Trissi était étalée de tout son long, suivant les rives du lac souterrain, ne prenant pas même la peine de replier totalement ses ailes. Elles tombaient mollement le long de ses flancs, et sur le sol. Depuis quelques heures ils étaient de retour à Aigue-Royale. Le voyage n'avait pas été particulièrement long ou éreintant, malgré la charge supplémentaire que les dragonnes devaient supporter. C'aurait pu beaucoup plus jouer sur les limites de leurs forces physiques. Il n'en demeurait pas moins que, comme tout voyage, celui-ci avait occasionné une certaine dose de fatigue. Il leur restait un peu de trajet à faire, jusqu'au lac noir. Ils n'étaient venus à Aigue-Royale que le temps d'une courte pause. "Ravitaillement", avait dit Achroma. Dans la tête de Trissi, cela se traduisait pas "laisse les bipèdes faire, et détends-toi". Un plan aux multiples avantages, qui plaisait à la dragonne. Elle n'avait pas rechigné, avait laissé son chargement s'occuper de ces affaires-là, et s'était dirigée d'un pas tranquille vers le lac. Peut-être n'était-ce qu'une impression, mais Aigue lui paraissait plus petite encore qu'avant leur départ. Avait-elle encore grandi ? À moins que ce ne soit la comparaison entre ce terrier étriqué et l'infini du ciel dans lequel elle s'était noyée ces derniers jours...

C'était avec plaisir qu'elle laissait ses muscles se détendre totalement, qu'elle profitait de l'agréable sensation d'un dos libre de tout poids, si petit soit-il. L'agitation de Kedrildan lui parvenait, lointaine, elle n'y prêtait pas vraiment attention. De même, elle se moquait éperdument de savoir si ou non elle pouvait gêner qui que ce soit, à prendre autant de place. Elle n'en avait pas pour longtemps. Juste une petite sieste. Après, elle pourrait... Elle ne savait pas exactement ce qu'elle voulait faire, mais elle le ferait ! Rester allongée n'occupait sa dragonne que quelques instants, cela devenait vite ennuyeux. C'aurait été un comble de s'ennuyer, avec tant de choses à sa disposition: le lac, les bipèdes...
Elle dormit sans doute, profitant dans la fraicheur agréable de ce lieu, sa lumière moins virulente que celle du soleil. Les bruits ambiants composaient une berceuse bien particulière, mais qui convenait à la dragonne d'argent. Au bout d'un moment, engourdie par sa sieste, elle commença à avoir du mal à estimer si oui ou non elle avait dormi, et combien de temps. Elle se sentait engourdie et n'aimait pas du tout cette sensation. Comment diantre faisaient les paresseux pour s'y complaire ? Il était désagréable d'avoir ainsi l'impression que son esprit et son corps étaient englués dans une sorte de miel qui les maintenait au sol comme des mouches !

Trissi était occupée à se houspiller pour avoir eu l'idée de faire une sieste, à tenter de se motiver à se mettre debout une bonne fois pour toutes, lorsqu'un bruit incongru la réveilla totalement, et lui offrit de quoi se convaincre. Un glouglou. Un bruit d'eau, de bulles. Ses paupières s'ouvrirent brusquement, elle redressa la tête. Cela venait du lac, c'était tout près d'elle. Les bulles flottaient encore à la surface. L'esprit et les sens aux aguets la curieuse Trissi tendit son encolure au-dessus de l'eau, sans oser se lever. Elle crut distinguer une ombre, sous la surface. Elle crut comprendre ce qui se passait. Mais mieux valait vérifier, non ? Sans se lever, elle se pencha un peu plus vers l'eau. Pas question d'initier une conversation, c'était trop simple, trop usité comme façon de se saluer !
D'un coup, elle souffla, très fort, sous la surface de l'eau.

De retour aux galeries, Isyndar se sentait comme seule, une partie d'elle bien trop loin d'elle. Et revenir en ces lieux étaient un déchirement de l'âme. Où était le ciel étoilé, la lune brillant sur ses écailles et ce sentiment de liberté à perte de vue. Bien loin de la pierre, la roche et la même odeur de terre renfermée. Roëric avait tenu à revenir pour continuer de construire cette caste draconnique. Point central pour l'heure. Mais la dragonne de l'ombre n'avait hâte que d'une chose : repartir.
Mais quand tonna dans leur esprit la possibilité de le faire, de sauver leur vie, celles des autres, de prouver la force draconique, elle avait refusé. Elle se sentait encore faible de la naissance de Cynoë, de leur séparation et du voyage. La petite dragonne trouvait qu'elle serait bien plus encombrante et peu utile dans les galeries de l'ombre de la vie passé de son lié. Pour se terrer encore sous terre, non, c'était au dessus de ses moyens. Ce qui la tortura encore un peu plus dans son esprit. La douce mélancolie d'un passé dans les airs à voler de comtés en duchés, à se jouer des soldats de l'empire avec la Horde lui effleurait son esprit malade de ce manque affectif. Avait-elle fait ce bon choix. Elle l'espérait. Elle n'avait plus qu'à supplier le Dracos de veiller sur cet œuf et sur les loups qui le protégeait.

Mais pour l'heure la dragonne devait trouver quoi faire de sa carcasse écaillée. Roëric s'assurait que le reste des troupes restés à Aigue, non parti rejoindre le marcheur aient une marge de fuite si un autre soucis d'ordre climatique ou de magie re-survenait comme il fut le cas il y a quelques mois. Il était inutile de reperdre des vies aussi bêtement, surtout que cette fois-ci le danger pouvait être su de tous. Et ces galeries qui venaient de subir une attaque avaient bien besoin de renfort pour ne pas s'écrouler au moindre pet de dragons. Et il y avait à faire, mais pas pour un dragon. La petite grise se dirigea donc vers le lac souterrain, elle avait comme un besoin de sentir l'eau laver ses écailles ternit et salit par cette lumière bleue qui lui sortait par les narines.

