Enfin sortir des ces souterrains. Oh certes, ils permettaient de la cacher des rayons agressifs de cet astre du jour, mais on y tournait quand même vite en rond et surtout on y rencontrait parfois trop les mêmes personnalités désagréables à vivre entre quatre galeries.
Quoiqu'il en soit suivre celui qui à la volonté de redonner ses lettres de noblesse à la race vampirique, qui prône son hégémonie ainsi que sa supériorité était un honneur bien plus qu'un devoir. Et quand celui-ci vous propose de l'accompagner lors des premiers raids et de servir d'éclaireuse pour la sécurité de ceux qui marcheront sur leur avenir pour la gloire de leur prince, Norwen ne pouvait que dire oui et accepter ce travail avec une joie incommensurable. C'était pour la vampire une tâche qu'elle accomplirait avec la plus grande attention, assurance, mais aussi sérieux afin de rendre fier d'elle son Prince, mais aussi lui permettre d'avancer vers la Gloire de leur peuple sur les autres. Humains, Elfes comprendraient bien vite que le sommeil des créatures de l'ombre n'était que pour mieux trouver un chef qui saurait les mener vers les sentiers de la domination. Norwen n'avait aucun doute là dessus. Les vampires n'avait besoin que de cela pour sortir des fonds de la nuit et étendre leur force et imposer leur vision d'un monde basé sur la puissance des crocs, de la magie sombre. Et tout cela grâce à un vampire qui a su redorer les lettres de la race vampirique en éliminant les faibles d'un conseil terni par l'hésitation et la peur de deux races inférieures. Oh bien que individuellement parlant Norwen se moquait bien des autres vampires. Elle était de nature solitaire restant plus avec les anciens alliés de sa défunte mère, plus par habitude que par réel soucis de la compagnie. Mais en terme de groupe, les vampires étaient pour l'ancienne fille de bordel une force, un tremplin vers ce à quoi elle tendait: satisfaire et se trouver au côté du prince et de ses idées.

C'est avec donc une assiduité et des sens en alerte de l'éclaireuse se dirigeait vers le nord est des souterrains, dans une vaste foret, afin de positionner par la suite un premier campement vampirique. Son avantage était la densité de ses arbres et la proximité d'une voie de transport entre deux petites villes et une bourgade à quelques longues minutes de marches. Un peu de sport avant de souper, rien de tel.
Cela faisait d'ailleurs plusieurs jours que la jeune femme marchait de nuit, cherchant l’abri des arbres le jour. Elle n'avait pas rencontré âme qui vive hormis quelques animaux sauvages. Mais en ce froid début 1751, les humains restaient chez eux. Eh bien qu'importe, Norwen irait s'inviter chez eux. Une frêle femme au regard doux, la peau si pâle, de longs cheveux tombant sur le dos de sa fine silhouette, rien de tel pour amadouer le plus récalcitrant des indécis. Alors quand elle sentit au loin l'odeur d'un feu d'une cheminée, Norwen huma à plein poumons pour laisser entrer la magie du fumet de son futur repas.

Avançant à pas feutrés, cherchant la meilleure approche, se souciant du vent, du sol et de ses composants. Bref, passée inaperçue dans les feuillages de la foret.
Il serait de cette manière encore plus facile de passer pour une pauvre âme en peine cherchant l'hospitalité pour le dîner fumant sur la table en bois. La mère servirait un bol de soupe, alors que le père et le fils trancheraient le pain et serviraient une assiette pour la pauvre petite. Ces humains. Trop aimables, trop généreux, ils se servaient eux même dans un plat. Bientôt ils se saigneraient eux même dans les gobelets.

Norwen sortit de la maison, essuyant avec soin sa bouche et ses mains du reste de son repas dans le tablier de la femme. Décidément bien aimable.
C'est là qu'elle vit devant elle une silhouette bien connue, oubliée depuis quelques temps, mais connue dans les souterrains.
Kylian Wallam, le rebelle pour certains, mais aux yeux de Norwen, il était un traître depuis ce jour où son nom fut bannit par le prince vampirique. Et il avait de quoi. Cet imbécile de Wallam ne voyait pas en Lorenz Wintel l'étoffe d'un prince, car il mènerait les vampires vers l'obscurantisme. Foutaise, et bien loin de là, le prince les mènerait vers le lumière. La preuve en est ce succulent repas.

« - Je suis désolée Wallam, je ne t'ai pas attendu pour le dîner. Tu tardais trop à arriver. Mais si tu veux, nous pouvons reporter cela bien vite pour un repas en famille. Tu es très attendu par les tiens »

Dit-elle en avançant son regard clair plongé dans celui du traître. Un brin féline, ses manières de filles de joies face à un client revenant. Enjôleuse, elle continua, en léchant le reste de sang sur une de ses griffes.

