Lisaë se trouvait dans ce qui lui servait de chambre à coucher. Elle y lisait et recopiait avec une précision presque maladive un ancien parchemin vieillit et abîmé autant par le temps que par le voyage qu'il avait dû entreprendre. Telle une vieille personne, le sortir de sa retraite paisible fut un coup de massue sur les fibres du papier, sur l'encre, et il se mourrait à vu d’œil. Usé de magie pour le sauver, une idée, mais la jeune archiviste se préférait pour l'heure à le recopier. Cela lui évitait de penser à l'absence de son fils aîné et à celle de son époux et quand à la raison de ces absences. Seule le bruit de sa plume sur le parchemin brisait le silence de la pièce éclairée par des bougies dont la flamme chancelait au rythme de la main de la jeune mère. Son sérieux et sa concentration lui faisaient froncer son front laissant apparaître des marques d'inquiétude. Mais son esprit ne pouvait que se concentrer sur une chose : allaient-ils bien ? Étaient-ils blessés ? Souffraient-ils ou étaient-ils sur le retour ? De quoi parlait son parchemin ? Lisaë ne le savait presque pas. Il n'y avait rien de pire que l'attente. Cela lui rongeait le sang et l'esprit.

Et lorsqu'on frappa à la porte, Lisaë sursauta, la peur s'insinuant dans son ventre. Idiotie. On pouvait avoir besoin de la jeune femme pour bien des choses. Elle se leva en douceur, rejetant en arrière sa longue chevelure, posant sa plume avec délicatesse. De son pas léger et aérien, l'archiviste se dirigea vers la porte et l'ouvrit. Derrière, un soldat elfique, le regard grave semblait nerveux et mal à l'aise. La mère de famille devint blanche et posa sa main sur sa bouche. Non, il ne se pouvait mais ce qu'elle lisait sur le visage du soldat ne pouvait être autre. Alors qui son fils, son mari. Lisaë dut faire preuve de retenu pour ne pas se laisser aller aux tremblements naissant dans ses jambes.

« -Dites moi ? Ne me faites pas languir plus longtemps. »

Le soldat prit une inspiration, il ne voulait pas blesser outre mesure la jeune mère.

« -Votre mari revient de sa mission. Il a été blessé. Il se trouve dans la salle de soins. Il vous fait demander auprès de lui. »

Il vous fait demander. Au moins, il parlait. C'était une chose qui la soulagea. La jeune femme suivit le soldat cherchant à le presser un peu plus. Qu'il était lent, elle aurait été seule, Lisaë se serait mise à courir vers son aimé. Pour contenir sa crainte, elle demanda d'une petit voix.

« -Qu'a-t-il exactement ? A-t-on fait venir un baptisrel ? »

Le soldat répondit d'une voix neutre.

« -Il a été blessé aux jambes et oui madame, nous avons fait le nécessaire. Des soins avaient déjà été apportés il y a quelques jours. Mais rien n'a fait. »

Alors cela devait être bien plus sérieux qu'elle ne le pensait pour que des soins prodigués plusieurs jours auparavant ne fassent aucun effet.

Quand elle entra dans la salle des blessés, la jeune femme se dirigea à grands pas vers son mari, et se plongea presque sur lui en retenant des larmes d'inquiétude.

« -Tu vas bien ? Par tous les Esprits comment vas-tu ? As-tu mal ? »

Derrière elle, la mère Terendul ne vit pas la chanteuse de l'air arrivée.

Artaher n'en était pas à sa première blessure, loin de là. Le combattant aguerri qu'il était pouvait en effet se prévaloir d'avoir participé à de nombreux combats : depuis les simples duels d'entraînement aux meurtrières batailles de plus grande ampleur, il avait toujours eu un attrait plus que prononcé pour la rivalité martiale. Et la première chose que l'on apprenait et acceptait lorsqu'on envisageait dédier sa vie aux armes, c'était bien le risque de prendre des coups. Tout l'art étant justement de parvenir à en distribuer plus que l'on n'en prenait soi-même, ou à défaut, de frapper plus durement que ne frappait l'adversaire. Pour cette fois cependant, il semblait bien que le général elfique eut écopé d'une blessure plus sérieuse qu'il n'avait pu le penser de prime abord et, à son grand regret, les trois jours de voyage qui les avaient ramené ses troupes et lui à Aigue-Royale n'avaient permis aucune amélioration de son état. N'en déplaise aux efforts que déployait le jeune Sywel pour remédier à la situation, le colosse demeurait totalement incapable de remuer le moindre orteil et fut bien malgré lui immédiatement dirigé vers la salle de soins afin de s'y faire examiner par d'autres guérisseurs, humains ceux-là. En fait de guérisseurs, Artaher eut surtout la désagréable impression de se retrouver piégé au milieu d'une volée de vautours avides d'étudier les effets des spores du légendaire coursier de la terre bien plus que d'en guérir rapidement les conséquences. Heureusement pour lui, malheureusement pour les soigneurs, le colosse avait gardé le plein usage de ses bras et ne se priva pas d'empoigner l'un de ses soi-disant bienfaiteurs pour attirer leur attention sur lui et réclamer avec sa fermeté habituelle :

« Je promets au prochain qui pose un doigt sur moi sans mon assentiment un aller-simple pour les couchettes réservées aux cas graves, suis-je assez clair ? »

Il avait même consenti à faire l'effort de s'exprimer en langue commune plutôt qu'en elfique, afin d'être assuré avoir été bien compris par les humains qui prétendaient s'octroyer le droit de l'approcher. Aucun des mages présents ne se risqua à lui répondre de vive voix, mais le fait qu'ils se fussent instinctivement écartés d'un pas prudent constituait déjà une réponse amplement suffisante.

« Bien, à présent, veuillez faire quérir mon épouse, sa présence à mes côtés sera déjà un soulagement plus grand que ne pourraient l'être vos potions et infusions. »

Son regard clair glissa ensuite vers le lieutenant qui l'avait accompagné jusqu'ici et il s'adressa directement à lui, sans paraître le moins du monde s'inquiéter de la possibilité de froisser ceux qui se tenaient encore là :

« Lieutenant, il me semble que la chantebrise Thredë séjourne en ce moment dans la cité, pourriez vous lui faire savoir que je souhaiterais pouvoir bénéficier de ses talents ? Tant qu'à nécessiter des soins, je préfère autant confier cette tâche à une personne compétente. »

Les minutes qui suivirent s'écoulèrent dans un silence lourd qui n'était certainement pas pour déplaire au général elfique, lequel put constater avec satisfaction que les soigneurs humains s'étaient détournés de leur sujet de curiosité pour reprendre leurs occupations, non sans probablement maugréer quelques répliques bien senties à son propos. Au moins avait-il à présent la paix, le reste lui importait bien peu, ce d'autant plus qu'il venait d'entendre le bruit des portes du petit bâtiment d'infirmerie s'ouvrant pour laisser apparaître la silhouette gracile d'une jeune elfe au visage particulièrement inquiet. La nouvelle venue se précipita vers la couchette qu'occupait son époux et couvrit ce dernier d'autant de questions que d'attentions, au grand amusement du concerné. Artaher laissa échapper un rire léger tandis qu'il essayait de la rassurer tendrement :