Arrivée au bord de cette énergie apaisante et calme, surface lisse ou se reflétait son image, Isyndar y entra ne se souciant guère de la fraîcheur de l'eau sur sa peau. La dragonne se laissa à jouer avec l'élément aquatique, plongeant au plus loin pour y chercher quelconque trésors. Le fond de l'eau était assez sommaire, de la roche pour changer, une boite en bois, une vieille épée. Rien de bien sensationnelle. Remontant de temps à autre, la dragonne se prit le temps d'un instant pour ses animaux vivant dans l'eau, oubliant le ciel mais y retrouvant la même sensation de liberté.
Mais le temps de revenir à la réalité se faisait sentir et Isyndar revient vers le bord se jouant de l'air et de l'eau dans des une jet de bulles draconique, avant d'en sortir face à un dragon. C’était donc cela la présence étrange qui avait parcourut ses écailles un instant. Pas la présence d'un animal quelconque. Une des siennes et pas n'importa laquelle. La lié de son sauveur. Trissi. Isyndar n'avait que trop peu eu l’occasion de la revoir, du moins seule à seule et de prendre le temps de connaître celle qui lui offrit son lié le temps d'un voyage pour qu'elle puisse retrouver le sien. En ça, elle lui serait à jamais reconnaissante.

Sortant de l'eau, la dragonne de l'ombre lui envoya un doux songe heureux de sa présence en ces lieux.

« -Trissi, pierre de lune et douce liée de mon sauveur, je te salue. Je suis heureuse de pouvoir enfin disposer de toi sans nos liés. Trop de temps sont passés, nous avons bien grandit depuis ce séjour auprès des vôtres. »

Isyndar lui envoya les images de ce court séjour cachée au domaine vampirique.

Trissi redressa doucement la tête en voyant l'ombre devenir de plus en plus grande. Elle s'était attendue à cela. À voir une silhouette d'écailles sortir de l'eau. Elle reconnut vite Isyndar. Ce n'était pas pour lui déplaire. Ces derniers jours, elle avait surtout côtoyé Silarae. Voir un dragon lui était toujours plaisant, voir des silhouettes dont elle n'avait pas l'habitude également. D'Isyndar, elle savait principalement que Kedrildan l'appréciait et que, en effet, il l'avait ramenée jusqu'à son Lié. C'était pour elle qu'elle avait accepté d'être tenue éloignée de son vampire, et rester auprès d'Achroma. Kedrildan et Trissi n'étaient pas de ces couples qui se tenaient collés l'un à l'autre, comme un chien sur les bottes de son maitre. Ils savaient se tenir loin l'un de l'autre pendant plus de cinq minutes sans devenir fous. Le Lien aidait à cela. Faute de proximité physique, ils avaient toujours la proximité de l'âme. À Aigue-Royale, ils pouvaient bien ne pas être souvent proches l'un de l'autre (et au vu de l'étroitesse de la plupart des lieux, c'était indispensable), et ce sans souci. Mais la principale différence avec l'instant où elle l'avait laissé seul avec Isyndar demeurait dans le fait qu'en Aigue-Royale les dangers auxquels son Lié s'exposait étaient relativement faibles…
La dragonne d'argent n'esquissa pas plus de mouvement, y comprit en voyant Isyndar chercher à sortir de l'eau. Pas question de se décaler: son corps se sentait encore bien trop à son aise dans cette position. Elle apprécia le premier contact de la dragonne de l'ombre, le lui fit savoir en lui rendant la pareille.
Trissi rendit à Isyndar ce contact, essayant de se montrer sinon douce au moins agréable.

"- Je n'ai pas votre douceur, sombre amie."

Elle reçut les images. Sa réponse fut un mélange d'amusement et d'une étrange tendresse. Elle fit part à Isyndar de ses sentiments; ce temps lui offrait la sensation d'être très loin derrière elles. Pourtant, elle savait que ce n'était pas si lointain. Une poussière de temps. Ce qui rendait ce dernier plus long, à posteriori, était principalement le nombre d'éléments qui composaient leur passé. Oui, Trissi fit part de tout cela à Isyndar.

"- Nos flammes devaient n'être qu'étincelles, en ce temps-là."

Suggéra-t-elle. Pour offrir une comparaison qui souscrirait à son propos, elle tourna sa tête vers le lac. Là, au-dessus de l'eau, elle souffla un long et fin jet de flammes, sans efforts. Elle chercha ensuite dans sa mémoire le souvenir de ses premières flammèches. Rien ne vint. Enfin, pas exactement. Il lui vint bien une image, mais postérieure à l'événement qui les intéressait toutes deux.
À Isyndar elle offrit quelques images également tirées des instants où elle était aux côtés d'Achroma. Elle offrit en comparaison l'Achroma vu à Gloria, en plein jour, peu avant qu'ils aillent affronter la perle du Néant. Les derniers événements n'étaient pas bien joyeux, pour elle, mais sans doute Isyndar en avait-elle entendu parler. D'Isyndar, elle gardait en mémoire ce qui lui avait dit son Lié. Il l'avait vue enceinte, ce jour où Achroma leur avait parlé de la Caste...

"- Il m'avait semblé comprendre que tu allais offrir un dragon à ce monde."

Trissi tourna vers la dame de l'ombre ses yeux de saphir. Elle observa avec attention sa charmante camarade, et constata avec une pointe de jalousie un peu mauvaise que les écailles d'Isyndar étaient luisantes d'eau, ce qui leur donnait un aspect des plus soignés. Elle, qui revenait d'un long périple, qui venait de s'allonger dans la poussière, qui n'avait même pas d'adorateur pour s'occuper de son apparence, avait une allure moins élégante. Mais elle n'osait aller dans l'eau. Pas juste après que sa congénère en soit sortie. Elle allait attendre un peu.

La dragonne grise clair n'avait peut être pas sa douceur, mais elle avait sa force, cette force que les dragonne avaient en elles pour avancer, pour toujours se redresser quoiqu'il arrive. Oui cette détermination à ne pas regarder en arrière et toujours tenter d'avancer pour elle, mais aussi pour leur liés.

« -Non, mais vous avez la force qui est la mienne, celle d'avoir un temps, enfant, été orphelin de votre lié. Et rien que cela, je vous serai éternellement reconnaissante. A toi et à Kedrildan. »

La dragonne de l'ombre regarda le feu filé le long de l'eau, reflétant son image et donnant encore plus de force à cette flamme. Oui elles étaient bien loin les premières flammèches, tout s'était passé si vite.

« -Eh bien des nuages sont passés au dessus de notre tête depuis. Et nous en avons parcourut du chemin. »

Isyndar tenta de lui envoyer quelques unes de images de sa vie, celle auprès de la Horde, celle ensuite auprès des chanteurs lors de la bataille des bois sombre, son voyage avec Skade, puis les recherches de Shaynar quand elle eut comprit sa vie futur et enfin son arrivée à Aigue.

