La journée touchait à sa fin, le soleil dehors devait fondre sur le sable. Un tel phénomène était dans l'ordre des choses. L'Enwr n'y voyait pas le symbole de l'abandon aux songes et à la douceur du repas. Il n'avait jamais associé ces éléments, n'allait sans doute plus les associer avant un moment. Durant les temps protégés par les Esprits, au sein de Tomingorllo ou du protectorat, il avait pu passer pour un oiseau nocturne. Préférant écouter son corps plutôt que les indications quant aux positions des astres, il ne s'était jamais couché que lorsque la fatigue le prenait, à des heures avancées de la nuit. C'était là une habitude qu'il avait gardée lors de ses voyages dans les plaines, mais qu'il avait perdue sans souci à chaque fois qu'il lui fallait traverser le désert, délaissant le soleil pour lui préférer les bras pâles de la lune et des étoiles.
Jusqu'alors, tout cela lui avait paru relativement aisé. Mais en ce jour, il commençait à ressentir le contre-coup de son voyage et de la nuit trop courte qu'il s'était accordée, la croyant suffisante. Il commençait à s'épuiser, et ses muscles engourdis par la fatigue réclamaient qu'on les oublie un moment. Libéré de ses responsabilités il sentait également son esprit partir vers tout ce qui se présentait à lui sans aucune résistance. Il s'était alors dit qu'il irait manger un peu, grignoter, et irait se coucher sans cérémonie. Comme il traversait une caverne aux parois humides, ses mains s'y égarèrent. Il appréciait le contact frais, les minuscules morceaux de pierres qui venaient se coller au bout de ses doigts, la multitude de très légers craquements que cela produisait, l'écho de ses propres pas et du tambourin, régulier, attaché à sa cheville. Il appréciait que ses mains deviennent elles-mêmes humides. Il ne sursauta pas en sentant brusquement une texture moelleuse sous ses doigts. Pas de moue dégoûtée, loin de là. Au lieu de cela, un fin sourire, qui accueillait cette rencontre comme un énième présent de l'existence. Il avait voulu manger, voilà son repas qui se présentait à lui ! Après cela il pourrait aller trouver ses appartements sans autre souci. Dans la pénombre, il croyait reconnaître le champignon. Il était bien petit, pour un représentant de son espèce… Mais il ferait l'affaire !



"- Veux-tu faire un bonhomme de neeeeige…~"

L'enwr avait retrouvé un semblant d'énergie dès que la neige avait commencé à tomber. Il bondissait au milieu des flocons, accompagné du tintement de son instrument. Il riait aux éclats. Il avait tant rêvé la neige, tant regretté qu'elle ne soit pas présente pour son anniversaire ! Mais peut-être que… Peut-être que c'était à nouveau son anniversaire !
Il éclata de rire, tout à son bonheur. Si c'était son anniversaire, il fallait prévenir sa famille ! Ils mangeraient une tarte aux fruits ! Là, il ferait un rond avec la pâte, et il enlèverait la partie au milieu, pour mettre les fruits sur cette pâte inexistante. Ils tiendraient, parce qu'avant la pâte était là ! Ce serait léger, la tarte aurait des ailes de colombe ! Leohana… Il fallait trouver Leohana, et lui proposer une tarte aux fruits colombe ! Ils allaient fêter dignement ses cent quarante-et-un, cent-quarante-deux ans ! Les deux en même temps ! Et ils fêteraient cette neige tant désirée qui exauçait leurs souhaits !

"- C'est l'histooooire de la viiie ~ Le cycle éterneeeel !"

Il attrapa ce qui lui paraissait être de la neige pour la jeter en l'air et en sentir les flocons dans ses cheveux. Qu'il était heureux ! C'était incroyable comme un peu d'eau solidifiée, un peu de blanc dans le décor, pouvait mettre son coeur en joie. Il tournoya, tournoya. Autour de lui, la forêt était faite d'arbres qui sortaient du sol en un tronc pour aller planter leur cime dans la terre en formant une arche. Il dansait, encore, au rythme de sa chanson, lorsqu'il rencontra de façon peu délicate quelque chose de très grand et, apparemment, plus solide que lui.

"- Bonjour ! Vous allez bien ? On me nomme Dawan Sywel ! Daaaawan…"

Expliqua-t-il d'une voix trainante à ce géant dont la moustache caressait le sol, dont le ventre était constitué d'une harpe. Mais il ne fallait pas lui faire la remarque, non, ça ne se fait pas ! C'est à l'esprit d'accepter ce qu'il voit là. Et celui de Dawan embrassait l'idée d'un ventre-harpe avec autant de naturel qu'une tarte aux fruits colombe. Il n'avait pas de raison de s'opposer, voyons ! Puis, c'était très bien les harpes. Il aimait bien les harpes. Surtout parce que les harpes… Ses doigts s'arrêtèrent alors qu'ils allaient en caresser les cordes. Non, non, il ne fallait pas l'associer à l'ancien Merithyn, il l'avait dit ! La neige disparut, autour de lui. Il était dans une très grande armoire. Bientôt, il s'appuya au mur de cette dernière, et lutta avec les lourds tissus des manteaux pour se mouvoir. Il ne fallait pas associer la tarte aux fruits avec des groseilles ! Non non non… Où était Merithyn ? Il avait dit qu'ils se reverraient, non ? Il devait venir, pour son anniversaire ! On lui servirait du jus de betterave. C'était un peu comme du sang… Mais alors, les betteraves étaient vivantes ?

"- Les betteraves !" murmura-t-il d'une voix blanche d'inquiétude.

Plus question de manteaux ! Il courrait vers ce qu'une partie reculée de son esprit pensait pouvoir définir comme la caverne des cultures, où son maître devait s'occuper de betteraves. Mais il avançait dans un tunnel lumineux qui tanguait dangereusement, où les vitraux tombaient en chevaux de verre, hennissants de souffrance. Il voulut courir sur les murs. Il y parvint sur quelques pas, avant de rencontrer douloureusement le sol. Un moment étourdi, la musique lointaine de grillons chantant la complainte de la blanche biche l'aida à s'accrocher et s'occuper à nouveau de ce qui l'entourait. Sous ses mains, un miroir. Il vit son reflet. Il avait de beaux cheveux longs, et un bec crochu. Normal, pour une chouette. Dawan remit ses plumes en place et se leva.
Devant lui, il y avait une lionne. Presque aussi grande que lui, au port altier, au regard doux. C'était la reine, il le savait ! Elle aussi elle portait des ailes, d'immenses ailes, et un collier fait de vérités qu'il ne fallait surtout pas regarder ! Alors prestement, il baissa les yeux, avant de mettre le genou à terre, lentement, sereinement. Il était devant Elle, et autour d'eux c'était un palais de glace, d'or, de myrtilles et de sang, baigné d'une atmosphère solennelle et d'un chant doux et grave.

@Aléria Blanchécume

Mais qu’est ce qui causait donc tout ce boucan à une heure pareille? Aléria se leva, laissant son sac ouvert dans un coin de la caverne, aux côtés des objets qu’elle s’apprêtait à ranger afin de partir pour la nuit. Elle voyait certains blessés se réveiller et refermer les yeux, espérant que le bruit ne dure pas plus longtemps. D’autres étaient plus fâchés et c’est à peine si ils ne se levaient pas pour dire au garçon de se taire. Mais la plus part ce ces derniers étaient trop affaiblis pour avoir cette simple capacité. La femme s’extirpa de la caverne inutilement sur la pointe des pieds, ne voulant pas déranger les dormeurs déjà réveillés. Un regard troublé se dessinna d’abord sur son visage, puis un sourire rieur. Elle avait déjà vu cet Enwr, qui définitivement avait plus d’années d’expériences qu’elle et pourtant, qui avait le cœur si jeune. Elle le savait assez jovial, mais ne l’avait jamais vu dans un état aussi dynamique à une heure si tardive.

La chanteciel écarquilla les yeux en voyant de jeune elfe lancer du sable comme si il voulait en faire une pluie. Était il désespéré ou assoiffé au point ou il voulait faire semblant de faire tomber la pluie? Il se heurta ensuite contre un soldat qui passait par là, ou plutôt une armoire vu sa carrure impressionnante. L’homme semblait plus troublé que fâché, vu l’attitude de l’enwr. La baptistrelle ne put s’empêcher de rire silencieusement. Elle tenta de percevoir le chant nom du jeune elfe, mais tout était tellement confus, elle n’arrivait pas à se concentrer.

Aléria s’approcha un peu plus de Dawan qui semblait tantôt inquiet, tantôt étrangement solennel. Il s’agenouillait maintenant devant…devant la caverne dont la femme venait, si ce n’était pas cela elle ne savait pas quoi. La baptistrelle s’approcha pour ensuite s’accroupir près de l’enwr, pour enfin de retrouver les deux genoux au sol. Néanmoins, sa position était beaucoup moins protocolaire et son regard était dirigé sur le garçon et non sur cette chose invisible qu’il semblait vénérer.