« Bien sûr que je vais bien, tu n'imaginais quand même pas que je me laisserais tuer sans ta permission ? Et je ne souffre pas, non, Dawan Sywel s'est occupé de soigner mes plaies, j'ai deux jambes comme neuves... ou presque. »

Joignant le geste à la parole, le colosse désigna les jambes en question, laissées nues jusqu'à mi-cuisse, avant de poursuivre sur un ton à peine moins enjoué :

« Elles ont simplement oublié de se réveiller mais j'ai fais demander Thrëde, je suis sûr qu'elle m'arrangera cela en un rien de temps. »

Et si quand on parle du loup, on en voit la queue, quand on parle de la baptistrelle, on en voit la chevelure. La blonde chantebrise venait en effet de surgir à son tour dans l'infirmerie pour se diriger sans tarder vers le blessé qui requérait son intervention. Ce dernier salua l'arrivante comme il convenait de le faire selon les coutumes elfiques puis la remercia avec un hochement de tête :

« C'est un plaisir de vous revoir, Aramis, même si je dois admettre que j'aurais préféré ne pas avoir à vous déranger. »

Décidément pas de repos pour les braves, qu'ils soient militaires, ou guérisseurs. Au moins il n'y avait certainement pas de quoi s'ennuyer avec tout ceci, même si avec tout les récents événements agitant le continent il y avait tellement à faire. Trop sans doute, à croire que tout ceci n'aurait pas de fin, au moins il n'y avait pas d'autres batailles à l'horizon pour assombrir d'autant plus le tableau, mais c'était là une bien maigre consolation par rapport aux destins funestes qui semblait être offert à tout les Armandéens si rien n'était fait pour l'en empêcher. Par rapport à cale l'optique de la guerre civile, et des guerres inter-raciales passé pour quelque chose de plus que futile.

Et en parlant de cela un certain général était rentré depuis peu, et dans un état assez préoccupant d'après ce qu'on lui avait dit, ah bon sang il ne manquait plus que ça… Au moins il n'était pas mort c'était déjà bien car la rébellion, et le peuple elfique aurait eu du mal à sa passer d'un commandant du niveau d'Artaher Terendul, car malgré sa petite fermeture d'esprit il fallait dire que ce dernier était un excellent militaire, et c'était a peu près ce dont le continent avait besoin en ce moment…

Elle demanda bien entendu qu'on lui fasse un rapide résumé de ce qui se passait en chemin, et elle put ainsi apprendre que le général était revenu d'une mission, et que ses jambes étaient dans un état préoccupant, avec de la chance en tant que baptistrelle elle pourrait facilement faire quelque chose pour y remédier, après tout elle pouvait bien faire repousser des membres par le chant nom, le problème c'est qu'on lui avait dit que c'était la monture légendaire du général qui avait causé tout ceci… Et là c'était bien plus délicat si on précisait ce détail-ci…

En résumé après avoir lancé par sécurité un court chant du mensonge honni Aramis était en pleine réflexion au sujet de ce qu'elle allait faire au moment où elle arriva dans la pièce où se tenait le couple Terendul, la femme du général se tenait au chevet de celui-ci comme l'épouse fidèle qu'elle était, c'était touchant. Au moins il aurait un soutien psychologique, même si avec un elfe de la trempe d'Artaher, Aramis ne doutait aucunement que ce dernier puisse encaisser beaucoup en cas de mauvaise nouvelle, pas qu'elle était pessimiste, mais elle préférait considérer que le pire était dans le champ des possibilités actuelles.

Aramis fit aussi le salut qu'il ait de coutume de faire entre elfes de ce rang, personnellement elle n'y était pas particulièrement attaché, mais le général l'était sans doute donc autant respecter ce choix. Aramis écoute ensuite calmement ce dernier parlait, et répondit d'un air visiblement préoccupé, et très sérieux après l'avoir une première fois bien regardé.

« Le plaisir, et les préférences sont réciproques sieur Artaher. QUel qu'il en soit je suis ravi de vous revoir sieur, et dame Terendul. » Elle aussi aurait préféré le revoir en une situation bien moins graves pour le général à vrai dire. Un bon militaire, mais par réflexe elle tenu à consulter un peu le chant nom du général pour savoir d'où provenait la blessure de ce dernier. Mais avant elle se rapprocha du blessé, et examina magiquement les jambes de ce dernier. Pour ne pas perdre de temps.

Elle usa d'abord d'un simple Inspicio pour faire un examen de la blessure en elle-même. C'est bien celle qu'elle pensait, un empoisonnement, mais visiblement pas par une substance auquel elle avait déjà était confronté auparavant, et puis ce n'est pas comme si le pollen n'avait pas eu le temps de bien faire ressentir ses effets… Elle réfléchit rapidement, et décida tout d'abord sans grande conviction d'user du sort Annulation pour essayer de guérir le général du poison qui agitait son corps… Avant de demander fermement à ce dernier.

« Essayez de bouger vos jambes. » Dit-elle calmement, visiblement elle vit vite que c'était sans résultat, elle demanda donc ensuite calmement. « Dîtes moi si vous sentez quelque chose dans vos jambes... » Après tout si déjà il avait quelques sensations ce serait un bon début. Pour l'instant ce n'était que des sorts elfiques de très haut niveau dont elle usait. Pour voir s'il y avait un résultat même minime. Par un simple sort elle tenta donc de stimuler la jambe du général, si ce dernier sentait quelques piqûres ce serait un bon début, sinon eh bien il ne sentait rien du tout, et ça compliquerait les choses. La magie baptistrelle serait la seule possibilité. Peut-être même le domaine concernant les chant noms...

« Dites moi ? Depuis que vos jambes sont dans cette état ressentez-vous la moindre douleur ? Gêne ? Est-ce que cela n'a d'effet sur sur vos jambes, ou vous vous sentez faibles/engourdi ailleurs ? Ce pollen a t-il eu d'autres effets sur vous comme des nausées, malaises, vomissements ? » Quelques questions comme ça pour s'informer.

« Racontez-moi avec détails je vous prie les circonstances qui ont amenés ceci. Depuis combien de temps êtes vous dans cet état ? Et tant que vous y êtes si quelqu'un as déjà essayé de vous soigner, ou bien vous as fait ingurgiter une mixture quelconque pour guérir ceci ? » Elle avait envie de l'entendre de sa propre bouche, et puis surtout cela permettrait au patient de ce tenir tranquille pendant qu'elle continuait à l'examiner de fond en comble par le chant nom.

