29 Mai

Qui était-il ? Que faisait-il ? Que se passait-il ? Les premières questions qu'il se posait pour tout dire en se réveillant, il avait eu mal avant, là il n'avait plus mal, à vrai dire il ne sentait pas grand-chose, il avait l'impression que son esprit était perdu, à la fois là, et absent. Mais seulement au début, puis la douleur revint peu après, mais son esprit n'était pas plus clair pour autant... Lacé entre douleur, et langueur... Il ne savait vraiment plus, ou se repérer.

Il jeta donc à son réveil un léger coup d’œil fugace aux environs avec un certain effort, il ne voyait pas grand choses… Il avait mal, et du mal à ouvrir les yeux, et les formes étaient assez troubles… Il avait l'impression d'être perdu dans un rêve, comment était-il arrivé là ? Il ne savait pas vraiment… Il se rappelait de ce qu'il y avait avant… son enfance, il se rappelait de cela, à ce qu'il donnerait pour revenir à cette époque bénie! Oui le travail à la ferme était fatiguant à sa façon, mais les choses étaient plus simples à l'époque, et lui plus insouciant… Son père… Oui son père qu'il n'avait pas revu depuis si longtemps pour tout dire, il s'en rappelait encore, et cette femme...

Cette femme penché sur lui qui semblait triste ? Désespéré ? Il ne savait pas vraiment, il ne voyait pas très bien… Elle avait un air familier, il l'avait déjà vu avant, mais il ne la discernait pas vraiment, quelqu'un de familier ? Est-ce que c'était elle ? Pensa t-il avec une certaine nostalgie...

« Maman ? C'est toi maman ? » Dit-il d'un ton presque absent alors qu'il regardait Aléria.

Il ne l'avait pourtant pas vraiment connu, un souvenir éphémère après sa naissance, alors qu'il était encore trop jeune, mais pourtant c'est à elle qu'il pensait. Susanne sa mère… Était-ce sa mère qui était penché au dessus de lui ? Était-ce un rêve qu'il vivait là ? Non, c'était peut-être la réalité… La mort de sa mère, tout ce qui était arrivé depuis que ce soit à lui, et au continent tout cela n'avait été qu'un horrible cauchemar, un rêve d'enfant pensa t-il… Oh il n'en savait trop rien, et c'est que son esprit pensait à son instant vu qu'il était encore peu lucide, mais… Pourquoi avait-il donc si mal ?

"Tu.. Maman..." Dit t-il ensuite... "Pourquoi j'ai si mal...?" Acheva t-il triste...

Plusieurs jours durant, ils avaient marché. Le moins que l'on puisse dire était que Dawan n'avait pas été une compagnie particulièrement agréable.
Muet. Il était resté totalement muet. Sa vièle seule avait parlé, mais uniquement lorsqu'il avait pu s'éloigner de ce petit groupe qu'il suivait, qui le ramenait vers le protectorat. Muet et lointain, distant, paraissant ne pas vraiment s'intéresser à ce qui l'entourait. Dans les faits, il avait toujours une oreille pour ce monde, répondait toujours quand on lui parlait. Mais point de bavardages enjoués comme cela était son habitude. Ses questionnements restaient intérieurs, secrets. Il n'était pas difficile de deviner que c'étaient les affrontements qui lui avaient fait cet effet. Etrange, néanmoins… Les précédents ne lui avaient pas fait cet effet.
Il paraissait distant, mais pas forcément triste. Il souriait à qui lui parlait. Mais il n'allait pas vers les gens. Il mangeait très peu. Il allait encore perdre du poids. Son totem devait apprécier qu'il se rapproche ainsi des oiseaux. Son corps devait moins apprécier de perdre les réserves qu'il possédait. Il jouait parfois avec le serval qui l'accompagnait, veillait sur lui avec plus d'assiduité encore que si ç'avait été son enfant. Il dormait peu. Il regardait régulièrement derrière lui, ou vers le ciel. Il était inquiet.

Une journée durant, il avait marché. Seul, séparé du groupe, avec pour compagnons uniques le serval, et Shi'Ry, la sombre monture, l'amie équine. Aléria était venue à lui, une nuit sans sommeil, une nuit où sa vièle pleurait dans le silence sous la caresse de l'archet. Elle était venue, et elle lui avait demandé de la rejoindre. Nul besoin n'était d'implorer. Il la rejoindrait. Dusse-t-il y mettre ses jours en danger. Elle avait affirmé peiner à soigner Alford. Il n'était pas Cawr, mais il était là. Il ferait de son mieux. Il s'était excusé auprès de son groupe de leur faire perdre un soigneur, et était parti. Sans armes, sans défense autre que sa magie. Le danger lui paraissait ne plus exister depuis cette bataille. Il ne parvenait plus à avoir peur, à avoir ces craintes latentes qu'étaient l'instinct de survie et la prudence.

La deuxième journée était bien entamée lorsqu'il distingua au loin le petit campement. Enfin, bien avancée… Façon de parler. L'impression venait du fait qu'il s'était levé beaucoup, beaucoup trop tôt. Au milieu de la nuit. Comme ses amis paraissaient également éveillés, ils avaient profité de la fraîcheur de ces heures, se promettant qu'ils dormiraient à un autre instant. Shi'Ry les avait guidés, comme si elle avait mieux compris que son cavalier la direction indiquée par Aléria, lors de son apparition.
La nécessité, le sentiment qui venait lorsque sa place était à un endroit précis, portaient le petit elfe, mieux que ses jambes. Il avait perdu l'entrain naturel, l'espoir et l'engouement qui en temps normal créaient l'énergie qui coulaient dans ses veines. Au fond de lui, il le savait: sa nature, et son devoir, son rôle, le pousseraient à mettre tout dans un coin de son esprit, sourire à nouveau. Ce n'était qu'une question de temps. Mais un temps qui paraissait s'éterniser. Un temps bien désagréable, qui l'accablait. Et il le sentait: en lui se créaient des plaies qui ne cicatriseraient jamais totalement.

Léger déplacement de cheville, Shi'Ry parcourut les derniers mètres au galop. Finalement, Dawan s'arrêta à sa hauteur, se glissa à terre d'un mouvement agile, et atterrit sans produire le son que faisaient les humains normalement, quand leur poids s'opposait à la terre. Malgré le ruisseau boueux non-loin, Aléria avait su trouver un endroit relativement sec pour s'occuper d'Alford. L'Enwr tituba un bref instant, troublé par la station debout après tant de temps en hauteur, assis. Son regard et ses oreilles parcoururent les environs, vérifièrent derrière lui, vérifièrent la présence du serval. Il n'affichait aucune expression, et ses yeux gris paraissaient vitreux. Il se dirigea mécaniquement vers la Cawr. Heureux de la revoir, sans parvenir à sentir l'émotion faire vibrer son coeur comme elle le faisait en temps normal. Il lui offrit le salut habituel entre Enwr et Cawr, se tourna vers Alford. Il l'entendit appeler la Cawr "maman". C'était… Douloureux. Et émouvant. Dawan brida davantage son coeur. Se faisant, il fut certain d'une chose: soigner cet homme, ce serait se libérer, d'une certaine façon.
S'agenouillant auprès de lui, il mit ses mains au-dessus de sa tête, l'inspicio montant doucement depuis sa gorge, bien décidé à observer toutes les lésions qui se trouvaient en lui, prêt à embrayer directement sur le chant de soin.

Combien de temps avait-elle marché pour arriver ici, et comment était-elle arrivée ici d’ailleurs? Plusieurs questions traversaient l’esprit de la baptistrelle en permanence, presque de manière intermittente. Elle s’était surprise à se retrouver marchant simplement près du ruisseau et n’ayant absolument aucun souvenirs des dernières minutes, puis dans la tente, et même couchée. À vrai dire, cela arrivait tout le temps, et plus les incidents se faisaient nombreux, plus elle avait du mal à écouter la petite voix qui lui disait que tout allait bien aller, qu’il n’y avait aucun problèmes, que des solutions. Et elle était en présence de cet homme qu’elle ne connaissait pas, ou peu. Elle savait qu’il avait tenté de la tuer, mais quelque chose lui disait qu’elle devait l’aider. Après tout, elle l’avait emmené jusque-là, peut-être souffrait-elle de troubles de mémoires et ne se rappelait pas de la raison de cette présence, mais ce devait être important…Et elle n’était pas du genre à laisser un homme à son triste sort par indifférence, ou parce qu’elle faisait partie d’un camp ou d’un autre. C’est ce qui conservait sa neutralité politique malgré son statut de protégé.

Le plus inquiétant était lorsque ses pouvoirs cessaient de fonctionner…et leur retour intermittent allumait un faux espoir dévorant en son cœur. Elle avait peur, peur d’être en train de les perdre, peur de devenir sourde aux vibrations du monde, et à son élément qu’elle chérissait. Et elle avait peur que cet homme meurt, elle ne voulait pas se retrouver avec un cadavre dans les bras ou sur la conscience…parce qu’elle se sentait en quelques sortes responsable de lui. Aléria avait réussi à lire son chant nom, et à déceler son nom lorsque la magie lui avait permise pour un court moment. Alford. Alors elle l’appelait par son prénom, et parlait, et parlait, en espérant qu’il lui réponde. Mais le pauvre délirait d’une blessure qui ne voulait pas cicatriser et qui s’infectait.

Elle avait besoin d’aide. C’est ce qu’elle avait dit à Dawan…Elle ne savait pas s’il avait entendu l’Entièreté de son message, mais elle espérait fortement qu’il ferait le lien entre sa disparition et l’image de son corps tâché de sang dans sa projection astrale. Elle l’avait donc attendu…

Un moment où elle sentit la magie revenir, elle s’était empressée de rejoindre Alford qui marmonnait un peu n’importe quoi. Elle sourit, elle, mère, cela ne risquait pas d’arriver bientôt, mais c’était une idée réconfortante.

-Je n’ai pas l’âge d’être votre mère Alford…

L’humour n’atteindrait probablement pas le cerveau du soldat, mais ce n’était pas grave. La Chanteciel fut surprise lorsqu’elle vit quelqu’un entrer dans la tête, ne s’attendant pas à une visite, sa main se dirigea vers sa mandoline dont elle ne joua pas note en réalisant qui venait d’arriver. Elle était heureuse de le voir, et surtout rassurée. Le Enwr s’agenouilla afin d’exécuter un sort qu’elle connaissait.

-Connaissez-vous cet homme Dawan?

La Chanteciel porta un regard vers Alford avant de passer un linge sur son front.

-J’ai bien peur que sa plaie soit infectée…Je ne sais pas si j’arriverai à le sauver…

Hum elle avait dit quoi ? Quelque chose avec âge… Il n'avait pas très bien entendu, mais en essayant de comprendre, et après avoir cru comprendre il marmonna. « Qu'importe ton âge maman, pour moi tu restera magnifique même quand tu aura des cheveux blanc... » Marmonna t-il à vrai dire, voir sa mère qu'il n'avait jamais vraiment vu en faîte serait déjà en soit assez beau alors pourquoi se préoccuper de l'âge de cette dernière ?

Enfin la chose le faisait sourire, il avait mal, mais il souriait, c'était réconfortant, tout allait bien se passer pensa t-il… Mais pourquoi avait-il si mal ? Non sa mère était là tout allait bien se passer pensa t-il en se rassurant, ce n'était pas le rôle des mères de protéger leur fil après tout ? Il n'en savait rien à vrai dire, mais il était heureux de la voir, il voulait la serrer dans ses bras, mais il ne pouvait pas au fond...

Puis quelqu'un arriva peu après, et en voyant la personne arriver, Alford marmonna en voyant ce dernier.

« Papa ? Est-ce que c'est toi ? Quoique… Maman… J'ai un frère ? » Demanda t-il en voyant l'autre, du peu que lui laissait voir sa vision troublait l'autre était plutôt jeune donc évidemment pas son père. Néanmoins une question vint dans la tête d'Alford assez rapidement.

« Où est mon père ? Où il est ? Père… Où êtes vous… » Marmonna t-il ensuite, de plus en plus triste, oui son père. Cet homme admirable, en tout cas selon lui. Pourquoi n'était-il pas là ?

Puis une pensée lui vint en tête au bout d'un moment, une pensée totalement illogique, et qui allait à l'encontre de ce qu'on lui avait apprit depuis qu'il était petit, mais dans son état de délire ça avait quasiment tout son sens.

« Est-ce que c'est… Je suis mort ? Est-ce que c'est à ça que ça ressemble quand on rejoint Mort ? » Acheva t-il ensuite pensif… Après tout il se rappelait, oui sa mère était morte… Il était mort ? Mais il aurait cru que ça aurait été différent, quoique les choses qu'il avait entendu sur son enfance sur le destin de l'âme après la mort, et la réincarnations il ne les avait pas trop à l'esprit en cet instant… En somme il n'était pas vraiment en état de réfléchir à cela au fond.

« Je peux pas mourir, je dois pas mourir, je veux pas mourir, pas maintenant... » Marmonna t-il ensuite. Alors que cette pensée hantait ses esprits, et qu'il s'agitait intérieurement, il tenta de se mouvoir, et de ramper au sol...

Le temps était venu, le Contrat arrivait à son terme et il devenait de plus en plus douloureux pour elle de le garder. A chaque jour qui passait il la brûlait de plus en plus férocement, aspirant implacablement le peu de forces que Vraorg lui avait laissé et aggravant le risque qu'elle finisse par faire une erreur quelconque qui permettrait à ses Frères de découvrir que, depuis le début, c'était elle la gardienne du Contrat Originel. Et quoi de plus normal d'ailleurs ? C'était-elle pas l'Aînée ?

