Tout avait été effectué dans les règles les plus strictes, sacrifiant au protocole pour ne créer aucunes dissensions inutiles. Les récents événements n'avaient pas été propices à instaurer le calme et la tranquillité, et il était à parier que leur écho continuerait d'alimenter des tensions diverses et variées pour de nombreux mois. En particulier pour les vampires. On ne perdait pas son prince du jour au lendemain en l'acceptant sans mot dire. Ni sans maudire, d'ailleurs… qui ? Cela restait encore à déterminer, quand bien même Vraorg eut été la cible toute désignée pour leur ire. Sans doute certains nourrissaient-ils effectivement des velléités homicides à son égard, mais le problème était, comme chaque fois, bien plus complexe qu'un simple : c'est lui le méchant. Il n'était, à son avis, pas même question de 'méchant' car ce serait limiter la question à un domaine puérile. Certes, Vraorg était coupable, mais… mais Lorenz avait agi de son propre chef, il l'avait défié et il était mort. Pour certains, ce n'était que la loi du plus fort qui s'appliquait, une fois encore. Feu le prince noir avait joué, et il avait perdu. Et Merithyn ne pouvait se prononcer auprès de quoi que ce soit sur les confidences que son frère lui avait fait avant d'accomplir ce geste démentiel. Il reviendrait. Fort bien, mais quand ? Impossible de le savoir, alors en attendant, il se devait d'agir.

Et il avait été contraint de remettre déjà plusieurs fois les points sur les i avec certains vampires quant à la place que chacun occupait. Lorenz avait beau lui avoir confié sa place, il n'en restait pas mois que pour les vampires, il lui fallait se battre pour la garder. Et c'était ce qu'il avait fait. Il s'était battu. Et il avait mis l'armée en mouvement. Peu de temps et beaucoup trop à faire, comme d'habitude. Les solliciter avait également été un moyen de détourner leur attention de ces tensions, pour user plus utilement de leurs forces. Cela suffirait-il ? Non, mais c'était pour le moment tout ce qu'il pouvait accomplir de ce côté-là. Il était peut-être efficace, mais il ne pouvait pas accomplir de miracles non plus. Et il avait suffisamment de mal à paraître sincère et à enterrer son propre ressentiment. Fort heureusement, c'était là quelque chose dont il n'aurait nul besoin lors de la rencontre qui s'annonçait, doutant sincèrement que la Dame d'Althaïa s'intéresse à ses états d'âme. En voilà une qu'il ne craignait pas de rencontrer, bien au contraire, car quand bien même le sujet était délicat, il s'avait qu'il ne faudrait pas grand-chose pour qu'elle voit en ses demandes une utilité certaine. Du moins s'il l'avait bien cerné quant à ses préoccupations. Cela se vérifierait dans peu de temps, de toute façon…

Son invitation avait été envoyée dans la matinée, une lettre formelle, rédigée de sa propre main, et qui sollicitait une entrevue auprès de la sanglante oiselle. Pour lui agréer, il proposait d'effectuer un rituel sacrificiel au grand Temple de Vraorg, au sein du quartier riche de Gloria, puis de diner en sa compagnie, diné au cours duquel ils discuteraient de l'objet exacte de leur tête à tête. Si l'âme de feu ne doutait nullement que la Dame accepte, il ne tenait pas moins à prendre toutes les précautions qui s'imposaient… S'il avait réussi à conserver les bonnes grâces de Vraorg, ce n'était pas pour provoquer une esclandre auprès de sa servante favorite. Et cette volonté de bien faire se traduisait sans surprise par une légère inquiétude qu'il dissimulait sous un masque de neutralité. Un drapé que son interlocutrice ne dédaignerait probablement pas elle-même. Sans grande surprise d'ailleurs mais il était fasciné par l'aisance qu'elle avait à se faire main d'adamantine dans un gant de velours. Une fascination qu'il concéda une fois encore en la voyant enfin s'approcher. Il n'avait pas franchi le seuil du Temple, pensant plus délicat d'attendre la maîtresse des lieux (quoi que le grand prêtre Aqhat ne serait peut-être pas du même avis.. mais qu'importait!).