« Dame Lisaë ? » Demanda t-elle calmement au passage à cette dernière. « Je ne veux pas vous faire de faux espoirs à vous, et à vôtre mari. D'après ce que je constate ceci est assez grave, il est possible dans le pire des cas que même la magie baptistrale soit dans l'impossibilité de le soigner, je ne dis pas que ce n'est pas possible pour l'instant car je n'ai pas encore fait un examen assez approfondi pour en être sûr, je dis juste qu'il faut vous préparer à la possibilité qu'il ne puisse pas être guérit de ça, et à le soutenir dans cette épreuve. » Après tout c'était la femme du général, et au vu de ce qu'elle constatait petit à petit elle se disait qu'il vaudrait mieux en parler à l'archiviste d'abord pour préparer cette dernière lorsqu'Aramis en parlerait au géneral, on ne savait jamais après tout… « Au moins je vous aurai prévenu. » Acheva t-elle calmement en écoutant attentivement les propos de l'un, et de l'autre pendant qu'elle continuait son examen.

La vision des jambes nues de son époux, soignées, qui semblaient ne rien avoir subit comme dommage. En apparence seulement. La réalité était bien moins belle que les plaies. Elles ne pouvaient plus bouger, immobiles. Inertes. Tout comme la jeune mère un instant.

« -Comment est-ce arrivé ? »

Était-ce réellement important ? Oui, peut être, mais le résultat serait le même. Son époux était étendu face à elle et il souffrait. Même s'il tentait de passer cela sous le sceau de la plaisanterie, Lisaê savait qu'une part d’inquiétude se cachait quelque part dans son esprit. D'une moue en colère, les yeux ne rigolant pas le moins du monde, le visage fermé, elle lui ordonna presque.

« -Ne plaisante pas avec cela, je me suis imaginée le pire. »

A la vision du soldat derrière sa porte, son air grave, Lisaë s'était imaginée un Artaher mort au combat et rien qu'à cette idée son cœur avait cessé de battre un instant avant de s'emballer farouchement, tel un cheval au galop. Et suivant cet homme vers son époux blessé, des images horribles ne purent quitter la jeune mère comme cette sensation de perdre pied. Il fallait bien que cela arrive un jour. Artaher était déjà revenu blessé. Mais les enjeux et le mal qui rodait dehors n'étaient pas les mêmes. La lutte bien différentes et l'ennemi bien plus fort. Un esprit rien que ça.

« -Je l'espère... »

La jeune mère des triplés se recula, anxieuse, ne perdant pas une miette des soins que tentait de prodiguer la maîtresse du vent. Elle se mura dans un silence d'inquiétude, laissant une main tremblante venir cacher sa bouche dont tout sourire même forcé s'était enfuit bien loin. Tous les gestes, les murmures, les pas de côtés de la dame elfique furent examiner, détailler et analyser par l'archiviste elfique.

« -Je ne veux pas être prévenue, je veux que mon mari soit soigné, magie baptisrale ou pas. Votre magie est la plus puissante et parvient à sauver des vies bien plus endommagées que les jambes de mon époux, alors allez-y. Faites ce qu'il y a à faire. C'est bien là la seule chose qui compte. Il sera guérit, je le sais. »

La jeune archiviste avait une grande foi en cet ordre, en cette magie. D'ailleurs c'est pour cela qu'elle désirait le rejoindre, ça et sa soif de connaissance jamais tari. Elle avait déjà tant fait pour bien des personnes encore bien plus abîmées par la vie que son époux. Alors pourquoi pas cette fois-ci ? A cause de la magie de néant ? Non, ce n'était pas possible, cela ne pouvait pas.

« -Bientôt tu te tiendras debout à mes côtés. »

La main posée sur l'épaule de son mari, elle ne pouvait cachée l'inquiétude qui transparaissait dans tout son corps. Lisaë tremblait et retenait des larmes naissantes. Qu'arriverait-elle si son époux ne pouvait plus marcher, se servir de ses jambes ? Lui qui était bien loin du genre à rester assis à ne rien faire. Et eux ? Leur couple ? Leur famille ? Tant de questions et de questionnement. Et aucune réponse pour le moment. Le regard suppliant, elle demanda à la baptisrelle de continuer ses recherches afin de trouver vite le moyen de remettre son mari sur pieds.

Plus encore que le ton sec avec lequel la jeune elfe s'était exprimée, ce fut dans le regard que lui adressa son épouse qu'Artaher comprit à quel point elle avait pu s'inquiéter. Écartant aussitôt toute légèreté dans la manière avec laquelle il avait appréhendé sa blessure jusqu'alors, le colosse glissa la main vers celle de sa femme et lui serra tendrement les doigts, geste qui se voulait tout à la fois confiant et rassurant tandis qu'il expliquait, penaud :

« Je suis désolé, je ne voulais pas t'inquiéter. »

Tel ne semblait pourtant pas avoir été le cas du soldat que le général avait envoyé prévenir son épouse, mais le concerné ne tarderait certainement pas à se repentir de sa maladresse et pour cause, la première chose que ferait le colosse une fois remis sur pieds serait d'aller trouver l'oiseau de mauvaise augure pour lui infliger un blâme à la hauteur de sa bêtise. Par exemple, en l'affectant à la garde des prisonniers qu'il avait ramené de sa dernière expédition : nul doute qu'endurer les caprices de Valasar et son humain de compagnie serait une punition des plus adéquates. Toutefois, il lui faudrait d'abord pouvoir sortir de cette salle de soin dans laquelle il avait déjà passé plus de temps qu'il ne l'aurait souhaité, aussi se conforma-t-il docilement aux instructions que lui donna rapidement la chantebrise. Non, il ne parvenait pas à bouger les jambes, pas plus qu'il n'éprouva la moindre sensation lorsque la baptistrelle usa de sa magie pour les stimuler. En vérité, s'il ne l'avait pas vue effectuer le geste clé du sort dont elle s'était servi, le colosse n'aurait pas même eu conscience d'avoir été pris pour cible. C'est probablement de cette constatation que naquirent les premières véritables angoisses du redoutable général : sournoise et insidieuse, la peur approchait de son esprit. Et si son état se révélait plus grave qu'il ne l'avait envisagé de prime abord ? Sans vraiment qu'il en eut conscience, l'étreinte que ses doigts faisaient peser sur ceux de son épouse se resserra sensiblement, cherchant à se rassurer au travers de ce contact discret mais non moins précieux. Comme beaucoup de militaires, Artaher possédait quelques superstitions qui lui étaient propres, que ce soit en refusant d'embrasser son épouse avant de livrer bataille ou en diminuant la gravité de ses blessures pour ne pas risquer les voir atteindre son moral, mais cette fois, il semblait bien que cette précaution ne suffirait pas.

