10 avril

Un mouton, deux moutons, trois moutons, quatre moutons, cinq moutons, six moutons, sept moutons, huit moutons, neuf moutons, dix moutons, onze moutons, douze moutons, treize moutons… beaucoup de moutons. Arrêtée près d’eux, Coriya tentait de les imiter, pas le moins du moins du monde dérangée par le chien qui les surveillait de près, veillant à ce qu’aucun morceau de laine ne finisse volé. Ni morceau de cuissot. Ni morceau de rien du tout, en fait. A dire vrai, Enetari avait plutôt envie d’en tondre un par simple plaisir d’embêter le berger pour l’instant absent, seul un petit tas de chair montrait la silhouette d'un jeune humain endormi. Elle pourrait même s’en faire un manteau, ainsi… Un gilet même. Ou un torchon. S’affalant dans l’herbe, la jeune fille bailla avant de regarder le ciel avec plaisir. Esmelda morte, l’elfette était passée au service de Paladriel. En l’apprenant, elle en avait recraché par le nez son verre d’eau. Franchement… Elle avait bien trouvé son moment pour mourir, cette humaine ! Vraorg merci, la Terendul avait toutefois trouvé de quoi obtenir un après-midi de libre après un travail des plus sérieux et en serrant les dents. Tout cela était d’un agaçant… Et bien entendu, elle était chargée de revenir rapidement au palais, et avec interdiction de s'éloigner. Sans quoi il lui coûterait. Mais était-elle sincèrement assez bête pour tout quitter maintenant, sachant qu'elle serait châtiée plus que sévèrement si elle était reprise ? Certainement pas. Et Firion ne le savait que trop bien. peut-être était-ce pour cela qu'il l'avait laissée libre pour quelques heures, libre de se promener autour de la citadelle en évitant de se faire lyncher au travers des quartiers les plus pauvres. Enfin. Elle pouvait bien s’offrir une sieste en pleine nature à présent ! La ville était tout près, mais sa puanteur était malgré tout suffisamment loin pour ne pas être gênante. D’autant qu’elle avait largement de quoi compter les moutons pour s’endormir, quand bien même cette pratique n’était-elle pas d’une efficacité redoutable. Les nuages peut-être ? Un nuage, deux nuages, trois nuages, quatre nuages, cinq nuages, six nuages... Elle sentait Coriya lui mâchouiller le bas du pantalon avant de hennir/bêler en même temps que les moutons, tournant la tête en même temps qu'eux en les fixant de ses grands yeux noirs. Et dans le ciel, un bel éclair bleu, sans doute un dragon qui passait par là. Un dragon… UN DRAGOOOOON ! Sautant sur ses pieds, la demoiselle le regarda atterrir non loin avant de se précipiter vers le lieu d’atterrissage… rattrapée quelques minutes plus tard par une monture légendaire traînant par les culottes un gamin d’une dizaine d’année, le tissu commençant à se déchirer petit à petit. Ah, le tas de chair d'un peu plus tôt ! S'arrêtant, la demoiselle se pencha légèrement en avant tandis que son amie quadrupède faisait de même. Ene le regarda fixement. L’enfant la regarda fixement. Elle éclata de rire. Il éclata en sanglots.

-Allons ma belle, laisses donc les saletés, tu vas te salir ! Allez, lâche, on a plus intéressant à voir !

Après un regard amusé, la belle créature secoua la tête, balançant de tout côté le bambin par la même occasion, avant de le laisser s’effondrer au sol. Satisfaite, son amie à deux pattes hocha la tête avec satisfaction avant de faire un pas… ou pas. Grimaçant, elle baissa les yeux sur le môme désespérément accroché à sa jambe, gémissant un « aideeeeez-moi » plaintif et tout à fait désagréable, la regardant tant bien que mal avec un regard d’enfant battu. Ce qu’il allait être sans tarder. Elle secoua la jambe. Il tint bon. Elle tenta de sauter sur place, et si possible sur lui. Il tint bon. Elle jura. Il tint bon. Elle se baissa pour l’attraper et le lever de force. Il tint bon. A demi. Aussi se trouva-t-elle à soulever un stupide gosse qui avait dans la main un morceau de son pantalon. Furieuse, elle le secoua comme un prunier avant de le regarder rouler des orbites.

-Mais qu’est-ce que tu veux, saleté ?
-Il… il… il y a un dragooooooooooooon….. Il va manger mes moutooooooooonnnnnns…… Et et et et ce truc bizaaaarre, il m'a emporté !

Avec un soupir, la demoiselle haussa les épaules, grimaçant en entendant traiter sa magnifique monture de truc bizarre, avant de continuer son chemin. Du moins, tenter. Et encore. Cramponné à son bras, l’enfant se laissait embarquer avec la farouche intention de ne pas laisser celle qu’il considérait comme son dernier secours; de toute évidence, il n'avait pas remarqué qu'elle se dirigeait droit vers le fameux dragon. Et qui, à bout, ne put que hurler un « lâââââââches-moiiiii ! » parfaitement inutile. Le regard mauvais, elle le fixa en serrant les dents, appelant à elle sa magie. Elle ne pouvait faire un pas sans que cet imbécile ne se précipite sur elle pour la rattraper. Qu’est-ce qu’elle allait faire à ce truc collant et larmoyant ? Le plonger dans un cauchemar éveillé ? Oh non elle avait une bien meilleure idée… Le regard se posant sur le dragon qui semblait baver devant les moutons un peu plus loin, n’ayant pas encore remarqué leur prédateur, Enetari se précipita vers lui aussi vite que possible, trainant derrière elle un enfant tout à fait affolé.

-Eyyyyyh ! S’arrêtant près de son objectif, la jeune fille s’arrêta devant le dragon avant de le saluer rapidement : Oh, voyageur du ciel, permet moi de te faire ce présent, toi qui peut-être quêtes de quoi te restaurer. D’un geste brusque, elle lui tendit l’enfant qui se débattit entre ses mains en piaillant. Il est gouteux, je t’assure, autant qu’il est bruyant ! Croques-le donc et dis-moi ce que tu en penses. C’est fin, c’est très fin, ça se mange sans faim ! C’est juste un mouton moins moutonneux que ceux que tu as l’habitude de manger ! Je t’assure !

Le fixant avec de grands yeux pleins d’espoir, elle le lâcha finalement au sol avant de poser un pied dessus, auquel il recommença à se cramponner comme un désespéré.

Un mouton, deux moutons… Plein de moutons. Ils venaient faire un bref détour de ce côté-ci de leurs terres, suite à la rencontre avec l'évadé. Il voulait se diriger vers Gloria ? Trissi donnait donc une chance à son Lié de le retrouver en se rapprochant de la capitale. Ils n'allaient pas rester longtemps, ceci dit… Ils étaient déjà trop éloignés de la possible piste. Mais cette dernière n'avait rien donné. C'était tout juste s'ils avaient croisé quelques crocodiles.
Le soleil était haut dans le ciel, l'après-midi commençait tout juste. Trissi aurait préféré un peu de pluie. Elle aimait bien le ruissellement de l'eau sur ses écailles, sur la membrane de ses ailes. Les ombres et les nuages lui donnaient le sentiment d'un congénère qui aurait été près d'elle, un congénère bienveillant en qui elle aurait eu confiance. En cela, le nouveau climat des anciennes terres humaines était généreux avec elle. Oh… La Théocratie était globalement généreuse avec elle. Le couple de Liés était très bien traité. Si elle avait été moins gourmande et moins regardante sur sa ligne, Trissi aurait sans doute pu passer ses journées à se prélasser au milieu de moutons.
Car ce n'était pas un secret: Trissi aimait les moutons. C'étaient des créatures très amusantes, leurs bêlements avaient des trilles qui intriguaient ses ouïes, et leur toison était une curiosité dont elle ne se lassait pas. Le léger rebond que cela produisait lorsqu'elle y fourrait son nez était bien drolatique. En plus de cela, ils avaient bon goût. C'était le goût favori des papilles de Trissi, et c'était une chair agréable à déchirer. De toutes les proies, ces bestioles étaient ses favorites. Les bipèdes devaient avoir les mêmes goûts qu'elle, car ils avaient eu le rêve de voir les moutons se multiplier. C'était une étrange chose tout de même que les voir faire de l'élevage, pousser les bêtes à s'accoupler, veiller sur elles, prendre soin des toisons et chaparder en douce le lait des bêtes. Trissi s'était beaucoup amusée, jadis, à observer ce manège, et à embêter les fermiers en leur empruntant de façon intempestive quelques-unes de "leurs" bêtes. Un agréable moment, pour sûr, et un repas bien à son goût.

Toujours était-il qu'elle ne serait pas de ceux qui reprocheraient aux bipèdes de faire de l'élevage de moutons. Quand bien même la pratique était douteuse, le résultat avait un avantage qui servait ses intérêts. Aurait-ce concerné une autre espèce, elle eut sans nul doute refusé de participer à un tel traitement envers le vivant. Mais les moutons… C'étaient les moutons. Plus ils étaient nombreux, mieux le monde se portait, car mieux elle se portait. N'ayant pas trouvé assez de nuages dans le ciel à son goût, Trissi comptait bien s'éviter de trop longtemps rester frustrée en s'offrant un cadeau de choix, et ces moutons seraient plus qu'adéquats ! Elle n'avait pas encore chassé, aujourd'hui. Volant à allure réduite au-dessus du troupeau, la dame d'argent élabora brièvement un pseudo-plan pour lier l'agréable à… l'agréable. Elle attraperait un mouton, l'entrainerait à part, le regarderait paniquer, essayer de s'enfuir… Elle jouerait un peu avec sa peur, ce serait divertissant, de quoi lui changer les idées. Mais la peur avant la mort donnait un drôle de goût à la viande… Qu'à cela ne tienne, elle mangerait deux moutons !
En quelques mouvements d'ailes, elle se rapprocha du sol où, délicatement, elle se posa, ayant tout juste remué les herbes autour d'elle. Elle venait faire du repérage. Pas question de manger le premier mouton venu, elle tenait à ne prendre que les meilleurs, ou ce n'était pas un vrai cadeau ! Vus d'en haut, les moutons ressemblaient tous à des sortes de haricots blancs. Vus d'en bas, analyser leur état était plus aisé. Son regard passa sur toutes les bêtes ici présentes… Tant de choix, c'était à n'en plus savoir où donner de la tête ! Dommage que ces hurlements de bipèdes aient gâché sa réflexion. D'un geste rendu presque mou par la lassitude, elle tourna sa grande tête triangulaire vers eux, ses yeux de saphir mi-clos, un souffle rauque s'échappant de sa gorge. Mais ils étaient accompagnés par une créature à nulle autre pareil, et cette petite quadrupède parvint à brider l'exaspération de Trissi, juste assez pour qu'elle n'éjecte pas les deux piailleurs à l'autre bout du pré, juste assez pour la détourner un instant de ses importantes préoccupations, et se dire que peut-être ils valaient la peine.

Abaissant son encolure vers les petits êtres, Trissi ne put s'empêcher de penser que celle aux oreilles en pointe lui rappelait quelqu'un. Boh, rien de surprenant. Les bipèdes se ressemblaient tous. Mais ceux aux oreilles pointues, surtout, se ressemblaient beaucoup. Cette créature-là paraissait néanmoins bien vive, et plus spontanée que ses semblables. Elle lui voulait quelque chose… Soit, si sa demande était intéressante, Trissi pouvait peut-être sacrifier son précieux et moutonneux temps pour elle. Si elle s'en montrait digne…
Nonchalamment, Trissi corrigea le genre qui lui était accordé. Voyageu-se. Roh, ce n'était pourtant pas compliqué de voir qu'elle était une femelle ! D'autant plus que des dragons, en ces terres, il n'y en avait pas des centaines, et les seuls aux écailles d'argent étaient femelles, c'était connu ! Et puis… Trissi, quoi ! Avec Skade, elles étaient les Dames de la Théocratie ! Trissi avait redressé la tête, prête à s'offusquer de si peu d'égards. La petite bipède lui présentait une offrande. Un… Mouton ? Ce gamin bipède ? Elle se moquait d'elle, ou bien elle hallucinait. Une colère sourde mêlée d'une blessure à l'orgueil grandirent au sein du coeur de la dragonne, qui ne répondit pas tout d'abord, se contentant d'un regard froid aux deux petits qui grouillaient à ses pieds. Un bref instant de réflexion lui suffit, néanmoins, à comprendre: c'était un jeu. Ce ne pouvait être autre chose qu'un jeu. Eh bien, il n'était pas commun que l'on vienne la voir pour jouer… Mais une telle invitation ne se refusait pas. À condition d'accepter les jeux particuliers de Trissi.
La dragonne tendit son museau vers Coriya, qu'elle renifla, toucha du bout du nez, remuant ses crins, la bousculant doucement, tout en répondant, calme, et d'un sérieux qu'elle singeait fort bien:

"- Mh, je n'ai pas l'impression que ton mouton soit très appétissant. Celui-là a l'air plus moutonneux, plus savoureux, et plus exotique."