-Bonjour Dawan. Dites moi, que vénérez vous ainsi à genou?

Elle lui sourit doucement, prête à l’écouter et en espérant qu’il lui réponde. Elle ne savait aps ce qui lui prenait, mais il lui semblait anormal qu’il passe de la joie, jusqu’à l’inquiétude pour enfin finir par s’agenouiller devant une caverne.

-Vous allez bien? Vous sembliez préoccupé tout à l’heure. Je vous préférais souriant, cela ajoute un peu de joie à cette ambiance parfois un peu lourde. C’est pour cela que vous sautillez?

Son sourire se faisait plus large, certes il avait troublé ce calme agréable qui arrivait lorsque le soleil se couchait. Mais la baptistrelle n’était pas du genre à s’offenser de la présence des autres, même si elle était d’un calme inébranlable, un peu de bruit n’allait pas la rendre susceptible.

-La température sera bientôt trop froide Dawan, voulez vous entrer dans la caverne.
Aléria posa les mains sur les bras de l’elfe en se levant, l’invitant à l’imiter afin de pouvoir la suivre.

Oh, la jolie voix ! Il la reconnaissait entre mille. Pas même besoin de regarder à ses côtés, il percevait la présence d'Aléria comme aucune autre ! Chaque mot de sa question marquait un changement dans son environnement. Bientôt, il n'y eut plus de murs autour de lui, et plus de lionne. C'était… Difficile à définir. Surtout des couleurs, et une impression de monde immense, et doux. Un bref instant il fut persuadé que c'était le sentiment que l'on avait lorsque l'on rejoignait Mort.
Il avait eu du mal à attraper le sens derrière les mots d'Aléria. Il fallait mieux écouter ! Et si habituellement il lui suffisait d'un effort de réflexion pour parvenir à retrouver ce qu'il n'avait pas écouté, bizarrement cela ne fonctionna pas ce coup-ci. En revenant en arrière dans sa mémoire, il n'eut que des sons indistincts, mais si jolis ! Clairs comme un ciel d'été. Cela lui faisait si plaisir ! Il souriait, en tournant son regard pétillant mais lointain vers elle. Lui, cesser de sourire ? Mais non, il ne cessait pas de sourire ! Pas pour l'éternité, en tout cas. Il savait très bien que son rôle ici impliquait qu'il puisse sourire quand tous les coeurs étaient à la peine, oui, il savait… Mais même sans cela, il avait en lui assez de joie, d'amour et d'espoir pour que ne plus jamais pouvoir exprimer cela soit une sentence qu'il ne puisse respecter. Il ne fallait pas qu'elle craigne quoi que ce soit !

Elle était vraiment jolie, Aléria ! Elle en avait de la chance ! Autour d'elle le ciel était d'un bleu sombre, parsemé de points blancs. Une auréole sans couleur l'entourait comme un cerceau lumineux, composé de milliers d'étoiles trop proches. Ces cornes de cerf qui partaient de son crâne et tourbillonnaient en tombant sur ses épaules lui allaient bien. Il aurait aimé être aussi jolie qu'elle, avec les mêmes cheveux ! Mais les siens étaient courts. Avait-il seulement des cheveux ? Il lui semblait que non. Il avait de jolies oreilles, par contre. Mobiles, elle s'était jetées vers l'avant quand son coeur s'était agité de la joie de voir la chanteciel. La maitresse chanteuse affichait le comportement d'une humaine heureuse.

"- Mraw."

Elle avait parlé. Ce n'était pas le ton d'un ordre, alors il ne voulait pas s'y plier. Ce devait être une proposition. Quelle idée, rentrer ! Alors qu'il n'avait pas fait le tour du protectorat ! Sa tête vint se frotter à l'épaule d'Aléria, lentement, sans aucun souci des moeurs, de la politesse. Oh, habituellement, il affichait toujours une relation particulière avec la politesse. Mais auprès de Cawrs il gardait tout de même une attitude plus… Respectueuse ? Encore que. Etait-ce irrespectueux de poser les phéromones présents au coin des yeux sur les éléments de son environnement, pour s'y sentir chez soi ? Un Dawan sans champignons aurait dit "oui, tu fais fi du consentement". Mais Dawanchat n'avait pas cette notion. Un léger ronron s'échappait de sa gorge.

"- Huuumaine."

Rouvrant les yeux, il se figea d'un coup, les muscles tendus, le poil hérissé. Dans ce ciel sombre, deux yeux brillants. Soudain, l'impression d'un fardeau, d'une sentence très lourde, et d'une mort imminente. Les deux yeux furent rejoints par une bouche pleine de crocs, fonçant vers lui. Le chaton-elfe émit alors un petit cri, pas très fort, mais assez aiguë et surprenant pour imiter ce qui venait, comme la fine flèche d'une sarbacane, de lui transpercer le coeur. En un mouvement très rapide, il chercha à se blottir contre Aléria, tout recroquevillé contre elle, tremblant sans pouvoir s'en empêcher. À mi-voix, il soufflait un petit chant, une comptine qui n'était pas de son peuple:

"- Non-non-non, n'joue pas avec le feu… Fais attention, tu pourrais te brû-ler… Non-non-non…"

Sa voix était comme cassée par la peur, ses tremblements furent bientôt interrompus par des sortes de spasmes qui l'agitaient tout d'un coup. Mais il ne cessait pas de murmurer ce petit refrain, comme si cela pouvait le protéger de ces yeux et de ces crocs, dans le noir.

Aléria sembla surprise, en fait elle ne comprenait pas vraiment ce qui se passait et ça se lisait d’une expression assez comique dans ses yeux et surtout, pas le moindrement camouflée. Alors faisons un résumé, après le bonhomme de neige, une jolie petite chanson puis il parlait de…de betteraves, avec inquiétude. Et maintenant…maintenant il miaulait. Aléria cherchait le lien de corrélation entre les éléments qu’elle énumérait dans sa tête, un lien, aussi petit soit-il. Elle savait pour être rêveuse que les liens étaient parfois presque absents entre une pensée et une autre, et que les dialogues ne s’enchainaient que dans sa tête mais…Elle n’allait pas jusqu’à se prendre pour un chat ou vénérer une caverne. La Chanteciel fut d’autant plus surprise de voir Dawan s’approcher autant d’elle, il lui semblait qu’il avait plus de retenue habituellement…Il avait aussi totalement ignoré ses questions pour se contenter de…de ça. Elle ne put s’empêcher de sourire, malgré l’absurdité de la situation, elle ne pouvait s’empêcher de la trouver un peu comique.

-Dawan? Qu’est ce que vous faites?

D’une seconde à l’autre, Aléria eut sa réponse. Après avoir ronronné il s’était blottit contre elle, éteignant par le même coup le sourire de la femme. Elle l’aurait peut-être repoussé d’une manière ou d’une autre dans d’autres circonstances mais il ne semblait pas se sentir très bien. Elle s’inquiéta beaucoup plus lorsqu’il se mit à avoir des spasmes, craignant qu’il se mette à convulser. Une chose était certaine, il était en train de délirer, la femme posa sa main sur le front du garçon, vérifiant sa fièvre. Il ne présentait pas de signes de fièvre, avait-il été empoisonné ou drogué par une personne mal intentionnée? La Chanteciel tenta de calmer le jeune enwr, d’abord en le berçant, doucement et lentement afin de ne pas le troubler. Puis elle se mit à chanter*, utilisant la magie afin d’apaiser l’elfe.

-Ah toi, belle hirondelle, qui vole ici,
As-tu, vu dans ces îles, mon Alexis
Qui es parti, dans les voyages, y’a de longs jours,
Va-t-en chercher, des nouvelles, de son retour.

La suite de la chanson racontait que l’hirondelle, dans tout son courage et sa vaillance, retrouvait alexis qui promettait de rester fidèle et de revenir à sa belle. C’était une très jolie histoire, mais bien sûr, on ne pouvait que fondre à de tels vers et des notes aussi mélodieuses. La chanteuse savait qu’il y avait plus d’une version et que pour la chanter en groupe, il fallait s’entendre avant.

-Dawan…Que se passe-t-il? Pourquoi êtes vous aussi nerveux?

Elle ne savait pas s’il était revenu à la normale, du moins il devait être d’humeur plus joyeuse ou il le serait bientôt.

-Avez-vous mangé quelque chose d’étrange? Ou trinqué avec une personne qui pourrait vous en vouloir…

Vous en vouloir ou vous vouloir. Mais il semblait un peu étrange du point de vu d’Aléria de donner ce genre de drogues dans l’intention de violer quelqu’un. La personne aurait plutôt opté pour quelque chose qui l’aurait assommé, pas qui le fait courir dans tout les sens.

-Ou bien quelqu’un qui…vous aime beaucoup?

Elle se retint de ricaner, ce n’était pas tout à fait le bon moment.



