Les derniers temps avaient été compliqués, durs, obscurs. Les guerres avaient ravagé le monde sans discontinuer. Pour un mercenaire, ces périodes peuvent être prolifiques, puisqu’on a besoin d’hommes qui savent se battre et le travail ne manque pas et est souvent bien payé. Du moins au début. Mais quand les batailles se transforment en boucherie et que les compagnies sont décimées et les survivants ne sont plus que des ombres, alors plus rien n’a de sens et l’espoir d’un lendemain devient lui-même un trésor.
Pendant longtemps Erdrak avait vécu avec une compagnie, La Meute. Il avait grandi au milieu des brutes et auprès de leur capitaine qui avait été comme un père pour le mercenaire. Mais les guerres, leur propre gagne-pain, avaient détruit tout ça. Ceux qui n’étaient pas mort face aux vampires, l’ont été face aux alayiens. Et la poignée de survivants ne cessa de diminuer avec les conflits jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un. Erdrak avait maintenant la certitude d’être le dernier, le seul. Le dernier loup de la Meute. Un Loup Solitaire.
Depuis leur débâcle et la dissolution de leur compagnie et surtout depuis la mort d’Iriac, son père adoptif, Erdrak n’avait fait qu’errer, sans but réel, guidé par sa colère et son vague-à-l ’âme. Sa colère prenant de plus en plus de place dans son âme, remplissant le vide laissé par ses pertes successives. Puis des évènements ont complètement bouleversé sa façon d’être : une fille était apparue dans sa vie, sa fille. Puis il y avait eu la grotte. Le froid qu’il y avait connu le geler encore. La mort de son dernier camarade de la Meute. Tout ceci avait pleinement éveillé quelque chose de tapi dans l’ombre. Cette chose avait toujours été là et Erdrak savait que c’était grâce à elle qu’il était envie. Enfin Il était ce qu’il y avait de mieux pour décrire ce qui s’était réveillé en lui.
Erdrak avait alors décidé de se ressaisir, de ne plus se laisser balloter, ni par les évènements ni par son passé. Il avait déjà recommencé sa vie une fois quand il était enfin, et il le recommencerait aujourd’hui. Sauf que cette fois, il n’aura rien oublié.
Il se rendait dans un village pour saluer une dernière fois quelqu’un qui avait compté pour lui et récupéré ce qu’il y avait laissé. Le village n’avait pas de nom, il ressemblait plus à un hameau. Mais il possédait une forge et des fours pour faire du pain en plus d’une grande grange collective ainsi que d’une étable. Le tout était entouré de quatre maisons à proximité et de deux autres bien plus éloignées. C’est vers l’une d’entre elles qu’Erdrak se dirigea. Il attacha Akhela, son destrier noir à l’ombre d’un arbre. La maison était grande, comme beaucoup de maisons accueillant le bétail, mais Erdrak savait que les gens n’accueillaient ce genre de bête. Les habitants de la bâtisse ne travaillaient plus non plus au champ depuis longtemps, mais vivait sur de l’argent qu’ils avaient gagné en des temps plus propices. Leur âge avancé avait laissé des marques sur leur corps qui se reflétaient sur la maison. L’entretien n’était pas complet, des tuiles manquées, mais des travaux réguliers, sûrement des habitants du hameau la gardaient habitable.
La famille qui habitait là avait été un grande famille marchande, l’affaire durait depuis plusieurs générations, s’enrichissant toujours plus. Mais cette histoire avait cessé lorsque le dernier descendant refusa de reprendre l’affaire et parti pour ne jamais revenir. Ainsi la famille Geflorth perdu son pouvoir et ses richesses, ne laissant que deux vieillards attendre leur fin sur leur argent caché. Erdrak n’avait rencontré qu’une fois les parents d’Iriac, quand ce dernier était mort et qu’Erdrak était venu l’enterrer sur les terres qui l’ont vu grandir. C’était là son dernier souhait dans son dernier soupir. Alors Erdrak avait déposé son père adoptif chez ses parents, qui n’ont pas pleuré la mort de leur fils. Ils l’avaient perdu il y a des années, quand il avait décidé de choisir l’épée à la place de la famille. Leur accueil avait été froid et distant, mais ils n’avaient pas osé chasser ni refuser quoi que ce soit à ce gaillard en armure, portant le corps de leur fils et qui avait le regard brulant de douleur et de cette haine envers le monde à la perte d’un être cher.
