L'aube se pointait à peine pour repousser une nuit morne et un peu brumeuse. Bientôt, les premières lueurs du soleil éclaireront l'immensité de cette plaine immense, pour se refléter dans une petite étendue d'eau et sur des écailles couleur violine. En effet, un long saurien était allongé, la moitié de son corps immergée dans cette eau sereine et couverte de nénuphars aux fleurs fanées. A croire que le reptile qui tendait à peine ses ailes pour les sécher au contact des futurs rayons du soleil naissant avait passé la nuit en ces lieux.

Et c'était effectivement le cas. Personne ne l'attendait à Gloria pour le moment, alors il en profitait pour chasser des songes qui le rongeaient doucement depuis des semaines. La perte de sa liée remontait déjà à plusieurs mois, mais pour ce jeune ailé, c'était comme si c'était hier, ressentant quand il s'y accrochait de trop, cette déchirure qui avait fendu son âme en deux, la disloquant avec en travers un gouffre qui appelait à s'y jeter dedans pour rejoindre l'obscurité et donc de ne plus souffrir. Mais malgré la perte de sa liée, l'Améthyste se raccrochait pourtant à la vie. Un espoir illuminait un horizon grisé et dépourvu de toute joie : celui de revoir sa liée lui revenir et à la vie. Merithyn le lui avait fait la promesse, même si ce n'était pas à prendre dans ce sens là. Mais le vampire, anciennement Baptistrel, était sûr de ce qu'il préparait et lui avait exposé le déroulement, une fois qu'il s'était assuré que le saurien serait capable de tenir le coup. Lui aussi avait connu la perte de son âme soeur et avait expliqué comment repousser ce désir insidieux de se laisser aller vers les bras de Mort. Merithyn avait besoin en plus d'un dragon qui avait toutes ses capacités et ses facultés.

Alors Cynoë avait écouté les conseils du vampire et les mettait régulièrement en application. Dans tous les instants possibles, il travaillait sur lui-même pour éviter de laisser aller son esprit dans le chemin de la mélancolie et du désespoir. Ce n'était guère facile et pour cette nuit, il avait décidé d'aller voler un peu, pour essayer de retrouver le simple plaisir de sentir l'air lui caresser son long corps sinueux. Puis il avait trouvé ce petit étang, où il avait étanché sa soif et avait gobé quelques grenouilles (du menu fretin pour un dragon de sa taille), avant d'opter pour un bain nocturne. L'eau avait été si savoureuse qu'il avait fini par s'y endormir. Au vue de sa taille, il ne risquait pas d'attirer d'autres prédateurs. Au moins, l'eau l'aura nettoyé de la poussière et des légères négligences qu'il avait guère nettoyé depuis la perte de sa belle princesse. Et par la même occasion, pour noyer la vermine qui squattait quelques dessous d'écailles.

Quand l'orbe solaire fit son début d'apparition, le dragon lâcha un long bâillement et se releva pour sortir de l'eau. Avec souplesse, il se secoua pour chasser toute l'eau dégoulinante de ses écailles et décida de se rouler dans le sable pour ''brosser'' ses écailles. Il exécuta le geste aussi joyeusement que le ferait un jeune chien, ravi de se gratter. Il s'avoua intérieurement apprécier ces moments simples et naturelles. Rien de tel comme simplicité. Sa liée en aurait ri de le voir se trémousser, dos contre le sol sableux, les ailes entrouvertes. Il cessa son activité quand il crut voir un étincellement argentée dans les cieux. Aussitôt, il se retourna et tendit sa tête vers ce miroir volant qui étincelait déjà de si bon matin

Ils revenaient tout juste de leur périple.
Dès que l'appel à la chasse avait été donné, Trissi et son Liés étaient partis chercher les évadés. Ce n'était pas de gaité de coeur, mais l'argentée avait estimé préférable de ne pas se montrer réticente face à cet ordre. C'était mieux pour elle, c'était mieux pour son Lié surtout. Si tous deux allaient grandement manquer du divertissement que Gloria pouvait amener, durant les mois à venir, ils seraient néanmoins dans une relative sécurité, éloignés de la frustration du Blanc, de ses colères, d'autres possibles ordres… Oh, ils pouvaient toujours recevoir de nouveaux ordres. C'était néanmoins moins probables que s'ils étaient restés oisifs à Gloria. De plus, partir ainsi, volontairement évitait aux Liés d'avoir à partir suivant la voix de commandement de Vraorg, qui ne leur aurait laissé aucune chance de se montrer aussi inutiles que Trissi espérait l'être. Au final, ils avaient effectivement croisé la route de Protégés. Ratissant les plaines, au niveau de la frontière, en long en large et en travers, depuis les cieux, les Liés pouvaient difficilement passer à côté de cette éventualité. Jouant des éléments alentours, des théocrates et loups-vampires, Trissi avait réussi à laisser filer Matis. Elle avait failli se livrer à Aramis… Avait failli mettre fin aux jours d'Aramis, aussi. Si elle pouvait une fois prendre le risque de se faire punir par Vraorg, elle ne pouvait non plus se montrer trop imprudente. Elle avait fait au moins quelques gestes un peu combattifs… Et "par chance", Aramis s'en était sortie.
Ces péripéties avaient parsemé quelques allers-retours entre Elena et Gloria. Ils ne devaient plus être loin de cette dernière. Trissi avait entendu ce qui s'était déroulé, ce 14 février, entre les murs glauques de la forteresse de leur pseudo-maître. La mort d'Esmelda, celle de Lorenz… Kedrildan avait jubilé de cette dernière, Trissi n'avait pu qu'y souscrire. Lorenz… Un imbécile, incapable de différencier sang de dragon et sang de mouton. Incapable de comprendre qu'au-delà de leur apparence d'écailles, les dragons apportaient le soutien magique dont ce très cher prince noir pouvait avoir besoin. Il s'était défait de Kedrildan, alors son dévoué serviteur, non sans lui faire un affront perceptible même au sens de l'honneur draconique. Kedrildan aurait pu être son meilleur élément… S'en détachant, Lorenz avait prouvé mieux que jamais, aux yeux de Trissi, qu'il n'était pas digne d'eux.

Lorenz était une chose, Esmelda en était une autre, et la princesse des humains inquiétait davantage Trissi. Oh, elle se moquait bien des histoires de royautés dans ce peuple éphémère. Ils devaient savoir les gérer… S'ils s'en souciaient encore. Non, sa vraie inquiétude se tournait vers son Lié, vers Cynoë. Trissi avait expérimenté, jadis, un instant, la séparation. L'instant abyssal où s'on âme s'était abîmée. La fracture, l'absence, en son sens le plus pur. Dans le temple de Néant, elle s'en souvenait encore, on l'avait écartée de son Lié, son Parfait vampire. L'événement avait été suffisamment marquant pour qu'elle puisse ne le souhaiter à personne. Cynoë était encore jeune…
La crainte l'avait étreinte, à l'annonce de cette nouvelle. Elle pouvait difficilement cacher, autant à son propre esprit qu'à celui de son Lié, la crainte qu'elle avait eue de voir le continent perdre un dragon… Et un dragon aussi prometteur. Elle avait fait part à Kedrildan de la bonne impression qui lui avait été laissée par ce jeune-là. Elle avait espérer le croiser dans les cieux, pour se rassurer… Sans succès. Du moins, jusqu'alors.
La lumière du matin commençait tout juste à déposer quelques perles de chaleur sur les ailes d'argent de Trissi, sur les écailles de son épine dorsale, y traçant un fin trait lumineux. Cette heure était des plus instables, pour qui usait des cieux. Les températures connaissaient une sorte de transition. Les zones qui de nuit étaient ascendantes ne l'étaient pas le jour, et inversement. Une brume étrange occupait Sombreval, et l'instant était encore trop proche de celui où le ciel n'était que d'ombres vêtu pour qu'elle se soit dissipée. La chasse avait été ardue. Par chance, nombre de bestiole estimait ces heures propices à d'insolentes sorties, d'audacieux discours. Ne seraient-ils pas plus difficile à percevoir pour leurs prédateurs ?
Le chevreuil dont elle avait arraché la vie avait dû être de cet avis, excepté à ses derniers instants. Mais là où son Esprit avait rejoint Mort, Trissi avait estimé l'environnement indigne de son repas. Oh, bien sûr, chaque lieu avait sa noblesse, ses atouts… Mais pas forcément pour manger. Et elle se refusait à manger un chevreuil encore embourbé du marais où il avait trempé ses charmantes pattes. Il aurait fallu un point d'eau, pour le laver, déjà. Puis un lieu où elle ne risquait pas d'ingurgiter cette tourbière gluante en même temps que cette viande dûment récoltée. C'était à cette fin qu'elle s'était élancée de nouveau à plus haute altitude. La solitude l'apaisait. La présence de son Liée était calme, reposée, dans un coin de son esprit. Il n'était pas encore temps de penser à quoi que ce soit en lien avec le présent. Mais quelques mètres d'altitude et quelques mètres plus avant suffirent à la projeter à nouveau en ce monde de brutes… De façon plutôt agréable.

Cynoë était donc vivant. Il avait survécu à la perte de sa Liée. Elle ignorait encore sous quelles conditions, dans quel état. une partie d'elle-même lui murmura qu'elle le saurait bien assez tôt. Il semblait très occupé à… Dragonner dans son coin. Un peu comme elle, certes. Sans doute avait-il besoin, lui aussi, de repos pour son âme, d'instants hors du temps. Il avait près de lui l'étang qui seyait aux besoins de Trissi. Alors… Allait-elle l'épargner, au nom de la peine et de l'envie qu'elle lui imaginait ?
Non.
Il l'avait vue, elle l'avait vu, ils ne pouvaient faire comme si rien n'avait changé. De plus, la seule vue de son congénère et de la configuration des lieux avait donné des idées à la dragonne. Des idées impérieuses. Elle s'était alors élancée, bien plus rapide, véritable flèche sifflant dans les airs. Elle perdait de l'altitude à folle allure. Finalement, quand elle passa au-dessus de l'étang, elle put tout juste tremper sa proie dans l'eau. Les vagues créées par le corps de l'animal, sa rencontre avec le liquide, et la vitesse, furent projetées sur le côté, et, enfin, sur Cynoë. C'était gratuit.

"- Ravie de te revoir, améthyste !"

De la sincérité, mais aussi de l'amusement. Elle masquait incroyablement bien les craintes qu'elle avait pu avoir à son encontre. Peut-être parce que, justement, ces dernières se faisaient discrètes en comparaison avec son soulagement. Elle s'élança pour achever sa course en volant au-dessus de lui, en spirale, cherchant à perdre la vitesse qu'elle avait acquise, mais en douceur.

"- En veux-tu ?"

Lui souffla-t-elle, désignant mentalement ce qu'elle tenait entre ses pattes. Ceci fait, elle transmit un souvenir, à Cynoë: au coeur de Gloria, une humaine, tenant une friandise sucrée, hors de portée d'un enfant. Et elle la lui proposait à une condition. La voix mentale de Trissi superposa celle de l'humaine:

"- As-tu été sage ?"

Le jeune saurien couleur violine n'avait guère bougé une griffe quand l'Argentée fendit gracieusement les airs pour piquer vers lui ; où plutôt la surface de l'eau qui retrouvait à peine un calme relative. Trissi, aussi agile et rapide qu'elle l'était, redressa sa chute vertigineuse en redressant son corps, frôlant l'eau pour y laver sa proie. Des effluves de sang tiédi et de boue accompagna le sillage de la dragonne, pendant que l'eau protesta en clapotant sur la berge de sable à pente douce et sur les écailles de l'Améthyste. Ce dernier avait fait quelques pas pour retourner dans l'eau, le temps que Trissi n'arrive au dessus en réduisant son allure volante et tournant en de grandes spirales.

La tête relevée pour observer ses circonvolutions, sentant une certaine réaction positive de la part de Trissi. Comme si elle était heureuse de le revoir. Les nouvelles se transmettaient vite quand à la perte d'un lien entre un bipède et son dragon. Qui sait comment l'Argentée avait pris cette grave information. D'ordinaire, les dragons liés ne mettaient guère de temps à se laisser dépérir pour accepter la délivrance de leurs souffrances dans la mort. Cynoë aurait pu suivre la même voie si Merithyn ne l'avait pas convaincu de se battre. Il avait partagé avec le jeune dragon une information capitale en ce qui concernait sa liée... Maintenant à lui de faire le reste. C'est pour cela qu'il était venu en ces lieux, loin de toute l'agitation humaine qui motivait d'ordinaire sa curiosité. Même si loin de tout, il n'aurait pas cru croiser un autre de ses semblables. Peut être que c'était une bonne chose que ce soit Trissi, même si de sentir son débordement joyeux lui serrait le coeur. Au moins, elle avait encore son lié, même si elle s'en vantait trop à son goût. Mais n'aurait-il pas fait la même chose pour sa liée ? Pour ne plus penser à la perte de sa liée, il l'imaginait tout sourire face au lié de Trissi, droite et au port royale, devant un vampire un tantinet un peu trop sûre de sa propre propreté corporel.

C'était une lutte de tous les instants, pour ne pas se faire emporter dans la tempête du désespoir qui restait à le guetter aux frontières de son esprit. Un combat acharné qui l'opposait à lui-même. A voir comme l'arrivée de Trissi jouerait là-dessus. Après tout, Merithyn ne lui avait-il pas dit de veiller à rester au mieux de sa forme ? Cela n'impliquait pas de répondre à ses besoins primaires qu'étaient de manger, boire et dormir. C'était de rester intègre en ne se réfugiant pas dans les méandres de sa propre solitude, qui serait plus néfaste que bénéfique. Il était un dragon et devait agir comme tel. Sa liée aurait grandement approuvé.