*Chant d'apaisement
Un chant subtile et discret mais doux, qui apaise l'esprit et le coeur de tous, des êtres bipèdes aux animaux. Différent en fonction de chaque Baptistrel

Mage Correct, Note et élément en fonction du chanteur

Les crocs, la menace… Il avait cherché contre Aléria la protection, ce sentiment d'être hors de portée , épargné, qu'il avait pu avoir jadis à ses côtés. Il avait cherché contre elle la confiance aveugle qu'avaient les petits êtres vivants envers ceux qui les soignaient depuis l'enfance, cette idée persistante que quelqu'un qui les avait toujours choyé empêchait les maux de les atteindre. Mais les yeux continuaient de le regarder. Pâles, si pâles… Il allait mourir bientôt, il en était sûr. Mais il ne voulait pas ! Cela n'aurait pas dû être. Il était contre Aléria, rien n'aurait dû pouvoir l'atteindre, rien du tout… Et puis, ce n'était pas son heure. Il le sentait. Comme si Elle le lui avait murmuré à l'oreille…
Ces spasmes, c'était le combat que menaient son corps et son esprit, admettant puis repoussant sa mort. Bientôt, les ténèbres se dissipèrent, la présence lourd s'écarta, il n'y eut plus qu'un air léger sur ses épaules. Le chant… Il faisait des merveilles sur lui. Il sentait revenir en son coeur la sérénité perdue. À nouveau le monde était doux, à nouveau il pouvait essayer de s'y sentir une part, comme ne l'affrontant plus. Ô Aléria… Sa présence était une eau fraîche dans ce désert sec, brûlant, rêche. Il ne fallait pas mettre Aléria au soleil, alors, ou elle s'évaporerait. Oh, non ! Il ne voulait la perdre. Elle le protégeait, elle protégeait tant de monde… Avait-on déjà vu une guérisseuse qui fut son égal ? Dawan était persuadé qu'un jour, Aléria n'aurait qu'à effleurer une blessure pour qu'attendrie cette dernière se soigne d'elle-même, s'excusant au passage d'avoir causé du souci à la Chanteciel.

Il reprenait, peu à peu, quelques vers de la chanson, d'une voix murmurée, encore tremblante, mal assurée. Ne reviendrait-Il pas ? Etait-ce sûr ? Il ne voulait pas qu'il revienne… La fin de la chanson et la question d'Aléria lui firent un drôle d'effet. Il ne s'y était pas attendu, d'une part. Mais surtout, il lui semblait que ne plus chanter était comme le symptôme d'une maladie. Aléria n'allait pas bien? Il s'écarta un peu pour l'observer, la mine inquiète. Nerveux, nerveux… Il était nerveux ? Oh… Oh, les yeux pâles ! Non, Aléria était là. Il calma son souffle, aidé par la magie baptistrale qui le hantait encore.
S'il avait mangé quelque chose d'étrange ? Ah, ça, oui ! Un champignon, même qu'on aurait dit un certain champignon, mais en fait c'était pas le même champignon. Dawan chassa une poussière de musique de l'épaule d'Aléria. Super bon, ce champignon, ceci dit ! Il ne comprenait pas pourquoi les rebelles ne le croquaient pas plus souvent. En plus, ça redonnait la pêche ! En tout cas, il ne sentait plus la fatigue. Mais ce n'était pas la faute du champignon s'il était nerveux, non, c'était la faute de ces yeux… Ca allait mieux, il n'y fallait plus penser. Aléria le protégeait, son chant et les hirondelles l'enveloppaient d'une aura protectrice. Elles voletaient autour d'eux, les hirondelles, au même rythme que le chant qui s'échappait tout bas de la bouche du petit Enwr.
Il avait commencé à chercher dans sa mémoire les hypothétiques ennemis qu'il pouvait avoir… Quand Aléria proposa plutôt l'hypothèse de quelqu'un qui l'aimait beaucoup. Oh… Oh si seulement il avait pu être avec cette personne qu'il aimait beaucoup ! Ou… Ou…

"- L'amour…"

Il affichait un grand sourire, le coeur battant de rêves ravivés par la possibilité que tout soit réel, par les divers êtres qui, depuis quelques temps, venaient enrichir le cercle des vivants et non-vivants auxquels il était attaché plus encore. Il prit les mains d'Aléria, et murmura:

"- J'aimerais tant qu'il y ait plus d'amour encore, Cawr Aléria ! Plus d'Amour entre les êtres. Peut-être que si chacun se vouait d'un amour infini pour ce qui vit, nul n'oserait plus porter le tranchant d'une lame sur un congénère. Alors… Alors voyez-vous ? Voyez-vous ce qui pourrait advenir ? Voyez-vous… Kedrildan ! Le Lié de Trissi, je crois qu'il voulait m'épouser… Entre deux hommes, ç'aurait été… Oh !"

Il fit quelques mouvements de ses papattes pour remettre en place les cheveux d'Aléria qui s'envolaient, mis en mouvement par l'air que remuait, derrière elle la Pensée qui s'envolait. Une pensée, c'était un petit animal velu, plumu, de longues plumes effilées qui bouclaient sur la fin, qui possédaient deux grands crocs au bout de chaque patte, et qui émettait une douce lumière. La Pensée était allée se planter dans le plafond. Dawan, d'un bond, parvint à s'agripper à une bonne hauteur sur la paroi de pierre la plus proche. Mais l'escalade n'allait pas être simple. Son visage d'enfant se tourna vers la créature, qui feula, et parla en un langage qui n'était sans doute compréhensible que par l'Enwr, habitué aux créatures oniriques. Elle ne voulait être approchée que par les Cawrs, car seuls eux entendaient son chant. Oh, bon, d'accord… Dawan descendit, revint vers Aléria, et, prenant avec une grande douceur sa main, l'incita à se rapprocher de la paroi.

"- Pourriez-vous escalader ? La Pensée… On aurait dit qu'elle voulait que ce soit vous qui l'approchiez."

Et il fallait qu'elle l'approche ! Les Pensées, si elles n'étaient pas cajolées, finissaient par disparaitre. Celle-là était jolie… C'aurait été dommage de la voir finir si tôt ! Peut-être même qu'elle pouvait devenir une pensée compagnon, et rester sur les talons d'Aléria, pour illuminer ses journées...

Tranquilement, la peur partait avec les tremblements et la berceuse semblait avoir éffacé les spasmes. Berceuse, ou chanson pour conquérir le cœur d’une femme, Aléria savait qu’elle faisait fondre le cœur de plus d’une jeune femme. Le enwr refusait de répondre à plusieurs questions, ou bien les ignorait tout simplement? Il avait toutes sortes de réactions, de drôles de regards comme des yeux scintillants. Elle ne voulait pas le forcer à parler de quelque chose dont il ne voulait pas aborder le sujet, mais malgré qu’elle le trouve comique, elle s’inquiétait un peu pour cette attitude soudainement…irrationnelle? Était-ce cruel d’en rire, d’y trouver un peu d’espoir? Était-ce mal d’être aussi insouciant, détaché de la réalité pendant un instant si la réalité était trop difficile? Juste pour une heure, deux peut-être…Puis revenir à Armanda, au désert et à ses nombreux blessés. Elle en voulait bien, de cet étrange remède s’il était inoffensif. Après tout, Dawan n’avait fait mal à personne. Aléria avait envie de voir ce qu’il voyait, de savoir ce qu’il y avait dans son monde.

La femme se mit à sourire, une étincelle brillante dans les yeux, personne n’oserai soupçonner la couleur de ce sourire, il était plus que sincère, plus expressif qu’elle n’en avait l’habitude. Amour, elle ne le connaissait pas passionnellement, mais elle aimait son ordre d’une autre manière. Elle aimait la musique, tous ou presque tous les livres qu’elle avait pu lire, qu’elle gardait plus précieusement que des bijoux. Mais il lui semblait que le jeune elfe n’avait pas tout à fait raison, il lui semblait que l’amour avait fait plus de ravage que d’amitiés mais que sans elle, il n’y aurait plus de différence entre les animaux et les hommes, que leurs constructions. Tant qu’aux vampires et aux elfes, ils avaient bien des choses propres à eux. Elle se mit à ricaner à la conclusion de Dawan, puis détourna le regard en se demandant ce qui le préoccupait autant. Un mariage entre deux hommes? La Chanteciel se demandait comment les gens auraient réagis, mais elle n’y voyait pas d’objection…Pourquoi pas? Seulement le mariage n’était pas vraiment nécessaire, sachant qu’il ne servait qu’à lier ou former une famille.

La baptistrelle haussa les sourcils, abandonnant son sourire, après avoir vu Dawan bondir sur une pierre… Puis redescendre et la diriger sur le dit roché, qui en fait mesurait un peu moins que la femme. Elle pencha la tête sur le côté, ne comprenant pas tout à fait ce que le jeune elfe attendait d’elle, mais elle avait quand même envie de jouer au même jeu.

-Humm, d’accord. Mais, je vis avoir besoin d’aide pour grimper, croyez vous pouvoir le faire? Dit elle presque en chantant.