Comment ? Pas appétissant ? Son mouton ? Celui qu’elle s’était donné la peine d’apporter ? Hum… oui bon effectivement Enetari ne pouvait réellement contredire le dragon. Qui était une dragonne. Donc, pas vraiment un dragon. Ce qui donnait qu’effectivement, Enetari ne pouvait réellement contredire la dragonne. Le truc malingre et couinant qu’elle avait ramené ne devait pas avoir un goût des plus raffinés, et elle n’osait songer à la texture de la viande. Sans compter que son odeur suffisait à éloigner les mouches, et les mouches n’étaient pourtant pas difficile, en matière de nourriture. Il suffisait de voir combien elles aimaient… et bien, tout ce qui n’était pas des plus raffinés. Hoho, cela voulait peut-être dire, justement, que le moutenfant était exceptionnellement bon ! Pourtant, en baissant les yeux vers le sol, la demoiselle eut comme un doute. Elle était presque certaine de voir des cadavres des pauvres mouches assomées au sol, certaines en train de vomir ou d'agoniser, les yeux révulsés. Bon, c'était plus que presque mais... pas loin ! A moins que ce ne soit la dragonne qui sente particulièrement mauvais ? Ce n’était pas faux non plus ! Décidément, la pauvre elfette au doux parfum d’herbe fraîche, dont la longue chevelure embaumait les fleurs qui se levaient au petit matin, dont les lèvres avaient le goût des pêches mûres ramassées au soleil d’été, dont les ongles mêmes fleuraient bon les amandes broyées dans une sauce à la sauge, était bien mal entourée…

-Celle-ci n’est pas un mouton. C’est un cheval, sans être un cheval. Enfin bref on s’en moque de ce que c’est, elle ne se mange pas, c’est mon amie. Voyons, tu ne sais pas faire la différence entre un mouton et un… non-mouton ? Regarde, lui en est un, cela ne fait aucun doute, il suffit de le sentir pour savoir qu’il en est. Il a l’haleine d’un mouton.

Fronçant les sourcils d’un air déçu, la jeune fille observa la belle venue des airs un instant, pas le moins du monde impressionnée par sa taille. Un peu plus par celle de ses griffes, peut-être. Mais comme elle ne les avaient pas encore vu… Elle éprouvait beaucoup de respect pour les dragons, les aimait beaucoup, mais se trouvait embêtée de voir que sa nouvelle trouvaille n’était pas de son avis sur le critère appétissant ou non du truc écrasé par son pied. Et un peu triste aussi. Il n’était pas beau, son mouton à elle ? Certes un peu dégarni, certes un peu rabougri, mais tout de même. Elle s’était donnée la peine de le lui apporter. Que voulait-elle de plus ?

-Il ne vous plait pas, alors ? J’aurais pourtant juré… Il était au milieu du groupe d’enfants quand je l'ai trouvé, telle une brebis égaré. Sauf que c'est un mouton. Là, les vois-tu ?

Désignant d’un geste du bras le groupe de moutons qui s’était prudemment éloigné pour paitre un peu plus loin, l’elfette plissa les yeux, s’apprêtant à demander à la dragonne et son nom et ce qu’elle faisait ici, quand la chose rampante à ses pieds parvint, alors même que la Terendul avait relâché la pression, à s’échapper en hurlant. Se tournant pour le voir fuir à toute jambe, elle haussa un sourcil. Ce petit était complètement fou. Mais elle n’en avait pas moins l’intention de le faire dévorer par la dragonne si la chose était possible. C’était dommage, qu’elle ne l’ai pas fait de suite. Enfin, les écailleux étaient des créatures étranges.

-Ah… Et bien… Mon mouton est parti… Cours, mouton ! Cours ! Breeeeeeeef, reprit-elle en se tournant vers l’argentée, je suis Enetari Terendul, pour vous servir, ô dragonne. Enfin, dans la limite du raisonnable, bien évidemment.

Ce qui voulait dire, pour commencer, qu’il ne fallait pas toucher à Coriya, sa douce, tendre, parfaite monture. Qui avait tout de même eu le culot de lui ramener ce sale gosse. Sale, dans tous les sens du terme. Elle était certaine qu’il lui avait sali les mains. Le faquin ! Le malappris ! Le malotru ! Le maroufle ! Le sacripant ! Le mécréant ! Le coprolithe ! Il méritait de finir… de finir. Voilà.

-Dites-moi, ô dragonne, ne voudriez pas vous joindre à moi dans la traque au mouton fugueur ?

Si la dragonne le prenait vraiment pour un mouton, elle le mangerait. Et Enetari serait vengée de ce sale garnement, ce pleutre, cette canaille… D’ailleurs, avec un peu de chance, elle le mangerait sans le prendre pour un mouton. Alors, défi accepté, dragonouchette ?



HRP : ah bah on avait dit qu'on partait pour s'éclater, non ? xD si souci n'hésites pas à me mp

Comment ça, "elle ne se mange pas" ? Ah si, si, i se mangeait, Trissi pouvait le lui assurer ! Son instinct la rendait capable de reconnaitre ce qui ou non était de la viande, et de la viande digeste ! Et cette viande-là, si étrangement enroulée de rayures, semblait être un met de choix. Tendre et savoureuse. Décidément, l'elfette n'était pas bien rusée, pour s'être attachée ainsi à un tel repas. Ah oui, c'était vrai, les elfes n'en mangeaient pas… Mais quelle idée de se lier avec le repas des autres !
Trissi avait sans doute bien des défauts, mais pas assez néanmoins pour mettre sans plus de discussion la jolie Coriya sous ses dents. Elle l'épargnerait, allez. Elle était trop peu commune pour être traitée comme une commune créature, et valait sans doute la peine de se pencher sur son cas de façon plus réfléchie. Découvrir d'où elle venait, pourquoi ces zébrures, ce genre de choses. Son esprit était vif, Trissi l'avait compris en l'effleurant, pour lui transmettre une sorte d'affection. Allez, avec tous ces moutons autour, ç'aurait été un crime de toutes façons de ne pas l'épargner quand d'aussi charmants repas se trémoussaient alentours.

Posant à nouveau son regard sur le plus petit des repas, cet humain qui geignait sous le pied de l'elfette. Kedrildan aurait apprécié la scène. Trissi l'imaginait déjà, l'air goguenard, pouffer de rire en annonçant que c'était là la place des humains en toute situation. Encore que, il aurait sans doute poussé Enetari pour mettre son pied sur le gamin, pour tenir ce discours. Ah, son Lié… Parfait dans ses défauts. Sauf peut-être cette hantise des oreilles-rondes-sans-crocs. Elle tendit son esprit vers le sien, ne trouva rien d'anormal, revint vers l'enfant d'elfe qui piaillait gaiement devant elle.
Elle perçut sa tristesse, devina qu'il n'était sans doute pas agréable pour la petite de voir son présent refusé par une dragonne. Un tel rejet, pour une créature qui l'admirait tant…! Elle aurait bien aimé lui faire plaisir, mais elle ne pouvait décemment manger un humain. Là où son Lié ne voyait que des outres de sang, elle voyait de potentiels Liés pour les enfants de ses congénères. Pas question de laisser un oeuf sans avenir parce que son Élu ne pouvait se présenter, croqué par un congénère ! C'eut été un comble, une morbide plaisanterie que même elle n'aurait su apprécier. De façon générale, elle n'appréciait pas les plaisanteries qui mettaient en scène les siens en guise de dindon de farce.
Mais à insister ainsi, l'elfette parvint à faire douter Trissi. D'autant plus qu'elle aurait aimé pouvoir accepter son offrande, et ravir ainsi la frêle créature à l'odeur si douce. Mais quand même, si cette chose était véritablement un mouton, il sortait particulièrement bien des standards moutonneux élaborés tant par Vie que par les moutons et les bipèdes. Déjà, il ne marchait pas à quatre pattes. Encore que… Actuellement, il était plus ou moins à quatre pattes. Bipède à mi-temps, comme les ours ? Il n'avait pas l'allure d'un mouton, la morphologie… Mais certaines espèces entretenaient une large différence morphologique. Il n'y avait qu'à regarder Coriya pour saisir cela. C'était troublant, tout de même. Un toucher du bout de l'esprit l'informa que le sien était constitué comme celui des humains. Mais l'elfette avait définitivement raison: par Dracos, du mouton, il en avait l'odeur, c'était indéniable !

Avant que la dame d'argent ait pu exprimer ses doutes, un hurlement fort désagréable à ses sensibles oreilles lui parvint, tandis que le mouton-ou-pas se carapatait. Trissi écarquilla les yeux, surprise. Euh… Soit. En voilà une façon de se comporter. Effectivement, cela tenait bien plus des proies que de ceux qui portaient les dragons en admiration. Elle commençait véritablement à douter. Et que… Quoi ? Pourquoi elle incitait son mouton à courir, tout à coup ? Oulah, il se passait des choses étranges, en ces lieux… Trissi s'accorda une pensée pour vérifier si elle avait pu manger quoi que ce soit capable de corrompre l'esprit d'un dragon. Non, ses derniers repas étaient peut-être un peu lointains, mais très sains. Une magie opérait-elle ici ? Elle ne la sentait pas, si c'était le cas. On aurait dit la réalité… Eh ben. Les mecs chargés de la réalité devaient avoir rejoint Alford et Kedrildan au bar.
Devant les présentations, Trissi se força néanmoins à se dé-déstabiliser. Si la situation n'empêchait pas la petite d'être à son aise, ce n'était pas elle, grande dragonne par-delà les astres, qui allait perdre pied !

"- Trissi, pour ne pas vous servir."

Avait-elle répondu, aussi confiante qu'elle pouvait faire semblant de l'être (et elle faisait relativement bien semblant). Elle s'était montrée un brin amusée par cette tournure de phrase. Elle eut une pensée affirmative pour répondre à la demande de l'elfette: trop d'éléments l'intriguaient pour qu'elle les laissa passer à côté de la finesse de son esprit. Il fallait qu'elle comprenne ce qu'était ce mouton-pas-mouton. Et s'il était moins unique que Coriya… Peut-être croquerait-elle dedans, par curiosité gastronomique.

"- Nul besoin de me joindre à toi. Ce sera une affaire rondement menée par mes propres soins."

Une envolée, puissante, maitrisée et délicate, quelques coups d'ailes, et un atterissage soignée qui la voyait se coucher sur les herbe d'un seul même mouvement, comme glissant dessus. Ainsi, elle était enroulée autour du petit. Il ne pouvait s'échapper ! À part en l'escaladant. Mais les moutons n'escaladaient pas, n'est-ce pas ?

"- Il m'a l'air bien étrange, pour un mouton. Es-tu sûre de toi ? Sa toison n'est pas frisée, son faciès est plat, son esprit est semblable à ceux des humains… Et je ne veux pas manger d'humains. D'autant plus que je suis certaine que les moutons ont meilleur goût qu'eux, quoi qu'en dise mon Lié."

Elle aimait jouer avec les créatures, c'était perceptible. Mais Enetari devait également pouvoir sentir le véritable intérêt derrière ses questions. Du bout du nez, elle soufflait dans la toison du plus petit, pour tester la texture de cette dernière.

Un petit regard de mouton battu, presqu’une larmichette à l’œil, une moue désespérée et Enetari aurait presqu’eu l’air profondément innocente sans l’enfant qui gesticulait sous son pied, tel le saumon cherchant à fuir l’ours. L’elfette, déçue par le refus de la dragonne, n’eut pas beaucoup plus le temps d’y réfléchir que sa proie s’enfuyait en courant, dandinant de l’arrière train sans la moindre élégance. En vérité, elle comprenait mieux pourquoi son peuple ne mangeait pas de viande. Courir après son morceau de lard tous les jours devait être agaçant. Autant rester sur les plantes. Elles étaient aussi moins bruyante que ce truc sur pattes qui trottinait en trébuchant. Et puisque leur corps avait eu la bonne idée de s’y habituer, autant continuer. Les elfes étaient décidément sacrément plus intelligents que les humains, à éviter de gaspiller leur temps à cela. Le seul problème était le manque de piquant à cette quête quotidienne des repas. Bon, il lui suffisait d’aller le chercher, maintenant, n’était-il pas ? Cela lui ferait un entrainement ! Et elle avait même un gros chien volant pour ça. Bonne bête. Grosse bête, même. Bonne grosse bête, donc. Mais qui était plutôt agréable. Jolie, sans aucun doute intelligente, et qui plus était une dragonne, donc une chasseuse hors pair. Bref, beaucoup mieux qu’un chien. Enetari les aimait bien, ces créatures. Elle avait beaucoup de respect pour eux, à sa façon. Ils appartenaient aux rares êtres qu’elle ne voulait pas voir disparaitre. C’était déjà beaucoup. Et ce d’autant plus qu’ils étaient pratiques. C’était toujours agréable, les trucs pratiques.