« - Tu es parti si vite sans dire au revoir à notre Prince. Ce n'est pas très gentil. Il mérite un peu plus de respect de ta part, surtout après ta remis en place. Il était très fâché. Mais si tu reviens près de lui, je suis sûre que tu seras te faire pardonner. »

D'une petite moue boudeuse, elle se stoppa non loin de lui, à distance respectable. Là Norwen inspira aussi à grand poumon, avant de se mordre la lèvre inférieure.

« - Et pour cela, je suis prête à user de tous mes charmes »

Proposa-t-elle avec un regard voulant en dire beaucoup avant de laisser son totem crier pour elle et entraver suffisamment le vampire pour lui sauter dessus, toutes griffes sorties.

Sous la pâle lueur bleutée de la lune, les vastes étendues de l'est drapée de leur blanc manteau semblaient scintiller dans la pénombre nocturne. Avançant dans ce désert blanc à pas de loups pour laisser ses bottes écraser sans bruit les flocons sur le sol, Kylian traquait la présence éventuelle de troupes vampiriques dans la région lorsque le vent avait porté jusqu'à ses oreilles le cri, ou peut-être serait-il plus juste de parler d'un hurlement terrifié, qui venait de percer lugubrement le silence de la nuit hivernale. Pour s'égosiller de la sorte, la responsable devait craindre pour sa vie et ce fut donc sans l'ombre d'une hésitation que le renégat s'élança dans la direction d'où était provenue la clameur plaintive. Paradoxalement, lorsque le cri cessa, l'inquiétude du vampire redoubla, de même que son effort pour couvrir au plus vite la distance le séparant de la victime, mais le lourd silence à peine perturbé par le bruit de sa course effrénée qui venait de l'envelopper ne présageait rien de bon en vérité.

L'ombre d'une petite maison, simple chaumière isolée au milieu des plaines se détacha bientôt devant lui. Un mince filet de fumée parfaitement visible s'échappait de la cheminée tandis que les fenêtres illuminées par les flammes des bougies intérieures brillaient dans l'obscurité, jetant leur lumière orangée sur la neige qui s'était accumulée sur les rebords. Une belle petite maison, simple, probablement le doux foyer d'un paysan ou d'un bûcheron et de sa famille. C'était de là qu'était venu le hurlement, c'était là que le malheur venait de frapper de la plus terrible des façons.

Cent mètres, cinquante, vingt... et il s'immobilisa. Une frêle silhouette aux longs cheveux sombres venait d'apparaître dans l'encadrement lumineux de la porte, son ombre dansante sinistrement projetée sur le tapis blanc couvrant le sol. Vampire ! Il l'avait compris sitôt que ses yeux croisèrent les siens, cette lueur prédatrice pétillant dans le regard ne pouvait appartenir à nulle autre créature et même si cela n'avait pas suffit, la trace sanglante qu'elle achevait de faire disparaître au coin de ses lèvres dénonçait silencieusement le crime. Trop tard. Il était arrivé trop tard. De rage, ses mâchoires et ses poings se crispèrent. En franchissant cette porte, il ne trouverait que des cadavres exsangues, dans le meilleur des cas, un couple solitaire, dans le pire, une famille avec un voire des enfants. Ce fait lui fut d'ailleurs rapidement confirmé lorsque la vampiresse éleva la voix, une voix suave, chargée de l'ironie et de l'assurance du loup devant l'agneau.
Celle du renégat était chargée de colère lorsqu'il l'interrompit :

« Combien étaient-ils ? Combien en as tu tué ? »

Oui, combien d'âmes venait-elle de prendre par simple plaisir ? Pour l'extase malsaine de sentir le sang couler et emporter avec lui la vie s'échappant entre ses doigts ? Provocante, elle continua d'avancer, ignorant ses questions ou plutôt y répondant en se léchant les doigts avec une lascivité qui lui aurait donné la nausée s'il n'avait eu l'estomac bien accroché.
Le rebelle eut un froncement de sourcils lorsque la petite brune évoqua Lorenz et la petite correction que lui avait infligée ce dernier. Ah ça, le prince noir y avait mis un point d'honneur à faire du misérable vermisseau qui lui avait tenu tête un exemple, et sous sa tunique, Kylian avait encore parfois la sensation des flammes caressant sa peau brûlée.

