La journée avait été longue. Rencontres fortuites et peu communes avaient ponctuées l'interminable temps entre le lever et le coucher du soleil. Kyle s'était pris à souhaiter ardemment que ce dernier arrive plus tôt que la nature et l'ordre des choses souhaitait qu'il subvienne. La solitude était devenue l'unique compagne durable du mignon. Non pas que cela lui déplaise. Il en était venu, au bout d'une journée, à apprécier le calme et les instants de quiétude que le campement, avare en repos, s'avérait à lui offrir. Il arrivait aussi à Kyle de songer aux événements récents. Quelques temps auparavant, il ne jurait que par Wintel, et voilà qu'il se retrouvait là, au milieu d'un désert et sous l'assaut du sable, parmi ceux là même qui avaient jurés de causer la perte du vampire qu'il avait servi tant de temps. Oui...Il serait malvenu que la populace apprenne qui il était. Non pas qu'il ne prévoyait pas de se rendre utile mais le temps ferait son office.

Lorsque la nuit tomba, il se contenta de regarder où se dirigeait les gens, pour comprendre que les cavernes naturelles, siégeant en deçà de bien des récifs alentours constituaient l'abri nocturne de la plupart des Protégés. Il suivit le courant des gens, voilant son visage, et se trouva, contre une pierre difforme, un abri pour la nuit. Quelque peu nostalgique du confort qu'il jouissait jadis, il poussa le sable afin de dessiner sur le granit un coussin de fortune, sur lequel il reposa sa tête. Il inspira longuement par le nez avant de soupirer discrètement, repoussant au loin avec une ridicule violence quelques grains de sable qu'il suivit du regard. Il remarqua une jeune femme, qui se dirigeait vers lui. Il ne lui prêta pas d'attention, reportant son regard sur le sol, tentant d'apaiser ses pensées et d'en chasser la désuétude. Mais voilà que la jeune femme lui posa la main dessus. Surpris, il se releva à moitié, en s'écartant, par prudence.

« Excusez-moi, il m’appartient. Je l’avais posé sous votre tête hier lorsque vous étiez inconscient. Me permettez-vous de le récupérer? »

« Je..je...et bien, je...»

« Je m’appelle Aléria. Puis-je savoir à qui je m’adresse? »

Il garda un instant le silence, puis répondit doucement. « Aucune espèce d'importance » Il ponctua son dernier mot d'un léger sourire, soucieux de signer ses premières paroles par un acte d'encouragement. Kyle avait eu l'occasion de fréquenter des Humains par le passé. Le caractère éphémère et si bref de leur existence les poussait aux actions les plus inexplicables par les philosophies des Immortels. La femme - Aléria, selon elle, qui se trouvait face à lui, n'était ni dénuée de charmes, tant au niveau de la taille de ses traits qu'à l'agencement de son corps. Il regarda autour de lui un court instant. Ceux qui n'étaient pas endormis s'apprêtaient à fermer les yeux, les derniers debout confectionnaient sur leur parcelle de sol ce qui pouvait s'apparenter à du confort. Doucement, Achille s'approcha de la jeune femme, repliant ses genoux de manière à lui faire face, assis en tailleur. Il enleva le foulard qui se tenait toujours au niveau de son cou, enroulé, et qui était entièrement l'objet de la visite nocturne de la jeune Humaine. Toujours à moitié souriant, d'un sourire léger le vampire approcha son visage, juste assez afin que les rayons de la lune l'éclaire.

« Ce foulard est effectivement à vous, Aléria. Acceptez mes sincères excuses. Sachez qu'il aura su me protéger du soleil, celui-là même qui me fit perdre connaissance. Je trouverais, par mes propres moyens, une manière quelconque pour que ses rayons ne m'atteignent pas. »

Pliant doucement le châle, il le tendit doucement à sa propriétaire, posant ses yeux à la couleur des saphirs sur son interlocutrice. Puis, après un court instant, il reprit de sa voix douce, sans qu'il ait besoin d'en altérer le ton afin de ne pas gêner les assoupis qui les entouraient.

