Avoir l'autorisation de Trissi de pouvoir être escorté sur son dos jusqu'à Gloria était une chose. Parvenir à tenir véritablement dessus en était une autre. Fort heureusement, les premiers jours de voyages, la sublime dragonne avait, dans sa grande bonté, adopté un vol très peu agité, presque planant sur les flots du vent. Dans le dos de Kedrildan, il s'était accroché à lui au début, crispé et tendu. Et puis il avait senti toute la liberté qu'il pouvait ressentir en volant. C'était magique et à vrai dire, ça collait plutôt bien à l'image du bonheur que se faisait Aldaron. Le marchand n'avait jamais réussi à rentrer dans les cases closes des elfes, trop fantasque pour cela. Il allait au gré de ses envies, sans consulter qui que ce soit, il était l'incarnation même de l'indépendance. Sur ce point, il enviait Kedrildan. Pas que lui : tout les dragonniers. Chacun d'eux avait une chance immense. Ce vol avec Trissi lui avait ouvert les yeux sur quelque chose qu'il n'avait jamais exploité jusque là. Il adorait. Lui qui aimait tout, ne s'attachait à rien, était avide de nouveautés et de découvertes, celle-ci lui mettait une grande claque en pleine face et, certainement dans un élan masochiste, il appréciait.

Cette seconde journée, Aldaron s'était moins agrippé à Kedrildan, il s'était détendu et prenait plaisir au voyage. Ses yeux d'émeraude dévoraient ce paysage, vu des cieux, qu'il ne reverrait peut-être jamais plus. Armanda avait une existence différente. Elle semblait plus petite, plus insignifiante et magnifique cependant. Les terres s'étalaient à perte de vue, tantôt brunes, tantôt vertes. Des fermes et des hameaux ponctuaient le décor par moment. Il connaissait certains de ces villages, mais d'en bas. Ici, ces bipèdes n'étaient plus que des points mouvants à la surface. La dimension était différente. L'elfe se dit qu'il aurait adoré se lier à un dragon, un ami avec une longévité bien plus longue que celle d'un humain. Il aurait mis fin à sa peine d'être à cheval entre deux mondes, celui des hommes et celui des elfes. Il se plaisait dans ce voyage. Ce rêve le fascinait et l'assassinait en même temps. Les dragons étaient rarissimes en Armanda. Et tous étaient d'ores et déjà liés ou presque. Ses espoirs se brisaient soudain comme une vague puissante s'éclate contre une falaise. Il n'en restait rien d'autre qu'une amère déception. Il n'avait pas beaucoup parlé avec Kedrildan depuis le début du voyage, se bornant au strict nécessaire de la vie en communauté. Il ne savait en fait pas quoi lui dire. Ce qui était un comble pour un Totem Saumon. Il avait l'esprit obnubilé par Vanael. Le nez enfoui dans la chevelure rousse de Kedrildan, il lui arrivait de fermer les yeux et de penser à elle. Il se sentait presque déçu : il ne la reverrait peut-être jamais. Elle appartenait au clan de Lorenz, Aldaron celui de Korentin et il y avait eu une trahison entre ces deux bipèdes. Les chances de réconciliation était aussi faible que son avenir de son dragonnier. Aldaron était dépité... Heureusement que le voyage était splendide et que Kedrildan était bel homme. Se tenant à lui, il avait forcément pris connaissance, de façon indirecte, des formes de son corps. Sa proximité, sans crainte de se faire mordre, auprès de lui n'étaient due qu'aux longues années passées avec son frère Cercëe.

Les deux liés devaient sûrement beaucoup discuter entre eux. Il était ici plus pour tenir la chandelle ou faire partie des meubles. C'était assez étrange, lui qui avait le charisme nécessaire pour ne jamais passer inaperçu, il faisait jusqu'alors office de potiche. Il ne comptait pas leur imposer sa présence ou leur réclamer la moindre attention. C'était un immense honneur que Trissi lui faisait en acceptant de le transporter jusque Gloria. Il ne pousserait pas le vice plus loin. Il somnolait, le paysage défilant sous ses yeux comme unique berceuse et puis soudain, il ouvrit les yeux. Le vol calme de la dragonne s'était tari. Elle avait fait une brusque embarquée sans prévenir (du moins, sans prévenir Aldaron). Elle piquait vers le sol, courant ce qui semblait être une proie, et puis, proche du sol, elle marqua un abrupte virage qui ne manqua pas de déstabiliser l'elfe qui emporta dans sa chute Kedrildan. Ils roule-boulèrent l'un avec l'autre dans l'herbe après un atterrissage lourdement abrupte. Heureusement que la terre ici, était molle et couverte d'une haute herbe verte. Les galets au bord du fleuve dix mètres plus loin auraient fait autrement plus mal. Kedrildan finit sa course allongé sur le dos, l'elfe sur lui. La bonne nouvelle était qu'Aldaron ne pesaient pas bien lourd. La mauvaise nouvelle étaient que la proximité de leur visage rappelaient à s'y méprendre aux prémisses d'un langoureux baiser. Pire encore, l'elfe était allongé à califourchon sur le vampire. Et bien, eux qui n'avaient pas tant fait connaissance pendant leur voyage, leur rapprochement soudain tombait à pic. De toutes les techniques de séduction qu'Aldaron avait pu employer, celle-ci était de loin la plus radicale. Il se surprenait lui-même d'une telle audace.

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{hrp: désolée pour le retard, j'espère que ma réponse te convient ^^}

Quel idée de choir avec lui et de se retrouver dans une telle situation ? Quelle idée également de la part du roux se de redresser de la sorte et de l'embrasser ? Ses lèvres inconnues étaient glacées, Décidément, il avait du succès chez les vampires en ce moment. Après la divine Vanaël, le dragonnier Kedrildan. Ou pas. L'elfe constat bien vite un changement brutal de comportement lors que son prince charmant le dévisagea, le repoussa et recula. Aldaron se redressa avec une sérénité royale et dépoussiéra d'un geste discret ses vêtements avant de constater que ses genoux n'avaient pas apprécier la chute. C'était douloureux, mais supportable. Il contempla le roux s'essuyer vigoureusement les lèvres, l'elfe arqua un soupir face à cet étrange comportement. D'ordinaire, ses baisers, même si involontaires, ne nécessitaient pas un tel élan de désinfection. Sur la défensive et un brin agressif, le dragonnier ne semblait pas apprécier leur rapprochement. Aldaron haussa les épaules avec plus de calme que son interlocuteur.

« Cessez de faire l'enfant. Je suis navré, Kedrildan, de vous avoir emporté dans ma chute. Je ne vous ai pas embrassé, je suis tombé sur vous en veillant à ne pas vous faire cet affront. Cependant, vous vous êtes redressé pour le faire. Je crains qu'il soit inutile de me reprocher vos propres pulsions. Toutefois, si c'est cela qui vous inquiète, rassurez-vous, j'enfermerai ce fait sous verrou du silence et votre épouse n'en connaîtra jamais l'existence. »

De la tempérance, des propos posés sur un ton aussi conciliant et négociateur que son totem Saumon pouvait lui conféré. Loin d'être dupe sur le défaut de langage du dragonnier, il ajouta après un infime temps de silence un :

« Si elle-même existe. »

Un sourire en coin anima ses lèvres si tendrement embrassées un peu plus tôt... Ou presque. L'elfe retira sa cape et l'envoya voler sur le vampire qui lui demandait de se bouger de là pour trouver un abri. La cape retomba sur la tête de Kedrildan, le dissimulant de la lumière du soleil.

« Restez là dessous, c'est pour votre bien. Vous êtes assez désagréable comme ça, pour que votre désastreuse compagnie empire en raison de céphalées, consécutives à une exposition malvenue aux rayons du soleil. A vous dire la vérité, je préférais lorsque vous faisiez silence ces derniers jours. Si vous pouviez recouvrer votre mutisme, cela m'évitera les mêmes migraines que les vôtres. »

De l'ironie et pourtant beaucoup de calme. Il lui saisit la main et lui indiqua la lanière de cuir des sac coches de selle de cheval qu'il portait sur le dos depuis qu'il avait renvoyé son destrier elfique à Aigue-Royale. Il connaissait assez bien les vampires. Cercëe était une encyclopédie vivante (ou mort-vivante) à ce sujet. Cependant, son frère était une créature de la nuit assez particulière et philosophe, qui ne pourrait jamais lui décrire en détail de caractère si spécifique de son espèce. Kedrildan en était un sacré spécimen.

« Calmez-vous. C'est de ma faute si vous êtes tombé, laissez-moi vous conduire à l'abri de la lumière. »

Autrement dit dans un petit coin sombre. Il scuta l'horizon à la recherche d'un abri. Les plaines étaient désertiques. Pas un hameau, pas une ferme à perte de vue. Rien qu'une végétation rase, quelques arbres éparses, et des rochers plus ou moins imposants. Le soleil aoûtien brûlait sans remords les animaux qui se réfugiaient dans l'ombre et la végétation jaunie par endroit. Même la terre, lorsqu'elle était à nue, semblait avoir bruni. Il fallait dire qu'ils avaient connu une sacrée sécheresse. Dès avril, le dérèglement climatique avait fait des siennes, suivi de près d'un retour à la normale, c'est à dire un chaud été. Mais comme disaient certains nordiques de Glacern : l'hiver vient (GoT). Et il ne serait pas regretté.

« Là-bas, il y a un abri. Marchons. »

Il se mit lui-même en marche et si Kedrildan était resté sagement accroché à sa lanière de sac, il se mettrait en marche également.

« Votre dragonne ne revient pas. A croire, que si je ne vous avais pas fait choir, c'est elle qui s'en serait donné une joie... Il me semble. Dites-moi, vous l'avez déjà embrassée votre mariée... ? Non parce que franchement, votre réaction plaidait en tous points sa ressemblance avec une vierge effarouchée. »

Et il s'y connaissait dans ce domaine.