« Je ne respecterais jamais un homme qui justifie ses actes par la violence et la haine. Je préfèrerais encore m'arracher la langue moi-même que de lui demander pardon ! »

Ce n'était peut-être pas très pertinent de faire pareille suggestion mais à en juger par la réaction de la jeune vampiresse, elle ne semblait même pas prêter la moindre importance à ce qu'il pouvait dire. Visiblement très sûre de son effet, elle poursuivit avec la sensualité de l'araignée cherchant à attirer la mouche dans sa toile. Espérait-elle vraiment le séduire de cette manière ? Méfiant, mais malheureusement pas assez, le renégat fut surpris par le cri suraigu qui vint soudain lui vriller les tympans et avant d'avoir eu le temps de comprendre, la fine silhouette de la prédatrice fondait sur lui. Heureusement, la tigresse était plus légère que lui et lorsqu'il referma les doigts sur les poignets aux mains prolongées des griffes acérées avides de lui lacérer le visage, il put se laisser basculer sur le côté et tenter de l'entraîner avec lui, les deux vampires s'effondrant l'un à la suite de l'autre dans l'épaisseur du tapis neigeux. Raffermissant sa prise sur les poignets de son adversaire, il s'efforça d'user de son poids pour l'immobiliser et tenir ses griffes hors de portée.

Norwen prit un air désolé et compatissant. Quelle mauvaise hôte faisait-elle !! Ne pas lui proposer son repas. Elle soupira en profondeur en dodelinant de la tête. A errer comme une âme perdue, le renégat devait mourir de faim et là il y avait suffisamment pour deux. Même trois. Il fallait avouer que la mère et le fils firent simplement office d'antilopes dans les griffes de la lionne.

« -Tu voulais que je t'en laisse un ? La mère a la chair tendre, le petit garçon qui braillait mais au sang si délicat ou le père fort et robuste qui s'est débattu comme un lion ? »

Lui sautant dessus comme bondit un tigre sur un lapin en fuite, Norwen se retrouva dans la neige sentant la froideur de la neige s'emparer de ses vêtements. Le rebelle avait contrecarré son attaque en lui bloquant les poignets et en contrebalançant leurs corps dans un acte désespéré de ne pas lutter contre elle. Ça pouvait se comprendre. Il devait avoir faim, elle non, il fuyait inlassablement, elle non. Pauvre et frêle créature. Dans les mains de son maître, il serait là en bonne compagnie pour retrouver la constitution de tout vampire qu'il se respecte un minimum. Norwen esquissa un sourire mauvais sur son visage de porcelaine. De telles pensées, elle ne pouvait que en rire tout comme ces mots qu'elle lâcha à l'attention de Walam.

« -Il fallait me le dire de suite si tu préférais que nous soyons allongés dans la neige mon chou. »

Bien que maintenu par le vampire, elle réussit avec se dégager. Et en guise de câlins, la vampiresse lui caressa le visage du bout de ses doigts griffés. La peau blanche du vampire vient à se colorer de sang noirâtre qui immacula la neige soyeuse. La vampire roula sur le côté, écrasant un peu plus la neige à peine tomber. Norwen se releva, laissant des bout de neige collés sur sa robe tomber au sol. La jeune femme se mordit la lèvre inférieure en faisant non de la tête. Pauvre vampire idiot. S'en prendre à elle par la force des mains, alors que les siennes ne sont qu'armes des ongles aux épaules. Leur prince avait raison en le traitant de fou, une bonne correction leur remettrait dans le droit chemin. Et le premier coup de griffe fut que l'introduction. Surtout que grâce au poison coulant dans son arme, le vampire serait légèrement plus entraver. Un peu plus de piquant dans ce jeu de jambes couchés dans la neige.

« - A trop rester avec les humains, tu t'humanises de trop. Comment penser pouvoir te battre face à un vampire ensuite. Kylian, revient auprès des tiens, de ton prince, il te pardonnera ta félonie et à ses côtés tu seras ce que tu es réellement. »

Norwen lécha les quelques gouttes de sang noir rester sur le côté de la lame avec un sourire macabre. Avant de s'avancer, chasseresse, prête à lui rebondir dessus.

« -Un tueur, un conquérant, un battant, mais pas ce pantin désarticulé. Tu es seul, ennemi des humains, rejeter des tiens, hait des elfes, maudit par les esprits, que comptes-tu faire dans ta vie de bannit.  »

Avec une douceur et une lenteur délicieusement malsaine, Norwen joignit à ses mains à son visage pour lancer un sortilège d'aiguilles de douleur, afin d'insuffler un peu plus de piment dans cette rencontre.