Avec l’aide du enwr, elle grimpa sur la parroi, une main maladroite ici et là et des pieds hésitants. Même si l’épreuve n’était pas infaisable, Aléria n’était pas habillée ni équipée pour grimper. Ce n’était d’ailleurs pas une pratique à laquelle elle s’adonnait souvent. La cawr s’assied, les jambes croisées puis se retrouva sur les genoux lorsqu’elle se pencha vers l’avant afin de tendre ses mains au garçon :

-Croyez vous que ca va aller? Allez, venez me rejoindre, je n’ai pas grimpé pour redescendre tout de suite et je ne veux pas vous laisser seul.

La Chanteciel songea que cela aurait pu être perçu comme un ordre, et regretta la manière dont elle demanda de la compagnie au jeune elfe. Mais de toutes manières, elle ne lui demandait rien de bien mal, et elle avait besoin de garder un œil sur lui tant qu’il semblait intoxiqué. Elle l’aida à se hisser jusqu’en haut, puis lui fit une petite place près d’elle.

-Et vous? Vous aviez envie de vous marier avec lui? Ou bien vous aviez peur de ce que les gens penseraient…



(HRP: Je me suis permise quelques libertés, j'édite au besoin)

Dawan offrit à la chanteciel une aide preste, presque précipitée, en jetant de rapides et fréquents coups d'oeil là où la Pensée s'était accrochée. Elle les observait d'un oeil curieux, son museau de biche frémissant de temps à autre. Cela rassura l'apprenti, car elle donnait l'impression de les attendre. Il continua de guetter les réactions de la créature, en ayant fini de porter Aléria à son perchoir. Mais il manquait quelque chose…
Il ne comprit qu'en entendant à nouveau la voix d'Aléria. Eh bien, pourquoi n'allait-elle pas à la rencontre de celle qui l'attendait ? Elles étaient faites l'une pour l'autre ! Peut-être que sa Cawr ne savait pas s'y prendre ? Oh, cela était peu probable. C'était lui l'apprenant, et elle, celle qui savait. Mais peu probable ne signifiait pas impossible. Dawan eut également un petit mouvement du bout du nez, semblable à celui de la Pensée, avant de se décider à bondir aux côtés de la Cawr, n'ayant visiblement pas voulu profiter de la main tendue. Il pouvait se débrouiller seul, et ne voulait pas être celui qui dévorait les forces d'Aléria. Arrivé en haut, tout juste assis à ses côtés, ses mèches blondes ébouriffées davantage que d'ordinaire par le bond, il jeta un coup d'oeil autour de lui. Tout était si différent, pour peu que l'on changea un peu son point de vue ! Il avait l'impression d'avoir parcouru des kilomètres, la fatigue en moins. Peut-être qu'une partie des différences entre dragons et bipèdes venait de cela: les dragons bénéficiaient plus souvent de l'occasion de changer radicalement de point de vue. Mais d'en haut comme d'en bas, les bipèdes restaient minuscules…

Il était là, à ces pensées draconiques, son buste ayant un mouvement vers l'arrière sous l'effet du vide qui s'était approché de lui, et le regard comme lointain et songeur parcourant les pierres qui les entouraient comme si elles possédaient l'étendue et l'intérêt d'une vue aérienne des terres humaines. Aléria le ramena de nouveau parmi eux. S'il avait envie de se marier avec lui ? Il perdit quelques couleurs, un bref instant. Puis il eut une inspiration mêlé d'un drôle de son. Ah, il venait de comprendre ! Il parut alors comme gêné, ne regardant plus Aléria. Ses bras étaient passés autour de ses genoux pour les étreindre. Il avait quelqu'un à consoler, quelqu'un qu'il ne voulait pas blesser, non non non...

"- Je n'ai pas le sentiment d'être prêt pour un mariage, même avec une elfe, même de mon âge. Je crois que Kedrildan aurait bien aimé, pourtant, un mariage… Je ne lui ai pas dit ce que je vous ai dit. J'ai peur de le blesser. Je l'apprécie… Oh, regardez ! Il m'a offert ceci…"

Dawan eut tout juste le temps de commencer à montrer l'amulette de protection qui ne quittait plus son poignet. Son geste s'interrompit en cours de route, alors qu'il redressait à nouveau la tête. La Pensée avait glapi. C'était vraiment adorable, un glapissement de pensée ! On aurait dit une tentative de rugissement de bébé lion. La Pensée se déplaçait, se rapprochant d'eux, voyant qu'ils ne faisaient pas l'effort eux-mêmes. Elle avait vraiment envie de rejoindre Aléria ! Il fallait les unir, il fallait...
Le regard de l'Enwr suivit la trajectoire de la créature.

"- C'est un comme celui-ci, que j'ai mangé. C'était très bon…"

Il montra le champignon du doigt. Ce n'était qu'en ayant senti la différence de goût qu'il avait constaté son erreur. Mais cela ne l'avait pas empêché de terminer sa bouchée, en se disant qu'il assumerait les conséquences, qu'il avait la nuit pour se reposer, et les sorts de soin de son côté, au cas où. Il n'en avait pas eu besoin, finalement, préférant se laisser emporter dans les tourbillons de neige que le champignon lui avait proposé.
Le petit elfe eut un sursaut quand la Pensée acheva sa course le long du mur, telle un lézard, avant de bondir juste sous son nez, entre eux et le champignon. Le regard de Dawan fit quelques allers-retours entre Aléria et l'animal. Qu'attendaient-elles, l'une et l'autre ? Elles n'allaient pas ce manger ! Et… Cela se voyait qu'elles étaient toutes deux pleine d'amitié pour l'autre ! Un véritable coup de foudre !

"- Soyez sans craintes…"

Murmura-t-il, tout de bienveillance, d'une voix qui se voulait rassurante, à Aléria. Ses mains vinrent sur le poignet de la Cawr, diriger avec une grande douceur sa main, pour qu'elle s'approche de la Pensée.

La Cawr pencha la tête sur le côté, l’air déconcerté…Il fallait lui dire! Mais maintenant, il était trop tard, ils avaient probablement été séparés par la situation politique. Si Dawan avait parlé à son ami de sa réticence au mariage, cela aurait probablement été beaucoup moins blessant que de l’apprendre trop tard…de croire qu’il s’agissait d’un manque de confiance, d’une cachoterie. Alors qu’en fait Dawan n’avait qu’un peu peur, et il aurait pu trouver une solution avec son ami. La baptistrelle s’imaginait le scénario de l’amoureux qui a hâte de retrouver l’être aimé pour retrouver une rupture…Mais cette relation ne semblait pas aussi mutuelle.

La femme ricana, un regard bienveillant se posant sur l’elfe, elle savait comment le sortir de son petit monde mais ne savait pas si elle en avait envie. Après tout, pour l’instant il n’était pas en train de convulser, mais n’était pas tout à fait sur même plan. Et si lui, n’avait pas envie de sortir de ce petit monde? Elle ne savait pas si elle avait envie d’essayer, ce devait être rigolo, mais il y avait cette petite voix qui lui disait que c’était forcément mal…surtout au beau milieu du désert avec Dawan sous sa responsabilité. Qui allait venir les chercher lorsque l’air serait glacial?

Elle ne repoussa pas le Enwr, mais sourit en descendant doucement sa main :

-Dawan, je ne vois pas ce que tu vois, tu en es bien conscient, non?

Aléria se redressa pour aller cueillir le champignon, étirant ses bras pour ne pas avoir à décoller les genoux de la paroi. Elle avait probablement passé au travers de ce que Dawan lui désignait plus tôt. La Chanteciel observa la moisissure, ça ne sentait pas très bon, c’était clairement quelque chose qui poussait n’ importe où et n’importe comment.

-Pourquoi ne pas avoir dit la vérité à Kedrilan? Si tu ne l’aimes pas, tu devras lui dire un jour ou l’autre et il devra faire son deuil. Vaut mieux que ce soit bref, et rapide, que long…n’est ce pas?

Le ‘’agonisant’’ qui restait à sa phrase ne se voulait pas rassurant, elle le tut donc. L’humaine déposa le champignon dans un petit sac qu’elle avait sur elle. Peut-être pourra elle le comparer plus tard si elle trouvait d’autres malheureux qui avaient trop faims pour vérifier si leur repas était comestible. Bon…Elle avait intérêt à le cacher sérieusement mais sinon, il n’y avait pas de problèmes.

-Je ne sais pas… Je crois qu’en amour il faut savoir penser à soi.
Elle haussa un sourcil, puis sourit, amusée.

-C’est peut-être pour ça que je suis seule. Après tout, qui a le temps d’avoir un amant lorsqu’on fait parti de l’ordre baptistral? Ria-t-elle.

Posant son regard souriant sur Dawan, elle chercha ses yeux et son attention avant de lui adresser de nouveau la parole. Avec toutes les pensées qu’elle disait tout haut, il ne la suivait probablement pas depuis le début.

-Dites moi, voudriez vous que je mette fin à vos hallucinations? Vous ramener au monde réel?
Même si le monde de Dawan semblait plus excitant et moins triste, il semblait inquiétant aux yeux d’Aléria.