[HJ : Je t'aime <3 ]

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{hrp: dis moi si ça te convient ^^}

Mais qu'est ce qu'il pouvait brailler celui-là ! Il ne l'avait pas violé, il avait même fait en sorte de ne pas l'embrasser ! Kedrildan lui reprochait ses propres fautes et n'en démordait pas. L'elfe roula des yeux, perdu entre l'envie d'en rire ou d'en être blasé. C'est que le dragonnier avait un sacré caractère. S'il l'enviait dans son lien avec Trissi, il y a bien une chose qu'il ne voudrait pas avoir de lui : son caractère.

« Pourtant vous m'avez embrassé. » conclut-il calmement après la première réplique du roux.

Décidément pour accuser les autres, il y avait du répondant mais pour assumer ses propres actes, il n'y avait plus personne. Il ne pouvait pas lui en vouloir au fond, c'était un accident. Il n'y avait pas que quoi en faire une sinécure... Mais Kedrildan semblait sérieusement penser le contraire et y mettait un point d'honneur. Il divaguait par ailleurs, lui jetant d'étranges désirs auxquels il n'avait pas songé.

« Kedrildan voyons... Vous vous couvrez de ridicule et cela n'a pas l'air de vous déranger... »

Pour la première fois, Aldaron se demanda si celui-là était bien sain d'esprit. Norwen, qu'il avait rencontrée, était dans le même genre hystérico-agressif. Dès que ça traitait d'elfe pour ces vampires, c'est comme s'ils étaient attaqués par la pire des peste et tâchaient de se débatte, aussi ridicule soit la débâcle. Par conséquent, il décida de la laisser parler sur ce sujet comme bon lui semblait, sans plus remettre la moindre goutte d'huile sur le feux. En général les personnes en colère observaient une sorte de cycle qui était réalimenté par le dialogue mais qui s'éteignait progressivement après un monologue. Il le laissa aller au terme de son hérésie quand soudain, le nom de Dawan tomba. Aldaron fit du feu, la magie l'y aida et s'installa près de celui-ci.

« Oh. Fort bien. Comment se passe ses premières approches avec sa Shi'Ry ? Je lui ai offerte avant mon départ. Se remet-il de l'aube rouge ? Il n'avait pas l'air dans son assiette... »

Par ces propos, il informait le dragonnier de nombreux points. Il connaissait Dawan. Et plus que ça il l'adorait suffisamment pour lui avoir offert en présent la chaleureuse compagnie d'un équidé. Ou presque. Car il n'avait parlé de la jument qu'en citant son nom à la consonance proche de « chérie ». Restait à savoir dit Kedrildan était aussi proche de Dawan qui le prétendait pour connaître jusqu'au nom de sa jument. Ou s'il allait tomber lamentablement dans le quiproquo et croire qu'Aldaron avait offert une prostituée au baptistrel. Les elfes et les animaux partageait une symbiose incroyable. Les propos d'Aldaron n'étaient pas tout à fait innocents. Il ne croyait pas du tout à cette histoire de mariage. Kedrildan ne manifestait aucune affection pour les elfes et Dawan en était un charmant spécimen. Quand bien même, il doutait qu'un aussi tendre elfe puisse s'être lié d'amour avec l'étrange fou qui lui tenait compagnie. L'amour rendait aveugle certes... Mais là ce n'était pas que de la cécité dont il était question ! Toutefois, le dragonnier avait réussi à laisser planer le doute et Aldaron comptait bien vérifier ses propos. Aussi, il avait tout bonnement demandé des nouvelles de son ami et avait parlé de la jument. Si Kedrildan était véritablement l'époux de Dawan, la jument n'aurait pas pu passer inaperçue à ses yeux et à ses oreilles. Dawan lui en aurait forcément au moins parlé avec toute la ferveur d'un elfe amoureux de cette sublime jument.

L'elfe remit sa cape autour de lui, et plongea son regard dans les flammes, s'attendant à une réplique cinglante dont Kedrildan avait tout l'art. Il se laissa lentement choir en arrière puis finir allongé sur le dos. Il fixa le haut de la paroi rocheuse qui leur offrait un abri. Ses premières pensées allèrent vers son frère et sa sœur. Ils lui manquaient terriblement. Les secondes vers Vanaël. Il sentit comme un pincement au cœur en songeant à elle. Il ne la reverrait probablement jamais, mieux valait pour lui de l'oublier et de passer à autre chose.... Et pourtant, sa chevelure sanglante et ses yeux brillants comme deux émeraudes en imposait à toute sa vue comme un souvenir inaltérable.

Un soupir de désespoir échappa à Aldaron face à ce désastreux personnage. Par Dracos... Et c'était un dragonnier, ça ? Même Aldaron aurait eu meilleure allure s'il avait été élu par l'une de ces créatures à écailles. Celui-ci n'était-il donc qu'un vampire aussi délirant que pathétique ? Son esprit de tolérance lui soufflait que non, il devait bien y avoir quelque chose chez lui de formidable qui puisse engendrer un tel don des esprits, quelque chose, tout au fond... Vraiment tout au fond... Il allait falloir creuser ! Ce petit point sembla émerger plus tôt qu'il ne le crut et portait le nom de... Brocoli des îles ? Tout s'était passé si vite. Comme il le supposait, Kedrildan n'était donc pas du tout marié à Dawan. Il aurait su, dans le cas contraire, que Shi'Ry était une jument non une fille de joie. Il fut par ailleurs assez surpris de retrouver Kedrildan à califourchon sur lui, en train de le secouer comme un prunier.

C'était véritablement un comble. Il s'était attendu à ce que le roux ne comprenne pas de quoi l'elfe lui parlait et qu'il en soit déconcerté. Il s'était attendu à ce qu'il se confonde en broderies ridicules qui le plongerait dans la crue vérité. Mais il y avait bien une chose qu'il n'avait pas prévue : c'était sa réaction extravagante et exagérée. Etait-il possible que le vampire éprouve des sentiments à l'égard de Dawan... mais sans retour ? Le marchand posa ses mains fermement sur celles de son assaillant pour qu'il entraver ses gestes brusques :

« Suffit ! » s'écria-t-il, impérieux. « Cessez vos enfantillages ! Shi'Ry de la maison Longhârion est une jument. C'est un animal que je lui ai offert, non pas je ne sais quelle fille de joie, bougre d'andouille ! Si vous étiez réellement marié à Dawan vous le sauriez ! Mais vous êtes un menteur, pire, vous êtes un piètre menteur ! »

Ses yeux émeraude s'étaient assombris, son regard était celui d'un adolescent en proie à une crise existentielle. L'elfe n'était pas du tout content de la situation actuelle. Il avait un niveau de patience relativement bas et Kedrildan avait été au-delà, plongeant Aldaron dans une charismatique rébellion.

« Vous croyez être parfait ! Vous croyez que tout le monde en veut à votre derrière, moi compris ! Mais personne ne vous désire, pas même Dawan ! Vous vous contentez de le regarder au loin comme un fantasme que vous n'assouvirez jamais ! Sortez de votre monde, pauvre fou ! Qui croyez-vous berner avec de telles balivernes ?!»

Certainement pas un elfe tel qu'Aldaron qui maîtrisait un réseau marchand hors du commun dans tout Armanda à l'image de la mafia. Il avait clamé ces propos avec une rage un tant soit peu agressive. Il lui en voulait de attaquer de la sorte, de lui reprocher ses fautes avec une virulence excessive et de malmener son corps. Et surtout de s'entêter comme la pire des mules du continent.

« Lâchez moi ! Ne me forcez pas à vous faire du mal ! »

Ordonna-t-il avec une majesté à en faire pâlir les plus grands rois. Il avait de quoi lui faire du mal, il n'avait pas peur du vampire, s'il était aussi mauvais en magie ou aux armes qu'il ne savait mentir, il ne tarderait par à le caser dans un coin de la grotte, bien encadré dans son cube de terre.

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{hrp: j'espère que ça te plaira au moins ^^'}

L'elfe se redressa en soufflant à sa libération nouvelle. Et voilà que l'autre vampire lui resservait des salades, il allait finir par en faire une indigestion. Son comportement était troublant. Il avait l'air de haïr les elfes et détenait une sorte d'attirance fusionnelle avec Dawan, jeune baptistrel venu lui-même tout droit de la forêt. Étrange paradoxe, mais tout, en ce roux, tendait vers des paradoxes délirants. Kedrildan mentait même à l'instant où il disait ne pas être un menteur. Ces histoires de fiançailles ne tenaient pas plus debout que celles du mariage pour la simple et très bonne raison que si leurs liens si forts sortaient de la réalité plutôt que de l'imaginaire, le dragonnier ne se serait pas, à ce point, fourvoyé lorsqu'il avait été question du quadrupède au nom litigieux. Ce constat fait, il était évident pour Aldaron que Kedrildan ne faisait que projeter de vive voix des pulsions imaginaires, comme un enfant racontant sa dernière formidable aventure dans la bac à sable. Le dirigeant du marché noir roula des yeux, blasé.