°Salutations à toi, Trissi l'Argentée°

Il tourna légèrement la tête vers Trissi qui lui tendait et bien entendu hors de portée le gibier encore frais entre ses griffes. Il était certain que le chevreuil paraissait appétissant malgré l'odeur marécageuse qui émanait encore des poils de ses pattes. Elle lui transmit un souvenir imagée d'une bipède tendant une friandise sucrée à un enfant, avec une réplique tout aussi espiègle... de s'il avait été sage ?

Ses paupières clignèrent plusieurs fois d'incrédulité et il s'assit prestement sur la plage de sable, laissant sa longue queue écailleuse remuer dans l'eau.

°Difficile pour toi de savoir si j'ai été sage, cela faisait un bon moment que nos routes ne s'étaient pas croisés. Penses-tu que je mérite une part de ton gibier, alors que la dernière fois, là où je n'avais pas été sage, je t'ai pris ta proie sous ton museau....°

Sa queue remua comme celle d'un chat qui guettait rien que pour le plaisir un autre congénère, dans une certaine forme à venir d’espièglerie.

°Peut-être que oui, peut-être que non. Je te laisse seule juge chère Trissi°

[HJ: désolé, je me remets dans le bain ^^° ]

Trissi était... Contrariée. Elle s'était doutée que son camarade d'écailles ne serait pas au meilleur de sa forme. Le constater était différent d'une simple pensée. Bien plus réel, bien plus proche, quand tout n'aurait pu encore être qu'une plaisanterie et un songe lointain. Pincement au coeur et frustration. L'attitude seule de Cynoë aurait pu lui suffire. Assis, tout juste, le nez levé vers elle, quand il s'était jadis élancé de plus belle pour chapardé sa proie, quand l'énergie ne lui avait pas manqué, quand il paraissait encore posséder ce puits d'énergie sans fond auquel tous les juvéniles de ce monde ont accès. Aurait-il vieilli, d'un seul coup, dans le dos de sa camarade d'argent ? Ce n'était pas bien poli. Si seulement...
La dragonne avait beau vouloir lui changer les idées, elle était la première à ne penser qu'au deuil qui devait l'habiter. Elle n'avait pourtant que très peu connu la supérieure des humains. Le souvenir de son éphémère séparation avec Kedrildan devait la ronger bien plus que ce qu'elle imaginait, et bien trop au coeur d'elle-même pour qu'elle le réalisa. Il n'était pas impossible qu'elle chercha juste, à travers Cynoë, à trouver un miroir, un compagnon d'infortune grâce auquel la Trissi de son passé se sentirait moins seule. Une partie de sa contrariété devait venir de ce point sous-jacent: contrairement à elle, qui dans la folie s'était abîmée, Cynoë demeurait relativement stable.

Mais comme son esprit ne pouvait admettre qu'elle suivit une telle logique, elle se concentrait davantage à maudire le sort qui avait abîmé ce petit être. Il ne paraissait pas bien joueur, ce qui était un drame. A l'engouement de ses partenaires de jeu Trissi pouvait estimer l'état de ce foutu continent. Et là, il allait mal.
Trissi était hésitante. Elle ignorait dans quel sens prendre ce petit lézard qui était son ami. Elle ignorait si ce mouvement de queue était un signe d'ennui, d'agacement, ou une subtile invitation à jouer, quand la voix mentale de son compagnon ressemblait à ces jolis tissus qui couvraient la nudité des bipèdes, et les cachait.
Elle prit le parti d'insister un peu. Pour voir, pour être sûre. Il lui restait encore suffisamment d'envie de s'occuper et de veiller sur l'humeur de ce petit pour que sa patience tienne un peu plus. Sa contrariété était, au final, plus une force qu'un frein, dans cette aventure.

Avait-elle laissé transparaitre ces questionnements et pensées plus ou moins avoués, plus ou moins présents en elle ? Difficile à dire. Cela dépendait sans doute de la sensibilité de chacun. Elle n'avait pas voulu, en tout cas, signifier à Cynoë qu'il faisait mieux de faire un effort. Ce n'était pas le manque d'envie, c'était plutôt un calcul. Si ses prochains efforts ne fonctionnaient pas, elle se montrerait plus explicite, pour sûr. Elle était restée un bref instant, peut-être quelques secondes de trop, dans les airs, à l'observer, sans rien lui transmettre, sans paraitre tenter quoi que ce soit. Peut-être que cela suffirait à le pousser à se questionner... Mais si tel était le cas, Trissi estimait que ce n'était pas de sa faute. Elle eut un mouvement très grâcieux mais assez rapide pour n'être pas compréhensible de prime abord, amenant via la gravité sa proie entre ses crocs. Elle n'avait pas répondu, pas encore. Elle parut descendre, lentement, sûrement, très délicatement... Jusqu'à se atterrir sur la tête de Cynoë.
Enfin, façon de parler. Elle volait, dans une sorte de pseudo-sur-place, mais ses pattes s'étaient posées sur la tête de son camarade, légèrement accrochées, la forçant à une position plus ou moins recroquevillée. Ses antérieurs cachaient sans remords la vision de l'améthyste.

"- Tu as bien raison. Juger sur le passé est ridicule: laisse-moi plutôt te juger sur le présent. Libère-toi !"

C'était un amusement éhonté, une fierté qui ne se cachait pas, une légère moquerie peut-être, qui venaient de s'exprimer à travers l'argentée, pour pousser le petit à n'être surtout pas sage.

Si la dragonne avait émis quelques soucis à peine perceptibles, l'Améthyste ne les capta point. Il était bien trop occupé au sein de son esprit qui pouvait dériver à n'importe quel instant pour le tendre plus loin et essayer de mieux cerner avec l'Argentée. Il n'avait pas besoin d'entendre des pensées pour voir dans l'attitude de la dragonne couleur argent qu'elle était un peu perplexe. Peut-être que dans cette seconde rencontre, elle ne reconnaissait pas le jeune saurien vif et un poil déconcertant qui lui avait volé son déjeuner sous ses narines écailleuses. L'épreuve qu'il subissait à chaque instant n'aidait guère à laisser entrevoir le dragon qu'elle avait rencontré. Ou alors cherchait-elle à trouver une bonne voie pour ne pas le brusquer, parfaitement consciente de ce qu'il vivait au fond de son âme.

Il était vrai qu'il avait besoin de tenir le cap pour ne pas perdre de vue le but ultime qui le retenait à la vie. S'il ne faisait ne serait-ce qu'un écart, tout pourrait se perdre et il sombrerait plus profondément encore. La venue de Trissi pouvait perturber ce précaire équilibre comme il pourrait très bien l'aider à ne plus penser à cette lutte personnelle. A voir comment la dragonnelle continuerait dans ses attitudes et dans ses paroles. En tout cas, sur le court laps de temps qui passait presque sereinement, il n'avait pas cessé de l'observer, et attendait. Elle ne parlait pas. Qu'est ce qu'elle avait encore derrière la tête ?

Il ne la quitta pas des yeux. La réponse viendrait d'elle-même et ce qui se produisit. Après avoir mis sa proie dans sa gueule avec des gestes rapides et gracieux ; normal pour une dragonne non ? elle descendit si lentement que Cynoë cligna des yeux pour être certain qu'il n'était pas victime d'un début d'illusion. Non, elle descendit bien sur lui et la réalité de la chose se confirma quand elle posa ses pattes sur sa tête, au point de lui boucher la vue. Il sentit ses serres racler doucement ses écailles. Au moins, prenait-elle soin de pas lui abîmer ses crêtes maxillaires et cervicales. Mais qu'est ce qu'elle faisait encore ? Il la savait espiègle, avide de farces et d'amusement. Mais là, de s'appuyer sur sa tête, au point qu'il dut un peu ployé le cou... Oh elle volait, mais la posture qui était sienne par rapport à la sienne avait une signification tout autre que le jeu. Peut-être qu'elle le faisait exprès justement pour le faire réagir. Il se contenta de lâcher un très léger grondement.

Elle finit par répondre à sa demi-demande de jugement, vis à vis de sa personne écailleuse. Le juger sur le temps présent, alors qu'elle s'appuyait sur lui, ses pattes avant posées sur sa tête, pendant qu'elle voletait en sur place au-dessus de lui... La signification première hors jeu pour lui était une recherche de dominance sur lui. Se libérer qu'elle disait. Si elle pensait le soumettre et profiter de la faiblesse qui le rongeait par moment psychiquement, elle se trompait. Il lâcha un grondement plus audible.

°Me juger sur le présent donc.... Difficile de juger sur l'instant....°

Il espéra pour elle qu'elle ne se méprenait pas sur ce qu'elle était en train de faire, car malgré le ton, il tenait aussi à sa fierté et avoir une dragonne s'appuyer de la sorte pour gentiment lui imposer de baisser la tête par le poids léger de ses antérieurs. La vision bouchée par ses pattes, cela ne l'empêcha pas de réagir promptement et avec souplesse. Vivement, il retira sa tête des prises de l'Argentée, reculant son long cou avec une grâce très reptilienne. Ses yeux clignèrent une fois.

°Là je ne vais pas être sage... °

Le ton était un poil moqueur, même si une once d'arrogance draconique vibrait au coeur de cette pensée. Aussitôt dit, le dragon se redressa prestement, attrapa les antérieurs de la dragonnelle argentée avec les siens et la tira légèrement vers lui. Ses ailes s'ouvrirent dans un claquement sec. Doucement, avec la force de ses postérieurs il recula, toujours en tenant la dragonne dans ses prises. Il veilla à ne pas la griffer bien entendu. Ce serait malheureux qu'elle perde des écailles accidentellement. Les muscles de son dos et de ses épaules se tendirent pour bien tenir sa prise volante, luisante d'éclats argentés à faire pâlir la lune d'une nuit d'état.

°J'espère que tu aimes la boue des fonds d'eau. Et tu ferais mieux de lâcher cette proie, elle n'a pas besoin d'être plus mouillée encore...°

Mais au lieu de la tirer réellement dans l'eau comme il l'affirma, il la tira encore mais cette fois vers le bas, la contraignant à descendre vers le sol... en douceur bien entendu. Hors de question d'user de force brutale avec Trissi

Ah ! Enfin Cynoë se débattait ! Voilà qui faisait plaisir à l’argentée… Et pour cause ! Elle n’allait pas avoir à insister d’une toute autre façon, plus franche, moins apte à changer les idées du petit. Ne pas arriver à son but et avoir à gérer la frustration d’avoir eut à faire à une opposition l’auraient fortement agacée.
Elle s’auto-congratula sur le choix de son jeu. Les siens étaient habituellement plus fins, des jeux de manipulatrice avide d’essais divers et variés sur les êtres vivants et objets de ce monde. Elle trouvait une pauvre victime et lui donnait un petit coup de museau ou d’esprit pour la voir remuer, gigoter, et couiner. C’était ce qui l’amusait le plus. Bien plus que la violence pure qui servait d’amusement favori à la majeure partie de ses frères vampires. Quant à ses jeux avec les dragons… Avec Silarae, elle avait pu partager ses jeux favoris. Avec les autres… Elle avait dû s’adapter. Mais si les jeux ancestraux qu’étaient la simili-bagarre et la dominance n’étaient pas les plus délicieux à son goût, elle devait admettre y trouver un peu de goût, principalement lorsqu’elle gagnait. S’ils ne servaient à démontrer sa supériorité, à quoi pouvaient-ils servir ? Ce ne seraient alors que des divertissements de bas étage, communs à la majeure partie des animaux du continent…

Dans le cadre de ce jeu précis, elle ne pouvait que gagner, maintenant que Cynoë avait accepté de participer. Soit elle l’emportait, et elle était effectivement d’eux deux la meilleure (ce qui était largement prévisible), soit elle ne l’emportait pas et avait réussi à soutenir son congénère, ce qui serait encore une fois la marque de l’habilité de son esprit (ainsi que sa grande gentillesse pour l’avoir laissé gagner). Le rapide mouvement de recul qu’eut la tête de Cynoë eut ainsi pour effet de faire lâcher prise à la dragonne dans un autre sens du terme: sachant qu’elle n’avait plus à lutter, elle se laissa prendre au jeu. Mais toujours avec dignité ! Passé le bref instant de surprise qui la vit chuter, elle eut un élégant mouvement d’ailes et de corps pour reprendre vite de la hauteur, n’ayant qu’à peine effleuré le sol, se tournant dans le même temps pour être face à l’améthyste qui avait décidé de ne pas se laisser faire, de ne pas rester oisif face à cette capture outrageante. Définitivement, il ne fallait pas le perdre. Mort de sa Liée ou non, il devait vivre. Il serait de ceux qui purifieraient ce continent de la vermine qui y grouillait. Trissi le sentait, désormais. Peut-être n’était-ce que son sentiment, peut-être que Cynoë avait légèrement changé, mais il lui paraissait émaner d’une puissance encore dormante, mû d’une rébellion liquide sous ses écailles.

Elle fut surprise qu’il se saisisse ainsi de ses antérieurs. Elle les utilisait très rarement, éventuellement pour manger. la plupart du temps elle utilisait son museau, ce qui évitait d’avoir à troubler l’équilibre créé par les quatre appuis de ses membres. elle aussi eut un claquement d’ailes, pour maintenir son équilibre, et compenser la force qu’exerçait Cynoë, créant la sienne en sens opposé. Quand ce dernier la railla, elle lui transmit sans pudeur sa surprise, et ce malgré l’erreur stratégique qu’un tel aveu constituait. Ceci fait, elle lui transmit son dégoût: elle n’aimait pas avoir les écailles boueuses. Pas question de le lui dire: mais elle se trouvait assez peu brillante sans avoir besoin de cela pour empêcher les astres de se refléter sur ses écailles, souligner sa beauté tant innée par son espèce que qu’acquise par sa naissance et par le temps. Concrètement, c’était tout de même bien plus pour le plaisir d’ennuyer Cynoë qu’elle s’appuyait sur son apparence.
Et la proie… Trissi eut un mouvement de tête, pour essayer de la loger entière dans sa bouche. Cette dernière se trouva être légèrement trop petite, la proie en dépassait. Un grognement. Finalement, elle eut un petit mouvement d’encolure pour envoyer le cadavre dans l’herbe, un peu plus loin. Ils n’allaient pas trop s’écarter, normalement, non ? Et quel prédateur, si affamé soit-il, s’essayerait à chaparder la proie d’un dragon quand ils étaient deux dans les environs ? Seuls les bipèdes auraient eu non pas cette audace, mais cette bêtise. Il n’en était aucun dans les environs.