« Pas de douleur, non, du moins pas depuis que Sywel a prodigué les premiers soins sur les plaies. Pas de gêne particulière non plus, hormis bien sûr le fait que je ne parviens pas à bouger les jambes. »

Direct, concis, clair, en un mot, militaire. Il raconta d'ailleurs avec le même professionnalisme le déroulement des événements qui avaient amené cette blessure, depuis l'arrivée sur les lieux qu'occupait la perle, la rencontre avec le couple des deux perturbateurs, jusqu'aux combats qui avaient été livrés, apportant d'avantages de détails sur l'épisode de la blessure proprement dite :

« Lorsque je me suis éloigné, Valasar a fait exploser un champignon sous les pattes d'Eäryl, la chaleur dégagée par le sort a rapidement fait flamber l'écorce, les fleurs, la végétation de sa toison... et mes jambes. La brûlure mise à part, je pouvais encore remuer les jambes à ce moment même si ma mobilité en a souffert, l'engourdissement n'est venu que progressivement. Cela fera ... quatre jours aujourd'hui. »

Un rictus mauvais vint étirer les lèvres du colosse tandis qu'il répondait à la dernière question de la chantebrise, désignant d'un signe de tête méprisant les soigneurs humains qu'il avait quelque peu malmené précédemment :

« Ils ont essayé, je leur ai fais comprendre que je préférais vous attendre. »

Mais la patience du général elfique, ou plutôt sa relative inexistence, était connue et redoutée dans tout le peuple elfique, voire même un peu au delà puisque les humains et les vampires qu'ils étaient contraints de côtoyer à Aigue-Royale commençaient eux aussi à en profiter, et cette réputation ne manqua pas rapidement se manifester lorsque la baptistrelle interpella l'épouse du blessé pour lui faire part de bien funestes prévisions. Lisaë fut la première à réagir, refusant catégoriquement d'avoir à entendre quelconque mise en garde à propos d'un éventuel échec, réaction que ne manqua d'ailleurs pas soutenir le blessé :

« Mais évidemment que je vais être guéris, quelle gravité peut-il y avoir là-dedans ? Mes jambes sont là et bien là, pas la moindre plaie ni même la plus petite cicatrice, il faut juste leur rappeler à quoi elles doivent servir, comment la magie baptistrale pourrait-elle échouer ? »

Joignant le geste à la parole, Artaher frappa du plat de la main sur ses cuisses, faisant claquer la peau pour mettre en évidence l'imposante musculature qu'il s'était bâti à force de longues années d'entraînement. Comment imaginer qu'une paire de jambes parfaitement musclées ne puissent plus se mouvoir ? Il s'énervait un peu, oui, mais la tournure que semblait prendre sa situation commençait à l'inquiéter de plus en plus sérieusement, c'est qu'il n'avait pas l'intention de renoncer si facilement à ses jambes. Son regard revint trouver celui de son épouse tandis qu'il assurait avec toute la détermination qui pouvait être la sienne :

« Cela ne fait aucun doute. »

Aucun, vraiment ? A en croire la baptistrelle, il semblait pourtant bien que le doute fut permis, aussi le colosse précisa-t-il rapidement à l'attention de sa soigneuse :

« Je ne suis pas une petite nature, Thredë, alors peu m'importe le moyen que vous utiliserez, soignez moi. »

Ceci n'était pas simple, cela semblait même assez compliqué. Ce n'était sans doute pas aussi complexe qu'une malédiction dragonique heureusement car Aramis doutait qu'il soit possible à l'heure actuelle de soigner quelque chose de ce niveau au vu des derniers événements, mais c'était au moins aussi complexe à soigner qu'un bras en moins. Chose qu'elle avait déjà faîte auparavant, mais qui restait délicate. Ce qui l'était encore plus c'était le fait que visiblement cela semblait être d'origine magique, de la part d'une créature légendaire, et unique sur Armanda. Ce n'était donc pas quelque chose qu'elle avait déjà soigné auparavant, eh bien soit elle tâcherait tout de même de faire avec . Il fallait savoir faire avec l'imprévu après tout.

Aramis regarda calmement l'archiviste qui semblait être fermement décidé, Aramis avait envie de lui dire qu'elle pouvait être sûr qu'Artaher serait soigné, mais elle ne le fit pas. Par le fait que elle-même n'en était pas complètement sûr, et ce serait un mensonge donc de promettre forcément qu'Artaher serait de nouveau en état. La chantebrise resta donc silencieuse en entendant les quelques paroles de l'archiviste, néanmoins la volonté de cette dernière de vouloir voir le général soigner ne pouvait que renforcer la détermination d'Aramis. Celle-ci de toute manière tâcherait de faire de son mieux.

Enfin elle se contenta donc de rester silencieuse tout en continuant ses examens, oui c'était bien ce qu'elle pensait… C'était effectivement dû à un poison, le pollen du cheval du général… Aramis se permit de lancer un regard légèrement réprobateur à ce dernier en entendant une partie de son histoire qui parlait de deux certaines personnes. Eh bien pour le coup on ne pouvait pas dire que le général n'était pour rien dans ce qui lui était arrivé. Néanmoins il ne méritait pas pour autant ce qui lui arrivait, et sa famille encore moins. Car il n'y aurait de toute façon pas que lui qui souffrirait de ceci, elle tâcherait donc de faire de son mieux pour les Terendull.

Le général n'avait aucune sensation dans ses jambes comme elle le craignait, cela devait donc toucher les nerfs… Le seul avantage de la situation c'est qu'elle doutait que ceci se transmette au reste du regard, au moins l'état d'Artaher ne pouvait pas être pire dans ce sens-là pour le moment, ça ne pouvait donc que s'améliorer, ou bien stagner. Elle réfléchit à ce que lui avait dit le général, à ce qu'elle voyait… Et avait perçu par son examen. « Visiblement il semblerait que le pollen d'Eâryl a fusionné avec vôtre jambe. » Et le constat n'était pas forcément très optimiste disons. Elle regarda les humains non loin, et leurs fit un sourire indulgent, elle doutait qu'ils auraient pu faire quoi que ce soit-elle même savait qu'elle risquait de ne pas pouvoir faire grand-chose car le pollen faisait maintenant partie d'Artaher, ce n'était plus un mal à éliminer, mais une partie de lui…

« La magie baptistrelle peut vous soigner sire Artaher, néanmoins je dois vous prévenir d'une chose. » Dit-elle calmement pour bien capter l'attention avant de poursuivre. « Ce que vous avez ce n'est pas comme guérir un poison, ce n'est pas soigner une blessure. C'est du domaine de refaire pousser un bras, mais en plus compliqué. En somme ce pollen qui a mit vos jambes dans cet état fait maintenant partie de vous, il a fusionné avec vos jambes. Si je dois le soigner il faudra que j'agisse par vôtre chant nom... » Et les conséquences allant derrière, c'était très risque Aramis d'ailleurs prévint le général.

