Agitation en tout sens. Une sombre ville en effervescence. Mouvement lent et insidieux de cette marée vivante qui soudain grouillait... Des groupements avaient commencé à se former, d'hommes, de femmes, d'enfants, de soldats aussi, telle une fourmilière en plein émoi. Selon la rumeur qui courait déjà, des hérauts allaient prendre la parole d'un instant à l'autre. Une annonce importante. Sa légendaire curiosité, accompagnée de ce petit picotement précurseur des mauvaises surprises, en avait été rapidement titillée. D'autant plus quand on les convoqua, eux Sombres Gardes, de toute urgence au siège de la garde.

C'est ainsi qu'il se retrouvait là devant leur Commandant, stoïque, debout, presque au garde-à-vous, comme il seyait à un bon soldat. Un bon soldat toutefois qu'il n'était guère. Pas vraiment du moins. Il avait déjà eu droit durant ces trois années à quelques réprimandes quant à son caractère coléreux, arrogant et sujet à controverser. Il semblait avoir du mal à obéir à certains ordres, d'autant plus quand il jugeait d'autres actions plus appropriées pour mener à bien la même mission : s'il ne pouvait désobéir ouvertement, il avait quelque fois détourner les ordres à sa façon... Certes pas moins efficaces mais... Mais... un bon soldat se devait d'obéir aux ordres à la lettre, sans réfléchir, lui avait-on déjà dit maintes et maintes fois. En vain.

D'autant plus en vain depuis ces dernières semaines. En effet, une sourde rage et une sombre rancoeur envenimaient son coeur mort depuis un mois environ, envers son commandant. Si déjà lors de ces trois ans, leur relation avait souvent oscillé entre remontrances répétées, altercations agacées, une certaine estime aussi et un respect tout en non-dit, du moins Eliowir l'avait cru, elle semblait avoir sacrément chuté dans les limbes du néant depuis le début du mois. Et pour cause... Et pour cause... Eliowir se souvenait.

Oui, il se souvenait. Il se souvenait de tout. Et rancoeur semblait soudain tout balayer dans son sillage. Car lui, ce satané Wallam, ce soi-disant commandant honni, savait, avait su, mais n'avait rien dit. Oh, comme il s'était joué de lui. Oui, Eliowir en était sûr, Wallam avait dû jubiler de la situation. Comme il avait dû se rire d'avoir soudain sous ses ordres, et durant ses trois maudites années, ce fier et arrogant de vieux lion... Eliowir le maudissait alors. Et tout ce long mois, il avait retenu à grand peine ses sarcasmes et ses répliques cyniques en sa présence... Pourtant ce maudit commandant devait savoir aussi, n'est-il pas ? Il devait savoir ce qui s'était passé au début du mois... il devait bien savoir que le Serillëil avait retrouvé ses souvenirs. Tous ses souvenirs. Qu'il était redevenu, si ce n'est la mémoire des elfes, la mémoire de lui. Et peut-être un jour la mémoire des vampires, si on le lui permettait. Wallam devait bien savoir, n'est-il pas ? Après tout, c'était sa dragonne, cette noble et belle Mère des Tempêtes, qui l'avait aidé, guidé, dans ce difficile et dangereux sentier.

Eliowir ruminait donc en silence, son regard mort braqué sur leur commandant, son diadème ne lui en donnant qu'une image sombre et floutée, qui toutefois lui suffisait bien assez. Ne pas le voir... Qu'il aimerait ne pas le voir.

Il écouta alors d'une oreille distraite le discours qu'on leur servait. Des prisonniers évadés. Une traque... Une chasse éhontée. Des prisonniers à retrouver. Morts ou vivants, peu importait. Il nota avec une certaine indifférence les informations qu'il entendait, n'ayant guère le coeur à en faire plus que ce que ses ordres, ordres directs, lui intimeraient.

Il était toutefois tant perdu dans ses pensées, dans ses plans divers et variés, qui contenaient un serval, un certain protégé et un arrogant esprit arriéré, qu'il ne se rendit compte, que trop tard, qu'il était le dernier resté. Là, debout, immobile, telle une statue figée, le regard vide sur son commandant fixé. L'esprit ailleurs, dans de lointaines contrées, et surtout les sens au monde fermés.

Mortifié de se faire prendre en pareille situation. De s'y faire prendre encore une fois, car ce n'était pas la première qu'il se montrait ainsi distrait et songeur, perdu dans ses pensées. Pour tout avouer, il avait toujours été un peu ainsi, et surtout ses trois années durant, son esprit semblant prendre un malin plaisir à le quitter dès qu'il le pouvait...

Il s'apprêtait alors à tourner les talons, sans un mot, sans même une attention à son commandant, tel le salut qu'un soldat se devait d'offrir à un officier, quand une voix l'arrêta en plein élan. Voix honnie... Qu'il aurait aimé la faire taire. Elle qui avait si longtemps gardé silence, s'amusant de lui.... Oui, qu'elle se taise donc elle qui semblait tant apprécier silence et non-dit...


@Kylian Wallam

[HJ : si souci, n'hésite pas, je peux éditer]

Un concours. Lorsqu'il avait interpellé ses officiers pour faire résonner sa volonté dans leurs esprits, Vraorg avait évoqué un concours. Etait-ce vraiment surprenant de le voir considérer cette tentative d'évasion comme un grand jeu dont le seul intérêt serait de le divertir ? Pas vraiment, mais trois années à servir sous les ordres de l'albinos étaient plus qu'il n'en fallait pour comprendre que son divertissement dépendait essentiellement du malheur et de la souffrance d'autrui. Cette supposition avait d'ailleurs rapidement été confirmée lorsque le Dragon Blanc avait communiqué la liste des fugitifs et ordonné que soit lancée la plus grande chasse à l'homme – et à l'elfe – qui fut jamais organisée sur le continent.

S'il avait commencé à s'inquiéter sitôt que l'annonce d'une évasion lui avait été communiquée, Kylian avait pu sentir son estomac se nouer à mesure que les noms avaient été dévoilés : plusieurs des fugitifs partageaient un lien fort avec la princesse Kohan, et lui venait de recevoir l'ordre de les arrêter. Morts ou vifs. Comment réagirait la jeune femme si, par la faute de son amant, ses amis ou son cousin étaient capturés ou tués ? Jamais elle ne le lui pardonnerait, c'était une certitude absolue. Mais à l'inverse, s'il échouait, qu'adviendrait-il ? Quels étaient les enjeux réels du concours que le Blanc avait mentionné à ses généraux ? Des questions dont il valait sans doute mieux ne pas se risquer à imaginer les réponses : Vraorg avait plus que régulièrement démontré l'étendue de sa cruauté et rien ne permettait de penser qu'il en irait autrement cette fois, au contraire.

Toutefois et quand bien même était-il rongé par l'incertitude, le vampire n'en obéit pas moins aux ordres qui lui avaient été donnés : moins d'une heure après que son maître l'eut apostrophé, le commandant de la Sombre Garde avait fait réunir son effectif et distribuait ses propres consignes. Il commença par résumer brièvement, presque trop professionnellement, la situation et expliqua ce que le Dragon Blanc attendait d'eux, puis désigna plusieurs groupes auxquels il attribua différentes zones de patrouille. L'ensemble forma bientôt le plan détaillé d'une traque minutieuse, un véritable filet de sombres gardes dont les mailles se refermeraient sur les prisonniers sans leur laisser la moindre chance d'y échapper.