« A d'autres. »

rétorqua-t-il gravement. Qu'il serve donc ces stupidités à quelqu'un d'autre. Le roi du mensonge, entre eux deux, c'était l'elfe. En général, c'était une spécialité lorsqu'on se trouvait à la tête de la mafia qu'était le marché noir. Néanmoins Aldaron était bien plus rusé et réfléchi dans les balivernes qu'il pouvait déblatérer. Ce n'était pas les mensonges de gamins comme en usait le roux, des mensonges si aisés à dévier et contourner. L'elfe lui avait plus de stratégie dans ses propos. Il avait parlé de Shi'Ry en toute conscience de l'effet qu'elle aurait pu produire. Il avait également parlé de Dawan en toute conscience des retours qui auraient pu émerger. D'ailleurs, cela ne tarda pas à venir. Le poing qu'il se prit dans le visage fut magistral, à la hauteur de ce qui semblait habiter le cœur du dragonnier. Bien que réfléchis, ses propos manquaient souvent de prudence. Son penchant adolescent rendait ses colères fort peu sécuritaires. Nul doute que la patience s'apprenait et qu'il n'avait jamais pris la peine de suivre cet enseignement trop elfique à son goût. En ressortait ce genre de situation où il n'avait plus qu'à laisser échapper un grognement de douleur et à se tenir le nez comme s'il allait tomber. Kedrildan se disait parfait en raison de sa race, l'elfe ne put retenir un :

« Wintel est aussi un vampire, il n'a de parfait que son égoïsme sanguinaire. »

Il laissa Kedrildan quitter leur petite grotte. La nuit était tombée. Avec de longues minutes, les quelques sorts de soin eurent raison de la violence du vampire et son nez était de nouveau sur pieds... Enfin, correctement en place sur son visage. Le sang séché maculait ses joues et ses lèvres de pourpre. Il avait l'air fin. On aurait dit un animal qui avait dévoré de la chair avec sauvagerie. Il quitta donc son nid et laissa ses sens le guider au son de l'eau qui s'écoulait. Il y avait une rivière non loin. C'est là que ses pas le conduisirent. Il mit genou à terre près de la rive et récolta dans ses mains mises en panier suffisamment d'eau pour s'inonder le visage et faire disparaître le sang bruni. Lorsqu'il releva ses yeux émeraude, l'autre vampire était là. Il le fixa longuement sans rien dire, un regard qui aurait pu paraître sage s'il n'y avait pas eu cette lueur rebelle qui l'habitait comme à son habitude.

La magie de l'elfe était très puissante. S'il le désirait, il pouvait faire déferler sur Kedrildan une marée glacée. Il aurait retrouvé le dragonnier sur les rives, à plat ventre en train de recracher ses poumons et de pester des propos aussi incompréhensibles que ceux d'un ivrogne. Toutefois, d'un commun accord avec lui même, il trouvait qu'il serait plus opportun de trouver une approche plus pacifique. Maintenant qu'il avait connaissance de la vérité grâce à Shi'ry et de l'ampleur de son délire (par simple mesure de degré de violence du poing qu'il avait reçu en pleine face), il ne restait plus qu'à s'infiltrer en « gentil » auprès de lui. Ses yeux ne l'avaient pas quitté tout au long du silence qu'il avait laissé planer.

« Je suis navré. Mes propos étaient déplacés. Dawan est d'une rare bonté qu'il serait un crime d'en prétendre le contraire. J'ai du mal à vous cerner Kedrildan. Vos sentiments à l'égard du jeune chanteur semblent nets et pourtant incompréhensibles. Pour méprisez la race elfique et ne tarissez à contrario point d'éloge pour Dawan. Il est pourtant bien plus elfe que je ne le suis, moi, le Fugueur et l'Indigne de mon peuple. A n'en pas douter, il ne vous a jamais dit oui. Vos propos ne se revêtissent que de fabulation. »

Il était calme. Il pourrait lui démentir tant il le voudrait que cela serait inutile. Il tenait à le lui affirmer, sans pour autant le laisser cette fois face à cette porte close :

« Toutefois... Il ne tient qu'à vous de franchir l'espace qui sépare le rêve de la réalité. Si vous désirez obtenir le cœur de Dawan, peut-être vous faudrait-il vous intéresser à ce qui l'entoure et sa manière de voir le monde. Peut-être vous faudrait-il apprendre à connaître les elfes, leur façon de vivre et leurs croyances et non pas vous borner aux dogmes enseignés au Royaume Vampirique. Ainsi, à défaut de vivre comme lui, vous serez apte à le comprendre, ne croyez-vous pas ? »

Il se releva, car être à genou devant Ked allait finir par passer pour une demande en mariage.

« Pour votre gouverne, Merithyn Shadowsong est le gardien des préceptes, maître et, en quelque sorte, le chef des baptistrels. Donc de Dawan. »

Par ces propos, il corrigeait l'ignorance de Kedrildan au sujet du dit Méri, et il laissait entrevoir qu'il avait des connaissances suffisantes sur le peuple elfique pour en offrir de longs versets au dragonnier.

La première remarque de Kedrildan le fut doucement sourire. Croyait-il que trouver ce qui se passait approximativement dans la tête de Kedrildan serait une tâche si ardue que cela pour l'elfe qui côtoyait les hautes sphères de la rébellion ? Des complots, des trahisons, des intérêts personnels... Il y en avait tant et l'elfe avait appris à les déceler et à les faire émerger. Toutefois le ton du conseil que lui prodiguait le dragonnier lui semblait presque... Paternel? Qu'importe. Les elfes éveillait donc pour le roux une sorte d'indifférence. Mais pas vraiment le genre d'indifférence qu'on pouvait porter à ceux qu'on ne connaissait pas, mais celle qu'on vouait à ceux qu'on considère inférieurs à soi, donc insignifiants et sans importance. Les adjectifs chétifs et pacifiques allaient en ce sens... Et l'elfe arqua un sourcil, un sourire amusé aux lèvres :

« Faîtes moi penser à vous présenter Artaher Terendul ou Eawyn Aerin un de ces jours... »

Et il reverrait sont idée de pacifisme et de fragilité. Les gens avaient tendance à placer tout un chacun dans le même panier sans faire de distinction. A vrai dire, ce n'était plus à cela soudain qu'il pensait. Aerin. Il n'avait pas fait le lien jusqu'ici. Il n'y avait tout bonnement pas pensé et la disparition soudaine de son sourire trahissait sa macabre découverte. Vanaël était plus âgée qu'Eawyn... Il connaissait bien le baptistrel pour avoir approximativement le même âge que lui, à quelques 22 ans de différence. Il chassa cette pensée de sa tête, ce n'était ni le lieu ni le moment de songer à elle.

Son esprit se reconnecta aux propos de Kedrildan lorsque celui-ci parla de torturer, humilier et manger des humains. Il ne lui présenterait pas ses amis. Vraiment. Il se considérait lui même plus humain qu'elfe d'ailleurs, mais cela, le dragonnier devait bien le savoir, non ? De toutes évidences, non. Kedrildan l'amusait au fond, dans toute sa folie et sa suffisance, dans ses croyances bornées et son ignorance incroyable. On aurait dit un enfant. Le genre d'enfant à qui on a trop répété qu'il était le plus parfait des êtres au monde, certes, mais un enfant tout de même avec sa bêtise et ses caprices. Il n'y avait alors qu'à lui parler comme à un enfant. L'induire dans une direction était suffisamment aisé à condition de trouver la bonne carotte pour le faire avancer. Aussi, Dawan était une superbe carotte. Ou tout autre brocoli des îles que le dragonnier voudrait.

« Oh. Que vous ont fait ces humains pour mériter cette peine ? Dawan est un baptistrel, son ambition est de sauver des vies, y compris celle de ces éphémères humains. N'avez-vous donc pas compris que c'est l'Aube Rouge qui lui a ravi son innocence ? Avez-vous seulement idée de l'horreur qui a défilé devant ses yeux ? L'horreur face à laquelle il s'est senti si impuissant ? Toutes ces vies humaines mutilées à qui il n'a pu venir en aide ? Ces mots semblent vous amuser mais... Vous ne lui rendez pas la tâche aisée, vous savez.»

C'était dingue, mais d'un seul coup, Aldaron représentait pour Kedrildan un intérêt tel que le dragonnier lui offrit la vision complète de son corps nu. L'elfe n'en demandait pas autant ! Heureusement qu'il n'était pas resté à genoux lorsque le roux avait approché, cela aurait ressemblé à tout autre chose qu'une demande en mariage ! Et... Le payer ? Aldaron cligna des yeux. Là, vraiment, il était bouché bée. Ce gamin (pour lui Kedrildan était et serait toujours un gamin) était réellement en train de proposer un paiement contre... Une façon de s'approcher de Dawan? Le dirigeant du marché noir savait séduire mais de là qu'on le prenne pour un professeur ? A bien y réfléchir, il était vrai que posséder autant de savoirs l'aidait pour beaucoup et lui dictait sa manière d'approcher telle ou telle personne. En vendre un rayon au dragonnier était assez inespéré. Rien que pour se rapprocher de Kedrildan et trouver un point d'accroche avec lui, il lui aurait cédé cette « science » pour rien de plus que son attention, mais puisque Kedrildan lui proposait paiement, le Saumon en lui refusait de ne pas faire affaire. C'était un petit bonus. Il se voyait déjà raconter ça à Corine et Cercëe ! Ils n'allaient tellement pas y croire ! Avec l'assurance qui était la sienne, il répliqua alors :

« Fort bien. 50 pièces d'or, vous parait-il convenable ? »

Rien d'exorbitant pour braquer le dragonnier vers un refus, ni trop bas pour le faire douter de la qualité de ce qu'il savait. Il avait trouvé une certaine justesse dans son tarif. S'il était en pure situation de vente, nul doute qu'il aurait gonflé le prix, mais il attendait de Kedrildan plus que quelques pièces d'or. Il voulait son attention, il voulait pouvoir parler avec lui, savoir ce qu'il a dans le cœur et pouvoir éventuellement le tenir pour le jour où il aurait besoin de lui ? Aldaron était comme devant une machine. Il baissait quelques leviers pour voir comme il réagissait. Par exemple, dévaloriser Dawan ouvrait droit à une colère monstre. Il commença donc à corriger les quelques fausses croyances que Kedrildan avait sur les elfes :

« Ce n'est pas vraiment ce que nous mangeons qui a rendu notre sang si âpre. Nous avons toujours mangé la même chose depuis la nuit des temps. J'ignore comment nous avons commencé à être immunisé à vos morsures, mais ce ne peut être dû à ce que nous mangeons. D'autant plus que nous ne pouvons rien avaler d'autre. Croyez moi, j'ai essayé de manger comme les humains et je l'ai regretté ! »

Il en riait aujourd'hui. Sur le coup, il avait vraiment cru qu'il mourrait intoxiqué. Son regard d'émeraude se porta sur le corps du vampire. Bon d'accord, il était quand même assez bien batti, il devait l'avouer. Sans transition aucune, il demanda, curieux :

« Vous avez déjà embrassé un elfe ? Ou pris un elfe dans vos bras ? Ou... Passé une nuit avec un elfe ? Ne pensez pas à mal, je m'interroge pour vous... Les elfes ont le sang chaud, et... Nous sommes très légers. Ça n'a rien à voir avec un vampire ou un humain. Vous ne pouvez pas les... Manipuler de la même manière. A coller de si près un elfe, vous entendrez son cœur brasser le sang dans ses veines. Un repas bien proche de vous. Vous voyez ce que je veux dire ?»