Non seulement Trissi refusa de se laisser entraîner tant vers le sol que vers l’eau mais, sachant que sa force serait sans nul doute plus faible que celle de son congénère, elle chercha à orienter les pattes de Cynoë. Qu’ils tournoient ensemble, il finirait par rejoindre seul les flots ! C’était du moins ce qu’elle imaginait. Ce qu’elle aurait voulu. Ce pour quoi elle avait remué. Mais ses efforts furent vains: l’améthyste n’était pas aussi aisé à deviner qu’un bipède, il sut jouer de ses propres gestes. En plus de cela, le traître sable sous ses pieds, tantôt humide tantôt sec, vint l’aider à glisser, après qu’elle se fut posée à terre pour, justement, se sentir d’un meilleur équilibre qu’à un coup d’ailes du sol. Ce n’était définitivement pas la meilleure idée qu’elle eut, ce jour-là. Elle rencontra le sol d’une charmante glissade, avec un grognement mécontent, sa tête toute proche de l’eau. Pourtant, le désamour qu’elle transmit mentalement à Cynoë était emprunt d’ironie, du ton du mensonge. Elle ne lui en voulait pas totalement, pas vraiment. Son honneur ? Il n’était point bafoué. Et pour cause: elle n’avait pas perdu !
D’un mouvement de corps reptilien, elle chercha, sans se relever, à prendre Cynoë entre ses pattes pour l’attirer vers le sol, contre elle. Le combat continuait, même à terre !

Il n'aurait pas cru sentir sa surprise quand il entama son idée de la mettre à l'eau. Par contre, il sentit parfaitement le dégoût ressenti par la dragonne de devoir se coltiner de la boue sur ses écailles. A croire que Trissi, même dans leur combat qui était plus un jeu qu'autre chose, se souciait de l'éclat de ses écailles jusqu'à la dernière pointe de sa belle cuirasse argentée. Il était vrai que pour un dragon, tenir propre sa protection naturelle était importante, autant pour assurer la solidité à toute épreuve des écailles que pour le reste de la santé du corps. Mais de là à se soucier de leur brillance. Trissi était argentée, elle brillait de mille feux quand le soleil étincelait sur elle, comme si elle n'était que l'incarnation de milliers d'étoiles unifiées pour former une sculpture parfaite et étincelante en plein jour. Mais sur un point de vue plus terre à terre, guère idéal pour être discrète. Pour la chasse où pour la reconnaissance aérienne, quand on connaissait des dragons brillants comme elle. Mais sur le coup, pendant qu'il la tirait doucement vers l'eau, il la compara plus à une femelle bipède qui tenait à garder l'éclat de sa beauté en toute circonstance pour plaire. C'était louable, mais elle aurait du y penser avant de pousser gentiment l'Améthyste à se remuer un peu.

Il ne détourna pas son attention d'elle quand elle s'assura d'envoyer le gibier dans l'herbe, à bonne distance pour ne pas être écrasé par la masse des dragons si le jeu venait à prendre une autre ampleur -et ne pas être mouillé surtout. Une proie au goût de vase n'était pas forcément des plus goûtus-

Trissi tenta de s'échapper de ses prises. Mais Cynoë sut la tenir et continua d'exécuter sa marche à reculons. Les bords humides et peu sable de la plage de l'étendue d'eau fut propice pour Cynoë quand la dragonne argentée perdit l'équilibre et rencontra le sol, sa tête pas loin de rencontrer l'eau. Le jeune dragon se demanda sur l'instant s'il n'avait pas été loin et avait cru voir dans la chute une tentative de contrôle pour garder une dignité gracieuse quand à cette tombée sur le sol. Il fut pris à un doute sur une fraction de seconde quand à la suite à donner. S'il se retirait pour libérer Trissi, elle serait capable de lui reprocher d'être... comment elle avait dit à leur première rencontre déjà ? Ah, elle lui reprocherait de pas être lui-même et comme dans ce petit jeu, elle souhaitait le voir se libérer... Qu'elle ne vienne pas lui reprocher sa rencontre terrestre alors. De ce qu'il perçut d'elle manqua de le déstabiliser un peu mais son esprit comprit qu'elle ne lui reprochait guère sa posture un peu déshonnorante (pour l'instant, on ne sait jamais avec des femelles).

Trissi ne rendit pas les armes quand elle l'attrapa à son tour pour l'attirer au sol. Elle voulut profiter de sa masse bien étalée sur la plage pour contrer la force de Cynoë. Et elle y parvint. Le jeune dragon violine tenta de garder son équilibre en battant des ailes et en traînant la dragonnelle pour la mettre à l'eau. Mais tirer un dragon qui voletait était plus facile que de tirer un congénère étalé sur le sol. Ce fut donc au tour de Cynoë de découvrir la traîtrise du sable humide, guère solide pour supporter le poids d'un dragon posté sur ses deux postérieurs. Sentant la chute, il replia ses ailes pour les préserver. Il ne tenait pas à avoir des os brisés dans un tel échange. A son tour de sentir la vase dans ses naseaux et l'éclaboussement de l'eau sur ses yeux, car lui était dans l'eau et non Trissi et en tombant, il avait tenté de pas lui tomber dessus. Au mieux, elle sera elle aussi éclaboussée.

Trissi en profita pour passer à l'action. Et elle tenait à avoir le dessus sur elle en plus. Ah la finaude. Il tenta alors de la contrer en s'enroulant autour d'elle. Long et sinueux, il pourrait être un serpent géant s'il n'était pas doté d'une grande paire d'aile membraneuse et de puissantes pattes écailleuses. Dans cette tentative, il poussa un grondement de douce provocation, sans aucune animosité.

Soudain, il se fit tournoyer et se retrouva sur le dos, clignant des yeux d'incrédulité ? Déjà, il chercha à se remettre sur ses pattes pour ne pas laisser l'ouverture et la part belle à Trissi. Peut-être qu'elle était une dragonne avec ses charmes et une intelligence aiguisée, mais il tenait à démontrer ce qu'il était. N'est-ce pas ce qu'elle voulait ?

Un jeu ancestrale, un jeu partagé avec tant d'espèce. Etait-ce seulement une bonne chose qu'aider ainsi les systèmes de dominances à perdurer ? Inscrivant presque dans leurs gênes ce système instinctif, nombre de vivants se condamnaient à n'en pas sortir et à s'y abaisser. La force, la ruse, le combat, la victoire par abandon de l'autre adversaire. Etait-ce que qu'il fallait pour soutenir un monde ? Etait-ce en transmettant cela que l'on apprenait aux dragonnets à soutenir un monde qui périclitait ? Etait-ce ainsi qu'on leur apprenait l'harmonie nécessaire à la survie de leur environnement, et à leur propre survie ? Non. Ainsi on entretenait en eux l'ambition, la satisfaction de la supériorité, et l'ambition, traitresse. Vraorg avait dû adorer ces jeux, et ces ancêtres avant lui plus encore. Il était devenu l'incarnation de l'envie de pouvoir écrasante, celle qui ne réfléchissait plus au-delà de son propre intérêt, de son propre plaisir. Abomination, en ce sens que ni les bipèdes ni les quadrupèdes n'étaient parvenus à une telle souillure des savoirs ancestraux. Merveille en ce sens qu'il s'était affranchi lui-même de ces barrières pourtant protectrices.

Vraorg était une erreur à ne pas recopier. Pourtant, elle se satisfaisait d'un jeu qu'il aurait sans nul doute adoré. Devait-elle alors l'arrêter, par crainte de se corrompre dans un vice abject, ou par simple marque de dénégation ? Non. Elle n'en avait pas envie. Elle, elle savait jouer. Elle, elle savait honorer convenablement l'esprit dont elle avait été dotée. Elle savait les limite de ce qu'elle pouvait faire et ce que son statut lui interdisait de faire. Dans cette mesure, sa liberté pouvait être plus grande. Vraorg, lui, méritait la muselière, le retrait de la magie qui le composait. Affaiblit, peut-être saisirait-il combien sa force et sa position n'étaient illusoires. Ou peut-être chercherait-il plus hargneusement encore à gravir les échelons, sans même oser remettre ces derniers en question lorsque la route lui serait barrée par, peut-être, de simples bipèdes, ou sa propre faiblesse. Ç'aurait été beau à voir, Trissi aurait aimé pouvoir profiter d'une telle vision...
Mais sa situation actuelle était beaucoup plus agréable. Elle envoya au loin les pensées liées à sa condition, abandonna à nouveau son esprit au seul jeu et au but simple qu'elle avait. Si cela ne changeait pas les idées de Cynoë, les siennes au moins se voyaient apaisés. Elle remuait, ses griffes et ses pattes s'agitaient. Fouillis de leurs corps et de son amusement, bruits désorganisés de sable qui volait, que l'on écrasait, des petites pierres éjectés dans l'eau, des crocs qui faisaient mine de claquer. Elle parvint à envoyer Cynoë un peu plus loin, sans trop savoir comment. Il s'enroula autour d'elle, au du moins, commença. Déstabilisée, elle eut le réflexe de remuer violemment, pour se défaire de lui, et pouvoir continuer de le mettre à terre. Une partie d'elle le regretta, au loin, ayant apprécié un tel contact, sans trop l'expliquer. Mais cette partie-là fut vite écrasée par la voix immense en elle de petite dragonne qui s'écrit "jeu ! jeu !".
Cynoë devait pouvoir percevoir cette petite voix, qui faite d'émotions et non de mots, de l'engouement et de l'enthousiasme de Trissi. Elle ne la réfrénait pas trop, ces pensées-là étaient sans doute envoyées à quelques mètres à la cantonade. D'un bond tout à fait reptilien, elle s'élança pour se placer au-dessus de Cynoë.

Là elle s'arrêta, un peu surprise, pas moins amusée. Tiens, ils étaient dans cette position ? Elle ne s'était pas sentie le malmener à ce point, et elle avait cru qu'il trouverait une parade, une défense, l'empêchant de se tenir ainsi, aussi bien campée au-dessus de lui. Eh bien, ce n'était pas un mal, elle se sentait... Puissante. De la puissance qu'elle avait toujours, mais qu'elle s'abstenait de démontrer, dans sa grande humilité la majeure partie du temps. Ses saphirs firent un instant mine de jauger Cynoë. Elle devait l'admettre: elle aimait le voir ainsi, sur le dos, sous elle. Totalement à sa merci. Plus que de la soumission, dans ce cas, c'était également pour elle une marque de confiance. Elle savait que, sans souci, le dragonnet aurait pu se rebeller, se défaire de là, voire l'amener à terre également. Il n'en faisait rien... Elle ne comprenait pas pourquoi. Et elle ne cherchait pas à comprendre, pas maintenant. Il y aurait pu y avoir Skade derrière elle, elle s'en moquait, et n'y faisait aucunement attention, sa vigilance éteinte par le jeu et par l'image étrange de ces écailles violettes sous elle.

"- Cette position te va plutôt bien ! Ne bouge pas."

Lui demanda-t-elle, espiègle, tout en s'abattant brusquement sur lui, usant de tout son poids pour maintenir son congénère entre elle et le sol. Il y avait en cet endroit trop peu d'eau pour que Cyno ne puisse en sortir la tête, trop peu d'eau pour que cela joue en la défaveur de Trissi, la faisant flotter d'une façon ou d'une autre. Tandis qu'elle le maintenait immobile, son cou se tordit, sa tête partit chercher quelque chose sous la surface de l'eau. Elle revint vers Cynoë à un instant où ce dernier avait, justement la tête hors de l'eau, pour lui souffler le contenu de sa bouche au visage -ou plutôt, le lui lancer. L'eau se trouva projetée au visage de ce pauvre dragon... Ainsi qu'un poisson, animal trop petit pour que Trissi l'eut remarqué.

"- Vois ! Nous sommes plus que des cracheurs de feu !"

Et cela paraissait l'amuser à un point incroyable. Là, Cynoë pouvait tout faire, elle n'offrait plus aucune résistance, occupée qu'elle était à admirer son oeuvre et s'auto-congratuler.

A ce qu'il percevait, ce n'était pas une dragonne adulte qu'il avait en face de lui, mais une dragonnette, avide de jouer et de s'amuser. Que de mieux que de penser à cela dans des temps troublés ? On oubliait les soucis, les angoisses, les craintes...Même lui se laissa tellement prendre au jeu, toujours pris sous l'effet incrédule de s'être retrouvé à terre en un rien de temps , au point de laisser Trissi bondir sur lui pour le dominer de toute sa taille. Il se contenta de se raidir quand à la fin de son bond pour être sur lui. Puis il la regarda avec de grands yeux, pendant qu'elle-même se figeai à le fixer avec une étrange intensité. Il s'était presque attendu à ce qu'elle profite de sa position pour soit se moquer de lui, soit continuer à jouer de sa position favorable pour tenter de gagner sur lui. Non au lieu de cela, elle l'observait. Peut-être que de rester immobile sous sa présence la déconcertait. En même temps, pourquoi réagirait-il comme dans un vrai combat ? Si Trissi avait été un dragon agressif, il est certain qu'il aurait déjà réagi en usant de ses postérieurs pour viser le ventre ou le poitrail. S'offrir comme il le faisait, à rester sur le dos était comme un gage de confiance à l'égard de cette dragonne.