« -En effet. Et le monde a accueillit un nouvel œuf. En espérant qu'il puisse y trouver vie, force et qu'il vienne bien vite admirer le ciel à nos côtés. Il est pour le moment, bien loin de ce lieu de guerre et de combat. Je ne pouvais consentir à laisser la fragilité de notre race là où nous avons faillit périr. Une précaution qui me brise le cœur, mais entre raison et sentiment, il faut savoir choisir. »

Et la dragonne de l'ombre avait choisit. Et cela n'avait pas été facile. Même si voyager avait été un bonheur sans nom, tout comme le fait de se retrouver dans sa famille d'adoption. Même si elle sentait que l'esprit de son lié était contrarié. Melusine, la louve devait continuer à hanter certaines de ses pensées. La dragonne ne pouvait que le comprendre et ils repartirent bien vite afin de mettre du temps et de la distance entre eux et leur passé. Leur futur était maintenant devant eux. Libérez de sa gestation, lui de ses attaches. Prêts à partir tous deux vers de nouveaux cieux. Ce sentiment de liberté qu'ils aimaient et recherchaient. L'un comme l'autre, si contact il y avait, ils iraient. Ses lames et ses griffes à elle.
La dragonne de l'ombre lui envoya des images et continua à lui parler dans ce langage que seuls les dragons pouvaient entreprendre de saisir.

« -Alors la lutte contre les perles ? Avez-vous vaincu ? Avez-vous ôté de notre terre cette immondice. Est-ce qu'il y en a encore ? Devons-nous encore nous battre devant ces créatures ? J'aurai aimé... mais les circonstances étaient particulières me concernant...j'aurai pourtant voulu vous donner mon feu, mes griffes pour vous soutenir.»

La dragonne de l'ombre avait entendu murmurer au plus fort la présence de ces perles dissimulées un peu partout dans le continent. Autrefois murmure étrange venu avec les elfes, elles étaient maintenant plantées comme du lierre tenace dans la pierre. Mais avec son lié, la dragonne de l'ombre avait eu un tout autre chemin que celui de combattre pour l'avenir d'Armanda. Elle avait son propre avenir à construire. Maintenant, les choses étaient autres, et Isyndar se sentait remplie d'énergie pour protéger ce monde, celui de son lié, de son œuf. L’œuf était à l’abri il fallait maintenant tout lui donner, tout faire, lui offrir pour qu'il puisse un jour voler en toute liberté. Avec son lié.

Elle ne disait rien, mais elle n'en pensait pas moins. Isyndar savait la brosser dans le sens des écailles. C'était bien volontiers que Trissi aurait accompli de nouveaux exploits auprès d'Isyndar. La dragonne de l'ombre faisait montre d'une reconnaissance des plus naturelles, et pourtant des plus difficiles à obtenir et ce bas-monde. Que n'avait-elle pas dû pousser d'autres, pour obtenir la révérence qui lui était due ! Elle songea un instant que peut-être que cette différence était due à la nature des êtres qu'elle côtoyait.. Isyndar était une dragonne, son point de vue sur ce monde était, fatalement, plus juste et plus savant que celui de la majeure partie des bipèdes. Elle savait, elle, reconnaitre les qualités dont Trissi faisait preuve, quand les bipèdes préféraient s'émerveiller devant des cailloux un peu brillants. Alors oui, elle voulait bien faire fi de sa grande modestie, et admettre qu'Isyndar avait raison, qu'elle avait de la force, et que ce qu'elle avait accompli n'était pas rien.

La dragonne d'argent reçut et ancra dans son esprit les images envoyées par sa congénère. Elle reconnut sans souci les chanteurs. Dire qu'elle avait eu, auprès d'eux, l'impression de tourner en rond… Si alors elle avait su le temps qu'elle allait passer à Aigue-Royale, dans ce trou à rat trop étroit ! Mais ce n'était pas là ce qui l'intéressait le plus. Elle avait connu cet endroit, elle avait connu la bataille des bois sombres. En revanche, la Horde était pour elle quelque chose de nouveau. Elle reconnut Skade -comment ne pas la reconnaitre ?- et observa, silencieuse, plongée dans ses réflexions, les recherches de Shaynar. Quelque part, cela lui faisait un drôle d'effet de savoir qu'Isyndar avait déjà offert un dragonnet à ce monde, quand elle-même n'y songeait que dans un vague hypothétique futur. Elle devait le faire, elle le savait. C'était plus un devoir qu'un véritable désir de maternité. Elle devait se trouver un mâle… Pour le moment, aucun ne lui donnait l'impression d'arriver à la cheville de ses exigences. Avoir une progéniture, oui, mais pas question d'offrir à ce monde des dragonnets incapables de survivre, ou de produire eux-mêmes une descendance digne de ce nom. Pas question de voir son espèce péricliter pour avoir été trop précipitée.
Sortant de ses rêveries, Trissi prêta attention à ce qu'Isyndar lui contait au sujet de son oeuf. Un nouveau dragon. Une excellente nouvelle. Les précautions prises par sa mère paraissaient légitimes aux yeux de l'argentée.

"- Pourras-tu me dire où il se trouve ?"

Elle était brusque, en comparaison avec sa camarade. Et encore, elle faisait des efforts, sans quoi elle se serait contenté d'un "où est-il ?" plus concis et direct. Pourtant, les intentions seraient restées les mêmes. Elle en fit part à Isyndar: point n'était ici question d'une simple curiosité, elle voulait savoir quel lieu devait être protégé. Si l'annonce d'un mouvement belliqueux vers cet endroit parvenait aux oreilles de Trissi, elle voulait pouvoir pousser Kedrildan à agir.