Dawan s'était immobilisé. Elle… Ne voyait pas ce qu'il voyait ? Alors ce champignon qu'il avait mangé était bien hallucinogène ? Bon. D'accord. C'était dommage: il avait vu tant de merveilles ! Il avait vu la neige… Il aurait aimé qu'Aléria la voie aussi !

"- Douce douce et blanche neige ~ Glisse sur moi tes flocons ~ "

C'était tout ce qui s'échappait de ses lèvres, ce petit chant qui s'était imposé à lui au souvenir de ce blizzard, il y a quelques instants. Une fausse neige, alors ? Difficile à dire. Le réel était si compliqué à définir. Dans le doute, il avait tout accepté, comme il acceptait toujours ce qui venait à lui. Alors l ne comprenait pas quel élément de ce monde échappait à Aléria: la Pensée ? Le champignon ? Autre chose, peut-être ? L'intégralité de ce qui l'entourait ?
Il avait finalement éloigné sa main de celle de la Cawr et s'était retourné, observant tout autour de lui. Il voyait cette grotte aux pierres mouvantes et le bruit lent des pierres qui roulaient, le "plop" des fleurs qui surgissaient sur les pierres avant d'éclater. Ce n'était pas courant… Il devait bien y avoir des éléments qui n'étaient perceptibles que par lui, et non pas par le reste des mortels. Surtout si Aléria l'affirmait. Se re-tournant vers elle, sa comptine toujours sur le bout de ses lèvres, il vit le champignon entre les doigts de la Cawr. Bon, lui, il était de leur réalité partagée. Une sensation proche de celle du vertige s'emparait peu à peu de lui, créant une désagréable impression de mise en abîme dans son esprit. Trop de possibilités. Trop de possibilités qui impactaient l'univers entier. Mais combien d'univers, s'il y en avait un par être vivant ? Non, ce n'était pas ça… Quelque chose d'autre. Quelque chose qui ne pouvait qu'échapper à leurs ridicules cerveaux de bipèdes, oreilles pointues ou non.

À cette sensation de vertige vinrent s'ajouter tout à coup les mots d'Aléria. Dawan s'appuya sur le mur, l'air hagard, comme un humain maladif, son regard porté sur… Rien. Sa Cawr était si bienveillante que ses mots en devenaient dur pour le petit. Si elle lui annonçait qu'il aurait dû faire autre chose, alors oui, il avait vraiment le sentiment d'erreur, avec tous les regrets, remords et la culpabilité qui allaient avec. Oh, pauvre Kedrildan… Il lui avait dit, il s'en souvenait, très bien. Dawan porta les paumes de ses mains devant ses yeux. Son souffle saccadé se rappelait du chant des Nordiques, dans cette caverne où le dragonnier lui avait redit qu'il aurait aimé le voir accepter.

"- Il a dit… Il a dit… "Appartenez-moi". Il a dit… "Je ne supporte plus d'être seul". Il a dit cela. Le dragonnier…"

Ses mains glissèrent jusque dans ses cheveux, ses doigts vinrent se refermés sur eux, crispés par son envie, soudaine, de prendre soin de lui. Tout ce qui souffrait, il devait en prendre soin. Quant aux paroles rapportées, Aléria pouvait être certaines que c'étaient mot pour mot ce qui avait été dit. Dawan avait toujours eu une sorte de don pour être capable de se rappeler à la césure près certaines paroles, et pour oublier des choses bien plus élémentaires. Mais s'il l'affirmait, c'est que cela avait sans doute été important pour lui.
Ses doigts vinrent saisir le métal tiède de son diadème, qu'il retira. Penser à soi ? Pas pour lui, pas en amour. Seuls, les baptistrels ? Merithyn avait eu Eliow, maitre Eawyn avait eu sa dulcinée, et son fils, Ysath était toujours très entouré (de bouteilles, certes, mais entouré quand même). Le rire d'Aléria eut pour réaction de pousser Dawan à porter ses mains à ses propres bras, comme s'il avait voulu s'étreindre. Le temps pouvait paraitre comme étant celui où les futilités n'étaient pas permises, où l'amour était un gâchis inadmissible. Lui, il savait, il savait… Plus que jamais, il fallait être rebelle. Plus que jamais il fallait s'accrocher à ces prétendues futilités que l'on voulait leur retirer. Plus que jamais leur temps devait être dépensé en amours et amitiés. Que les yeux des Protégés, ceux qui allaient disparaitre, aient jusqu'au bout été emplis d'amour pour ce qui les entourait. Qu'ils ne soient pas le camp de la haine. Elle ne les sauverait pas. L'amour, en revanche, leur donnait une chance, et leur donnait le souffle qui manquait. L'amour, pour changer le sable qui crissait sous la dent en une eau pure et fraîche. Il avait offert tous les soins de son amitié à ceux qui étaient prêts à passer du temps avec lui, il avait fait de son mieux pour cela. Mais les gens pensaient tant aux combats, on aurait dit que cela asséchait leurs coeurs. Et l'amour, l'amour… Oh, ce n'était qu'un rêve. Depuis longtemps Dawan avait admis que c'était une jolie histoire, mais qui ne concernerait jamais que "les autres". Si ses rêves avaient parfois la douceur de l'espoir, ils gardaient l'amère goût de l'absence. Pas pour lui. Les regards que l'on posait sur lui l'avaient toujours indiqué.

Il n'entendit pas l'ultime question d'Aléria. Enfin, si. Mais il n'en voulut pas. Il voulait Kedrildan. Il doutait que le vampire ressente véritablement de l'amour pour lui. Ce n'était pas pour cela qu'il voulait le voir. C'était pour jouer avec lui, lui parler, l'entendre grogner, l'entendre s'inquiéter, ou rire. Il l'aimait bien, il voulait le savoir heureux. Il avait cru ouïr qu'au sein de la théocratie il jouissait d'une bonne place… Peut-être l'avait-il oublié ? Adossé au mur, Dawan répéta plusieurs fis ce prénom. Kedrildan. Prendre soin de lui. Etait-il bien entouré ? Avait-il trouvé des amis, des gens qui tiendraient à lui, comme lui pouvait y tenir ?

"- J'aimerais son bonheur. Le blesser est le dernier de mes souhaits. J'ignore comment ceci éviter, comment protéger son coeur. Il est loin, parait-il…" Il ferma les yeux. "En Théocratie, pourvu qu'ils prennent soin de lui." Jadis, il aurait surtout dit cela par rapport à Trissi, dont la vie dépendait également de celle de son dragonnier. Ce n'était plus le cas. Kedrildan était un être auquel il tenait, pour ce qu'il était.
La présence d'Aléria, il la sentait. Il croyait également sentir son attention portée sur lui. Dans son petit crâne d'elfinet résonnaient les mille sons de Caladon. Aléria lui avait posé une question, avant, non ? Une question avec des hallucinations… Il passa donc du coq à l'âne, la mine toujours inquiète."Messire Amarië aussi a des hallucinations, parfois. Il y a un mois environ, je l'ai trouvé en haut des murailles, en plein soleil… J'ai dû le ramener à l'ombre. Il ignorait comment distinguer hallucination et réalité. Pour lui, le goût était ce qui la révélait." Ils s'étaient embrassés, oui. C'avait été purement utilitaire, néanmoins. "Je n'arrive pas à savoir ce que je vois que vous ne voyez pas. Mais cela devrait s'effacer seul, n'est-il pas ? J'ai vu de la neige, elle était une poudre de coton, glacée. J'aurais aimé que vous aussi le viviez…"
Il parut troublé de ses propres dires. Poudre de coton, glacée… Il se souvenait du crissement de la neige lorsque l'on marchait dessus. Comme si c'était hier. "Vous souvenez-vous des temps de neige, sur le Domaine ? Je m'en souviens…" Un petit bout de sourire vint au coin de ses lèvres, alors que ses mains n'avaient pas quitté ses bras. Il se souvenait aussi du verglas... Ce qui était un tout autre genre d'humour.

La Chanteciel posa un regard inquiet sur le enwr, l’avait-elle blessé? Non, il était déjà fragile et avait cette expérience dans le corps, pas comme elle qui ne pouvait pas vraiment comprendre…Enfin, elle pouvait se mettre à sa place, mais cette relation semblait plus compliqué qu’un simple béguin qui n’avait pas fonctionné…Ou le genre d’histoires qu’elle entendait fréquemment. Et elle, comme elle le disait, n’avait jamais ressenti ce genre d’affection pour quelqu’un, certes elle avait un peu plaisanté sur l’horaire chargé des baptistrels, même si certains avaient eus leur partenaires…Mais Eawyn et Merithyn avaient la vie éternelle, ou très longue et tout le temps qui fallait devant eux. Aléria avait commencé son apprentissage très jeune et n’avait gaspillé aucune année. Et dire qu’elle était déjà d’âge moyen et qu’elle venait tout juste d’arriver à être maîtresse baptistrelle, la femme n’aurait certainement pas le temps pour ce genre de relations. Alors qu’Eawyn avait quelques voir plusieurs centaines d’années devant lui, elle n’en avait que cinquante si elle était chanceuse. C’était tellement étrange de voir ces elfes ne prendre aucune ride au cours de toutes ces années et elle … Prendre de plus en plus de coups de vieux.

