répéter en boucle dans son esprit, s'associant à chaque amende ou châtiment pour les payer. Il grogna à l'idée de subir certaines. Et comme il était hors de question d'y passer...en même temps, il avait tout fait pour les mériter. Il le savait, mais il laissait toujours son arrogance primer avant tout... Son dos frémit un instant des lacérations qui le mordaient intensément, comme un doux rappel pour avoir abusé de sa propre arrogance.

Le vampire lui laissa à nouveau le choix. Alauwyr eut l'impression de revenir trois années en arrière. Le choix.. et quel choix ! Son regard se fixa dans le lointain de la pièce. Un choix.... Celle de l'affliction, qui elle-même se tranchait en deux : punition se mélant à la douleur ou encore l'alliance malsaine et répugnante avec un vampire. Un seul choix à faire.

Quand les entraves magiques disparurent, Alauwyr s'affala presque sur le sol, se retentant d'un bras sur le sol et l'autre contre le mur pour ne pas s'étaler totalement. Là aussi il ne donnera pas satisfaction à son tortionnaire. La respiration vive, conséquence de sa séance particulière, était un peu laborieuse. Doucement, il redressa la tête pour affronter le regard d'Eliowir. Le haut de son dos pulsait encore sérieusement, le piquant jusqu'au tréfonds de son esprit. Quand il fallait garder la vie sauve, il devait concéder à quelques sacrifices personnels. Il l'avait déjà fait autrefois. Mais jamais avec un vampire. Une grimace de dégoût se peignit à peine une seconde à cette pensée. Le choix ne lui laissait pas d'alternative de toute façon. Qu'il haïssait être comme cela !

''Un choix qui est comme le bâton et la carotte, Nocturne. ''

Il serra les dents. S'avouer vaincu était toujours amère. Au moins ne se sentait-il pas brisé. une chance. Mais il serait contraint de se plier s'il voulait répondre à ce besoin de survivre. Même si cela nécessitait de passer par des chemins retors et humiliants.

''Je serai cet informateur...''

Avec un immonde écœurement dans la bouche, il se redressa péniblement.

Eliowir regarda l'homme s'affaler à terre, écoutant le doux râle de sa respiration, s'abreuvant de ses erratiques pulsations, ses sens enivrés de toutes ses sensations délétères. Si son visage n'était que calme patient, il était bien loin de ressentir pareille tranquillité d'esprit. Il ne ressentait que mille songes de tourments, alors qu'en cet instant l'enseignement de son père avait été trahi.

Oui, il avait trahi alors tout ce en quoi Achroma croyait. Il n'avait pas trahi sciemment, mais traitre tout de même il était. La paix entre tous ces peuples si déchirés, la paix en ces terres martyrisées, des alliances si durement éprouvées, qu'en un instant de sa folie il avait bafouées. Son offre n'était alors qu'une bien piètre tentative de se racheter. De rattraper cette énième erreur et de tout réparer. Mais...

Mais mort avait frappé de sa terrible faux deux âmes en peine. Pouvait-il seulement espérer les sauver de l'errance qui avait été sienne ? Non, il était trop tard pour ces âmes là, qu'il avait si sauvagement arrachées. Trop tard.. Et il s'en mortifiait, blâmant alors sa sombre bestialité. Trop tard pour eux, oui, malheureusement. Mais peut-être pas encore pour ce renégat d'alayien, ce satané mécréant...

Il acceptait, entendit-il enfin, alors qu'un soulagement réel l'envahit, et il ne put retenir un fin sourire. Un sourire sincère, dénué de l'ombre de sa ténébreuse personnalité pour le ternir.

- Je me nomme Eliowir et non Nocturne, répondit-il de sa voix grave, ses accents elfiques chantant toute la richesse de leurs nuances. Mais, à vous, Âme du Néant, je vous accorde ce surnom.

Voilà qui était, pour lui, une énorme concession. Et après tout, peut-être valait-il mieux entre eux user d'autres noms.

- Assez parlé toutefois, voilà qu'apparait déjà l'astre diurne.

Même s'il ne voyait pas le soleil, il le devinait aisément. L'aube semblait s'esquisser, s'il en jugeait par le changement d'air ambiant. Une légère montée de température, la rosée matinale semblant s'évaporer doucement sous les pâles rayons timides les caressants, une sorte d'humidité différente que celle de la nuit autour d'eux voltigeant, cette petite, discrète, odeur de terre humide, mêlée à toutes celles rances et viles que les villes humaines semblaient tant priser en tout temps.... Oui, tous ces infimes indices qui en d'autres lieux auraient pu être pur délice, mais qui ici, en cet instant, n'était que désagrément et sonnait le glas de son service.

- En temps voulu, à vous je viendrai donc m'enquérir d'informations. Ouvrez grand vos sens, observez, écoutez, attentifs à tout autour de vous soyez.

Un autre étrange sourire s'esquissa sur ses traits balafrés, avant qu'il ne rajoute, un air de conspirateur illuminant un instant ses orbes aveuglées.