"- Nul besoin de te justifier. Il faudrait être particulièrement stupide pour te reprocher ton choix. La lutte contre les perles…"

Elle lui transmit non sans fierté une image bien précise, qui lui plaisait particulièrement: le moment où les forces conjuguées des attaquants de la perle du Lac s'étaient unies pour pourfendre d'un même élan la perle, sortie des flots par Végétal. Isyndar eut donc le point de vue d'une Trissi plongeant en piqué sur cet horreur. Elle put voir l'étrange groupe que formaient les autres bipèdes: Vanaël, la vampiresse aux cheveux rouges, Ylan Cendremont, le maitre des esclaves, Aldaron, le dirigeant du marché noir, et Kedrildan, le plus beau de ce groupe. Oui, ils étaient venus à bout de cette perle-là avec brio ! L'inverse eut été surprenant, ceci dit.
Elle commença à lui présenter le Temple de Néant, lieu où ils s'étaient attaqués à une seconde perle. Mais elle se stoppa net dans son élan. C'était plus fort qu'elle, elle n'aimait pas se rappeler de ce maudit moment. Pourtant, quelque chose lui soufflait qu'elle devait faire un effort, et le dire à Isyndar.
Trissi présenta donc à la dragonne de l'Ombre les instants impensables où, brusquement, le lien avait été coupé entre elle et Kedrildan. Les émotions associées à cet instant, elle ne voulait plus jamais les ressentir. Cette séparation était mille fois pire que celle qu'elle avait enduré pour Isyndar, et de loin.
Mais ils avaient vaincu. Ces ultimes images avaient un goût amer, pourtant.

"-Il reste d'autres perles, sur le continent." Elle l'avait entendu, tant à Gloria qu'à Aigue-Royale. "J'ignore combien il peut en rester, combien demeurent que nous ignorons." Se mouvant, Trissi s'approcha de l'eau, y but sans hâte. "Les Esprits nous ont aidé dans nos combats. S'ils interviennent…" Cela signifiait sans doute que la tâche était bien ardue pour les bipèdes, et même, c'était plus affolant, pour des dragons. Sortant le bout de son nez de l'eau, la dragonne d'argent prit une longue inspiration. Secrètement, elle espérait que les efforts conjugués des mortels et immortels seraient suffisants. Ils avaient vaincu de puissantes perles… Il se pouvait que, si les autres mortels s'inquiétaient autant qu'eux, la victoire soit obtenue d'une façon ou d'une autre.
Mais il y avait cet appel… L'appel d'Edwyn. Celui qui disait que leurs efforts avaient été vains. Elle y croyait, elle s'y rendrait songeant qu'un dragon serait plus utile là-bas. Cela impliquait néanmoins qu'elle fasse pleinement confiance aux Esprits et aux bipèdes pour la suite. Elle devait. Elle disait le faire. Mais concrètement, elle avait du mal.

"- Iras-tu au Lac Noir ?" Elle avait brusquement changé de sujet, mais quelque chose en elle trahissait son inquiétude. "Sais-tu si les autres dragons viendront ?"

Le cœur a ses raisons que la raison ignore. Et quelle pouvait être parfois la raison ou les raisons d'un dragon. Des milliers, des centaines, une seule mais toute aussi juste et indiscutable. Et Isyndar ne le ferait jamais. Mais il était bien difficile de ne pas savoir et comprendre. Etait-ce personnel ou bien en raison de ce qui pouvait se passer sur Armanda ? Aurait-elle pu l'aider ? Shaynar était son ami, son lié du ciel, le père de son œuf. Elle n'avait jamais pensé à vivre toute sa vie de dragonne auprès de lui, non, son lié passait avant tout, puis maintenant l’œuf Mais il est un des siens, un être cher à son cœur et son esprit. Ils devaient se soutenir, tout dragon qu'ils étaient. Isyndar envoya des images à peine palpables de ce qu'elle avait entendu dire et son sentiment de tristesse. Le départ d'un dragon était toujours une douleur pour Armanda et ceux qui restaient. Surtout un premier né.

« -Nul ne le sait, même si le vent murmure qu'il est reparti là où règnent les nôtres. C'est son choix, même si je ne le connais pas, je l'accepte. Mais il me manque un ami, un compagnon de vol, et un grand dragon à mes côtés. »

La dragonne secoua la tête pour laisser ses pensées vaquer à autre chose que la tristesse de son âme. Et raviver la flamme de son désir de rendre ce monde plus heureux. Grattant un instant une patte au sol avant de continuer.

« -Oui, je sais...chaque lutte à chaque instant. Mais je ne me sens pas digne de voler à vos côtés en cet instant. Pas alors que nos liés s'unissent pour devenir cette caste dont ils parlent sans cesse. De la mettre de côté. Même si ma lutte est tout aussi primordiale que lutter contre les perles, je ne peux que penser à cela en ce moment.»

Et cela l'agaçait de se sentir ainsi lié à autre chose que son devoir de dragonne. Mais Isyndar ne s'en attarda pas et continua à échanger son flots de penser avec la dragonne pierre de lune.

« -Une chance que les Esprits viennent apporter leur force. Après tout, ils sont aussi responsables de ce qui se passe en ces lieux. Peut être pas dans le sens où leur actions ont déterminé ce que nous sommes et font mais ils veillent sur nous. Sans leur force, leur puissance, leur magie comment vaincre ce qui est magie pure ? Je ne dénigre pas notre force ni même celle de certains des bipèdes dont nos liés, mais nous parlons d'une magie qui va au delà de bien des mots de ce qui vit sur cette terre.  »

Un brin mélancolique, la dragonne de l'ombre cligna des yeux avant de plonger son regard dans l'eau calme et plate du lac sombre.

« -Je ne sais pas si d'autres iront. Je n'ai recroisé aucun d'entre eux depuis mon départ pour l'ouest...et mon départ pour... Il ne reste après tout ici que la petite Ashy qui reste beaucoup avec son lié d'empereur humain. »

Et le temps n'était pas aux confidences mais à la reconstruction de chacun ou bien à en limiter la destruction. Isyndar réfléchit avant de lui envoyer un message doux et triste.

« -Je ne pense pas y aller. Il y a encore tant à faire ici, et je pense qu'il nous faut garantir la paix des personnes en ces lieux au cas où... au cas où cela se passerait mal dans ces lieux sombres et galeries vampiriques. Mais me retrouver de nouveau sous terre, dans ce lieux du passé de mon lié. Et toi ? T'y rendras-tu avec mon sauveur qui est ton lié ? »