La voyant s’envoler, la demoiselle sauta sur le dos sa jument qui n’en était pas un, échangeant avec elle un regard entendu avant de se précipiter au grand galop pour suivre le chemin de la dragonne. Par voie de terre. Elles avaient déjà essayé l’air et non, décidément, les pattes n’étaient pas très pratiques pour tout ce qui pouvait s’apparenter à l’action de voler. Elles avaient aussi essayé de faire voler d’autres non-consentants, malheureusement, cela n’avait pas été mieux. En fait, cela avait même été pire. Pour elles, elles avaient veillé à rester vivantes, entières et en un seul morceau. Pour les autres, cela avait un peu moins d’importance. Hormis les voler, ce qui était une activité très plaisante quand ils s’en apercevaient, mais pour voler comme un enfant propulsé par la raclée que son père venait de lui administrer, c’était toujours plus compliqué ; en général, cela finissait par un écrasement au sol des plus malgracieux. Mais en fait… Cela remettait en question la véritable nature des jeunes oreilles-rondes, qui avaient plus de quoi tenir du pigeon, envoyés par leur géniteur pour quitter le nid, que du… et bien mouton. Mais comme elle avait décidé que c’en serait un, tant pis pour la science.

-C’était plus de la ligne droit que du rond, mais l’affaire fut effectivement menée avec succès.

D’un signe de tête appréciateur, l’elfette sauta à terre, ignorant les petits coups de tête que lui donnait Coriya dans le dos, tordant le cou pour chercher à voir leur victime. Hum, difficile de l’apercevoir vraiment dans ce tas d’écailles, d’ailes et de… et de tout le reste, en fait.

-A dire vrai, je commence à me demander s’il ne tient pas également du pigeon, mais il me paraitrait singulièrement déplumé. Et affreusement laid, ce qui serait une offense à ces pauvres volatiles. Au moins, ce n’est pas une femelle. Elle s’assit dans l’herbe, attrapant des petits cailloux qu’elle tenta de faire manger à sa fausse jument qui se contenta de lui renverser sur la tête. Sais-tu comment on reconnait les femelles des mâles ? Hum ? Je te donne un indice : ce sont des femelles.

Lui laissant quelques instants de réflexion, elle épousseta avec soin ses jambes de pantalon avant de frotter sa manche de tunique, l’air très absorbée par sa tâche. Il était toujours important de s’épousseter. Même si salir ses affaires ne la dérangeait pas le moins du monde, puisqu’après tout cela se lavait. C’était simplement une question de manières.

-Bien, puisque tu n’es pas aidée par la nature pour cette petite devinette, je vais te le dire : ‒elle laissa passer un léger temps de suspens‒ C’est simple, elles ont des décolletés pigeonnants !

Evidemment, pour une dragonne, c’était sans doute difficile à visualiser. Encore que, il était peut-être possible de faire un corset en armure pour dragon… Pouffant de rire en imaginant la belle créature dignement enveloppée dans son carcan de poitrine, elle se racla la gorge en cherchant à reprendre son sérieux.

-Bon, revenons à nos moutons… Ce que je te propose, c’est que tu lui en croque un bout pour vérifier, puisque tu sembles tant douter. Je t’assuuuuure que c’est un mouton ! Simplement il est trop maigre et trop mal soigné pour y ressembler vraiment ! Tu n’en as sûrement jamais eu d’aussi malingre, c’est tout. Il a perdu ses poils par mauvaise santé ! Tu en as déjà vu avant, des moutons dépoilés ?

La fixant en pinçant les lèvres, désapprobatrice, Enetari jeta un coup d’œil au tas de chair qu’elle apercevait vaguement entre deux griffes, avant de hausser les épaules, pragmatique :

-De toute façon, même si c’est un humain, il est pauvre, il va donc mourir. Ce n’est pas un bras de plus ou de moins qui va changer grand-chose. Autant vérifier nos doutes.

Attrapant un brin d'herbe, elle le mâchouilla distraitement, attendant de voir si la Trissi face à elle allait enfin lui faire confiance. Que de défiance à son égard, c'en était profondément blessant.

Le mouton fit quelques gestes que Trissi interpréta comme un début d'escalade. Elle mit tout de suite fin à cette tentative en posant son menton sur le haut du crâne de l'animal. Là, calme. Non mais ! Ne voyait-il pas que les adultes étaient en train de parler ? Ainsi, le regard de la dragonne était naturellement orienté vers Enetari. Les traits de sa tête étaient relâchés, elle paraissait presque calme. Le mouton aussi. Mais c'était peut-être lié au fait que, malgré sa grande douceur, Trissi restait assez puissante, et la rencontre du menton draconique sur son crâne devait l'avoir partiellement étourdi. Si l'argentée le sentit, elle n'en montra rien, et n'en eut pas cure. Il n'était pas blessé, elle le savait. Et au moins, il était moins remuant.

L'elfette avait un discours plus intéressant, que Trissi écoutait d'une oreille invisible mais attentive. Un pigeon, finalement ? Décidément, elle allait commencer à douter des connaissances de cette demoiselle en zoologie. Ce qui, pour une elfe, était un comble ! D'où sentait-elle, d'ailleurs, que cet individu était plus pigeon que mouton ? Etait-ce parce qu'il marchait sur deux pattes ? Oui, mais il n'avait pas de bec, et les quenottes que la dragonne avait entrevues était celles d'un herbivore. Il avait des oreilles apparentes, des poils plutôt que des plumes… Non non. C'était un mouton. Enfin, un humain moutonneux. Ou un mouton humaineux. Tiens, était-il possible que ces deux espèces puissent faire des hybrides ?

Trissi resta silencieuse à la devinette d'Enetari, faisant travailler ses neurones dans l'espoir de trouver la solution. Il lui semblait que les pigeonnes avaient des comportements spécifiques, mais elle sentait qu'il y avait là un trait d'humour bipède, et qu'il fallait penser différemment pour trouver la véritable solution. L'indice était déroutant. Des femelles, femelles… Peut-être que la réponse était lié au son de ce mot ? Feu-mêle ? Non… Etait-ce une question de ressemblance avec des comportements bipèdes, justement ?
Elle n'eut pas le temps d'apporter de réponse. L'elfette, aussi patiente qu'elle, la lui apporta. Trissi se vexa de sa remarque sans rien dire néanmoins. Il n'y avait rien à dire: elle savait au fond d'elle qu'en effet, sa nature ne la portait pas à trouver aisément les solutions de ce genre de jeux. Néanmoins, elle préférait croire son intellect sans limites au point où tout lui était accessible. La réponse la laissa perplexe, néanmoins. Un décolleté… Pigeonnant ? Mais… Hein ? Quoi ? Qu'était-ce donc ? Etait-ce un jeu sur le son de "décolleté plongeant" ? Peut-être, mais c'était tout de même bien différent, et… Oh, zut. Ces bipèdes avaient l'esprit si étriqué qu'ils s'amusaient de choses qui n'avaient pas de sens. Oui, c'était cela.

Ceci dit, c'était vrai: ce pigeon-là n'avait pas de décolleté Si l'on en croyait ce critère, c'était donc un mâle. Bon, ce détail, Trissi l'avait connu plutôt grâce à une légère indication dans son odeur, mis passons. Le pigeon devint un nouveau un mouton… Enfin, un bout de viande qu'il fallait goûter. Il était vrai que certains moutons perdaient leur laine quand la santé ne suivait pas, oui… Ah bah. Le mouton devenait un "pauvre". Un attribut qui n'allait qu'aux humains, normalement. De toutes façons, c'était un humain, c'était évident, mais… Non. Trissi avait eu envie de faire se tordre un peu son esprit et, désormais, avait envie de jouer le jeu. Une idée s'était glissée dans son crâne, son regard de saphir pétilla de malice.

Elle n'offrit pas tout de suite de réponse à Enetari. Lentement, son corps esquissa quelques mouvements, la faisant savamment reculer pour qu'elle puisse, tordant son encolure, gober l'humain. Elle en eut l'air satisfaite.

"- Croustillant. Mais un goût étrange, pour un mouton. J'espère qu'il n'était pas malade au point que tu m'offris de la viande avariée." Elle laissa passer un temps. "Non, il a vraiment bon goût, au final. Je dois te remercier, elfette bienveillante. Me permettras-tu de t'offrir à mon tour un mouton du même acabit ? Il faut que tu en découvres les saveurs." La vérité était que Trissi, concrètement, elle se moquait de rendre les cadeaux qui lui étaient faits par des bipèdes. Mais là, elle tenait à voir cette petite manger de l'humain aussi. Il allait juste falloir qu'entre-temps elle trouve un moyen de recrâcher le pauvre gamin, avant qu'il n'étouffe dans sa gueule. Elle lui avait imposé de se laisser faire, et ne pas faire de bruit, après lui avoir dévoilé son plan, mais… Il ne tiendrait sans doute pas longtemps. Elle le sentait trembler de peur. Oh, c'est bon, elle n'avait jamais avalé qui que ce soit par erreur… Pour l'instant.
Elle esquissa quelques pas vers la maison de berger, de chaux et de bois, qui était posée non-loin. "J'ai cru en voir par là-bas. Viens. J'insiste. Je te suis très reconnaissante."

Fascinée, totalement hypnotisée par le spectacle, Enetari observa l’enfant se faire engloutir sans se débattre, de toute évidence assommée par le poids de la grosse tête sur la sienne. En même temps, elle ne voulait pas même connaitre le poids de l’écailleuse. Elle devait bien faire dans les… beaucoup… Ce qui faisait… beaucoup. Pas trop difficile à compter, finalement. Beaucoup était un nombre très pratique dans le sens où il pouvait s’utiliser très régulièrement sans avoir réellement idée de ce dont on parlait. Ah, si tout pouvait être si simple. Enfin bref, de toute façon, le machin collant et bruyant avait pour l’instant disparu, d’iuci à ce qu’il ressorte, d’un côté ou de l’autre, Enetari avait le temps d’en profiter. D’autant plus qu’il n’était pas censé ressortir entier. Et pas vivant non plus. Ce qui serait d’ailleurs beaucoup mieux pour lui. Entre le vomi et… l’autre côté…

-Tu souhaites que j’en mange également ? Mais les elfes ne mangent pas de chair, hormis celle des végétaux. Et encore, pas tous. Tu es beaucoup plus forte que moi, voyons. Nous ne pouvons partager les mêmes goûts, je ne saurai résister à la nourriture qui te convient. Tout comme je doute que tu apprécies la mienne, hormis en guise de cure dents.

D’un air évaluateur, elle observa la gueule qui lui faisait face, cherchant à deviner quelle plante pouvait bien servir de cure dents. Des roseaux peut-être. Mais elle n’en avait pas sur elle. D’ailleurs elle n’avait aucune envie de jouer les arracheurs de dents. Rien qu’à imaginer l’odeur… digne des égouts d’un rat constipé.
Toutefois, Trissi insistait, et la demoiselle la suivit avec un intérêt relatif pour le repas qui l’attendait. En revanche, l’habitation l’intriguait davantage, et ce fut donc en présence de la dragonne qu’elle s’avanca vers le lieu de destination. Son regard passa toutefois rapidement de curieux à effondré. Quel était ce truc miteux ? Elle avait presque l’impression que la bâtisse de bois allait s’effondrer d’un instant à un autre. Ce qui serait sûrement le cas si l’écailleuse avait la bonne idée de souffler dessus.

Observant le vieillard qui sortit des lieux en les entendant, l’elfette finit par sourire, d’un sourire carnassier qui n’inaugurait rien de bon pour celui en face qui semblait s’interroger sur la raison de leur présence. Pour une fois que la magie humaine allait être utile… Paume vers le haut, Enetari referma à demi les doigts, immobilisant le vieil homme qui ne semblait guère comprendre ce qui lui arrivait. Sans lui laisser davantage le temps de se préoccuper de la situation et alors qu’il commençait à couiner pour obtenir de l’aide, elle déchiqueta un morceau du chiffon qui lui servait de vêtements pour lui fourrer dans la bouche, sans se préoccuper de lui avoir écartelé les mâchoires ni manqué de l’étouffer. Bien ! Ne manquait plus qu’à en couper un bout, pour satisfaire aux exigences de la dragonne ! Dégainant son couteau des ombres, la demoiselle attrapa un doigt sans difficulté, s’apprêtant à trancher l’auriculaire, quand Trissi l’arrêta. Allons bon… Elle ne savait pas ce qu’elle voulait. Tant pis. Rangeant sa lame en soupirant, elle attrapa le doigt en bouche, mordillant un peu pour assouplir la chair, puis le retira en grimaçant.

-Difficile à dire quel goût cela a, il est sale et il sent mauvais ! Comment suis-je censé faire ?!

Exaspéré, elle remit en place le bâillon qui commençait à se sauver, se servant de la magie de son torque pour l’attacher autour de la tête de sa victime, reprit le doigt pour le renifler, le mordiller, et referma d’un coup brusque les dents en tirant vers elle. La phalange déchiquetée se détacha avec un bruit écœurant tandis que l’homme perdait connaissance avec un glapissement de douleur. Un affreux goût de fer dans la bouche, Enetari grimaça en tentant de mâchouiller le morceau de viande, finissant toutefois par vomir, sans n’avoir rien avalé, son dernier repas sur les chaussures trouées du vieillard.

-Aaaah ! C’est absolument immonde ! Comment pouvez-vous manger une telle horreur ?

S’essuyant la bouche d’un revers de la main, elle s’accroupit pour se servir d’une poignée d’herbe comme serviette. Mais quelle horreur, ce truc. Décidément, il était très étrange de manger de la viande. Bien sûr, ce fut cet instant que choisit Trissi pour recracher un gamin plein de baves qui commençait visiblement à s’agiter dans sa gueule, sous le regard désabusé de l’elfette.

