Le 9 Septembre de l’an 7 de l’ère d’obsidienne

La matinée égrenait son chapelet de longues heures et Nolan s’ennuyait à mourir durant le cours de stratégie militaire. Installé à son pupitre, le jeune prince peinait à rester concentré pendant que son précepteur lui enseignait les subtilités de l’art de la guerre. L’adolescent profita que l’homme avait le dos tourné pour bailler à s’en décrocher la mâchoire. Quel ennui ! Voilà déjà près d’une heure que le petit Kohan écoutait cet ancien général expliquer les différentes manières de diriger une armée et de mener ses soldats au combat.

Certes, Nolan était impatient de monter sur le trône et de diriger le royaume, mais tous ces enseignements destinés à faire de lui un souverain clairvoyant et avisé représentaient une véritable gageure pour le garçon plein de fougue qu’il était.
Le prince Saphir commença à gigoter nerveusement sur sa chaise, impatient que ce cours interminable s’achève enfin. Combien de temps restait-il encore ? Trente minutes ? Une heure peut-être ? Cela lui paraissait tellement long !

Le gamin tourna la tête en direction de la fenêtre et jeta un coup d’œil avide aux jardins du palais qu’il pouvait apercevoir de là où il était. Le ciel de cette fin d’été était d’un bleu intense et le soleil paraissait l’inviter à profiter de sa chaleur bienfaisante. A cet instant, celui-ci aurait donné n’importe quoi pour se trouver dehors à profiter du grand air, plutôt que cette salle de classe à écouter un professeur austère déblatérer sur des notions qui lui semblaient absconses.

Alors que Nolan gardait ses prunelles mordorées rivées sur la fenêtre et sur ce qui se passait à l’extérieur, il entendit un toussotement gêné à côté de lui. Quand, il se tourna dans la direction d’où ce bruit venait, le petit prince aperçut son précepteur qui se tenait en face de son pupitre et le fixait d’un air sévère.
- Messire Nolan, pouvez-vous me répéter la dernière chose que j’étais en train d’expliquer ?
L’adolescent ne put s’empêcher d’afficher une mine déconfite, mais désireux de ne pas se laisser décontenancer, il répondit du tac au tac :

- Bien entendu que je le peux ! Si je ne m’abuse vous parliez de la stratégie qui consiste à envoyer la cavalerie en première vague pour enfoncer l’ennemi.
Le professeur continua à fixer le jeune garçon de son regard sombre, empli de sévérité.
- Oui, j’ai bel et bien expliqué cette notion…il y a environ une demi-heure de cela.
- Une demi-heure déjà ! s’écria le prince, en feignant l’innocence, vous m’en direz tant ! Je n’ai pas vu le temps passer, d’ailleurs en parlant de temps, je crois que c’est bientôt l’heure de mon cours d’histoire, je dois vous quitter et rejoigne dame Geneviève, elle déteste que je sois en retard !

Puis, sans écouter la réponse outrée du précepteur de stratégie militaire, le gosse se leva et quitta la pièce sans demander son reste ! Une fois dans le couloir, ce dernier poussa un profond soupir de soulagement. Enfin, il allait pouvoir être tranquille ! Quant à sa leçon d’histoire, dame Geneviève pourrait bien attendre, car l’adolescent turbulent n’avait nullement envie d’ingurgiter son cours insipide pendant plusieurs heures.
Le jeune garçon se rendit rapidement dans sa chambre où son chien au pelage neigeux somnolait dans son panier.

Lorsque Kohan lui caressa la tête, l’animal aboya et se mit à lui lécher les mains. Qu’allait-il faire à présent pour occuper ce temps libre ? Il n’en avait aucune idée…Soudain, une idée lumineuse germa dans son esprit ! Pourquoi n’irait-il pas voir Luna ? A cette heure, la Régente se trouvait sans doute dans son cabinet de travail, occupée à plancher sur l’un ou l’autre dossier important concernant le royaume.