Mon chou. Elle l'avait appelé mon chou. Kylian était tellement plus habitué aux insultes et autres qualificatifs peu flatteurs de la part de ses pairs qu'il en resta surpris. Tout cela n'était véritablement qu'un jeu pour la vampiresse, et cela le mettait hors de lui. C'était donc bien par jeu qu'elle avait tué cette famille, une seule victime aurait largement suffit à abreuver sa soif mais elle avait préféré tous les massacrer. Typiquement le genre de chose qu'il ne pouvait tolérer, qu'il ne pouvait accepter. Que les vampires soient obligés de tuer pour survivre, c'était inévitable et lui-même y était régulièrement confronté mais au prix d'un peu de travail sur sa maîtrise de soi, son rythme alimentaire était plus proche de celui des millénaires capable de jeûner pendant plus d'une semaine, que de celui des jeunes de son âge, qui tuaient parfois quotidiennement. Alors que son peuple afficha tant de mépris pour les êtres humains, s'amusant à les faire souffrir et les tuer dans le simple but de se réjouir du malheur qu'ils provoquaient, c'était ... c'était ... inqualifiable, tout simplement.

Mais tout jeu que cela pouvait représenter aux yeux de la jeune prédatrice, pour Kylian, cela n'avait rien d'un divertissement et les griffes acérées qui prolongeaient les doigts de celle qu'il maintenait au sol étaient là pour le lui rappeler. Il crispa les poings aussi fort que possible pour tenter de l'immobiliser, mais dans la lutte, il sentit nettement l'un des poignets ainsi entravés glisser inexorablement entre ses doigts jusqu'à lui échapper totalement. Son regard plongé dans les yeux de la vampiresse, le renégat aperçut très distinctement cette petite lueur assassine qui brilla dans les prunelles envoûtantes, juste avant qu'elle ne le gifla. Sous l'impact, il n'avait pas vraiment sentit les griffes trancher ses chairs et la douleur qui éclata dans son visage ne lui arracha guère plus qu'un grognement. Ce n'est que lorsque ses yeux se posèrent sur les quelques gouttes d'un sang trop sombre qui maculaient la neige près de lui qu'il comprit avoir écopé de plus qu'une simple gifle. Instinctivement, il porta la main à sa joue blessée, sentant sous ses doigts les bords fins et irréguliers des chairs déchirées avant de les porter devant ses yeux pour constater leurs extrémités teintées de noir.

Toujours accroupi au sol, le rebelle releva le visage vers la tigresse qui s'était relevée et réitérait ses appels ou plutôt ses avertissements. Revenir. Plier devant Lorenz. S'abaisser à agir comme un barbare, un animal, un monstre. Et c'est lui qu'on disait faible et indigne.

« ... »

Il éprouvait des difficultés à parler, son visage s'engourdissait et il ne parvenait plus à commander clairement ses expressions faciales et ses mots. Il souffrait du coup qu'il avait reçu, évidemment, mais rien qui put justifier de telles difficultés et la gifle n'avait pas été assez puissante que pour lui briser la mâchoire. Alors pourquoi avait-il l'impression que ses joues ne lui obéissaient plus ?
Devant ses yeux, la silhouette à la démarche féline qui lui évoquait clairement une chatte ou plutôt une tigresse jouant avec sa proie avant la mise à mort poursuivait. De nouveau, il tenta de répondre mais ne parvint qu'à bredouiller quelques sons indistincts.
Secouant la tête pour tenter de raviver son visage endolori, il projeta quelques gouttes supplémentaires sur le manteaux neigeux, avant de consacrer ses efforts à sa diction et ainsi finalement parvenir à péniblement former des mots intelligibles.

« Je ne ... suis ... pas ... comme vous. »

Et il n'était pas seul. Il n'était plus seul. Son esprit s'égara l'espace d'un instant, voyageant à travers le temps et l'espace de sa mémoire jusqu'à Gloria et son palais, l'Ecaille du dragon, qui abritait une jeune femme aux doux espoirs. Une jeune princesse courageuse qui lui avait donné sa confiance, qui croyait en lui et qui comptait sur lui pour faire avancer les choses. Sa première victoire. Sa plus belle victoire aussi.

Gardant son regard braqué sur son adversaire, il se redressa à son tour, refermant son poing sur la garde de sa dague. Il réprouvait la violence et en dépit du crime qu'elle avait commis, il aurait préféré ne pas avoir à user de ses armes, mais il ne pouvait pas prendre le risque de la laisser le ramener à Lorenz. Alors, d'un geste sec, il lança la dague vers la jeune vampiresse pour l'empêcher d'achever le geste clé de sa prochaine attaque.

Et voilà que le pauvre petit agneau était piqué au vif. Roooo, quel doux délice de le voir subir cette délicate torture de recevoir tant d'aiguilles sur sa peau blanche et délicate. Les yeux de Norwen en était presque émue aux larmes devant un tel spectacle, une telle beauté. Le sang noir scintilla un peu plus la blancheur pure et immaculée de la neige. Quelle peine de voir un vampire ne plus avoir les réflexes d'un prédateur, d'un chasseur, d'une force aussi bien d'esprit que physique et d'être devenu un vampire domestiqué. Il valait bien mieux que cela. Il fallait croire que non. Alors, autant en jouer, et continuer à le réduire un peu plus en cendre.