Il profita de l'instant pour voir le jeu de lumière sur les écailles argentées de son adversaire enjouée. Entre le reflet de l'eau et le reflet de ses propres couleurs dans ces écailles qui luisaient autant que des miroirs polis à la perfection. Cela donnait une étrange couleur iridescente à l'armure naturelle de l'Argentée, rajoutant une touche presque irréelle à ce qu'elle était. Il allait faire part de cette luisance splendide à Trissi, pour la complimenter, quand elle lui ordonna presque de pas bouger. A croire que la position du jeune saurien, en plus de le confirmer, lui convenait pleinement. Il n'avait pas eu l'intention de bouger, mais sa compagne de jeu préféra sans doute s'assurer de son obéissance en imposant son poids pour le maintenir sous elle. L'eau remua en vaguelette sous ses mouvements et elle plongea la tête sous l'eau. Lui veilla à ne pas laisser sa propre tête sombrer sur les eaux. Ce serait pas le bon moment de boire la tasse. Heureusement que l'eau rafraîchissante était agréable et qu'il la sentait le long de son corps. Être ainsi ne le gênait pas du moins du monde en fait.

°Qu'est ce que tu cherches là-dessous ? °

Il eut sa réponse quand elle la ressortit, pour lui ''cracher'' de l'eau à sa figure écailleuse. Un malheureux petit poisson se retrouva à frétiller sur le bout de son museau. L'Améthyste loucha dessus avant de secouer sa tête pour permettre à la bestiole de replonger dans son milieu. Puis il regarda d'une moue amusée l'Argentée.

°Plus que des cracheurs de feu.... Il faudra faire autre chose que de cracher de l'eau, très chère Trissi.°

Aussitôt, il apporta un exemple à ses dires. Il aurait pu imiter Trissi à lui cracher de l'eau à la figure, mais n'ayant jamais exécuter une telle prouesse, il risquait plus de se rater qu'autre chose. Ce furent ses ailes qui se mirent en mouvement pour se déployer et envoyer de l'eau dans les airs pour éclabousser Trissi. La quantité n'était pas monstrueuses, car la pression de l'eau appuyait fortement sur ses fines membranes alaires. Mais des myriades de gouttelettes de tailles variées, inondèrent les écailles et la tête de Trissi. et Cynoë réussit à trouver un rythme de croisière.

°Plus que des cracheurs d'eau, il faut être un dragon d'eau. D'ailleurs, tu luis tellement au soleil avec toutes ces gouttes qui perlent sur toi, que tu en deviendrais presque une dragonne arc-en-ciel°

Il gloussa mentalement et renvoya l'image qu'il voyait de ses propres yeux : une dragonne plus qu'iridescente. Quelques reflets de lumière apportaient des arcs-en-ciel miniatures sur son corps écailleux. Puis il arqua son dos, pour se décoller du fond vaseux et commença à ''nager'', pagayant de ses ailes et ondulant de sa queue. Trissi flottait dans l'eau, son poids s'en retrouvant donc amoindri.

°J'espère que la Reine des Airs apprécie la balade à dos de dragon pour naviguer sur cette courte étendue d'eau... Je n'ai rien d'une barque....°

Il y eu un instant de flottement mental, avant qu'il ne réponde à nouveau

°Mais il est temps de prendre un petit bain pour nettoyer tout cela ! °

Il avait attendu de se retrouver dans la zone la plus profonde de l'étendue aqueuse et il se laissa couler après avoir replié ses ailes. Avec sa masse et celle de Trissi combinée, pour sûr qu'il sombrerait vite. Il se retint de la retenir par un antérieur. Autant lui laisser un peu de liberté si elle ne tenait pas à couler en sa compagnie.

Plus que des cracheurs d'eau ? Trissi avait bien une hypothèse quant à aux exemples concrets qui auraient pu illustrer de telles paroles. Des idées d'idéaux à taille de dragon, immenses et puissants, des songes qui s'élevaient comme les dragonnets grandissaient, à l'ambition démesurée de dépasser leur simple condition. Des idées d'êtres conscients, et rêveurs. Mais ces songes-là étaient sérieux, ils étaient le fruits de réflexions posées, bien éloignées de leurs jeux actuels, instinctifs et légers, appelant à pacifier leurs émotions plutôt qu'à tisser des fils de raisonnements. L'hypothèse paraissait alors bien surprenante, dans ces conditions qui n'étaient pas un terrain propice à leur apparition. Surprise, l'argentée eut un instant de flottement durant lequel elle commençait à chercher en elle comment ramener son cadet dans l'univers du jeu. Elle venait de trouver...
Lorsque l'eau rencontra ses écailles, éclatant en gouttelettes, glissant avec hâte le long des bords de ses écailles. Elle eut un grondement-cri offusqué, redressant vivement la tête pour n'avoir pas davantage d'eau dans les yeux, elle qui n'avait pris le temps de les protéger. S'ébrouant, elle envoya davantage de gouttelettes dans les airs, provoquant le claquement multiple et cristallin de leur rencontre avec l'origine. Cynoë lui renvoya l'image qu'il avait d'elle. Elle n'y vit nulle flatterie, et nulle insulte. La couleur n'était pas pour elle gage de beauté, preuve en était qu'en temps habituel elle n'en arborait qu'une, et de façon fort discrète. En revanche, une telle vision lui permit de constater une chose: Cynoë devait bien divaguer ! Les éléments fondateurs de l'arc-en-ciel n'étaient présents en ce jour, et surtout par sur les écailles de la Belle, mâtes. Elle lui renvoya l'idée de négation: ce qu'il voulait lui montrer était faux, et elle l'avait découvert ! À cette négation s'ajouta de la fierté, celle d'avoir démasqué le tricheur, et une pointe de moquerie.

Cynoë lui permit néanmoins de comprendre assez vite l'utilité d'une telle manoeuvre: ainsi il s'assurait de garder son esprit proche du sien et, quelque part, son corps avec le sien. Elle aurait pu bondir pour se protéger, suite à son assaut aqueux. Elle ne l'avait fait, principalement arrêtée par cette vision soudaine. Son esprit transmettait encore ses émotions lorsque, brusquement, la surprise et l'amusement prirent le pas sur la moquerie. Constatant cela, elle remit vite en place des barrières suffisantes pour que Cynoë n'en apprenne pas plus, avant de se rendre à l'évidence: il était trop tard, il devait savoir. Elle abaissa alors ces barrières.
Ses réflexes l'avaient poussée à ramener ses quatre pattes sur le ventre de son camarade, dès les premiers mouvements de nage. Plus rien n'existait à part eux deux, à part la difficulté à garder son équilibre. Mais c'était là un jeu qui plaisait à Trissi. Peut-être était-ce lié au fait qu'elle n'était pas celui qui se faisait labourer le ventre par une dragonne que la flottaison amusait. C'était une expérience qu'elle n'avait jamais vraiment menée, les embarcations bipèdes ne faisant pas partie de son histoire. Alors un peu plus de poids par là, un peu plus ici, et les réaction du tangage, les indications subtiles de ses sens l'intriguaient. Elle ne répondit pas explicitement à la question implicite de Cynoë: son esprit était encore proche d sien, il devait pouvoir sentir qu'en effet, cela l'amusait. En même temps, elle n'était pas celle qui se faisait utiliser, sur le dos, dans ces histoires.

Le jeu ne dura pas, néanmoins. Cynoë lui proposa un bain. Eh bien quoi, il ne la trouvait plus "arc-en-ciel", aux écailles "luisantes" ? Elle avait très bien compris ce qui allait se passer. Dès les premiers mouvements de l'améthyste, elle prit violemment appui sur son ventre, pour s'élever dans les airs. Elle aurait pu se passer de ce coup-là, mais… Cynoë voulait se diriger sous les eaux, autant l'y aider, non ?

"Bien tenté, bateau-inavoué !"

Pas question d'arrêter le jeu ici, néanmoins. Elle voyait devant elle de belles occasions de remporter une flamboyante victoire, opposer davantage encore d'obstacles à Cynoë, et l'occuper suffisamment. Quelques coups d'ailes encore, puis un violent mouvement qui fit onduler tout son corps, et s'orienter sa tête vers le bas. Elle descendit en piqué, sa vitesse croissant à folle allure, accélérée par quelques battements d'ailes ainsi l'attraction de la Terre. La rencontre avec l'eau fut violente, projeta moult éclaboussures alentours, créant grandes vagues et fracas. Mais la dragonne était aérodynamique, elle parvint à s'enfoncer sans souci dans cet élément. Désormais, il fallait être rapide. Elle rouvrit les yeux. Pas le moindre regard, pas la moindre attention pour les découvertes qu'il y avait à faire en ces lieux: les courants d'eau, les algues et végétaux, le relief étrange qui s'installait ici et la faune, qui fuyait les forts remous qu'elle avait causés. Elle ne vit que le bout de la queue de Cynoë, qu'elle attrapa dans sa gueule, à un point de sa mâchoire dénué de crocs, pour la pincer. Non, elle ne voulait pas lui faire mal, et si tel était le cas, ce serait de l'inattention. Elle voulait juste profiter de tout son élan pour faire tournoyer Cynoë sur lui-même, dans cet élément qui l'air était si peu familier !

Cynoë fut un peu surpris de la réponse mentale quand à l'image qu'il lui avait renvoyé, à savoir une Trissi rayonnante d'arc-en-ciel. Ainsi donc elle songeait à duperie ? A travers son renvoi mental, il percevait toute sa fierté d'avoir déjoué son petit jeu. Il se retint de lui renvoyer son fourvoiement. En même l'Argentée ne possédait pas son imagination. Peut-être que ce genre d'image tronquée pour essayer de l'embellir n'était pas fait pour elle. La dragonne avait besoin d'une autre approche alors pour se sentir flattée. L'exercice était d'autant plus difficile que Trissi était plongée dans le jeu. En même temps, le dragon comprenait mieux la difficulté que ressentait les bipèdes humains à exprimer leurs attentions émotionnelles vis à vis de leur partenaire féminin. Difficile à concevoir de toute façon pour un saurien ailé. Pourquoi se sentait-il troublé au plus profond de son être dans ce cas ? La réponse, son esprit la connaissait, mais il ne la trouvait pas logique et encore moins rationnel. Il se persuada que c'était par son inexpérience et son jeune âge. L'Argentée avait quelques années que lui et donnait toute l'impression d'en connaître bien plus comme si elle possédait déjà quelques siècles de vie.

Ce qui lui fit penser à autre chose fut la soudaine et brève fermeture de l'esprit de Trissi. Redoutait-elle qu'il perçoive quelque chose d'inavouable ? Il comprit vite que non dès qu'elle libéra ses frontières. Sans doute un bref réflexe de défense mentale. Il ne lui jettera pas la pierre pour un désir de protection personnelle. Au vue des circonstances que le monde vivait. Et vu que les dragons n'étaient guère nombreux....

Il se plut à s'amuser quand la dragonne découvrit l'équilibre sur lui, ses pattes pleinement posés sur son ventre, découvrant le tangage comme si c'était là une chose nouvelle pour elle. Quoi de plus normal en même temps pour des êtres qui volaient et dominaient les cieux. Il ne put s'empêcher de transmettre son amusement. Il avait un petit avantage sur Trissi en même temps. Dès qu'il avait eu l'occasion tout jeune, il avait apprécié l'eau et apprit à connaître cet élément. Maintenant les occasions étaient rares et peu d'étendues liquides lui offraient l'espace d'évoluer sous l'eau pour en apprécier toute la saveur. Mais là, voir Trissi tester ses appuis avec ses quatre membres pour trouver un équilibre pour compenser l'oscillement de la flottaison de Cynoë était rigolo.

Il fut surpris par contre de la réaction de la belle Argentée quand cette dernière anticipa son désir de la faire couler. Quand elle se propulsa dans les airs, son corps serpenta s'enfonça dans l'eau et même sa tête se couvrit d'eau. Il se laissa remonter, les yeux encore écarquillés de surprise, n'ayant pas du tout penser à cette action là de la part de sa congénère. Il soufflait à peine des narines écailleuse pour faire sortir l'eau de ses conduits nasaux que Trissi lui retomba dessus aussitôt. Le plouf que cela créa fut un véritable raz de marée pour l'étendue liquide qui accueillait les deux dragons. Les vagues créées se fracassèrent sur les bords doux de ce qui servait de plage...

Cynoë n'avait pas eu du tout mal sous le choc, mais il cligna plusieurs fois des yeux dans l'eau de son coup de surprise. Sans attendre, il roula sur lui-même pour se faufiler dans l'eau. Quand il sortit un fin pincement sur le bout de sa queue, il roula vivement sur lui même pour dégager en douceur sa pointe caudale. Cela se sauva de la prise de Trissi, mais en tournoyant, cela frotta la pointe de ses mâchoires. A sentir cela, il se demanda si cela la chatouillerait.

Avec grâce, usant de ses membre, il se tourna à moitié vers l'Argentée et remarqua son allure un peu pataude dans ce milieu aquatique.

°Alors très chère ? Cela te change de ton royaume aérien. Désires-tu que je t'apprennes à nager ou puis-je avoir la chance d'admirer ton apprentissage pour posséder de nouvelles prouesses gracieuses ? Tu dois déjà sentir que l'eau te porte. C'est comme si tu volais, mais sans les ailes...°

Il se tourna bêtement sur le dos, toujours à demi tourné vers Trissi. Qu'il avait l'air un peu bête dans cette posture. Mais cela l'amusait. Il adorait l'eau. Puis d'un nouveau roulement pour se remettre droit. Il s'amusa aussi à remuer la pointe de sa queue sous le nez de Trissi.