« ... en aucun cas les prisonniers ne doivent parvenir à rejoindre la barrière des Protégés, mais encore une fois, faites tout ce qui est en votre pouvoir pour les capturer vivants. Vous avez vos ordres. »

D'un geste, le vampire fit rompre les rangs, son regard las s'attardant brièvement sur la troupe qui s'éparpillait rapidement tandis que chacun s'en allait préparer son équipement et rejoindre son détachement. Cette image lui renvoya brièvement celle d'une meute de loups en pleine chasse mais il ne pouvait rien faire de plus, si ce n'était espérer que les évadés se montreraient suffisamment raisonnables pour se rendre sans opposer de résistance. Vain espoir, il le savait, on ne s'évadait pas de Morneflamme sans être déterminé à mourir plutôt qu'être repris. A cette pensée, Kylian se sentit un peu plus accablé encore sous le poids de sa propre culpabilité : aucun des choix qui s'offraient à lui ne lui semblait le bon, comme si la moindre de ses décisions se muait en un poignard qu'il enfonçait lui-même dans le coeur de son aimée. De quoi devenir fou, s'il ne l'était peut-être pas tout simplement déjà.

Son tourment était tel qu'il ne remarqua pas immédiatement que l'un des loups s'était attardé dans la salle de commandement, et certainement pas l'un des moindres. Serillëiel. Encore une fois aurait-on pu ajouter. Lorsque son esprit enregistra finalement la présence du retardataire balafré, Kylian haussa un sourcil circonspect avant de consentir à lui adresser la parole :

« Il y aurait-il quelque chose que vous n'avez pas compris dans ce que je viens de dire, Serillëiel ? »

Une pointe d'agacement saupoudrée d'un zeste d'ironie transpirait clairement dans l'intonation de sa voix. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'il surprenait le balafré à rêvasser et en fait, il avait même toutes les raisons de croire que l'ancestral n'avait pas écouté un traître mot des ordres qui venaient de lui être donnés. Mais aujourd'hui plus qu'en toutes autres circonstances, le jeune commandant ne pouvait permettre la moindre imprécision : il devait absolument capturer les évadés pour ne pas risquer voir Esmelda ou Skade subir les conséquences de son échec.

« Je vous trouve particulièrement préoccupé ces derniers temps, mais il est essentiel que cette traque soit couronnée de succès et cela ne sera possible que si chacun d'entre nous respecte scrupuleusement les ordres qu'il a reçu. Or, vous seriez parfaitement incapable de me citer la région dans laquelle vous êtes supposé mener vos recherches si je vous le demandais... »

Ce n'était pas même une question, juste une affirmation de sa part.

« Pourquoi ? »

S'il n'avait pas compris quelque chose ? Plutôt dire qu'il n'avait strictement rien écouté. Des fuyards de Morneflamme à rattraper, c'était là à peu près tout ce qu'il avait vaguement, mais alors très vaguement entendu. Pour le reste... Pour tout avouer, il n'avait que peu envie de participer à cette traque. Il ne pouvait que comprendre et approuver qu'on veuille s'évader de cette prison infâme et avait même envie d'encourager les fuyards à courir plus vite encore...

Une douleur le vrilla un court instant qu'il tenta de réprimer, plissant les yeux toutefois sous l'assaut inopiné.

Pas que son envie personnelle entre en ligne de compte, bien entendu. Les ordres étaient les ordres, et, d'autant plus dans sa situation actuelle avec ses projets à venir, il ne pouvait se permettre de se faire remarquer en désobéissant d'une quelconque façon. Il obéirait donc. Même si pour l'heure il serait bien en mal d'obéir, n'ayant pas reçu ses ordres. Il avait pensé pouvoir requérir les informations auprès d'un autre garde... mais c'était compter sans l'attention de leur détesté commandant. Maudit soit-il ! Lui qui ne voulait pas se faire remarquer... Voilà qui était bien manqué !

Préoccupé ? Lui ? Nooooon, si peu, fut-il tenté de répondre avec force ironie. Retenant toutefois le cynisme qui lui démangeait la langue. Son commandant le connaissait visiblement assez bien pour avoir cerné le manque d'attention flagrant de son subordonné. Ce qui eut don d'attiser la colère sous-jacente qui couvait en Eliowir. Bien entendu que ce damné commandant le connaissait bien... Ils avaient quelques parcelles de passé commun ! Un passé dont l'autre se souvenait parfaitement et qu'il lui avait sciemment caché ! Un passé toutefois que l'ancien elfe avait depuis peu recouvré et qui le rongeait d'amertume et de colère enflammées.

Pourquoi ? On osait lui demander pourquoi ? Pourquoi quoi ? Pourquoi il n'avait pas écouté ? Parce qu'il pensait à autre chose. Pourquoi pensait-il à autre chose ? parce qu'il y avait plus urgent à penser selon lui, comme la façon de pouvoir libérer son millénaire, son aimé, son...

La douleur le vrilla de nouveau plus fortement encore, le faisant presque grincer des dents et l'obligeant à serrer les poings pour ne pas lâcher un juron et se trahir plus encore. Il lutta un court instant pour chasser toute pensée inopportune et malvenue en de telles circonstances, alors qu'il faisait face à son supérieur hiérarchique, et attendit un court instant que douleur s'amenuise.

Puis, songeant qu'un silence trop prolongé pouvait passer pour au mieux de l'insubordination, au pire pour quelque chose de bien plus trouble, il se força à répondre, d'une voix basse et plus grave qu'à l'ordinaire, la colère couvant en elle sans qu'il ne puisse la masquer. Sans qu'il ne veuille surtout la masquer. Pour il ne savait quelle raison, il voulait que l'autre en face de lui comprenne, sache... et ressente toute l'animosité sous-jacente que ce silence de trois longues années avait fait naitre en lui.

- Je n'ai effectivement guère écouté les consignes exposées, concéda-t-il. Je pensais à toute autre chose en toute honnêteté.

S'il y avait bien une chose qu'on ne pouvait lui enlever, c'était bien une certaine honnêteté, que ce soit envers les autres ou envers lui-même. Une honnêteté qui lui avait parfois apporté bien des soucis, certes, mais dont il ne voulait plus se départir. il avait dû assez usé de stratagèmes tortueux quand il avait été conseiller... Dès qu'il avait été libéré, chassé, de cette charge, il avait alors laissé son tempérament cynique, direct et franc prendre le dessus et n'avait plus tu ce qu'il pensait. Cela lui était visiblement resté de son temps de vampire... et il n'avait aucune envie de changer cet état de fait.

Il se tut un court instant, sondant, de son regard soi-disant mort, mais qui entre-apercevait par son diadème Tiarsanyn offert par Achroma, la silhouette un peu floutée du vampire dragonnier. Dragonnier... de la digne et noble Mère des Tempêtes qui l'avait ainsi aidé. Il devait forcément savoir... Il n'était donc nul besoin finalement de lui cacher. Il pouvait donc lui cracher sa rancoeur au visage, la laisser le lacérer avant qu'elle ne le lacère lui-même tout entier...

- Je pensais à ces trois années de lourd silence de votre part, à toutes ces années où vous vous êtes tu, en lâche couard. Je pensais à toutes ces années où vous saviez, vous connaissiez, et où vous avez fait de ce passé commun un secret éhonté. Je pensais à ces trois années pendant laquelle j'ai lutté, pour recouvrer mes compétences perdues et mes souvenirs passés.

Plus son discours venimeux avançait, plus sa voix descendait d'un octave, vibrante de fureur mal contenue.

- Ces trois années, où je me suis retrouvé seul, à faire face à ces loups affamés que l'on nomme Sombre Garde.

Une douleur sourde brûla encore en lui, mais d'un geste rageur il la chassa, en balayant l'air en face de lui. Il ne put toutefois retenir un léger sifflement tant le coup fut vif et féroce.

- Ces trois années où j'ai essuyé toutes ces mesquines moqueries, toutes ces sombres brimades. Toutes ces années où, instant après instant, quasi seul, je me suis entrainé, ai tout réappris, pour leur montrer...