-Décidément, tu dois avoir aussi mauvais goût que ce vieillard, toi, pour être revomi par une dragonne. Stupide mouton joufflu.

S’époussetant la tunique d’un air digne malgré les gouttes carmines qui la salissait, elle soupira, regarda autour avec attention, puis disparue un instant en direction d’un petit bosquet. Des fleurs d’aubépine, encore en bourgeons, feraient l’affaire, elle les mâchouilla avec soin en guise d’odorant buccal, tout en retournant vers le petit groupe, notant au passage qu’entre un enfant recouvert de bave draconnique, pleurant sur le corps d’un vieillard qui reprenait difficilement conscience après son choc, et une dragonne aux écailles scintillantes mais des plus étranges, la scène était particulièrement particulière.

-Bon… Que fait-on de cette chose maintenant ? Même mort il est vivant.

Recrachant ses fleurs mâchouillées d’un geste gracieux, du moins autant qu’un crachat puisse l’être, elle pinca les narines avant de lancer un lumineux sourire à sa compagne écailleuse.

-Finalement, les moutons sont incroyablement pénibles, n’est-ce pas ? On devrait plutôt les appeler des mourons.

Trissi était toute guillerette. Elle avait dû insister un peu, mais l'elfette avait fini par lui céder ! Et Trissi, elle aimait bien qu'on lui rappelle combien elle était irrésistible, combien tout lui revenait. Sa grande hâte désormais consistait à voir à quel moment Enetari serait stoppée dans son élan, par ses convictions, son éducation, ou son instinct. C'était un pari qu'elle faisait avec elle-même. Voir des herbivores manger de la viande… C'était très rare, mais cela pouvait arriver. Mais ces derniers possédaient beaucoup moins de barrières que les bipèdes, qui s'étaient amusés à en créer pour tout et n'importe quoi, comme s'il fallait à tout prix qu'ils n'aient qu'une seule façon de vivre. Le pari était donc tant sur le moment où Enetari s'arrêterait que sur l'arrêt en lui-même. Seulement, elle doutait beaucoup moins de ce dernier point.

En quelques pas, ils furent auprès de la petite maison de berger. Penchant la tête de part et d'autre de la petite chose, Trissi déduisit que c'était plus un abri qu'une véritable maison. Très peu de place, et de matériel à l'intérieur. Sans doute juste un endroit où les bipèdes se posaient pour observer les moutons sans avoir le ciel au-dessus de leurs têtes. Une philosophie qui échappait à l'argentée, surtout après tout le temps passé Aigue-Royale. Une sensation désagréable se fit sentir sur sa langue. Rah, le gamin remuait ! Ne pouvait-il pas jouer son rôle de nourriture correctement ? C'était déjà assez inconfortable de maintenir sa bouche dans cette position, qui donnait l'impression qu'elle était close tout en n'écrasant pas l'animal… Si en plus il n'y mettait pas du sien !
Un vieillard vint à elles. Trissi détacha son attention de la cabane et de la chose dans sa bouche pour guetter l'expression d'Enetari, et ce qu'elle s'attendait à y voir. Alors ? Dégoût, crainte…? Trissi savait reconnaitre ces deux moues-là, et les trouvait particulièrement rigolotes. D'autant plus qu'habituellement elles s'accompagnaient de couinements délicieux. Ce ne fut pas le cas. Loin de là. Enetari semblait prendre son devoir très à coeur. Un tel sérieux retint l'attention de Trissi. Est-ce qu'elle mentait ? On ne l'aurait pas dit… La dragonne refusait d'admettre qu'elle pouvait perdre ses paris. L'elfette sortit un couteau… Dracos, elle allait le faire !

"- Non !" Avait-elle projeté vers Enetari. Douce, mais ferme. Comme elle ne pouvait laisser cela ainsi, elle enchaîna: "Pas avec cette lame. User d'un pareil outil souille la chair. Tu vaux plus que cela." Wah. Ça, c'était vraiment de l'argument tout pourri. Même un bipède n'aurait pas trouvé mieux. Restait à espérer qu'Enetari aurait suffisamment de respect et de confiance envers ses Supérieurs pour lui obéir sans broncher. Trissi croyait, naïvement, que ne plus avoir d'intermédiaire stopperait la petite elfe. Innocente petite dragonne… Dire qu'elle avait cru pouvoir se moquer de la bipède !
Pour Trissi, la limite entre "ce qui peut être fait" et "ce qu'il faudrait éviter de faire" se situait actuellement dans une blessure irréversible et gratuite à un bipède. Même par amour du jeu, certaines choses restaient interdites. Surtout par jeu. Elle laissa Enetari à ses grands dilemmes, remua la langue pour calmer l'occupant de sa bouche… Et revint à la réalité en entendant le craquement, la déchirure des chairs, et le glapissement de l'humain. Non… Si ? Elle l'avait fait ! Trissi perdait tous ses paris ! Oh la goujatte ! Grande était la surprise de la dragonne. Cette elfette-là, elle n'allait pas la lâcher de sitôt, elle était bien trop surprenante pour cela. Ceci dit, le plus surprenant allait être pour le vieillard, son réveil… Quand il verrait son doigt manquant, se souviendrait tout juste d'une elfette et d'une dragonne… Oui, il réfléchirait sans doute à ce qu'il avait bu avant. Trissi approcha sa tête de la main sanguinolente. Un souffle de soin… Et le bruit que faisait Enetari en régurgitant la poussa à nouveau à tourner la tête vers elle. Elle exagérait ! C'était très bon, la viande !

"- Tu n'as pas pris un morceau de choix."

Elle ressentit comme un pincement au niveau de la langue. Mais ! Il l'avait mordue, là ! Oh le fils d'Alayien ! Sans plus de considération, Trissi le recracha, l'éjectant à terre. Ce fut une chance que le gamin n'atterrisse ni sur le vieillard ni dans le vomi. Enetari parut ne pas s'offusquer d'une telle masquarade. Cela plut à Trissi. Elle la laissa partir, sans cesser de l'observer. La tête haute, immobile, elle n'attendait qu'elle. Le gamin et le vieux ? Elle s'en moquait. Il lui fallait sa compagne de jeux pour continuer. Elle n'avait pas exactement comprit le sens de son manège… Ah, si. Passer le goût de la viande. Roh… Il ne fallait pas rester sur une telle expérience ! Trissi laissa néanmoins parler son apprentie omnivore. Mentalement, elle lui offrit quelque chose qui ressemblait à de l'approbation.

"- Ce serait donc leur cri, chaque jour où la vacuité de leur existence revient à leur mémoire. Mourrons ! Mourrons !"

D'un point de vue draconique, c'était très drôle. Et encore… Elle aurait pu davantage s'en donner à coeur-joie si elle avait su tous les sens possibles de "mouron". La plante, par exemple. Le souci… Elle le devinait, avait dû vaguement l'entendre, mais pas au point d'en faire une certitude, et de jouer avec. Trissi enroula sa queue autour du gamin, pour l'empêcher de trop s'éloigner.

"- Je suis déçue que ta première viande n'ait pas été à ton goût. Cela m'ennuierait que tu gardes en mémoire un tel échec… Le mouton que tu m'as offert est très bon, mais je me demande si pour l'adapter à tes papilles bipèdes il lui faudrait un peu de… Cuisson."

Trissi souffla, un souffle de feu très fin, mais qui eut tôt fait de trouver sa nourriture en la personne de la cabane de berger. Ses petites flammes grignotèrent à toute allure le bois, jusqu'à prendre la forme d'un très bon feu, assez haut. Trissi redressa davantage la tête, fière. C'était elle qui l'avait fait ! N'était-elle pas la meilleure cracheuse de feu de ce foutu continent ? C'est presque ronronnante qu'elle tendit son esprit vers les bipèdes:

"- Comment appelle-t-on cela, déjà ? Un feu de joie ?"

Pauvre petit couteau, voilà bien longtemps qu’il n’avait pas servi, et la dragonne qui lui interdisait de le faire une fois encore. Cela étant, elle avait raison. Pas question de salir son précieux outil avec du sang d’humain. Après tout, Enetari l’avait payé cher, il était très pratique, aussi risquait-elle de le rayer sur un os ou Vraorg savait quoi. Et cela, pas question. Elle n’était pas venue pour abimer ses propres affaires. En revanches, ses dents étaient faites pour mâcher et croquer, même si de la verdure, et elle n’hésita guère à les refermer sur le doigt pour l’arracher. Et là, ce fut le désastre. Trissi lui avait menti ! Cette viande était horrible, et ses papilles délicates ne supportaient pas une telle horreur ! Elle n’avait pas besoin d’avaler pour tout rejeter, repas précédent comprit ! Décidément, les écailleux étaient réellement des êtres à part. D’ailleurs seulement celle qui faisait celle à l’elfette, il s’agissait simplement d’un mauvais choix de la viande. C’était possible, mais elle était certaine que ce n’était pas que cela. Et l’enfant était déjà plein de bave de dragon, pas de quoi mettre la salive à la bouche… Cela dit, la dragonne n’avait de toute évidence pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin, aussi ne trouva-t-elle rien d’autre à faire que d’enflammer la minuscule bâtisse qui prit feu sans demander son reste.

-Bien sûr, mais cela dépend aussi de qui cela concerne. Pour moi, c’est un feu de joie, mais pour les moutons, enfin les mourons, non, moutons ? Je ne sais plus ce qu’ils sont du coup. Enfin bref, pour eux ce n’en est pas un.

Fascinée par les flammes, elle s’en approcha légèrement pour admirer leur reflet tandis que leurs hauteurs s’élançaient vers le ciel. Cet élément était magnifique, mais elle lui préférait l’eau. Plus forte, plus imprévisible, plus terrifiante peut-être. Plus subtile et grandiose aussi. Se retournant en entendant un glissement au sol, elle éclata de rire en apercevant sa belle jument rayée trainer vers le brasier l’humain dont il manquait un doigt. Ah, brave Coriya, elle n’en ratait pas une ! Cette compagne était formidable. Malheureusement, Trissi risquait fort de ne pas apprécier, elle qui n’avait pas apprécier de voir le vieillard découpé au couteau. D’ailleurs… D’ailleurs !

-J’ai du mal à dire du mal des gens, mais effectivement tu es gentille. N’étais-tu pas censée avoir croqué ce truc visqueux et bruyant ? D’autant que maintenant, il faut attendre de le laver pour le gouter !

Très déçue par le mensonge et la comédie de la dragonne, Enetari croisa les bras devant la poitrine en boudant. Elle qui pensait la majestueuse créature, celle-là même dont les mérites, la force, le courage et la sagesse étaient vantés comme chacun de sa race, digne d’elle, elle se trouvait face à un cruel destin ! Une telle mascarade pour quoi, finalement ? D’autant qu’elle avait soigné celui dont il manquait un doigt ! Et pourtant ils n’en valaient certainement pas la peine… Des moutons-mourronneux, voilà ce qu’ils étaient, un sort de soin était un trop grand présent. Une victime ne méritait nul apitoiement sur sa condition, sans quoi elle oubliait qui elle était. N’avait-on jamais apprit cela aux jeunes dragons ? Ah, lorsqu’elle rencontrerait son dragonnier, elle lui apprendrait à si mal s’occuper de la pauvre liée ! Enfin… Fixant la jument rayée qui continuait tranquillement à trainer sa proie au sol, retenue par le petit qui hurlait à n’en plus finir, Enetari sentit comme un frisson saisir son âme. Elle avait trouvé ! Faisant lâcher sa proie à sa douce compagne, la jeune fille attrapa plutôt le plus petit par le pied et, le trainant à son tour, le tira vers les flammes.

-Rho, calme-toi, machin ! Je ne veux pas te brûler entièrement, juste ton pied ! Et puis c’est l’occasion de voir si la salive de dragon peut caraméliser… Inutile de faire autant de bruit !

Décidément, il ne songeait qu’à l’agacer et la contredire ! Elle ne lui demandait tout de même pas grand-chose, quoi ! Son grand-père avait bien généreusement sacrifié un doigt, lui pourrait faire de même avec un pied, non ? C'en était bien un autre à qui nul n'avait apprit le respect des aînés et des êtres qui lui étaient supérieurs ! C'était incroyable de voir à quel point Enetari ne pouvait compter sur personne ! Heureusement que sa délicate Coriya venait la réconforter de sa tendre présence...

Ah, la relativité ! Tout un concept. Trissi s'amusait à tâter du bout de l'esprit celui des bipèdes alentours, tour à tour, pour à chaque fois sentir la différence, comme on pourrait s'amuser à toucher deux matériaux de propriétés différentes, l'un spongieux, l'autre rebondissant. Chacun avait son "avantage". Parce que oui, c'était un avantage d'amuser Trissi. Certains assuraient que cela permettait de rallonger l'espérance de vie.
Le gamin humain était terrorisé. Omettant que bien d'autres éléments pouvaient le terroriser, Trissi ne vit que sa principale terreur: le feu. C'était là d'un ridicule ! Le feu était ami, le feu était allié, pour peu que l'on sache avec lui brûler. De toute évidence, c'était bien trop de subtilité pour le tout-petit. L'attitude de l'elfette lui plaisait bien plus. Fascination... Oui, très bien ! Qu'elle se pâme encore d'admiration ! C'était bien flatteur de constater que pour sa camarade de jeux, l'élément prenait une telle apparence, presque sacrée, quand, pour elle, il était aussi naturel que le sang dans ses veines. N'était-ce pas là, à nouveau, la marque de sa place élevée au sein de ce monde ? Pour l'argenté, les sentiments d'Enetari étaient autant de caresses dans le sens des écailles.