Hmpf ! Cynoë parvint à ne pas se laisser avoir par son manège. Trissi aurait volontiers renâclé si elle avait été hors de l'eau. Ici, ç'aurait été gaspiller de l'air, et elle voulait pouvoir rester un moment dans cet environnement. De nouveaux horizons s'offraient à eux, ici, au milieu des poissons et des algues. Elle se contenta donc de laisser échapper un sentiment de frustration, tournoyant autour de Cynoë, à la recherche d'une nouvelle façon d'aborder ce jeune mâle… Pour doublement le faire tourner en bourrique, et se venger. Nul n'échappait à la Dame d'Argent impunément !
Mais voilà que l'améthyste la troublait dans sa recherche, se tournait vers elle. Trissi l'écouta, d'abord intriguée, puis offensée. Elle rejeta légèrement sa tête en arrière, avec un mouvement d'ailes assorti.

"- Délicate attention, jeune mâle. Mais ce n'est pas à plus expérimentée que toi que tu apprendras ce qu'est la nage ! Je sais ce qu'est l'eau, je sais nager." Elle avait déjà profité quelques fois de cette belle amie, sans pour autant pouvoir prétendre en avoir fait des folies. Isyndar avait pu l'admirer en ce milieu sans avoir rien à redire quant à sa façon de nager. "Mais de toute évidence, ma nage n'est pas à ton goût ! Eh bien, soit. Si tu ne sais pas apprécier les belles choses, je ne m'acharnerai pas."

Est-ce qu'elle feignait la blessure d'orgueil, est-ce qu'elle était véritablement blessée ? Difficile à dire, même pour elle, même si elle penchait davantage pour une vraie blessure. Elle n'aimait pas qu'on lui rappelle que non, elle n'était pas parfaite dans tous les domaines. Or, non seulement Cynoë venait de le faire, mais en plus il avait osé insinuer qu'elle ait un talent inférieur à celui d'un dragon moins âgé qu'elle ! Inadmissible, inconcevable. Elle était la grande et magnifique Trissi, Cynoë ne pouvait l'égaler, y comprit quand elle était légèrement moins parfaite qu'à son habitude.
Que faire face à un tel affront ? Que faire mise face à ses faiblesses ? Les reprocher à autrui, et bouder cet Autrui. Qu'il aille donc trouver quelque amas de cristaux au fond de cet étang pour s'admirer, puisqu'il nageait mieux qu'elle ! L'argentée eut un fort gracieux mouvement de serpent pour se retourner, sorte de volte au ralenti, puisque l'eau le permettait bien mieux.
Mais à trop vouloir jouer les princesses blessées, elle avait été trop vite, trop fort. Ce ne fut qu'au dernier moment qu'elle sentit ce retour de vagues sur ses écailles, comprit qu'à se déplacer ainsi elle était arrivée à un point dans l'eau bien proche des parois de cet étang. Son museau asséna, malgré elle, un violent choc à ladite paroi, fruit de l'envie qu'elle avait eu de s'éloigner de Cynoë pour mieux lui montrer comme elle se débrouillait bien. Elle le regretta sitôt qu'avec un fracas assourdi par l'eau elle vit les pierres et la terre s'ébouler partiellement devant elle. Un brusque mouvement de recul, et elle s'emmêlait dans un rideau d'algues. Elle avait fière allure, la Reine d'Argent ! Enfin, ç'aurait pu être amusant, si son nez n'était pas enroulé dans les algues, ses yeux de même. L'encolure tordue, elle essayait de s'en défaire à coups de griffes, pour un résultat en l'instant médiocre. Autour d'elle, dans l'eau, pour toute créature dotée d'esprit, sa colère explosait comme un véritable incendie d'agressivité sans but.

Il est difficile pour le jeune saurien à la couleur violine de cerner le ton et la force des pensées de l'Argentée. A croire que Trissi ne pouvait pas du tout admettre qu'un plus inexpérimenté de l'existence qu'elle lui fasse la leçon. Il y avait de quoi en grincer des dents. Plus encore était le silence que s'imposa l'Améthyste quand la fierté de la dragonne s'exprima. A croire aussi qu'elle n'appréciait pas d'avoir son orgueil malmené par une simple remarque mentale ; qui s'était voulu tout à fait convenable, polie et dans l'ambiance presque enjouée sur l'instant. Qui s'était vite stoppé quand l'amour-propre de la dragonelle s'était senti bafoué. Il se contenta de lâcher quelques bulles de dépit par ses narines. Avec Trissi, il découvrait que sa propre espèce le déconcertait.

Trissi opta pour un retrait digne, en se retournant malgré avec sa grâce parfaite. Faire une volte était aisé dans l'eau si elle avait l'habitude de manœuvrer dans les airs. Là, il ne l'aurait pas contredite, mais il sentait bien qu'il fallait mieux se taire et attendre que son aînée décide de se calmer. Si elle décidait de suivre cette voie. Car sur l'instant, Cynoë analysait toute la trame qui avait commencé depuis sa rencontre avec Trissi jusqu'à sa.... pouvait-on parler de frustration. D'un côté, Trissi avait souhaité le voir se libérer pour paraître un véritable dragon à ses yeux et de l'autre, elle prenait la mouche dès qu'on touchait à ce qu'elle considérait être sa propre perfection. Oui, cela déconcertait le jeune Améthyste. Pourtant, il connaissait un peu la fierté que certaines variantes bipèdes se donnaient. Il n'avait pas songé que cela aurait pu se retrouver avec une telle intensité chez les dragons. Hormis Skade et sa propre Mère-Dragonne, il ne connaissait pas d'autres dragons. Il ne comptait pas Verith dans le lot. Il n'avait rencontré que deux images très ouvertes quand à ce qu'être un dragon. Se fourvoyait-il donc sur ce que lui-même devait être ? Il attendrait que Trissi sorte de l'eau pour voir de toute manière la suite qui découlerait du petit drame.

Il n'eut pas besoin de patienter longtemps. La dragonne dans son empressement sans doute coléreux s'était prit le bord terreux de l'étendue aquatique où ils évoluaient tous les deux depuis tantôt. Malchanceuse qu'elle fut à reculer dans un champ d'algues, qui s'agglutinèrent autour d'elle. A se débattre, elle n'améliora pas sa situation, s'entremêlant plus encore autour d'elle, autour de ses pattes et de sa tête. Peu être que dans d'autres humeurs, cela aurait été comique. Mais à entendre la soudaine et violente explosion d'agressivité qui émana de l'Argenté...

D'un coup d'aile, Cynoë se retourna totalement dans sa direction. Une fois ses membres reliés de cuir plaqué contre lui, il donna une forte impulsion de sa queue pour se mettre à nager. Tel un crocodile, son corps entier ondula avec puissance et il rejoignit l'Argentée. L'eau s'était troublée en raison des mouvements furieux de la prisonnière des plantes aquatiques. Le sable était comme une brume beige qui voilant tout. Il eut juste le temps d'esquiver la tête au passage d'un antérieur griffu, qui se battait à perte contre un adversaire végétal et dépourvu de toute conscience.

A coups de griffes et de dents, tout en précisant sa présence mentalement et de ce qu'il avait l'intention de faire, il trancha ou arracha les algues qui entravaient la dragonne. cette dernière devrait commencer à sentir la liberté s'ouvrir à elle avec les liens gluants des plantes se défaire et se retirer de son grand corps écailleux. Il lui signala sa libération. Puis, sans attendre, l'Améthyste s'écarta pour lui laisser le champ libre. Peut-être qu'il aura récolté quelques coups de griffes dans son acte. Peu lui importait. Il entreprit de sortir en premier de l'eau. Une fois à la surface, il trouva pied et s'extirpa de là. Il secoua son corps serpentin, chassant eau et algues qui recouvraient ses écailles. Puis cela fait, il se contenta de s'asseoir sans grâce, la tête légèrement baissée. Plein de choses passaient dans son esprit, certaines le bouleversant même. Pourquoi ses propres congénères étaient aussi difficiles à cerner. A voir la réaction de Trissi vis à vis de lui juste avant qu'elle ne se piège dans les algues lui trituraient encore l'esprit. Puis doucement, il songeait à sa liée, la peine de sa perte l'envahissant. Qu'aurait-elle songé de cela ? Là il était comme un dragonnet qui avait commis une faute envers un Aîné. Jamais elle n'aurait permis de le voir s'apitoyer comme cela. Même pas un commencement.

Il redressa la tête pour rugir au ciel. Hors de question de faiblir. Il n'en avait pas le droit. Il était un dragon. Pas une faible larve. Et même s'il était encore bien jeune dans bien des domaines, cela ne l'empêcha pas de s'adresser à Trissi, une fois qu'elle sera sortie de l'eau. Il en reviendrait sur ses dernières paroles avant son ''petit'' soucis

°S'il y a une chose que j'ai pu retenir dans mon tout jeune début de vie est qu'il n'y a pas que l'aspect extérieur qui importe. Il y a tout ce qui est lié, tout ce qui s'unit avec. L'extérieur se lie avec l'intérieur. La beauté générale est une chose, mais si celle de l'intérieur, celle qui donne l'éclat au coeur et à l'âme est terni, mangé, dévoré, cela se reflétera. J'ai vu des bipèdes être dans des critères d'excellence aux yeux de leur propre espèce n'être que des sans-coeur, des monstres au point d'en être haïssable. °

Il garda un moment le silence avant de reprendre. Le ton était mi-sérieux mi peiné, allez savoir pourquoi.

°Dis moi, Grande Argentée, dis moi que ce n'est pas là ce que tu cherches réellement à m'inculquer : que notre nature draconique ne se joue que sur notre apparence et notre seule force physique. Dis moi que je me trompe. Que depuis le début, tu voulais simplement te montrer sous ton plus beau jour, à savoir aussi fière que le soleil dans le ciel, aussi aimante de l'humour que peut avoir un dragon, malgré l'infériorité des autres, aussi orgueilleuse que peut l'être l'aigle face à ses proies de dominer tout du haut tout en savourant cette émotion en la maintenant modeste, d'être le maître des airs et de la vie des inférieurs sans outrepasser ce qu'il est réellement. Dis moi que je ne me fourvoie pas. Dis moi que je ne sias pas encore lire cette beauté intérieure qui est en toi, qui fait que je me trompe parfois de voie°

Car si Trissi cherchait réellement à lui démontrer que les dragons jouaient uniquement sur l'égo démesuré propre à leur espèce, de ce fait, il préférerait être un humain....Pour dire où en étaient les profondeurs de son esprit actuellement.

Elle sentit qu'on l'aidait. Ce qu'elle en pensait ? Que c'était là bien inutile. Elle n'en avait pas besoin, elle allait très bien s'en sortir ! Cela prendrait le temps nécessaire, mais elle était grande, elle était une dragonne, il ne pouvait en être autrement ! Même si pour l'instant, ses griffes paraissaient frapper l'eau plus que les algues. C'est que sans avoir le sens du toucher au bout de ses pattes, il était complexe de savoir quand les griffes étaient sur les algues, quand ces dernières suivaient les mouvements de l'eau avec une puissance et un sens qu'elle peinait à calculer. De toute évidence, elle s'en sortirait mieux hors de l'eau… Mais ç'aurait été démontrer au dragonnet qu'elle n'était pas à son aise ici. Cela, il en était hors de question !
Mais bientôt elle sentit les vagues et la présence contre ses écailles de petits coups. Elle déduisit tout naturellement que Cynoë était venu l'aider. Bon le coup d'éclat, l'esthétique et la fierté, il faudrait re-passer. Ce fut ce qu'elle songea… Sans perdre de sa superbe néanmoins. Oui, elle affirmerait que pour elle ce n'était qu'une question de temps, si la question lui était posée ! Et peu à peu, elle se parvint à se convaincre de cela par-dessus ce qu'elle savait, pour se protéger elle-même. Alors elle fut agacée qu'on ne lui ait laissé l'occasion de briller encore de ses talents. Un agacement qu'elle eut tout d'abord du mal à dissimuler… Avant de réaliser qu'elle n'avait pas envie de se fâcher avec Cynoë. Pas vraiment. Elle voulait bien faire mine de le bouder, elle voulait bien jouer avec ses nerfs, un peu, elle voulait bien le voir trottiner à ses côtés pour lui sortir un de ses jeux de langage dont il faisait si bien l'usage (les bipèdes de la cour n'avaient pas failli en ce point), mais une vraie tension entre eux… Elle ne voulait pas. La seule idée la dérangeait. Elle songea que c'était parce qu'entre dragons, ils ne pouvaient se le permettre. L'unité primait, surtout face aux dangers actuels. Elle passait totalement à côté de l'instinct qu'avait été son sentiment, la seule envie d'apaisement et de moment positif aux côtés de ce dragon-là. Parce qu'il était lui, et parce qu'elle était elle.
Elle le remercia, dans une douceur certes forcée, mais présente.