Il ferma un point qui monta devant son visage, en un signe de force recouvrée, de puissance retrouvée, en un signe de joie et de jouissance qu'il éprouvait, de fierté même qu'il ressentait. Arrogant qu'il était, certes. Mais il était fier, oui, fier d'avoir ainsi lutté, de n'avoir pas baissé les bras, et d'avoir réussi là où d'autres luttaient encore de nombreuses autres années. Quand ils daignaient seulement lutter contre cet instinct animal qui en eux, vampires, si férocement couvait... Retrouver ses facultés magiques ET ses souvenirs en si peu de temps pour un vampire... Il ne pourrait jamais remercier assez la belle dragonne sur ce dernier point d'ailleurs.

- Oui, leur montrer que le jeune vampire aveugle qu'ils moquaient était finalement plus puissant qu'eux et qu'il valait mieux s'en méfier.

Au moins depuis plusieurs mois n'avait-il plus essuyé aucune moquerie ouverte. Après en avoir remontré à quelques uns de quoi il en retournait de souiller le nom d'un Serillëiel, sorts vicieux à l'appui, voire coups de lance bien placés, peu étaient ceux qui osaient encore l'insulter ainsi. Quelques fous ou quelques inconditionnels comme cette fameuse Norwen. mais mis à part ces quelques rares individus...

Il devait avouer aussi s'être fait une sombre réputation. Sombre garde... Au moins n'avait-il pas volé son nom. S'il avait obéi aux ordres le plus souvent sans aller plus loin que nécessaire, il devait concéder ne pas forcément avoir hésité à se montrer efficace dans les exactions qu'on leur commandait. Plus qu'efficace même.

Il n'était certes toujours pas le plus puissant des vampires, ni le plus puissant des mages, encore moins le meilleur des lanciers. Mais il avait su se montrer suffisamment efficace pour qu'une grande partie de ses compères le craignent et lui laissent enfin la paix. Ce qui lui avait permis alors de se concentrer sur d'autres problèmes, bien plus importants, bien plus...

Non, ne pas y penser de nouveau, ou douleur serait sienne encore.

- Et vous pendant tout ce temps, reprit-il prenant presque une posture menaçante au fur et à mesure que les mots lui échappaient. Vous, vous saviez, à chaque instant... Et pourtant, pourtant vous vous êtes tu, avez observé. Sans doute, au vu de notre passé commun, ce doux spectacle vous a-t-il amusé ?



[HJ : oui il se vante, normal, hein, il est après tout grand maitre es arrogance le bougre et oui il reproche des choses qui n'ont pas forcément lieu d'être à kyky (un vampire ne va pas en défendre un autre ce serait signe de faiblesse pire encore pour cet autre) mais le jeune vampire le ressent pour l'heure ainsi (et on ne lui a pas forcément tout expliqué non plus, il y a encore des choses je pense qu'il ignore). Bref si quoique ce soit ne va pas, n'hésite pas bien sûr ]

Il n'aimait pas beaucoup ce qu'il entendait. Peu surprenant en définitive, puisqu'il n'aimait pas beaucoup celui qui lui parlait non plus. Instinctivement, sans même véritablement y réfléchir, Kylian approcha la main de la garde de son épée, simple mesure de précaution qui était rapidement devenue un réflexe depuis qu'il avait été nommé commandant de la Sombre Garde. Ce ne serait en effet pas la première fois que l'un de ses hommes, ou plutôt l'un de ses vampires, envisagerait de le défier pour l'une ou l'autre raison. Jalousie et ambition étaient les plus courantes, suivies de près par les désirs de vengeance plus ou moins fondés selon les cas. A en juger par l'amertume dont se teintait le discours de l'ancestral balafré, la seconde hypothèse semblait la plus probable dans ce cas précis, mais que Vraorg le foudroie sur place s'il comprenait pourquoi son subordonné s'en prenait à lui de cette façon. Silencieux, le jeune gradé laissa son détracteur déverser sa bile acerbe sans perdre de vue le terne regard dirigé dans sa direction. Inutile cependant d'espérer y lire un quelconque signe précurseur à une attaque éventuelle, les yeux aveugles du balafré étaient aussi expressifs que ceux d'un hareng mort. Toutefois, la tension qu'il avait pu sentir naître dans ses épaules ne manqua pas s'accentuer encore quand l'autre souligna sa puissance retrouvée, non sans laisser planer dans l'air l'âpre parfum de la menace tandis que Kylian crispait cette fois ostensiblement la main sur la poignée de son arme.

« Vous délirez, Serillëiel. »

Et c'était peu de le dire, Skade y était vraisemblablement allée un peu trop fort pour lui faire recouvrer la mémoire. Voila qui n'allait certainement pas aider à arranger leurs rapports et pour cause, le balafré au naturel lui avait déjà semblé particulièrement irritant alors qu'en serait-il maintenant qu'il avait eu la cervelle malmenée ?

« Et pour commencer, je vous conseille vivement de baisser d'un ton, n'oubliez pas que je suis le commandant de ces loups affamés auxquels vous avez si courageusement tenu tête et dont vous faites partie vous-même, faut-il le rappeler. »

Par chance, l'ancestral avait eu la présence d'esprit d'attendre que les deux vampires furent seuls pour cracher son venin, Kylian n'aurait donc peut-être pas à faire de lui un exemple, à supposer bien sûr que l'autre consentit à reprendre pied dans la réalité. Quoique sanctionner Serillëiel ne serait certainement pas pour déplaire au côté le plus vampirique de sa personnalité, mais d'une part, Skade appréciait cet insupportable pervers prétentieux, et d'autre part, depuis qu'il était contraint d'exécuter au quotidien les sales besognes de Vraorg, le jeune dragonnier n'appréciait que plus difficilement encore la brutalité. Et ce y compris lorsqu'il se trouvait face à une tête à claques telle que celle qui se dressait devant lui.

« Je vous savais arrogant et prétentieux, mais si vous pensez vraiment un seul mot de ce que vous venez de dire, j'étais vraiment loin d'imaginer à quel point. Non seulement vous vous donnez plus d'importance que vous n'en avez à mes yeux, mais vous me prêtez également une cruauté qui n'est pas la mienne : je n'ai tiré aucun amusement de votre situation, pour la bonne et simple raison que cela ne me concernait pas. »

Il ne prendrait pas le risque d'être le premier à dégainer sa lame, mais sa main n'en demeurait pas moins prudemment accrochée au pommeau protecteur tandis qu'il poursuivait :

« La critique est facile, mais puisqu'il semblerait que vous ayez finalement retrouvé la mémoire, peut-être pourrez vous rafraîchir la mienne. A quel moment exactement êtes vous venu me trouver pour me demander de vous aider ? Aucun, car vous étiez simplement trop fier pour cela, à moins que vous n'espériez sincèrement que je ferais le premier pas pour vous tendre la main ? Vous savez aussi bien que moi comment un tel geste de ma part aurait été interprété par le reste de la troupe... »

Une faiblesse, purement et simplement, et un luxe qu'il ne pouvait plus se permettre désormais. Sans parler bien sûr de la fierté mal placée du balafré, lequel aurait plus que vraisemblablement interprété son aide comme de la pitié.

« Si vous avez quelqu'un à blâmer au sujet de la perte de vos souvenirs, adressez vous à celui qui vous a transformé puis abandonné... »

Il délirait ? Il délirait, disait-on... Il délirait. Oui, peut-être délirait-il effectivement, songea un court instant le jeune vampire... avant que l'agacement ne revienne le saisir en force avec toute son âpreté. Oui peut-être qu'il délirait, mais finalement, là, en cet instant, peu lui importait. Cela lui faisait un bien fou de déverser sa verve acide sur quelqu'un, qui que ce fut, et sur son commandant en particulier. Un commandant qui, il ne pouvait se défaire de cette idée, devait s'être fort amusé de la situation : avoir à sa "botte" le fier lion qu'il avait accusé dans le passé avec tant de vergogne et avec qui une certaine dragonne l'avait presque forcé de conclure une... trêve...

Trêve. Peuh, quel mot laid et sans une once de dignité finalement. Quand on voyait comment certains crachaient dessus et profitaient bassement d'une soudaine situation de supériorité...