Comme tout Esprit, elle éprouvait des difficulté à prendre la mesure du temps écoulé et plus encore à cerner l'idée de l'expiration d'un quelconque délai. Les Esprits étaient infinis non ? Immortels ? A eux tous ses frères avaient le contrôle sur le facteur temps, et elle même était le Néant. Autant dire qu'elle éprouvait donc toutes les peines du monde à appréhender cette tranchante vérité : la fin approchait. Pour elle comme pour ses frères.

Recroquevillée sur elle même dans cette lugubre souffrance que Vraorg lui avait infligée depuis le vol de son coeur, elle tentait de se remémorer l'instant trouble de sa naissance. Celui où, pour une raison inconnue, elle avait cessé d'être un simple phénomène physique pour devenir un peu plus et s'éveiller à la conscience. Les Armandéens confondaient souvent le moment de la Création avec l'instant zéro, celui de la naissance du monde. Mais ils se trompaient. L'instant zéro c'était leur naissance à eux tous, Néant, Océan, et les autres. Hé quoi, ils étaient bien venus de quelque part non ? Hélas sa mémoire pourtant infaillible sur tout le reste demeurait flou sur cet événement. Elle se souvenait de bien peu de choses en vérité...

La conscience avant tout... Elle s'était éveillée au coeur du Néant et celle-ci avait alors comprit qu'elle était un peu plus qu'une simple série de lois physiques. Puis ses frères... Sans corps dans un premier temps, ils n'en étaient pas moins nés et s'étaient pressés autour d'elle, impuissants, effrayés... Bien loin de l'image de totale suprématie qu'ils donnaient maintenant. Ils n'étaient pas encore des Créateurs, ils venaient juste d'être créés. Par qui ? Pourquoi ? L'Esprit du Néant ne s'en souvenait pas, elle n'était même pas sure d'avoir déjà vu son ou ses Créateurs. Alors elle l'appelait l'Origine (ou les Origines? Comment savoir après tout si ils n'étaient pas plusieurs ?) et presque aussitôt le souvenir du contrat qui leur avait été imposé lui revenait en mémoire. Un souvenir clair cette fois, net et brûlant comme la glace que l'on impose cruellement à une peau dénudée. Un souvenir douloureux et rouge comme... Le sang ?

Comment donc un sang rouge avait-il pu se retrouver sur un contrat signé bien avant la Création des hommes et de leurs compères bipèdes ? Comment pouvaient-ils y être pour quelque chose alors qu'ils n'existaient pas encore ? Néant l'ignorait et ne voulait même pas le savoir, l'important c'était que ce Contrat avait été signé et que ses termes étaient clairs. Elle pouvait les citer de mémoire :

"Pour 100 000 millénaires, nous accordons à ces Esprits le pouvoir et la sagesse suprême. Ils créeront, détruiront, façonneront... La Conscience que nous leur offrons, ils la transmettront à leur tour et leur Création sera leur grande Oeuvre jusqu'à l'heure de l'expiration de ce Contrat.
Alors, et alors seulement, ce que nous avons offert sera retiré. Le choix n'appartiendra plus aux Esprits mais à leurs Créatures. Un choix de sang."

C'était l'introduction du contrat, un début qui n'augurait rien de bon et pour connaître tout aussi bien la suite Néant savait qu'elle n'était pas beaucoup plus réjouissante. De quoi expliquer la colère d'Océan et l'acceptation résignée de Mort, de quoi la perdre aussi. Quel camp devait-elle véritablement choisir ? Elle ne le savait toujours pas mais elle ne pouvait plus attendre. Si elle tardait encore alors l'un de ses frères s'en emparerait et tout choix lui serait définitivement retiré à elle et aussi aux Armandéens. Elle ne pouvait le permettre, elle avait donné sa parole presque 100 000 millénaires plus tôt. Alors elle se décida enfin à agir, et pour peut-être la toute dernière fois, elle reprit son enveloppe mortelle.


"Je vais vous aider, mortels. Parce que cet humain m'appartient."

Elle s'était matérialisée doucement derrière eux sans qu'ils ne puissent ressentir la moindre fluctuation magique ni le moindre bruit. Elle comprit donc très bien leur surprise et leur frayeur mais elle n'avait pas l'énergie de s'en amuser ou de s'en irriter. Elle était faible. Désespèrement faible car Vraorg lui avait prit son coeur et il y avait déjà bien longtemps qu'elle se mourrait. Cette matérialisation la condamnait, elle savait qu'elle n'aurait plus la force de rejoindre le plan astral et que Vraorg serait bientôt conscient de sa présence en ce monde. Il viendrait achever le travail mais il arriverait trop tard, bien trop tard. Pauvre Créature inconsciente qu'il était... Il n'avait aucune idée de ce qui était en train de se jouer. Lui qui se prenait pour un Esprit, il n'avait jamais rien compris.

Sans paraître prêter une véritable attention à l'elfe et à la femme, elle baissa le regard sur la créature frustre qui se mourrait ici. Sa blessure était profonde, mortelle, pleine de la rage vengeresse de l'homme qui l'avait infligée. Bien... Par son acte d'obéissance aveugle, Alford avait lié profondément son destin à celui de Néant. Il lui appartenait oui... Il était son Héraut. Mais elle lui appartenait aussi quelque part, car il deviendrait son protecteur. Avec une tendresse surprenante, elle pencha vers lui son visage parfait et indiciblement triste afin de lui offrir un murmure :

"Je te remercie pour ce que tu m'as offert, créature mortelle. Et je te prie de me pardonner de t'infliger une telle chose tout en sachant à quel point tu es inconscient de la valeur de ce que tu m'as innocemment donné. Tu ne va pas mourir, et j'en suis désolée."

Son coeur absent ne lui permettait en général pas vraiment de l'être, mais cette fois la culpabilité était telle qu'elle ne pouvait s'y soustraire. D'ailleurs elle ne le cherchait pas. Elle allait faire quelque chose d'ignoble.

"A toi, fragment de la Création, j'offre le Contrat Originel et j'ordonne à ton corps, à ton sang, et à ton âme d'en être les Gardiens jusqu'à ce qu'ils soient consumés ou bien jusqu'à ce que les anciens mots n'aient plus de raison d'être. En ce jour Alford Gorder, pour ton malheur et ta survie je t'efface. Que l'eau, les flammes, l'air, le vent et le végétal t'oublient. Que la vie et la mort passent sur toi sans te voir et que tu ne sois plus rien. Rien que le vide. Rien que le néant. Que tu ne sois plus que fuite éperdue et course sans fin. Je t'ordonne de disparaître Alford. Je t'ordonne la fuite. Je t'interdis de vivre et je t'ordonne de survivre."

Brutalement et sans plus aucune trace de la moindre douceur, elle apposa ses mains sur la peau du blessé qui convulsa presque aussitôt. Elle qui avait promit d'aider les deux autres semblaient bien sur le point de plutôt tuer leur protégé et d'ailleurs elle haussa la voix dans l'urgence :

"Si vous ne le soignez pas maintenant, il mourra."

Ainsi donc ils n'eurent pas d'autre choix que d'intervenir, poussé et forcé par l'Aînée qui ne leur avait donné aucune explication à ses gestes. Elle les aida cette fois sans retenue, usant sans s'en préoccuper une bonne partie de l'énergie qu'elle possédait encore. La magie et le Néant... Il y avait bien longtemps qu'ils n'avaient pas cohabité ainsi et ça avait un prix qu'elle paya aussitôt qu'Alford fut mis hors de danger. Elle s'en éloigna alors de quelques pas, s'affaissant doucement, sa peau déjà pâle devenant presque translucide tandis que l'aura lumineuse des Esprits baissait en intensité autour d'elle. Même les veinules dorées qui striaient sa peau semblèrent devenir moins vives. Elle posa la main sur sa poitrine comme pour y sentir un bruit depuis longtemps absent puis elle tenta de leur sourire :

"Ne craignez rien, je ne vais pas encore m'écrouler."

Non loin, Alford s'agitait. Après un tel traitement de choc il serait bientôt sur pied. Bien... Rien ne pouvait être aussi important que cela. Rassurée sur ce point, elle avait désormais du temps devant elle et aucune raison de ne pas apporter quelques réponses à ces trois là. C'est donc sereine qu'elle reporta son regard d'abord sur l'elfe, puis sur l'humaine. Les transperçant de la sagacité extraordinaire de son regard.

Un bref signe de tête, affirmatif. Il le connaissait, du temps où il avait été à Gloria. Alford Gorder. L'humain qui l'avait accueilli, de façon plus que correct au su des circonstances de ces temps-là. Alford Gorder, et la foule de Gloria qui venait assister à une exécution. Le bourreau de Fabius. Beaucoup de sang sur les mains. Mais Dawan l'appréciait. Il était gentil, en dehors de son "travail". La suite des événements ne leur avait que peu permis de se fréquenter, cependant, et il n'aurait pas prétendu le connaître plus que cela. À l'oral, il aurait été plus précis, affirmant qu'il avait pu le rencontrer sans être un de ses proches…

Mais pas question de parler pour l'instant. Ses lèvres remuaient doucement, mais les gestes paraissaient inconscients. Un sort dont il avait beaucoup trop eu l'habitude, qu'il ne se sentait presque plus chanter. Les sons qui lui échappaient n'avaient, pour lui, rien de paroles, sans quoi il ne les aurait émis. Ses mains se déplaçaient avec une grande lenteur au-dessus d'Alford, jugeant chaque plaie, observant les détails. Les yeux fermés, il crut percevoir via le sensible retour de la magie, picotements dans ses mains et son esprit, les blessures de la bataille des marais sanglants, et celles qui étaient antérieures. Du travail, beaucoup de travail, et… Une ligne soucieuse se glissa entre les sourcils de Dawan. Ses grands yeux gris se posèrent sur Aléria, avec suffisamment d'insistance pour qu'elle puisse comprendre que sa remarque l'inquiétait. Elle, Aléria Blanchécume, maîtresse baptistrelle sous le regard des étoiles, spécialisée en soins du corps et de l'âme… Inquiète pour des plaies infectées ? Par les Huit, Dawan peinait à y croire. Même lui qui n'était pas à la moitié de son apprentissage soignait ce genre de plaies sans plus de difficultés. Et encore: celles-ci avaient plusieurs jours, mais Aléria était auprès d'Alford depuis quelques temps. Son état devait s'être aggravé… Pourquoi n'avait-elle pas agi plus tôt ? Double clignement des yeux. Non, cette humaine-là avait l'alignement qu'il attendait d'Aléria, ce ne pouvait être un leurre. Tant pis, alors, s'il ne comprenait pas, et s'il ne savait pas encore les raisons, sans doute très pertinentes, qui avaient mené la Cawr. Il comprendrait plus tard. L'heure était au soin.

La voix de l'humain, seule, parvint à détourner son attention de cet étrange état de fait. Détourné de son objectif, il avait abaissé ses barrières, et les mots le touchèrent à nouveau. Lui, père… Non. Hélas. En revanche, le mot "frère" lui fit un tout autre effet, hâlant son visage de tristesse. Il s'accrochait à lui, s'accrochait à un hypothétique lien, et ce malgré les différences physiques évidentes qui indiquaient qu'il n'en était rien. La couleur des cheveux, les oreilles, la pilosité, les yeux… Tout les différenciait. Mais il cherchait. Il cherchait sa famille, il cherchait ceux qui avaient pu l'aimer, le réconforter et le soutenir, si l'on en croyait le son de sa voix. Dawan essaya de faire fi de cette dernière, reprenant l'inspicio. Cela ne dura pas longtemps. Sa concentration se brisa comme un bois trop sec aux premiers mouvements de l'humain. Ses mains vinrent alors se poser sur ses épaules, pour l'arrêter, puis sur ses bras, pour le rassurer. Pas besoin de lire dans les chants-noms pour sentir la peur de cet homme. Et Dawan… Dawan n'était qu'un sentimental. Il ne pouvait passer à côté.
Dans ces moments-là, les Hommes n'avaient pas besoin de raison, d'arguments construits. Pas besoin de mensonges ni de vérité. Ils avaient besoin de ce qui les rassurait. La chaleur, souvent. La chaleur des Leurs… La main de Dawan vint prendre la sienne, un bref instant. Il lui murmura une comptine humaine, peut-être une berceuse, il ne se souvenait plus. Une chanson qui disait de ne pas s'inquiéter, qui assurait que les êtres chers n'étaient jamais loin tant qu'on les portait dans son coeur. Sa voix manqua plusieurs fois de se briser, alors qu'il redécouvrait ces mots qu'il n'avait pas prononcés depuis si longtemps. Sa main serra un peu plus fort celle d'Alford.

"- Mais si tu penses à moi, alors je suis dans ton coeur.
Je veillerai sur toi, j'apaiserai tes peurs…"

Il forçait un peu son sourire, pour qu'au moins Alford ait l'impression de voir un visage amical. Petit à petit, Dawan changea la comptine pour le chant d'inspicio. Là, voyait-il que c'étaient deux mêmes choses, deux mêmes intentions, deux mêmes étreintes de frères de misère ? Ses doigts passèrent au-dessus des yeux de son patient, pour l'inciter à les fermer. Il reprit là où il s'était arrêté. Un bref regard à Aléria: si elle pouvait l'aider à maintenir l'humain apaisé, cela l'arrangerait, puisque visiblement elle ne pouvait participer aux soins.
L'inspicio était presque fini quand une voix semblable à nulle autre jailli soudain, rompant trop brusquement le chant, le ponctuant d'une sorte de couinement de surprise et d'un sursaut. En revanche lorsque, se retournant, Dawan vit la silhouette de l'Esprit Supérieur, il n'en ressentit nulle surprise, comme si c'était évident. Nul bruit n'avait averti son arrivée, mais sa voix, aux oreilles de l'Enwr, portait un signe distinctif, une résonance particulière qui la désignait mieux encore que son nom. Une résonance qui lui en rappelait une autre, pourtant différente. Néant.