La caste ! C'était bien le dernier des soucis de Trissi. Son dragonnier lui en avait parlé. Elle y avait prêté attention, au début. En tout cas, intriguée, elle l'avait poussé son Lié à lui expliquer un peu mieux le concept (d'une façon ou d'une autre, ce n'était pas non plus le sujet de conversation favori de Kedrildan). Ceci appris, elle s'était vite lassée. Désormais, les nouvelles de ladite caste, elle ne les écoutait que d'une oreille. Sans doute aurait-elle dû être plus attentive, plus investie, sans doute était-ce une excellente idée à mettre en oeuvre, un atout qui manquait à Armanda… Pour la dragonne d'argent, ce qui manquait surtout à Armanda, pour le moment, c'étaient les chances de survie.
Elle ne ferait pas le même choix qu'Isyndar, mais ne se sentait pas le coeur à forcer cette dernière à changer d'idée. Elle avait paru regarder ailleurs, intéressée à moitié, lorsque sa congénère avait commencé à utiliser le mot "caste". Pour toute réponse, elle avait signifié, sans mots, qu'elle estimait tout de même son choix plus pertinent et crucial, mais qu'elle respecterait le sien. Elle n'avait, surtout, pas envie de jouer les instructrices. Elle avait déjà essayé auprès de Möebius, cela n'avait pas été très fructueux. Ceci dit, Isyndar avait l'air, disons… D'avoir le crâne un peu moins solide que celui du bleuté. Elle devait pouvoir comprendre. Mais elle avait également l'air de plus fin jugement, sans doute n'avait-elle pas fait son choix à la légère. Peut-être qu'elle lui cachait également des raisons. Si tel était le cas, Trissi le découvrirait bien assez tôt, c'était certain. D'autant plus qu'elle avait usé d'un argument qui n'en était pas un…

"- Tu es digne de voler à nos côtés."

C'était une affirmation, née du jugement de Trissi. C'était donc une affirmation qui ne pouvait qu'être juste.
Elle tourna sa tête et son attention vers Isyndar lorsque cette dernière évoqua les Esprits. Elle avait l'étrange impression que la dragonne de l'Ombre ne déclarait pas là une chance, mais plutôt un devoir ou une obligation morale qu'auraient eu leurs supérieurs sur eux. D'autres se seraient offusqués d'une telle arrogance d'un tel affront aux Esprits. Trissi cilla à peine. Elle avait beau juger que les Esprits ne pouvaient être considérés de la même façon, avec la même logique que les mortels, elle ne voyait pas de raisons de s'emporter pour un raisonnement qui n'était pas non plus sans fondement. Il fallait espérer, encore, que les Esprits pouvaient à la fois soutenir les bipèdes face aux perles, et les Liés face aux affres de la prophétie. Tant de malheurs les accablaient…
L'empereur humain ne les accompagnerait sans doute pas. Comme beaucoup, il avait des "obligations" qui passaient avant la sauvegarde de ce monde. Ceci dit, ce n'était peut-être pas tant un mal. De ce que Trissi savait, Ashy n'avait pas l'envergure d'une combattante, encore moins qu'elle. Elle serait sans doute mieux loin de cette violence, à se protéger. Et puis… Il fallait qu'il puisse rester des dragons, s'ils parvenaient à les sauver, mais si cela impliquait leur sacrifice. Néanmoins, d'autres pouvaient venir ! Atalos, Silarae… Möebius, quoi qu'on en dise…Trissi parut songeuse.

"- Kedrildan et moi-même nous irons. Achroma et Silarae nous suivent…" Ce n'était pas exactement l'ordre de la chose, ce n'était pas tout à fait vrai, mais elle aimait cette version des faits. Et puis, elle n'y allait pas pour "suivre Achroma", elle y allait parce qu'elle voulait répondre à l'appel d'Edwyn, voilà tout ! Elle était une dragonne indépendante d'esprit, qu'on se le dise ! "Möebius… Je l'ai croisé, mais avant l'appel d'Edwyn. J'ignore s'il viendra ou non… Oh, savais-tu qu'il a offert une de ses écailles à un bipède ?" Cette seule idée avait beau ranimer un peu de désespoir en elle concernant son congénère, c'était principalement l'amusement et la moquerie qui dominaient, alors qu'elle transmettait à Isyndar non seulement la vision de Möebius et de son épaule molestée, annonçant qu'un humain l'avait toujours par chance et qu'il l'avait estimé assez bon guerrier pour lui offrir son écaille tombée, mais également la vision dudit humain, dans son armure, à patauger dans les marécages. Ahlala, la belle histoire que c'était là ! Elle ne s'en lassait pas.
Tout en narrant cela, Trissi s'était glissée dans l'eau, puis sous l'eau. Elle invita Isyndar à la rejoindre.

Digne ? Oui, peut être mais pour l'heure, elle ne se le sentait pas. Bien loin de là. Entre le sentiment d'abandon de son œuf et celui des siens, la dragonne sombrait dans une douce mélancolie.

« -Je l'espère, mais surtout il me tarde de le refaire auprès de vous. »

A rester entre ses quatre roches, ses ailes allaient s’atrophier. Saurait-elle encore voler par la suite ?

« -Prenez soin et faites attention à vous et à mes sauveurs. Mes conseils paraissent futiles, mais ils sont sincères et remplis de l'angoisse et mon inquiétude de vous savoir là bas et qu'il puisse vous arriver quelque chose. »

Isyndar ne se le pardonnerait jamais. Elle, à l’abri ici et eux là bas.

« -Je veillerai sur la petite Ashy en restant ici. Et mon esprit sera tourné vers vous et vos nouvelles. »

Dans l'espoir de les voir revenir vite et sain et sauf. Isyndar redressa la tête et cligna des yeux, interrogée et interloquée par ce que lui révéla par le suite la dragonne.

« -Est-ce à son lié ? Sinon pourquoi pareil offrande ? Qui est ce bipède qui mérite un pareil honneur. »

Car cela en était un. Écaille tombée ou pas. Aux yeux de Isyndar, hormis son lié, peu pouvait se targuer un jour de pouvoir recevoir une pareille attention de sa part. Le lié de la dragonne qui se trouvait face à elle ou bien celui de Silaraë mais aucun autre bipède. Pas même l'ami ne cessant de bouger de son dragonnier. Pour lui se serait une griffe planter dans ses vêtements et le sol pour enfin l'immobiliser. Mais Isyndar lui devait bien une chose, grâce à lui elle connaissait l'empire humain comme ses écailles.
La dragonne de l'ombre envoya à la dragonne pierre de lune les images qu'elle avait du dragon elfique. Des images de lui au loin, rien de bien construit. Il fallait dire que la dragonne ne s'était pas non plus mêlé au commun des mortels de ces négociations.