Aléria approcha une main de Dawan, hésitante, elle n’avait pas envie de le troubler, mais ne voulait pas non plus le laisser dans cet état, il ne méritait pas ça. Le garçon semblait tellement triste et cette relation semblait …effrayante et abusive. Pas tout à fait à sens unique, être aussi possessif ne pouvait être que malsain. Et n’avait-il pas prononcé le mot amour? Comment est ce que Dawan pouvait le blesser s’il ne s’agissait pas de ça? La Chanteciel déposa enfin sa main sur le haut du dos de l’elfe, tentant de compatir. Mais redresse toi, disaient ses yeux, ne reste pas comme ça…Le voir souffrir ainsi l’inquiétait.

-Oh Dawan…Mais ne voyez vous pas que c’est vous qui êtes blessé?

Aléria le lâcha enfin, ayant simplement eu l’intention de lui montrer son support…Mais elle avait envie de le prendre dans ses bras et de mettre fin à ces sentiments destructeurs.

Et peut-être n’était-ce pas son cœur que le enwr avait touché…Ni ce qu’il blesserait s’il venait à lui avouer ce qu’il avait à lui dire. La Cawwr avait envie de mettre fin à cette intoxication, de dire que c’était suffisant pour ce soir, qu’il avait eu assez de pensées négatives comme cela. Mais le garçon changea de sujet, ce qui piqua la curiosité de la baptistrelle. Elle ne compenait pas tout à fait de quoi il parlait…Quelqu’un qu’il connaissait avait mangé le même champignon que lui? Eh bien, d’accord…Que pouvait elle en penser de plus? Puis la phrase qu’il prononça la fit sourire. Bien sûr qu’elle s’en souvenait, elle s’accrochait à ces moments depuis bien avant la théocratie, depuis que le domaine avait disparu probablement…Il était objets de ses rêveries de tous les jours, un espoir d’un jour pouvoir reconstruire sur les ruines, ou que les enfants d’aujourd’hui puisse le faire, au moins.

-Oui, bien sûr… Il me semble que ces souvenirs sont tellement doux, beaucoup plus que la réalité…mais il me semble aussi que l’on profite plus des souvenirs une fois passés. J’espère que la situation ne puisse pas s’empirer assez pour que le désert nous manque…

Lorsqu’elle y pensait, elle se trouvait chanceuse de ne pas être à morneflamme, mais se dit toujours avec effroi qu’elle préférait les envahisseurs Alayens que Vraorg. Et que la bataille des bois sombres n’avait pas duré des années…Tout comme celle de l’aube rouge.

-Je crois que ça peut pendre beaucoup de temps avant que la neige s’en aille…et que ce champignon vous fait plus de mal que de bien. J’aimerais aussi voir la neige…et toutes les choses tellement plus drôles que vous voyez, mais…ces remords, ces peurs, cette angoisse, je ne veux pas la vivre. Et je ne peux pas vous laisser comme ça…

Aléria se concentra donc sur le sort qu’elle avait l’intention d’utiliser puis se mit à chanter…*





*[Soin] Annulation
Peut soigner une malédiction et/ou guérir du poison.

Geste clé : Chant elfique.

Tant de choses se bousculaient en lui, et hors de lui ! Les créatures de la nature ont besoin d'air pur… Non, ce n'était pas cela. non, les créatures de la natures étaient en bas, dans la caverne, et elles entamaient une très lente danse, en rond. Il aurait fallu un Cawr, au cendre, pour les guider. Au cendre ? Non, non, au centre… Non, cendre, c'était très bien, cendres. Un bain de cendres lui aurait fait le plus grand bien. Aléria lui affirma qu'il était blessé, et il se figea, les yeux fermés. Il voulut creuser cette idée-là, sentant qu'elle contenait une sagesse qui lui serait utile. Il avait tant de mal avec le mot "vous", quand cela le concernait. Il était encore jeune, et peinait à comprendre qui il était, quelles étaient ses limites et sa définition, quelle était sa place. Qui était ce Dawan Sywel dont on parlait en le regardant, comme s'il avait tous les pouvoirs sur ce que désignaient ces mots ? La danse tournait, lente, pesante, sa musique était faite de brames, rugissements, hennissements, meuglements, hululements… Pour lui, la majeure partie de la réponse, celle qu'il utilisait la majeure partie du temps, c'était "Dawan Sywel est la musique qu'il a joué, joue, et jouera". Mais de temps à autre, cette terre lui rappelait que ce n'était pas si simple. Il y avait des parties de lui qu'il ignorait encore, qu'il découvrait peu à peu, des notes qu'il peinait à trouver. Le hululement se faisait plus puissant, comme son totem s'envolait et dominait la danse, de ses grandes ailes d'azur et de soleil. La chouette effleurait du bout des ailes une douce hermine de lumière. Lui, blessé ? Il chercha en lui. Oui, des blessures, plein de blessures, pour lesquels il avait chantées des sorts de soin bien particuliers, mais qui parfois le lançaient encore. Des blessures qui parfois brisaient le présent pour le renvoyer dans le passé. Il y avait toutes ces blessures… Il ne vit pas le rapport avec Kedrildan, mais il ne le cherchait plus. Il pensait à lui, enfin, à ce "vous", ce blessé. Etait-il une blessure qu'il n'avait pas correctement pansée, et qui l'aurait empêché d'être à sa place en temps et en heure, pour jouer les notes nécessaires ?

Il cherchait. Les yeux fermés, entre la danse, entre Trissi, les souvenirs qui lui revenaient, il cherchait, ne cessait de se remémorer ce "vous" et ce "blessé", comme s'ils allaient finir par lui indiquer exactement ce qu'il devait faire. Il avait parlé d'Elrond, des hallucinations, comme un moyen d'écarter une partie de ce qui lui venait, pour enfin se focaliser sur ce qu'elle avait dit. Il aurait aimé parvenir jusqu'au bout, comprendre le sens profond des mots d'Aléria. Mais ses propres mots avaient finalement eu raison de lui, l'entrainant sur les terres glacées de l'hiver, mordant ses joues comme le vent aime à les arracher en ces saisons blanc cassé. Les mots d'Aléria lui parurent comme les balades de pétales de fleur sur sa peau dorée, il crut en voir quelques reflets. De la bouche d'Aléria sortait une brume blanche, parsemée d'étoiles. Rien d'anormal, c'était une chanteciel, après tout. Elle avait écarté une partie de ce qui troublait l'apprenti, mais empêchait également une partie de ses réflexions. Oh, il aurait fallu qu'elle lui parle plus tôt, quand la fatigue n'avait pas encore brisé les liens qu'il peinait tant à tisser autour de ses pensées ! Mais était-ce une bonne chose seulement que de se brimer ainsi ? Si cela empêchait une réflexion longue, cela ouvrait également cette même réflexion à des éléments qui ne lui seraient potentiellement pas venus autrement. Il approuva cette idée. S'il lui semblait que les souvenirs de neige étaient plus difficile à effleurer une fois passés, il comprit néanmoins les dires de son enseignante quant au désert. Il caressa du bout des doigts l'idée que ces rocs secs qu'étaient ceux du désert puissent un jour pour lui être synonymes d'un temps "meilleur", et non plus de l'exil. Cela lui paraissait possible. Il y avait tant de façons de rendre les choses pires encore… Tant d'un point de vue égocentrique que d'un point de vue plus général. La vie pouvait être plus menacée encore, les éléments pouvaient tomber. À partir de là, l'harmonie brisée, c'était un monde qui s'effondrait. La fin du monde tel qu'ils le connaissaient… Le début d'un autre ? Mais que serait cet autre ? La vie ne pouvait subsister dans de trop rudes conditions… Et qu'était un monde sans vie ?