Aujourd’hui, Erdrak revenait pour faire une croix définitive sur son passé. Arrivé à la maison, il frappa à la porte et attendit. Après quelques minutes, la porte s’entrouvrit laissant apparaitre le visage fripé d’une très vieille femme. Elle était tellement voutée qu’Erdrak faisait deux fois sa taille. Son visage s’assombrit et une lueur de peur s’alluma dans son regard quand elle reconnut Erdrak et qu’elle vit son regard noir se poser sur elle.
Je suis venu reprendre ce qui me revient et m’appartient. Le ton était sans appel. Il ne laissait la place aux questions ni au doute encore moins aux protestations. La femme ouvrit grand la porte pour laisser entrer le mercenaire. Lentement, à petits pas, elle le mena à une salle fermée à clés. Erdrak y pénétra.
Partez. Voyant la vieille hésitait.
Partez ! Alors la dame recula terrifiée. Erdrak referma la porte et fit face à ce qu’il était venu chercher.
L’armure reposait sur un présentoir. Pas un grain de poussière ni trace de salissure ne venait perturbait l’image. L’armure n’attendait que son nouveau propriétaire, à sa ceinture pendant une épée à une main dont le tranchant n’avait pas été altéré par les années ni les combats. Sur ses épaules, une cape, aux airs vaporeux, comme tissée dans la brume semblait agitée d’un vent léger. Voilà l’héritage d’Iriac à son fils adoptif, un héritage qu’Erdrak avait longtemps refusait, rongé par le chagrin. Mais aujourd’hui, Erdrak renaissait. Il revêtit l’armure du Loup. Aujourd’hui il redevenait un Loup. Aujourd’hui, son cœur abandonnait la mélancolie pour la détermination. Il sera un Loup Solitaire, mais un loup tout de même.
Tirant l’épée, il fit quelques mouvements, des gestes qu’un ami, maître d’armes lui avait appris. Il s’entendait à ce que l’armure le gêne mais non, c’était même plus facile qu’avec ses anciennes protections. La cape suivait tranquillement son corps sans jamais interférer. Erdrak rangea alors sa nouvelle épée au fourreau, Croc tel était son nom, celui qu’Iriac lui avait donnée et qu’Erdrak utiliserait. *
C’est ridicule de donner un nom à une épée. Surtout un tel nom. Tu es ridicule*. Mais Erdrak ignora cette voix. Il ramassa son ancienne épée, Equinoxe et ses anciennes protections et surtout. Devant la porte l’attendait la vieille femme accompagnée de son mari. Erdrak ne leur prêta pas attention et sortit. Eux, n’osèrent rien dire.
Il alla récupérer Akhela, qui leva la date à son arrivée. Sa nouvelle armure brillait doucement au soleil. Son épée battait doucement à son côté. Erdrak se sentait libéré. Il enfourcha son destrier et se dirigea vers le sommet d’une colline. Là se tenait un saule pleureur, majestueux, faisant pleuvoir ses branches tels des rideaux vert-bleu. Descendant d’Akhela, il le laissant là, sachant qu’il ne partirait pas. Il prit avec lui sa vieille épée et pénétra sous l’arbre
Sous la frondaison, au pied de l’arbre était plantée une stèle sur laquelle était inscrit :
Ci-gît Iriac Geflorth
Ne jamais rien posséder qu’on ne pourrait abandonner en un instant.
Erdrak s’agenouilla et tira Equinoxe. Il la planta jusqu’à la garde à quelque centimètre devant la stèle. Il était sûr qu’il ne toucherait pas le corps de son père. Après quelques minutes de recueillement, il se releva et partit, laissant derrière lui sa vieille épée. Remontant sur Akhela, il se dirigea vers Gloria, sans vraiment savoir où aller mais sûr d’être maître de sa destinée dorénavant. Un homme fier, un guerrier neuf. Et Erdrak savait que jamais plus il ne sera seul. Ni demain ni maintenant. Il n'était déjà plus seul.