« -Je n'ai croisé le dragon de l'elfe que lors des négociations chez les chanteurs de l'ouest. Mais il tend à paraître original, est-ce vrai ? »

Du moins de ce qu'elle avait pu sentir de lui et des bruits qui venaient à son propos effleurer les oreilles de la dragonne. Certes, la dragonne de l'ombre préférait se faire son idée à propose des autres et encore plus quand il s'agissait d'un dragon, et de surcroît un dragon mâle. A ses yeux, le seul qui valait la peine de s'intéresser à ses écailles est parti bien trop loin des siennes. Ne laissant au peuple armandéen le poids de ne rencontrer que trois dragons masculins au caractère des plus non représentatifs de la gente draconnique. Quoique Verith semblait être le parfait archétype du dragon mâle borné et buté dans sa splendeur. Au moins en cela, il était le parfait archétype de lui même. Moëbius devait avoir un côté elfique comment son lié, c'était peut être en cela qu'il était un peu différente des dragonnes vampiriques que Isyndar connaissait le mieux. Quand à Atalos... tout un poème pour ce gros balourd qui devait tendre à finir comme le dragon rouge. Arrogant, jouant les m'as-tu vu. Bref du muscles mais pas de jugeote. Partant comme cela, leur race était prompt à s'éteindre aussi vite qu'elle était revenue.

La dragonne sombre se releva pour rejoindre son amie dans le lac, appréciant de nouveau cette eau fraîche sur ses écailles chaudes.

Elle attendit qu'Isyndar l'ait rejointe sous l'eau. Quelques faibles mouvements d'ailes la maintenait sous la surface. C'était de l'air, dans lequel elle n'avait pas besoin de chercher à lutter contre la pesanteur. Un repos qui n'était pas désagréable, un cocon bienveillant où son seul souci était sa respiration. Mais de cela, elle n'était pas réellement inquiète. Elle avait du souffle. Et dans le pire des cas, elle n'avait qu'à tendre le cou pour avoir le bout du nez hors de l'eau. Ses paupières closes, elle se laissait porter, appréciant la pression de l'eau sur elle, ses mouvements, sa fraîcheur.
Lorsque ces mouvements d'eau lui indiquèrent qu'Isyndar était à ses côtés, elle tendit à nouveau son esprit vers le sien:

"- Ce n'était pas son Lié, loin de là. Son Lié est un elfe, et... Je pense qu'il a tout de même plus de pertinence que l'humain à qui il a fait don de son écaille. Il est loin de mériter le moindre honneur, cet humain-là. Un humain prompt à attaquer tout ce qui passe à sa portée, sans distinction, et sans même réfléchir un instant avant cela. Ceci dit, je me demande si de réflexion il est capable. Incapable de reconnaitre un nid de crocodiles..."

Elle accompagnait tout cela des images qu'elle avait de sa propre rencontre avec l'humain de métal. Sa voix, rauque et laide, rendue péniblement audible par son casque, et son arme qui s'enfonçait dans la mère crocodile, y comprit après sa mort. Les oeufs qu'il écrasait, ses vociférations chaque fois que Trissi essayait de lui tirer deux ou trois pensées raisonnables. Ah ! Quel être insupportable ! Si elle n'avait pas un crédo impliquant de ne pas tuer de bipèdes, Dracos, elle se serait volontiers occupée de nettoyer Armanda d'un tel étron ! Elle avait dû se retenir pour ne point lui arracher les bras. Malgré elle, son emportement et son agacement l'amenèrent à présenter cette dernière image à Isyndar: celle de l'Alayien, entre ses pattes, et ses propres crocs menaçant son bras. Elle regrettait un peu, maintenant, de ne pas l'avoir tué. Sincèrement. Le continent avait assez d'ennuis comme ça.
C'était l'être le plus méprisable qu'elle ait jamais connu. Pourtant, il y en avait du monde pour être méprisé par Trissi ! Et cet être là... Celui-là... Elle secoua la tête, dans l'eau, dans l'espoir qu'une dépense d'énergie l'apaise un peu. Ce qui était loin d'être le cas.

"- C'est à cet être humain-là que Möebius a confié une de ses écailles. L'humain l'aurait touché avec une arme de siège. Un pur hasard, un coup de chance. Et ce coup de chance a touché Möebius. Il a estimé que, pour cela, l'humain était un grand guerrier, et méritait amplement cette écaille." Elle lui présenta ensuite Möebius, au sein d'une forêt, alors qu'elle expliquait au bleuté que l'humain pouvait se servir de son écaille pour se protéger. À travers ce présent, non seulement il passait pour un dragon à la logique proche de l'absurde, mais de plus il permettait à un être odieux de survivre plus aisément, quand la logique de ce monde aurait voulu que les êtres bénéfiques cherchent à le réduire en cendres. Elle offrit à Isyndar l'image de Möebius qui s'excusait de cela. "Le moins que l'on puisse dire et qu'il est... Unique, à sa façon. Et très attaché à son Lié, à suivre son Lié. Je me demande si parfois il remet en question les directives de son Lié, ou s'il l'imagine vraiment que son elfe est infaillible." Elle s'imagina un bref instant suivre Kedrildan à la lettre. Oulah. Heureusement que c'était plutôt elle qui prenait les décisions, entre eux deux. Sans cela, le continent aurait eu bien du souci à se faire.
"- J'ignore quelle dragonne se liera à un mâle tel que lui. Mais ça ne sera pas moi. Je préfèrerais un mâle qui sache prendre les décisions par lui-même... Qui sache s'imposer. Et que je ne risque pas de retrouver déplumé au bout de dix ans !"

Isyndar se voyait comme une dragonne ayant un esprit non obtus et réduit à sa simple pensée draconique. Essayant de comprendre les bipèdes. Vampire ou humain, elfe et même alayen. La dragonne de l'ombre tentait de faire abstraction de bien des aspects de leurs vies ne cherchant pas à comparer avec sa façon de penser. Mais que pareille chose vienne d'un des siens, non.

« -Pourquoi un pareil geste envers un autre que son lié ? Non pourquoi ce geste et ce don envers une personne qui ne le mérite pas ? Offrir une de mes écailles à ton lié qui m'a sauvé la vie peut se comprendre, mais pour un homme que tu décris comme ne le méritant pas ? Moebius a-t-il perdu la raison ? Notre regard doit se poser sur toutes les créatures du monde même les plus mauvaises mais notre sympathie ne doit pas aller à ceux qui cherchent à nuire sans distinction. »

Pourquoi accorder son attention alors ? Il avait quoi dans sa tête. Surtout en sachant que cet homme lui avait fait du mal.