Il avait offert à la Cawr un signe de tête affirmatif, sans vraiment la regarder. Il l'écouta à nouveau, eut tout juste le temps de murmurer qu'il n'était pas, hélas, celui qui demandait l'aide d'un champignon pour ressentir remords et angoisses. Le chant s'éleva, de la voix merveilleuse d'Aléria, et Dawan aurait bien été incapable de l'interrompre tant elle était un baume pour le coeur et les oreilles. Il écouta, laissa la magie le toucher, se mêler à lui. Il croyait en sentir les effets qui chatouillaient l'intérieur de son crâne, mais les frissons le long de son dos n'étaient en rien dus à la magie. Incapable de contenir davantage ces frissons, comme son corps lui en donnait l'impression, il mêla sa voix à celle de la chanteciel. C'était un duo, il n'était nullement question de couvrir en volume la Cawr, ou au contraire rester discret. Les deux timbres de voix, semblables en hauteur, se mêlèrent. L'apprenti se concentrait sur le résultat obtenu, oublia peu à peu de discerner les diverses origines. Il aurait été capable de modifier sa voix si celle d'Aléria n'avait pas été à son goût, ce qui ne fut pas le cas. Par la confiance qu'il avait acquise en ses propres cordes vocales, il trouvait les notes avec cette aisance que l'on a dans les gestes instinctifs. Par les pouvoirs que les maîtres lui avaient conférés, il montrait à Aléria le fruit de leurs efforts, le son clair qu'il pouvait produire, le chant qu'il connaissait, pour l'avoir étudié.
Cela lui fit beaucoup de bien. Les pensées parasites s'étaient éclipsées, pour ne faire place qu'à ce travail-là. Il était délivré, de bien plus que des simples hallucinations. Les chants des bêtes s'étaient tus. Ne restait que l'écho dans la grotte, comme si c'était là le propre son des pierres. Ne restait plus que leurs souffles. Une sensation de vide un peu vertigineuse née de ce soudain contraste. L'impression d'être soi-même un peu vide. C'était plaisant pour le corps et l'esprit, moins plaisant pour cette partie de lui qui portait en estime la grande liberté qu'offrait un esprit bien ouvert et bien peuplé, enrichi de découvertes sans y trouver de murailles.
Le métal froid du diadème était toujours entre ses doigts. Il chercha à le passer à son bras, senti que le bijou n'avait pas la taille adaptée, le retira. Rouvrant les yeux, il dut prendre une longue inspiration, constatant que tant d'éléments avaient disparus. Dans un murmure, ses pensées s'échappèrent: "Où sont partis les enfants du rêve ? Je n'entends plus les hululements et les brames..." Son regard argenté vint sur la Cawr. Ses mots lui revinrent à sa mémoire. Ne voyez-vous pas que c'est vous qui êtes blessé ? Finalement, le petit Enwr, avide de réponses tant pour lui que pour ses camarades, demanda, portant son diadème juste devant ses lèvres: "Comment faites-vous, lorsque les blessures à soigner ne touchent plus les corps, mais les âmes et esprits...?" Il était encore déstabilisé, il cherchait encore de ses sens les hallucinations disparues, cherchait les réponses aux questions qui lui venaient, cherchait à la fois à éviter et affronter l'image mentale d'un Kedrildan à qui il devrait faire comprendre qu'il ne voulait se marier, quand ça lui tenait à coeur... Et les visages de ses amis blessés venaient remettre en doute ce qu'il croyait savoir de lui même, l'attristant un peu. Il était soigneur, mais il ne savait s'occuper de l'esprit meurtri de Silarae, des craintes de Luna, des inquiétudes de Fabius... Qui était-il, alors ?
Il était temps de lui apprendre à soigner. Il se sentait prêt !

Il y avait longtemps que quelqu’un ne s’était pas joint à son chant, purement instinctivement ou bien par simple impulsion. La Chanteciel se permit de sourire en ne détournant pas l’attention du sort qu’elle utilisait, touchée par la candeur de l’elfe. L’harmonie qu’ils créaient vibrait et les notes se frottaient ensemble, tous deux savaient comment créer de jolis effets sans tomber dans la cacophonie. Le mélange de magie, d’harmonies et d’amitié créait une passion dont rien ne pouvait concurrencer.
Elle laissa le garçon reprendre ses esprits lorsqu’elle eut épuisée toutes ses notes. Il semblait troublé, ce qui ne surprit pas Aléria, mais piqua tout de même sa curiosité. Elle aurait aimé entendre cette mélodie qu’avait crée son esprit avec l’aide des champignons, voir ces choses qui désormais étaient disparues toutes en même temps, et beaucoup trop rapidement pour autant d’éléments. Cela devait être étrange d’atterrir dans la réalité aussi précipitamment. La femme pencha lentement la tête sur le côté, toujours posée et calme.

-Je crois que c’est à vous de me le dire…je n’ai rien entendu.

La Chanteciel tira une mine attristée en entendant la seconde question de l’enwr. Ce n’était pas un mystère qu’elle avait déjà percé, ni une question à laquelle elle pouvait répondre aussi facilement et simplement. Mais elle voulait bien essayer d’y réfléchir avec le jeune elfe. Aléria détourna la tête, semblant pensive, elle retroussa ses jambes afin de les tenir dans ses bras. La femme cherchait ce qu’elle pouvait dire…C’était délicat, et pourtant, il lui semblait tellement évident que les blessures n’étaient pas seulement physiques et que Dawan n’y avait pas échappé, contrairement à ce qu’il pouvait penser.

-Je…Je crois que ça dépend de chaque personne, chaque expérience et de chaque situation. La plus part des gens ont besoin de parler, d’autre n’en ont pas envie mais en ont quand même besoin.

La femme fronça légèrement les sourcils, pas fâchée, mais préoccupée.

-Et d’autres ont besoin de dédramatiser, puisqu’ils en ont assez parlés. Cependant…certaines choses doivent m’échapper. Beaucoup de soldats m’ont parlés de ce qu’ils ressentaient, de leurs besoins, la plus part étaient triste, leurs pupilles semblaient chercher le pardon...J’imagine que c’est ce qu’il leur manque pour relâcher la pression, accepter la situation…Laisser aller.

Mais il ne s’agissait pas là de guerres et de meurtres, mais d’amour et de passion.

-On m’a dit que le temps guérissait les blessures, mais parfois, les gens ne sont pas assez patients…Parfois ils ne sont pas assez courageux…ils abandonnent. Bien sûr il y a des sorts, des objets magiques qui apaisent l’esprit…

Elle tourna la tête vers Dawan, souriant afin de le rassurer, la conversation était un peu triste, voir lourde.

-Mais je crois que, lorsque les proches sont présents, les épreuves sont beaucoup plus faciles à traverser. Un peu moins de solitude est toujours la bienvenue, même venant d’une personne que l’on connait peu, il est agréable de voir qu’il n’est pas si difficile de se rapprocher d’une personne.

Et de savoir le monde un peu plus en harmonie, et un peu moins individualiste.

Se sentait-il lui-même blessé pour avoir demandé une telle chose à Aléria ? Non. S'il l'était, il ne faisait que peu pour se soigner, croyant que le protocole habituel suffirait à réparer toutes ses blessures, des fractures aux plaies ouvertes dans son âme. Un peu de vièle, un peu de laisser-aller dans le jeu de ses doigts et de son poignet, cela pouvait tout guérir, n'est-ce pas ? Extraire de son âme et de son corps les notes qui l'obsédaient était fatalement le remède à tout. C'était bien particulier, et il ne l'appliquait qu'à lui, cette noyade dans les ténèbres, cette façon d'en sortir en laissant derrière soi ses propres ombres. Il ne pouvait infliger cela à ceux qu'il aimait. D'autant plus qu'eux paraissaient pouvoir parvenir à se soigner sans passer par là.

Il lui avait manqué le "comment", pour mieux comprendre pour guider ceux qui lui tenaient à coeur sur les chemins lumineux qui apaisaient les âmes. Il y croyait encore. Même dans ce monde de boue et de sang, de poussière et de cendres, il croyait pouvoir panser les plaies spirituelles de ses camarades. Pas plus naïf qu'un autre, il devinait qu'elle se rouvrirait au prochain coup porté par le Voleur, mais en attendant, c'était son rôle, sa place, ce que raison et passions le poussaient à faire. Il ne pouvait en être autrement quoi qu'il en soit. Mais ses maladresses et son ignorance lui faisaient parfois peur, lui faisaient craindre de faire plus mal que bien. Il re-voyait sa petite Luna, tourmentée par Néant, qu'il n'arrivait à protéger de son propre passé.

Bien sûr, il se doutait que tout dépendait de chaque être. Ce point-là était plus ou moins commun à tout ce qui touchait aux vivants. Il n'existait de façon de faire qui promette un résultat identique pour tous, de mots qui offrit la même réaction. Dawan, assis en tailleur, avait distraitement passé son diadème à son poignet, et jouait avec la poussière sur le sol, sans vraiment l'observer. Il était attentif. Enfin, autant qu'il pouvait l'être. Son esprit cherchait sa nourriture, les pensées qui normalement étaient toujours multiples pour l'alimenter. Mais l'apaisement d'Aléria et le choc du retour sur terre rendaient ses réflexions plus laborieuses qu'elles auraient dû l'être. Il voyait défiler des idées, il voyait Kedrildan, il tâtonnait à la recherche des hallucinations perdues, de sons autour de lui. L'écho seul répondait, ainsi qu'Aléria. Il récupérait les mots qui lui paraissaient importants, les gardait précieusement. Ils avaient en eux le bruit doux du frottement de la poussière sur le sol, du souffle de la Cawr. Besoin de parler, cela ressemblait, au final, à sa noyade musicale. Dédramatiser… Le pardon, l'acceptation, le laisser aller…

L'image d'Eliowir lui revint. Le vampire qui avait jadis demandé son pardon… Et lui, il s'était dit qu'il n'était pas celui qui pouvait posséder quelque rancoeur, donc quelque pardon à offrir. C'était là l'apanage des grands Juges, les Huit au-dessus d'eux. Il avait pardonné au vampire avant même qu'il lui ait porté atteinte, et pourtant, l'Infanticide avait insisté. Le pardon… Il aurait dû lui en offrir au moins l'impression, peut-être, faute de le convertir à son point de vue. Il songea aux soldats, se demanda pourquoi ils se jetaient dans des actions dont ils savaient qu'elles apporteraient remords, regrets, tourments. Si le coeur le murmurait, c'était qu'il avait ses raisons…
Finalement, l'apprenti s'était recroquevillé, allongé peu à peu sur le sol, sur le flanc, ses jambes pliées et ramenées près de lui. Ses yeux étaient clos, son esprit et son corps ressentaient enfin le contre-coup de ses aventures gastronomiques. Sa fatigue revenait et l'engourdissait, le blessait. Ses petites mains étaient déliées, vides de force. Sa voix était tout juste un souffle qu'il n'émettait que parce qu'il appréciait Aléria.