« Êtes-vous celle qui a prit soin de moi lorsque j'étais inconscient ? Des remerciements semblent s'imposer, en espérant que vous n'ayez pas à renouveler l'expérience si d'aventure le soleil m'assaille à nouveau. Privé de votre foulard, qui sait ce qui adviendra. » ponctua-t-il avec un sourire.

Le sourire que Kyle arborait se tut progressivement, muant progressivement une expression sereine en un imprescriptible doute, que l'on ne saurait toutefois taxer de méfiance. Une baptistrelle. Voilà qui compliquait les choses. Lui qui souhaitait passer inaperçu pour un temps, ses projets tombaient bien bas face à ceux qui décelaient le mensonge entre les lèvres des plus habiles manipulateurs. Sans l'ombre d'un doute, la conversation s'apprêtait à prendre une tournure des plus intéressantes, car Achille n'était pas sans savoir que ceux qui liaient leur destin à cet ordre se voyaient proscrire, au prix de leur pouvoir, le moindre mensonge d'une insignifiance totale. La jeune Humaine plaça autour du cou du vampire un autre châle, moins ouvragé et manifestement d'une importance moindre pour qu'elle puisse se permettre de s'en séparer.

Alors qu'il s'apprêtait à répondre, la main d'Aléria se posa sur son front après avoir dégagé l'une de ses mèches rebelles. Surpris, il ne réagit pas, n'esquissant aucun mouvement de recul, si ce n'est une infime crispation au niveau de la nuque. Lorsqu'elle la posa enfin sur sa joue, s’enquérant des moindres signes de fièvre qui lui auraient échappé par le passé. La main de l'Humaine aurait pu être brûlante, en comparaison à l'hivernal abîme qui siégeait en son for intérieur. Kyle accorda à l'Humaine un bref rire, de ceux dont il avait le secret par son expérience : ceux qui, d'un ton conciliant et confiant, voilaient une presque gêne ou une incapacité à réagir. Ces sourires là, maniés avec habileté et dextérité, s'avéraient désarmants ou, pour employer le mot populaire : ravageur. Il lui posa une question d'une voix douce.

« Est-ce uniquement pour ma...« fièvre », que votre main se trouve sur ma joue ? »

Sans plus de cérémonie - mais en conservant son sourire, il ôta de sa joue la main de l'Humaine. Avec douceur et sérénité, il la lâcha, une fois assuré que sa joue ne craignait plus rien. Lentement, il porta le foulard qui venait de lui être offert à son nez. Il y décela un léger parfum, loin d'être désagréable sans pour autant être enivrant. S'adossant à la roche où il avait élu domicile, Kyle posa ses mirettes sur le sable, passant ses doigts sur le granit. S'amusant à dessiner des formes, il reprit doucement, baissant volontairement le ton afin de ne pas être entendu. Achille voulait croire que ce qu'il avait été n'avait plus aucune espèce d'importance, mais il ne pouvait pas s'y résoudre. Quatre siècles à longer les murs et à être aussi petit qu'un décor ne pouvaient être remplacés ou oubliés en l'espace d'une journée, même entre les murs du Protectorat, patrie de l'amnistie. Il n'était pas naïf.

« Je connais le cœur de ceux qui ont trouvé refuge en ces murs, Baptistrelle. Et vos lois...principes...et votre justice morale n'altéreront jamais ni l'animosité innée, ni les souvenirs de ceux qui ont souffert. Me pardonnerez-vous de demeurer prudent ? Sans aucun doute. Mais les principes élémentaires de la logique attestent que ce n'est en aucun cas de vous que viendrait un danger...Aussi je me résous donc à vous dire qui je suis. »

Il se tut un instant. Comme si le dire lui était plus difficile qu'être à présent autre chose qu'il n'avait jamais été.