Le prince Saphir songea que la jeune femme lui manquait beaucoup et qu’il aimerait passer un peu plus de temps en sa compagnie, car il éprouvait une profonde affection pour elle. A ses yeux, elle représentait une sorte de grande sœur et une des rares personnes à qui il vouait une confiance totale.

- Viens Flocon, allons voir Luna ! dit-il en se précipitant au pas de course à son cabinet de travail.
Une fois devant la porte, Nolan frappa et demeura immobile dans l’attente d’une réponse.

Nolan attendait patiemment derrière la porte que Luna vienne ouvrir; il jeta un regard complice à son compagnon à quatre, tout en posant un doigt sur ses lèvres pour lui intimer de rester silencieux.

- « Ouvrez » intima la voix de Luna de l'autre côté. L’adolescent demeura immobile, savourant à l’avance la petite farce qu’il comptait faire à la Régente.

Quelques minutes plus tard, la porte s’ouvrit et la princesse des lumières apparut, resplendissante dans une robe simple, aussi bleue qu’un ciel d’été, et qui lui allait à ravir. Cette tenue mettait en valeur la cascade dorée de sa longue chevelure.

La jeune fille eut à peine le temps d’ouvrir la bouche et de s’exclamer « aah flocon » que l’animal bondit sur elle et commença à lécher ses mains à grands coups de langue baveuse.

Mal à l’aise devant une telle effusion de joie canine, la Régente recula et implora l’adolescent de faire quelque chose pour la sauver de cette situation inconfortable.

Le jeune Kohan, quant à lui, luttait pour contenir son hilarité et ne put s’empêcher de pouffer de rire.

- Couché Flocon ! dit-il finalement pour libérer la blonde de son trop enthousiaste compagnon.

Le chien obéit en jappant, tout en continuant à fixer Luna de ses grands yeux débordant d’amour et en faisant battre sa queue de contentement.

- Décidément mon chien t’adore ! Pour un peu, j’en serais presque jaloux, dit le gamin tout en arborant un sourire espiègle. Puis, il s’avança en direction de celle qu’il considérait comme sa grande sœur et la serra affectueusement dans ses bras.

- Comment vas-tu ma Luna ? Est-ce que ta journée se passe bien ?

Disant cela, le petit prince jeta un coup d’œil dans la pièce et aperçu la montagne de dossiers et de papiers éparpillés sur le bureau de la Régente.

A cette vue, le jeune garçon grimaça et dit en fixant sa sœur.

- J’ai bien peur que non…du moins si j’en juge par la montagne de paperasse qui se trouve sur ton bureau. Ma parole, mais tu dois en avoir pour des heures pour lire et travailler sur tous ces dossiers !

L’héritier de la couronne songea qu’un jour, il devrait lui-même prendre en charge l’avenir du Royaume et passer des heures interminables en réunion du conseil et derrière son bureau. Rien que d'y penser, ce dernier en avait déjà la migraine !

Bien qu’impatient de monter sur le trône pour poursuivre l’œuvre de son père Korentin, cette perspective semblait tout d’un coup moins enthousiasmante. Toutefois, malgré son jeune âge, Nolan savait que le devoir passait avant le plaisir personnel et que son peuple comptait sur lui. Un jour, il serait roi et devrait se monter à la hauteur mais en attendant Luna était là et veillait sur Aldaria.

Le prince héritier lui lança un regard empreint d’affection et de gratitude.

Le visage aux traits fins de Luna devint cramoisi sous les assauts de Flocon, et elle tentait tant bien que mal de contenir le débordement de tendresse de celui-ci. Nolan n’ignorait guère que sa grande sœur n’était pas très à l’aise avec les chiens et n’avait pas résisté à l’envie de lui faire une petite plaisanterie.