Son camarade était néanmoins déjà re-parti. Le cri, elle le perçut, malgré l'eau qui l'étouffait. Il serra son coeur tant par la défaite que cela signifiait que par l'émotion qui s'en dégageait. Il fallait vite retourner à ses côtés, l'empêcher de s'abandonner davantage à sa peine ! Trissi même évitait de trop y songer, sa seule imagination suffisant à l'attrister si elle venait à se demander ce que pouvait ressentir Cynoë. Un chagrin qui venait le noyer jusque là… Profond et violent, l'âme d'améthyste devait être bien puissante pour parvenir à demeurer malgré ce qui en faisait tomber bien d'autres, malgré l'absence de la moitié qui l'avait poussé à naître. Elle lui reconnut cela, alors que, ondulante, elle revenait vers la surface, émergeait, retrouvait le milieu qui était sien et qui paraissait encore plus neuf et plaisant après une virée aquatique. À pas lents, à gestes lus esthétiques qu'utiles, elle se rapprocha de lui. Elle le laissa parler, immobile, et secrète de ce qu'elle pouvait penser. Lorsqu'il eut terminé, elle leva le nez vers le ciel, et sa voix mentale parut un instant porter de la lassitude:

"- Le crois-tu vraiment ?" Elle chassa ensuite la lassitude de sa voix. "Crois-tu vraiment que je me contente des apparences ? Que je ne sais pas voir au-delà, ou pire, apprécier ce qu'il y a au-delà ?" Elle essayait de rester la plus neutre possible pour ne pas ajouter de peine à celui qui était son cadet. "Bien sûr que si, j'en suis capable. Mais entre nous, les beautés intérieures et extérieures peuvent-elles être réellement mises en doute ? Je jouais avec toi." Sans prévenir, sans avoir avancé de message d'affection par l'esprit ou sans avoir augmenté la proximité de ce dernier, elle rapprocha sa tête de la sienne, frotta délicatement les écailles du haut de la tête du petit à celles du bas de sa mâchoire, veillant à ne pas rayer quoi que ce soit. "Tu es un beau dragon, Cynoë. Ton âme, ton esprit et ton corps feront des merveilles. Ne laisse personne t'en faire douter." Un mouvement d'encolure, et elle entourait en partie celle du plus petit de la sienne. "Mais... Ne t'avise tout de même pas de dévoiler à qui que ce soit ce que tu as vu sous l'eau !" Elle faisait d'abord passer cela pour de la fierté, et laissa un temps avant d'ajouter: "Nous ne vivons pas dans un monde où nous pouvons nous permettre d'exposer nos faiblesses, ou celles de nos alliés." Elle se détacha légèrement de lui. "Me reste-t-il des algues sur le nez ?"

Il l'avait surveillée du recoin de son regard ambré, suivant chacun de ses pas qui supportaient avec grâce sa silhouette aussi brillante que la lune en pleine nuit. Même si sa démarche se voulait plus que féline, comme si elle se devait de rester elle-même jusqu'au bout de ses serres. Mais ne l'était-elle pas ? N'était-elle pas elle-même même après sa petite mésaventure aquatique ? Elle le rejoignit, les dernières gouttes d'eau tombant de ses écailles argentées pour se faire rapidement absorber par le sol terreux

Son museau était pointée vers les cieux comme si elle y cherchait l'inspiration. A entendre ses pensées, Cynoë se confortait à savoir qu'elle ne venait pas se moquer de lui. A croire que son esprit perdu ne songeait qu'à ce risque. Il devait vraiment être en dérive, même s'il arrivait à se raccrocher comme le lui avait appris Merithyn. Tenir était une chose, mais ne pas laisser voguer son esprit n'importe où était encore une autre paire de manche. Savoir qu'elle jouait seulement avec lui tout à l'heure, là en dessous, lui démontrait bien que certaines choses lui avaient échappés, occultées par par sa peine d'âme. Il baissa alors la tête. Il n'osa pas croiser le regard de L'Argentée qui s'était encore rapprochée de lui

°Non. Je pense plutôt que je m'égare, au point d'avoir des doutes. D'en émettre même quand à tes paroles et mal penser. Je me me rends compte que mes pensées se perdent, ne prennent pas la bonne voie de la réflexion...Je me trompe complètement...°

Il arrivait mieux à comprendre maintenant pourquoi les bipèdes plus faibles et plus frénétiques en raison de leur courte existence, se sentaient tellement vivre, à ressentir la moindre émotion qui s'écoulait en eux, même s'ils en pâtissaient. La peine, le désarroi... le désespoir, cloîtraient l'esprit dans une gaine difficile à percevoir et donc à briser. On pense qu'on arrive à raisonner, mais au contraire, on est entravé, et donc on songe mal à ce que l'esprit capte. Le dragon d'Améthyste s'en rendit compte, s'en voulant presque de pas avoir compris cela plutôt. En même temps, il vivait une déchirure ardue, exceptionnellement même dans sa vie de tout jeune saurien. Il ne souhaitait vraiment à personne d'avoir une telle fracture au sein de sa propre âme.

°J'espère que je ne t'ai pas froissée dans mes mots. Ce serait regrettable d'avoir un malentendu entre nous pour si peu...°

Si peu oui...

°Tu es capable de cerner bien des choses, bien plus que moi. La preuve est que tu es là à côté de moi et que tu poses toutes ces interrogations pour me faire comprendre qu'en effet, je me fourvoyais...Que je suis bien sot de pas avoir vu que tu jouais seulement...°

Il s'apprêtait à s'excuser quand elle frotta le bas de sa mâchoire violine, avec une douceur stupéfiante. Il en faut autant surpris que subjugué. Surpris car il ne s'était pas attendu à un contact aussi familier, plus encore venant d'une dragonne qu'il commençait seulement à connaître. Et stupéfait, car son instinct, se liant à son savoir ancestral, comprenait l'intérêt de ce geste. Trissi apporta même ses songes à son geste caressant. Il ne sut quoi répondre à ses mots et la laissa enrouler à moitié son long cou s'enrouler. Il eut l'impression de se retrouver dans un air aussi stupide qu'un homme quand une femme lui déclarait ses passions.

°Euh.... Aucun dragon ne pourra rivaliser de beauté avec toi, Trissi. Beau je suis peut-être, mais je ne le saurai jamais autant que toi. Pour ce que tu dis.... je vais essayer...°

Ne pas émettre de doutes sur ce qu'il était... qu'il serait fier d'être ce qu'il est s'il avait encore sa liée. Et comme si Trissi avait anticipé cette brève tristesse de coeur et d'âme, elle le tança gentiment quand à l'épisode aquatique. Il cligna plusieurs fois des yeux, se laissant prendre dans son jeu.

°Jamais. Et puis quel mérite j'aurai de raconter cela ? Aucun si ce n'est que tu chercheras à te venger avec toute la dignité draconienne dont tu sais faire preuve et je n'aurai aucun moyen d'y réchapper. Pour nos faiblesses, tu as encore raison... Je dois veiller à ne pas faiblir... même si c'est guère évident. °

Puis il tourna son museau vers celui de la dragonne et souffla sur sa partie supérieure, d'un souffle long et mesuré. Un brin d'algue à demi humide s'envola avant de tomber.

°Maintenant tu n'en as plus. Plus de taches vertes sur toute ta splendeur lunaire, Grande Trissi. Même les eaux ne sauront entacher tes écailles. N'a-t-elle pas failli à te retenir ? Même elles se plient devant toi. °

Une pensée sans mots effleura Cynoë pour répondre à l'une de ses craintes: une simple négation, dénuée de cette étrange rancoeur qui aurait, effectivement, été la marque d'une humiliation blessant l'amour-propre de la dame d'argent. En ce temps, en ce lieu, Trissi estimait qu'il y avait bien plus important que d'avoir honneur et image de soi immaculées auprès de Cynoë. L'intégrité de son âme valait plus encore.
Cela l'avait déjà rassurée de constater qu'il s'orientait naturellement dans la direction qu'elle proposait. Elle crut même qu'il serait possible et aisé de le voir prendre confiance, s'affirmer auprès de lui-même, redonner vigueur et solidité à son coeur meurtri. Elle y crut, jusqu'à le sentir si humble devant elle. Elle le laissa faire, elle le laissa dire, pour l'instant, préoccupée par d'autre mots. De même, elle resta immobile lorsqu'il se rapprocha d'elle et ne ferma pas même les yeux quand le souffle chaud de son camarade roula sur ses écailles. L'algue vola, partant là où la dragonne se moquait éperdument de sa présence. Elle cilla lentement, jaugeant en silence le petit Cynoë, à la recherche du mot qui irait bien, qui saurait le porter. Mais comme le temps s'écoulait, flot doux et silencieux autour d'eux, d'autres interrogations menaçaient de la détourner de son objectif: se sentait-il de plus en plus mal à l'aise face à son silence ? C'était toujours amusant… Non, ce n'était pas amusant ! Si elle continuait, aucun mot ne pourrait plus venir en aide à son camarade. Elle mit donc un frein à son propre instinct.

"- Admettons." Ce premier mot avait quelque chose de sec et sérieux. Elle ne se battait plus contre lui pour le convaincre, mais avec lui, dans son sens. Le ton s'adoucit peu à peu, devenant de plus en plus badin: il ne devait rien y avoir d'exceptionnel dans ce qu'elle avançait. "Admettons que je sois… Merveilleuse. Admettons que, comme tu l'affirmes, je sois belle, comme seuls les êtres de magie savent l'être par leur nature. Admettons que mon esprit soit plus aiguisé que nos griffes et crocs, comme seuls des êtres des cieux peuvent l'être. Admettons tout cela, car tes affirmations sont sans doute proches de la vérité. Si nous admettons tout cela, Cynoë, alors il faut que tu saches certains éléments."

Elle eut un mouvement de tête sur le côté. D'un mouvement du bout du nez, elle retira une algue soigneusement posée derrière certaines écailles de la tête de son camarade. Si elle ne l'avait fait… Sa Liée n'aurait pu le faire. N'y pas penser, et continuer. Il fallait qu'elle garde ce ton détaché de dragonne qui parlait de pluie et de marais. La force de son esprit n'était qu'effleurée, quand celle de Cynoë devait être épuisée. Elle pouvait bien prendre sa douleur un instant.

"- Si je suis la première de nous tous, si je suis "la plus", comme tu le dis… Alors tu viens juste après moi." elle s'écarta à nouveau, afin que leurs regards puissent se croiser. Elle ne pouvait user du regard de braise sur lui, mais sentirait-il tout de même un poids venant d'elle ? Celui des mots qui s'appuyaient et cherchaient à pénétrer son petit crâne ? "Quand tu douteras de toi, n'oublie pas de te regarder. Par l'esprit ou par les yeux, comme tu le préfères. Regarde de quoi tu es fait. Vois la magie qui t'habite, vois l'esprit qui est tien, à nul autre pareil. Vois le corps merveilleux qui nous a été offert. Nul ne peut te retirer ce que tu es. Nous sommes les dragons, et notre seule nature doit être un puits de force pour nous. Nous pourrons y puiser la volonté de continuer, pour les nôtres et pour cette terre. Nous pouvons y puiser une grande confiance. Si elle n'est faite de notre personne, elle sera celle de nos ancêtres en nous."

Elle eut un mouvement étrange, petit et délicat, qui l'amena dans les airs.

"- Comprends-tu, bel ami ?" Elle lui coupa l'herbe sous le pied, s'imposant à sa place dans leur échange mental: "Ce n'est sans doute pas l'instant pour comprendre. Mais je sais qu'un jour tu re-penseras à tout cela, et tu comprendras." Elle prit de la hauteur. "Viens, rejoignons des humains. Je doute que la solitude te soit profitable. Et… J'ai envie d'embêter quelques bipèdes."

Contrairement à ce que croyait Trissi, le silence qui s'installait entre eux avait quelque chose d'apaisant pour le jeune Améthyste. Même s'il ne durait, le saurien à l'esprit tourmenté apprécia autant ce calme temporaire que la présence de l'Argentée. Il en oubliait son côté espiègle, ce côté presque gamin en comparaison de ce qu'on trouvait chez les Hommes, quelque que pouvait être leur âge physique. C'était un aspect de sa personnalité, quand à y bien regarder maintenant, lui donnait tout un charme naturel et véritable. Comment avait-il pu s'offusquer au premier abord de ce point là de l'esprit de Trissi à leur première rencontre ? Il comprit que c'était par le manque de contact avec les membres de son espèce qui ne lui permettait pas d'appréhender au mieux le comportement et le mental d'un autre dragon. La douleur provoquée par la perte de sa belle liée lui masquait tellement de choses...

Quand Trissi reprit la parole, allant sans qu'il ne le devine réellement dans son sens, il sut qu'il devait l'écouter avec la plus grande des attentions. Le ton qu'elle employait ne le surprit pas et ne le choqua pas. Là il sentait que la Dragonne avait un message important à lui énoncer, qu'il se devait d'écouter, pour son bien ; même si Trissi se mettait un poil en avant tout en profitant des paroles honorantes de Cynoë à son égard. Qui avaient été des plus sincères d'ailleurs. Il ne cilla d'ailleurs pas quand elle lui retira un bout d'algues qui s'était coincé sur une des écailles. Placée en dehors de son champ de vision, il aurait pu la trimballer ainsi des jours durant. Ce simple geste de la part de l'Argentée renforça l'idée de la perfection qu'elle s'accordait.

Après cela, tout en appuyant fortement sur son esprit pour démontrer du sérieux et de l'importance du sens de ses mots qu'elle se préparait à lui dire, il ne quitta pas son regard, qu'elle avait volontairement mis devant les siens. l ne devait pas se détourner, même s'il ressentait encore cette honte de toute à l'heure. Trissi, même si quelques années les séparaient, restait après tout son Aînée. Un jeune se devait dans un sens écouter l'expérience des plus âgés. Pourtant il ne voyait pas l'Argentée comme telle. Non, il y avait autre chose qui la mettait sur un autre plan. Il ne savait comment le définir, même si son instinct connaissait là réponse depuis bien longtemps. Il n'était tout simplement pas encore dans l'état d'esprit qu'il faudrait être pour mieux approcher ce ressenti.

°Je devrai me regarder dès maintenant alors.... pour mieux comprendre la profondeur de ce que tu viens de me dire.... Comment puis-je être à ce point aveugle...°

Le doute en effet le rongeait. Comment ne pas avoir envie de sombrer quand rien ne vous retenait à la vie ? La perte de sa liée avait été un tel traumatisme.... Heureusement que Skade et Merithyn avaient veillé à l'empêcher de sombrer dès le premier instant fatidique, lui apprenant à tenir. Tenir pour sa liée. Il devait tenir, car il était un dragon. Un dragon ne pouvait désirer la mort. Trissi avait bien insisté dessus. Un dragon était force, volonté et sagesse. Pas une bête enveloppe de chair et de muscles qui se laissait aller au gré des courants des émotions, au même titre que les Hommes. Il n'y avait que les bipèdes qui appelaient la mort de leurs vœux pour fuir leurs souffrances émotionnelles quand ils n'arrivaient plus à en supporter le poids.