Et l'elfe le savait fort bien ! En tout cas, Aldaron s’inquiétait de savoir si Kedrildan serait capable de suffisamment de douceur avec le petit Dawan pour ne pas lui briser les os par erreur.

Kedrildan mettait le doigt sur un point non négligeable de leur potentielle relation. L'elfe, lui, savait bien que ça ne plaisait guère au baptistrel de voir des vies disparaître et se faire déchiqueter entre les crocs de vampires. Si Dawan avait un tant soit peu de tolérance à l'égard de cette race nocturne, tout comme Aldaron, et si on envisageait une quelconque relation sur le long terme entre un baptistrel et un vampire, il y avait fort à parier que ce genre de petit meurtre nutritif risquait de devenir dérangeant.

« Voyez par vous même, Kedrildan. Le choix vous appartient. Certains vampires ont pris la décision de ne boire le sang qu'au verre grâce à des dons d'humains et d'elfes. Pas de morts, ni chez les sangs chauds, ni chez les sangs froids : voilà de quoi ravir tout baptistrel et attirer son regard. Le contraire serait vous exposer, sur le long terme, à quelques disputes de couple. Il sera même plus difficile pour vous de passer de l'homme au verre de façon si brutale, ne croyez-vous pas ? Vous pourriez faire un compromis au début et ne boire qu'une fois sur deux à la gorge de votre proie, et l'autre fois au verre. Et puis ensuite réduire progressivement jusqu'à ce que vous soyez habitué. Vous savez, les elfes vivent assez longtemps, il vous faut regarder au loin, pas seulement au présent. Si vous parvenez à le séduire et que vous le perdez par la suite, ce sera... Plus douloureux encore. »

Devait-il dire à Kedrildan que les elfes n'aimaient qu'une fois... Mais un de ses congénères elfes ? Mhhh... Non, il le découvrirait bien assez tôt. Aldaron devait lui parler de comment séduire Dawan, non pas lui indiquer que la chose était tout bonnement impossible. Il haussa les épaules. Il n'avait aucun jugement à porter sur ce que ferait le vampire près de Dawan, le roux avait l'air assez fou du petit chanteur pour qu'on puisse penser qu'il soit sincère. C'était à lui ensuite de faire le choix de ses cartes à jouer.

Un bouquet de radis ?! Non mais il était sérieux ? Il avait l'air. Bigre... Voilà qui n'était point opportun chez les elfes et pourtant... Ce serait tellement amusant de le voir se présenter devant Dawan avec un bouquet de radis ! Et puis, connaissant le petit chanteur, il y avait fort à parier qu'il était capable d'apprécier la chose. Avec toute l'aisance de son totem, il répliqua :

« Assurément. Plus particulièrement les myrtilles, les elfes en raffolent. Mais ne croyez pas qu'on achète un elfe avec quelques faveurs, Kedrildan. C'est un peuple lent. La séduction risque de vous prendre du temps.... »

Avec un fin sourire amusé et songeur, il ajouta :

« Ça va vous en faire à cueillir de la myrtille... »

Il imaginait déjà le nombre incroyable d'heures que le dragonnier allait passer à cueillir ces baies. Le dirigeant du marché noir donnerait cher pour voir cela de ses propres yeux. Hélas, ils risquaient d'être forts pris avec l'acharnement de Vraorg sur leur pauvre île.

« Et des radis... »

Par bouquets ! Le dragonnier acceptait son prix avant de profiter de l’occasion pour exposer son charmant corps à ses yeux que le marchand venait de faire rouler en signe de désespoir... Et un brin d'amusement. Il n'avait rien sur lui :

« Je l'avais remarqué. Je vous trouve d'ailleurs fort détendu, vous qui, il y a quelques minutes encore, sembliez en proie à quelques peurs à l'idée que je vous saute dessus. »

L'elfe arqua un sourcil, perplexe. Ce vampire était véritablement tout et son contraire. A moins qu'il ne commença à comprendre qu'Aldaron était quelqu'un de... Presque sage et qu'il pouvait se trémousser en toute sécurité... Pour le moment ?

« Oui, c'était absolument stupide de ma part. J'avais vécu 100 ans parmi les elfes, cloisonné derrière leurs arbres et leur ignorance. Je ne savais pas que cela me rendrait malade. Je suis parti sans rien et j'ai mangé ce que j'ai trouvé. J'ai fait mes premières expériences ainsi... Pour le meilleur et pour le pire... Et cette fois là, ce fut surtout le pire qui s'est manifesté ! »

Quand il y pensait maintenant, cela le faisait bien rire. Ça l'amusait beaucoup. Son ignorance sur les humains jadis qui l'avait poussé, bon gré mal gré, à tenter quelques choses époustouflantes. Il savait d'ailleurs à présent qu'une humain et un elfe ne peuvent se reproduire et ce, qu'importe la position utilisée et le nombre d'essais. C'était scientifique ! Cela l'arrangeait bien d'ailleurs. Ça lui évitait de crainte le spectre d'un second enfant. Quoiqu'il en soit il pouvait à présent affirmer qu'il connaissait bien les humains, ils en devenaient prévisibles à ses yeux.

Il écouta le dragonnier sans réagir dans à premier temps. Frêle ? Ils étaient légers certes... Mais frêles ? A nouveau le dragonnier mordait à l’hameçon en affirmant par des faits qui ne pouvaient donc qu'être fictifs que Dawan était frêle ? Certes le baptistrel n'était pas le plus épais des elfes mais il restait tout de même un elfe avec sa résistance : on ne pouvait pas leur briser les os comme ça ! Et si Kedrildan l'avait véritablement serré contre lui, il s'en serait bien vite rendu compte ! Un humain, c'était fragile, un elfe... Pas autant que ne le croyait. Aldaron poussa un soupir : mariner dans la rivière, c'était bien aussi au fond... Ça lui éviterait d'avoir à expliquer que les elfes n'étaient pas aussi fragiles qu'ils ne le laissaient paraître. Alors il fit les deux et retira sa tunique :

« Les apparences vous trompent, Kedrildan. Les elfes sont légers, leurs gestes sont délicats et leurs mouvements se font rarement brusques... C'est une question d'éducation. Mais nullement vous risquez de briser les os de l'un des miens en le serrant contre vous. Éventuellement avec un humain.... Mais les elfes... »

Il acheva de se déshabiller et entra dans l'eau jusqu'au hanches. Avant cela, le dragonnier n'avait pu que constater ô combien il n'était pas un elfe en rut. Aldaron n'avait rien d'un mastodonte de muscles, sans pour autant avoir l'allure d'un gringalet. Il savait s'entretenir, plus pour l'esthétisme que tout autre chose. Somme toute, il avait une carrure assez commune chez les humains.

« Dites-moi Kedrildan, comment souhaitez vous que je vous apporte mon concours si vous passez votre temps à me mentir ?Ne m'avez vous pas demandé de combler vos lacunes ? Comment voulez-vous que je vous apporte une réponse aux questions que vous ne me posez pas ?  »

N'était-ce pas l'elfe qui un peu plus tôt avait dit au dragonnier que Dawan adorait les myrtilles ? Bon si, mais ça n'était qu'un mensonge pour le fun. Et Aldaron mentait comme il respirait si bel et si bien qu'il n'était plus possible de savoir s'il était en train de relater un fait véritable ou non.

« Je n'ai pas vocation à vous juger, vous évaluer ni même à me moquer. Vous avez une piètre image de moi, j'ai beau tenter de trouver avec vous un terrain d'entente pour que nous cessions de nous chamailler que je n'y parviens pas. Vous ne m'accordez que peu d'authenticité, cela est fort dommage. Sauriez-vous m'accorder un tant soit peu de confiance ? Je ne vous ai point causé, à ma connaissance, de tord que ne n'ai reconnu et pour lequel je ne vous ai demandé votre pardon. Le baiser, mes propos au sujet de Dawan... A chacune de mes erreurs, j'ai commencé par vous offrir mes excuses avant même d'en discuter. Qu'avez-vous donc ? Ne pouvons nous pas, par Dracos, avancer sur des bases saines ? »

Le marchand était touchant, et presque émouvant dans ses paroles. Il tentait de faire une brèche, en désespoir de cause, pour enfin pouvoir discuter plus sincèrement avec Kedrildan. Il s'était rapproché de lui et le fixait, les sourcils légèrement froncés en signe d'incompréhension et de tristesse. Il poursuivit sur le même ton accablé :

« Prenez-moi dans vos bras et vous verrez bien que notre apparente fragilité n'est que de la poudre aux yeux. Mes os ne se briseront pas dans d'une étreinte. Vous le sauriez... Si vous aviez déjà pris longuement et à plusieurs reprises Dawan dans vos bras. Vous voulez apprendre, non ? C'est ce que vous m'avez demandé. Alors faites donc. »

HJ : Huuuuuug meeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee (subtilité bonjour )