Le jeune elfe resta immobile, ses prunelles d'anthracite rivées sur cette apparition inespérée. Celle dont on avait dérobé le coeur… Oh. Il se sentait heureux, bien sûr, de constater qu'il lui restait cette force. En plus de son bonheur, il ne pouvait que constater qu'effectivement, les chants Alayiens avaient raison sur un point. Elle était magnifique. Différemment de Vie, mais magnifique au point d'en saisir le coeur de ses mortels observateurs, faibles créatures qu'ils étaient, trop usés à s'émerveiller de la poussière.
La tristesse qu'elle affichait avait de quoi briser les sentiments. Sur un autre être, Dawan se serait précipité pour proposer son aide. Mais Néant… Il n'osait l'approcher. Tant par crainte de lui infliger plus de mal que de bien que par une sorte de barrière intangible de fascination et d'adoration inhérente à leurs conditions respectives. L'envie ne manquait pas, pourtant, de tendre les doigts vers elle et apprécier le matériau dont étaient faits les Esprits, qui devait être beau et doux à constituer une raison de vivre. L'envie ne manquait pas non plus de se jeter sur elle pour l'étreindre et lui dire qu'ils allaient tout faire pour l'aider, pour que cessent les souffrances, et que ses forces lui reviennent. Ses muscles ne répondaient pas, Dracos merci, à ces rêveries. Il ne put alors qu'être témoin, immobile, de l'unique instant qui se déroulait sous ses yeux.

Et cet homme dont il ne savait rien, qu'il s'apprêtait à soigner comme le bien infini qu'était chaque être vivant, paraissait étroitement Lié à Néant. Il lui avait offert quelque chose… Etait-ce du sang ? Est-ce que le rôle d'Alford auprès de Fabius aurait pu n'être qu'un masque pour celui que Néant lui avait imposé ? La voix du mercenaire revint à sa mémoire, gênée, expliquant qu'il était le même Alford dont Aigue-Royale avait parlé à Dawan, mais au destin compliqué et involontaire. Des ficelles invisibles se tiraient partout en ce bas-monde, l'Enwr eut l'impression d'effleurer la surface d'une vague quand tout l'océan vivait par-delà son toucher. Sa réaction ? Vouloir plonger. Ses doigts pianotèrent nerveusement sur l'herbe, en une mélodie presque silencieuse. Un moyen pour lui d'occuper ses doigts et cette partie de son esprit qui avait besoin de bouger, pour mieux se concentrer.
Les yeux arrondis de stupeur il entendit ces mots qu'il ne comprenait pas, ou ne voulait pas comprendre. Que faisait-elle de cet humain qui l'avait, visiblement, servie ? Avant qu'il puisse avoir quelque autre élément de réponse, il vit Alford convulser, et la panique gagna son corps de petit soigneur. Il se rapprocha à nouveau de ce blessé pour qui il avait voyagé, et lui offrit sans plus de retenue et sans plus réfléchir sa voix et sa magie. Les énergies combinées de la Cawr, de l'Esprit et de l'apprenti firent leur office à grande allure, si bien que Dawan craignit que son action ne soit qu'un frein. Il sentait les blessures qui se purifiaient et se refermaient, et croyait percevoir l'écho de la magie hors du commun qui s'exerçait à ses côtés. Néant, magie… Deux mots qu'il avait cru jusqu'alors antinomiques, qu'il voyait désormais côte-à-côte. Qu'en penser ? Que croire ? Croire au soin, et à Alford. Pour le moment, c'était le principal.

Cet acte terminé, il tut sa voix, constatant que ses mains avaient repris celle d'Alford durant le chant. Il ne la lâcha pas. Sans doute l'humain apprécierait-il de sentir de façon plus prononcée que quelqu'un restait à ses côtés. Son attention se tourna de nouveau vers cette voix hors du commun, et qui lui paraissait affaiblie. Il la dévisageait comme on dévisage une oeuvre d'art, sans se soucier de ce que cette dernière pensera d'un tel regard. Pouvait-il seulement en être autrement ? Oui. Un tel regard, auprès d'un être mortel, il l'aurait fait cesser, par souci de respect, sachant que ces derniers ne l'appréciaient pas. Auprès de cette être supérieure, il n'y parvenait. C'était plus fort que lui. Et son regard suivait les courbes du visage, des cheveux, des mains de Néant, alors qu'il rompait le silence, de sa voix aiguë qui paraissait porter cette fois-ci l'innocence enfantine de celui qui ignore trop de choses.

"- J'aurais apprécié que vous ne risquiez pas de vous écrouler."

Et si cela pouvait paraitre pour de la franche insolence, un affront sacrilège, c'était tout autre chose dans la gorge et l'esprit de l'Enwr. C'était une marque de soutien elfique, ce peuple fait de magie, cet opposé désormais allié. Il voulait le lui signifier, lui témoigner que là où elle aurait pu penser ne pas avoir d'appui, il y en avait. Au fond, l'unique raison qui l'avait empêché de la prier était la crainte qu'il avait eu de la blesser. Cette phrase qui, prononcée par un autre, aurait pu sembler remontrance et reproche, était de ses lèvres une véritable déclaration d'amitié.

"- Néant, que va-t-il advenir d'Alford Gorder ? Ne pouvons-nous savoir, nous qui n'en sommes gardiens, la nature du contrat que vous lui avez confiée ? Vos frères, le connaissent-ils..?"

Ses seules questions portaient avec elles des excuses. Il lui adressait la parole sans qu'elle la lui ait donnée, lui, petit être sans mérite. Il lui adressait la parole et il osait quémander ce qu'elle n'avait pas offert d'elle-même. Il pouvait, en effet, prendre cette voix d'enfant pris en faute involontaire.

La chanteciel fronça les sourcils d’inquiétude, hormis le fait que Dawan connaissait Alford, il refusait toujours de prononcer un seul mot…Le dernier qu’il lui avait dit avait été ‘’Arbalète’’. Elle admirait cette capacité de Dawan de faire fi des alliés, des ennemis, des actes posés par le passé et de simplement aider ceux qui l’entouraient, sans poser de question. Mais elle s’inquiétait de son silence, comme s’il ne s’agissait pas de cesser de parler par non nécessité des mots, il avait arrêté depuis qu’il savait que la bataille approchait. Aléria voulait trouver remède à ce mutisme, mais comment comprendre quelqu’un qui ne pouvait expliquer? La scène avait quelque chose de triste, et de touchant, elle ne savait trop qui Alford complimentait, mais elle appréciait simplement ces paroles gentilles qui auraient dû s’adresser à sa mère. Cette femme était chanceuse, elle aurait voulu lui dire, et lui dire les paroles qu’elle entendait, pour faire sourire quelqu’un en ce bas monde.

La baptistrelle acheva les inquiétudes du souffrant d’un ‘’shhh’’ qui accompagnait le mouvement suffisant de l’enwr. La Chanteciel sourit doucement au jeune elfe afin de tenter de le rassurer. La baptistrelle laissa sa main caresser les cheveux de l’enwr avant de tomber sur son épaule, elle voulait lui insuffler l’idée de penser à son propre état avant de se surmener, mais elle ne savait pas s’il comprendrait par un simple regard inquiété. Elle le laissa ensuite aux sorts qu’elle n’arrivait plus à utiliser ou au moins que quelques fois. Elle comprit toutefois le regard de l’elfe et passa sa main dans les cheveux d’Alford, répétant le mouvement en venant quelques fois essuyer son front. Mais le chant qui servait à la fois de berceuse et d’incantation fut rompu par un élément inattendu. La Chanteciel resta silencieuse, observant avec des yeux curieux ce qui lui semblait être une bonne raison pour ne pas parler. Et doucement, elle recommençait à entendre, les vibrations, les mélodies, les chants, les étoiles. Assez pour la rassurer, lui faire croire que ce qui se passait sous ses yeux ne devait pas l’empêcher de garder son calme. Et Aléria eu réponse à la question qui lui brûlait les lèvres dans l’incantation de l’entité, Néant…Elle-même? La question n’était pas comment mais surtout pourquoi? Et quelle importance avait Alford à ses yeux pour qu’elle aille jusqu’à se matérialiser afin de le sauver? La Chanteciel s’unit à l’Enwr afin de guérir rapidement l’homme en danger, et Aléria n’avait pas envie de déplaire à un esprit, sur le coup le ton de sa voix s’était fait intimidante, et imposante. Mais la magie étant revenue en elle, guérir cet homme n’était plus une question de travail sous pression. L’humaine se sentit dans l’urgence de prendre la tête de l’homme entre ses mains avant de la déposer sur ses cuisses, elle ne voulait pas voir tous ces efforts gâchés à cause d’une tête bêtement cognée au sol dans une convulsion possible. Elle ne comprenait toujours pas tout à fait ce qui venait de se passer, mais Dawan, par le Dracos merci avait enfin ouvert la bouche pour autre chose qu’une chanson ou un sort, résumait ses questionnements. Les yeux indécis entre l’elfe et l’esprit supérieur, Aléria osa prononcer une question après celle de Dawan.

-Que vient-il de se passer? Pourquoi avoir offert ce contrat à Alford?
…Pouvons-nous vous venir en aide?

Elle voulait surtout savoir si, forcément il y avait un problème, il y avait aussi moyen de le régler.

Alford vivrait, il n'aurait pu en être autrement de toutes façons car elle ne l'aurait pas permis. Il était trop important à présent, trop central dans le drame qui allait se jouer. Le tout dernier drame d'Armanda, le plus important de tous et le seul qui concernerait véritablement et entièrement les Esprits. C'était étrange que de se dire que l'avenir des Supérieurs était désormais étroitement lié à celui de leurs créatures... Comme si après tant de milliers d'années ils récoltaient enfin les fruits de ce qu'ils avaient semés. Seraient-ils doux ou amers ? Revigorants ou foudroyants ? L'avenir seul le dirait et nul ne pouvait plus désormais le lire, même à partir du plan astral. Au final Néant n'y perdait pas tant que ça en s'incarnant, de toutes façons tout allait de travers aussi bien ici que là bas alors autant se matérialiser là où elle pouvait agir.

"- J'aurais apprécié que vous ne risquiez pas de vous écrouler."

Les mots résonnèrent, passant sur elle comme un souffle sans qu'elle ne semble s'en apercevoir. En fait il lui fallu un petit temps pour comprendre que c'était bien à elle qu'on s'adressait. Elle entendait tant de voix de là haut, tant de prières... Il lui fallait à présent réapprendre à concentrer son attention sur l'instant présent et sur ses interlocuteurs directs plutôt que sur l'avenir et sur un peuple en général. L'adaptation était toujours difficile, surtout lorsqu'il s'agissait de se réincarner pour une longue durée ou dans son cas, pour de bon. Les limitations irritantes de son enveloppe mortelle la gênait déjà, accentuant encore sa sensation de faiblesse et le vide affreux qu'elle ressentait au niveau de sa poitrine. Une fois de plus, elle dû faire un effort pour recentrer son attention et poser son profond regard sur l'apprenti baptistrel tandis qu'il parlait encore. Des questions... Légitimes. Oui il pouvait savoir. Il devait savoir même. Mais il n'était pas facile de tout lui dévoiler, il n'était pas facile de confier ses secrets les plus précieux quand bien même on était un Esprit. C'est finalement la voix de la créature féminine qui la décida :

"M'aider ?"

L'idée était étrange, presque dérangeante. Pouvait-on aider un Esprit ? L'arrogance de cette idée pouvait presque agacer ces êtres habitués à leur écrasante supériorité mais elle ne pouvait aussi que les désarçonner. Pourquoi voudrait-on les aider ? C'est donc de manière directe et bien éloignée du comportement habitué des Esprits qu'elle interrogea :

"Vous le désirez ?"

Elle pencha la tête, franchement intéressée. Pourtant cela n'avait pas de réelle importance, quel Esprit s'était déjà préoccupé de ce que désiraient ses créations ? Mort peut-être éventuellement... Mais même si ça le préoccupait, il ne respectait pas pour autant ces désirs et fort heureusement d'ailleurs car il y aurait dans ce cas eu beaucoup plus d'immortels sur Armanda que ce que cette terre pouvait supporter. Pourtant ça la fascinait, cette capacité d'empathie que les êtres vivants possédaient et qui pouvait à loisir se porter sur l'un ou l'autre de leurs semblables voir même sur un être complétement dissemblable. Oh bien sur les Esprits en possédaient aussi, un peu... Mais elle se concentrait surtout sur les masses, sur le bien général. Beaucoup plus rarement sur un seul et unique être. La réponse obtenue, elle garda un instant le silence comme pour mieux l'analyser puis elle se décida à prendre pour de bon la parole :

"Alford Gorder va vivre, il le doit. Il est désormais le porteur du Contrat Originel, celui-ci coule dans ses veines, brûle dans son âme, et repose au sein de chacune des cellules de son corps. Vous vous en doutez, un tel artefact ne saurait être fait de la même manière que vous faites vos propres contrats avec de l'encre et un manuscrit. Il s'agit de magie, de haute magie. L'une des plus puissantes de toutes et elle ne peut exister qu'ainsi dans l'âme, la chair, et le sang. Tant qu'Alford Gorder vivra, le Contrat existera. Qu'il meurt, et celui-ci disparaîtra. Vous comprenez ?"