- Et qui sait, peut-être pourrions-nous mettre à profit cette vile collaboration inopinée, pour de sombres projets inespérés qui vous surprendraient sûrement, chère âme damnée.

Une vive douleur l'irradia, effaçant rapidement tout sourire, mais il n'en garda pas moins cette illumination de malice qui pétillait sans faiblir.

Puis, réalisant que l'autre devait de ses sévices fort souffrir encore, une pensée s'insinua en lui. Même si, il en était assuré, l'autre refuserait, il se devait de proposer. Soigner ce bien faible corps... Oui, il ne pouvait le laisser ainsi, cette chair martyrisée et si sombrement lacérée... Sans compter que l'odeur de sang menaçait de nouveau de l'enivrer.

- Je puis, si vous le désirez, vous libérer de cette souffrance. Je puis guérir de cette douleur tous vos sens. Magie certes, honnie à vos yeux, je le conçois, fier alayien. Ou peut-être... Peut-être pourrions-nous trouver quelques guérisseurs connaissant d'autres... moyens.

Il ne put que grimacer en songeant à ces âpres moyens de guérison, que lui-même avait pu goûter il fut un temps, récoltant alors des balafres qui ne s'effaceraient jamais assurément. Du moins était-ce là ce qu'on lui avait répondu quand il avait osé poser quelques questions. Et vagues, très vagues souvenirs, tout de douleur pétris, lui étaient revenus. Douleur à l'incommensurable démesure....

Qu'était donc en train de tenter une nouvelle fois le vampire avec ce sourire qui se voulait d'une nature complètement opposé à celui de la prédation juste avant ? Quel tour malsain de sa part était-ce là. Une fois debout, malgré ses jambes cotonneuses et le dos qui pulsait douloureusement, il garda son regard rivé sur la sangsue à deux pattes, cherchant déjà où était l'embrouille. Comme si de s'être plié le soulageait ? Non impossible. L'Alayien préféra croire que les vampires étaient à des songes bien trop complexes pour lui pour réellement comprendre où voulait en venir Eliowir, ainsi donc se nommait-il ainsi, en plus de lui accorder le surnom qu'il le gratifiait depuis tout à l'heure. L'humain ravala une grimace. Complètement à l'opposé. Il ne voulut pas savoir pourquoi. En tout cas, il ne lui demanda pas son nom. Eliowir n'en avait donc pas besoin, selon ses pensées. Et le donner serait montrer une approche trop familière vis à vis de cette dent longue. Et ça, il ne le désirait pas !

Par l'évocation de l'approche du jour, Alauwyr tourna automatiquement la tête vers l'une des fenêtres de l'auberge. Il ne vint rien, pour l'instant. Les vampires ayant des sens plus affûtés, il ne put que le croire. Si tard qu'il était donc... il allait être frais pour ce début de matinée tiens. En plus de la raclée punitive qu'il a reçue.

Ne soufflant donc aucun mot, il nota mentalement les dires du vampire. Car nul doute qu'Eliowir sera se pointer en plein milieu d'une patrouille de nuit dans les parages. S'il possédait des hautes connaissances comme bon de ses pairs à dents longues, il n'aura guère besoin de chercher longtemps pour savoir ou et quand le vampire pourrait le joindre. Ëtre donc attentif à tout ce qui se passait. Observer le moindre détail. Pourquoi lui par Néant et pas un autre humain bien plus de confiance, qui serait justement à lécher les bottes des vampires bien placés ? Ou servant pleinement la cause de Vraorg ? Une petite voix lui murmura déjà qu'il était qu'un simple soldat, un élément sacrifiable, qui n'avait aucun rôle dans les nombreuses intrigues qui nécrosaient la cour des vampires, si cela se faisait bien entendu. Et qui croyait la parole d'un être comme cet humain à la crinière grisée ? Sauf si le Blanc décidait d'entrer dans son cerveau pour chiner... Il ne put s'empêcher de faire un mauvais rictus, à la limite du dégoûté devant l'enthousiasme de son Supérieur

''Nous verrons... Seul le temps le confirmera....''

Une réponse un peu bancale, mais qui s'adaptait parfaitement. Et le tout dit sur un ton neutre. Il n'avait pas besoin de jouer encore la bravade. Par contre, il n'évita pas la grimace bien visible devant la dernière proposition d'Eliowir. Se faire soigner par la magie, alors qu'il savait que les Alayiens l'exécraient ? Jamais ! Tant qu'il serait conscient, bien entendu.

''Point de magie. Vous le savez, mais vous en faites quand même la proposition. Pas de souillure, même si vous le désirez ardemment. Je préfère encore sentir la sale piqûre de ma sueur dans les plaies ouvertes que de sentir la magie faire sa sale oeuvre sur moi''

Eliowir était comme un maître voulant soigner son chien, pour l'avoir au meilleur de sa forme et le laisser jouer la fouine avant de le revoir un jour prochain. Il s'adossa au mur, prenant appui sur une épaule, pour épargner son dos de tout contact.