Alors la fausse déception qui était sur son visage se dissipa pour laisser paraître un sourire en coin. Un de ces sourires malsains et qui prenait plaisir à le voir souffrir devant ses yeux.

« -Non, tu n'es pas comme nous. Tu es pitoyable. Et c'est ça qui ose filer entre les doigts de notre Prince. Je vais avec un plaisir certain t'offrir à lui. La honte de notre race bientôt réduite au silence. »

Il lui fallait lui asséner le coup de grâce, une blessure suffisamment efficace pour le ligoter et le ramener en trophée à son prince. Celui-ci remarquerait alors la qualité et son expérience dans l'univers de la traque et de la chasse. La jeune femme cherchait à grimper rapidement mais sûrement dans les échelons de la garde de son prince. De ceux qui gravitaient autour de lui, ayant sa confiance. Norwen arborait la gente masculine, mais Lorenz Wintel avait son intention. Ses mots, sa force, son charisme et sa détermination à faire devenir la race vampirique maître d'Armanda, rien de tel pour émoustiller l'instinct de chasseur de la jeune femme. Alors en ramenant le rebelle, le déchu, celui qui a osé contredire et comploter contre leur prince, elle serait vue comme une personne de confiance, de valeur.

« -Comment souhaites-tu que je t'achève ? Hum ? La magie ou bien par les armes ? Je te laisse le choix des armes. Je te dois bien cela. Quand tu rouvriras les yeux, tu seras prêt à subir le courroux de notre prince. »

La vampire pencha la tête sur le côté en attendant sa réponse, qui tardait trop à son goût. En plus il était sensible et délicat comme une rose. Norwen prendrait plaisir à détacher chaque pétales et à les laisser choir sur la neige blanche. Mais avant il fallait en faire un saucisson prêt à être offert à leur prince adore. D'un geste clé des mains, elle envoya vers le rebelle une malédiction de chaînes.




[Hj: petite réponse mais bon vu ce que je t'ai fait et t'envoie par la suite. Voir si on redemande le dés ou si par miracle tu t'en sors. Parce que là, j'en t'embarque sur mon dos en mode sac à patates ]

Cela s'annonçait mal. Très mal. La vampiresse avait été la plus rapide, les aiguilles magiques s'étaient enfoncées dans les chairs du renégat avant qu'il n'ait eu l'occasion d'ajuster son lancer, si bien que la dague fila se perdre bien loin de sa cible initiale pour s'enfoncer en silence dans le manteau neigeux et y disparaître. Au même instant, le vampire serrait les dents sous l'intense douleur que les fines pointes de ténèbres lui infligèrent : les blessures en elles même n'étaient pas graves, tout au plus quatre minuscules ponctions, mais la précision diabolique avec laquelle les aiguilles étaient aller se planter jusqu'au plus profond de ses muscles et organes décuplait la souffrance qui lui était imposée par le moindre mouvement.

Kylian s'effondra à genoux dans le tapis de blancheur immaculée souillé de sombres traces sanglantes. Elle lui parlait, il pouvait entendre sa voix mais ne parvenait pas à se concentrer suffisamment pour en décortiquer les mots, trop occupé qu'était son esprit à refouler l'inconscience qui menaçait de le gagner tandis que son corps meurtris cherchait à se soustraire à la douleur. Hélas, s'il se laissait aller à perdre connaissance, il ne se réveillerait probablement plus, ou s'il se réveillait, il se trouverait certainement dans une situation pire encore que la mort elle même. Le vampire releva vers son adversaire un visage rageur, mâchoires contractées et traits serrés par l'effort qu'il déployait pour ne pas sombrer. Pour sa part, elle semblait se délecter véritablement du spectacle, à tel point que le rebelle se demanda l'espace d'un instant si elle n'était pas tout simplement folle : même la sauvagerie vampirique ne pouvait totalement expliquer cette lueur malsaine qui brillait au fond des yeux clairs. S'il ne réagissait pas, elle l'emporterait jusqu'au camp vampirique et cette ébauche de rébellion qu'il incarnait trouverait sa conclusion lorsque son principal instigateur se retrouverait pieds et poings liés devant Lorenz.