"- Merci… Il me reste tant, tant à apprendre… Cawr Aléria, pourriez-vous me parler de… De…" Il lui fallait une histoire pour dormir, des mots pour le bercer, la voix de la Cawr pour maintenir son esprit au calme. "Ce qui vous chantera."

La baptistrelle baissa la tête, les yeux un peu perdus, probablement quelque part à l’intérieur de cette dernière. Elle n’avait pas non plus terminé d’apprendre, elle se sentait tellement petite face aux longues années de ces elfes déjà centenaires et pourtant encore si juvéniles physiquement. Dawan lui semblait tellement jeune, naïf, ce n’était qu’un garçon…Pour qui le monde était beaucoup trop dur. Il n’avait pas à vivre là dedans, il aurait dû naître dans un autre monde, dans un autre endroit ou un autre temps. La Chanteciel se coucha aussi, sur le dos, retroussant ses jambes afin de ne pas prendre trop de place sur le rocher. Elle n’aimait pas trop bavarder simplement pour dire quelque chose, mais si cela pouvait aider l’elfe, pourquoi pas? Ses yeux se posaient sur les étoiles qui devenaient soudain beaucoup plus nombreuses lorsqu’on osait les regarder en face.

-Parfois…Je me demande si je suis la seule à voir le ciel ainsi…Est-ce que les gens gardent la beauté pour eux seuls? C’est pourtant tellement agréable de le partager, de savoir que quelqu’un partage notre perception…ce n’est pas comme un trésor.

Ça n’avait pas la superficialité d’un trésor, c’était réel en toutes les sphères et tout de même beaucoup trop mystérieux.

-Et j’ai l’impression qu’il est un immense tableau, sans début et sans fin, mais…tout de même limité. Sans peinture, sans toile, les taches et les couleurs se dessinent toutes seules…

Aléria se permit de fermer les yeux, s’extirpant difficilement à cette jolie vision pleine de rêves et de réflexions. Est-ce que Dawan avait eu assez de 300 ans pour voir le ciel comme elle le voyait? Et ces petites taches lumineuses que l’on appelait des astres, ces dégradés inattendus. Voir et regarder, ce n’était pas la même chose. La Chanteciel ouvrit doucement les yeux en souriant paisiblement, puis elle tourna la tête vers le garçon. Il aurait très bien pu s’endormir et elle ne s’en serait pas rendu compte.

-Je crois qu’il est temps de rentrer, nous endormir ici n’est pas une bonne idée…

La femme se redressa afin de se tenir sur ses genoux, invitant Dawan à se lever d’un mouvement de main dans les cheveux du jeune elfe.

Il tombait.
C'était une chute sans aucun heurt, lente et sans accélération. Il tombait dans ces tendres ténèbres qui savaient l'entourer de ces tissus d'impalpable qui l'éloignaient du monde. La roche, sa rugosité, n'existait plus. Il n'en émanait qu'une tiédeur bienveillante. Ses pensées s'étiolaient, devenaient fins filets de succinctes idées, qui s'éteignaient peu à peu, mais jamais seules. Il en restait toujours plusieurs, qui se mêlaient comme on mêle des caresses, et qui prenaient le relais de celles qui partaient, aussi naturellement qu'une nouvelle inspiration. Les ombres éloignaient l'écho des cavernes, éloignait le sens des mots de sa Cawr, pour ne laisser que le son, le jeu élégant des intonations et inflexions. Inconsciemment, il dut tout de même percevoir ce qu'elle disait, car d'anciens rêves lui revinrent.
Il était l'oiseau nocturne, il était le lié de la Chouette, et il portait encore au fond de lui le souvenir brûlant de cette nuit où il avait appelé son totem à se lier à lui. Son regard s'était porté alors vers le bleu profond au-dessus de sa tête, vers ces constellations. Le ciel, cet inconnu… De quoi était-il fait, avait-il seulement une fin, et qu'étaient ces lumières qui s'y perdaient ? Ses enseignements lui avaient permis d'aborder ces sources de rêves. Les étoiles seraient semblables aux Esprits, elles seraient des puissances. Les chantefeu avaient Feu, les chanteciels avaient ces étoiles. Une seule puissance qui serait l'ensemble des autres, une puissance semblable aux Esprits… Qui savait ? Qui s'était un jour permis de tendre les doigts vers le ciel et en caresser l'étendue ? Il se souvenait, au moment où le totem s'était Lié à lui, à ce moment précis, durant cette infime séquence de seconde, il avait pu ressentir une conviction profonde, ancrée désormais en lui, un secret de son totem à son coeur seul. Il ne fallait le dire, il ne fallait l'avouer, mais ce qu'il y avait là-haut, si un jour il l'apprenait, il passerait le reste de sa vie à s'émerveiller et à pleurer d'avoir ses deux pieds posés sur le sol de la terre nourricière. Il l'avait senti, ce vertige, celui des plus petits de ce monde face à ce qui les dépassait, celui des bipèdes face aux dragons, plus humble que jamais. Dans son sang, un froid hivernal, et l'impression d'infinité. Les Cawrs lui avaient parlé de la distance entre eux et les étoiles. Ce qu'il y avait là-haut n'était comparable à rien de ce qui se vivait en bas.

Nul chant ne pouvait approcher l'élément de la chanteciel, quand bien même sa voix était une trace d'échantillon laissée aux mortels. Elle devait savoir… Mais quels mots pouvait-elle utiliser ? Comment pouvait-elle décrire ? Ses prédécesseurs avaient essayé avant elle, sans doute, sans parvenir à plus que les bribes de savoir dont disposait désormais Dawan. Il se souvenait des rêves, ceux où un vent gelé venait brûler sa peau, ceux où le ciel se déchirait, où il ne pouvait que contempler la fin. Il se souvenait des volcans de ses anciens rêves, de la terre qui s'ouvrait, de l'eau dans ses poumons -peut-être la sensation la plus agréable de ces rêves-là-, et des tempêtes lui brisant les os. S'il avait craint la fin du monde avant de l'avoir vécue ? Non. Mais ses rêves, eux, étaient hantés de cataclysmes. Des visions très esthétiques, il ne gardait pas un souvenir si désagréables de ces rêves. La peur passée, ils provoquaient son émerveillement.
Il se souvenait de ces rêves, il se souvenait du lit qui avait été sien au Domaine, d'une nuit où il s'était réveillé allongé sur une branche pour n'avoir pas su rentrer à temps. Il se souvenait d'une nuit d'hiver où il s'était assis non-loin d'un groupe d'Enwrs qu'il avait écouté parler, entre histoires, chants, savoirs. Le sommeil lui permettait de rejoindre tout cela. La chaleur des souvenirs, celle des futurs qui s'étendaient devant lui. Il comptait les jours sans savoir quel serait le bon. Le sommeil les rapprochait. Il tombait… Ses petites mains tombaient, sans forces, contre le sol, et ses lèvres s'étaient entr'ouvertes, détendues. Son souffle était apaisé, lent, régulier. Les pensées s'éteignirent. Il avait beau avoir entendu Aléria, il n'avait pas paru comprendre que ce n'était pas un lieu où dormir. Lui, il se sentait particulièrement bien ici.

Des mots, tout doux, et il sortit de son sommeil, encore engourdi, sans plus de notion de temps. Il s'était endormi, mais trop peu longtemps pour s'en sentir reposé de quelque manière que ce soit. Seule la voix inquiète d'Aléria l'avait convaincu de revenir. Tout était flou, pas de formes, juste des échos. Les souvenirs ne s'ancraient plus dans sa mémoire, c'était comme un rêve. Distant, si distant... Ses sens étaient lointains. Il se souvenait avoir tenté de rassurer Aléria. Mais le chemin jusqu'à sa chambre, il ne se souvenait pas l'avoir parcouru.
Au réveil, il allait lui falloir un temps pour retrouver ces souvenirs, comprendre pourquoi il était sur un lit, et non pas sur la tendre pierre, auprès d'une chanteciel. Une solitude froide, mais qui n'allait durer. Fi des rêves, il avait un voyage à préparer.