Lorsqu'elle arriva à sa hauteur, il lui offrit un salut militaire mais pas moins respectueux, puis se redressa pour plonger son regard héraldique dans le sien, mordoré. Amusant, ils semblaient être le négatif l'un de l'autre… elle, toute d'ébène et de cendres, le regard d'or, et lui, vampire tout d'or au regard d'ébène. Amusant oui. Et qu'elle était belle… lui qui avait tant de mal à apprécier l'esthétisme des bipèdes ne pouvait qu'agréer à celui qu'incarnait cette elfe. Sa singularité lui seyait comme le plus assortit des joyaux. Pas étonnant que Vraorg s'en soit entiché. "Dame Vallaël" offrit-il après un bref instant d'un silence posé "Je vous suis grès de votre acceptation, c'est un honneur que de pouvoir bénéficier d'un peu de votre précieux temps" Flatteries pour d'autres sans doute, mais il était, malgré tout, sincère. Qu'elle soit une elfe ne changeait rien à ses actes, et à ses capacités. Et il la respectait pour ses accomplissements, et son zèle. C'était là des choses qu'il pouvait parfaitement comprendre et tolérer. Voir envier. Tout comme Aldakin du Néant, Kälyna Vallaël était porteuse d'un bienfait qui lui était totalement étranger : la foi.

"Si cela vous convient, nous pourrions entrer, à présent. J'ai apporté trois offrandes, pour le Temple, qui, je l'espère, saurons convenir à vos mains altières. Je ne me permettrais point de proposer un rituel en l'honneur du Seigneur blanc sans des matériaux de premier choix" Encore moins quand cela pouvait mettre tout le monde de bonne humeur pour la suite des festivités. "Ils ont été confiés aux dévots avant votre arrivée, afin qu'ils ne souillent pas ce lieu" Se tournant pour se mettre en marche vers l'immense arche sculptée aux battants de spinelles purpurines, il osa néanmoins aborder la suite sous un aspect un brin moins protocolaire "A ce propos, comment trouvez-vous la ville, Ma Dame ? Je suppose qu'elle n'a pas la prestance de l'écrin militaire que vous dirigez… ou bien est-ce le cas ? Vous qui êtes si proche du Maître, peut-être pourriez-vous ordonner aux architectes pour mieux convenir aux goûts de sa Divinité…" Parfois, il rendait réellement grâce à son passé de baptistrel… trouver des sobriquets convenables pour le Voleur de Cœur s'avérait franchement difficile quand ce qui lui venait instinctivement, c'était le mot abomination.

Etre qualifié de fervent militant le perturba quelque peu. Pas parce que c'était faux. Ça l'était, mais la question n'était pas là. Ce qui le perturbait c'était bien qu'on lui accorde le crédit qu'un bienfait qu'il ne parvenait pas à invoquer, ni même à appréhender. Elle lui offrait la reconnaissance d'une foi qu'il était absolument incapable de concrétiser. Et il ne savait pas s'il devait en être flatté ou non. Peut-être un peu… ? Juste un peu ? Après tout, elle était un modèle de ferveur, elle. "Je suis ravi qu'elle vous ait agréé" Sans doute lui accordait-elle trop de crédit, mais il ne pouvait nier que c'était, en effet, une distinction qu'il parvenait à apprécier malgré tout. Surtout venant d'elle. Pourquoi ? Il ne savait pas exactement, mais elle ressemblait à Aldakin, avec quelque chose de singulier, sans doute venu du fait qu'elle était une elfe. Une elfe oui ! Mais le pouvoir de la croyance, et le pouvoir tout court, pouvaient faire beaucoup. C'était une force qu'il savait reconnaître et respecter.

Ils entrèrent enfin, côte à côte. L'arche magistrale du Temple semblait vous nanifier. Elle semblait faite dans le seul but de rappeler à ceux qui la contemplaient qu'ils n'étaient que des petites choses insignifiantes en ce monde. On aurait pourtant, certainement, pu disserter sur bien davantage la concernant, tant c'était un ouvrage plein de sens. Pour se détacher de l'impression de petitesse qui menaçait de s'abattre sur lui, il écouta avec une attention et un intérêt sincère les avis de l'elfe sur la cité-capitale de la Théocratie. "Voilà qui est bien parlé, sans nul doute" Pourtant, il se demandait si elle comptait les bidonvilles dans l'appartenance de la cité… Hm, non. Sans doute pas. Et il était aisé de comprendre pourquoi, d'ailleurs. Et alors qu'elle lui parlait, il décela la même aisance satisfaite qu'il l'avait envahie lorsqu'il avait fait 'chanter' le petit elfe Dawan. Dans les mots de la Dame, il n'y avait aucun mensonge. Elle était parfaitement sincère. La vérité avait décidément une étrange saveur.