Non ils ne pouvaient pas comprendre. Sans doute devaient ils la croire folle d'avoir mis une chose qui semblait tant lui tenir à coeur dans un si fragile réceptacle. En effet pourquoi choisir un être vivant ? Pourquoi choisir un humain qu'il était si facile de détruire ? Elle s'expliqua de son mieux :

"Je suis la Gardienne de ce contrat depuis presque 100 000 millénaires et toutes les erreurs que j'ai pu faire par le passé n'avaient aucune importance tant que je continuai à accomplir ma tâche. Non mes frères ne savaient rien, ils cherchent désespérement ce contrat depuis toujours et ignoraient que j'en étais la porteuse. Mais je ne peux plus à présent... Le temps est écoulé, je devais faire un choix pour m'en débarrasser car il brûlait mon être. Seulement... Je ne parviens pas à faire ce choix. Comment puis-je savoir lequel est le bon ?"

Elle se tordit les mains dans une terrible démonstration d'impuissance, elle semblait perdue, terrifiée. La tâche qu'on lui avait mis sur les épaules était gigantesque, cruelle aussi. Comment pouvait-on lui demander de faire un choix entre ses frères ? Elle en perdait le fil, elle n'avait même pas dit à ces gens quels étaient les termes du contrat et que pouvait-être ce choix qu'elle semblait tant craindre. Mais il était difficile pour elle de demeurer concentrée, elle sentait le vide dans sa poitrine, elle sentait la peur dans son esprit, et par dessus tout elle craignait terrible de faire un mauvais choix alors elle repoussait au maximum le moment de le faire. Ses traits magnifiques semblèrent s'affaisser encore tandis qu'elle se mordait les lèvres en observant d'un oeil incertain l'humain qui reprenait conscience pour de bon. Ne pas faire de choix, était-ce vraiment le bon choix au final ?

Et alors qu'il bougeait une main l'arrêta ce qui ne fut guère dur à vrai dire au vu de son état, et alors que le berceuse de l'elfe résonnait le mercenaire s'apaisait au moins. Même si Alford n'entendait pas vraiment les mots en eux-mêmes, la voix de l'elfe eu au moins l'effet de dissiper peu à peu sa peur. Tout comme l'attitude d'Aléria y aida, cette dernière ayant au fond une présence naturellement apaisante.

Mais… Alford avait trop mal, et ne ferma pas les yeux, il n'était pas en état pour cela, il n'y arrivait pas, et Néant Arriva...

Il n'avait certes pas comprit grand-chose dans son état quand Néant se matérialisa, mais aussi troublé qu'il était il ne pouvait pas non plus rester impassible quand il la vit, la douce lumière émanant d'elle, sa simple présence ... Il la regardait fixement malgré son état, et sans rien dire. Il ne pensait plus vraiment à grand-chose, mais il était plus calme déjà. Il ne savait pas ce qu'il allait se passer, et de toute manière il n'était pas vraiment en état de faire quoi que ce soit, la douleur était toujours aussi lancinante…

Et lorsque Néant se pencha vers lui pour lui parler, il écouta, il entendait les paroles sans vraiment les entendre. Son esprit les percevait car il ressentait un mélange de divers sentiments, mais il ne comprit pas en lui-même le sens des paroles. Ce qu'on pouvait être certain c'est que la douleur se faisait plus absente d'un coup, enfin jusqu'à ce que Néant appose ses mains sur lui…

Et il convulsa, et fut courtement plongé dans l'inconscience suite à cela, pour s'éveiller après les soins providentiels, et guérit en grande partie de son délire, les formes étaient encore flous, mais il apercevait a peu près ce qu'il voyait, et son esprit même si encore bien troublé était capable de pensée cohérente. Mais il n'avait plus mal, et visiblement le brouillard se levait assez rapidement, mais pas encore assez pour qu'il puisse se lever, et demander ce qui se passait.

Par contre il percevait les questions de l'elfe, qui avait une voix familière, et de la femme qui n'avait pas une voix encore vraiment familière, mais il les perçut… Tout comme il sentait la main de l'elfe, et les cuisses d'Aléria chose qui l'auraient fait rougir s'il n'avait l'esprit à autre chose au fond. Qu'allait-il lui advenir ? Contrat ? Gardiens ? Des questions qui trouvèrent écho dans son esprit…

Et c'est alors qu'il émergeait qu'il entendit Néant, car c'était elle, néant qui énonca ses propos, s'étonna, et répondit aux questions. On parlait de lui… Porteur d'un certain contrat originel qui coulerait dans ses veines, serait dans son âme, et dans son être. Un contrat fait de haute magie qui existerait tant qu'il vivrait, et… Oui il se sentait faible, et il sentait quelque chose en lui quelque chose de brûlant sans être douloureux, était-ce cela ? Eh bien par son ours il était doué pour s'embarquer dans ces trucs, restait à savoir dans quoi il venait de s'embarquer, et étrangement ça promettait d'être aussi agité que sa petite chevauchée d'un fleuve de lave souterrain sur une barque magique pensa t-il… Quoique l'expérience du fleuve avait été plaisante au fond, mais bon là il n'était pas sûr que ce serait aussi amusant.

Et donc un contrat dont Néant était la gardienne, un contrat que les autres esprits n'étaient pas arrivés à trouver, et visiblement un contrat qui avait une certaine importance si cela expliquait toute cette foire… Et du coup c'est lui qui se retrouvait avec ça, il se demandait bien quoi faire…

Et d'ailleurs il achevait d'émerger maintenant… Cela avait prit son temps, mais il pouvait parler là, et se prononcer, il retînt de remercier ses sauveurs pour plus tard, et d'avoir une conversation avec eux, mais d'abord il devait parler à Néant car Néant était là, et il fallait en profiter.

« Quel va être… Ma… Tâche exactement ? Si j'échoue qu'est-ce qui… Risque d'arriver ? » Dit-il, il était encore fatigué donc il devait faire des efforts pour articuler, mais en soit ça allait mieux qu'avant…

« Et cette magie en moi… Qu'est-ce que ça va changer pour moi ? » Dit-il, elle circulait dans son corps, il la sentait, et il y avait des raisons de se demander quelles en seraient les conséquences… Qu'elle soit bonnes… Ou mauvaises...

Puis il porta son regard sur Néant plus exactement, oui il l'avait déjà vu, mais elle restait vraiment magnifique. Il comprenait pourquoi les alayiens la vénérait, et maintenant il était lié à elle. Ah bon sang s'il avait su ça quand il avait commencé sa vie de voyageur… Et lui qui plaisantait en croyant des fois que ses péripéties étaient dû aux esprits qui jouaient avec lui, là il se sentait bien bizarre de se rendre compte qu'il était impliqué dans une affaire d'esprit, après restait à savoir à quel point, enfin l'avantage… C'est qu'il n'était plus lié à Vraorg, c'était déjà ça ! Enfin pour le vérifier il essaye de communiquer par télépathie avec la femme… Normalement ça ne devrait pas marcher, mais mieux valait s'en assurer. Car bon sang s'il en avait finit avec l'autre albinos il aurait déjà une raison de sauter de joie...

"Vous le désirez ?"

Dawan avait vigoureusement opiné du chef, en signe d'approbation. Aléria l'avait exprimé mieux que lui, et avant lui, mais c'était là également son désir. Pouvait-il en être autrement ? Élève en quête d'harmonie, il ne pouvait que vouloir rééquilibrer la balance des forces de ce monde. Aussi surprenant que cela puisse être à son raisonnement, c'étaient les Esprits qui avaient besoin d'appui. Néant en était, il n'avait pas de raisons de ne pas lui proposer toute l'aide de sa faible vie de petit bipède. Il aurait pu en avoir, jadis. Merithyn l'avait aidé à changer son point de vue. Quelque part, proposer son aide à Néant, c'était également honorer les volontés de cette flamme éteinte et, il le devinait plus qu'il le savait, celles de la flamme qui était née de ces cendres, dont la chaleur était trop loin de son coeur.

L'Enwr écouta, sagement , l'Esprit Supérieur qui parlait, ses doigts pianotant sur la main d'Alford suivant un rythme ancien. Bien vite, son regard quitta la forme matérielle de Néant pour se porter au-delà d'elle, comme il ancrait chacun de ses mots en sa mémoire. Il ne pouvait s'empêcher d'être troublé. Elle répondait à ses questions, mais cela s'arrêtait là. Ne pouvait-elle donc pas déduire ses pensées ? Aucun effort, ces Esprits. Plus sérieusement, le jeune elfe comprit qu'il devait se montrer plus direct. Les sous-entendus peinaient déjà à trouver écho auprès des êtres d'une même espèce, il n'y avait rien de surprenant à ce que Néant ne puisse percevoir la dizaine d'autres questions qu'il avait posé, en n'en posant que trois. Il n'y avait rien de surprenant à ce qu'elle ait du mal à saisir l'étendue de l'ignorance des petites créatures qu'ils étaient.

Il laissa Alford parler. Ce devait être assez compliqué pour lui sans qu'il ait besoin d'hausser la voix pour couvrir la sienne. Les soins offraient une réparation, mais n'apportaient ni forces ni énergie. Aléria avait posé sa tête sur ses genoux… Là, n'était-il pas choyé, le Porteur de Contrat ? Ne montraient-ils pas déjà leur dévouement ? Le silence revenu, Dawan reprit la parole, son regard toujours au-delà de Néant, faisant de son mieux pour apaiser sa voix, comme s'il craignait que la laisser sortir brute ne blesse Néant:

"- Alford Gorder risque de mourir, comme nombre d'humains. Ce contrat est-il donc voué à ne pas perdurer ? Vos frères et vous-même paraissez ne pas vous être entendus sur son sort… En quoi est-il si problématique ?" Il admettait que si Néant ne l'avait pas éclairé quant au contenu du Contrat, ce pouvait autant être parce que sa question n'avait pas été claire que parce qu'elle n'estimait pas avoir à les informer. Soit, il n'en ferait donc rien. "Est-il une façon pour nous de vous aider à guérir de ce que ce contrat a pu vous infliger ?" Oui. Il le savait, c'était une question sans doute ridicule pour un des Huit. Mais… Qu'y pouvait-il ? Il était mortel. Et les mortels sont pétris de cet élément sans cause ni raison qui se nomme l'espoir. Un espoir que leur existence même faisait doucement brûler au coeur de leur être, pour les réchauffer quand l'hiver venait. L'espoir de ne pas être impuissant face à un destin trop tragique pour être admis, l'espoir des miracles, ces fragments de chance qui se posaient parfois sur d'heureux élus. "Est-il une façon pour nous de vous aider dans vos choix ?" Plus ridicule encore, l'idée de pouvoir apporter un raisonnement, un point de vue, à quelqu'un dont la vision s'étendait bien au-delà de la sienne. Mais Dawan était peut-être fou, il n'était pas bête pour autant: il savait que si Néant s'était tournée vers eux, vers les mortels, et même vers un humain, alors ils ne pouvaient pas être si impuissants. L'Enwr s'était levé, laissant Alford aux bons soins d'Aléria, sans oser encore approcher de Néant, retenu encore par cette barrière qu'il peinait à briser.

La question de l’esprit supérieur troubla l’humaine, qui ne sut répondre sur le coup, de peur de formuler accidentellement un mensonge. Elle ne savait pas ce que cela impliquait et elle avait souvent pris position contre les atrocités qu’avaient commises les Alayens, ne pouvant s’empêcher de croire que Néant ne pouvait simplement pas vraiment vouloir tout ce qui était arrivé, que quelqu’un s’était forcément trompé. Mais toutes ces idées n’avaient plus leur place lorsqu’on se retrouvait devant l’entité elle-même…Elles semblaient insensées, puisqu’il était possible de lui demander comme on parle à une personne, d’entendre des mots au lieu d’interpréter des écrits et des traditions orales. La baptistrelle hocha tout de même la tête, songeant que le protectorat était bien fondé dans le but de se battre, peut-être plus aidé des esprits que les aidants, mais contre un ennemi commun qui était Vraorg. La Chanteciel laissa doucement reposer la tête d’Alford sur le sol en le voyant reprendre conscience. S’il était capable de parler, il s’en sortirait certainement mieux dans les minutes à venir, même si elle aurait préféré qu’il reste silencieux et tranquille, juste au cas où il refasse un épisode.
Quoi qu’il en soit, Néant n’avait répondu qu’à une parties des questions posées, mais c’était compréhensible, si peu de temps, et beaucoup d’interrogations.

-Je comprends votre inquiétude. Et je n’ai aucune idée de notre potentiel à vous conseiller, ou vous aider…L’important est de savoir d’abord en quoi consiste ce contrat.

Quel était ce choix dont elle parlait si nerveusement? Tant de questions brûlaient les lèvres d’Aléria, pourquoi les réponses n’étaient-elles pas fournies gratuitement, du moment qu’on les apprenait, ou qu’on les récitait alors qu’elles étaient déjà écrites noir sur blanc. L’insécurité de devoir trouver soi-même, ou plutôt avec peu de moyens. La Chanteciel avait peur de ce qui lui dévoilerait la vérité.