« Mon nom est Kyle Achille, ancien conseiller de Lorenz Wintel, seigneur des vampires, diplomate de son état et...architecte de bien des malheurs. »

Il acheva sa présentation par un très bref sourire. Il l'avait dit sans honte. Peut-être avec une certaine gêne, à l'idée de révéler avec autant d'impunité ce qu'il avait été face à l'une des innombrables personnes probablement victime de son expertise diplomatique.

Ainsi donc, ce mythe était fondé ! Le Protectorat, terre sacrée des apatrides et de l'amnistie. Les landes de l'oubli, celles où le passé était délaissé à l'instant où la frontière était traversée. Kyle ne put s'empêcher de rire - assez fort même, suffisamment pour s'attirer quelques regards, qu'il soutint timidement en voilant ses lèvres de sa main. Pas de généralités précipitées ! Qu'une baptistrelle ne la juge pas ne dorait pas le blason des Protégés d'une clause de pardon providentiel et inconditionnel. Étrangement, être un métèque ne lui était pas désagréable. Peut-être qu'à terme, cela le pousserait à souhaiter ardemment de redevenir quelqu'un, mais les quelques heures qu'il passait en tant qu'anonyme lui étaient chères. Achille prit la gourde qu'Aléria lui tendait, la remerciant d'un sourire.

« Merci du compliment. Vous...n'êtes pas dénuée de charmes. »

Il ria à nouveau. Non pas qu'il eut mentit, non, il était sincère. Mais la situation l'amusait. La sincérité et la vérité étaient des étaux si lourds et si étroits que le vampire ne pouvait s'empêcher d'en rire ou de jouer avec. Irrespectueux ? Profane ? A juste titre ! La vérité était si ennuyeuse, si monotone, bien qu'elle puisse parfois être belle. Mais le mensonge était une arme si puissante que même les baumes de la vérité ne pouvaient en panser les blessures les plus béantes. Sans répondre, il se leva, gratifiant son gosier d'une lampée de son outre. D'un geste, à la fois désinvolte et courtois, il invita l'Humaine à montrer le chemin jusqu'aux puits.

« Je vous suis. » Après un court silence, il reprit la parole, gêné que la nuit et les étoiles ne prirent le parti de troubler le calme ambiant. « Baptistrelle...Voilà une vocation pour le moins originale. Pourquoi ce choix ? Vos mains sont soignées, votre teint n'est pas celui du petit peuple - quoique le désert ne fasse pas de présents. Vous parlez convenablement. Noble...ou bourgeoise...Mais qu'est ce qui pousserait une femme telle que vous à s'aventurer dans les rouages de cet ordre... » Il glissa ses mains dans ses poches, l'air désinvolte et presque insolent. « Le désir d'aventure ? Vouloir rencontrer des gens ? Réfléchissons dans l'autre sens. Quelque chose, ou quelqu'un, à fuir ? L'anticonformisme est de mise, ces cinquante dernières années, chez certains cercles des vôtres. »

Peut-être allait-il trop loin. Probablement. Il fit de ses cheveux deux parties distinctes, et les noua entre elles par un nœud grossier, de telle manière que sa crinière immaculée s'entrelaçait dans un sinueux circuit de fins cheveux blancs. Il reposa ses yeux sur elle.

« N'avez vous jamais souhaité formuler un mensonge ? Il m'arrive parfois de juger la vérité si monotone, si ennuyante. Le faux est un immense abîme, bien plus excitant à explorer que les sentiers cartographiés de la vérité. Qui plus est...il me semble que c'est là que proviennent les plus grands maux : avoir raison est une longue et interminable quête, et quelle qu'en soit l'issue, cela se conclut toujours par la guerre. » Il s'arrêta un instant, souriant à la Baptistrelle. « Vous devez me trouver imbuvable, n'est-ce pas ? »