Son compagnon à quatre pattes adorait la princesse des lumières et sans l’intervention du jeune homme, il aurait continué à lui délivrer une avalanche de léchouilles.
Voyant les protestations de la jeune femme, le petit prince, qui se retenait à grande peine d’éclater de rire ordonna à son familier de se coucher à ses pieds. Obéissant comme à son habitude, Flocon s’exécuta immédiatement, tout en continuant à fixer la Régente d’un regard attendrissant et débordant d’amour canin.

Après une douce étreinte, le gamin jeta un regard au bureau de Luna, croulant sous les dossiers et les documents griffonnés de sa belle écriture. Son minois juvénile arbora une grimace suivit d’une moue boudeuse. Décidément, l’existence d’un dirigeant n’était pas facile tous les jours et il ferait mieux de se préparer dès à présent au rôle qui serait un jour le sien. Certes, celui-ci était impatient de monter sur le trône pour poursuivre les ambitieux projets de son père. Mais pour l’heure, l’adolescent remuant peinait à se concentrer sur ses cours et désirait profiter encore quelque temps de l’insouciance de ses quinze printemps.

Lorsque la blonde confia avoir passé la matinée penchée sur ces dossiers et éprouver une certaine lassitude, d’autant plus que de longues heures de travail l’attendait. Le prince Saphir hocha la tête, en la fixant d’un air compatissant et murmura :

- Je sais…ça doit être très dur pour toi. Merci d’être là et de t’occuper du Royaume en attendant ma majorité. Personne n’aurait pu être plus apte à cette tâche.

Tout comme Korentin, Nolan éprouvait une confiance totale en Luna et savait qu’elle faisait de son mieux pour diriger Aldaria et assumer les lourdes responsabilités de cette fonction. Pourtant, cela ne devait pas être simple tous les jours pour cette impétueuse jeune femme, éprise de liberté et d’aventure.

La Régente s’approcha doucement de son petit frère et lui chuchota à l’oreille qu’elle savait qu’il l’avait fait exprès.

Le jeune Kohan prit un air faussement innocent et répondit d’un ton amusé :

- Allons donc qu’est-ce que tu vas imaginer sœurette, tu sais bien que je suis sage comme une image. Je ne sais vraiment pas ce qui a pris à ce chien, en tout cas je n’y suis pour rien.

En prononçant ces mots, une lueur espiègle s’alluma dans les prunelles mordorées du gamin et il ajouta avec un petit sourire en coin :

- Je ne mens pas, je suis bien trop gentil pour ça.

Affichant une expression taquine, la princesse des lumières poussa doucement l’adolescent, le faisant reculer jusqu’à l’extérieur de la pièce. Puis, rapide comme l’éclair, elle referma la porte afin d’enfermer le chien à l’intérieur.

Puis, la jeune femme aux cheveux couleur de blé mûr, menaça l’héritier d’Aldaria de lui donner une bonne fessée pour le punir de ses taquineries. Ce dernier n’avait plus qu’à courir à toutes jambes afin d’échapper à son légitime courroux.

Nolan eut un petit rire et répondit avec un sourire mi- charmeur, mi- moqueur.

- Je n’ai pas peur. Attrape-moi si tu peux !

Ayant achevé sa phrase, le jeune homme se sauva, s’élançant à toute vitesse à travers les couloirs du palais. Il gambadait fièrement, rapide comme un lièvre, se demandant si la Régente pourrait rivaliser, engoncée comme elle l’était dans sa longue robe.

Au détour d’un couloir, le petit prince croisa dame Geneviève, son professeur d’Histoire chez qui celui-ci devait de se rendre. La vieille fille, grande et maigre portait une longue robe de velours verte et un chignon serré surmontait son visage ingrat et anguleux. En apercevant son jeune élève, occupé à courir dans le palais, plutôt qu’assis devant son pupitre à son cours, ses lèvres écarlates se pincèrent et elle s’écria :

- Prince Nolan, que faites- vous ? Voilà une bonne demi-heure heure que vous deviez vous rendre à votre leçon d’Histoire !