« -Il l'a blessé ? Si jamais je croise ce bipède il regretta son geste. Personne ne peut s'en prendre à un des nôtres sans en subir les conséquences. Mes griffes lui feront comprendre son erreur. Il n'y a nul pardon pour cela. Cet humain n'est pas un grand guerrier, Moebius n'en n'est pas un non plus. C'est juste un fou. Mais attends, je connais cet humain... je l'ai rencontré il y a quelques mois. Un être imbu de sa personne et rempli de colère.»

Isyndar lui envoya les images de sa rencontre avec cet homme. Elle n'avait pas fait attention au départ, mais par la suite elle l'avait un peu oublié. Ce genre de chose on tentait de le faire et vite.

« -Être attaché à son lié est naturel. Ne pas tout accepter de lui aussi, tout comme le suivre dans certaines de ses actions. Mais de se s'abaisser à pareille chose jette le discrédit sur son lié. Et sur lui. Je pense que nous devrions le voir et lui dire notre désaccord. Trissi, mon amie, en ce monde nous ne sommes pas bien loti en ce qui concerne les mâles de notre monde. Entre un dragon qui ne discerne pas le bien du mal et un autre qui le voit partout. Et je ne parle même pas du dragon rouge venu de loin qui quand à lui, il y a tant à dire que nous n'aurons pas asse d'une journée. L'as-tu rencontré ? »

Isyndar lui envoya les images mentales de sa rencontre avec le dragon. Le feu brûlant tout, sa violence contre elle à cause de son lien avec Roëric, ses menaces.

« -Notre race est menacée. Ou bien nous devrons nous aussi voler au delà des mers. Ou espérez que d'autres œufs en ce monde sont cachés à l’abri de nos yeux, attendant leur temps et leur lié. »

Car pour l'heure, les trois mâles présents sur Armanda devaient prendre du plombs dans leur cervelles pour attirer l'intention des femelles bien plus dégourdis.

Trissi était plus que ravie de voir Isyndar partager son point de vue. Elle n'avait pas pour habitude de se tromper ou de mal juger de son environnement, mais s'entendre ainsi confortée si aisément dans ses idées était bigrement sympathique, après toutes les difficultés qu'elle avait eue à faire avaler quoi que ce soit à Möebius. D'autant plus que sa congénère aux écailles d'ombre n'était pas n'importe quel appui. L'argentée lui concédait un esprit brillant, semblable au sien. Etrange, tout de même… Möebius aurait dû lui paraitre plus ou moins proche d'elle, à l'image d'Isyndar. Leurs naissances étaient proches, ils avaient affronté bien des épreuves en commun, se battaient dans le même camp… Que lui avait donc fait Elrond ?
Soufflant doucement quelques aquatiques bulles, Trissi jubilait tout de même des mots de sa camarade. La conversation allait pouvoir être intéressante. Elle chassait d'elle le regret de n'avoir pas pu partager autant avec son congénère masculin.

"- J'ignore pourquoi un tel geste. Je pense que Möebius croyait véritablement bien faire, qu'il pensait naïvement que cet humain était bon. Il s'est excusé quand je lui ai démontré que ce n'était pas le cas…"

Oui, c'était cela. Innocente et naïve créature, prête à s'offrir sans compter et de bon coeur au premier ennemi venu, si ce dernier lui avançait trois arguments.
À la question d'Isyndar, Trissi commença à nager un peu, ondulant lentement dans l'eau, cherchant plus à profiter de la sensation liée à ce milieu qu'à véritablement aller quelque part, ou esquisser un certain geste, une action. Elle n'avait pas envie de dire qu'en effet, il était également parvenu à la toucher, alors qu'elle était toute concentrée à s'occuper de l'écaille de Möebius. Après avoir tant discrédité l'humain, déclarer qu'un être aussi misérable lui avait porté atteinte… Cela n'irait pas dans le sens où Trissi aimait que l'on l'imagine. Elle était meilleure que cela, il ne fallait pas qu'Isyndar la voie autrement. D'autant plus que ç'aurait été une vision faussée: ce n'était pas par son manque de qualités qu'elle avait été blessée. Simple coup de chance pour l'humain. Mieux valait se taire sur cette blessure qu'elle avait aisément soignée.
L'acidité qu'elle crut percevoir d'Isyndar quand cette dernière promit de faire payer le prix fort à l'humain lui plut. Trissi lui fit part à de ce sentiment de satisfaction teinté de plaisir sadique, revanchard. À nouveau elle hésita à parler de sa propre blessure. Si cela pouvait permettre de rendre la dragonne de l'Ombre plus virulente encore, peut-être que cela pouvait valoir le coup…

Elle n'eut pas le temps d'y songer davantage. La dragonne de l'Ombre avait rencontré l'humain, elle aussi. Trissi tendit son esprit vers le sien avec un intérêt non feint, pour en récolter un peu mieux les images. Ce qu'elle vit l'amusa autant que l'exaspéra. C'était bien lui, c'était bien ce cerveau étriqué dans un corps trop puissant pour lui. Isyndar lui répondait bien ! Néanmoins, Trissi apprit là une chose sur lui qu'elle ignorait jusqu'alors, Möebius ne lui en ayant pas fait part…

"- Un Alayien ! Si je l'avais su, je n'aurais pas tant hésité à lui briser les os !"

Un grondement rauque s'échappa d'elle, qui se répandit dans l'eau, créant quelques vibrations. L'eau autour de sa gueule devenait brûlante des flammes de colère qu'elle retenait. Alayien… Il avait eu de la chance qu'elle n'ait aucun moyen de vérifier son identité ! L'histoire étaurait été autrement plus courte, autrement moins délicate. Elle se sentait l'envie de le revoir, et de lui briser le crâne entre ses crocs, lentement, pour bien sentir le moment où les os rompaient, se craquelaient. Ce bipède-là n'avait rien pour lui. Il était né en cette terre comme pousse la moisissure.
Elle se calma néanmoins à la suite des dires d'Isyndar, son humeur imitant la sienne, plus apaisée. Mais c'est avec un certain désespoir et un agacement qu'elle n'avait pas à forcer qu'elle expliqua à Isyndar:

[b}"- J'ai cherché à expliquer à Möebius qu'il ferait fort bien de se montrer plus indépendant. Je crains qu'il ne m'ait pas comprise, qu'il n'ait pas saisi les enjeux…"[/b] Il avait certifié tour à tour qu'il était indépendant, et qu'il avait toutes les meilleures raisons du monde de jouer la carte de la soumission devant son Lié. "Tu l'aurais vu agir envers moi… On aurait véritablement dit que sans Elrond il n'osait rien faire. S'affirmer est si dangereux…" Elle s'était faite moqueuse, clairement. Möebius l'avait bien cherché, c'était amplement mérité. Son comportement n'avait rien de celui que l'on attendait d'un dragon adulte. Isyndar paraissait souscrire à son propos… Autant en profiter. Pour une fois que quelqu'un comprenait tant son point de vue que son humour ! Enfin, elle espérait qu'Isyndar comprendrait ! Brièvement, elle remonta à la surface, avant de plonger à nouveau.