« Bien entendu ce n'est pas impossible à soigner, néanmoins sachez que si j'ai déjà fait repousser des bras par le chant nom ce que vous avez est bien plus complexes, je vais devoir opérer par vôtre chant nom qui est la constituante même de vôtre être, et interagir avec. Et la moindre erreur même la plus infime vous serait fatale. » Avant de conclure finalement après avoir mit cela solidement dans la balance. « Et c'est l'une des opérations les plus complexes qui m'ait été donné de voir, même un spécialiste en chant nom aurait peu de chance de réussir. Il est donc très probable que vous mourriez si un bapitstrel tente de vous soigner de ceci... C'est tout, ou rien dans ce genre de cas. » Elle croisa donc les bras, et se releva. « Je suis désolé, mais je suis dans l'obligation de refuser de procéder à cette opération, les chances que je vous guérisse sans vous tuer sont infimes. Vous allez devoir vivre avec malheureusement… Si je tentai de vous soigner je vous tuerai c'est aussi simple que cela, c'est soit la mort, ou vivre avec cet handicap. » Elle avait l'air sincèrement peiné, et rajouta. « Je parlerai de vôtre problème à mes frères baptistrels, néanmoins je ne vous promet rien. Désolé de ne pas pouvoir vous donnez plus d'espoir, mais c'est la stricte vérité. » Aussi dure soit-elle.

Lisaë laissa la chantebrise examiner son mari en se reculant à peine, elle avait bien du mal à cacher son angoisse et le sérieux pouvait se lire sur son visage, laissant apparaître une ride au creux de ses deux yeux. Après un petit silence, Lisaë le brisa de sa voix tremblante.

« -Eh bien, tu as échoué. Comment voulais-tu que je ne sois pas inquiète avec toi dehors à combattre ces choses et qu'on vienne ensuite me dire que tu es blessé. »

Dès son départ, elle l'avait été, comme à chaque fois et rien ne pourrait y changer et aujourd'hui, elle avait la preuve de ses inquiétudes passées. Et tout ceci à cause de cette elfe totalement dérangée du ciboulot. Elle irait lui toucher deux mots.

« -Mais ce n'est pas sans conséquence autre ? Toute la magie du chant nom ne relève-t-elle pas de la base même de notre nature. Une note mal perçu, un son, la moindre fausse route dans ce chant et mon mari se retrouve avec les bras en moins et une nature totalement différente, n'est-ce pas ? »

Une question purement rhétorique qui n'amenait nulle réponse. De toute façon aucune ne rassurerait la jeune mère des triplés.

« -Il n'y a pas un autre moyen pour permettre au pollen de se retirer ? »

Que de faire repousser une jambe, extraire, bloquer, les faire fusionner ailleurs, qu'importe que de tenter de modifier un chant-nom.

« Car ce ne sera rien sinon. Artaher, tu ne peux prendre le risque de mourir. Je ne peux pas me résoudre à me dire qu'il y est plus de chance que la vie te soit ôter que tu remarches. Tu sais aussi bien que moi qui est celui qui pourrait te soigner par la grâce de sa connaissance des chants noms, et il ne fait plus parti des nôtres. »

Le maître des chanteurs, le traître qui avait tuer et assassiné leur foret. Et Artaher préférait sûrement ramper à vie et s'arracher le reste de la peau de ses jambes que de lui demander la moindre aide.

« -Je veux l'espoir qu'il vive, pas de vivre avec la disparition de mon époux. Je sais que nous trouverons une solution. Nous avons la magie, la connaissance et tout notre savoir pour parvenir à ce que mon mari retrouve l'usage de ses jambes.»

Il ne pouvait en être autrement. Si la magie avait pu refaire pousser un bras, ce n'était pas un peu de pollen fusionné qui allait mettre à mal son mari. Pas ce fort guerrier que rien ne peut ébranler sauf le sourire de sa femme. Lisaë s'en fit la promesse, elle chercherait partout, dut-elle aller rencontrer les esprits pour avoir de l'aide. Ma main tremblante, Lisaë la posa sur son mari en tentant d'ironiser la situation, elle savait qu'il ferait de même afin de minimiser l'impact d'une telle nouvelle sur sa femme.

« -Tu vois que j'avais raison de m'inquiéter. »

La jeune mère ne pouvait que retenir des larmes d'angoisse. Elle n'osait imaginer cet avenir qui se dessinait pour eux. Son époux ne pouvant plus se lever, c'était le pire coup de massue qu'il pouvait recevoir. Si elle pouvait lui donner les siennes, elle le ferait sur le champs. Qu'il puisse continuer à mener de front son combat contre leur peuple, à reconstruire cette vie qu'ils aimaient tant. Mais rien ni personne ne pourrait empêcher le général elfique de mener un combat, même assis en dernière ligne. Il serait là, épée à la main. Lisaë le savait. Et c'était aussi cela qui l'inquiétait grandement.

Son épouse exceptée, Artaher n'aimait pas les guérisseurs. Oh bien sûr, le militaire et guerrier qu'il était reconnaissait volontiers leur utilité et la noblesse de leur art, il était après tout bien plus gratifiant de soigner les plaies que de les provoquer, mais il n'aimait pas vraiment avoir à s'approcher d'eux. D'abord et avant tout, nécessiter l'intervention d'un guérisseur était généralement une mauvaise nouvelle, puisqu'un tel besoin impliquait le plus souvent la présence d'une blessure ou d'une maladie nécessitant des soins, ce dont on eut préféré pouvoir se passer. Ensuite, la façon d'être d'une majorité de soigneurs l'agaçait, tout simplement, que ce fut cette curiosité morbide qu'ils avaient à s'intéresser aux cas graves pour en tirer quelconque satisfaction intellectuelle ou ces précautions exagérées dès lors qu'il s'agissait de mettre leur notoriété en jeu pour établir un pronostic, diagnostic ou tout autre mot en tic. Au moins Thredë avait-elle pour elle de ne pas s'encombrer de manières, lorsqu'elle avait quelque chose à dire, elle ne se faisait pas prier pour le faire savoir. C'était d'ailleurs précisément l'une des raisons pour lesquelles Artaher avait insisté pour se faire soigner par elle, et il ne fut pas déçu... du moins au début. Fidèle à sa réputation, la chantebrise était en effet parvenue à identifier la source du problème et annonça rapidement que, comme le blessé s'était permis de le supposer, la magie baptistrale serait en mesure de le guérir. Toutefois, il s'avéra rapidement que cette bonne nouvelle ne l'était peut-être pas tant que ça, justement, mais la conversation sortit bien vite du cadre de ses propres connaissances. La baptistrelle voulait agir sur son chant-nom ? Soit, le général n'avait pas la plus petite idée de ce dont il pouvait s'agir mais si la blonde devait sautiller autour de lui et chanter son prénom en battant la mesure, grand bien lui fasse après tout, le ridicule ne tuait pas. Toutefois, si lui n'était qu'un parfait néophyte au sujet des arts baptistraux, tel n'était pas le cas de son épouse, laquelle s'était intéressée de plus en plus sérieusement à l'ordre des chanteurs et fut en mesure de comprendre plus facilement les tenants et les aboutissants de ce qui se disait alors au sujet de la guérison de son mari.