Ah ! Dracos soit loué ! Qu'il était bon de manger un peu ! Ce voyage avait beau ne pas l'éreinter pour le moment , il n'en demeurait pas moins énergivore. D'autant plus qu'en fin de journée, elle sentait son endurance tirer sur les cordes de sa fatigue. Elle avait besoin de repos... Et bon sang, de nourriture ! Si Kedrildan et Aldaron croyaient qu'elle pouvait se contenter de la satisfaction de sauver le monde pour avancer, ils étaient bien naïfs. Elle était un être vivant, et un prédateur qui voyait le gibier pulluler sous ses ailes sans qu'elle puisse y toucher. Toute la journée, elle s'était résignée à penser à autre chose. Mais de plus en plus, son regard s'était tourné vers le sol. Si bien qu'au bout d'un moment, elle avait craqué. Sans plus se soucier des parasites sur son dos, elle avait filé vers ce sanglier bien gras qu'elle avait repéré. Nul besoin de trop se fatiguer à le courser: sa vitesse en descente avait été suffisante, elle n'avait eu qu'à planter ses crocs dans l'animal, puis se poser pour profiter du festin. Et quel bonheur de sentir ses crocs traverser l'épais cuir de l'animal, sa chair, quelle exaltation dans le doux bruit du déchirement des tissus ! Ç'avait été un régal tant pour ses papilles que pour son esprit. Le sang éclaboussait sa langue, salissait les écailles qui entouraient sa bouche. Ce seul sanglier la faisait se sentir bigrement mieux. Mh ? Kedrildan ? Ah, oui, Kedrildan... C'était un écho dans un coin de son esprit. Un écho de fort méchante humeur. Mais ce n'était pas comme si elle n'avait pas l'habitude... Il devait n'avoir pas apprécié sa descente un peu abrupte. Eh, ils s'étaient entraînés à chuter, il aurait dû se préparer ! Vigilance constante ! Bon, d'accord, lors de leurs entraînements, Trissi le rattrapait... C'était là un menu détail. Ou... Non, cela voulait dire qu'il fallait désormais qu'il apprenne à rencontrer le sol sans souci ! Ce ne devait pas être si compliqué. Trissi parvenait bien à se laisser tomber de plusieurs mètres de hauteur pour finalement atterrir sur ses pattes, et sans souci. Oui, elle avait fait cela pour son bien, au final. Quel ingrat, ce Kedrildan ! Elle le repoussa d'une pensée nonchalante. Oui oui, pas content, elle l'avait compris. Est-ce que c'était plus important que ses repas ? Non. Alors qu'il profite de son elfique compagnie. Elle serait de retour en temps et en heure.

Les sangliers, c'est fort bon. Mais un sanglier, quand on a la stature d'une dragonne d'argent, c'est peu. Et c'est d'autant plus insuffisant qu'elle ignorait quand aurait lieu sa prochaine chasse. Quitte à ne pas prêter attention aux bipèdes qui normalement l'accompagnaient, et s'offrir du temps pour soi, autant y aller jusqu'au bout. Lorsque de la carcasse du sanglier le plus intéressant eut été arraché, ne laissant là que des lambeaux d'entrailles, de peaux, et des os, elle s'envola à nouveau, l'esprit encore enivré de l'odeur de son repas. Encore ! Elle en voulait encore ! Un bref coup d'oeil à l'horizon. Là-bas, un ours. Si d'autres considéraient les ours comme des prédateurs, ils étaient pour elle des proies comme d'autres. Elle fondit sur lui, lui arrachant la vie ainsi qu'un large morceau de chair. Ses griffes avaient perforé l'animal. Voilà qui lui ferait un plat de résistance plus qu'acceptable ! Tendre juste ce qu'il fallait, en quantité tout juste suffisante pour satisfaire son appétit et sa gourmandise.
Ah, que la sensation était agréable. C'en était fini de ces papillons dans son estomac. Levant le nez vers le ciel, Trissi songea que peut-être le temps était venu de retrouver la moitié de son âme. Ladite moitié paraissait apaisée, en comparaison avec les précédents instants. Trissi s'envola à nouveau, prenant soin cette fois-ci non pas de faire la belle, mais de se faire discrète. Elle se demandait ce qu'il faisait, en cet instant, dans son dos. Et elle espérait qu'il n'ait pas perdu leur copain elfe ! Elle l'aimait bien, c'était un sympathique admirateur, et un potentiel appât à perles.


Se glissant entre les arbres comme un souffle de vent, elle s'était installée non-loin des bipèdes. Elle avait aperçu le sien, se baignant ici. Là, elle profitait de ses sens aiguisés pour les voir et les entendre. Allongée au milieu de la végétation, elle respirait faiblement, et son âme se faisait toute discrète auprès de Kedrildan. Alors c'était cela... Un cours de séduction pour le petit blond. Son doux vampire avait-il si peur de passer pour un sentimental auprès d'elle, pour avoir attendu ce moment ? Si c'était le cas... Alors il faudrait en jouer ! Oh, oui ! Elle voyait déjà toutes les petites piques qu'elle pourrait lui lancer pour froisser son honneur de vampire, et le faire gigoter en émettant des bruits de mécontentement ! Ca allait être tellement amusant !
Enfin, il aurait pu lui demander à elle, tout de même. Quoi ? Ce n'était pas parce qu'elle était dragonne qu'elle ne connaissait pas le système de séduction des bipèdes ! Elle l'avait beaucoup étudié. C'était fascinant, ces ronds de jambe, ce subtil jeu de soumission et de domination entre les deux partis. Les offrandes, les mots... Elle ne comprenait pas encore totalement, le résultat avait l'air en partie aléatoire. Mais tout de même, elle pouvait lui enseigner deux-trois choses !
Elle vit l'elfe, nu, s'approcher de son dragonnier. Ce dernier l'enlaçait. L'amatrice de moments croustillants en elle exultait. Oh, oui, qu'ils se rapprochent ! Voilà qui mettait du piment dans leur voyage ! Alors elle ne put résister. Son esprit se glissa vers celui de Kedrildan à pattes de velours, doux comme un chat:

"- Non, Kedrildan. Là, il faut l'embrasser."

Un mot qu'elle avait appris auprès des bipèdes, une action très spécifique. Pour les dragons, l'attrait de la chose était difficile à comprendre. Mais les effets qu'elle avait sur les bipèdes suffisaient à lui donner envie de voir Kedrildan s'y essayer, et Aldaron y réagir. Elle faisait de son mieux pour cacher son impatience et son amusement, se montrant auprès de Kedrildan presque neutre, bienveillante, et sincère.

"- Profite-en. Tu n'auras peut-être pas d'autres occasions de t'entraîner. Ce serait un comble de le voir s'enfuir parce que tu embrasses mal..."

Elle l'encourageait doucement, le poussait mentalement du bout du museau. Allez, petit jouet ! Elle lui imposa l'image de son admirateur aux cheveux blonds. Mais elle, elle voulait nettement voir comment tout allait évoluer entre lui et le dirigeant de la Triade ! Avait-elle bien compris comment fonctionnaient ces créatures, comment elles réagissaient face à ce geste ? Avait-elle compris ce qu'elle croyait sous-entendu dans les gestes de ces deux-là ?

Mangeable. Il supposait que de la part d'un vampire, il s'agissait d'un aimable compliment. L'idée d'être comparé à un morceau de viande appétissant le laissa à la fois septique et amusé. On ne lui avait jamais faite celle-là. Il entra dans l'eau fraîche de la rivière, profitant de cette température pour s'éveiller. La nuit tombait, et comme le disait si poétiquement le dragonnier, c'était l'heure à laquelle les diurnes sombraient dans le sommeil et où la liberté s'offrait aux nocturnes. Une foi et une confiance aveugle ? Il n'en demandait pas tant. Il haussa rapidement les épaules avant de répondre, las et peiné :

« Non, je ne vous demande pas d'être à mes pieds. »

Si tel était le cas, Kedrildan aurait d'ailleurs la tête sous l'eau.

« Je veux simplement qu'on puisse honorablement échanger sans que ça n'en devienne un sac de nœuds faute de mensonges à tout bout de champ. »

Ce n'était tout de même pas la mer à boire, si ? Kedrildan lui demandait des conseils sur la manière de séduire un elfe : c'était le genre de question que l'on posait d'ordinaire à un ami. Et on ne servait pas des balivernes à toutes les sauces à un ami. L'elfe ne pourrait pas s'en sortir si le roux n'était pas un tant soit peu honnête lorsqu'il lui parlait de Dawan. N'était-ce donc pas plus simple ? Sa demande de le prendre dans ses bras ne passa pas inaperçu au demeurant. Le mouvement de recul de la part du dragonnier lui fit supposer un échec. Voilà qui était vain de convoiter un jeu de complicité avec lui. Le dirigeant du Marché Noir s’appéta à prendre congés pour aller se laver un peu plus loin et filer dormir en attendant le retour de la dragonne... Mais Kedrildan se montra soudain plus ouvert, à son grand soulagement. La froideur de son corps le surprit. Non pas qu'il l'ignorait, mais cela lui rappela le dernier contact similaire : celui qu'il avait eu avec Vanaël. La vampiresse reprit d'assaut ses pensées. Elle était redoutablement envoûtante à ses yeux. Elle revenait avec une force surnaturelle et implacable, dévastant tout sur son chemin. Il aimait ce genre d’attirance. Il en avait déjà eu, pour d'autres femmes. Aldaron était au fond comme un adolescent, il aimait avec puissance et se défaisait avec aisance lorsque la situation devenait trop engageante ou que les défauts de l'autre ressortaient. Il adorait ce jeu de la séduction, et ce, dès son plus jeune âge. Ce même jeu lui avait coûté de devoir fuir le royaume elfique faute d'avoir réussi, malgré la piètre fécondité de sa race, à engrosser l'une des leurs.