Elle savourait, elle profitait, et observait ces flammes qui étaient les innocentes sages-femmes de tant d'émotions. Il fallut le son qu'émettait l'elfette pour la sortir de ses songes, la pousser à tourner la tête vers elle, et vers le petit truc. Eh bien, oui, il était baveux, où était le souci ? Le laver ? Trissi demeura perplexe devant ce raisonnement. Extérieurement, cela se vit par un petit mouvement du haut du crâne, qui aurait pu ressembler à un bref haussement de sourcils.

"- Le laver ? Penses-tu que ma salive nuira à son goût ? Elle fait sans doute n excellent accompagnement, et sera bien meilleure que ce que tu as pu goûter."

Affirma-t-elle, sur un ton très sérieux, doté d'une petite once de pédagogie toute neuve pour la dragonne. Aurait-elle commencé à apprécier le jeu de l'instructrice et de l'apprenante ? Il fallait croire. C'est qu'il était plaisant de répandre son savoir: cela signifiait que l'on en avait un. Peut-être pouvait-elle instruire tout le continent du sien, mais cela prendrait des années. Et des années qui se rallongeraient au fur et à mesure de son existence, son savoir grandissant. Le souci qui allait se poser allait être celui de l'âge de ses élèves... Encore une fois, les vampires présentaient davantage d'intérêt que les autres bipèdes. En attendant, elle ne pouvait qu'offrir un savoir partiels aux autres petites créatures qui le méritaient. Enetari pouvait s'estimer honorée d'une telle attention à son égard, elle qui était dramatiquement mortelle !

A nouveau les bipèdes piaillèrent. Trissi songea avec une pointe de lassitude qu'ils avaient, effectivement, beaucoup trop à apprendre pour que leur vie suffise. Peut-être était-ce ce qui menait ce monde à sa perte. Peut-être était-ce ce qui les rendait amusants. Elle n'aurait su dire, et s'en moquait. La situation pressait, le présent valait mieux que les hypothèses. Elle mit sa queue en travers du chemin de l'elfette, pour l'arrêter.

"- Ne goûte pas à ce mouton-là. Il a deux jambes. Tout ce qui a deux jambes peut un jour être le lié d'un de mes semblables. Laisse-le donc..." Elle redressa la tête, avec un vague coup d'oeil aux environs, rejetant la pensée stupide selon laquelle elle pourrait être un jour mère d'un Lié. Ridicule. Elle, mère ? Elle était une grande enfant, et nul mâle ne lui arrivait à la cheville. Enfin, peut-être. Vraorg était assez beau garçon, il était déplorable de le voir s'abîmer en autant de bêtise. Cynoë... elle le connaissait trop mal. Il avait des atouts, mais pour l'instant, pas de quoi lui donner ces envies-là.
Mh ? Ah, oui ! L'elfette. Le jeu. Elle ne pouvait jouer à embêter les bipèdes avec elle. En revanche, un autre jeu restait totalement possible.

"- Mais puisque véritablement la viande parait t'intéresser, et puisque tu fais l'effort d'aller au-delà de ta première impression, je serais bien mauvaise de te priver d'une telle expérience. Je t'offre donc de partager ma chasse, et mon repas. Qu'en dis-tu ? Choisis ton mouton. Si tu parviens à bondir par-dessus lui, alors je l'achèverai, et nous pourrons le cuire selon les habitudes bipèdes, avant de le déguster." C'était une proposition faite par la gourmandise principalement, et Trissi ne doutait pas qu'Enetari puisse la sentir via le message mental. Ainsi elles joueraient, et se récompenseraient. La dragonne savourait déjà l'image des moutons courant en tous les sens, paniqués, dans des mouvements de foule moutonneusse ravissante aux yeux.

-Dragonne, sans vouloir t’offenser, toi et moi n’avons nullement les mêmes goûts. Et je dois d’autant plus reconnaitre que découvrir à la fois les saveurs de la chair humaine et celles de ta salive ne me semble guère judicieux : après tout, comment pourrais-je les reconnaitre alors que les deux seront mêlées dans le feu de cuisson ? Non, non, l’une après l’autre, c’est préférable.

Si Enetari voulait gouter ce cher flux salivaire produit par la belle écailleuse, alors elle en mettrait sur des framboises, simplement, dont elle connaissait déjà les arômes. Mais pas ainsi. Pas comme cela. La découverte de saveurs inconnues devait se faire dans le respect des convenances, et c’eut été une insulte au bon goût que de ne pas en tenir compte. Mais il fallait dire que la gastronomie draconnique était profondément différente de celle elfique. Totalement, même. L’opposé complet, en fait. Et à dire vrai, l’elfette n’avait pas spécialement envie de s’y essayer. D’autant plus que, déçue des propos tenus par Trissi, la jeune fille laissa donc les humains au soin de sa ponette rayée, qui pouvait s’amuser comme bon lui semblait avec, et croisa les bras devant elle. Liés, ces misérables ? Elle le pensait vraiment ? Ce devait être profondément douloureux pour elle que de tenir d’une pareille éventualité.

-S’ils s’abaissent à lier leur âme à pareille créature, mieux vaudrait sans doute pour eux ne jamais être lié, leur destin serait maudit. Enfin, dragonne d’argent, imagines-tu l’un des tiens, seigneur des cieux, accompagné de ces trucs ? Non, non, ils perdraient toute crédibilité ! Mais pour toi, soit, je ferais un effort ! Puisque ton amour pour tes semblables te pousse même à épargner ces asticots poilus, je ferais de même… Mais sache que c’est une immense faveur que je te fais là, ainsi qu’aux tiens ! Et parce que je t’aime bien. Ponctuant sa dernière phrase d’un hochement de tête, elle la fixa avec curiosité. D’ailleurs, à quoi donc ressemble ton dragonnier ? Pourrais-je un jour le rencontrer ? Je suis curieuse de savoir qui a pu avoir l’insigne honneur d’être lié à une dragonne telle que toi.

S’asseyant au sol en tailleur, les flammes montantes l’enrobant d’une lumière chaude et brûlante en s’élevant dans son dos, l’elfette attendit qu’elle lui réponde. Ah mais oui, la dragonne avait proposé autre chose ! Mais ce n’était pas un jeu très amusant. Si elle se moquait tout à fait des humains, ces créatures pitoyables, elle avait bien plus de respect pour les autres animaux, bien plus intelligents d’ailleurs. Et elle n’avait guère envie de les tuer elle-même, non plus de les manger. La viande de mouton ne l’intéressait pas.

-Navrée, dame aux belles écailles, mais j’aime trop ces créatures pour ainsi me nourrir ainsi d’elles. Cela étant, ne te prive pas de chasser devant moi, la nature est ainsi faite que tu dois également te nourrir ! Tu pourras ainsi me parler de ton lié… Et si tu veux que l’on partage ta chasse… soit ! Après tout, pourquoi pas !

Se relevant d’un bond, elle se téléporta au beau milieu des moutons ‒les vrais de vrais, hein, pas ceux qui y ressemblaient vaguement‒ grâce à son totem et, repérant le plus vieux et le plus fragile (qui ne faisait d’ailleurs pas pitié), lui donna une tape sur la croupe pour le faire avancer au petit trot. Ceci fait, elle partit à toute vitesse derrière lui et, arrivée à proximité, se propulsa sur ses deux pieds pour effectuer un salto avant qui lui permit de retomber quelques mètres devant le pauvre doyen à laine blanche, lequel s’empressa de s’arrêter en bêler d’indignation devant pareil numéro. Un large sourire traversant son petit visage, Enetari s’inclina devant sa spectatrice écailleuse telle une artiste devant son public.

-Et bien, que penses-tu de cela ? C’est un jeu amusant finalement ! Comment s’appelle-t-il ? Le saute-mouton ? L’attrape-mouton ? Il est tout à toi maintenant !

Se retéléportant près de la dragonne, elle se laissa tomber au sol à nouveau, baillant sans vergogne, pour observer cette dernière terminer le travail. Après tout, elles avaient déjà le feu pour rôtir la viande et se chauffer en même temps. Sans compter qu'il faisait plus beau, et que l'endroit était paisible. Après le repas, elles pourraient même faire une petite sieste ! D'ailleurs, les dragons connaissaient-ils les siestes ?

Elle avait laissé les questions d'Enetari en suspens. Pas de mauvaise foi, mais elle avait eu d'autres préoccupations plus urgentes. Elle répondrait sans doute plus tard aux questionnements sur son Liés -qui n'étaient pas les plus fascinantes dans l'instant. Quant à ces vagues histoires comme quoi des bipèdes aussi bas ne pouvaient se lier aux merveilles qu'étaient les congénères de Trissi lui passait, pour l'instant, loin au-dessus des cornes. Une vague pensée sur le potentiel que chaque bipède développait sous les aléas trop secrets du futur l'effleura, mais elle n'y porta pas trop d'attention. Dans les faits, les mots d'Enetari s'étaient ancrés dans un coin de de son esprit, et se montreraient à nouveau un autre jour, à une autre occasion, peut-être sous le couvert d'une voix draconique pour lui faire croire que cela émanait d'elle. Elle y repenserait, pour sûr. Et cela donnerait à ses pensées en quête de nourriture un bel os à ronger.

En attendant cet instant, Enetari lui offrait un point de vue plus intéressant. Trissi n'avait encore jamais joué au jeu qui consistait à faire manger de la viande à un elfe, et sa façon de réagir dépassait l'entendement de l'argentée. Ce n'était pas une déduction dans sa logique, le lien ne parvenait pas à se faire. Aimer ? Elle aimait les moutons ? Soit, il arrivait que les bipèdes se lient particulièrement d'affection avec des espèces qui n'étaient pas leur. Trissi elle-même pouvait s'affirmer une affection pour le vivant. Mais… Cela n'avait aucun lien avait le fait de manger ou non une créature. La dragonne voyait sans souci la mort épouser la vie, et pour elle il n'y avait ni haine ni punition dans le choix d'une proie à qui apporter la mort pour se sustenter. Chacun savait sa place, chacun savait ce qu'il avait à faire, en ce bas-monde. Les bipèdes, eux, s'offraient le choix. Trissi n'aurait jamais cru qu'en critère de ces choix elle entendrait le verbe "aimer". Elle s'attendait à des explications plus ou moins alambiquées et cohérentes sur les apports de la viande ou des plantes, ou sur leurs méfaits. L'amour… Donnait-il à Enetari l'impression d'être plus proche de certains êtres, lui interdisant leur mort comme Trissi s'interdisait de dévorer les bipèdes ? C'était là ce qui paraissait le plus probable. Mais que c'était tordu comme façon de penser ! Une façon de penser qui interdisait un acte irréfléchi au nom d'un sentiment tout aussi réfléchi. Un fonctionnement qui paraissait n'avoir d'essence autre que la nature de ces petits êtres.

Trissi en était là de ses pensées, incrédule sans l'admettre devant cette particularité qu'elle venait de mettre à jour à travers l'elfette. Elle s'auto-congratula de s'être intéressée à elle. Elle lui apportait quelque chose que les vampires ne lui auraient jamais appris, et les humains plus difficilement. D'ailleurs, pouvait-elle trouver des traces de ce fonctionnement chez ces deux autres espèces cousines ? À voir. Le déplacement peu commun d'Enetari attira à nouveau son attention. Tiens, une protégée de la sauterelle ! C'était toujours très amusant à voir en oeuvre… Mais cela gâchait une partie du plaisir de la chasse qui était dans la lutte et l'opposition des forces, quand bien même la balance n'était pas équilibrée au départ. Et surtout: cela empêchait Trissi de voir Enetari courir derrière les moutons, et ces derniers s'appliquer de leur mieux pour déguerpir. Les mouvements de jambes de bipèdes, les bonds de leurs poils de crâne, et le déhanché des moutons au galop, étaient des visions qui l'amusaient beaucoup. Et Enetari l'en privait ! Roh ! Tant pis pour elle. Elle ne faisait que donner davantage de raisons à Trissi de l'embêter plus encore. Mais, comme si sa camarade de jeu avait entendu les pensées de la dragonne (les avait-elle bien cloisonnées ? Le doute l'étreignit un instant), elle lança le mouton au trot, et l'argentée put un instant profiter de cette belle vision qui s'offrait à elle, ponctuée d'un bêlement inattendu autant que bienvenu.
Trissi transmit expressément à Enetari son amusement et son satisfecit, la félicitant d'une sorte de caresse mentale, heureuse. Comme l'elfette revenait vers elle, d'un air de lui laisser le champ libre pour s'essayer également à ce jeu, elle ne put que lui exprimer de façon plus verbeuse ses pensées:

"- Le saute-mouton ! Voilà qui est plus adapté. Mais as-tu entendu ce merveilleux bêlement que tu as provoqué ? C'était fameux ! Crois-tu que nous pouvons les faire bêler un à un, ainsi, pour obtenir une sorte de long bêlement ? Attends. J'essaye de faire comme toi."