"Je n'en doute pas. Il est, pardonnez-moi ce jeu de mots, terriblement inenvisageable de voir votre demeure prise par une armée, si tant est qu'on puisse l'appeler ainsi, aussi désorganisée et mal équipée. Ils n'ont pas d'engins de siège, pas de troupes suffisantes, pas la magie nécessaire pour cela… Tout juste parviennent-ils à nous tenir en échec dans les plaines grâce à une guérilla faite de troupes légères. Ce sont de choses différentes que de mener une guerre d'escarmouche et d'imaginer prendre une citadelle aussi puissante. Et vous la menez de main de maître" Là encore, on ne pouvait pas vraiment trouver à y redire. Elle menait effectivement sa barque avec efficacité, sinon, elle ne serait plus en poste. Mais c'était à reconnaître. Il y avait beaucoup à tirer de son expérience en la matière, et il se découvrit curieux de ses avis sur nombre de sujets. Néanmoins il n'était pas ici pour la harceler, mais bien pour une affaire, qui devait suivre son déroulement prévu.

Elle poussait même davantage toute seule… mais il devait avouer que là, elle le prenait en traitre. Sans doute même sans le vouloir. Il n'était pas le plus doué en questions d'esthétique. Ces trois années, il s'était échiné à développer ses capacités pratiques, et son esprit de même, afin d'assister efficacement son frère. Il n'avait pas pris le temps du tout de s'intéresser à des questions telles que… et bien, les statues. "Mon avis vous semblera bien pauvre, hélas, Dame. Je suis loin de posséder un sens esthétique en adéquation avec la grandeur du projet que vous envisagez, même si je ne peux qu'appuyer le concept d'une telle construction" Néanmoins il devait faire l'effort d'une idée, au moins pour la bienséance, ouvertement pensif, il se décida alors pour glisser avec précaution :
"Mais si je puis oser proposer, de mes maigres connaissances, peut-être faudrait-il intégrer cette construction dans la muraille intérieure, au-dessus du portal. Ainsi, elle surplomberait les quartiers pauvres, tout en surveillant les riches… placée ainsi, toute personne souhaitant accéder à la ville haute devrait passer sous elle, renouvelant ainsi sa soumission de façon symbolique. De plus, elle s'élèverait plus haut que les autres constructions en dehors du temple et de la citadelle. Qu'en dites-vous ?"

Pendant qu'ils discutaient, ils avaient avancé jusqu'à la salle principale du Temple, réservée aux sacrifices. Il la laissa prendre les devants, restant légèrement en retrait et ne consentit à s'avancer de nouveau qu'en étant interrogé. Ah cette question-là, il l'avait attendu. Consentant un sourire, il répondit sans se faire prier "Il s'agit de trois prisonniers Protégés, que nous avons capturé, mon unité et moi, voilà quelques temps. Ils ont été interrogés, et se sont tous trois révélés très forts, et très résistants. Nous avons convenus qu'ils avaient révélés ce qu'ils savaient, aussi avons-nous pensé qu'ils feraient de bon sacrifice. Ils vont durer et offrir un beau spectacle au Maître. De plus… et bien… il s'agit de membres des trois races Armandéennes. Humain, Elfe, et Vampire. Est-ce que ce sera au goût de sa Radiance ?"