Elle fit part de son approbation à Isyndar quand cette dernière déplora les mâles qui les entouraient. Elle déduisit aisément ce qu'elle insinuait quant à Atalos. "Je n'ai que peu eu l'occasion de fréquenter notre frère d'or. Aussi me dois-je de te croire sur parole." Le jugement de sa congénère lui paraissait pertinent, désormais. La curiosité de Trissi était piquée à vif, elle avait bien envie de voir Atalos, et vérifier tout cela. Quant au dragon rouge… "Non. Mais j'ai hâte de savoir qui il est…" Elle reçut les images et y répondit avec amusement. En effet, il ne valait pas mieux que les autres. Il parlait de choses qu'il ignorait. Les bipèdes… Qui n'avait pas connu le Lien ne pouvait vraiment espérer comprendre ces petits êtres, et leur intérêt.

Elle s'élança un peu plus vers le fond du lac, se tut un instant, songeuse. "- Au delà des mers…" Les dragons sauvages. Elles auraient bien plus de choix, pour sûr ! Des dragons qui en valaient la peine et qui n'étaient pas femelles… "- C'est ici que je suis née. C'est ici que vivent ceux qui sont la vie de mon Lié. Lui-même est bien mieux ici. Non, s'il me faut un mâle, ce sera un oeuf que nous n'aurons pas découvert jusqu'alors…" Ou que ses soeurs auraient fait naitre. Peut-être un lointain descendant, s'il en valait la peine. "-Je suis bien heureuse de t'avoir trouvée. Tu es de celles qui me permettent de m'enorgueillir de notre commune appartenance. Nous valons le combat que nous menons."

La suite des mots de son amie qui résonnèrent dans sa tête lui apportèrent les rares images de son lié riant. Et si elle avait pu faire comme lui, Isyndar aurait laissé un rire résonné dans la grotte du lac.

« -Un humain contre qui il a dû se battre bon ? La logique des bipèdes m'échappent souvent mais j'avoue que là celle d'un des miens aussi. S'excuser de quoi ? Ce n'est pas à toi qu'il doit le faire. Il prouve une fois de plus sa faiblesse face à ses choix. Qu'est-ce que cela sera face à un ennemi plus fort. Courbera-t-il l'échine en s'excusant ? »

Cela serait aussi ridicule que de voler à reculons. Il était un dragon, un des nouvelles générations, ils portaient sur lui le pieds de son passé mais surtout l'éclat de son avenir. Alors pourquoi se cacher derrière un elfe. Il faudrait qu'Isyndar aille chercher lexplication.

« -Ah ? Et quelle voie a-t-il décidé de suivre ? Celle des alayens ? »

Isyndar gronda, ce qui était rare. Mais là, la bêtise dépassait son entendement et pourtant, elle s'était trouvée clémente avec cet humain là. Après tout, il ne l'avait pas agressé. Les choses auraient peut être été différente sinon.

« -Se noyer dans son lien est tout aussi dangereux que de le réfuter. Il se doit de s'affirmer, pour lui, pour son lié, mais pour nous tous. Nous ne sommes plus des dragonnets, et à l'aube d'une caste draconnique naissante, nous aussi dragons avons un rôle prépondérant à jouer dedans. Pas seulement en suivant aveuglement nos liés. Mais en les soutenant, en les guidant, en les aidant à rendre cette terre la plus paisible pour tous. Que fera-t-il lors d'un choix délicat et déterminant. Nous ne sommes pas des créatures à rentrer la tête dans nos écailles. »

Entre les mâles effacés et ceux qui se prenaient pour les maîtres du monde, ce serait une chance s'il restait encore des dragons dans une centaines d'années. Une chose était sûre l'unité de la caste ne passerait pas seulement par le bon entendement des bipèdes, mais des dragons aussi. Et ce n'était pas gagné. Et encore, ils avaient un avantage, le dragon de l'ire n'était pas lié.

« -Eh bien te voilà bien heureuse de cette rencontre stérile. Car en effet d'avenir ce n'est pas de lui qu'elle dépendra. Sauf si un mâle aussi orgueilleux qu'arrogant et vantard est pour toi gage de bonne compagnie. Mais je doute. »

Trissi était encore plus piquante d'esprit qu'elle, un brin plus hargneuse. Si Isyndar perdait patiente devant lui, la dragonne de la lune en ferait qu'une bouchée. Même d'un si gros dragon.

« -Notre passé, notre avenir et au vue de la vie de certains d'entre nous, c'est en effet une chance. Car notre combat sera rude et il n'est pas encore fini. Je pense que nous n'avons eu que la première bataille, en prémisse à bien d'autres. Crois-tu que nous aurions été mieux au delà des mers ? Avec les nôtres ? Dans cette terre d'où vient la dragonne des tempêtes ? »

Isyndar le lui demandait sans attendre réellement de réponses. La dragonne de l'ombre ne pouvait enlever cette idée d'une vie draconnique ailleurs depuis la venue des dragons par delà les eaux tumultueuses de l'océan. Et avec la venue de son œuf cela ne pouvait être autrement aussi. Le laisser vivre ici, dans une terre qui devenait hostile. Seul l'infime espoir d'un lendemain meilleur et la présence de son lié dans son cœur l'empêchait de faire le chemin vers les siens. Un idéal de vie au milieu de sa famille, des siens, les comprendrait-elle mieux ou bien au contraire, un fossé entre eux se serait creuser empêchant une compréhension commune. Et son lié. Sa vie était ici, son maître, ses ennemis, son passé, Melusine. Et jamais elle ne se résoudrait à l'arracher à tout cela. Le regard perdu dans un lointain avenir flou, la dragonne de l'ombre sortit de l'eau.

« -Peut-être est-il temps de nous préparer à des temps plus sombres, et à cesser de parler barbotant dans l'eau. Si nous voulons ce demain, allons plutôt le construire de nos griffes. »

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