La dragonne piétina un peu, comme pour prendre ses marques, mieux calculer la distance, mieux juger. Dans les airs, elle n'aurait pas eu besoin de cela. Elle s'élança, créant moult remous d'air autour d'elle. Sans souci, dans son bond, elle passa par-dessus un premier mouton, et s'écrasa quelques mètres devant ce dernier -bien qu'il dut avoir grand peur en voyant le bout de la queue de la dragonne brusquement arriver devant lui. En revanche… Elle n'avait pas fait attention au second mouton. Un bruit d'os craquant, croustillant, et de chairs déchirées accueillit l'atterrissage de la dragonne, laquelle eut une sorte de "oups" mental qu'elle ne cacha pas à sa camarade. Elle remua un peu, pour observer son méfait. Ah oui. Le mouton, là, il était tout plat.

"- On dirait que ce jeu ne m'est pas adapté… Dommage. Et dommage pour ce mouton. En l'état, je ne peux le manger… Je le laisserai à des prédateurs plus petits que moi. Pour le jeu..." Elle eut un instant de réflexion. Parce que oui, il fallait jouer ! Un jeu tout neuf ! C'aurait été dommage de s'arrêter en si bon chemin, tout cela pour une histoire de taille différente ! "Mh. Si je trouve de plus grands obstacles, tu ne pourras en user... Oh ! Mais je pourrais inviter Kedrildan à jouer avec nous ! Vous feriez la course... Et je mangerai les moutons saute-moutés ! Qu'en dis-tu, Enetari ?" La dragonne paraissait, tant dans son attitude que dans son intonation mentale, très enjouée par son idée, et prête à bondir pour aller chercher son Lié par la peau des braies !

Oh, les caresses, quel doux plaisir ! Quoi de plus agréable qu’un effleurement de la main en signe d’affection, qu’une cajolerie amoureuse ! Et bien Enetari avait trouvé : une caresse mental d’un dragon. C’était tout à fait incroyable, cette douceur étrangère qui effleurait l’esprit. Elle voulait un dragon juste pour cela ! Un petit dragon de compagnon, ce devait être tellement formidable ! Puisqu’elle serait la plus agée des deux, ce serait à elle de lui apprendre le monde et de lui montrer comment se comporter ! Ressemblerait-il à Trissi ? Bah, qu’importait, du moment qu’il pouvait faire des cajoleries mentales comme cette dernière venait elle-même de l’effectuer, elle se contenterait même d’un demi-dragon. Qui n’écraserait pas les moutons, lui. Outrée, Enetari fronca les sourcils avec colère devant la scène qui s’offrait. Cette dragonne n’en faisait qu’à sa tête ! C’était tout de même de moutons qu’il s’agissait !

-NON NON NON ! Ce n’est pas un jeu ! C’était évident que tu l’écraserais comme ça ! Si tu ne regardes pas autour de toi, comment peut-on faire quoi que ce soit ?

Là, elle était vraiment très fâchée ! Elle sentait l’irritation qui montait de ses pieds à la tête ‒ou l’inverse, elle n’était pas certaine que ses jolis petons ressentent réellement quoi que ce soit d’aussi émotionnel‒ à mesure qu’elle se rendait compte du geste affreux de la dragonne. Oups… Oups ! Oups, quoi ! C’était tout ce qu’elle trouvait à di… penser ? Oups, comme si elle avait renversé un verre ! Enfin, vu sa taille, un tonneau ouvert serait plus crédible, mais le principe restait le même.

- On ne dit pas Oups ! On ne dit pas oups pour ça ! C’est triste, ca, et seulement triste ! A cause de toi, on a peut-être perdu notre meilleur chanteur !

Boudeuse, l’elfette croisa les bras sur la poitrine sans répondre. Non mais, ça lui apprendrait à faire n’importe quoi ! Elle était trop grosse, cette dragonne, aussi jolie soit-elle, et à cause de cela elle gâchait toute la bonne humeur et tout le plaisir du jeu ! Toutefois, et comme elle résistait rarement aux idées intéressantes, son mutisme ne dura pas longtemps et un grand sourire étira finalement son visage innocent, faisant scintiller le gris de ses yeux. De la course, quelle bonne idée ! Elle en avait déjà fait dans la rivière, mais jamais dans un nid de moutons ! Avec un dragonnier, qui plus était ! C’était une proposition super intéressante !

-D’accord, puisque tu nous fais perdre notre chorale, autant lui trouver un autre usage ! Combien te sens-tu d’en manger ? Est-ce que ton dragonnier sera d’accord ? Il ne peut pas servir de mouton, sinon ? Ou de cheval ? Je lui grimpe dessus et il saute par-dessus ces trucs ! Oh, et si le proposait au mouton puant qui n’a plus de maison ? De toute façon, sans abri ni plus rien à surveiller, il n’a que ça à faire maintenant, autant qu'il serve à quelque chose.

Toute excitée, elle sautillait, s’étant relevée, toute fatigue oubliée. Trissi avait déjà demandé à son lié de venir, aussi devraient-elles attendre un peu avant d’avoir un nouveau compagnon de jeu, mais que c’était émoustillant ! Et dire qu’elle était passée à côté durant trois années de relatif ennui au château ! Bon, rien ne lui garantissait que celui qui commençait à se faire désirer serait à la hauteur de ses attentes, mais dans le pire des cas, elle pourrait peut-être s’en débarrasser pour garder avec elle l’écailleuse. Pauvre choupinette, qui savait si elle n’était pas brimée dans ses loisirs ! Et pourtant, elle avait finalement un côté tellement attendrissant à écra… sauter par-dessus les moutons comme elle le faisait, emplie de joie ! Non vraiment, peut-être devrait-elle sérieusement songer à se l’attacher… Mais comment ? Enetari en était là dans ses réflexions quand le fameux dragonnier débarqua enfin, lui faisant écarquiller les yeux de surprise. Noooon… Ce n’était quand même pas…

-CARRRROOOOOOOOOTTTTTE !

Bondissant vers le nouveau venu, elle traversa l’espace qui la séparait de lui pour lui sauter dans les feuilles ‒euh, les bras‒ et s’enrouler autour de lui avec plaisir. Sa carotte domestique, elle qui s’était enfuie il avait si longtemps, était revenue ! Incroyable ! Elle ne pensait pas ces petites bêtes/végétaux/trucs bizarres à dents pointues si résistantes ! Avec l’agilité d’une Enetari de compétition, elle glissa jusqu’à dans son dos, toujours accrochée, pour se jucher dessus en ronronnant presque de contentement. Ah, cela faisait plaisir de retrouver certains jouets !


HJ: une réplique de film est cachée dedans, saurez-vous la retrouver? Je vous laisse voir entre vous qui de Trissi ou Ked veut poster directement après, si soucis mpez moi !

Trissi était ravie de voir que sa proposition savait faire dé-bouder la petite elfette. Pfiou, elle avait craint qu'elle ne veuille plus jouer ! C'aurait été un drame ! Elle aurait été obligé de faire un elfenapping et de la forcer à sauter par-dessus les moutons. C'aurait été beaucoup moins drôle ! Encore que. Tout dépendait de comment se faisait l'elfenapping. C'aurait été bien complexe… Avec son totem, la gamine pouvait bien aller où elle le voulait, par-delà les flammes de la dragonne si cela lui chantait. Trissi chassa donc l'image mentale qui la voyait courir après la petite en lui crachant des flammèches aux fesses pour la faire avancer. Elle jouerait à cela avec un autre bipède, un non-sauterelle, et un moins futé.

"- Jouer ainsi avec la nourriture m'a véritablement donné faim, et je pense pouvoir gober bon nombre de moutons avant de m'estimer repue." C'est que grand corps nécessitait grande énergie ! Mais au vu de l'esprit qui habitait ce corps, Enetari comprendrait sans doute que cela valait amplement la peine."Mon dragonnier suivra mes désirs, il sait que souvent ma vision de ce monde est plus étendue et précise que la sienne. Oh. Attends. Je crois qu'il n'est pas loin."

Elle redressa l'encolure, tourna sa tête dans la direction où elle croyait avoir senti son écho. Le geste était vain, un réflexe qu'elle oubliait parfois de réfréner.

"- Kedrildan ?" communiqua-t-elle pour ce dernier uniquement. "Que fais-tu donc dans les environs ? Viens plutôt me rejoindre. Nous avons besoin de toi. C'est important."

Ainsi, peu importe ce que sa moitié d'âme rousse avait prévu de faire, elle se verrait contrainte de l'oublier pour venir plutôt jouer avec eux. Oui, c'était un peu bas comme manipulation… Mais sans cela, elle craignait d'avoir à négocier. Alors qu'elle avait raison ! Le plus important était auprès d'elle, le reste était de basses tâches que son bipède-prédateur pouvait laisser à moins valeureux que lui. Et elle savait que lorsqu'il serait en sa présence, Kedrildan ne pourrait se défiler.
Elles attendirent un petit instant, Trissi grinçant des crocs sous l'impatience, se faisant violence pour ne pas grignoter un membre du troupeau en guise d'apéritif. La dragonne jouait néanmoins de temps en temps à bousculer un de ces pauvres animaux. Elle était d'ailleurs occupée à regrouper tout le monde près d'Enetari lorsqu'enfin son doux Lié arriva sur les lieux du crime. Lui qui savait les goûts de Trissi risquait de comprendre à cette seule vision qu'il s'apprêtait à partager ce qui pour sa Liée était une véritable orgie de nourriture.
La dragonne se posa à nouveau, près de Kedril…carotte. Elle fixa d'un regard appuyé les deux bipèdes, tâchant de comprendre ce qui lui avait échappé. c'est que personne n'osait normalement appeler son cher et tendre ainsi, et pour cause ! Il était loin d'être végétal, ou même d'aimer les végétaux… Le radar à commérages de Trissi commença à s'affoler.

"- Oh, toi, tu m'as caché des choses. J'espère que tu comptes me raconter à quelle occasion tu t'es changé en légume, sans quoi j'userai de ce mer-vei-lleux surnom sans ménagement !"

Transmit-elle à Kedrildan seulement, d'une voix mentale mielleuse de délectation. Quoi qu'il advienne, elle savait qu'il lui offrirait de quoi satisfaire son esprit en quête de moqueries. Elle prit un ton beaucoup plus solennel, dont l'amusement n'était qu'un arrière-plan, lorsqu'elle s'adressa à ses deux bipèdes de compétition.

"- Eh bien, je vois qu'Enetari s'est décidée à faire de toi son cheval. Nous avons besoin de tes services, mon doux Lié. Il faudrait que tu sautes parmi ces moutons-chanteurs, et je les mangerai sur ton passage. Tu es prêt à faire cela pour moi, n'est-ce pas ?" C'était une demi-supplique, qui se serait volontiers accompagnée d'un papillonnement de paupières si Trissi avait été bipède. Mais avant même que la réponse soit complète, elle enchaînait: "MERVEILLEUX ! Enetari, sois douce sur les rênes, c'est un vamponey sensible. Kedrildan, une dernière chose… Méfie-toi, il est des moutons dans ce troupeau qui ressemblent à des humains. Mais ce sont des moutons. Tu peux sauter par-dessus aussi." Elle transmit l'image du gamin qu'Enetari et elle avaient molesté joyeusement, après cette explication on-ne-peut-plus sérieuse et empreinte de fierté, celle d'avoir pu dispenser une leçon.

Sa carotte, sa jolie carotounette, toute douce toute mignonne avec ses petits crocs tout blancs, était de retour ! Oh, que c’était gentil ! Elle n’avait pas beaucoup poussé à dire vrai, et avait toujours une tête étrange, mais rien n’était plus agréable que de retrouver intacte une chose que l’on aimait. Solidement accrochée au joli légume qui se trémoussait, elle roucoula à son oreille de bonheur, ravie du tour que le destin leur jouait. Ah oui, cela faisait plusieurs années déjà ! Mais comment aurait-elle pu l’oublier ? Elle s’était sauvée si brusquement avant même que l’elfette n’ait l’opportunité de l’attacher et de la planter… Quelle tristesse, quel égoïsme aussi de sa part ! Sans doute avait-elle été intimidée par l’attention que lui accordait la plus belle elfette du monde, réputée dans le monde entier pour être la perfection incarnée ! Enfin, pas encore dans le monde entier, mais ca ne saurait venir !

-Rho, mais non carotounette, tu n’es pas un arbre, tu es a-do-ra-bl-euh petit légume, tout mignon tout choupinou ! Je sais, ça ne doit pas être facile pour toi de faire la différence, tu ne réfléchis sans doute pas de la même façon. Mais je t’inquiète pas, je vais t’apprendre !

Soucieuse de ne pas le voir se sentir triste parce qu’il était différent, elle lui désigna un solide érable qui poussait près d’eux, accompagnant son geste d’un « ça c’est un arbre » d’un ton très professoral. D’accord, il n’était pas vraiment une carotte puisqu’il avait aussi du vampire mais s’il fallait commencer à prendre en compte les petits détails comme la véritable nature de ses jouets, Enetari n’était pas sortie de l’auberge, et d’autant plus qu’elle n’y était jamais entrée.