Autour d'eux, les prêtres se mettaient en place. Le haut-prêcheur n'était pas là en cette journée, il n'assisterait donc pas à cette office supplémentaire. Les prisonniers furent bientôt là. Quoi qu'ayant subi la torture, ils avaient été apprêtés pour ne pas paraître en loques et sanglants. Ils le seraient bien assez dans un moment. "Puis-je requérir de vous une instruction quant au déroulement de l'office ? J'effectue mes dévotions avec régularité mais n'ai encore jamais eu l'immense privilège de pouvoir participer à l'une des cérémonies de ce temple. Je ne désirerais pas offenser notre dieu par une erreur" Ce serait bien la dernière chose qu'il voudrait, et d'autant plus que Kalynä en serait elle-même froissée et ne désirerait probablement plus lui accorder ce qu'il voulait obtenir d'elle. S'il pêchait par son ignorance au moins avait-il le respect de l'avouer et de chercher à s'améliorer. Et conscient de cela, il ajouta :
"Néanmoins, si je n'ai eu cet honneur, je crois savoir que le culte apprécie le don de soi. Je me plierais volontiers à cet usage" Et pour le prouver, il découvrit sa dague.

Elle était satisfaite, voilà qui était parfait. Si elle l'était, alors lui l'était également. Le contraire aurait été… funeste. Mais il n'y avait en l'état nul besoin de s'appesantir sur le passé. Bien au contraire, et il était réellement curieux de ce qu'elle pourrait lui montrer. La torture n'était pas du tout son fort, et ne le serait sans doute jamais, mais c'était parfois un mal nécessaire… comme en ce moment. Disposer de l'enseignement d'une maîtresse en la matière ne pouvait qu'être une opportunité à ne surtout pas manquer. "Je vous en remercie" fit-il simplement, avant de la laisser disposer des prisonniers. La salle s'était bien remplie et il ne put que concéder au culte qu'il rassemblait tout de même les foules… C'était une chose que de se plier aux dévotions les plus élémentaires pour survivre, mais c'était autre chose que de venir là, volontairement, pour participer à une vénération plus grande que quelques prières. C'était réellement grandiose. Et quelque part, sans doute un peu intimidant. Il ne devait surtout pas faire de faux pas, aussi, observer l'elfe s'avéra une nécessité plus grande encore qu'il ne l'aurait cru.

Elle présidait à ce rassemblement avec un charisme indéniable. Son talent et sa présence n'étaient pas le moins du monde des feintes. Mieux, ou pire, encore, elle semblait parfaitement à l'aise dans son rôle de prêtresse, comme un poisson dans l'eau, selon l'adage. Vraorg était-il satisfait de ce sacrilège spectacle ? Il imaginait que oui, cela lui ressemblerait bien. Lui ne pouvait que regretter de devoir participer à cela. Et pourtant il ne manqua pas de prendre son tour lorsque la Dame blanche le lui proposa. C'était nécessaire, un besoin vital pour la suite, impossible de flancher ou de s'esquiver. Il allait prendre sur lui et rester aussi impassible qu'elle… et ensuite, il tâcherait de mettre cela de côté. Ayant suivi chaque geste qu'avait effectué Kälyna, il s'attacha à offrir une prestation qui ne ternirait ni l'instant, ni le spectacle de sa partenaire d'office. Et lorsqu'enfin l'humain rendit l'âme, il s'estimait satisfait de sa performance. Certes, ce n'était pas l'égal de ce qu'elle avait pu accomplir, mais il ne prétendait pas à l'aisance d'une prêtresse accomplie en si peu de temps. Et de toute façon ses aspirations n'incluaient pas cela.

Il se tint de côté, droit, alors que les corps étaient disposés, et que Kälyna, de même que les prêtres, chantaient des cantiques en l'honneur du dragon albinos. Lentement, la foule quittait les lieux, se dispersait pour reprendre le cours de sa vie. Quel était la sensation que l'on se devait de vivre, d'expérimenter, suite à une cérémonie comme celle-ci ? La question lui restait. Etait-ce une part d'éternité ? Etait-ce du soulagement, de la compréhension ? Ces individus se vexeraient-ils de se voir poser la question ? Sauraient-ils même répondre eux-mêmes ? Aux prises avec ces considérations, il laissa la salle se vider entièrement, jusqu'à ce qu'ils soient de nouveaux seuls, avec les cadavres. Ce ne fut qu'à ce moment, dans le silence sépulcral des lieux, qu'il reprit la parole, pour renouveler ses remerciements et honorer sa performance. Ensemble, ils en terminèrent avec le rituel, puis comme il l'avait indiqué dans sa missive d'invitation, il l'invita à déjeuner en sa compagnie. Cela pouvait paraître quelque peu étrange à d'autres, surtout après leur labeur en ces lieux, mais il s'en moquait.