(HRP-Je sais que c'est cheap, mais comme mon post d'absence le justifie...je ne suis pas en très bonne position en ce moment, désolé ^^')

Apparemment oui, ils le désiraient. Ils abondaient en ce sens en tout cas, chacun à sa manière. Comme ils étaient étranges ces vivants, ces créations consenties de ces frères... Les vampires étaient spéciaux voir incompréhensibles parfois mais cela elle pouvait le comprendre puisqu'ils étaient plus un accident qu'une réelle création. Mais le fait que les humains et les elfes aient été pensés voir réfléchit avant d'être créés n'en faisaient pas des créatures plus prévisibles pour autant, bien au contraire. Ils avaient échappés à leur créateurs... Elle s'en rendait compte à présent. Et cela orientait un peu ses réflexions et son choix. Mais il était temps de leur donner quelques explications comme ils semblaient d'ailleurs le réclamer. Aussi se décida-t'elle :

"Tous trois, soyez attentifs car ce que je vais vous révéler en ce jour n'est ni plus ni moins que le plus vieux secret de cet univers. Le secret originel. Il va peser lourd sur vos épaules comme il a pesé lourd sur les miennes, mais il est normal de vous l'offrir car c'est à vous à présent les jeunes peuples de décider de l'avenir de ce monde. C'est là la principale clause spécifiée par ce contrat à sa signature, nous devions vous créer et à la toute fin nous devions nous soumettres à votre jugement final. Mais commençons par le début."

Sa poitrine se souleva tandis qu'elle inspirait l'élément de son jeune frère, c'était bon quelque part d'être vivant et elle voulait profiter de ces instants. Ceci fait, elle reprit avec lenteur :

"Sachez avant tout que si je peux vous parler ainsi malgré le manque que vous me connaissez, c'est parce que j'ai renoncé à mes pouvoirs. Ils s'effritent et s'envolent peu à peu, l'or qui coule dans mes veines se tarie et bientôt la magie supérieure me quittera entièrement. Je ne suis déjà plus un Esprit capable de vivre sans coeur, aussi, je me meurs... Mais j'ai au moins retrouvé ma conscience ainsi que le contrôle de mes émotions. Pour un temps court, mais précieux, je suis moi-même. Ce que j'ai pu faire pendant ces siècles de folie m'horrifie mais au moins vais-je mourir comme je le souhaitais. C'est à dire loin de la folie qui me rongeait."

Elle s'arrêta quelques secondes, le souffle court. Elle avait tant de choses à dire... Tant de sagesse et de connaissances qu'elle ne pouvait même pas partager sans perdre complétement ses interlocuteurs... Sans craindre pour autant la Mort elle ne pouvait s'empêcher de se sentir quelque peu dépassée et attristée par l'immense perte qu'allait être sa disparition, tant de savoir qui allait partir... Les Esprits ne connaissaient pas l'orgueil, aussi ne pouvait-on pas l'accuser d'en éprouver à cet instant. Elle était simplement consciente, terriblement consciente même, de l'immense gachis de tout ceci. Mais elle faisait ce qu'elle estimait être le mieux et désormais elle pensait pouvoir faire un choix.

"Ce contrat donc, est le pilier du monde. Vous les Armandéens vous êtes longtemps resté dans l"erreur en estimant qu'Océan était l'aîné et en oubliant jusqu'à mon existence mais ce que vous ne savez pas c'est que moi non plus je n'ai pas été la première entité consciente de l'univers. Quelque chose d'autre existait avant moi, quelque chose qui m'a créé et que je ne saurais pas vous définir car cela dépasse toutes vos capacités d'imagination. Nous l'appelons l'Origine et nous les Esprits, nous sommes ses enfants."

Encore un silence, elle ne leur permettrait pas de l'interrompre mais elle voulait tout de même leur laisser un peu de temps pour digérer cette révélation quasi cosmique. Ce n'était pas rien que d'apprendre une telle chose surtout après avoir été persuadé depuis sa naissance que les Esprits étaient les toutes premières créatures de ce monde. Elle eut un sourire fugitif devant leur trouble mais il s'effaça très vite lorsqu'elle continua plus sombrement :

"L'Origine nous a donné beaucoup comme vous le savez. Des pouvoirs illimités, la prescience, le contrôle du temps et de l'espace et par dessus tout, le droit de créer. Le devoir même. Car là était notre mission comme je vous l'ai dit. Au moment de nous créer et de nous donner tout ceci l'Origine a établit le Contrat Originel selon lequel nous devions créer ce monde et façonner une forme de vie qui serait capable d'évoluer et finalement de se passer de nous. Si vous saviez comme nous avons tâtonné... Il est facile de créer, mais arriver à un résultat tel que le libre arbitre de vos créatures puisse leur permettre de se hisser un jour vers la sagesse... Cela, c'est très difficile. Je ne suis même pas sure que nous ayions réussi... Et c'est pour ça que je doute et que j'hésite sur le choix à faire"

C'est pour ça qu'elle hésitait du moins, elle aurait dû le dire ainsi mais ce n'était pas très grave.

"J'ai deux possibilités, deux chemins que mes frères ont déjà résolument emprunté soit dans un sens soit dans l'autre. C'est pour cela qu'ils se déchirent... Mort a persuadé Vie et Terre qu'il fallait absolument respecter l'Origine et le contrat qui a été signé. Tandis qu'Océan et les autres le répudient et veulent passer outre. Moi, je dois choisir un camp... Mais lequel ? L'Origine a spécifié qu'au cent millième millénaire les Esprits devraient accepter de mourir afin que les jeunes peuples puissent s'élever à une sagesse presque infinie. Ce serait un véritable âge de bonheur et de paix qui n'aurait sans doute pas de fin, un beau rêve n'est-ce pas ?"

Elle sourit à nouveau, puis grimaça quelque peu lorsque l'absence de son coeur se rappela à elle :

"Mais il y a une condition difficile pour en arriver là car même si nous acceptions tous de mourir pour vous offrir cet avenir, il n'aurait peut-être pas lieu pour autant. Si les Esprits disparaissaient alors que les jeunes peuples ne sont pas prêts à s'assumer alors les chimères prendraient le contrôle d'Armanda en la plongeant dans une ère de sang et d'horreurs puis finalement vers la destruction. La question est, êtes vous prêts ? C'est notre faute si ce n'est pas le cas, nous avions pour mission de vous guider vers la sagesse et nous craignons d'avoir échoué. Pouvons nous dans ce cas mourir en sachant ce qui va se passer ? Le voulons nous d'ailleurs, nous qui avons presque goûté à l'immortalité ? Mes frères savent ce qu'ils veulent et se battent dans un sens ou dans l'autre, mais moi... J'ignorais jusque ici ce que je voulais."

Sauf qu'à présent, elle savait. Devenir vivante pour quelques heures lui avait permit de reprendre conscience des véritables réalités qui touchaient les mortel et lui avait donné une idée. Une idée folle qui n'avait que peu de chances de réussir mais qui valait la peine d'être tentée. Son sourire revint, puis se tranforma en un rire léger et cristallin tandis qu'elle reprenait la parole :

"Deux chemins, deux voies tracées et aucun autre choix... Combien de fois les Esprits ont-ils cru vous avoir enfermé dans ce type de schémas vous autres les vivants et les non-morts ? A chaque fois ou presque, vous nous avez détrompé. Vous avez toujours trouvé une voie de traverse. Alors je crois... Oui je crois que cette fois encore nous pouvons le faire. Nous pouvons tracer une autre voie. Mais il faut le vouloir, ce sera difficile. Dites moi jeunes créatures, qu'est-ce que le passé évoque pour vous ? Est-il synonyme de douceur ? Donneriez vous beaucoup pour le retrouver et peut-être faire d'autres choix que ceux qui nous ont mené à cet embranchement ? Pourriez vous accomplir des miracles si on vous disait que ceux-ci pourraient vous permettre de revenir en arrière ?"

Elle n'avait pas répondu à toutes leurs questions, surtout à celles d'Alford concernant les effets en eux même du contrat mais elle y reviendrait. Sa propre interrogation était plus importante, vitale même. Peu à peu elle sentait une sorte d'excitation la gagner un peu comme si elle se mettait à retomber dans la folie mais c'était cette fois une scène folie. Une folie venue de l'espoir...

Lui mourir… Sans doute un jour, mais pas tout de suite, ah ça non il venait d'émerger là, et il n'avait pas envie de mourir de si tôt… Ah ça non il avait encore beaucoup à faire, beaucoup à régler, beaucoup à réparer. Pourrait-il laisser cela en attente ? Pourrait-il ne pas réparer ses fautes avant de passer l'arme à gauche, non il devait le faire. Mourir n'était pas acceptable pour lui, ce n'était même pas une question de tu meurt, tu vit, c'est tu vit. Qu'il en soit autrement soit autrement serait inacceptable, inexcusable. Il devait donc vivre au moins le temps de laver ses mains qui ont été sacrément salies ces trois dernières années…

Quand à guérir Néant, oui… Si elle pouvait guérir ce ne serait franchement pas plus mal, car il savait lui aussi tout ce qu'elle avait pu endurer pendant tout ce temps, ne serait-ce pas le minimum qu'elle soit délivrer de cette douleur ? Douleur qu'elle n'avait sans doute aucunement mérité de plus… Le sens de la justice d'Alford était assez personnel, arbitraire dirons certains, mais pas dans le mauvais sens. Quoique des fois laxistes sur certains points, mais à ses yeux un être qui avait tant souffert sans vraie raison méritait de pouvoir être délivré de cette souffrance.

Et aider… Oui bien entendu, c'était lui qu'elle avait choisit, et avec ses raisons. Aider était au final le seul choix envisageable, et il se disait que si un esprit lui avait confie un soit disant contrat, c'est que… Il pouvait faire quelque chose, ou en tout cas qu'elle avait besoin d'aide… Edwyn, Alford y pensa… Il avait porté la pierre de prophétie, il avait révélé cette dernière, mais il avait faillit. Il avait perdu la dague, déclenchant sans doute toute cette histoire, la personne qu'elle aurait dû poignarder après tout ne faisait plus de mystère, et dominait en ce moment même la majorité d'Armanda… Une chance de se rattraper se présentait-elle à lui ? Oui il allait la saisir, il n'allait pas faillir cette fois-ci.

Sous cette pensée il puisa dans ses forces, et se releva, lentement, péniblement, mais se releva. Encore légèrement convalescent… Oui Alford c'est ta chance pensa t-il. Ta chance de tout rattraper. Une flamme de détermination couvait en son regard, ah cela… Il ferait tout pour ne pas échouer à nouveau, et cette fois-ci… Le secret le plus vieux de l'univers ? Cela devait avoir une importance autre que la dague… Peser lourd sur leurs épaules ? Ah cela il n'en doutait pas maintenant… Les esprits créer, les créer eux, et se soumettre à leurs jugements… Les créations juger les créateurs ? La chose lui semblait très… Est-ce qu'il était encore en train de délirer bon sang ? Non ceci était bien réel…

Et Néant dit des paroles inquiétantes, qu'elle voyait ses pouvoirs s'envoler, elle se mourrait… Mais elle était à nouveau elle-même, elle le disait… Le Néant mourir ? Alford avait du mal à appréhender la chose, les esprits n'étaient-ils pas au centre de toute chose ? Leur mort ne signifierait-elle pas la fin de l'univers ? Et si ce n'était pas le cas qu'est-ce que signifierait un monde sans esprit ? Oui il devait avouer qu'il n'avait jamais été du genre spirituel, mais quand même dur de ne pas y penser quand un esprit vient vous l'asséner en pleine face…

Oh pour sa part il n'était pas du genre à croire que le genre humain était impuissant comme le genre elfique, ou vampirique, certes on ne pouvait pas tout faire, mais il était stupide de déblatérer sur l'impuissance, ou la faiblesse d'une espèce, après tout il est simple de critiquer, dur d'agir. Facile de dire qu'ils n'en seraient pas capable, alors qu'a côté eux ils peineraient pour le faire, et ils y arriveraient certainement. Pour un altruiste, et un optimiste même malmené comme lui ce genre de cynisme ne servait à rien. 'Je ferai' voilà ce qu'il pensait car à partir du moment où tu ne pensais pas pouvoir le faire c'était déjà terminé. Il préférait donc tenter le Néant, ça passe, ou ça casse oui. Mais on n'a rien sans rien après tout… Et c'est la seule manière possible de bâtir un avenir meilleur.

Et hein ? Quoi ? Comment ? Qu'est-ce ? Que ? Combien de questionnements auraient pu être possible rien que sur ce qu'il venait d'apprendre, l'origine… Une entité née avant le Néant lui-même. Une entité qui a crée les esprits, combien de choses restaient-ils à découvrir… ? Comment ? oui ce n'était pas impossible, après tout il restait tant encore à savoir, mais cela faisait un choc, comme la découverte du Néant la chose balayait tout ce qu'il avait apprit depuis l'enfance, mais au fond… C'était cela le prix à payer pour ouvrir les yeux sur la vérité… Et d'ailleurs pensa t-il. Tant qu'on y était qu'est-ce qui était avant l'origine, qu'est-ce qui l'avait crée ? Car à ce rythme rien ne disait qu'il n'y avait pas quelque chose avant, après tout si les esprits venaient de quelque part, ce quelque part devait venir d'autre part, et… Bon ce n'était pas vraiment le moment idéal pour les réflexions métaphysiques complexes, surtout que ce n'était pas comme s'il faisait souvent ce genre de réflexions…

Et donc l'origine avait conféré leurs pouvoirs au esprits, et leur avait confié la mission de créer un monde, et une espèce intelligente pouvant y vivre, et se passer d'eux à la fin… Dans quel but ? Pourquoi l'origine avait fait cela ? Voilà encore une question qui pouvait se poser… Et au final malgré tout cela Néant elle-même ne savait pas si les esprits avaient réussit… Que ces derniers puissent eux-mêmes douter du fruit de leurs efforts était… Inquiétant.