-Et à moi tu avais caché que tu étais la peluche d’une jolie dragonne ! Coquine carotte vas. Tu es une vilaine petite cachottière.

Avec un grand sourire, elle passa sa tête par-dessus l’épaule de son vamponey pour coller la joue contre la sienne, l’étranglant sans doute à demi mais puisqu’il était vamparotte aussi (ou carampire peut-être ?) cela n’avait pas grande importance. Après tout ça ne mourrait pas un truc comme lui ! Enfin elle espérait, elle n’avait aucune envie qu’il s’effondre quand elle était encore dessus, il serait capable de l’écraser à demi !

-Allez vamponey, en route ! Tu as du travail et des moutons à saute-mouter ! Ce n’est pas très gentil de faire attendre une geeeentille dragonne et une chaaaarmante elfette, tu sais.

S’accrochant fermement et le regard fixé droit devant elle, en Kedvalière aguerrie qu’elle devenait, elle attendit patiemment que sa monture se décide à faire son travail, mais releva la tête en entendant les propos de Trissi. Rosissant d’un air désolé ‒et elle l’était vraiment, comme toujours lorsqu’il s’agissait de choses extrêmement importantes et décisionnelles pour son avenir et celui de son monde‒ elle s’excusa auprès de l’écailleuse et relacha un peu la pression, s’agrippant d’une main à une mèche de feuilles/cheveux du vamparotte et de l’autre lui entourant le cou de son petit bras, mince mais étonnamment musclé. Toutefois ce dernier (le vamparotte, pas son bras) se rebella soudainement et la petite blonde fronça les sourcils d’un air autoritaire.

-Carotte ! Ca suffit maintenant ! Tu ne peux pas dormir de toute façon donc tu ne peux pas faire la sieste. Et même si tu le pouvais, c’est non ! Non seulement ça va de toi une limace incapable de se bouger, mais en plus tu vas rendre ta dragonne toute triste ! Elle t’en voudra toute la vie et préféra finalement par se tuer plutôt que de voir le peu d’amour que tu lui portes.

Son visage arborait désormais un air profondément désolé, et elle jeta un regard en coin à Trissi pour voir si elle prenait effectivement une posture malheureuse. Après tout, elle devait également savoir jouer la comédie non ? C’était une dragonne visiblement très joueuse, il était normal qu’elle sache le faire. Cela ne semblait toutefois pas être un argument suffisamment percutant pour leur victime et Enetari réfléchit donc un instant avant d’arborer un visage radieux.

-Je sais ! Tu es plus ou moins un combattant non ? Alors disons que c’est ton entrainement ! Allez hue bourrique !

Et par une habile manœuvre, elle lui flanqua un brusque coup de l’intérieur du pied sur le derrière. S’il ne fallait que cela pour le motiver et décider à être sage…


HRP : Ene qui caline Ked x)

Elle n'eut pas le temps de demander à l'elfette le pourquoi du comment de ces folies potagères. Voilà que ladite carotte se rebellait. Trissi n'écouta que d'une oreille peu attentive ce que son dragonnier disait -qui se devinait aisément. Elle était occupée à bien plus intéressant pour un esprit tel que le sien. Tous ses sens étaient dirigés vers Kedrildan, son regard sur lui était perçant et insistant. Sur ses cheveux, surtout. Mh… Si l'on suivait le simple ressenti et non la réflexion, l'argentée devait admettre qu'en effet, en ce moment, ce vampire-là évoquait la même impression que cette racine comestible aux humains et elfes. Justifier cette impression aurait été complexe. Peut-être que les mots de l'elfette avaient eu une incidence, peut-être qu'en effet les cheveux de son Lié rappelaient à Trissi quelques feuillages ou herbes avec lesquels elle avait pu jouer jadis… Mais son intuition lui indiquai surtout que les mouvements et gesticulations de Kedrildan étaient ses meilleurs atouts carotteux. Il bougeait comme une carotte.
Mais découvrant les paroles de l'elfette, Trissi eut un doute soudain. Une hypothèse confirmée par les épisodes précédents. Etait-il donc possible que… Kedrildan ait persuadé la petite qu'il était une carotte ? M'enfin, pourquoi ? Avait-il des envies secrètes ? Avait-il à ce moment-là ENCORE consommé un sang à l'origine non vérifiable ? C'avait également pu être un geste de défense qui avait alors paru très pertinent sur le coup à son dragonnier, et qui désormais prenait un tout autre visage… Définitivement, il y avait là quelque histoire croustillante à découvrir. Ce n'était pas le moment, mais il était hors de question que Trissi passe à côté d'une telle anecdote !

Il fut question de "rendre sa dragonne toute triste". Trissi n'avait pas tout écouté, mais elle fut immédiatement de l'avis de la petite, qui était sans doute à essayer de convaincre Kedrildan de jouer avec elles. Aussitôt, donc, le dragonnier put avoir l'écho d'une dragonne terriiiiblement chagrinée, peinée, attristée. Une dragonne au coeur brisé de l'égoïsme de l'autre moitié de son âme. Elle surjoua davantage encore en s'allongeant lentement à terre, de plus en plus, jusqu'à poser lourdement sa tête au sol, comme si toute envie de bouger lui avait été ôtée. Elle jouait très bien la comédie, cette petite, ses yeux mi-clos dans un air de grand désespoir. Elle transmit, à Kedrildan seul:

"- Est-ce donc tout ce que je suis à tes yeux ? Est-ce donc tout ce que je vaux pour toi ? Moins qu'une… Moins qu'une sieste ? Après tout ce que nous avons traversé ensemble, au coeur de ces temps troublés… Tu ne m'accordes pas même de faire chanter les moutons pour moi ?"

Elle y mettait du coeur, elle ressortait d'eux les lourds souvenirs de ce temps passé à combattre pour le Blanc, elle ouvrait à son Lié une petite brèche en son coeur pour en dévoiler le contenu meurtri par la déchirure entre ses convictions et ses actions. Ils avaient souffert, tous deux. Lui avait ses moyens de s'en sortir, elle… Elle avait besoin d'entendre les moutons chanter. À trop jouer la comédie elle parvenait à se convaincre elle-même, et ce fut véritablement la notion de besoin que Kedrildan put sentir émanant de sa dragonne.

"- Je t'en prie. Dis-moi que je me trompe. Dis-moi qu'elle se trompe, et que tu m'aimes encore, toi qui es moi !"

Elle remua tout mollement la tête pour poser le bout de son nez contre son vampire à elle, cette monture carotteuse qui rechignait à ce à quoi elle se destinait. Elle lui transmit une bribe d'espoir, ainsi que le souvenir du bêlement offusqué d'un mouton, pour qu'il voie combien cela valait la peine, combien cela réchauffait le coeur gelé de sa dragonne. Comprenait-il l'intérêt, désormais ? Il fallait qu'il soit un bon vamponey. Un vamponey à leur hauteur.

Et voilà, c’était touffu. Euh, foutu. Il ne voudrait jamais jouer avec elles. Trissi avait pourtant mis du sien dans cette demande, jouant l’éplorée de façon incroyablement convaincante. La belle écailleuse semblait si triste, si malheureuse ! Rien qu’à la voir ainsi, l’elfette en avait le cœur tout retourné. Cruelle carotte ! Elle était déjà incapable d’accepter sa vraie nature, si en plus elle rendait misérable sa liée, elle était indigne ! A replanter à coups de poings dans le sol jusqu’à ce qu’elle apprenne ce que carotte civilisée voulait dire ! Nom d’un cheval rayé, que faire, que faire ? Tout était fini ! Fermement aggripée à son jouet, Enetari désespérait de ne pas trouver meilleure solution. Cela dit, le comportement de sa monture ne l’aidait pas beaucoup, tandis qu’il se cabrait en tout sens et lui hurlait aux oreilles. Sa voix se fit d’ailleurs hautaine et emplit de condescendance.

-Hrrrum, tu n’as pas besoin de dormir, hein, vamparotte. Alors ne rends donc pas triste ta pauvre dragounette pour si peu.

Lui tapotant le dessus de la tête avec bienveillance, elle se raccrocha toutefois avec un petit cri en manquant voler de nouveau, sans se préoccuper de serrer les bras autour du coup de sa monture. Il ne pouvait pas mourir étouffé de toute façon alors quelle importance ? Plantant fermement ses talons dans la croupe de son vamponey, elle tenta de le faire avancer et obéir mais il n’avait de cesse de remuer. RHAAAAAAAA ! Mais il ne pouvait pas rester tranquille quelques instants ?! La prochaine fois, elle s’achèterait des éperons et se ferait un plaisir de lui enfoncer dans le postérieur. Non mais. Cela dit et puisqu’elle n’en avait pas, elle allait devoir… apprendre à voler. Le choc la propulsa brusquement dans les airs, l’envoyant rouler dans l’herbe tandis qu’elle jurait d’une façon ni très elfique ni très élégante. Pire qu’un vampire mal élevé, en fait. C’était peu dire si c’était vraiment barbare… Toutefois et par un miracle inconnu, elle parvint à ne pas se faire mal, protégeant tête et bras et s’arrêtant finalement allongée sur le dos, à fixer les nuages avec de gros yeux. Bon, et bien avant de pouvoir le monter, il allait falloir le dresser, ce machin incompétent et relativement puant.

-Une transe, ce n’est pas une sieste !

Le doigt dressé vers le ciel, la Terendul avait répondu d’un air empli de sagesse, sans même regarder celui à qui elle s’adressait. Elle était tellement bien, dans l’herbe. Que c’était doux, relaxant, que cela fleurait bon la terre fraiche. Et entendre les reniflements répugnants du Kedrilan ‒cela morvait vraiment, les vampires ?‒ était déjà assez éprouvant, elle n’avait envie de devoir, en plus, les voir. Enfin, cela était sans compter sa manie de contrarier et enquiquiner les autres… Pas question de le laisser s’en tirer ainsi. Se levant donc brusquement, son visage exprimant une tristesse infinie tandis que ses yeux s’imbibaient de larmes, elle se précipita vers Trissi pour se jeter autour d’elle, de l’autre côté qu’occupait le dragonnier.

-Trissiiiiiiii ! Le vamparotte il est mé-mé-méchant avec moiiiiii ! Il m’a fait tombééééééé ! Il m’a fait…fait…. Fait maaaaleuh !

Et en plus il était ridicule à se comporter comme cela. S’arrêtant un instant de pleurnicher, l’elfette se hissa légèrement au-dessus du cou de la dragonne, seuls les yeux dépassant pour observer la carotte d’un air affligé. Beurk, il était vraiment ridicule et répugnant.

-Tu sais, moi je ne te ferais jamais de mal ! Et en plus il est quand même assez miteux, reconnais-le !

C’était vrai, quoi, elle ferait sans nul doute une bien meilleure dragonnière ! Et Trissi était tellement formidable ! Ah, quelle chance que de pouvoir lui être lié… Et dire que c’était cette loque qui avait cette chance… Désespérant. Soupirant, Enetari se rassit, dos à Trissi et observa avec intérêt les moutons qui s’étaient finalement calmés, heureux d’avoir enfin la paix. Bon et bien, cela se finissait comme cela ? Et le sale petit humain, où Vraorg était-il ? Elle ne l’apercevait nulle part. Quant à Coriya, un bruit de mastication suivi d’une exclamation du rouquin lui apprit rapidement où son amie à quatre pattes se trouvait : juste de l’autre côté de la dragonne, fort occupée à mâchouiller, embavouiller, tirer et trancher les cheveux de sa proie. Horrifiée et fort marrie de la situation, la jeune fille se releva de nouveau d’un bond avec inquiétude.

-Coriya ! Laisses donc, ma belle, tu vas t’abimer la santé ! Tu ne sais pas où cela a trainé.

"Oups". Encore une fois ce mot représentait bien ce qui venait à l'esprit de la dragonne. L'impression d'une erreur, d'une fine maladresse de sa part, mauvais calcul. Cela devenait gênant, deux erreurs en moins d'un quart d'heure, quand habituellement ses erreurs étaient séparées de plusieurs mois, années… Mais pour sa défense: elle avait cru que son Lié était plus solide. Que leur Lien avait davantage forgé son esprit, modelé le vampire à une forme draconique, plus résistante, plus prompte à recevoir les émotions venant de la dragonne, ou d'autres congénères. C'était oublier cette fois où il avait ployé le genou plus rapidement que si la gravité l'avait attiré, devant un mini-elfe de l'âge d'Enetari et de semblable allure… Tout cela pour un totem cobra ! Un vampire, de son âge, de son rang, Lié à une dame d'argent, tomber comme un fétu de paille ! Et maintenant… Fondre en larmes sans résister devant un peu de sentiments. Naturellement, la dragonne n'avait pas à y aller plus doucement. Pas avec lui, en tout cas. Il allait vraiment falloir le pousser à travailler cela.