Il n'eut pas le temps d'exprimer une réponse que Trissi le devança, juste après qu'elle ait fait un petit mouvement gracieuse pour prendre la voie des airs. Il avait été tellement concentré sur ses paroles qu'il avait eu l'impression de la voir s'élever sans le moindre effort, comme si l'air et elle ne faisait qu'un. Que sa volonté s'imposait à l'élément pour la porter en toute grâce. Il cligna bêtement des paupières, tout en la regardant et en l'écoutant. Et quand elle prit de la hauteur, il la suivait d'un simple mouvement de tête. Elle avait volontairement changé de sujet, pour laisser du temps à l'Améthyste de digérer et réfléchir à tout ce qu'elle lui avait énoncé. Oui, il devra réfléchir et sérieusement à tous ces points.

Sans plus attendre et se raccrochant donc au revirement de thème qui lui sera en effet profitable, il décolla à sa suite. Ses ailes déployées furent une immense ombre imposée sur le sol, avant qu'il ne rejoigne l'Argentée.

°Oui, tu as raison. Je ne puis rester comme cela longtemps... et qu'entends-tu par embêter les humains ? Par des petites farces amusantes ? Je voudrai bien voir celles dont tu es capable, mais qui sont espiègles et sans mal....°

Il se rappelait de l'épisode où elle lui avait demandé de prendre une peluche à un enfant pour la voir de plus près. L'amusement oui, mais pas au détriment de la souffrance que cela pouvait imposer aux bipèdes. Il savait capable Trissi de faire ce genre de farce, infantile et sans heurts. Il demandait juste à voir.

°Hum.... une petite course pour s'y rendre ? Je ne doute pas de ta vitesse supérieure à la mienne, mais on ne sait jamais. Je sis déterminé à montrer qu'un jour, je pourrai te dépasser. °

Autant rentrer dans un petit jeu non ?

Cynoë n'avait pas fini de s'exprimer lorsque l'Argentée s'élança de toutes ses forces vers Gloria. Elle le railla mentalement, moqueuse, mais parfaitement consciente de sa "triche" face aux règles tacitement établies par l'immobilité de son camarade: il jouait à la manière des humains, attendant un signal pour partir, quand elle jouait d'une façon qui en était plus écartée, où le début de la course était marqué par les premiers battements d'ailes en cette faveur. Mais… N'était-ce pas elle qui établissait les règles ? Alors ce n'était point tricherie.

"- Tu es trop lent pour cela !"

Et bien trop respectueux des notions d'équité et de franc-jeu. Mais quand la façon bipède de concevoir une course ne misait que sur la différence de vitesse, Trissi savait que sa version jouait sur davantage de critères. Réflexes, ruse… À la seule vitesse, ce pauvre améthyste n'aurait eu aucune chance de gagner, et un jeu sans espoir était également sans intérêt ! Qu'y pouvait-elle néanmoins si ce brave enfant n'avait su réagir à temps ?
Elle profita de ses premiers mètres d'avance pour tenir un rythme qui lui permettait de transmettre, sans trop avoir à s'inquiéter de son manque de concentration:

"- Sans mal, c'est cela ? Mais je ne fais de mal, bel-ami. Mes jeux ne sont qu'expérience et curiosité, des essais pour s'amuser des lois qui érigent et dirigent ce monde. Comme toi je suis sensible à ne rien briser, et comme toi j'ai le respect du vivant en priorité. Mais je sais également ce que je vaux, et que mon moral, et ton moral, sont pour eux plus précieux au final que cinq minutes à être utilisés. Et il y a une chose que tu oublies… M'es-tu reconnaissant d'avoir ralenti le rythme ?"

Elle avait en effet ralenti, là, tout en prononçant ces mots, laissant tout juste le temps à Cynoë de le réaliser… Avant de couper violemment la route de ce dernier, l'obligeant à s'arrêter, si ce n'était reculer, avant de reprendre sa route de plus belle, sa voix mentale toute heureuse qu'un tour aussi basique, plus vieux que la Mère des Tempêtes, ait fonctionné.

"- Jugeais-tu cela bon, ce piège ? Nous sommes encore trop jeunes, toi et moi, pour deviner ce qui est bon et ce qui ne l'est pas. Est-ce qu'une humiliation d'un bipède arrogant lui sera bénéfique ? Est-ce que cela a des critères ? Quels sont-ils ?"

Elle avait à nouveau ralenti, et guettait la présence de Cynoë. Non, pas de piège, cette fois. Juste l'envie d'être à même hauteur. Mais le dragonnet en avait-il, effectivement, tiré une quelconque leçon de vigilance ? Qu'avait-elle créé ?

"- C'est aussi à cela que servent mes jeux. Quand je les aurai épuisés, quand effleurer les bipèdes pour observer leurs réactions ne m'apportera ni amusement ni surprise, alors je serai apte à juger de l'avenir qu'ils créent."

Gloria apparaissait au loin. Point obscur sur l'horizon, encore trop distant à son goût, et qui ne se rapprochait qu'avec une grande lenteur. Elle décida alors qu'ils avaient bien trop parlé, surtout elle, et reprit de plus belle la course, dispensant moult efforts dans les mouvements de ses ailes et de son corps, fendant les airs telle une flèche d'argent. Toute à son envie de vaincre, de prouver sa grande supériorité, celle qui la rendait légitime à donner ainsi des leçons à Cynoë, légitime à malmener les bipèdes, légitime à se sentir digne reine de ce bas-monde, elle n'observa que peu la position auprès d'elle de l'améthyste. Les airs sifflaient autour d'elle. La pluie et les nuages venaient parfois déposer gouttelettes puis ruissellements d'eau le long de son corps reptilien. Gloria s'approcha de plus en plus. Tout juste aux moments où les dragons auraient pu considérer passer la "ligne d'arrivée", Trissi remarqua un humain qui faisait rouler un tonneau vers un habitat humain. Son esprit se tendit vers celui de son congénère:

"- Que dirais-tu de mettre un humain dans un tonneau ?"

Pas même le temps de la réponse. La dragonne s'élançait déjà vers le sol. Elle arriva face à un humain d'apparence juvénile, peut-être tout juste à effleurer les aléas des débuts de la maturité. Lorsque ses pattes soulevèrent un peu de la poussière du sol de ces bas-quartiers de Gloria, elle se tourna à nouveau vers Cynoë, fière et heureuse:

"- Tu as vu ? J'ai gagné !"

Mais pas le temps de savourer cette victoire ! Il fallait profiter de l'occasion qui leur était donnée. L'humain les fixait avec deux grands yeux ronds. Trissi s'exprima pour lui, permettant néanmoins à Cynoë de saisir l'échange:

"- Tu dois te cacher, fils d'humains ! Nous ne pouvons t'expliquer, le temps presse. Dirige-toi vers cette habitation: derrière se trouvent des tonneaux vides. Cynoë et moi t'aiderons, ne t'en fais pas."

Seul Cynoë pouvait l'entendre jubiler malgré le ton anxieux et précipité qu'elle offrait à l'humain.

L'Améthyste souffla par ses naseaux, juste assez pour les faire vrombir. Comment cela trop lent ? Il aurait de quoi être vexé par une telle remarque, mais l'Argentée lui était supérieure en vitesse. Même en décollant en même temps sur l'instant d'un signal convenu, elle aurait pris les devants malgré tout. Elle le dépassait en vitesse, donc prendre quelques mètres d'avance d'un puissant coup d'aile lui était des plus enfantins. Il n'avait donc pas tardé à décoller à sa suite, essayant malgré tout de combler la distance qu'il y avait désormais entre eux deux.

°Il est naturel que je sois lent. Tu es plus douée que moi °

Il n'évoqua aucunement l'acte de la dragonne comme étant une tricherie. Elle commençait à assez le connaître pour savoir qu'il était droit, un peu à la manière des hommes sur le respect de certaines règles. Il faisait l'effort de s'accorder sur son plan de réflexion, pour se considérer comme un dragon normal et non un dragon à l'esprit humanisé. Après tout, cela ne lui ferait pas de mal non ? Comme songé auparavant, le jeune saurien manquait encore d'habitudes relationnelles avec ses pairs. Que de mieux que de suivre une voie donc différente de la sienne ordinaire, en la belle compagnie de l'Argentée.

Après quelques rudes et puissants battements d'ailes, Cynoë manqua d'être surpris de réussir à rattraper Trissi. Il comprit aussitôt la raison quand elle lui apporta l'explication. Au moment où il allait répondre, la dragonne le prit presque en traître en lui coupant la route. Surpris et laissant son instinct guidé ses mouvements, il déploya ses ailes pour éviter une collision qui n'aurait jamais eu lieu. Trissi savait trop bien calculé ses coups. Cela n'avait pas empêché l'Améthyste de souffler un petit ronflement indigné. Au moins, ses gestes alaires étaient plus synchronisés que la dernière fois : il paraissait moins maladroit dans son bref mouvement de recul. Il reprit le plus rapidement possible sa poursuite. Trissi maintenait toujours son avance.

°Je ne remettrai pasen question tes expérimentations. Comme moi, tu as la dignité de respecter ce que nous sommes envers la nature, le monde qui nous entoure. Nous ne vaudrions pas moins que les monstres qui entachent les Hommes si nous nous comportions en dessous de ce que notre Sang nous a toujours offert....°

Aux yeux du jeune saurien, un dragon qui préférait tuer pour le plaisir, détruire par amusement sordide ne méritait pas de porter le nom de Dragon. Il suffisait de voir Vraorg....Les dragons n'existaient pas pour se sentir maître de tout ce qui les entouraient en usant de force et de cruauté. Les dragons étaient déjà force et puissance par leur simple présence, par leur esprit et bien d'autres qualités si elles étaient correctement utilisées.

°Je commence à comprendre que tu as une approche bien différente. Là où j'observe et analyse, toi tu touches plus directement au sujet. C'est tout aussi intéressant quand j'étudie plus cette possibilité.... °

Mais il se voyait mal ''jouer'' comme Trissi.

°Tu t'es montrée très généreuse de m'avoir laissé te rattraper, m'offrant peut-être une chance de me faire espérer de te dépasser. Cela m'a permis aussi qu'il me faut être plus réactif. Chose que je manque visiblement encore...°

Le ton mental était enthousiaste et reconnaissant à la fois. Le dragon appréciait apprendre des choses captivantes. Surtout en matière de vol en la compagnie de l'Argentée. Peut-être saura-t-elle flatter de voir qu'elle était comme un Aîné distribuant avec complaisance et générosité son précieux savoir auprès d'un dragonnet. Entretemps, le lié de la Princesse Kohan s'était rapprochée de Trissi, volant cette fois à sa hauteur et même s'il restait vigilant sur de possibles blagues de sa part, il lui accordait cette proximité en toute confiance. Elle n'était pas un ennemi, alors pourquoi serait-il sur ses gardes, les muscles tendus en permanence ? A se montrer méfiant envers elle ne serait pas lui accorder un lien complètement amicale.

°Pourquoi serions nous encore trop jeunes pour déterminer ce qui est du bien ou du mal ? Certes, nous apprenons tous les jours, toi par tes jeux, moi par mes observations.... Nous avons déjà conscience de ces deux parts, qui luttent en équilibre ou non. Il est vrai que chez les humains, avec leurs divers comportements, il est difficile de définir pleinement chez eux ces deux notions. Pour l'humiliation à apporter envers un bipède arrogant pour le mener sur la bonne voie ? Il y a des critères oui.... déjà comment définir l'arrogance chez lui.... et les facteurs... ils sont nombreux...°

Il se permit alors de lu faire part de quelques expériences personnelles, par al voie des images pour lui expliquer quelques exemples de facteurs.....Dans ce bref flot visuel, on voyait l'arrogance se définir en fonction du rang... comme un noble condescendant envers un paysan... parce qu'il possédait la richesse et pas l'autre. Un autre exemple montrait un homme se vantant de faire tomber bien des dames sous son charme....Puis quand tout cessa dans cette transmission mentale :

°A bien étudier la question.... c'est très fragmentaire. Il est difficile de trouver TOUS les éléments. Tu as donc raison. Nous sommes encore jeune. Et je le suis encore plus à bien des égards. Je risque, tout comme toi, d'avoir quelques siècles de ''travail'' avant d'arriver à un début d'aboutissement. °

Qu'est ce que le temps de toute façon pour un dragon ? Gloria fut bien en vue. Cynoë ne relâcha pas sa cadence, montrant sa détermination à vouloir rattraper Trissi. Même s'il perdait -chose plus que certaine-, il tenterait quand même. Se rendre parce qu'il connaissait l'aboutissement n'était pas dans sa nature. Et quand Trissi lui lança une idée de ''jeu'', elle se posa déjà non loin de sa future victime : un pauvre bipède aux yeux ébahis de voir un puissant dragon non loin de lui, poussant un tonneau.

Cynoë se posa juste après elle, quand elle eut partagé avec lui la discussion qu'elle avait communiquée à l'humain. Heureusement que les rues étaient assez longues et larges. Il veilla quand même à replier ses ailes verticalement pour ne pas les buter contre le bords des toitures toutes proches. Puis d'un mouvement de tête gracieux, il regarda l'Argentée puis l'humain. Puis à nouveau l'Argentée.

°Oui, tu as gagné. Tu es la vitesse incarnée. Aucun dragon ne peut t'égaler. Mais je tenterai toujours de te rattraper. L'impossible n'empêche pas de croire à l'espoir °

Puis ses yeux ambrés se posèrent sur l'humain qui tremblait de tous ses membres.