Et donc les esprits se déchiraient, certains voulaient respecter le contrat, et mourir en espérant que leur créations puissent connaître cet âge de bonheur, et de paix sans fin… Pour être un rêve… Oui c'était un beau rêve. Mais d'autres esprits étaient contre, non pas car ils ne voulaient pas cela pour leurs créations, mais car.. Si ils n'avaient pas tout accomplit correctement alors les chimères détruiraient Armanda, et ferait souffrir cette dernière. Et du coup les esprits s'entre-déchirent car certains pensent que leurs créations son prêtes, d'autres non… Et d'autres veulent peut-être vivre encore, et au milieu de tout cela Néant était resté indécise, enfin jusqu'à maintenant…

Puis après ces paroles lourdes, très lourdes Néant sourit, et rit. Ce qui était assez bouleversant… Et elle parla ensuite d'espoir, du fait que les mortels avaient souvent surpris les esprits eux-mêmes. Elle parla du passé, synonyme de douceur ? En tout cas plus que le présent pensa Alford… Oui, oui il donnerait beaucoup pour le retrouver, ne pas faire les erreurs qu'il avait fait.

« La question n'est pas pourriez vous…. » Dit-il décidé avant de rajouter. « Car il n'y a pas question, il n'y a pas choix, ce n'est pas nous « pouvons » c'est nous « devons ». Oui nous devons accomplir cela, nous ne pouvons pas échouer, car nous ne pouvons pas nous le permettre. Il n'y a pas de place pour l'indécision, seulement pour l'action, et la réflexion précédant cette dernière. » Il retrouvait tout à coup son aplomb, oui ça casse, ou ça passe, et il allait totalement se jeter dans le vide, mais c'était mieux que rester indécis.

« Oui si j'avais pu changer certaines choses, réparer mes erreurs… Je le ferai avec joie… J'ai fauté par bêtise, par naïveté, mais je possède cette chose que chaque humain possède, oui… J'avance, et si je trébuche si j'échoue je me relève, je continue à avancer, et si je trébuche à nouveau ça recommence. L'espèce humaine est têtue, quand elle n'arrive pas à quelque chose elle recommence, innove, trouve d'autres solutions, et finit à tout les coups par y arriver, l'homme as toujours fait ainsi, et il fera toujours ainsi. L'entêtement est à la fois nôtre grand défaut, et nôtre vertu. Et je suis un homme, je suis entêté. Certains crieront à la faiblesse de ma race, à sa jeunesse, mais ma race a déjà tant accomplit en si peu de temps malgré cela. Pouvons nous réussir nous, et les autres peuples ? Il n'y a pas à se poser la question, comme j'ai envie de le dire ça passe, ou ça casse. Qui ne tente rien n'a rien ! Pour ma part je vais tenter, je réussirai, ou j'échouerai, mais au moins je n'aurai pas le regret de n'avoir rien tenter. Car je suis un homme, et je ne peux que faire ainsi! » Dit-il, ah bon sang ! Ses paroles, ils disaient rarement des trucs aussi inspirant, et bien trouvé, mais là c'était une occasion unique. Tout à coup il avait un autre but après tout, et il ferait tout pour l'atteindre, quand à ce qu'il arriverait, cela seul l'avenir le dirait… Il était conscient de ne pas être parfait, de faire des erreurs pour chacun, mais ce qu'il savait c'est qu'il ferait de son mieux.

Puis il s'agenouilla devant le Néant, et dit solenellement comme pour prêter serment.

« Je jure sur ma vie, sur mon honneur, sur mon âme de faire ce qui devra être fait quel qu'en soit le coût. Que seul l'avenir, et le résultat de mes actes puissent permettre de juger mes actions... Que si les esprits ne sont plus là, que mon nom soit laver, ou traîner dans la boue par les générations futures selon ce qui arrivera... » Acheva t-il… Il n'avait pas encore tout assimilé, oui car tout cela était compliqué, complexe, mais son choix quand à lui était fait. Il se sentait revivre, il allait encore se jeter dans la gueule du loup, mais bon il ne serait pas à son premier coup d'essai.

Un vent doux glissait sur les herbes, faisant glisser les brins les uns contre les autres, dans un très léger bruissement. Les feuilles, en haut des cimes, bruissaient, calmes, comme une musique lointaine, garante d'une protection invincible. Le soleil était haut dans le ciel. Pas un nuage, pas même l'idée d'un nuage. La chaleur du soleil se posait tendrement sur les peaux, les réchauffait sans brûler même les sensibles épidermes humains. Une caresse astrale, délicate attention d'un père bienveillant. L'air était doux, la brise était bienvenue. La terre était tendre, chaude, agréable avec son tapis végétal. Les multiples étalages de couleur verte aux alentours chatoyaient sous l'assaut de la lumière, et les murs du château de Tomingorllo en paraissaient éblouissants. De multiples musiques, plus ou moins lointaines, s'élevaient et se glissaient entre plantes et minéraux, jusqu'aux coeurs des organismes vivants. Son petit corps s'était allongé, ses yeux s'étaient clos. Aucune douleur, aucun malaise. Une incroyable sensation d'équilibre et d'harmonie. Il était là où il devait être, comme il devait être. Pour d'autres frères de l'Ordre, c'était sans doute un jour anodin. Pour lui, c'était différent. Plus que jamais il le sentait, le percevait. Le temps s'écoulait sans doute, mais son coeur ne le voyait pas. Alors cet instant était hors de toute mesure possible, suspendu, à jamais retenu, sans effort pour cela. Il l'avait laissé s'emparer de lui et se dessiner seul en sa mémoire. Exceptionnel sans la moindre angoisse pour cela. Il l'avait su, entr'ouvrant les yeux sur l'azur profond au-dessus de lui. Il l'avait su, comme aucune autre pensée ne pouvait l'assaillir, comme le son de harpe épousait à merveille des feuilles jusqu'à la lumière.
Ce jour-là était le plus beau jour de sa vie.

Dawan restait debout, son regard fixe comme voilé et distant, la bouche entr'ouverte sans le réaliser. Immobile, totalement, et très loin de ce monde. Quelques mots avaient suffit, quelques questions innocentes de l'esprit supérieur. Elle ne pouvait savoir combien ces créations pouvaient s'avérer fragiles sur certaines question, combien il était facile de fracturer leur fonctionnement et les déstabiliser. L'Enwr peinait à s'accrocher aux questions, à leurs réponses. Toutes ces possibilités que Néant invoquait du coeur de leur imagination venaient à lui, puissantes comme des espoirs jamais formulés, comme des songes interdits brisant enfin leurs barrières. Lui qui exaltait les sentiments comme des voix de raison trop souvent répudiées peinait pourtant à se sentir bien à voir ces souvenirs et ces songes lui revenir. Le désert les avait enterrés, lui avait interdit de trop s'y attaché. Le passé était révolu, le fantasmer ne servait à rien. Tout juste pouvait-il en effleurer quelques bribes de mémoire pour se donner le coeur à l'ouvrage. Tout juste pouvait-il l'utiliser pour ces rêves de futurs, mais des rêves qu'il ne fallait trop espérer, pour ne pas être déçu quand la réalité reviendrait. Vraorg avait alimenté le pessimisme en lui.

Ce n'était pas la grande forêt des elfes, ce bois si grand que l'idée de maison ne pouvait les quitter malgré les jours qui s'écoulaient à voyager en son sein. Le tour en était vite fait, mais l'endroit était assez grand pour subvenir à leurs besoins. Du vert, autour d'eux, bien loin de l'or du désert, bien proche de l'or d'une lumière à la source invisible pourtant. Une pluie bienvenue, mère inespérée de leur bonheur. Elle apportait une fraîcheur onirique, faisait frissonner les nuques, humidifiait les tissus, les peaux, les cheveux. Bientôt, le bruit des bottes résonna sur le sol de pierre. Ils laissaient de petites flaques d'eau derrière eux, en avançant. Il attrapa la petite main de Luna, l'entraina avec lui, à la découverte de ce nouvel endroit, cette nouvelle maison. Bien sûr, c'était différent, et il ne pouvait s'empêcher de ressentir un léger pincement au coeur en balayant son ancienne définition de la maison pour la remplacer peu à peu par celle-ci. Mais il savait que d'ici quelques années, sa concentration défaillante l'aiderait à ne plus y voir que les souvenirs neufs. La voix d'Aléria rebondissait contre les statues, fines gravures, et grandes vitres de ce nouveau lieu. Il entrainait Luna à travers les couleurs, s'émerveillait avec elle de petites choses, décrivait tout ce qui pouvait advenir ici: là, les Enwrs prépareraient les repas, là ils auraient des cours de chant, là ils se réuniraient la nuit tombé, autour d'un conteur d'histoires. Il l'entrainait encore dans un nouveau couloir, décoré d'un péristyle lumineux, et regardait à l'extérieur les jardins qui étaient désormais les leurs, où volait une pâle silhouette, quand son corps en rencontra un autre, un pu trop brusquement. Il se répandit en excuses, avant de reconnaitre la flamme devant lui. Un grande sourire illumina son visage. Cela avait valu la peine.

Les temps se mêlaient et se mélangeaient, désormais. Souvenirs, songes… Même le présent était un miroir brisé, divisé, entre ce qu'il était et ce qu'il pouvait être. Néant avait détruit cette conviction plus vieille encore que l'Enwr qui décrivait le temps, qui organisait les êtres en ce sens. Dawan avait l'impression d'avoir perdu une partie de sa structure dans les possibilités qui s'ouvraient devant eux. Le retour dans le passé… À partir du moment où Néant l'avait imaginé, tout n'était que possibilités qui se croisaient, et la linéarité du concept laissait place à un imbroglio au sens tourbillonnant. Qui étaient-ils, dans ce possible nouvel arrangement du monde ? Qui étaient les Esprits, où se positionnaient-ils ? Les lèvres de Dawan remuèrent un peu, sans former de mots, avant que quelques-uns ne parviennent à s'échapper.

"- Que doit-on… Les Alayiens…"

Une partie de son esprit s'était accrochée à ce questionnement, qui lui était propre, et après quelques balbutiements il parvint à demander, difficilement, ce qui devait être transmis aux Alayiens. Ceux qui avaient suivi Néant jusque dans sa folie voudraient sans doute suivre ses ultimes volontés, savoir ce qui était advenu.
La voix d'Alford s'éleva, avant même que le petit elfe ait pu réaliser qu'il venait de poser une question. Celle d'Aléria eut sans doute également le temps de se laisser entendre. L'Enwr ne perçut rien du sens de leurs mots. Les images revenaient, encore et encore, et le ciel d'un bleu à retenir son souffle, et la pluie et l'étreinte de ses ombres. Il fallait qu'il le dise, il fallait qu'il l'admette. Mais cela lui paraissait si difficile, une libération qu'il devait effectuer, lui, l'oiseau nocturne. Quelle était donc cette barrière qu'il devait briser ? Il ferma les yeux pour ne plus la voir, et enfin, le reconnut, de force.
Oui. Le passé, pour lui, était synonyme de monde idéal, de perfection. Il était la vie sans ennuis, il était harmonieux et équilibré. Cependant… C'était son passé. C'était sa merveille, c'était son harmonie. Pouvait-il effectuer ce choix par sa seule connaissance, par son unique sentiment, quand il s'exécutait sur des milliards d'êtres vivants ? Son teint prenait les teintes de la Lune. Ses lèvres remuèrent à nouveau, sans mots. Son équilibre devenait précaire, ses jambes peinait à le maintenir debout. Pour le moment, c'était invisible.

"- Ô, Néant… Je crains que nos peuples soient encore bien trop jeunes, et leur sagesse n'est encore qu'un oisillon dans son oeuf. N'en soyez pas blessée: il devait être bien malaisé pour vous de nous guider avec les événements imprévus qui vous ont déchirés." Oh non, pas prêts du tout. Il n'y avait qu'à porter son regard sur un certain Voleur de Coeur pour en être certain. Son existence seule en était la preuve, et son actuelle position celle que les peuples autres que le sien n'avaient pas réussi là où lui avait échoué. Dawan tituba légèrement, portant une main vers ses cheveux, au niveau de sa tempe, l'autre près de son cou, et son regard vers le sol. Les souvenirs, encore. La musique. Ce son de harpe. "Le passé permettrait-il seulement de venir à bout de ce Contrat Originel qui vous ennuie ? Le présent ne le permet-il pas ? Oh…" Il le laissa échapper, finalement. Le chant de la harpe devint le chant de sa voix, cette bribe de passé revint dans le présent. Mais il ne voulait pas. Pas si c'était pour à nouveau les voir échouer, mais d'une façon différente. Pas pour un jour échouer suffisamment pour voir les chimères noyer la terre du sang de ses habitants. Son chant avait un rythme étrange, bien trop répétitif, bien trop accentué sur certains points en particulier. Finalement, il leva vers Néant son regard trop clair, son regard de petit elfe tout juste adulte dans l'âge, encore bien jeune, si jeune. Une étincelle de crainte se lisait en lui. Qu'allait-il advenir ? Avait-il déjà eu pareille responsabilité ? Etait-il seulement prêt à cela ? "Revenir en arrière, cela n'a d'intérêt à mes yeux que si véritablement nous pouvons protéger ces terres du désastre que vous nous prédisez. Des chimères et de leurs atrocités. Mais je crains que ce ne soit qu'un possible sursis pour nos peuples: ils auraient besoin de bien plus qu'une nouvelle chance, semblable à la précédente. La sagesse que vous espérez d'eux peut-elle se construire en quelques choix de nous trois ?" Mais qui pouvait prédire l'avenir ? Néant pouvait apparemment le deviner, elle était celle qui possédait le plus de connaissances. Il s'en remettait à elle. Et si elle estimait que, véritablement, c'était là une possibilité pour eux... Alors il dirait adieu à d'autres songes, à de précieux fragments de mémoire, pour soigner à nouveau.