« ...mais vous me prêtez également une cruauté qui n'est pas la mienne : je n'ai tiré aucun amusement de votre situation, pour la bonne et simple raison que cela ne me concernait pas. »

Aucun amusement ? Réellement aucun ? même pas... un tout petit ? Certes, il devait avouer, réalisa-t-il subitement, qu'à aucun moment son "commandant" n'avait semblé lui assigner une tâche plus ingrate qu'une autre. A aucun moment durant ces trois longues, fastidieuses, laborieuses années, son "commandant" n'avait semblé le traiter différemment des autres de ses soldatons... Certes...

Certes, il devait admettre... qu'à aucun moment durant tout ce temps son "commandant" ne lui avait semblé, envers lui, ni envers quiconque sous ses ordres d'ailleurs, plus hautain, méprisant ou quelconque autre avanie de ce genre. Il était vrai, oui, que son "commandant" ne lui avait pas semblé avoir profité, plus que cela, de cette étrange situation qui pourtant... était plus qu'ironique. Wallam aurait eu tout loisir de le proscrire plus que son handicap avait tendance à le faire déjà, il aurait pu lui confier de viles tâches et l'exclure des troupes, ou pire même il aurait pu l'assigner sans cesse à quelconques réprimandes et peines sous quelques fallacieux prétextes. Mais...

Non, effectivement, rien de tout cela. Et, se réalisant, Eliowir sentit les muscles de sa machoire se tendre, alors qu'il se redressait doucement, lentement, de sa haute stature, toisant l'autre, mais cette fois non plus d'un air sauvage de bête enragée prête à attaquer, mais plutôt de cet air songeur qui le caractérisait le plus souvent, comme évaluant le potentiel ennemi, la cible éventuelle... notant vaguement l'image floutée qui lui était rendue, maudissant cette brume perpétuelle qui n'était qu'un pâle reflet de la réalité.

Un reflet toutefois bien pratique. Car il lui permit tout de même d'observer que la main du vampire était savamment posée sur le pommeau de son arme. Prête à dégainer, à parer ou à défendre, s'il le fallait...

Et, tout à cet étonnant examen, alors que l'autre poursuivait ses paroles, le jeune vampire sentit en lui un vague remou étrange. De ces remous qui si souvent l'agitaient, le déroutaient, et l'intriguaient. Le remou de sentiments entremêlés qu'il peinait souvent à décrire et comprendre. Un toutefois, entre tous, restait des plus nets et des plus précis. Colère, encore et toujours. De cette colère qui depuis tout ce temps, durant ces trois éons, l'avait soutenu, lui avait permis de continuer, malgré tout, d'avancer, et de fomenter de sombres, et douloureux, projets.. Colère qui, certes, en cet instant, rugissait toujours en lui, mais...

Mais qui semblait peu à peu, étrangement, décroitre, telle une rivière en crue qui daignerait doucement regagner son lit. Le feu qui avait si soudainement été attisé, semblait refluer pour regagner les braises incandescentes de son foyer. Là. En son coeur noir mort et à jamais silencieux. Mais enflammé toujours et encore de ce brasier insidieux.

Oui, l'autre vampire n'avait pas totalement tord, à défaut de pouvoir lui accorder raison. Il délirait. Sans doute quelques funestes séquelles de sa récente expérience draconique.. Belle écailleuse. Elle lui avait recouvré ses souvenirs et l'avait sauvé d'une douce folie, certes, mais il semblerait, peut-être, que folie ne soit guère loin tout de même...

Il devait se ressaisir. Il devait... il pouvait la dominer, la faire refluer...

Oui, effectivement, jamais il n'était venu demander d'aide. Il n'en aurait pas souffert tout simplement, dans sa vile arrogance. Il avait déjà eu grand peine à accepter l'aide d'une certaine Vanaël... mais Vanaël était différente. Elle n'était pas sa supérieure hiérarchique, loin de là même. Et elle était une millénaire, elle était liée à Achroma... Ce n'était que cela qui lui avait fait accepter cette main tendue. Il ne l'aurait jamais accepté de quelque autre vampire. Non, effectivement... Il devait bien l'admettre.

Il devait se controler, se ressaisir, se maitriser... Et se pensant, il serra les poings, expira un air dont il n'avait guère besoin et ferma les yeux, tentant de regagner un semblant de maitrise, sur ses pensées agitées et déroutées, et sur ses sentiments qui le hantaient.

Oui, il devait se maitriser. Il devait...

« Si vous avez quelqu'un à blâmer au sujet de la perte de vos souvenirs, adressez vous à celui qui vous a transformé puis abandonné... »

Il ne devait rien. Pensée fulgurante, en même temps qu'irraisonnée.

Ce fut là ce qui sonna le glas de tous ses efforts. Sans préavis, le jeune vampire dégaina sa lance, et se projeta sur sa cible... ne s'arrêtant qu'à quelques centimètres d'elle, sa lame toute proche...

- Ne parlez pas d'Achroma, vile maroufle hardi, ne parlez pas de mon Père ainsi. Ne parlez pas de choses honnies, dont vous ne savez rien, que les on dit. On ne peut blâmer qui est enchainé. Ne l'accablez pas de vos blâmes éhontés. Jamais, vous m'entendez, jamais je ne laisserai quiconque l'insulter de la sorte. Je vous défie en duel, mon "commandant", je vous défie dès à présent, là, maintenant. Affrontez-moi, que je lave l'honneur de ce digne millénaire que vous vouliez souiller, mécréant. Affrontez-moi dignement, et que le meilleur l'emporte !

Ne doutant nullement, arrogant qu'il était, emporté par sa colère, qu'il pouvait l'emporter... Aveuglé soudain il était, plus encore qu'au début de cet entretien. Et pas seulement physiquement, toute raison semblant l'avoir quitté...


[HJ : à voir si cela te convient, sinon je peux bien entendu éditer^^]

Avait-il joué d'arrogance ? Avait-il vendu la peau de l'aveugle avant de l'avoir balafré ? Peut-être bien, mais il n'eut guère le temps d'émettre la moindre pensée à ce sujet : il s'était laissé surprendre et avait eu la bêtise de relâcher sa vigilance une fraction de seconde à peine avant que son subordonné ne se jette sur lui arme à la main. Instinctivement, Kylian eut un mouvement de recul, sa main se crispant sur la poignée de son épée pour la tirer de plusieurs centimètres hors de son fourreau. Son geste se suspendit cependant tout aussi spontanément lorsque la lance légendaire vint présenter sa pointe acérée à quelques centimètres seulement de la peau de sa gorge, juste au dessus du col de son armure. Son regard se plissa tandis qu'il foudroyait la brume opaque dont semblaient couverts les yeux de son agresseur, mâchoires serrées en une grimace profondément contrariée. Apparemment, il avait eu le tort de pousser la conversation une phrase trop loin mais à sa décharge, il ne s'était pas imaginé un seul instant que Serillëiel réagirait aussi hargneusement à une réplique somme toute parfaitement banale. Non mais qui exactement était venu cracher sa bile sur l'autre en critiquant amèrement les difficultés que pouvaient éprouver un jeune vampire avide de recouvrer la mémoire ? Qui cherchait à désigner un coupable ? Et on osait encore lui reprocher de pointer du doigt – ou plutôt du mot – le véritable responsable ?

« Vous êtes ridicule, je n'accable, ne souille et n'insulte personne, je ne fais qu'énoncer une vérité avérée et ce quand bien même l'entendre vous déplaise. »

Pas sûr néanmoins que l'argument suffirait à ramener un minimum de raison dans l'esprit enflammé de colère qui venait d'ainsi le défier. Défi qui sonna aux oreilles de l'ancien renégat avec d'autant plus de virulence qu'il n'était pas le premier auquel il se trouvait confronté. Combien avaient-ils été, ces misérables envieux qui lui avaient forcé la main, qui l'avaient contraint à défendre sa place et ses privilèges dans la violence et le sang ? Il ne savait plus, mais ils avaient été nombreux, trop nombreux, et le jeune commandant était fatigué d'avoir ainsi à continuellement se défendre de l'avidité de ses subordonnés. Il ne voulait plus de ces défis perpétuels, pourquoi ces imbéciles refusaient-ils de le laisser en paix ? Combien de fois encore devrait-il faire valoir son autorité de la sorte ? Et l'autre insistait, comme s'il avait crains ne pas avoir été entendu, chacun de ses mots haineux résonnant lugubrement dans les oreilles de celui auxquels ils étaient adressés. Je vous défie, je vous défie, je vous défie... Affrontez moi, affrontez moi, affrontez moi... Et que le meilleur l'emporte.