Apparemment, elle partageait la même vision concernant l'avenir de celui qui avait osé dire non au prince autoproclamé, et lorsque la malédiction de chaînes jaillit des mains tendues vers lui, Kylian eut à peine le temps de pousser sur ses jambes de toute les maigres forces qui lui restaient encore pour lancer son corps sur le côté et sortir de la trajectoire du sort d'entrave. L'intensité de la douleur qui s'empara de lui à cet instant lui arracha un cri plaintif et l'empêcha de se réceptionner décemment après le saut : avec un bruit sourd, le vampire s'écroula tête la première dans la neige, face contre terre. Il était parvenu à esquiver le sort, mais à quel prix : il était désormais étendu au sol avec la sensation que le moindre tremblement de sa part le ferait hurler à s'en déchirer les cordes vocales, donc incapable de se servir d'une arme et encore moins d'un arc, alors qu'une vampiresse visiblement très désireuse de plaire à son prince en lui ramenant un renégat ficelé tout prêt à cuire s'approchait de lui.

Pitoyablement, même de son point de vue, Kylian se redressa en serrant les dents pour s'agenouiller péniblement et tourner un visage harassé de souffrance vers sa tortionnaire. Il n'implorerait pas la pitié. Jamais. Pas plus qu'il ne renierait ce en quoi il croyait ou ne reconnaîtrait l'autorité que prétendait exiger le prince vampirique. Lorenz et ses sbires pouvaient bien le faire plier par la violence et la haine, ils ne le briseraient pas. En revanche, il pouvait toujours essayer de lui parler, même s'il doutait sincèrement parvenir à quelque résultat que ce fut dans ce domaine, peut-être parviendrait-il à gagner suffisamment de temps pour que lui apparaisse l'idée lumineuse qui lui permettrait de se sortir de ce guêpier. Peut-être même pouvait-il user de sa magie pour la tromper, quand bien même il détestait recourir à ce genre de méthodes, et influer sur la réaction qu'elle aurait à ses mots. Visiblement, la vampiresse appréciait de se montrer outrageusement provocante et se comporter avec lascivité, l'archer rebelle n'avait rien à perdre à lui donner la réplique de même manière, même s'il n'était présentement pas vraiment à son avantage, surtout en regard des critères vampiriques. D'un main tremblante, le renégat se caressa les lèvres pour envelopper son aura de sa magie et invoquer le sort de charme, avant de se redresser lentement pour reprendre une position debout :

« D'accord. Tu... Tu as gagné. Tu es... la plus forte. Je vais te suivre et ... nous allons retrouver... les nôtres.»

Pieux mensonges, mais il n'était pas vraiment en position d'avoir des états d'âme, il se devait ni plus ni moins de sauver sa vie. Il avait encore des difficultés à s'exprimer et s'efforçait tant bien que mal de reprendre contenance, il n'était probablement pas très crédible mais espérait que son sort interviendrait en sa faveur.

« Mais... Avant cela, tu as bien mérité de... t'amuser un peu, tu ne crois pas ? Alors dis moi... peut-être puis-je... te satisfaire ? Ça ne doit pas être drôle tous les jours pour toi. Tu es jeune, les autres vampires se montrent durs et violents avec toi. N'as tu pas envie de ... mener la danse... pour une fois ? Tu m'as fais plier, alors... je suis à toi. »

Joignant le geste à la parole, le vampire porta la main à l'échancrure de sa chemise et tira un coup sec pour la déchirer, dévoilant une partie de son torse. Un peu de sang noir coulait en un mince filet le long de ses côtes, entre lesquelles s'était plantée l'une des aiguilles magiques dont l'avait assailli la vampiresse, et un vent froid balaya sa peau mais la chaleur l'avait abandonné depuis longtemps déjà, et la morsure du gel n'avait depuis longtemps plus aucune emprise sur lui.
Qui sait, depuis le début, elle se jouait de lui telle une tigresse et se complaisait à agir comme si elle croyait pouvoir susciter chez tout un chacun le désir de la chair. Si sa proie se montrait subitement consentante, voire même engageante, peut-être le renégat parviendrait-il à retrouver un quelconque avantage. En abattant ainsi la dernière carte de son jeu, le vampire aux abois misait gros sur sa dernière chance de s'en tirer.

Mais par le Dracos, ce vampire devait avoir perdu l'esprit. Le poison de ses lames devait être trop puissant ou bien pas adapté à la constitution d'un corps mort. En tout cas, en le voyant lutter pour sa non vie avec acharnement, Norwen s'attendait plus à un "achève moi" qu'une proposition allongée dans la neige à deux.