La baptistrelle figea dans un silence calme, n’écoutant que la moitié des mots que prononçait l’homme qu’elle avait emmené jusqu’ici. Alford Gorder était encore un enfant qui avait beaucoup à apprendre avant d’ouvrir la bouche. Il y avait des mots qui devaient être mesurés bien plus que d’autres. Ceux-ci en étaient. Le devoir, la possibilité, la nécessité, rien de tout cela n’habitait les pensées d’Aléria. La magie, celle des éléments, les vibrations, les chants noms, seraient-ils encore là sans les esprits? L’humaine se sentait égoïste d’y penser, mais ele ne savait pas si l’utopie d’un monde soudainement en paix était possible. Comment les êtres pouvaient ils subitement changer, individuellement, intellectuellement, sentimentalement. Chacun avait l’expérience et la personnalité qui déterminait ses convictions. L’arrivée au pouvoir de Vraorg avait réuni son ennemi sous le drapeau du protectorat. Les Alayens étaient alliés aux esprits, Néant n’était plus qu’un symbole de destruction. Et il avait fallu Vraorg pour que ces peuples s’unissent. Unité était un bien grand mot, mais Aléria voyait la motivation à détruire cet ennemi commun, au risque de devoir s’allier à ceux qui ont déjà été des ennemis. Comment pouvait-on être certain que cette paix adviendrait, que chacun laisserait ses amertumes. Vraorg ne disparaîtrait pas lui non plus. Ils avaient bien du chemin à faire avant d’arriver à l’indépendance des esprits.

La femme saisit la main du jeune Enwr, sentant sa nervosité, et prenant ainsi le droit de parole. Il avait raison, en partie, et avait remis en question ses mots plus que de l’impulsivité d’Alford. Mais comment lui en vouloir de ne pas avoir la patience d’un elfe?

-Ils ne seront jamais réellement prêts.

Les elfes avaient soif de sagesse, mais ils étaient encore trop fermés, même s’il y avait des exceptions. Et combien d’âmes torturées comptaient les vampires et les hommes, combien de dragons trop puissant pour les bipèdes. Le dragon blanc ne serait pas défait des mains d’un homme, d’un vampire ou d’un elfe.

-Ils seront prêt lorsqu’ils seront forcés de l’être. Les gens ne changent pas d’idée avant que l’on en parle, il ne faut pas attendre la paix avant de poser des actions pour qu’elle arrive.
Mais pas tout de suite…Sans les esprits, j’ai peur que le protectorat soit le moindre des soucis du dragon blanc.


Aléria ne savait pas si elle tenait à retrouver le passé, il avait plus d’une facette et elles n’étaient pas toutes positives. Bien que tout était plus beau que la théocratie ou le sort que réservaient les chimères à Armanda. L’humaine se souvenait de sa maison de naissance, des livres par dizaines et des apprentissages qui coulaient de manière prospère. Elle avait été chanceuse, le domaine baptistral lui manquait, les villes encore blanches des attaques alayennes, sa ville et ses attraits, les musiciens, les chanteurs. Sa maison lui manquait, mais elle s’attachait au désert et le chérissait comme une chance qui pouvait lui être enlevé à tout moment.

La Chanteciel ne savait pas à quel passé Néant faisait référence. Mais elle voulait lui faire confiance et sortir de ces deux options qui semblaient trop dangereuses.

-Comment pouvons-nous revenir en arrière?

La détermination. Elle brilla si fortement dans les yeux de l'humain que Néant n'eut même pas besoin du moindre pouvoir de prescience pour la sentir. Elle ne pouvait savoir si il serait ou non à la hauteur de la charge, mais il essayerait, ça c'était certain.
Elle hocha la tête lentement en l'entendant décrire l'espèce humaine. C'était juste, très juste même. Elle était bien placée pour le savoir car au contraire de ses frères elle ne s'était toujours focalisée que sur cette espèce, délaissant les elfes et les vampires pour s'intéresser ou même plutôt se passionner sur ces drôles de créatures. Une race opiniatre effectivement, et bien plus difficile à comprendre ou à suivre que les deux autres. Alford l'incarnait plutôt bien mais c'est plutôt vers le jeune elfe que le regard profond de Vasà se posa. Un mot avait été prononcé, un mot qui méritait réflexion :

"Les Alayiens..."

Elle avait murmuré, goûtant la saveur étrange des souvenirs que cela éveillait en elle. Cette faction avait été la sienne, celle qu'elle avait guidée pendant fort longtemps et finalement menée au désastre. Sans son coeur, elle n'avait jamais eu le moindre sentiment pour ceux qui n'étaient que des pions plus ou moins précieux dans son complexe jeu. Mais à présent qu'elle n'était plus un Esprit insensible et que la mort approchait, elle sentait des sentiments divers s'approprier chaque souvenir du temps consacré aux Alayiens. Ce qu'ils étaient à présent, ils le lui devaient. Que ce soit bien ou mal. Elle les avaient rendus dépendants de sa volonté puis elle avait disparu, et à présent elle s'apprêtait à les abandonner pour de bon. A cette pensée, une douleur sourde s'alluma en elle qu'elle ne chercha pas à maîtriser. C'était terrible, mais c'était bon aussi que de sentir à nouveau quelque chose. On pouvait être le Néant et ne pas vouloir pour autant d'un tel vide au sein de sa poitrine. Une larme brilla un instant dans ses yeux, puis disparu :

"Ils prendront leur liberté, ils ne pouvaient véritablement le faire tant que j'existais mais à présent ils y parviendront. Si des questionnements s'élèvent, dites leurs simplement qu'ils ont réussi. Ils ont bien servi le Néant."

Le but ultime des écritures. Les plus fanatiques eux même y verraient un accomplissement et une fin ce qui laissait l'espoir qu'ils se concentreraient alors sur leur propre vie. Elle ne pouvait rien faire de mieux et leur reprocher leurs agissements aurait été injuste car ils n'avaient toujours fait que la servir avec justesse. Ils n'étaient que ce qu'elle avait fait d'eux et si par malheur certains ne devaient pas parvenir à s'émanciper pour de bon alors ce ne serait qu'une pierre de plus ajoutée à la charge de culpabilité qu'elle devait déjà porter. Sauf qu'il y avait un présent un espoir d'effacer tout ceci. Seulement et seulement si ils considéraient que les jeunes peuples n'étaient pas prêts, et c'était effectivement l'avis des principaux concernés apparemment... Non décidément, Mort se trompait. Ils ne pouvaient pas prendre le risque de s'appuyer sur l'espoir que la sagesse fleurirait soudain dans les coeurs des humains, des elfes, des vampires, ou même des dragons. Les chimères prendraient le contrôle du monde si ils agissaient ainsi et ce serait affreux. Quand à répudier totalement le contrat elle n'en était pas capable, elle avait trop de respect pour l'Origine. Restait donc la troisième voie.

"Le passé n'effacera le contrat, il faudrait pour cela revenir à l'instant zéro, celui où le contrat a été signé et nul ne possède assez de puissance pour y parvenir. Nous ne pourrons reculer que de quelques années au maximum, mais ce serait peut-être suffisant... Nous pouvons faire en sorte que certaines personnes gardent leurs souvenirs. Ils sauront pour le retour en arrière et se souviendront des événements qui y ont mené. Dans ces conditions, l'avenir sera forcément altéré. Nous ne revivrons pas le même."

Mais rien ne prouvait qu'ils iraient vers quelque chose de mieux évidemment, peut-être que l'avenir ainsi reconstruit serait pire que le présent actuel. Elle ne cachait pas cette possibilité mais elle voulait y croire. Avec douceur, elle murmura :

"Mes frères, Océan surtout, m'accusaient d'être trop optimiste avant... Avant tout ceci. Mais je n'ai jamais considéré cela comme un véritable défaut. Si il y a une chance, même infime, que les choses se passent mieux grâce à cette nouvelle chance, ne devons nous pas la tenter ?"

Elle ne cherchait pas à les convaincre, en réalité elle n'était même plus totalement concernée par cette affaire. Elle allait mourir de toutes façons, elle revivrait si ils devaient repartir vers le passé mais elle n'en éprouvait ni joie ni tristesse. Le choix appartenait aux jeunes peuples, à condition que ces trois là parviennent à remplir leur mission bien sur car si ce n'était pas le cas alors il n'y aurait même pas de choix. C'est ce qu'elle leur annonça en réponse aux questionnements d'Aléria :

"Vous ne le pouvez pas, pas vous. Ni moi d'ailleurs... Pour une raison que j'ignore, l'Origine a créé les Esprits en deux parties, deux facettes d'un même masque. A moi seule j'étais une face, et mes frères à eux tous représentent la deuxième. J'étais le Néant, ils sont le Temps."

Certains Armandéens avaient déjà assimilés cette vérité depuis longtemps mais pas tous, elle ignorait si eux le savaient déjà mais ce n'était plus important. A présent sans doute se doutaient-ils de ce qu'ils devaient faire :

"Vous devez les réconcilier, peu importe comment. Ils sont les seuls à pouvoir ordonner un tel retour en arrière et ils ne peuvent le faire que tous ensembles. Si l'un d'entre eux manque à l'appel, qu'importe lequel, ils ne pourront rien faire. Vous devez les trouver et les convaincre les uns après les autres que cette troisième voie existe. Ils pourront alors décider, je ne vous promet pas qu'ils feront ce choix là car ils ont chacun leur propre caractère mais il y aura une chance. Mais toi, Alford, n'oublie pas, ils ne doivent pas te trouver..."

Cela compliquait les choses bien sur. Alford devrait fuir jusqu'à ce qu'il soit bien certain que Dawan et Aléria étaient parvenus à convaincre les Esprits. Alors seulement il devrait aller vers eux afin que la puissance du contrat soit ajoutée à la leur et permette de lancer le sortilège. Après un petit instant de réflexion elle reprit en désignant Aléria et Dawan :

"Vous deux, vous devez rester sur le continent. Mes frères vont l'arpenter afin de trouver Alford, ils ne peuvent plus le localiser magiquement car je l'ai rendu invisible à leurs yeux. Trouvez les, et faites en sorte d'être convainquants car dans le cas contraire ils vous forceront à vous révéler où se trouve Alford. Quand à toi, porteur du contrat, il vaut mieux t'éloigner du continent au moins quelques temps. Ils ne penseront jamais que tu as pu le quitter... Je vais imprégner ton esprit afin que tes pas te mènent aux gens qui pourront te mettre hors de portée des Créateurs, au moins quelques temps."

Doucement, elle effleura ses tempes afin de lui montrer des images :

>> Le visage d'une femme, elle est humaine et possède une certaine beauté. Un peu forte, elle porte une armure et semble issue de la noblesse. Dans sa main, il y a une épée d'exceptionnelle facture avec un lion enchassé dans la garde <<

Néant précisa en retirant sa main :

"Celui qu'on appelle le Régicide mandatera bientôt cette femme afin qu'elle recherche un navire reposant au fond des mers peu profondes, à l'Est d'Armanda. Tu dois la trouver et la convaincre de persuader son groupe pour qu'ils t'emmènent. Là où ils vont, tu sera à l'abri quelque temps. N'hésite pas à participer à leur quête, l'épée qu'il cherche pourrait aussi être utile pour le sortilège du temps. Mais attention, elle peut blesser les Esprits. Ne laisse personne l'utiliser pour les détruire, ou bien il sera trop tard pour remonter le temps."

Le silence retomba, lourd de sens, et d'espoir. Il était né ici cet espoir, et il ne mourrait pas tant que ces trois là continueraient leur quête. Revenant à la question de Dawan, elle sourit de nouveau rêveusement :

"La sagesse tient parfois à peu, très peu de choses..."

L'or en elle s'était tarit pour de bon, il ne lui restait plus une once de pouvoir et elle savait donc que son heure était proche. Elle n'aurait plus la force de vraiment s'éloigner d'ici, mais ça n'avait pas d'importance car elle savait que son corps mortel s'effacerait de lui même lorsque la vie l'aurait pour de bon quitté. Elle n'avait pas besoin qu'on l'accompagne, pas besoin de funérailles ou même de ces chants si profonds que deux de ces trois là savaient émettre. Elle ne voulait que la paix, et le silence après tout ce qu'elle avait vécu. Aussi le leur demanda-t-elle, sachant qu'ils comprendraient :

"Partez à présent, les dernières minutes de mon éternité n'appartiennent qu'à moi et je ne veux les partager. Le choix de revenir ou non en arrière ne m'appartient pas, mais il me semble juste que vous l'ayiez alors battez vous pour cela. Battez vous simplement pour avoir le choix. Ensuite seulement, vous déciderez et mettrez au point les détails si cela doit être. Ainsi l'a voulu l'Origine, désormais c'est vous qui décidez."