L'elfe posa doucement ses mains sur les côtés du vampire, perdu par la froideur de son cadavre. Son regard émeraude se déporta sur la chevelure rougie par la nuit de Kedrildan, rappelant la sanglante de la conseillère. Il avait envie de la revoir. A l'heure qu'il était, elle devait marcher avec Ylan pour rejoindre le campement de Wintel. Le dragonnier se détacha de lui : Aldaron ne souriait plus, ses yeux visaient le vague, comme si on l'avait assommé. Il tendit une main et tira sur la tige de bois qui maintenait le chignon en place, les cheveux de sang retombèrent en proie à leur liberté retrouvée. Il pensait à elle. Terriblement. Elle demeurait une parfaite inconnue sur laquelle il fantasmait comme on faisait mille et un rêve sur un visage adoré, croisé furtivement. Une histoire imaginaire se construisait. Il aurait aimé pouvoir passer plus de temps avec elle et la découvrir. Qu-quoi ? Une parade nuptiale ? Il déboîtait ? Un câlin et hop, c'était la folie : tout était permis ? Aldaron n'aurait pas refusé, certes : Kedrildan était sacrément bien foutu. Mais là n'était pas là question. L'elfe ne réagit toutefois pas à cette question, plongé dans sa léthargie, il finit par baisser les yeux sur l'objet qu'il avait dans la main, avant de réaliser ce qu'il venait de faire. C'était stupide, mais il avait été attiré par ses cheveux car ils lui rappelaient ceux de Vanaël. Il reposa l'objet contre le torse du vampire, laissant à Kedrildan le soin de le reprendre car l'elfe ne manquerait pas de le lâcher prochainement.

Ah, son dragonnier ! il était fait pour rester avec elle toute sa vie. elle le savait: c'était l'un des rares jouets qu'elle avait dont elle ne se lassait pas, et qui ne se lassait pas plus. Elle pouvait compter sur lui pour se jeter dans chacun de ses pièges, la tête la première, les yeux fermés, et pour toujours lui offrir les réactions les plus savoureuses. Tant de dévotion... Elle n'en aurait pas voulu un autre, c'était celui-là qui devait partager la moitié de son âme, et nul autre !
Bon, il fallait l'avouer, elle était un peu déçue de ne pas le voir embrasser Aldaron. C'était surtout la réaction de ce dernier qui l'intéressait. Mais s'il faisait du bruit en gigotant, elle était tout de même satisfaite de son affaire. Quel phénomène, tout de même... N'aurait-il pas pu communiquer par leur Lien ? C'était plus aisé, plus naturel, plus économe ! Du moins, c'était ce qui semblait à la dragonne... Donc à la partie qui n'avait pas la parole... Mais elle était persuadée que si elle l'avait eue, ç'aurait été économe ! C'était sans doute là le fruit de toutes ces années passées auprès de Kedrildan. Elle avait dû sentir, sans que ce soit véritablement explicite, les aléas de la fatigue de son Lié, et les corrélations avec ce qu'il vivait. En tout cas, avec sa maladresse, si elle avait voulu rattraper son mouvement de recul et ses protestations pour le convaincre à nouveau, c'était manqué. Comme Kedrildan se tournait dans sa potentielle direction (qui n'était pas exacte, mais proche), elle sortit des ombres, se redressant. Les bipèdes purent voir quelques reflets d'argent scintiller au milieu des ombres nocturnes, comme elle se glissait hors des buissons, pour s'approcher, à pas lents, d'eux.
Ses yeux de saphir perçaient les ombres sans souci, observaient avec insistance les deux bipèdes nus. Surtout Aldaron. Elle avait l'habitude de voir son Lié dans des accoutrements divers, mais beaucoup moins d'autres bipèdes. C'était toujours étrange de constater la relation qu'ils entretenaient avec l'apparat qui était pourtant le premier de tous les êtres, aussi naturel que commun. Au final, ils paraissaient considérer leurs habits bien plus comme une partie d'eux-mêmes, et la nudité comme un objet à ne revêtir que devant certaines personnes. Toujours aussi surprenant... Elle se demandait ce qui avait donc pu pousser l'elfe à se présenter ainsi devant son vampire. Elle eut l'envie de tendre son esprit vers le sien, pour l'observer et voir ce qu'il pensait, ressentait. Mais d'une part, elle n'aurait pas forcément eu ses réponses, l'information se situant dans le passé. D'autre part, c'était extrêmement malpoli. Et elle était une dragonne maniérée ! Leurs esprits ne devaient pas n'être qu'observateurs, s'ils allaient vers quelqu'un. Ils devaient être locuteurs.
Trissi avait donc observé Aldaron avec un peu plus d'insistance. Mais au-delà de ces questionnements et de ce sentiment d'incongruité, il y avait surtout celui du dragonnier qui lui exposait, avant même qu'elle ait besoin de se montrer inquisitrice curieuse, les raisons de son refus. Finalement, c'était intéressant. Elle l'avait su fasciné par le petit blond, mais... Pas avec ces nuances-là. Elle lui répondit sans empêcher Aldaron de l'entendre. Désormais, ils n'avaient nul intérêt à l'exclure de leurs échanges.

"- Que tu aimes... Eh bien, Kedrildan, je ne te savais pas ainsi. Te serais-tu adouci ? Je te voyais plus possessif... Plus indépendant, aussi. Moins exclusif. Moins... Humain ?" C'était la déduction qu'elle venait de faire, rapprochant l'attitude de Kedrildan à des attitudes semblables qu'elle avait observées. Elle savait que son doux Lié apprécierait la remarque à sa juste valeur. "Prends garde de ne pas perdre l'autre moitié de mon âme en l'offrant à ce petit.' Et ici, le mot "petit" se chargeait du sens du mot "progéniture". Enfant. Quelque chose du même acabit.
Sentant l'attention de son dragonnier se faire happer par autre chose, elle la suivit, et dut donc observer l'étrange scène de l'elfe venant défaire les cheveux de Kedrildan. Geste qui ne laissa pas ledit dragonnier indifférent, bien qu'elle ne comprit pas totalement la raison de cela. C'aurait pu être de la gêne autant que du plaisir. elle n'avait pas su le saisir. Hmpf ! Décidément, le temps de l'éveil touchait à sa fin, elle allait devoir songer à se reposer. Mais telle une enfant, elle ne savait faire la part entre les envies de son esprit et les besoins de son corps. Il lui fallait jouer, encore. L'ennui seul la pousserait à dormir. Les bipèdes sortaient de l'eau et se portaient à sa hauteur. Elle souffla doucement sur l'elfe pour le réchauffer et retirer une part de l'eau qui le couvrait. Kedrildan n'avait pas besoin de cela.

"- Tu poses des questions dont tu refuses d'entendre les réponses, Kedrildan. Aldaron vient de te répondre, et tu as mal considéré son geste." Pour aiguiller un peu les pensées parfois perdues de son Lié, elle approcha son nez de ses cheveux, et joua avec, y soufflant, les faisant remuer par ici, par là. "Ces poils vous sont si important ? Y a-t-il quelque chose de spécial à faire, avec ? Ont-ils quelque chose de... Particulier ? " Elle approcha ensuite son nez de ceux d'Aldaron, comme pour comparer les odeurs et comportements respectifs des cheveux elfiques/humains et vampiriques.

L'embrasser ? Aldaron n'en avait demandé autant mais il s'en serait accommodé. Songeur, il ne réagit qu'à peine aux élucubrations du vampire. Ses oreilles avaient bien entendu, mais les paroles ne percutèrent pas son esprit. Longuement, ses pensées restèrent accrochées à la chevelure sanguinolente de la vampiresse et à ses yeux vert de jade où le crépuscule se reflétait. Il s'évadait vers elle, il espérait que son lendemain la couverait d'une paix et d'un voyage sans difficultés. Il craignait le contraire, il avait peur pour elle, pour son intégrité. Si ses idéaux divergeaient de ceux du Prince Noir, et eu égard du caractère expéditif de Lorenz, il était normal d'être inquiet. Il la savait très intelligente et douée. Ses prières l'accompagnaient de surcroît, voilà qui ferait un bon bagage. C'était drôle, Kedrildan gesticulait et criait dans tous les sens. Peut-être avec Trissi. Ils avaient un amusant moyen de communiquer les deux là. Trissi devait être bilingue gesticulations. Son attention s'était lourdement portée sur l'éblouissante chevelure du dragonnier qu'il délivra, libéra, pour qu'ils ne mentent plus jamais. Il réalisa : ce n'était pas Vanaël et Kedrildan le lui soulignait. Il lui adressa un fin sourire désolé et poussa un soupir. Il le contempla s'éloigner, silencieux et termina de se nettoyer. Il prit une inspiration, profonde et sereine avant de laisser lentement son corps sombrer sous l'eau. La fraîcheur le crispa dans un premier temps, mais une fois que l'eau ait harcelé chaque centimètre de sa peau, il s'habitua à son agressivité et s'en accommoda. Il y trouvait même un certain plaisir, tout saumon qu'il était : l'eau était son élément. Sous la surface, le monde n'existait plus, il n'y avait qu'une félicité parfaite entre compagnons d'écaille. Les yeux clos, les ténèbres régnaient sur son bien être. Il émergea à la surface, délaissant son éphémère havre de paix. Il quitta l'eau et fut accueilli par le souffle chaud de la dragonne. Il s'en délecta, trouvant cette façon de se sécher assez originale et surtout agrébale. Il n'avait pas eu le temps de frissonner que déjà, il était sec.

Il renfila son pantalon. Le comportement du dragonnier appelait chez sa liée de la surprise. Ainsi donc son inclinaison pour Dawan n'était pas ordinaire. Le dirigeant du Marché Noir ne savait s'il s'agissait là d'une bonne ou d'une mauvaise nouvelle. Au moins si son attachement pour le chanteur était suffisamment sincère pour que la Dragonne s'en inquiète et en manifeste... De la jalousie ? Il ne savait pas trop. Les dragons étaient pour lui encore insondable, avec leur fierté et leur logique propre. Leur lien avec le bipède élu était une contrée inconnue. Un jour peut-être comprendrait-il. Mais pas ce soir. Il s'assit en tailleur sur un rochet, ferma les yeux, méditant, les paumes de mains posées sur ses genoux repliées. Il ne médita guère longtemps. Un truc à écailles avec qu'immenses naseaux lui reniflait le haut de crâne. Il ouvrit un œil, déconcentré par l'action de la dragonne. Mais que faisait-elle ? Ah oui les cheveux. Il avait oublié.