Les hommes ! Les hommes et leur croyance suprême de dominance sur la femme, domination par la force. Force physique, force morale, force malsaine d'un pouvoir bien mal acquis. Et ce satané vampire voulait en user, avec elle. De son ancienne vie, Norwen ne se souvenait de pas grand chose, même si elle rechercha des traces au tout début de sa vie de vampire. Rien, pas tout, son nom revint après, mais sa haine de la gente masculin revint vite, tout comme sa vie de prostitué. Cette haine viscérale de ce qu'ils avaient pu lui faire, cette domination qu'ils avaient pu exercer sur elle, frêle jeune femme qu'elle était. Humaine pas assez forte pour crier non, pour partir et cesser les coups. Mais par chance, elle fut mordue. Une morsure, une rencontre qui changea sa vie. Une aubaine. La frêle jeune fille devint femme, puis bête laissant celle-ci prendre le dessus et rendre justice à soit-même, ne laissant plus personne lui dicter sa conduite et lui faire de l'ombre. C'est qu'elle mordait la petite vampire. Et elle ne se laissait pas faire par la violence dans lequel elle fut projetée. La hiérarchie vampirique, sa politique. Norwen s'en moquait, du moment qu'on ne l'approchait pas. Sinon gare aux coups de griffes. La tigresse ne les rentrait pas facilement. Et cet idiot de Wallam en faisait les frais. Stupide créature.

« - Tu as peut être raison. Je vais peut être profiter que tu sois à moi, que tu sois sous ma domination pour te faire plier. »

Norwen s'avança vers lui plus féline et provocante que jamais. Elle ne le quittait pas des yeux, plongeant le vert profond de ses iris dans le vert plus mordoré du vampire. Chaque pas affichait un regard carnassier et une silhouette voluptueuse et prête à s'adonner à un plaisir des sens. Fière, droite, la poitrine gonflée, elle se mordit la lèvre inférieure, avant de sortir sa dague fine et plus petite que la moyenne de sa main fine. Un geste rapide, précis qui toucha rapidement sa cible. Le côté de son flanc, là où une des aiguilles était venue se planter. Sûrement au vue de ce qui s'affichait peu à peu sur le visage de l'homme. Peut être était-ce dû à la brûlure qu'elle provoquait aux plaies. Un peu de chaleur dans la froideur de l'hiver. Son visage enjôleur changea alors en un regard bien plus sombre, ténébreux, rempli de rage et de haine. Non pas contre le vampire, mais contre l'homme qu'il était. Tous les mêmes. Des pourris se croyant supérieur à cause de l'espèce de serpent qu'ils disposaient entre leurs jambes. Le prochain coup trancherait l'hydre de son audace. D'une voix froide et détachée de tout sentiment, Norwen lui murmura :

« - Plier à genoux face à ta demande. Comment oses-tu sombre vermisseau me proposer une telle chose ? Tu crois que ta misérable vie qui te file entre les doigts te donne le droit de me souiller ? Tu as une bien trop haute opinion de ta petite personne Wallam, face à moi comme face à ton prince. »

Elle appuya un peu plus fort, enfonçant un peu plus sa dague, avant de la retirer avec délectation, observant la lame noircit par le sang de son adversaire. Quelle beauté ! Le sang noir coulant un peu sur la lame claire. Lueur renforcée par la neige.

« - Ta dernière danse sera celle de tomber à mes pieds quand ton dernier souffle partira. »

Oh oui et là elle sera accueillit comme il se doit auprès des siens. Certes, elle se moquait pas mal de leurs avis, mais rien que pour les voir pâlir d'envie. Être celle qui a réduit au silence le rebelle trop bavard, l'épine dans le pied de son prince. Et lui, il verra sa qualité, son importance d'être à ses côtés.

L'espace d'un instant, les graines du doute germèrent dans l'esprit défaillant du vampire au corps endoloris. Elle... Elle n'allait tout de même pas accepter ? Incapable de faire un pas sans souffrir le martyr à cause des aiguilles toujours fermement fichées dans ses muscles, Kylian ne put qu'assister à l'approche prédatrice de la vampire. Mais si sa tortionnaire savait soigner les apparences pour simuler avec talent le désir, et certainement d'autres choses, la dague qui apparut subitement entre ses mains et qui plongea avec fureur pour trancher les chairs du renégat balaya rapidement l'idée que les avances du vampire le plus hais de son peuple aient pu trouver leur chemin jusqu'à cet esprit dérangé.