Silencieux, Artaher écouta avec autant d'attention que de méfiance l'échange qui se déroula entre sa soigneuse et sa épouse, haussant un sourcil circonspect lorsqu'il fut question de repousse et de perte de bras – c'étaient pourtant ses jambes qui lui faisaient défaut – , de fausse note ou encore d'altérer la nature même de ce qu'il était. A en juger par l'expression du visage de sa femme, le fameux chant-nom représentait effectivement un peu plus qu'une simple chanson elfique et la blonde chantebrise en apporta rapidement la confirmation. Une issue fatale ? Elle pouvait réellement le tuer rien qu'en chantant son nom ? Et non seulement ça, mais il semblait même que ses chances d'en réchapper étaient bien plus minces encore qu'il n'aurait été donné de le penser au premier abord. En fait, ses chances étaient si minces que la baptistrelle se refusait à prendre le risque, de même que son épouse d'ailleurs... et lui ?

« Mais... Je... »

Une lueur de panique traversa brièvement son regard tandis qu'il cherchait les mots les plus à même d'exprimer ce qu'il pouvait ressentir à cet instant, tant il peinait à considérer la possibilité que ses jambes ne puissent plus jamais le porter. C'était ridicule, parfaitement ridicule. Tant l'idée de le soigner ou de le tuer avec une simple chansonnette que celle de l'imaginer rester définitivement privé de ses jambes. Comment pourrait-il encore mener ses hommes à la bataille s'il ne pouvait plus marcher devant eux ? C'était absurde, c'était grotesque, c'était... c'était une blague. Bien sûr que c'était une blague, et de très mauvais goût d'ailleurs, mais cette dernière hypothèse se mourut aussi vite qu'elle avait vu le jour : il suffisait pour s'en convaincre de considérer les regards que posaient sur lui les deux demoiselles qui l'entouraient.

« C'est ridicule ! »

Et bien plus encore, c'en était surtout trop pour le peu de patience que pouvait démontrer le colosse, lequel éructa sa colère légendaire avec force conviction. Finalement, c'est lui qui avait raison de ne pas faire confiance aux guérisseurs, fussent-ils des baptistrels, ils n'étaient tous que des menteurs et des couards !

« Mais que Néant emporte donc la magie, la connaissance et tout notre savoir, tout cela ne nous est d'aucune utilité, tu n'as donc pas entendu ? Si elle tentait de me soigner, elle me tuerait, bravo l'efficacité baptistrale ! »

Cynique, lui ? Si peu. Mais comme s'il avait eu besoin de cela pour souligner encore l'ironie acerbe de son discours, il frappa vigoureusement ses mains l'une contre l'autre, applaudissant l'échec de la chanteuse. Son regard revint d'ailleurs rapidement trouver celui de son épouse tandis qu'il poursuivait, plus courroucé que jamais :

« Et c'est auprès d'eux que tu voudrais étudier ? C'est à eux que tu voudrais ressembler ? Mais ces incapables ne servent à rien, sinon détruire notre royaume et nous inciter à pactiser avec notre ennemi pour mieux nous trahir ensuite ! Ils ... Oh et puis, j'en ai assez, ce ne sont pas deux grains de pollen qui me condamneront à garder le lit, écartez vous ! »

Et mieux valait pour elles être rapides car le colosse n'avait pas précisément l'intention d'attendre que son avertissement eut été mis en pratique. On ne voulait pas le soigner ? Très bien, il se soignerait donc seul, à la dure : d'un vif mouvement, il s'était redressé et empoignait ses propres jambes pour les faire basculer dans le vide avec l'intention évidente de se lever ou du moins, de s'y essayer. Le meilleur moyen de se surpasser, c'était de s'y contraindre, il s'agissait d'une règle élémentaire pour tout entraînement physique, pourquoi ne pourrait-elle pas s'appliquer dans le cas présent aussi ? Malheureusement, l'instant suivant, le colosse bondissait hors de la couchette qu'il occupait... et s'étalait misérablement de tout son long sur le sol, ses jambes inertes se refusant à le soutenir.

Elle était désolé, elle ne pouvait rien faire sans risquer de façon abusive la vie d'Artaher Terendull. Elle aurait voulu pouvoir soigner les jambes de ce dernier sans aucun souci, mais il semblerait que les choses ne soient pas si simples. Mais bon de toute manière ce n'était que rarement simple.

Lisaë avait raison, le chant nom était si complexe, la moindre erreur pouvait avoir de lourdes conséquences, si ce n'était pas la mort ces dernières restaient indésirables. Mais cela n'était guère étonnant pour une elfe qui s'intéressait aux art baptistrels, elle en apprendrait bien plus sur le chant nom, et sur ses subtilités avec le temps. Mais elle en savait déjà assez pour savoir que c'était plus complexe que les sorts de soins habituels.

« Malheureusement il n'existe aucun autre moyen à ma connaissances de guérir ses jambes, ce pollen a fusionné avec les jambes de vôtre mari, et donc le seul autre moyen de débarrasser Artaher du pollen serait de lui couper les jambes littéralement. » De toute façon cela ne changerait rien au fait que le géneral puisse à nouveau marcher, ou non malheureusement. Donc autant éviter ce genre de charcuterie.

Et Lisaë entrevoyait vite la vérité, et acceptait vite l'implacable dans tout ceci, Aramis ne pouvait pas soigner Artaher, aucun baptistrel ne pouvait, sauf un, et ce dernier n'était pas ici. D'ailleurs ironiquement il y a peu de temps il avait été injustement décrété ennemi public du peuple elfique, encore une fois injustement. Enfin autant ne pas remuer le couteau dans la plaie pour l'instant, le conseil avait déjà assez entendu ses récriminations quand elle avait tenu à faire connaître son avis sur la chose…

« Oui, mais dans ce cas-ci cela nécessitera des compétences de soigneurs encore plus développés que les miennes . Mais je prie pour que vôtre projet soit couronné de succès dame Lisaë. Et ce malgré les difficultés qui se présenteront à vous . » Même si il était probable qu'elle n'y arrive jamais tout simplement. Néanmoins cela ne coûterait rien d'essayer.

Mais elle, elle ne pouvait rien y faire. Elle ne pouvait pas venir en aide au général, ce sentiment d'impuissance était frustrant pour Aramis, mais il ne servait à rien de se voiler la face. Si Artaher remarchait un jour ce ne serait pas grâce dans la journée ou grâce aux soins baptistrels probablement, s'il remarchait déjà un jour, car là c'était assez mal partit...

Bien entendu le principal concerné en lui-même n'était pas des plus satisfait de savoir ceci, et cela pouvait se comprendre. Entièrement, pauvre Artaher pensa Aramis, il était toujours difficile d'apprendre ce genre de nouvelles, d'autant plus quand quelques instants auparavant l'espoir d'être guérit était très tenace, même pas l'espoir. Il avait été persuadé qu'il aurait été guérit à coup sûr, faire voler ceci en éclat même si ce n'était pas à but cruel restait très douloureux. La désillusion est l'un des pires sentiments possibles…

D'ailleurs Artaher ne tarda pas à vite démontrer sa colère, sa frustration, sa révolte devant ceci. Rien que du très compréhensif.