« Je ne veux pas... »

Une part de lui en tout cas ne le voulait pas, cette même part qui au fil des mois s'était lentement faite de plus en plus discrète dans son esprit, abandonnant un peu plus de terrain à ses instincts vampiriques les plus primaires à chaque nouvelle exaction que le sombre commandant avait été amené à perpétrer. Mise à mort d'un rival trop impétueux, massacre d'une population poussée à la révolte par la faim et la misère, exécution sommaire d'innocents désignés comme appartenant au protectorat par tel ou tel inquisiteur, ou encore torture d'un garde qui avait contrarié Vraorg pour l'une ou l'autre raison étaient autant d'exemples de la lente déchéance qu'avait connue le gradé.

« ... mais vous ne me laissez pas le choix ! »

Non, il n'avait pas le choix, il n'avait jamais le choix, il était prisonnier, tout comme Skade, tout comme Esmelda, prisonnier d'une Théocratie qui n'était que violence et souffrance permanentes. D'un vif mouvement du bras, Kylian était venu bousculer la lance qui le menaçait et s'était écarté pour ne pas risquer se faire embrocher prématurément. Comme souvent, il n'était pas de taille à s'opposer à son détracteur et ne pouvait compter que sur sa détermination pour espérer l'emporter. Serillëiel était à la fois meilleur mage et meilleur combattant, un combat prolongé se solderait immanquablement par une défaite aussi valait-il mieux frapper fort d'entrée de jeu et miser sur l'effet de surprise pour prendre le balafré au dépourvu. A cette condition peut-être aurait-il une chance d'écraser dans l'oeuf les belliqueuses intentions qui le visaient. Quoiqu'il en soit, il n'en aurait certainement pas une deuxième aussi prit-il la décision de libérer la bride de son atout le plus secret... et celui qu'il redoutait le plus, également.

La tempête qui secouait son esprit gagna alors rapidement en intensité, tel l'océan furieux qui servait de domaine à son protecteur, tandis que les vagues de sa colère venaient décupler l'intensité de la trame magique que le marcheur d'Océan pouvait manipuler. Usant de tout son pouvoir et bien plus encore, Kylian désigna du doigt la lance légendaire que maniait son détracteur, arme dont la puissance redoutable se retournerait pour cette fois contre son porteur, et referma brutalement le poing pour projeter le sort du Fardeau avide.

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[HRP] De même, n'hésite pas si soucis. Je te laisse le soin de déterminer librement l'impact du sort, de mon côté, tu peux partir du principe que Kylian est totalement épuisé et incapable de combattre après sa tentative (contrecoup de l'usage de son pouvoir de marcheur).

Ridicule disait-on ? Il était ridicule ? Vérité avérée ? Ah ! Voilà encore un impudent se disant capable d'énoncer Vérité absolue alors ? Certes, oui, peut-être y'avait-il une part de vérité dans tous ces mots âpres. Oui, peut-être bien, et c'était là ce qui les rendait peut-être bien si douloureux, si forts et si féroces. Oui, il s'était senti délaissé, démuni, abandonné. Oui, Achroma n'avait pu faire face à ses devoirs de Père envers lui... Oui, en un sens, c'était là vérité. Mais vérité tronquée. C'était là oublier un peu vite que, si les devoirs du millénaire n'avaient pas été accomplis, ce n'était nullement ni de son fait ni de son avanie. Et c'était cette vérité-là que le jeune vampire entendait bien défendre lui aussi... Qu'on accuse ainsi son Père et son aimé de vile lâcheté ? D'abandons honnis face à ses hautes responsabilités ? Non, jamais il ne tolérerait cela, jamais en sa présence ces accusations ne seraient laissées proférées.

Non, effectivement, il ne laissait aucun choix en cet instant à son commandant. A ce mécréant qui osait prétendre détenir l'unique et seule vérité, qui osait insulter ce qui lui était le plus cher, le plus précieux, le plus aimé... Cette vile créature qui osait raviver ses blessures profondes envenimées depuis trois ans déjà...

Et, alors que sa lance était brusquement repoussée, il sentit magie crépiter autour de lui. Non... pas autour de lui, mais autour de l'autre vampire, là, devant lui. Oui, la magie vibrait, intense, puissante, profonde et enivrante. Une magie... qui ne semblait pas que celle du vampire, réalisa-t-il imperceptiblement. Certes, elle émanait de lui... mais... comme si... comme si d'autres forces venaient s'y adjoindre, la soutenir, l'approfondir, lui donnant une force qu'il n'avait pourtant pas senti de prime abord en ce cancrelat de vampire... Une magie si vibrante, si puissante, qu'Eliowir se surprit à se laisser aller à la contempler, et se fit durement et stupidement surprendre par elle.

Au moment où le sort s'abattit sur lui... Il comprit. Il sut, sentit, ce qui allait arriver, ce qu'était ce sort maudit, avant même que les premières plaies ne l'entaillent profondément. Il avait perçu cette magie s'abattre sur lui, l'envelopper, l'irradier de sa puissance, il avait compris ce qu'il en était... malédiction de tous ses objets empreints de magie pour mieux le blesser, les avilissant presque en les rendant, si ce n'est mortels, du moins dangereux et agressifs en le griffant de cette magie... Il avait su, certes, il avait senti, oui, et pourtant...

Pourtant, lui, Grand Maitre mage, il n'avait pas su trouver de quoi le contrer. Il n'avait rien trouvé, en l'instant qui lui permit d'échapper à ce funeste sort. Il n'avait pas su... Maitrisant encore avec peine la magie de ce sombre peuple, ne connaissant pas encore tous les sorts, toutes les subtilités... Il n'avait rien trouvé qui lui permettre de contrer, d'éviter, ce fardeau avide qui vint le happer. Maudissant cet instant de faiblesse, cet instant de déroute, maudissant de s'être laissé surprendre par cette félonie, maudissant ses méconnaissances encore dans tout ce panel de ténébreuse magie, il ne put que grogner quand les premières plaies s'ouvrir.

Et saignèrent.

Son front d'abord, les cicatrices de son visage semblant se rouvrir une à une pour mieux pleurer ces larmes sombres. Puis son bras tenant sa lance, son torse qui sembla soudain se faire poignarder par une lame imaginaire, l'emplacement de son coeur mort saignant soudain tel un obscure torrent naissant timidement, inexorablement.

Le jeune vampire sentit ses forces doucement s'évaporer et le fuir en même temps que se déversait sur le sol son sombre sang. Il porta une main tremblante vers son torse, cette sorte de plaie béante, et voulut en observer cette tache sombre... en vain. Son diadème semblait éteint. Les forces le quittant, sa magie le fuyant, il ne voyait plus, ne...

Non, ce serait trop facile. Le laisser gagner ainsi.. le laisser... Vile mécréant qui avait osé se servir ainsi de son arme à lui ! Vile vampire qui avait osé vouloir le frapper de ce qu'il se targuait, lui, de mieux maitriser ! Non, ce serait là bien trop sombre humiliation que de le laisser le vaincre ainsi ! Et rugissant sa colère et sa hargne, il lâcha sa lance. Retira son diadème. Et ôta alors rapidement tout objet magique qui le ceignait.