« Et bien, oui. C'est une sorte d'atours, au même titre que les bijoux et les vêtements. Les femmes les nouent pour les rendent harmonieux, originaux, différent. Un peu comme une œuvre d'art mais qu'on trace au quotidien. Ils s'entretiennent. Les avoir sales est signe de pauvreté ou de négligence. Leur longueur a aussi une importance. Les cheveux longs ne sont pas pratiques aux champs. Les paysans les coupent, les hauts placés les arborent. »

Ce qui était en contradiction avec lui-même : il était un haut dignitaire de la rébellion et ses cheveux n'étaient pas très longs pour l'époque, et en bataille. Avant qu'elle ne soulève ce point, il souligna :

« Pour ma part, je trouve ça contraignant au quotidien. Ainsi coupé, leur volume cache les oreilles honnies qui me rattachent à mon peuple de naissance. »

Il sourire pincé apparu sur ses lèvres : il ne souriait que pour la bienséance, mais il sentait qu'il n'en avait pas envie et que le sujet était épineux. Il bifurqua alors dans ses propos :

« Maintenant, vous savez pourquoi votre dragonnier les laisse s'allonger. Il gagne en apparente noblesse et eu égard de l'immense admiration qu'il voue à sa propre personne, voilà qui était plus que nécessaire. »

Il raillait. Par plaisir de voir à nouveau Kedrildan gesticuler en colère, ou afficher la moue boudeuse d'un enfant à l'ego froissé. Son attention se porta à nouveau sur le dit dragonnier. Il laissa un silence, songeur, en se mordant la lèvre inférieure. L'époque où il draguait les petites elfettes était assez loin.

« Vous pourriez lui parler dans sa langue. Certaines personnes apprennent l'elfique, parfois. C'est assez complexe et les humains n'ont souvent pas assez d'une vie pour en faire le tour. Mais... Quelques mots, quelques expressions montreront que vous vous êtes intéressé à lui. Profitez que je sois avec vous pour vous servir d'encyclopédie en la matière et pour que je corrige votre prononciation... Histoire que vous ne lui clamiez pas que vous aimer le canard farci plutôt que sa jolie frimousse. »

Ce qui serait affreusement drôle, même s'il craignait ne pas être là pour le voir un jour. Il ricana à cette idée néanmoins. Kedrildan avait tellement l'art d'avoir d'être ridiculement amusant que la probabilité qu'il articule correctement l'elfique le jour J était assez mince.

« Dawan est un baptistrel. Il est sensible à l'art, peut-être pourriez-vous lui composer un petit poème. En êtes vous capable ? Allez-y. »

Il était tout ouïe pour auditionner ses dramatiques rimes.

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{hrp: Ceci est un poème de Baudelaire, "l'alchimie de la douleur" des Fleurs du Mal! }

Aldaron était bien sage. Il répondait à ses questions sans faire d'histoires, et sa façon de communiquer était relativement plaisante, pour un bipède. Elle l'avait compris sans souci. Son souffle agitait doucement les cheveux de l'elfe, en un mouvement qui rappelait celui des herbes lorsqu'elle retrouvait le sol. Son attention allait se détourner de lui, jouet bien trop futé pour l'amuser maintenant. Elle lui trouverait d'autres utilités. Sans doute pourrait-elle discuter avec lui, quand l'ennui la trouverait. Il paraissait avoir saisi ce qui faisait ses congénères, de façon plus fine peut-être que Kedrildan. La dragonne argentée s'apprêtait donc à chercher une autre façon de s'occuper, quand l'elfe titilla sa curiosité. Tiens donc, il n'aimait pas son peuple de naissance ? Les elfes ? C'était peu commun. Les armandéens étaient habituellement plutôt fiers de leurs appartenances originelles. Les elfes, surtout… Trissi avait beau estimer les vampires comme étant les bipèdes les plus performants, elle gardait les elfes en bonne estime. Elle voulait savoir, de tous les défauts des elfes, lequel exécrait Aldaron pour vouloir ainsi être pris pour un humain. Quel beau naïf, tout de même… Croire qu'il suffisait de trois poils pour qu'on ne le distingue plus des autres bipèdes.

La douce voix de son cher et tendre Lié la détourna des questions muettes que son regard perçant adressait à Aldaron. Elle leva sa fine tête et la tourna vers ce petit être qui était sa raison de vivre, tandis qu'il vociférait, ayant fort peu apprécié ses conseils avisés. Le petit ingrat. Elle eut un mouvement de tête en l'entendant parler de la domination du monde. Que n'avait-il pas compris dans "cela doit rester secret" ? C'était bien la première fois que cette histoire parvenait à ses ouïes. C'était une idée à creuser, certes, le monde serait bien mieux dirigé d'une main de dragonne que de mains de bipèdes, trop éphémères, trop jeunes et trop petits pour prendre les décisions adéquates. Elle espérait néanmoins que Kedrildan n'avait pas ébauché les premières stratégies sans elle, sans quoi une catastrophe supplémentaire était à prévoir dans l'emploi du temps du continent.
Elle parvint à comprendre les insultes dans les mots de son Lié. Qui était-il pour maintenant se permettre de la juger, et la juger si mal ? Elle avait froncé le nez, dévoilant une partie de ses crocs, en se faisant comparer à un simple animal. L'ultime insulte, et le Lien qui s'étouffait, embrasèrent sa colère. Elle ne l'exprima pas tout de suite, néanmoins. Silencieuse, elle laissait les flammes en elle devenir de plus en plus brûlantes, et frustrées de ne pouvoir réduire en cendre ce qui avait fondé leur naissance. L'attitude de Kedrildan ne lui plaisait pas du tout. Il n'avait pas à agir ainsi envers elle, envers Trissi, reine des cieux et pilier de magie ! Elle dardait sur lui un regard assassin, alors qu'il piaillait devant son camarade elfe. Qu'attendait-il d'elle ? Qu'elle rampe à ses pieds ? Ou qu'elle projette son Esprit de toutes ses forces contre le sien, au risque de lui faire du mal ? Il devait savoir qu'il n'obtiendrait rien d'elle ainsi. Il devait même exactement savoir comment elle allait réagir. Alors allait-elle lui faire ce plaisir ? Peut-être bien. Au final, cela lui plaisait également.

Il piaillait, il piaillait, et elle cherchait une façon convenable de passer sa colère sur lui. Rien ne vint. Alors qu'il terminait son poème, elle tendit son Esprit vers Aldaron.

"- Bien. Je vais vous laisser à vos parades nuptiales. Tu feras part à mon doux Lié de mes encouragements. Aller à Gloria à pieds ne va pas être simple, il me semble. Mais peut-être que l'amour lui donnera des ailes."

Jalouse ? Envieuse ? Oh, un peu. Voir Kedrildan faire des pieds et des mains pour un bipède, et la repousser elle, n'était pas vraiment agréable. Elle fit demi-tour, sa queue reptilienne bousculant sans souci ledit Lié, et s'envola, créant autour de ses ailes d'importants mouvements d'air.

Aldaron fut presque déçu que le roux ne gesticule pas dans tous les sens comme à son habitude. Une satisfaction qui ne lui fut pas octroyé et qui lui laissa un brin de tristesse au cœur. Serait-ce qu'il grandissait et qu'il devenait plus mature ? L'elfe avait certes trop d'espoir en la matière, mais la déception devait avoir une explication. Il poussa un soupir et enfila son haut avant de s'allonger paisiblement dans l'herbe, fixant les cieux. Kedrildan avait l'air moyennement enchanté par l'idée d'apprendre l'elfique :

« Quelque phrases récurrentes suffiront à lui prouver que vous avez pris la peine de vous intéresser à lui, ne croyez-vous pas ? »

l'interrogea-t-il, l'esprit un tant soit peu absent. Il ne lâchait pas l'affaire, même distrait, ses réflexes de marchand le poussait à aller jusqu'au bout de la négociation, jusqu'à ce que l'autre accepte. Dans une immense majorité des fois, son insistance le conduisait au succès. Le Marché Noir n'était pas un vain nom. Les trois têtes qui le dirigeaient savaient mener les affaires sans bifurquer de leur objectif. Cette ténacité à la vente avait fait leur force. Sa seconde suggestion tira une réaction toute Kedriléenne au vampire. Un sourire amusé naquit sur les lèvres du marchand.

« Un cactus ? Vraiment... Vous allez vous faire mal. »

Car s'il comptait lui rentrer un cactus dans le fondement, il se mettait le doigt dans l’œil jusqu'au coude. S'il comptait faire quoique ce soit avec un cactus, ce serait sans lui. Aldaron lui avait répondu avec une sorte de bienveillance, le même ton avec lequel on expliquait aux enfants qu'il ne fallait pas toucher au feu. Une part de lui était assez satisfait : le dragonnier criait et gesticulait enfin. Alors non, il n'avait pas grandi. Quand bien même il comprit vite que la proposition de l'elfe n'était pas si mauvaise. Aldaron se redressa assis, prêt à écouter la nouvelle catastrophe dont le roux serait l'auteur.... Et à vrai dire, il resta bluffé de sa performance. Certes le discours était assez macabre, mais venant de Kedrildan, il s'était attendu à quelques vers rimant à peine entre eux, loin d'espérer une telle œuvre. Il cliqua des yeux, comme assommé.