Une tablée les attendait au sein de la citadelle, déjà préparée pour eux. Nourrir un elfe et un vampire n'était pas le plus difficile, fort heureusement. Kälyna ne mangeait rien qui nécessite une préparation prolongée, et lui avait un strict régime sanguin. C'était d'ailleurs l'unique breuvage de son côté de la table, des verres délicats remplis de sangs de différentes origines, pour varier les plaisir. Le service était tout aussi généreux pour la Dame, et, galant, il lui tint sa chaise pour qu'elle puisse s'asseoir en toute quiétude. S'installant à son tour, le vampire leva son premier verre pour porter un toast "A Vraorg le Blanc… et à vous, Dame" C'était du sang d'humain, agréable au goût, simple. Exactement le genre de sang qu'il buvait lorsqu'il devait réellement se sustenter. Patient, il préféra attendre de l'engager sur divers menus sujets avant de réellement passer au plus important. Lorsqu'il jugea le moment opportun, il glissa donc "Vous vous souviendrez sans doute que j'ai évoqué deux sujets délicats mais non moins importants dont j'aurais aimé vous entretenir, dans ma missive"

Jouant légèrement du pouce sur les reliefs de son verre, il poursuivit posément "Vous n'êtes pas sans savoir que je suis depuis peu généralissime, suite à la mort de mon frère, le seigneur Lorenz Wintel. Je cherche un moyen de pouvoir conserver son corps, ainsi que celui de la princesse Kohan. Et il me semble que les elfes possèdent un sortilège destiné à congeler les enveloppes des défunts afin de les préserver du temps. Vous êtes l'unique pouvant m'éclairer à ce sujet, et, peut-être, pouvant m'apporter votre concoure. Accepteriez-vous de le faire ?" Il se pencha légèrement en poursuivant "Cela peut sembler une étrange demande, plus encore en raison des circonstances de ces deux morts, mais cela me semble plus que nécessaire. Pour ma part, je désire simplement pouvoir m'en servir dans le futur… mais plus important encore, je pense pouvoir affirmer que le commandant Wallam serait infiniment reconnaissant de savoir le corps de sa bienaimée en sécurité aussi longtemps qu'il le désirera. Cela ne pourra que le soulager et lui permettre d'accomplir au mieux sa tâche pour le Maître"

Il cligna légèrement des yeux. Certes, il ne doutait pas qu’on puisse la solliciter largement pour ce qu’elle pouvait accomplir. C’était là malheureusement leur lot à tous, et en ces temps, une obligation. Sa compagnie n’en était pas moins agréable, d’une étrange façon, sans doute. « Nous faisons ce que nous devons dans les circonstances actuelles, je le crains, Dame. Votre présence n’en est pas moins appréciable. Il s’agit de trouver le moyen d’allier l’utile à l’agréable » En vérité, il était tout de même quelque peu surpris de cet aveux. De tous, il lui sembla qu’elle se rapprochait le plus de Lorenz et de son chiche besoin de présence. Aussi, qu’elle puisse réellement compter sur le fait d’obtenir une compagnie qui ne soit pas utilitaire avait… et bien sans doute quelque chose de légèrement… choquant. Ainsi, la froide dame n’était pas si dure, si diamantine, si tombale qu’elle le montrer. Qu’elle devait le montrer, sans doute ? Il était bien étrange de se trouver confronter à une preuve d’’humanité’ quelle qu’elle puisse être, en ces lieux. Ce panier de crabes, cette corbeille de serpents… et elle qui régnait sur la ménagerie. Oui, d’elle encore moins que les autres, en vérité, une telle image était surprenante. Ainsi, elle n’était pas si froide ? Etait-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Peut-être un peu des deux, mais qui était-il vraiment pour le savoir. Personne en vérité, du moins personne d’assez sociable pour comprendre l’entièreté de l’implication que cela avait. Tout ce qu’il pouvait vraiment faire, c’était lui assurer qu’il goûtait sa présence même sans ce qu’il se devait de lui demander.