Tant et si bien... qu'il se retrouva bien vite torse nu, vêtu de ses seules braies et bottes sombres, le souffle erratique quand bien même il n'en avait nul besoin, ses possessions à terre baignant dans une flaque sombre à ses pieds... Ses possessions... presque toutes magiques... Elles qui si souvent l'aidaient alors à vaincre son infirmité...

Il se sentit nu soudain, si nu... mais pas de cette nudité physique. C'était là une nudité psychique, une nudité magique. Nu, dépourvu de toute aide, de tout support, de toute force extérieur... Seul. Avec lui-même. Et sa propre magie, réalisa-t-il tout de même. Une magie qui n'était en rien impuissante, même seule... Son corps même était magie, et déjà, dépourvu de tout objet magique maudit qui le blessait, il cicatrisait. Les plaies semblaient enfin, peu à peu, se refermer. Le torrent de son sang semblait se calmer, se tarir... Si forces lui étaient tout de même amoindries, du moins n'en perdait-il plus encore...

Et sa magie vibrait toujours en lui. Fort de ce constat, il reporta toute son attention vers le vampire en face de lui. Un vampire, qui, il le devinait, devait être fort affaibli aussi. C'était là le moment où vengeance pouvait hurler son cri. Il se devait de contre-attaquer. Et vite...

Et se pensant, il leva une paume fermée devant lui et bouche grande ouverte, lança le sort d'ultrasons lui permettant de savoir ce qui l'entourait, et surtout de mieux trouver sa cible. Quand il en eut une image imprécise, quand il parvint à la localiser à quelques pas de lui, il s'empressa d'enchainer pour incarcérer* cette cible. Mains ouvertes, il décrivit un cercle de l'intérieur vers l'extérieur. Là, le voilà prisonnier a priori... il pouvait alors enfin se venger. Oui se venger...

L'esprit embrumé par cette douce pensée, il leva une paume vers son adversaire, main ouverte, et s'apprêtait à refermer brusquement le poing... quand il réalisa ce qu'il s'apprêtait à projeter. Un croc de dragon. Il allait le tuer... Oh, oui, il voulait le tuer. Il le désirait en cet instant ardemment. Et sans doute il le pourrait. Il n'avait encore jamais essayé le sort, mais il savait ce qu'il fallait faire, comment... Oui, il savait... Cela lui semblait en cet instant si facile, si...

Mais... Son Achroma jamais ne le voudrait. Pire encore... S'il tuait ce mécréant, là, maintenant, sans doute la tuerait-il aussi. Douce Mère des Tempêtes... Oui, liée qu'elle était à ce vile vampire, s'il tuait ce maudit dragonnier, il la tuerait peut-être, sans doute, elle aussi... Elle à qui il devait tant. Elle qu'il estimait tant. Skade... Oh, belle Skade, noble dragonne, belle écailleuse grise, psalmodia-t-il, inconscient que peut-être, en cet instant elle l'entendait, le voyait, le sentait ou... Skade... Pour rien au monde, il ne voulait la blesser ou la décevoir. Pourtant... C'était là si tentant de...

Non. Pas le tuer. Et se pensant, il força sa main à s'abaisser, la serrant contre son torse, tentant de faire appel à toute la volonté et la maitrise qu'il pouvait encore avoir. Si peu, en fait. Si peu, assoiffé qu'il était.

Mais, s'il ne pouvait le tuer... il ne pouvait non plus lui concéder quelque victoire. Il ne pouvait pas non plus le laisser gagner, lui laisser croire... Non, il devait au moins venger les insultes proférées envers son Père, sa lignée, et envers lui aussi. Il avait un honneur à laver, si du moins il ne pouvait se venger...

Il posa alors une main à terre, et laissa cette belle créature incorporelle, que déjà une fois il avait invoquée, se dessiner entre eux, impalpable et si belle... se dirigeant alors vers le jeune dragonnier... gémissant à ses oreilles mille et une paroles, mille et un cauchemars...** Il laissa ainsi ce lent supplice durer quelques temps. Quelques secondes ? quelques minutes ? quelques heures ? Il n'aurait su... Ce ne fut que la soudaine pensée que, peut-être, ce sort atteignait aussi la Belle Tempête, qu'il se décida à le lever. Et libérer sa proie. Las et éprouvé toutefois lui-même.

Fier et las de son exploit, il se détourna rapidement. Et tomba à genou, à terre, dans la flaque sombre de son sang écoulé. Il porta une main hésitante, tatonnante, vers les objets qu'il devinait à terre... mais n'osa pas les toucher de peur... de peur qu'ils soient toujours maudits. Au lieu de cela, ses doigts rencontrèrent la substance poisseuse qui les maculaient et l'entourait... son sang... du sang de vampire... une étrange odeur...

Un goût inconnu, songea-t-il soudain. Et, curieux, il porta ses doigts souillés à sa bouche, et les gouta. Puis, sa soif se faisant de plus en plus pressante, une étrange envie le dévorant, il porta son poignet à ses crocs... et se mordit. Se gouta.... fou qu'il était.



* [Contrôle][Offensif] Incarcération
Permet de créer un cercle magique de petite taille dans lequel on enferme un être vivant. Celui-ci ne peut sortir du cercle ni lancer des sorts à l'extérieur sous peine de ressentir une intense et terrible douleur. Ne marche que sur les magiciens moins puissants, il est possible d'en enfermer plusieurs mais ils peuvent alors conjuguer leurs forces pour essayer de sortir. Ce sort ne puise pas dans l'énergie du magicien mais dans l'énergie alentour, une fois lancé il peut donc fonctionner indéfiniment.

Geste clé : Mains ouvertes, décrire un cercle de l'intérieur vers l'extérieur.

**[Invocation]Gémisseur sinistre
Le lanceur fait apparaître une créature incorporelle qui suit la cible continuellement, gémissant à son encontre en prenant la voix d'êtres chers ou en contant d'horribles récits à son propos. Il ne disparaît que lorsque le lanceur le désir ou quand on trouve le moyen d'atteindre la créature.

Geste clé : Toucher la terre d'une main.

[HJ : à voir si cela te convient, si je ne vais pas trop loin. N'hésite pas surtout, si souci, je peux éditer ]

Nier qu'il avait eu l'intention de blesser lui aurait été difficile, mais il n'en avait pas moins sincèrement sous-estimé la puissance du sort qu'il venait d'infliger au balafré insurgé. Certes, Kylian connaissait la puissance légendaire de la lance qui était venue le menacer et avait consciemment choisi le sort qui tirerait le meilleur parti de ce pouvoir afin de le retourner contre son possesseur, mais il n'était tout simplement pas suffisamment familiarisé avec les sorts offensifs que pour demeurer parfaitement insensible face au sinistre spectacle dont il avait été l'instigateur. Un instant, l'idée de relâcher le sort l'effleura mais sa colère et quelques sentiments moins avouables s'y opposèrent. Après tout, Serillëiel avait été celui qui l'avait défié, il l'avait cru trop faible pour s'opposer à lui, il avait pensé que l'ancien renégat plierait devant la menace, il en payait à présent les conséquences. Quoi de plus normal finalement ? Vraorg ne tolérait pas la faiblesse : s'il voulait conserver ce qui était sien, s'il voulait pouvoir protéger Esmelda, le dragonnier vampirique n'avait pas d'autre choix que de se montrer fort, peut-être même cruel en certaines occasions. Il n'y avait aucune alternative, ce d'autant plus qu'il sentait parfaitement ses propres forces fondre comme neige sous le souffle d'un dragon : il devait absolument parvenir à terrasser le balafré tant qu'il en avait l'opportunité. Ce dernier sembla d'ailleurs finalement comprendre que son tourmenteur ne l'épargnerait pas et se résolut à se défaire de son précieux équipement, à l'instant même où son adversaire mobilisait les derniers fragments de son énergie pour maintenir le sort aussi longtemps qu'il en était capable.