°Mettre un humain dans un tonneau demanderait un certain doigtée... mais je pense que j'ai une idée.... puisque tu veux un humain dans un tonneau°

Il fixa l'humain et frôla son esprit, tout en permettant à Trissi d'entendre l'échange

°Tu devrais déjà t'être caché petit bout d'homme....File vite dans ces tonneaux.... j'ai bien dit dans les tonneaux. Cache toi bien, car la grande Argentée que tu vois ici pourrait être déçu que tu ne réussisses pas ce qu'elle t'a demandé...°

L'humain ne se fit pas prier, filant comme jamais il n'avait couru de sa vie, trouva aussitôt un gros tonneau vide et sauta tête la première dedans. Une étrange odeur s'éleva, suivi d'un petit couinement de crainte.

°Hum... pas si vide que cela ce tonneau finalement....Je ne pensais pas les humains capable de se cacher dans un tonneau avec autant de....dévouement apeuré. °

[HJ: on est en décembre ! Donc... Joyeuses pâques cycychou <3]

Un certain doigté ? Mais n'en avaient-ils pas ? À leur façon, bien entendu, mais Trissi n'avait pas douté un seul instant de sa capacité, de leur capacité, à user de leurs becs et griffes pour ce genre de manipulations. Elle avait déjà pu s'essayer à pareils jeux avec d'autres bipèdes, devant prendre très délicatement un objet du bout du bec, le soulever d'une griffe et maintenir son équilibre. Elle se souvenait même d'un humain à qui elle avait fait croire qu'elle voulait apprendre à manier l'épée. Le pauvre avait failli y perdre un bras. Ah, mais c'était la belle époque que tout cela, mon p'tit monsieur ! Vraorg n'était pas encore là, naïvement chacun croyait que les Alayiens étaient leurs plus grands ennemis. Ah, oui, douce époque que celle où ses tendres songes se noyaient dans le sang de ses ennemis… Désormais elle ne pouvait avoir de rêve aussi simple. Ses ennemis étaient son véritable camp.

Il fallut que Cynoë use du langage mieux qu'ils eurent pu user de leurs corps pour sortir la dragonne de ses pensées. Certes, c'était habile… Mais ils perdaient un peu du challenge et du jeu à se reposer sur leurs forces. Elle commença à transmettre une bribe d'approbation mentale à Cynoë… Quand l'humain se carapata, la laissant coite. Surprise.

"- Je suis donc si effrayante !"

Elle montra à nouveau à Cynoë cette image merveilleuse du bipède avec ses grandes enjambées de sauterelles qui gesticulait pour leur faire plaisir, sur fond d'amusement. Qu'elle soit réellement effrayante ou non, cela ne lui faisait ni chaud ni froid. Ce pouvait autant être flatteur que ne pas l'être, selon les personnes et instants qui dévoilaient cet attribut. Pour un humain inconnu, un jouet… Pas d'importance. Et surtout pas après tous les mots doux que Kedrildan avaient pu lui dire sur son apparence. Surtout pas après les mots doux qu'elle s'était dite elle-même sur son apparence.

"- Allons l'aider, il est temps."

"L'aider", oui. Personne ne pouvait y croire. Et sans doute pas Cynoë, qui devait avoir accès à toute la jubilation de son âme, toute son impatience et sa joie anticipée. Trottinant, se tortillant pour passer entre deux maisons, l'argentée guida son jeune congénère jusqu'à l'arrière de cette habitation humaine, où une cour d'un sol vaguement minéral leur permettrait tout juste de loger à deux. Et là… Les tonneaux. La dragonne remua un peu le bout du nez devant touts les odeurs qui s'offraient à elle. L'alimentation des bipèdes avait ceci d'étrange mais d'appréciable qu'elle offrait un large panel d'odeur, de potentiels aliments. À croire que, devant leur incapacité à chasser proprement, ils avaient dû se rabattre sur tout et n'importe quoi. Miarf miarf. Faibles mais fascinantes bestioles.
Celui-ci avait d'ailleurs eu le bon goût de s'enfoncer dans un tonneau plein d'abats de bêtes. Trissi y glissa son nez, en retira un bon morceau de muscle qu'elle goba sans plus de manières. Petite gourmandise, normal, elle avait bien abandonné sa précédente proie. Un bref regard autour d'elle. Trissi repéra ce qui ressemblait à un couvercle de tonneau, qu'elle prit également du bout du bec, pour le poser plus ou moins adroitement sur ledit tonneau, en maintenant ce dernier entre ses papattes. Un moment elle resta immobile, son regard bleu appuyé sur Cynoë, sa tête posée sur le haut du tonneau, ses pattes toujours enroulées autour. L'instant d'après, elle était dans les airs, tenant fermement sa proie du jour.

"- Et si je le cache, sauras-tu le retrouver ? Ferme ton esprit, ferme les yeux !"

Juste le temps qu'elle aille le poser au milieu d'autres tonneaux, un peu plus loin. Elle reviendrait ensuite auprès de lui, pour l'observer dans cette chasse très particulière... En espérant que ni le tonneau ni l'humain ne se soient amusés à changer de place entre temps.

Cynoë se retint de rire mentalement devant les images que lui partagea Trissi. Voir l'humain par la vision de la grande Argentée était bien plus intéressant que dans la réalité. Car oui, il avait suivi de son regard les gesticulations de l'humain quand ce dernier avait fui en courant pour bondir dans un tonneau. Chose certaine était qu'il n'avait guère été étonnée de la surprise de sa compagne écailleuse. N'avait-elle pas dit à sa façon qu'elle saurait comprendre les bipèdes une fois qu'elle aura fait le tour de tout ce dont ils étaient capable de faire et d'émettre sur le plan comportemental ?

°Effrayante ? Bien sûr que non. Il n'a pas pris le temps de te contempler comme il se devrait. Ou alors, il a tellement été impressionnée par ta belle présence qu'il n'a pas eu que d'autres choix que de fuir, se sentant honteux de pas être digne d'être en face de toi. °

Après tout, certains humains en voyant des dragons de très près perdaient si vivement leurs moyens que la peur n'était qu'un facteur conséquent de l'observation d'un grand et digne saurien ailé. Peut-être que l'apeuré avait été éblouie par la brillance écailleuse de Trissi, où comme il l'affirmait en toute sincérité que la magnificence de l'Argentée l'avait poussé à se sentir des plus misérables face à elle.... Ou alors le bipède s'était imaginé se faire dévorer par les crocs draconiques si jamais il ne satisfaisait pas la demande de Cynoë. L'Améthyste nota tous ces points en tout cas, se promettant de faire une analyse plus tard.

L'odeur d'abats qu'il n'avait pas immédiatement identifiée lui monta aux narines, lui coupant totalement ses réflexions personnelles. Trissi se tortillait déjà pour se rendre à l'emplacement des tonneaux pour retrouver l'humain ; où pour suivre l'odeur de viande ? Les deux en tout cas, car après avoir guidé le jeune dragon à sa suite, devant tous les tonneaux, elle se servit au passage d'un morceau intéressant de muscle, qu'elle goba visiblement avec plaisir. Après tout, elle avait raison de se servir au passage. Les bipèdes étaient tellement précautionneux sur leur alimentation que dès que la viande touchait un corps humain, il n'était bon qu'à jeter. Un gaspillage indigne pour des prédateurs.

Puis Cynoë observa le petit manège de l'Argentée, découvrant qu'elle connaissait la manière de fermer un tonneau avec son couvercle. Donc elle connaissait quelques ''usages'' matériels. Intéressant cela. Et quand Trissi l'interpella, il la contempla dans sa posture nonchalante, sa tête posée sur son petite trophée. D'un bond souple et puissant, elle avait pris la voie des airs, le tonneau et son pauvre contenu tremblant dans ses pattes.

°Si je saurais le retrouver ? Je pense que oui. Je suis Sûr que je pourrai le faire, même s'il y aura de la difficulté. °

Et comme il n'était pas un tricheur, il ferma son esprit tout comme ses yeux, réfléchissant déjà à la manière qu'il avait devoir employer pour retrouver le tonneau et le pauvre hère qui devait bien trembloter dans sa cache arrondie toute faite de bois. Il n'avait plus qu'à attendre un signe de la part de l'Argentée pour se lancer dans la recherche du petit jouet de Trissi. Bon nombre de bipèdes allaient bientôt se demander ce que faisaient deux grands dragons dans les environs....

Il ne fallut pas longtemps à Trissi pour exécuter son idée et prévenir Cynoë de passer à l'action. Il ouvrit ses paupières, regarda la dragonne qui planait tranquillement au-dessus de lui et s'élança pour la rejoindre.

°Bien sûr que je vais le retrouver. Du moins je l'espère. °

Oui car dans une ville, des tonneaux, ce n'était pas ce qui manquait dans les parages. Déjà il partit du principe que Trissi avait pu déposer le tonneau dans un recoin suffisamment spacieux pour se poser sans trop risquer de blesser ses ailes... cela réduisait le champ de recherche. Il huma l'air pour tenter de trouver le sillage d'odeur de viandes et la peur émise par le bipède. Il battit de ses ailes pour suivre la piste odorante et se mit à voler au dessus de quelques pâtées de maisons... avant de passer au-dessus d'un ensemble de tonneaux posés non loin d'une boucherie. Raté pour l'odeur de viande....Il se mit alors à tenter de retrouver le fumet apeuré de l'humain... mais dans un environnement humain, c'était mille et une odeurs qu'il fallait analyser. Pourtant, il ne désespérait pas de trouver. Il se fiait qu'à son odorat, ne voulant pas trop user de son esprit pour trouver trop rapidement.

Il trouva un autre champ de tonneaux et s'y posa non loin.

°Ah, je suis sûr que c'est ici que tu l'as mis...°

Elle était revenue vers Cynoë après avoir attendu un moment sur place, "rassurant" l'humain de diverses caresses mentales, comme un humain aurait essayé de rassurer un brave chien avant de lui effectuer quelque traitement qui lui était déplaisant. Une vaine tentative pour l'avoir davantage de son côté. Quand elle en avait eu assez de ses vociférations, elle avait simplement menacé de le brûler vif s'il remuait ou s'exprimait. Ses congénères auraient sans doute apprécié d'avoir leur viande déjà cuite, avec quelques suppléments. Son envol ne s'était pas fait sans quelques coups d'oeil et d'esprit en arrière. Mais… Tout se passait bien.
Après quelques cercles au-dessus de son camarade de jeu, elle avait toqué à son esprit pour attirer son attention. Avec un ravissement teinté d'excitation elle l'avait regardé prendre son envol, partir plus ou moins dans la bonne direction, se tourner dans un sens, puis l'autre, se tromper… Héhé, il s'était laissé avoir par d'autres viandes ! Mais c'était là un début de recherche, et son odorat devait tout de même être fin pour avoir trouvé celles-là. Elle le suivit, de loin, dans de lents battements d'ailes. Il s'approchait, de plus en plus… Ah. Il avait trouvé l'endroit. Rooooh il était rapide ! Pourtant les effluves viandeuses avaient dû lui compliquer la tâche. Très très fin, son odorat. Brave congénère, digne de leur supériorité. Si Trissi avait été humaine, on eut pu voir sur son visage se dessiner un grand sourire satisfait. Elle n'en eut que l'état d'esprit.

Elle chercha, elle aussi, à se poser. Le souci était qu'elle avait choisi un lieu où ils pouvaient difficilement s'installer debout, côte-à-côte, dragons adultes qu'ils étaient. Si Cynoë put sans souci s'approcher du tonneau, suivant les indications de Trissi qui tenait absolument à ce qu'il découvre exactement le bon, elle put difficilement venir à ses côtés. Cela l'amena à se poser, le plus délicatement possible, sur une charrette qui encombrait l'endroit. Ou du moins, sur les rebords de cette charrette, au-dessus des denrées qu'elle contenait. Une position périlleuse. Le bois craquait doucement, mais tenait le coup, pour l'instant…
Elle félicita Cynoë lorsque ce dernier dégota enfin sa proie, remercia également cette dernier et lui offrit, dans sa grande bonté, la possibilité de retourner auprès des siens, lui promettant que son nom serait chanté, et tout le tatouin. L'humain lui offrit son nom, d'ailleurs, mais Trissi n'en avait cure. Elle était déjà tournée vers Cynoë, cherchait le meilleur mot à lui dire. L'humain partit. Trissi voulut descendre de la charrette pour offrir un léger coup de museau à Cynoë. Le poids qu'elle mit sur sa patte arrière fut suffisant pour faire enfin se briser le bout de bois qui la soutenait, dans un craquement sinistre. La dragonne en fut surprise, mais fit de son mieux pour n'en rien montrer. Au lieu de cela, elle se pencha sur la situation au niveau de ses pattes, et… Oh !

"- C'était presque trop simple pour toi, n'est-ce pas ? Que dirais-tu d'essayer le même jeu, avec un objet moins odorant ?"

Du bout du bec, elle se saisit d'une salade, toute fière, mais très provocatrice. Il fallait qu'il relève le défi, ne serait-ce que pour tenir dans son estime, voyons !
C'était du moins ce qu'elle essayait de lui faire croire. La vérité ? Il avait déjà sa place dans son estime. Peut-être était-ce pour cela qu'elle lui accorda le reste de sa journée, fit de son mieux pour lui offrir, au sein de Gloria, des jeux divers et variés. Des objets cachés, ou déplacés pour mieux observer les réactions bipèdes. Plusieurs fois ils purent se disputer sur le "ça se fait/ça ne se fait pas", plusieurs fois ils se mirent d'accord et purent joyeusement mettre du bazar dans la capitale théocrate. De quoi maintenir les idées de Cynoë éloignées de sa Liée, de ce gouffre dans l'âme.
Accepterait-il, peut-être, un instant, de partager un moment deux autres Liés ? Une dragonne et un vampire pour l'occuper ? Peut-être, oui, ressentirait-il de l'envie et de la jalousie devant Kedrildan. Mais ce grand garçon-là savait divertir mieux que n'importe quel autre Lié...