Elle écouta parler Artaher qui vidait son sac de façon assez légitime, mais ne tarda pas à réagir aux paroles de ce dernier.

« Ne faîtes pas l'enfant, c'est vôtre vie qui est en jeu sieur Artaher ! Si encore ça ne tenait qu'a vous, et à vôtre volonté j'accepterai de prendre ce risque vu que vous y tenez tant, mais je pense aussi à vôtre femme, et à vos enfants. Que penseront-ils de savoir que leur père est mort juste parce que ce dernier a voulu vaille que vaille se faire guérir, alors que ses chances d'en mourir sont de 99 sur 100 ? »

Avant de poursuivre ensuite au moment où Artaher voulut essayer de marcher de lui-même.

« Ne faîtes pas ça, vous allez vous faire plus de mal qu'autre chose ! »

Elle s'écarta vivement quand Artaher se propulsa du lit pour s'étaler misérablement par terre, Aramis poussa un léger soupir, et entreprit d'aider ce dernier à se relever. Tout en poursuivant calmement.

« Et vous épandre en reproche à l'égard des miens ne vous servira à rien, de même que de vous comporter comme une tête de mule, si ce n'est vous faire mal, ou avoir l'air ridicule. Il vous appartient maintenant de tenter de vivre avec ceci. Personne ne le fera à vôtre place, regardez la réalité en face, et tenter de vivre malgré cela. C'est la seule chose que vous pouvez faire, si vous ne le faîtes pas pour vous, faîtes le pour vôtre famille. » C'était dur, mais c'était la vérité. A Artaher de l'accepter pour pouvoir faire un pas en avant, enfin métaphoriquement...

Lisaë connaissait ce sentiment. Aussi bien celui de se sentir démuni face à un blessé. Que de voir celui-ci en vouloir à tous et avant tout à ceux incapable de les soigner. Mais parfois le corps demandait plus.

« -La magie de l'âme, la magie du corps ne sont pas des lubies qui te permettent le moindre de tes désirs. S'il existe un moyen de te soigner je le trouverai. Et oui, si je peux le trouver c'est bien auprès d'eux. Et plus que quiconque. »

Avec ces mots la jeune elfe tentait de se prouver qu'elle pouvait le faire, qu'elle y parviendrait. Se donner du courage. Celui de ne pas sombrer devant son époux. Malgré sa colère. Il avait le droit, il était normal, elle pouvait le comprendre, mais elle ne le laisserait pas sombrer et en vouloir au monde entier.

« -Artaher, tu es en colère, mais s'il te plaît, ne le soit pas contre ceux qui pourront t'aider demain. Et pas contre moi. Pas contre eux. Tu n'as pas le droit de les accuser de maux dont ils ne sont pas responsables. Pas tous. Beaucoup ne souhaite que comme nous : retrouver la paix et la tranquillité de nos bois, de nos vies. Je sais que c'est ta colère qui parle, mais n'oublie pas que les mots blessent plus que la lame des épées.»

Mais Artaher n'était pas du genre à se taire et encore moins à rien faire. Et l'envie de se lever était plus forte que tout.

« -Artaher non, tu ne... »

Mais son têtu de mari ne l'écoutait déjà plus depuis un moment. Et la chute fut inévitable. Lisaë accourut de suite auprès de lui s’agenouillant à sa hauteur. Elle posa une main inquiète sous lui pour l'aider à se relever. Lisaë mit de côté son cœur tambourinant dans son cœur, paniquée, inquiète, angoissée par cette vision d'Artaher au sol. Elle ne devait rien montrer. Juste s'oublier pour lui.

« -Passe ton bras autour de mon épaule mon amour, je vais t'aider... En douceur... Attention... Voilà. »

Avec l'aide de la chantebrise, la jeune mère aida son époux à se relever et à le rediriger vers son lit. Non sans mal. Mais Lisaë devait avoir la force de l'aider. De ne pas plier. Malgré ses mots rudes, et ils viendront, bien plus que ses grogneries.
Artaher allongé sur son lit, Lisaë prit le bras de la soigneuse pour s'éloigner un peu. Son mari avait juste besoin de prendre conscience des choses, et ce serait déjà bien assez difficile.

« -Merci dame Aramis, merci pour vos efforts et votre sincérité. Je pense que mon époux a besoin de repos et de calme. Je vais rester avec lui. Je verrai plus tard avec les guérisseurs s'il faut tout de même tenter des exercices ou soins pour stimuler les jambes. Pour le moment, je pense qu'il a plus besoin de sa famille et de se retrouver seul que de tout autre chose.»

L'ancienne archiviste elfique la remercia encore, plus protocolairement. Elle aurait aimé que la chantebrise en fasse plus, beaucoup plus. Mais la magie comme les baptisrels avait ses limites. Mais la foi de la jeune mère Terendul envers le savoir et la force des connaissances de ce monde ne pouvaient que la conforter de continuer à chercher et à trouver une solution. Les dragons étaient revenus après tout. La magie reprenait force. Et son mari aussi. Elle le savait. Se retournant et faisant quelques pas vers le lit où se trouvait son mari, Lisaë passa un main douce sur les cheveux du père de ses enfants. Un doux baiser vint caresser son front.

« -Mon trésors, tu veux que je reste ou de laisse un peu seul ? Je ferai ce que tu désires le plus. Je ne peux savoir par quoi tu traverses mais sache que je suis là.»

La jeune mère ne savait trop que dire et faire. Elle ne pouvait savoir par quoi il passait, même si elle pouvait s'en douter. Mais entre l'imaginer et la réalité, il y avait bien plus qu'un océan. Se sentant démuni et priant pour prendre la peine de son mari, Lisaë savait que se ne serait pas assez. Pas pour le général elfique. Mais elle l'aimait. Et avec cet amour, elle l'entourait de toutes les attentions dont elle pourrait faire preuve. Même si cela devait passer par des cris et des larmes.