Le vampire encaissa le choc avec un grognement, étouffant un cri douloureux qui se mua bien vite en un râle. Le goût du sang, de son sang, empli sa bouche et alors qu'il crachait pour libérer sa bouche d'un soudain afflux de liquide poisseux, sentit couler au coin de ses lèvres un nouveau filet sanglant. Il tirait peut-être un peu trop sur sa chance, un jour, cela ne manquerait pas de lui jouer des tours et il le savait, mais en l'occurrence, il s'agissait surtout du seul espoir qui lui restait de s'en sortir : la douleur brutale couplée à la violence du choc libérèrent subitement le vampire de l'emprise des aiguilles de douleur qui entravaient ses mouvements jusqu'alors. Un nouveau grognement s'échappa de ses lèvres tandis que la vampiresse accentuait encore un peu la pression de son arme sur les chairs meurtries de sa victime. S'il pouvait être satisfait de lui, Kylian n'en demeurait pas moins conscient de ses limites : maintenant qu'il avait retrouvé une certaine liberté de mouvement, au prix d'un peu plus de sang versé, il devenait urgent pour lui de prendre congé et disparaître. Pour aller où et dans quel état, il n'en savait encore rien, peut-être sa fuite ne serait-elle qu'un moyen de retarder l'inéluctable, mais s'il devait mourir, le rebelle préférait encore aller achever sa vie dans un coin isolé où personne ne le retrouverait plutôt que d'être servi sur un plateau à un Lorenz qui aurait beau jeu d'en faire un exemple à même d'alimenter sa propagande et le règne de terreur que le prince autoproclamé s'était plu à instaurer.
Alors que la lame de la vampiresse quittait finalement ses chairs, laissant l'hémorragie éclater et le sang imprégner la tunique du vampire qui s'imbiba telle une éponge, l'image d'un doux visage passa furtivement dans l'esprit du blessé. Quelque part à Gloria, une jeune femme pleine d'espoir attendait impatiemment des nouvelles. Il devait lui en donner, même si c'était la dernière chose qu'il faisait. Il ne fallait pas qu'elle pense qu'il avait abandonné. Il ne fallait pas qu'elle s'imagine qu'il s'était moqué d'elle. Il ne fallait pas qu'elle perde confiance. Surtout pas.

Revigoré l'espace d'un instant par cette idée et surtout sa volonté de respecter la valeur que la princesse avait mise en lui, Kylian serra les dents. Son adversaire avait gagné le combat et était désormais persuadée de sa victoire, sa garde s'était relâchée et il n'avait aucune peine à croire qu'elle s'imaginait déjà brandissant la tête tranchée du rebelle devant ses pairs. L'instant idéal pour agir. Probablement sa dernière chance également, s'il se ratait, la vision de la vampiresse aurait toutes les chances de se réaliser.

« Je suis désolé, mais je ne sais pas danser. »

Sa main plongea vers le visage de la vampire, paume ouverte vers elle et pouce rentré vers l'intérieur pour invoquer le sortilège de lumière vive. Un petit sort très simple qu'il avait appris au contact des humains et qui pouvait rendre bien des services : à bout portant, le brusque éclat lumineux brûlerait les rétines de la petite tigresse suffisamment durement pour l'aveugler pendant le temps dont il aurait besoin pour s'enfuir. Laissant échapper un nouveau râle douloureux, Kylian se dégagea de l'emprise dont il était victime et tituba sur quelques pas pour s'éloigner, pressant d'une main la plaie sanglante qui s'ouvrait dans son flanc.

Sourd aux vociférations furieuses qui s'élevaient derrière lui, le renégat en fuite usa de sa main libre pour assurer sa retraite avec un bouclier ténébreux qui en plus de le mettre à l'abri d'une éventuelle contre-attaque magique, provoquerait une brume suffisante pour dissimuler ses mouvements au regard endolori de la vampiresse, ultime précaution pour s'assurer qu'elle ne pourrait pas voir dans quelle direction il s'éloignait.
Conscient toutefois qu'il laissait dans son sillage une sanglante piste, Kylian se dirigea immédiatement vers un ruisseau proche qu'il suivit sur plusieurs centaines de mètres, avançant péniblement les pieds dans l'eau ruisselante ayant échappé à l'emprise du gel. Le courant emportait avec lui les gouttes de sang qu'il laissait derrière lui et garantissait que la vampire ne pourrait pas retrouver sa trace.

Sauvé. Pour l'instant du moins. Maintenant, il lui fallait rejoindre un petit tas de pierres sous les branches dénudées d'un grand chêne, dans la campagne de Gloria, où il glisserait une lettre d'adieux et d'excuses, avant de se trouver un endroit paisible où se laisser mourir. Car si un brusque sursaut d'espoir lui avait permis de s'échapper aux griffes meurtrières de la jeune vampire, il ne se faisait aucune illusion sur son avenir : à chaque seconde qui passait, c'était un peu de son énergie qu'emportait avec lui le sang qui s'échappait de ses plaies. Quand ses réserves seraient taries, il ne lui resterait plus qu'à attendre que l'Esprit de la Mort daigne l'emporter avec lui. Et si à cet instant le rebelle aurait le sourire aux lèvres d'avoir frustré une dernière fois le prince vampirique en lui enlevant le plaisir de se réjouir des dernières lueurs du regard de son ennemi, une larme coulerait également sur sa joue : Lorenz avait gagné.