Epuisé, Kylian consentit finalement à interrompre son assaut, guettant anxieusement la réponse qui y serait donnée. Avec un peu de chance, Serillëiel reconnaîtrait sa défaite et s'en retournerait à la place qui était la sienne, ni l'un ni l'autre ne feraient mention de ce qui venait de se passer à qui que ce soit et ce sinistre duel demeurerait à jamais ignoré de tous. C'était ce qu'on pouvait espérer de mieux pour l'un autant que pour l'autre d'ailleurs : il pouvait bien n'éprouver que rancoeur et animosité vis-à-vis du balafré, tel n'était pas le cas de sa liée et il ne pouvait l'ignorer. Pour une raison que le dragonnier ne comprendrait vraisemblablement jamais, Skade s'était en effet entichée du vampiret ancestral et n'appréciait pas beaucoup les voir s'affronter de la sorte, aussi Kylian eut-il préféré éviter d'avoir à sanctionner plus durement encore son opposant du jour. Malheureusement, à en juger par la posture qu'il venait de prendre, le principal concerné ne semblait pas vraiment enclin à accepter si facilement la défaite et préparait déjà sa contre-attaque. Cela n'avait en soi rien de surprenant lorsqu'on connaissait son arrogance exacerbée, mais n'en demeurait pas moins un sérieux problème pour son supérieur hiérarchique. Incapable de se défendre, ce dernier succomba sans résistance aucune face au sort d'entrave qui vint bientôt l'enserrer, grimaçant son mépris avant de s'inquiéter franchement tandis qu'il considérait le geste-clé qu'avait débuté le balafré. Un geste qu'il connaissait pour avoir trop souvent vu Lorenz s'en servir, un geste qu'il avait lui-même exécuté en une rare occasion, un geste qui le tuerait si l'autre s'entêtait et surtout, un geste contre lequel il ne pouvait lutter... mais plutôt mourir que de supplier Serillëiel de l'épargner ! Ou plus exactement, plutôt le faire tuer que lui accorder le moindre soupçon de supplication : s'il projetait son esprit à la rencontre de sa liée pour l'informer du danger, la dragonne volerait à son secours plus rapidement qu'un éclair ne parcourait la distance le séparant du ciel à la terre. Certes, il y aurait du dégât et Kylian aurait de sérieuses explications à fournir ensuite, mais ne disait-on pas aux grands maux les grands remèdes ? Toutefois, alors même que le dragonnier envisageait ce dernier recours, l'ancestral aveuglé s'interrompit de lui-même et le sortilège de mort se mua en un châtiment de torture. Méritée ? Pas de son avis mais il n'eut guère l'occasion de s'intéresser davantage à la question, l'apparition d'une ombre gémissante s'empressant de ravir son attention autant que ses réflexions. C'était un piège, il le savait mais ne parvenait pas pour autant à se détourner de l'ombre impalpable qui tournait à présent autour de lui. Ses gestes tout en lenteur avaient quelque chose de désagréablement hypnotique, mais ce fut véritablement le timbre de sa voix qui perturba le vampire. Grave et rauque murmure qui se glissa dans le creux de son oreille pour y faire résonner de sombres menaces, éveillant les plus sinistres souvenirs qui avaient émaillés la non-vie du vampire. Instinctivement, Kylian voulut lever les mains pour s'en couvrir les oreilles, mais cela n'eut aucun effet et le cauchemar se poursuivit ainsi un long moment, plongeant le vampire dans les tourments de sa lente déchéance. Esmelda, Skade et plus particulièrement encore l'amour que l'ancien renégat leur portait devinrent les outils de sa torture mentale.

Le supplice s'estompa finalement, après un temps que sa victime n'aurait pu évaluer, mais le retour à la réalité n'en fut que d'autant plus dur. Un instant vacillant, le sombre commandant s'appuya piteusement sur le mur le plus proche pour ne pas risquer perdre l'équilibre avant de porter son attention sur le responsable de son cauchemar. A quelques mètres devant lui, Serillëiel se tenait accroupi dans une mare de son propre sang, entouré des divers objets qui lui avaient valu d'en épancher une telle quantité. Un vampiret dans toute sa bestiale sauvagerie, rendu fou par l'odeur de son sang au point de s'en dévorer lui-même et bien loin de l'image honorable que le concerné se prétendait défendre, voila le spectacle qu'il offrait à son supérieur hiérarchique. Pitoyable, et c'était à cela que ce dernier devait de se trouver dans cet état ? S'il en avait eu la force, Kylian se fut fait un plaisir de lui décocher un solide coup de pied dans le postérieur, mais cela n'aurait fait que raviver le conflit et il était trop fatigué que pour avoir envie de cela.

« Vous allez vous rendre malade, sombre idiot. Vous si fier d'avoir recouvré vos souvenirs et d'avoir lutté avec votre nouvelle condition par vos propres moyens, vous vous comportez pourtant encore comme un vulgaire animal... »

Sa voix était lasse, plus déconfite par ce qu'il venait de constater que réellement acerbe. Un enfant vampire qui approchait le millénaire d'existence, ç'aurait presque pu être cocasse, presque seulement.

« Je pourrais vous faire exécuter pour ce que vous avez fait, en vérité je pourrais même vous faire massacrer et ordonner que vos morceaux soient dispersés aux quatre coins de la Théocratie, personne ne pourrait s'y opposer... Je le peux et c'est même probablement ce que je devrais faire, mais je m'en abstiendrais pourtant... N'allez cependant pas croire pour autant que je reconnais mon tort, car je ne retire rien de ce que j'ai pu dire, je considère simplement que nous en sommes quitte. »

Si toutefois une telle formulation pouvait réellement s'appliquer dans le cas présent, difficile en effet de croire que la relation entre les deux vampires pourrait jamais vraiment s'améliorer dorénavant.

« A présent fichez moi le camps et ne parlez à personne de ce qui s'est passé, si du moins vous tenez à vivre. Je ne peux pas laisser se répandre une telle insubordination à mon égard, ce serait la porte ouverte à une mutinerie généralisée alors pour une fois, tâchez de savoir où se trouve votre propre intérêt. Et dernière chose, tâchez de vous tenir informé de vos ordres, je veillerais personnellement à ce qu'ils soient scrupuleusement exécutés... »

Il ne fallait tout de même pas oublier ce qui avait été le point de départ de ce déplaisant entretien.

Fou oui, il allait se rendre malade, assurément. Ce sang-là était bien insipide et si... vide.. dénué de goût, dénué de vitalité, dénué de vie. Oui, voilà dénué de vie, et sa soif intense ne parvenait à s'étancher, envie alors inassouvie. Un sang qui le plongeait plus encore dans ses tourments.

Un animal disait une voix près de lui. Un animal... N'était-il que bestialité sauvage et brutale rage ? Vulgaire animal, disait la voix, en son vile persifflage. Vulgaire animal qui se rongeait lui-même sous la faim sans fin qui le hantait. Voilà donc tout ce qu'il était ? Non, décida-t-il. Non, il n'était pas cela, pas seulement. Même un animal était capable d'ailleurs de surmonter ses errances par moment. Il ne pouvait faire moins qu'un animal, il devait lutter, se battre, vaincre... il en était capable, il le pouvait, sombre idiot qu'il était. Oui, il le pouvait, il en avait la force, la Belle Ecailleuse le lui avait montré. Elle le lui avait dit, le lui avait enseigné... Compté, avait-elle dit, s'il se sentait de nouveau dériver, il lui fallait compter. Compter.

Et il compta. Les écailles grises n'étaient peut-être plus devant lui, mais il compta, se remémorant en son esprit chaque écaille de cet immense museau, chaque nuance de gris, chaque voluptueuse irisation qui brillait sous la pluie, chaque moirage qui scintillait sous les rayons de l'astre levant. Il compta, compta, compta encore. Et, sans même y prendre garde, relâcha son poignet qu'il avait mordu profondément. Déjà ce dernier tentait de cicatriser, les sombres plaies se refermant doucement, laborieusement.