Indifférent à cette remontrance, le futur empereur la bouscula en disant :

- Excusez-moi Dame Geneviève, mais j’ai mieux à faire.

- Quelle impertinence, ! protesta-t-elle d’un ton outré. Jeune homme, j'irai me plaindre à la Régente que vous êtes insupportable et n’avez que faire de vos études !

L’adolescent se contenta de ricaner et arrivé devant le grand escalier, bien décidé à semer Luna, il se laissa glisser sur sa rambarde.

Nolan adorait ces moments de complicité et cette amitié fraternelle qu’il partageait avec Luna. Lorsque cette dernière compta jusqu’à trois, donnant le signal de départ à ce petit jeu malicieux qu’ils avaient prévu ; l’adolescent s’élança en ricanant, bien déterminé à l’emporter, car à ce type de facétie, il était plutôt doué.

Dès sa plus tendre enfance, le petit prince était une véritable terreur, semblable à son père au même âge ! Et dès leur première rencontre, l’enfant avait adoré Luna, cette jeune fille aux cheveux couleur de soleil et aux yeux d’un bleu aussi profond que l’océan.

Depuis ce jour-là, le jeune Kohan n’hésitait jamais à taquiner l’ancienne pupille de Korentin, désormais devenue la Régente d’Aldaria. Le futur souverain la considérait comme sa sœur, au même titre que Victoria, malgré le fait qu’aucun lien de sang ne les unissait. Cependant, les liens du cœur comptaient autant, sinon plus aux yeux du gamin.

Pendant sa course effrénée, l’adolescent croisa Dame Geneviève, son professeur d’histoire, qui ressemblait à une vieille fille, à l’allure sèche et guindée. Malgré une sévère remontrance, celle-ci ne possédait aucune autorité sur lui et Nolan était trop pris par sa course et déterminé à semer Luna pour s’arrêter.

La princesse des lumières le talonnait, mais le blond conservait une solide avance ! Ce dernier songea à sa chance de ne pas être affublé d’une longue robe et de jupons. Cela ne devait guère représenter la tenue idéale pour courir ou grimper aux arbres !

En voyant le Prince Saphir s’encourir dans les couloirs, Dame Geneviève s’écria d’une voix de crécelle :

« Empêchez le de s’enfuir ! garde »

Nolan grimaça en entendant les paroles de sa préceptrice. Décidément, l’intervention de cette mégère risquait de compliquer l’affaire. En arrivant devant le grand escalier, le gamin se laissa glisser sur la rambarde jusqu’en bas.

Soudain, il vit Luna surgir devant lui en criant « Bouh ! » Elle avait sauté afin de le devancer et de lui barrer toute retraite ! Le jeune Kohan n’en croyait pas ses yeux et la fixa d’un air ahuri avant d’éclater de rire devant une telle audace.

- Décidément moi qui me croyait casse-cou et tête brûlée, pour le coup, je crois que tu me bats sur ce point ma chère Luna.

Mais les règles du jeu avaient changé et Dame Geneviève n’allait pas tarder à les rejoindre. Nolan connaissait suffisamment la vieille noble pour savoir que ses colères étaient légendaires.

Il acquiesça quand la jeune fille lui proposa de se cacher et répondit d’un ton amusé :

- Oui on dirait que ce petit jeu prend une tournure inattendue, mais après tout, cela peut pimenter l’affaire. Tu as raison, il vaut mieux nous cacher avant qu'elle n'arrive !

Devant eux se trouvait une vaste salle de réception, emplie de meubles luxueux et d’une immense table de banquet recouverte d’une nappe en soie blanche. Au plafond pendait un somptueux lustre de cristal, étincelant de mille feux et les murs de la pièce étaient ornés de portraits de Personnalités Aldariennes et de membres de la famille Kohan.

Le jeune garçon s’était glissé à la hâte dans la salle que Dame Geneviève apparut, flanqué de deux gardes.

- « Je suis sûr que le prince n'est pas loin, gardes retrouvez-le ! »