« Je ne vous demande pas votre pitié, Dame, mais votre écoute » Rappela-t-il avec simplicité. S’il avait seulement eut besoin de sentimentalisme, il n’aurait, certes, pas été voir cette personne-là… SI il en avait voulu. Il n’en voulait pas. Il n’était pas dans son caractère de rechercher la commisération des autres. Ce qu’il voulait, c’était obtenir ce qu’il désirait, s’il le pouvait, et rien d’autre. « Même si j’apprécie votre franchise » Il détestait bien trop le mensonge pour le tolérer à son encontre, et ce même s’il se devait de le pratiquer parfois. C’était un sacrifice consentit à leur cause, même si cela lui coûtait énormément… quoi que, si cela ne lui avait rien coûté, ça n’aurait pas été un sacrifice. Pour la cause, pour son frère, il lui fallait bien subir cela au moins… il était prêt à accomplir bien davantage encore. Il soutint son regard sans ciller, parfaitement calme. Etre ainsi étudié ne le dérangeait nullement, il en avait l’habitude. Ce n’était de toute façon pas particulièrement désagréable au demeurant. « Ne vous l’ai-je pas déjà indiqué ? » Bien sûr que si, il le lui avait déjà dit, mais si elle voulait davantage de détails, il pouvait en donner sans guère de soucis. « Vous n’êtes pas aveugle, vous savez pertinemment que Vraorg est entouré d’individus qui ne rêvent que de le fuir ou mieux, de mettre un terme à son règne. Wallam n’était loyal, jusque-là qu’en raison de sa marque et de la menace pesant sur Esmelda Kohan… mais à présent ? A présent, il est possible de le rendre réellement loyal. Vous le savez mieux que personne, une loyauté acquise sans contrainte, du plein grès du serviteur, est plus efficace encore que celle arrachée de force »

Il prit son verre, en bu une gorgée avant de poursuivre « Wallam penche déjà en faveur de Vraorg en raison de la part de Mort dans la perte de sa douce. Mais sa loyauté peut encore vaciller. Il est blessé au cœur, à ce qu’il possédait de plus précieux, s’il a l’impression que son amour est bafouée même dans le décès il en ressentira une amertume qui, correctement utilisée, pourrait le faire changer d’avis. Mais en accordant un repos agréable à Esmelda Kohan, en préservant son enveloppe, en lui permettant de voir chaque jour ce que les esprits lui ont arraché ? Alors il pourra réellement se dédier à son maître, en toute sincérité » Il s’interrompit, l’observant à son tour, puis acheva sur le cas de Wallam « De plus, en incinérant son corps, ce serait la rendre entièrement à son véritable bourreau : Mort. Ce ne serait pas une chose à faire, je pense… pas plus que pour Lorenz » Nouvelle gorgée. Il refusait de se presser, refusait de sembler un tant soit peu y accorder une importance plus grande que celle qu’il se devait de désigner. Epongeant ses lèvres d’une serviette sombre, qu’il reposa et lissa ensuite, il reprit enfin. « Quant à la raison de ma présence et pas de la sienne… il est éploré, rompu de chagrin et doit avant tout accomplir son devoir de Sombre Garde auprès de Vraorg. Mais mes raisons sont sensiblement les mêmes que celles qui concernent Wallam, à défaut que ce que vous y gagné est moins direct »

Nouveau silence, puis il poursuivit « Lorenz Wintel est un vampire spécial. Etait, en vérité. Vous connaissez son histoire, du moins l’officielle, ce qu’il a accomplis en réunissant et conservant les vampires sous sa coupe, ses exploits également… il a encore beaucoup de fidèles, dans les rangs de l’armée, qui ne sont pas tant dévoués à Vraorg, et bien davantage à lui. Faite de son corps gelé un souvenir, un message. Montrez-leur que même leur tout puissance prince noir n’est rien devant Vraorg et qu’il est mort, que c’est Vraorg qui pourra réellement leur apporter ce qu’ils désirent. Qu’il est le plus fort de toutes les façons possibles. Montrez-leur également que personne n’est à l’abri, pas même tout en haut, pas même en étant vampire. Empêchez-les de rejeter l’idée de sa mort. Vous ne pourrez pas faire ça si vous l’incinérez… car son corps aura disparu » Il laissa un nouveau silence, bien plus long encore, puis conclus « En bref : Vous gagnerez à faire l’œuvre de Vraorg comme vous seule savez la faire »