Combien de temps dura son errance ? Il ne sut dire exactement, mais bien moins qu'il ne l'aurait cru, constata-t-il alors que déjà la voix auprès de lui reprenait. Il était persuadé pourtant ne pas avoir manqué ce qu'elle aurait pu dire. Oui, il l'avait entendu, même pendant son égarement, et n'aurait pu ne plus l'entendre. Tout ceci s'était donc passé si rapidement ? En quelques grains de temps à peine écoulés ? Il semblerait bien, songea-t-il, perplexe, et dérouté.

Exécuté, disait-il ? Mais qu'il le fasse. Qu'il le fasse donc, cela le libérerait alors de toutes ces errances sans fin, eut-il envie de crier. Qu'il le fasse, le libère, et qu'il lui permette de se transcender autrement, dans une autre vie, ou dans les limbes même du Néant s'il le fallait. Tout, peut-être, plutôt que cette cacophonie.

Non, non, se morigéna-t-il, non. Ce serait là vile lâcheté. Or lâche non, il ne l'était pas, ne voulait pas l'être du moins.

Quitte ? Ce vampire de pacotille les considérait donc comme quitte ? Si Eliowir en avait eu la force, il en aurait ri. Mais force ne lui était plus. Il se sentait las, éprouvé, dénué de toute vitalité. Tel le sang infecte qui en lui coulait et qu'il avait eu la folie de goûter.

Le jeune vampire pourtant ne broncha pas, ne bougea pas, laissant l'autre verser sa morgue coléreuse, baissant simplement la tête, en signe de lassitude extrême. Ou de soumission, que l'autre le prenne comme il voulait. Il se contenta de se laisser complètement tomber à genou, les mains sur les cuisses, attendant que la sentence finisse de tomber. Il devait avouer, que s'il avait été à la place de son commandant, il aurait déversé tout son fiel aussi. Surtout après avoir été.... et bien oui, torturé. Même si mentalement. Le sort qu'il avait lancé, s'il n'avait pas la létalité d'un croc de dragon, en avait une tout autre potentiellement. La létalité de l'esprit et de l'âme. Pire encore sans doute que celle du corps. L'autre vampire avait de quoi être amer, coléreux, discourtois et pouvait nourrir quelque sentiment de vengeance, ou plus encore. Oui, cela n'était nullement surprenant. Plus surprenant toutefois était que le jeune vampire en ait conscience, le comprenne, l'accepte, même s'il préféra ne pas le concéder à haute voix.

Quand son commandant sembla en avoir fini, le jeune vampire se releva péniblement, tout de sang paré sans même s'en rendre compte, des balafres de pourpre obscure se mêlant aux balafres passées sur son torse nu, ses braies tout autant tachées et son poignet comme enlacé d'un sombre filet. Il se sentait vacillant. Non, était vacillant, mais parvint à ne pas trembler de la tête aux pieds.

- Avec tout le respect que je vous dois, croassa-t-il d'une voix où ne suintait pourtant aucun réel mépris, j'aurais pu vous tuer. J'allais sans doute le faire même, le croc de dragon allait frapper. Peut-être votre dragonne aurait tenté de vous sauver, peut-être, oui... Mais j'aurais pu vous tuer, là, en cet instant, dragon ou pas dragon pour vous protéger de mon ire.

Et ce n'était pas présomption arrogante selon lui. Un croc de dragon... était après tout un sort instantané, si rapide, si véloce... surtout sur une cible qui avait été enchainée auparavant. Il n'aurait eu aucune chance. Il aurait fallu, pour que la dragonne le sauve, qu'elle soit déjà là, présente, et prévenue. Sinon elle n'aurait jamais eu le temps d'intervenir pour contrer un tel sort résolu.

- Si duel nous avions réellement effectué dans les règles de l'art, je vous aurais battu, et vous le savez. Selon les lois vampiriques, je pourrais alors prétendre à votre place, votre rang, et votre dignité.

Là encore après tout ce n'était nul mensonge. Ainsi fonctionnait la société vampirique. Et cela n'allait nullement à l'encontre des rares lois de la Théocratie non plus.

- Mais je n'en ai nulle envie, je n'en ai nullement l'intention.

Il se devait de rectifier au moins cette possible incompréhension.

- Ce n'est pas cela que je briguais, non. Gardez donc votre place, votre titre, et votre armée. Que je reste Sombre Garde, peu m'importe, je ne veux rien de la sorte vous usurper. Même si pour cela je dois rester sous vos ordres et vos sombres vengeances endurer.

Car il ne se faisait nulle illusion. Mais il avait, lui, bien d'autres objectifs de bien plus grande importance selon lui que de devenir le Commandant de la Sombre Garde. Un tel titre d'ailleurs ne lui attirerait que des ennuis.

- Non, je n'ai pas de telles ambitions éhontées.

Même s'il en aurait peut-être eu les capacités, à bien y réfléchir. N'avait-il pas été Conseiller de son temps d'elfe ? Puis guerrier, aussi bien elfique que vampirique... Il savait commander, il savait combattre, et il n'était plus tout à fait manchot pour maitriser la puissance qui pouvait être la sienne. Après tout, même s'il n'était pas dragonnier, il aurait pu, lui aussi, se montrer capable de commander quelque armée peut-être...

- Non, rien de tout cela. Je... Vous avez à mes yeux...

Il ne put s'empêcher de tiquer à cette formulation malheureuse, ses traits s'étirant en une moue dubitative et amère.

- Insulté un être cher pour le sombre idiot que je suis. Ce serait comme si j'avais accusé votre aimée d'être la cause de tous vos maux honnis. Osez m'avouer que vous n'auriez pas réagi de même. Incrédulité ne pourra alors être que mienne. Jouez donc de vos prérogatives et exécutez-moi si vous le désirez. Torturez-moi si cela vous enchante tant. Faites donc de moi un exemple si besoin vous le ressentez. Peu m'importe le sort que vous me réserverez, Commandant.

Il lâcha un lourd soupir, prenant sur lui pour tenter d'expliquer son comportement. Non pas pour s'excuser, il n'en avait nulle envie. Si l'autre n'avait peut-être, il disait bien peut-être, pas totalement mérité son ire, il n'avait en tout cas rien fait pour l'apaiser, le comprendre, la juguler. Après tout, des deux vampires, le dragonnier était sensé être le plus responsable et surtout l'aîné en âge vampirique. Mais il n'avait rien fait pour aider son jeune garde séculaire alors en proie aux affres de sa nouvelle résurrection.

- J'aurais pu vous tuer. Mais finalement vous ai épargné, répéta-t-il, tout en tournant le dos et s'abaissant vers ses objets, tâtonnant sur le sol pour les retrouver.

Et grimaçant quand ses doigts rencontrèrent l'un deux tout de sang empoissé.

- Si mon geste j'ai retenu, ce ne fut que pour votre noble écailleuse. Cela l'aurait tuée aussi, et je m'en serais maudit. Mère des Tempêtes est bien trop précieuse. Les dragons le sont tous... et leur dragonnier aussi.

Il empoigna sa lance, crispant ses phalanges blafardes dessus jusqu'à manquer les rompre.

- Ne m'en déplaise, vous êtes dragonnier. Et j'ai juré en mon coeur, mon âme, de tous vous protéger. Oui, vous, nobles dragonniers... tel mon aimé. Vous devez survivre, votre route poursuivre. Vous, vous seuls, comptez. Vous seuls... et j'ai failli l'un d'eux tuer.

Et soudain un terrible remords le saisit.

- J'ai failli échouer, j'ai failli fauter...

Et, tous ses sentiments le rongeant de nouveau avec le force d'un maelstrom enragé, il s'appuya au sol, ses mains alors de son sombre sang se maculant, et larmes carmines viles et traitresses se mirent silencieusement à couler.

- Saurais-je un jour me controler ? Me conduire de manière censée ? Pourrais-je jamais de cette folie me libérer ? Pourrais-je jamais prétendre à être pardonné ?