M'enfin, dans l'état actuel des choses, ils n'allaient pas pouvoir travailler grand-chose. Le terrible et sanguinaire vampire pleurait plus qu'un jour de pluie, déversant des torrents de sang sur ses belles et nobles écailles jusqu'alors vierges de toute souillure. Il allait encore devoir manger des gens, après cela. La dragonne s'essaya à un patpat mental, contact qui se voulait réconfortant, appuyant doucement son esprit contre le sien. Son museau vint se poser contre son épaule, son souffle chaud sur la peau froide de l'autre moitié de son âme. Là, là… Dire qu'à la base, c'était un appel à être consolée ! Heureusement qu'elle n'était pas vraiment totalement à sa peine, ce jour-là, heureusement qu'elle écartait nombre de ses peines de Kedrildan, sans quoi elle aurait eu tôt fait de voir son cher et tendre tenter de se tailler les veines… Ce qui aurait été dommage.

L'elfette intervint. Soit disant que Kedrildan lui avait fait mal. Décidément, ces bipèdes étaient en sucre ! Qu'attendaient les Sept pour les réparer ? Dire que ces deux-là étaient censés être plus résistants que des humains… Allez. Cela devait vouloir dire qu'au moins, ils seraient plus faciles à remettre en état. Peut-être qu'après, enfin, ils pourraient jouer ! N'avait-on pas honte de faire ainsi languir une dragonne… Eut égard au fait qu'à tout moment ils pouvaient se voir réquisitionnés pour jouer, les bipèdes auraient dû, tous, porter une armure bien solide, tant pour le corps que pour l'esprit ! Mais les valeurs se perdaient, ma pauvre dame. Quand j'vous dis que depuis Vraorg tout fout le camp. Pourtant c'était là un dragon, son peuple aurait dû savoir davantage se plier aux désirs draconiques ! Mais non !
Trissi jaugea l'elfette du regard, jaugeant dans le même temps l'hypothèse d'aller bouder devant tous ces organismes indignes d'elle. Bah, elle était une dragonne pleine de miséricorde… Elle était surtout persévérante sur certains points. Et par le Dracos qui l'avait vue naître, elle allait entendre ces graouh de moutons bêler ! ("graouh" étant sans doute un juron draconique. J'imagine. Au pire, on dira que c'est la censure.)

"-…Tu pourrais être une Liée intéressante pour mes descendants. Mais il faudra pour cela que tu apprennes à ne pas te laisser malmener par des légumes." exprima-t-elle, audible par tous, sur un ton amusé et moqueur.

Nan parce qu'être Lié à une elfette qui se faisait croquer par les carottes, c'était un peu la honte, et les autres dragonnets auraient eu tôt fait d'ennuyer le concerné à ce sujet. Trissi laissa un bref instant son souffle ébouriffer les cheveux d'Enetari, dans un souffle de soin dont elle doutait véritablement de l'utilité, avant de se tourner à nouveau vers Kedrildan. Heureusement, les autres dragons ignoraient cette faiblesse de son dragonnier. Les autres dragons… Moins Vraorg. Un moment la dragonne resta songeuse, muette pour les deux bipèdes qui l'entouraient et piaillaient chacun à leur façon. Au bout d'un moment elle se tourna vers Enetari pour lui proposer d'un ton solennel, audible par Kedrildan s'il le souhaitait:

"- Mon Lié a grande peine, bébé-dragonne. Pour lui remonter le moral… Sauras-tu botter la croupe de quelques moutons pour les attirer jusqu'ici ? En les faisant bêler le plus possible. Je suis sûre qu'il sèchera ses larmes de sang ainsi."

Ou pas. Mais au moins elle aurait eu ce qu'elle voulait, même si de façon détournée. Qui sait, peut-être que cela ferait-il comprendre à son Lié pourquoi et comment une transe pouvait valoir moins qu'un moment passé avec elle.
Mh. À ce sujet, il faudrait qu'elle lui fasse payer un tel affront. Sans doute resterait-elle endormie un jour où il aurait besoin d'elle, le vil godelureau.
Elle pinça ses cheveux du bout du bec, sans tirer. Elle savait que cela devait l'ennuyer.

"- Cesse donc de pleurer, Kedrildan. Tu ne le peux, pas pour si peu. Tu as le devoir et le pouvoir d'être plus fort. Je ne t'ai pas choisi pour que tu défailles au premier de mes sentiments !" C'était un mélange habile d'offuscation consternée et de confiance en lui, transmises pour l'esprit seul du dragonnier. "Regarde donc la belle récompense qui t'attend, si tu fais face à toi-même, si tu restes aussi digne que tu peux l'être, si tu résistes comme tu peux le faire !" Du bout de l'esprit, elle lui présenta l'enfant humain, non-loin d'eux, grignoté par le cheval à rayures. Elle s'était faite mielleuses, caressante.

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{hrp: désolée pour la petite taille ^^'}

-Ce n’est qu’une illusion, belle dragonne. Ainsi que le chat joue avec la souris, j’attendris mes légumes afin de mieux en savourer la chair par la suite.

Non mais, ce n’était pas parce qu’elle était Trissi qu’elle pouvait se moquer ainsi d’Enetari ! Bien que cette dernière l’apprécie et lui voue naturellement une certaine admiration du simple fait de sa race, il n’en demeurait pas moins qu’elle conservait son amour propre et qu’elle ne pouvait tolérer de se laisser moquer de la sorte par l’écailleuse. Regardant le sujet de leur sujet de leur conversation, l’elfette haussa un sourcil. Non mais franchement, qu’est-ce que c’était que ce truc ? Impossible qu’il soit dragonnier ! Il était si minable, si pitoyable, si lamentable, si déplorable, si cultivable, si mangeable, si volable, si… able ! Enfin, si elle-même devenait dragonnière un jour, au moins pourrait-elle remonter le niveau de ces derniers. Pour peu qu’ils ressemblent tous à ce truc et elle n’aurait pas bien de peine à avoir. Enfin… Tandis que Coriya allait tristement courir après l’enfant ‒où était-il passé d’ailleurs celui-ci ?‒ après le rejet de Carotte, la Terendul, debout et poings sur les hanches, observa la dragonne d’un œil sévère.

-Franchement, il est ri-di-cu-le ! Enfin, ca ne donne même pas envie de lui remonter le moral, juste de l’enfoncer un peu plus ! Un vamparotte, ça n’a pas de larmes de sang ! Il gâche toujours tout de toute façon, j’en ai marre ! Il ne veut jamais être un gentil légume obéissant !

Tout en vitupérant, elle se mit à marcher en cercle en levant les bras vers le ciel, dans une posture digne d’une grande comédienne de tragédie. Oui, elle aussi en avait assez ! Ce jouet n’était pas un vrai jouet, c’était n’importe quoi ! Comment osait-il ainsi gacher son jeu ? Il aurait dû être fier et heureux de pouvoir satisfaire une adorable elfette en lui offrant ainsi son corps ! Mais non, il fallait que cela tourne à l’absurde. Grotesque, tout ceci était simplement grotesque ! Plus question qu’elle ne le plante où que ce soit, il contaminerait les bonnes pousses de ses folies et faiblesses !
Bon, enfin s’il n’y avait qu’une chose à faire… Usant de nouveau de son totem, elle disparut en un instant pour réapparaitre au milieu des moutons, partant à la recherche du puant à deux pattes. Il lui suffisait normalement de retrouver sa jument pour avoir la chose qu’elle cherchait ! A moins que… Eh non. Raté. La créature rayée était fortement occupée à tenter de contruire un… barrage ? Elle tentait de ségréger un mouton à cause de la couleur de sa laine ? Mais pourquoi ? Enfin, elle était si mignonne que cela n’avait pas d’importance. De toute façon, ils finiraient tous par mourir un jour prochain, alors autant qu’ils fassent plaisir à ceux dont l’espérance de vie était plus longue. Se détournant avec un sourire attendri, Enetari repartit donc chercher sa proie et parvint, enfin, à l’attraper. Pourquoi diable était-elle partie si loin, franchement ? L’attrapant par la peau des fesses ‒enfin, le pantalon, elle n’avait pas assez de temps pour tenter de lui décoller celle de l’arrière-train pour le trainer par là ensuite‒ elle l’emmena enfin jusqu’à Kedrilan devant lequel elle le laissa tomber, se débattant un moment avec ce sale gamin qui cherchait encore et toujours à s’accrocher à elle. Décidément, il était pire qu’une sangsue enduite de résine. Enfin, elle parvint à s’en dépatouiller tout à fait.

-Bon, je me dois de retourner à mes occupations, car ma présence est indispensable à bien des personnes ! Je vous laisse donc, gracieusement, ce truc ! Voyageuse céleste… elle la salua d’un geste de la main amical : j’espère vous revoir ! Carotte, tu serais gré de bien vouloir faire preuve d’un peu plus de gentillesse, de douceur, d’obéissance et de moins chouiner ! Tu es la honte de toutes les plantes qui te connaissent !

Et, le menton haut, elle grimpa sur sa poney qu’elle avait rappelé entre temps ‒et le mouton maltraité, qu’était-il devenu d’ailleurs ?‒ et disparu à l’horizon, sévère et grandiose cavalière repartant affronter sa destinée. Et voler un morceau de pain, tant qu’à faire.


HRP : une petite conclusion pour moi

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{hrp: conclusion pour moi aussi, à toi Trissi ^^}

Comment se sentait Trissi ? Eh bien… Déçue, lassée, blasée. Elle envisageait sérieusement l'idée de se poser en haut d'une montagne et de bouder le monde entier. À part peut-être les moutons, alias les êtres les plus pertinents de cette mascarade. Plus sérieusement: qui était le grand fou qui avait décidé que les dragons devaient se mêler aux histoires bipèdes ? Qui était l'imbécile qui les avait pointés du doigt en affirmant "nous leur offrons de créer et d'utiliser la magie" ? Qui ? Trissi avait deux mots à lui dire, et deux bons coups de papattes à lui flanquer sur le haut du crâne. Au moins ces maudits tas de chair à deux pattes confirmaient à la dragonne d'argent toutes ses hypothèses quant à la supériorité draconique et son devoir vis-à-vis de ces êtres faibles que l'on avait lié à eux. Etrangement, cela ne lui offrait cette fois-ci aucune satisfaction. Un brin de curiosité en elle se questionna sur un point: pourquoi Vraorg avait-il choisi de les dominer ? Il n'y avait ni mérite ni intérêt à cela ! Encore une marque de la stupidité qui faisait du Blanc un être méprisable malgré l'étendue de ses pouvoirs.

Elle n'avait plus répondu à qui que ce soit, se contentant de jauger vaguement les bipèdes ici présents d'un regard mi-clos, désabusé. Ils piaillaient, ils remuaient… Mais ils ne jouaient pas avec elle. Désespérant. Ils n'étaient pas même capables de se concentrer sur l'essentiel: son amusement. Au lieu de cela ils se tiraient dans les pattes et gâchaient tout. Bref, Trissi ne les aimait plus. Mollement, elle avait levé la tête, la tournant vers quelques moutons qui broutaient non-loin, dans une sagesse que les bipèdes ne pouvaient plus saisir. La dragonne se détourna de ses jouets réfractaires pour se lever d'un mouvement élégant, reptilien, pour s'approcher de deux moutons. Se saisissant de la laine de l'un d'eux du bout du bec, elle essaya de le poser sur le dos de l'autre, après lui avoir soufflé mentalement l'ordre d'immobilité. Il y eut des bêlements protestataires, mais ce fut tout.
Trissi empilait donc les moutons en une sorte de pyramide lorsqu'elle perçut des sons de son Lié dirigés vers elle. Elle ne se tourna pas vers lui, lui demanda de répéter via le Lien. Lorsque ce fut fait, un souffle brûlant sortit des naseaux de la dragonne, menaçant de cuire le mouton qu'elle s'apprêtait à attraper.

"- Kedrildan… Mon tout beau, mon tout doux… Rassure-moi: tu sais que tes prochains trajets, tu les fais à pieds, n'est-ce pas ? Je serai occupée. À dormir, sans doute. Ou à jouer. Rien qui soit compatible avec un voyage, tu comprends ?"

Elle percha un mouton relativement adolescent en haut de sa pyramide. Voilà qui était bien fait ! Autant pour les mouton que pour son Lié. À quoi s'attendait-il ? Ils devaient être là l'un pour l'autre. S'il espérait profiter des avantages du Lien sans ses inconvénients, il pouvait brosser ses si précieux cheveux. Elle le lui ferait sentir aussi fort qu'elle était déçue. Elle le laisserait marcher au moins une journée entière, pour une distance qui, à elle, ne prendrait sans doute qu'une heure de vol, si ce n'était moins. Il râlerait, oh oui ! Mais avec un peu de fermeture d'esprit, cela passerait. Il bouderait, c'était certain. Mais après cela, elle n'aurait qu'à ajouter une petite menace à chacune de ses volontés pour voir son cher dragonnier se blottir contre elle, réclamant son pardon et son amour. Peut-être qu'alors, enfin, il comprendrait qu'il fallait laisser les décisions à la plus pertinente d'eux deux, et ne pas insister lorsqu'elle réclamait qu'une chose ou une autre soit faite.

Les moutons avaient été libérés de leur ordre d'immobilité. Trissi resta auprès d'eux un instant, guettant le moment où ils s'affaleraient à terre. Ce fut le cas, pour quelques-uns… Mais force était de reconnaître que ces bestioles s'en sortaient plutôt bien, relativement prudente. Dépitée, Trissi fit tomber de force quelques moutons. Solitude forcée, échec inavoué… Mieux valait maintenant aller trouver un nouveau terrain de jeu.