Elle n'ajouta rien, pas d'au revoir ni même d'adieu. Nul et elle la dernière ne pouvait désormais savoir de quoi l'avenir serait fait et si il irait vers une fin ou bien vers une boucle comme elle le proposait. Tout cela n'importait plus à ses yeux, elle allait pouvoir se reposer...

Il avisa courtement du regard ses affaires, il avait tout sur lui… Arme, armure, le reste il l'avait mit à un endroit où ce serait facile à retrouver, et où il ne se ferait pas remarquer sans doute. Il y passerait rapidement plus tard, et donc ce n'était rien d'inquiétant en soit… Bien il en aurait besoin, ça c'était la première certitude, besoin de tout ce qu'il pouvait avoir sur la main, et besoin de tout ce qui pourrait l'aider, il devrait y arriver seul, enfin presque… Il y avait Verith qui pourrait l'aider en partie, il devrait lui en parler, mais il savait une chose, il ne pourrait pas s'arrêter, les jeux étaient faits, et Verith le comprendrait sans doute. Le dragon rouge l'aiderait, mais la majorité du chemin Alford devrait le faire seul, seul… Soit, il était un ours après tout, et n'avait-il pas déjà était seul ? Il avait beaucoup apprit des dernières années, et il ne comptait pas échouer, car il ne pouvait pas se le permettre…

Il le devrait, pour tout les peuples, les hommes, les elfes, les vampires, les dragons, et les alayiens… Il ne souhaitait personnellement qu'à ces derniers de passer le cap, et de trouver la paix. Il n'était pas comme beaucoup d'Armandéen à les haïr après tout, et il savait qu'ils avaient été dans l'erreur, on mérite tous une seconde chance, et il espérait que les alayiens la saisissent, mais au fond de lui il ne pouvait s'empêcher de ce sentir mal pour ce peuple qui allait perdre l'esprit dans lequel ils avaient mit tout leurs espoirs… Alford savait qu'il n'étaient pas des monstres, juste des hommes, et il avait assez d'humanité pour ressentir le malheur d'autrui, et ce sentir mal à le contempler sans rien faire...

Mais voilà... Au final il serait peut-être possible de revenir quelques années en arrière, quelques personnes garderaient leur souvenir, et selon leurs agissements l'avenir serait ainsi changé… Oui si c'était cela l'espoir, il fallait le prendre. Oui c'était une solution, une seconde chance, la seule qu'ils auraient, et il faudrait la saisir… Voilà ce dont Gorder était certain… Quand à si cela marcherait il n'en savait rien, mais il ne voulait ni reculer, ni renoncer...

« Qui ne tente rien n'a rien de toute manière. C'est la seule chance qui se présente à nous, pour ma part j'ai compris ma tâche... » Dit-il simplement, et tout à coup plus calme, tout était retombé. Il était toujours aussi déterminé, mais il comprenait pleinement dans quoi il était embarqué pour lui, tout ce qui s'était passé… Cette douleur accumulé pendant des années, elle était ressortit d'un coup, oui il y avait bien trop en jeu, c'était lourd à porter pour lui, mais il n'avait pas d'autres choix… Gardien du contrat, voilà ce qu'il était dorénavant.

Dans tout les cas il venait d'assimiler la vérité, il était concerné lui, Dawan, et elle dans ce jeu là… Et Alford pour sa part savait déjà ce qu'il devait faire… Il devait fuir, sa cacher des esprits supérieurs eux-mêmes. Il se rappelait de sa brûlure à la cuisse, oui il ne doutait pas que les esprits n'hésiteraient pas à faire ce qu'ils devaient faire selon eux pour l'aspiration qu'ils avaient de l'avenir. Oui Gorder ne devait pas les laisser l'avoir, ah jouer les fugitifs… Il prenait conscience que c'était les esprits créateurs eux-mêmes qui voulaient le débusquer, et sérieusement. S'il arrivait à se cacher en soit ce serait déjà un exploit, mais il ce sentait prêt à faire l'impossible, n'était-ce pas après tout ce qu'il venait de dire? Que l'humanité finissait toujours par réussir d'une manière, ou d'une autre... Eh bien il allait tâcher de prouver cela.

« On me connaît sur tout le continent, partir est donc effectivement le meilleur choix, il faudra sans doute que je me fasse passer pour quelqu'un d'autre si cette femme est au service de Korentin, il va falloir que je m'occupe de deux trois détails pour qu'on ne me reconnaisse pas... » Dit-il calmement. Avant de conclure. « Cette épée est capable de détruire les esprits ? Si jamais ils venaient à me retrouver cette épée pourrait me permettre de leur faire peur, ou d'échapper à leur emprise, je participerai à cette quête. Je me ferai passer pou un épéiste errant, un bretteur désirant se venger du blanc ce qui n'est pas faux en soit... Il faudra que je me trouve un nom clinquant, mais mes talents martiales devraient les convaincre, je vais prendre du recul pour y réfléchir alors que je m'y rendrai... Mais je pense arriver à me faire engager. » Dit-il simplement, après tout n'avait-il pas été mercenaire auparavant? Et en tant que bon mercenaire il comptait bien faire de son mieux...

Et alors que le moment de dire adieu au Néant arriva, Alford conclut à l'égard de cette dernière.

« Merci de m'avoir guider Néant. Je me montrerai digne de vôtre confiance... » Puis à l'égard des deux autres. « Bonne chance à vous, ne vous en faîte pas pour moi j'ai peut-être l'ai un peu benêt des fois, mais j'ai toujours su me débrouiller seul… Au fond je fonctionne sans doute mieux comme ça... » Il regarda la femme, et dit… Légèrement peiné, mais pas autant qu'il l'aurait été d'habitude, pas qu'il ne l'était pas, mais il intériorisé la chose comme il avait intériorisé dans de choses à sa propre insu pendant des années… Il venait de s'en rendre compte maintenant, cela faisait son effet.

« Désolé pour le carreau d'arbalète… Le mal est fait, mais je vous assure de faire en sorte de me rattraper à l'avenir si j'en ai l’occasion. » Puis à l'égard de Dawan. « Et toi… S'il te plaît pourrais tu transmettre quelque chose de ma part à Korentin…. » Il glissa quelques paroles aux oreilles de l’elfe.

« Désolé Korentin, toi comme moi avons été dépassé du début à la fin par le cours des événements, mais pour ma part comme toi j'ai beaucoup de responsabilités maintenant. Je ne te demande pas de me pardonner, mais d'observer ce qui arrivera… Et de constater. Aussi honnête, et royal que tu soit je ne veux pas que tu me juge, tu n'es qu'un homme, je veux que ce soit les générations futures qui me jugent sur mes actes, et non toi. N'oublie pas nôtre ami commun Edwyn… Lorsque tout sera finit j'irai réclamer justice, et me soumettre aux jugements de tous, mais d'ici là j'ai à faire, je tâcherai de rester en vie pour qu'on puisse régler tout ceci en bonne, et dû forme... »

Puis il partit silencieusement, remarquant avec une légère surprise que son cheval se trouvait non loin ainsi que son chien... A croire que les deux bêtes l'avaient retrouvé d'elles-mêmes, il n'allait pas s'en plaindre franchement, il s'approcha d'eux, offrir quelques grattouilles au chien puis monta sur son cheval, jetant un dernier regard au Néant, un regard solennel, et un regard franc envers Aléria, et Dawan. Maintenant à eux ainsi qu'à lui de jouer... Et il partit sans se retourner...

Dawan demeura strictement immobile, dans un effort de concentration qui dépassait son propre entendement. Chaque élément trouva sa place dans un coin de sa mémoire, ancré pour des années, peut-être des siècles. Il forçait son esprit, ignorait qu'il n'y avait nul besoin d cela. Quel mortel oublierait un mot d'un esprit ? Oh, peut-être qu'avec l'effet de l'excitation et de l'émotion, il était possible de n'être pas vraiment conscient lors de cet instant. Ce n'était pas son cas. Il ne le sentait pas, mais les détails les plus infimes, jusqu'à l'odeur de l'eau, de la terre, des herbes, de Shi'Ry, resteraient en son souvenir.
Mais surtout, c'étaient les paroles concernant les Alayiens qu'il retint. Mot pour mot. Il savait déjà ce qu'il allait faire, même s'il ne s'offrait le luxe d'imaginer avec plus de précision. Les Alayiens avaient leurs guides, quelques Hommes à qui il serait bon d'envoyer une missive, par quelque moyen que ce soit, pour les avertir de tout cela. Qu'ils le croient ou non n'était pas le souci de l'Enwr: le tout était qu'ils sachent. Au cas où, qu'ils aient ceci en leur possession pour leurs choix…

Il demeura immobile lorsque Néant répondit en affirmant que le passé ne parviendrait à annihiler le contrat. Etait-ce vraiment intéressant, alors, de revenir dans le passé, et voir à nouveau le manque de sagesse des bipèdes faire s'écrouler le monde ? Les efforts de Dawan l'empêchaient de grimacer pour témoigner de ce manque de confiance. Il eut tout juste une sorte de discret mouvement d'épaules, se courbant. Pour lui c'était presque certain: si retour en arrière il y avait, cela signifierait revivre à nouveau certaines souffrances qui ne sauraient s'éviter. Peut-être éviteraient-ils quelques méfaits, peut-être panseraient-ils quelques plaies… Mais lui, il ne voyait pas en cela une solution. Rien n'indiquait qu'ils n'allaient pas vers un avenir pire encore. Si Vraorg avait le malheur d'être de ceux aux souvenirs intacts, ne risquait-il pas d'exploiter ce qu'il avait pu apprendre dans le futur, avortant les efforts que quelques bipèdes pouvaient faire face à lui ?
C'était une possibilité, ce retour en arrière. Une information qu'ils avaient en leur possession pour pouvoir faire un choix. Mais l'Enwr, lui, du haut de son mètre soixante et de ses cent quarante ans, estimait que ce n'était pas celui qui les sauverait. Cela l'était d'autant moins avec cette histoire de contrat.

Il demeura immobile lorsqu'il fut question d'Alford et de sa quête pour se faire invisible, se cacher. Naïvement, Dawan estima qu'il n'avait rien à craindre: si Alford partait, il ne saurait dire où il allait. Fils de la vérité, il ne saurait émettre devant qui le lui imposait que des suppositions vagues et incertaines, rien qui ne puisse permettre de se diriger vers cet humain, le porteur du contrat. Son regard parut un instant plus terre-à-terre, plus dur, toujours sans se fixer sur quoi que ce soit. Convaincre les Esprits… Il irait leur parler. Il ferait de son mieux pour les trouver et les réconcilier, puisque Néant estimait que c'était là à la portée des mortels. Lui ne s'estimait pas la même sagesse que les Frères, il leur exposerait le retour en arrière, mais doutait parvenir à se montrer convaincant si eux n'étaient pas de l'avis de leur soeur. Aléria serait sans doute bien plus à son aise dans cette quête que lui, elle qui était Cawr, elle qui savait plus que lui.
Son petit coeur portait toujours peine et indécision, mais cette dernière se voyait apaisée par l'idée de n'être pas seul à diriger les choix et l'avenir. Rien n'était à faire sur l'instant, il avait le temps d'y penser, de se préparer, et les Sept, les bienveillants, les aideraient sans nul doute. Leur présence était un baume qui réchauffait doucement la peau et les muscles, quand bien même elle n'était pour l'instant que le fruit de ses croyances. Il se résignait, petit à petit, sur l'avenir, sur ce qu'il allait faire. Pourtant, son crâne lui paraissait toujours être un imbroglio sans nom, par-delà l'application qu'il mettait à s'accrocher au présent, et ne pas réfléchir pour le moment.

Il demeura immobile lorsqu'Alford lui glissa le message à Korentin Kohan. Ce dernier, Dawan n'avait pas eu l'occasion de le croiser. Néanmoins, il avait bon espoir que, l'occasion se présentant, il le laisse s'approcher sans rancune vis-à-vis de son lien avec Fabius. Il ne faisait qu'imiter ce que Merithyn avait autrefois fait. Pas un mouvement de tête, pas un clignement d'yeux ne vint confirmer si l'Enwr écoutait effectivement ce qui lui était dit, avec l'intention de le reporter à qui de droit. Alford s'éloigna. L'Enwr eut un murmure incompréhensible qui eut pour effet de faire s'approcher Shi'Ry. D'un signe de la main, il proposa à Aléria de se mettre en selle. Nul n'avait plus besoin de soins, ici, si ce n'était Néant. La Cawr, en revanche, apprécierait sans doute d'économiser ses forces en l'instant. Le petit Enwr appuya un instant son regard sur le front d'Aléria, sur un point invisible entre ses deux yeux. Cela le fit faiblement sourire, comme si'l y avait vu un signe quelconque pour le rassurer. Ses mains vinrent à la bride de sa monture, la tenir un instant.

"- Merci, Vasà, pour ce que vous nous avez offert. Je ferai de mon mieux pour honorer ces présents."

Lui aussi s'apprêtait à partir, dès qu'Aléria serait également prête. Un accord tacite lui semblait tissé entre eux deux, comme si d'instinct il devinait leur commune route vers une commune destination, quand bien même ils ne s'étaient pas concertés. Une évidence. Il n'offrit à Néant ni adieu, ni au revoir, ne sachant lequel était le plus juste. Il espérait juste que, si repos elle avait, cela lui serait enfin plus doux que la vie qu'elle avait pu mener, faute de pouvoir lui offrir la sienne, et le chant-nom qui allait avec.
Il partait en emportant l'ultime souvenir de la claire voix d'un Esprit mourant.