''Ce n'est pas les guérisseurs qui manquent, ceux qui soignent dans la normalité des choses, comme j'ai toujours connu. N'en prenez pas ombrage. ''

Manquerait plus que le vampire montre encore les crocs parce qu'il refusait de plein droit sa petite proposition. Le bâton et la carotte. Voilà ce que c'était à ses yeux. Se faire battre pour mieux être caresser dans le sens du poil. Une méthode qui pouvait avoir son efficacité pour des esprits bien faibles, mais pas pour l'Alayien. Certes, il s'était plié face à Eliowir. Mais il n'était pas fou au point de sacrifier sa vie de la sorte et aussi futilement. Guère digne.

Les yeux dardés sur Eliowir, il guetta sa réaction, et surtout, qu'il lui permettre de se retirer. Prendre congé sous son nez d'elfe risquait de pas lui plaire. Donc il s’abstint et attendit. car mine de rien, ce vampire était d'un comportement si chaotique que même une forte tempête de mer était de la rigolade en comparaison. Un calme serein qui manquait de virer en typhon pour le moindre mot de travers. Il suffisait de tendre un regard sur les deux cadavres qui terminaient de tiédir pour en avoir un sanglant témoignage. D'ailleurs, l'Alayien ne put s'empêcher de leur accorder un regard en biais. Si cela ne lui rappellerait pas constamment le prix à payer.... Bien d'autres avaient apporté sans le vouloir leur contribution. Mais jamais comme cela, pas avec cette violence. Et sans aucune raison aucune de le mériter....

Oui, le temps... L'humain n'avait pas tort. Le temps le confirmerait. Ou l'infirmerait. Peu importait finalement. Le temps oeuvrerait, comme il oeuvrait toujours, poursuivant sa course inexorablement, dans son sablier géant, faisant fi des peuples mortels et immortels qui tentaient de le retenir si futilement...

L'ancestral laissa ses sens errer vers l'alayien, ses pensées voltigeant dans des abysses sans fin. Gardant lourd silence songeur, noires idées rongeant encore son coeur. Sans doute se serait-il encore perdu dans ses éternelles errances, si la voix de l'autre ne l'avait tiré de son étrange et soudaine transe.

Point de magie, oui, il l'avait bien compris, aisément deviné. C'était là réponse qui, étonnamment, ne le choquait nullement. Pas venant de cet humain-là, de ce néantique mécréant. Le contraire l'aurait d'ailleurs plutôt fort étonné. C'était là même une réponse qui le rassurait. Prouvant qu'il y avait des choses en ce monde qui jamais ne changeraient.

Ou si peu. Si lentement.

Des guérisseurs, soignant dans la normalité des choses... Qu'il était étrange et déroutant d'entendre pareilles inepties pour lui ? Pour lui, pour qui magie n'était que normalité, banalité, vie quotidienne, essence même... Mais normalité n'était-elle pas finalement fort subjective selon chaque âme, chaque esprit ? N'était-elle pas amener selon chacun à changer de facettes en grande virtuose ?

Normalité n'était-elle pas en fait pure utopie ? Dérisoire idylle d'âmes apeurées par toute différence honnie ? Pensée alors plus étrange et déroutante encore que celle-là, pour lui ancien elfe si attaché à leurs belles coutumes, à leur Mémoire ancestrale... Il s'en sentait soudain... perturbé. Dérouté. Eperdu et apeuré. La soudaine impression que son monde basculait. Que l'autre il aurait pu être, penser autre, vivre autre, sentir autre, magie honnir et autrement renaître... Son univers soudain vacillait.

Et si voix âpre et chaude à ses côtés n'avait pas de nouveau chanté, sans doute dans ces limbes de pensées errantes aurait-il sombré.

S'il en prendrait ombrage ? Un instant il en avait été tenté, arrogance et vile fierté par ce refus bafouées. Mais finalement... Finalement non, que l'autre suive ses propres sillages.

- Prenez au moins cette bourse, jeune humain, fit-il, sa voix soudain dénuée de toute animosité. Elle sera bien plus utile entre vos mains.

Et se disant, il déposa une bourse de cuir tintinnabulant du son clair de pièces d'or. Les remettant directement contre le torse nu et balafré de l'homme.

- Cela paiera le guérisseur et devrait rembourser votre tunique... déchirée.

Il ne put réprimer une légère moue accablée. Oui, accablée, d'être responsable soudain de tous ces maux. Et plus encore... de tout ce sang, de tous ces morts...

Soudain révulsé par son propre comportement, ses emportements meurtriers, ses pertes de controle inexcusables et inexcusées, il recula d'un pas, presque horrifié.

- Prenez. Soignez-vous. Ouvrez-l'oeil. Et à ma visite prochaine soyez préparé.

Et se disant, il quitta les lieux à grands pas sans même se retourner. Faisant encore voler un meuble qui avait eu l'audace de lui barrer le sentier....

[HJ : à voir si tu veux conclure, ou si cette réponse te convient en conclusion^^ merci en tout cas de ce bel échange ]