« Et bien... Ma foi, le style est tout a fait convenable. Dans la forme c'est magnifique. Dans le fond... »

Il hésita un petit instant à la réponse qu'il donnerait, puis, tout à fait assuré, soutenu par son totem, il affirma :

« Je suis certain que Dawan appréciera. Ce n'est pas tout à fait ce qu'il aimera, mais par la poésie, vous alliez ce qu'il aime à ce que vous aimez. C'est une manière originale et très bien pensée de lui faire entendre votre point de vue. »

Qu'on le tue pour ce qu'il venait de dire ! Il avait le sentiment d'étouffer tellement l'envie de pouffer de rire demeurait en lui, retenue de force pour paraître terriblement sérieux. Il se calma intérieurement... Et la réaction radicale de Trissi acheva de le refroidir. Certes, les propos du Dragonnier avaient été affreusement humiliants et cruels envers la belle, mais comme elle n'avait pas, semble-t-il, réagi jusque là, l'elfe avait fini par conclure qu'il s'agissait de leur façon de communiquer. Un amour un peu vache.

« Euh... Votre dragonne vous encourage à la parade nuptiale et... »

Attendez, faisait-il le pigeon voyageur-là ? Et... Mais elle partait :

« Non Trissi ! Vous devez bien savoir combien il est empoté, il avait envie de vous faire sentir sa rancune mais s'y est pris comme le dernier des idiots... Si l'amour donnait des ailes, j'aurais offert mon cœur à une belle depuis bien longtemps. Noble Trissi, je crains qu'il ne puisse s'élever vers les cieux sans vous. »

La dragonne d'argent s'était réfugiée, après quelque minutes de vol à peine, dans une sorte de creux dans ces plaines, qui conserverait un peu sa chaleur. Pas qu'elle soit particulièrement frileuse, mais si elle pouvait avoir un peu de confort, elle ne disait pas non. D'autant plus qu'elle ne pouvait pas bouder comme n'importe qui, il fallait que l'environnement soit à son avantage, choisi avec soin, et non pas subi. Le premier manant pouvait s'installer là où ses pas le menait. Il fallait plus de finesse pour trouver LE boudoir parfait.

Kedrildan l'avait insultée. Habituellement, elle n'en avait vraiment cure, son doux Lié n'étant pas des plus tendres avec ce qui composait son langage, appréciant les chamailleries qui étaient le jeu favori de sa dragonne. Mais là, c'était différent. La colère de la dragonne, en disparaissant, lui laissait l'impression de ne laisser que des cendres. Un souffle rauque lui échappa, soulevant ses côtes pour ensuite les faire s'affaisser lentement, alors qu'elle se roulait en boule, la pointe de sa queue reposant le long de son cou. Son esprit s'agitait bien trop, désormais, elle doutait de trouver le sommeil ainsi. Le voyage allait être difficile, à l'aube.
Bien sûr qu'elle avait raison, elle avait encore raison ! Il aurait dû sentir qu'elle ne cherchait pas vraiment à le blesser. Il aurait dû sentir qu'elle commençait à être jalouse. Elle avait de quoi ! Kedrildan était une concession qu'elle faisait à ce monde, et quelle concession ! Pour lui elle était née, avec lui seul elle partageait un lien qu'elle n'aurait pu offrir à aucun autre. Il était celui pour qui et avec qui elle acceptait de dépenser de son temps et de son énergie. Lui, petit bipède… Et à cette exclusivité, ce don qu'elle lui faisait, il préférait un bipède couleur de blé avec lequel il avait passé bien peu de temps, qui lui avait trop peu offert, et qui n'avait même pas fait montre de sa valeur ! Il lustrait bien les écailles, certes. Et il reconnaissait la valeur du couple de Liés qu'ils étaient. Mais qui disait qu'il serait à leur hauteur ? Surtout, par le Dracos… Qu'est-ce qui en lui disait à Kedrildan qu'il était mieux qu'elle ? Elle était une dragonne, tout de même ! Ils étaient rares en ce monde ce qui pouvaient se vanter d'être Liés…

Elle avait toutes les raisons de se vexer ! Lui, il devait venir s'excuser. Tant pour lui avoir préféré cette "salade", comme il appelait parfois les elfes, que pour l'avoir ainsi insultée, et blessée. Malgré l'agacement qui la rongeait, et les reproches qu'elle lui adressait sans cesse sans les exprimer, elle restait ouverte à toute tentative de communication de son Lié. Il n'était plus question désormais du plaisir de le voir à nouveau chanter ses louanges. Sans que sa fierté lui permette de l'admettre, elle tendait même son esprit vers le sien, d'un air de dire "eh, tu boudes ? Eh, tu boudes encore ?". Mais la porte lui restait close. Il boudait encore. Peut-être qu'une petite transe lui remettrait les idées en place, et qu'il fallait simplement attendre.

C'était ce qu'elle s'était dit, et ce qui était sans doute juste d'imaginer. Néanmoins, cela ne lui suffit pas. Alors qu'une partie d'elle comprenait qu'il valait mieux de dormir, l'autre persistait à s'agiter nerveusement, rouspétant après Kedrildan, le cherchant comme on cherche à attirer l'attention de quelqu'un en lui donnant des petits coups du bout du museau. L'argentée dut se rendre à l'évidence: elle ne saurait dormir tant qu'ils n'en auraient pas terminé avec cette histoire, tant qu'elle ignorait si Kedrildan savait combien il était ingrat, et tant qu'il ne se serait pas excusé ! Se levant avec la lenteur de ceux dont les muscles s'engourdissaient de repos, elle prit le temps de s'étirer, avant de s'envoler, d'un vol rendu brusque par son humeur.
Que ne faisait-elle pas encore pour lui ! Tant d'histoires, pour un si petit être… S'il n'avait pas été Lui, s'il n'avait pas été l'autre moitié de son âme, elle n'aurait pas fait le dixième de ce qu'elle lui accordait. Le savait-il seulement ? Ou croyait-il naturel ces sacrifices mutuels ? Oh, ils l'étaient, oui, grâce au Lien, c'était vrai… Bientôt elle trouva la grotte où les Deux s'étaient abrités. Elle s'offrit un atterrissage aussi silencieux que possible près de cet endroit. Elle pouvait être confondue avec un souffle de vent. Ses pattes frôlaient tout juste le sol meuble de cet endroit que son esprit s'élançait vers celui de Kedrildan. Tant pis pour lui si la transe n'avait pas abaissé ses barrières mentales, ou s'il ne l'avait pas fait de lui-même, car elle n'avait plus pitié de lui !

"- Encore vexé ?" Son mécontentement était contenu, mais tout de même perceptible, comme des mots que l'on aurait dit entre ses crocs. Elle en était venue à la conclusion que Kedrildan s'était laissé surprendre par une des faiblesses de son esprit, et qu'il fallait un peu l'aiguiller. "Tu n'as pas de raison. Tu es toujours mon unique Lié." Là. Il pouvait difficilement, cette fois, ne pas sentir toute la jalousie qu'elle mettait dans le mot "unique", ce reproche sous-jacent...

Elle avait senti son sursaut mental, somme toute naturel. Elle n'avait pu s'empêcher d'éprouver un amusement sadique teinté d'attendrissement quand ce sursaut s'était manifesté physiquement, projetant son Lié contre la roche. Miarf, il allait devoir apprendre à scinder pensées et actions. Ce ne devait pas être simple chez des êtres dont le langage passait par des mouvements physiques, lorsqu'il se faisait précis et au-delà des émotions. Certains semblaient y arriver… Ce n'était pas la spécialité de son Lié, qui aimait à démontrer dans l'instant ce qui venait à son esprit, avec force gestes et force voix. Avec la douleur qu'il venait de recevoir, peut-être allait-il changer ce premier réflexe, dans ces conditions au moins. Mh. Pour en être sûre, il faudrait lui offrir à nouveau pareil réveil !

Trissi laissa son Lié parler. Quand bien même elle appréciait qu'il eut ces mots-là, elle demeura distante de prime abord, comme n'osant y croire totalement, ou attendant un "mais", une de ces méthodes pour briser la phrase et marquer une opposition. Le mot vint, mais sans marquer l'opposition à laquelle elle s'attendait. Ah, pas de petit blond, alors ? Il ne boudait plus que parce qu'elle l'avait comparé à un humain ? Il était gonflé ! C'était lui qui avait commencé, la comparant à un animal. Elle lui transmit l'image du bovidé, comme un reproche, mais bref. Elle ne voulait pas discuter de qui avait eu la plus grosse insulte. Ce n'était ni intéressant, ni amusant, ni…

Un instant, l'argentée détourna son esprit de celui de la frêle créature de lune et de sang qui était son Lié. Quelque part, elle avait eu ce qu'elle voulait. Il s'était rappelé au plus important, il avait admis qu'ils reprendraient bientôt la route ensemble -c'était du moins ce qu'elle avait interprété. Elle doutait pouvoir obtenir plus. Pas après avoir usé de l'humanité face à lui. Oui, elle savait qu'il était sensible à ce sujet… Mais jusqu'alors elle n'avait pas osé jouer avec cela. Maintenant elle savait qu'on ne pouvait utiliser les plus amères rancoeurs du vampire ainsi. Pas aussi abruptement, pas contre lui.
Pas envie de s'excuser pour autant. Sa fierté autant que la persuasion qu'elle avait de n'être pas en tort l'en empêchaient. Le silence s'était à nouveau installé tandis que, songeuse, elle observait autour d'elle le silence respectueux de la nuit, ses ombres douillettes. Elle allait pouvoir dormir. Il lui faudrait sans doute encore un peu de temps, pour finir de penser à tout cela. Elle se concentra finalement sur la partie qui l'intéressait, l'autre se vidant peu à peu d'intérêt. C'est le coeur gonflé par les mots doux de Kedrildan et par l'affection qu'elle pouvait vouer à cette petite chose qu'elle finit par glisser sa tête dans la grotte, pour l'attraper par la ceinture, l'en tirer, et l'installer entre ses pattes avant. Elle s'enroula autour de lui. Là, il serait bien mieux. Puisque de toutes façons lui et l'elfe comptaient rester chastes…

"- Allez, va, je ne t'appellerai plus ainsi, et tu ne m'appelleras plus par des noms d'animaux. Bonne nuit, flammèche."

Ainsi elle ne s'excusait pas, mais avait l'espoir de dormir convenablement.