Il ne réagit pas davantage, lisse et placide, impavide dans son observation malgré le bris d’un silence loin d’être conflictuel, sa voix émanant comme une évidence déjà toute calculée « En ce monde, on n’obtient jamais rien sans rien » Il ne lui coûtait guère que de contracter une dette à son égard puisqu’il aurait sans aucun doute l’occasion de la payer en lui laissant la vie sauve, lorsque Lorenz serait de retour. Une vie pour une vie, quoi de plus idéal pour pareil accord ? La conclusion n’en serait que plus parfaite. Quant aux considérations amenant pareil achalandage, il n’en avait cure. Cela faisait longtemps qu’il n’en tenait plus compte. N’importait, finalement, que la réalisation de sa prétention. Et on la lui offrait, quoi de plus satisfaisant en l’instant ? « Et bien en ce cas j’irais signifier que vous le relevez de son poste, Dame, pour votre bon plaisir » Et retomberait la contrariété de Vraorg sur elle si le Blanc n’appréciait pas d’être privé de sa peine pour un moment. Il ne prendrait pas de risques inconsidérés alors qu’il devait absolument ramener les deux décédés si étrangement appelés par l’esprit de Mort. Dans le cas où cela tournerait mal, Wallam en voudrait de nouveau aux Théocrates et il lui serait plus aisé de le manipuler à son grès. L’un comme l’autre le donnait gagnant. Que demander de plus ?

La suite néanmoins, lui tira un haussement de sourcil « Je n’oserais présumer de vos bonnes dispositions, Dame » Evidemment qu’il avait tout prévu, mais il n’allait certainement pas le lui dire. « Cela étant dit, puisque vous acceptez, autant faire cela rapidement. Demain, par exemple. Nous avons mis les corps dans une salle froide des geôles du Maître, afin de permettre leur relative préservation en attendant d’être fixés sur leurs sorts» En vérité, il ne manquait de toute façon pas grand-chose pour elle, puisqu’en dehors de sa personne, le rituel ne nécessitait que les corps et de quoi les transporter. Dans l’absolue, donc, elle n’aurait qu’à se présenter pour officier, et tout serait accomplis. Néanmoins et puisque le sujet était clôt, il fallait à présent en aborder un autre, moins délicat mais tout aussi important. Il l’avait réservé pour la fin, de sorte qu’ils puissent finir sur une note moins tendue. Il ne doutait nullement que la dame Blanche soit calme en l’instant, mais cela ne signifiait nullement qu’il fallait jouer sur des glaçons en permanence. « Oui, effectivement » Il se permit de boire une nouvelle gorgée avant de répondre, autant parce qu’il n’avait pas mangé depuis des jours que parce que cela permettait tant de ponctuer leur discussion, que de lui permettre de s’interroger.

« Les récentes améliorations apportées à l’armée du Seigneur ont passé leur phase de tests. Je pense qu’il serait bon de leur voir à l’œuvre dans la campagne à l’Est, désormais. Ce sont les troupes stationnées à Althaïa qui ont la charge des modèles en observation, c’est donc naturellement vers vous que je me tourne pour ces simples questions : sont-ils prêts, d’après vous, à être usités sur un véritable champ de bataille, et sont-ils en état d’effectuer le voyage vers l’Est ? » Alors qu’il laissait sa phrase s’achever, il se rendit compte qu’une troisième interrogation se posait également « A bien y réfléchir, il me semble que seuls certains seront à même d’être utiles pour cette fois. Pouvez-vous me le confirmer ? J’ai une liste des améliorations et des machines que vous avez sous votre garde, nous pourrons donc définir lesquels solliciter si cela est possible et dans quelle mesure » Il se redressa légèrement sur son assise « J’ai naturellement pensé que vous pourriez nous accompagner dans cette ultime campagne et ainsi être présente pour la destruction du Protectorat… en tant que Dame d’Althaïa, vous auriez une grande influence sur les troupes »