S'il entendait effectivement les appels à la raison et les tentatives d'apaiser sa colère, Artaher ne les écoutait tout simplement pas. Il se moquait bien d'agir comme un enfant capricieux, d'avoir l'air ridicule devant les humains ou de se blesser plus gravement encore qu'il ne l'était déjà, car au contraire de ce que semblait penser la blonde baptistrelle, lui aussi pensait à sa femme et à ses enfants. Il ne pensait qu'à eux d'ailleurs : comment imaginer qu'il puisse s'accepter époux et père privé de ses jambes alors même que le monde courait à sa perte, que sa famille avait plus que jamais besoin d'être protégée, rassurée, soutenue ? Il ne serait pas un poids pour eux, c'était hors de question et tous les grains de pollen du monde n'y pourraient rien, de gré ou de force, il marcherait ! Ou ramperait, puisqu'il semblait bien que ce fut la seule chose dont il était encore capable, comme sa chute ne manqua d'ailleurs pas durement le lui rappeler. Grognant et jurant tout son saoul, Artaher essaya vainement de se redresser, invectivant ses propres jambes comme s'il avait eu le pouvoir de les encourager de cette façon, avant de se résigner à accepter l'aide que lui apportèrent sa guérisseuse et son épouse. Respirant profondément pour essayer de calmer les battements frénétiques de son coeur emporté par la rage qui lui vrillait l'esprit, il passa un bras autour des épaules de Lisaë et s'accrocha de l'autre à la main tendue par la baptistrelle pour finalement regagner sa couchette. Sourcils froncés, le colosse fustigeait ses jambes du regard, furieux contre leur faiblesse et caressant avec envie l'idée qu'avait émise la baptistrelle, à savoir celle de se les couper pour les remplacer. En fait, s'il n'y avait eu la voix et la présence apaisante de sa femme pour l'en dissuader, sans doute l'impétueux général eut-il été tenté par la possibilité de se saisir de son épée, mais aussi difficile à accepter cela pouvait-il être, il fallait bien admettre qu'un époux et un père mort valaient moins encore qu'un infirme.

Toujours aussi grognon, Artaher suivit silencieusement du regard les silhouettes des deux jeunes femmes qui s'écartaient. D'accord, il avait eu tort de s'en prendre aux baptistrels et à Thredë en particulier, elle autant que le petit Sywel avaient au moins eu le mérite d'essayer de lui venir en aide, ce n'étaient pas vraiment leur faute s'ils n'y étaient pas parvenus. C'était plutôt celle du misérable petit couple qui était venu interférer dans sa mission, après tout, s'ils s'étaient contentés de fuir comme il le leur avait suggéré, rien de tout cela ne serait arrivé. D'un autre côté, rien ne serait arrivé non plus s'il n'avait pas essayé de s'attaquer à eux, aussi borné pouvait-il être, il devait bien reconnaître avoir porté le premier coup et n'était donc pas vraiment exempt de tout reproche quant à la situation dans laquelle il se retrouvait à présent.

« Merci, Aramis. »

Deux mots, pas nécessairement prononcés de gaieté de coeur mais non pour autant dénués de la moindre trace de sincérité. Il avait simplement été convaincu qu'elle pourrait faire plus pour lui, et avait besoin d'encore un peu de temps pour accepter l'amertume de son erreur.

« Et pardonnez mon emportement, je n'aurais pas dû parler comme je l'ai fais. »

La colère laissait à présent lentement la place à l'acceptation tandis que des soupirs de plus en plus résignés se mêlaient au rythme de ses respirations. Il releva lentement la tête lorsque son épouse revint vers lui, puis lui adressa un sourire triste et embarrassé avant de venir lui prendre tendrement la main pour l'attirer au plus près de lui.

« Non, reste. Reste. »

D'un geste, il l'invita même à venir s'étendre avec lui pour se blottir dans ses bras et puiser dans sa présence la paix et le réconfort dont il avait besoin. Il n'avait pas la moindre idée de ce dont ses lendemains seraient faits, mais aussi longtemps qu'il aurait son épouse à ses côtés, il s'accommoderait de n'importe quelle blessure, y compris celle qui le privait de ses jambes.

L'impuissance… Un sentiment très douloureux, et frustrant lorsqu'on y était confronté. Autant pour la chantebrise que pour Lisaë, sans doute d'autant plus pour Lisaë pensa Thredë avec une certaine peine pour la femme du général, cette dernière ne verrait plus jamais son mari marcher, et devrait voir impuissant ce dernier finir ainsi. Au moins la dame Terendull semblait avoir accepter l'inévitable, et se préparé déjà à soutenir son mari dans cette épreuve. Une preuve de sagesse de sa part, et de force d'esprit très admirable, d'autant que le discours tenu à son mari. Pour sa part Aramis tâcherait de faire de son mieux aussi pour venir en aide à Lisaë…

Celle-ci d'ailleurs était d'autant plus engagé dans ses intentions de devenir une baptistrelle accomplie, elle avait de base la vocation pour être baptistrelle, mais à partir de maintenant elle était d'autant plus décidé, Thredë était certaine que la nouvelle apprentie baptistrelle ferait preuve d'un grand dévouement, et d'une grande détermination, et à bien y réfléchir elle n'en avait aucunement douté depuis le jour où elle avait fait part de sa volonté de rejoindre les rangs de la Rhapsodie. Là d'autant moins maintenant qu'elle avait une raison supplémentaire de s'engager dans ses études.

Enfin Aramis pour sa part se contenta de rester silencieuse, ses paroles d'avant avaient fait leurs petits effets, et Lisaë gérait très bien la chose, d'autant plus qu'elle avait une bien plus grande influence sur son mari que quiconque. La chantebrise lui faisait pleinement confiance pour apaiser Artaher, ce dernier plus que jamais avait besoin de sa femme. Il aura aussi besoin de ses enfants pensa Aramis, pour le moment elle avait fait tout ce qu'elle pouvait faire elle-même, et le mieux qu'elle pouvait faire maintenant c'était laisser les deux âmes sœurs entre-elles . Non sans avoir d'abord aider Lisaë à replacer son mari sur son lit, car Aramis n'allait pas laisser la soigneuse porter le colosse toute seule jusqu'au lot.

« De rien. Et il n'y a rien à pardonner, je ne peux pas vous en vouloir de vôtre emportement soudain qui était tout à fait compréhensif.. » Répondit calmement Aramis au général, alors que ce dernier la remerciait puis s'excuser dans la foulée. Avant ensuite d'achever à l'égard du couple après les quelques paroles de Lisaë.

« Oui, j'ai fais tout ce que je pouvais faire. Désolé de ne pouvoir en faire plus, que les Esprits veillent sur vous Dame, et sire Terendull. » Dit-elle calmement avant de leur dire aurevoir avec la politesse habituelle elfique. A la fois à Artaher qui s'était un peu calmé, et à Lisaë qui prenait sur elle comme le sentait Aramis par le chant nom pour supporter cette épreuve avec son mari. Voir cela lui faisait beaucoup, même si il y avait peu de chance que cela change grand-chose elle irait demander à ses frères baptistrels ce que ces derniers pourraient faire si possible.

Sur ce elle laissa les deux amoureux seuls, en ayant une pensée pour eux. Triste pour Artaher que ce dernier ne puisse plus jamais marcher suite à cela, mais soulagé de savoir qu'il avait au moins le soutien de sa femme dans cette épreuve. Mais pour sa part c'était un échec pour elle, et elle ce sentait amère suite à son impuissance à guérir le mal qui rongeait le général… Elle tâcherait de voir si un de ses frères, ou une de ses sœurs baptistrel pourrait faire quelque chose, mais elle ne se faisait pas d'illusion. Elle porta au passage une prière silencieuse aux esprits au sujet de la famille Terendull.