7 juillet de l'an II.

Une renaissance étrange et envoutante, un champ de bataille d'une guerre puissante, deux funérailles où complots politiques s'y mêlaient ou âpre nostalgie guerrière... Il y avait de quoi perturber n'importe qui, selon lui. Plus encore un nouveau né qui peinait férocement à se controler. Un nouveau né qui plus est qui cherchait encore sa magie.

Lui qui la sentait pulser en lui, lui qui la sentait vibrer si puissamment autour de lui, lui enfin qui la sentait l'appeler dans sa nuit.... Ne pas parvenir à répondre à son appel, ne pas parvenir à aller jusqu'à elle, à faire naitre cette étincelle.... Oui, cela le perturbait plus encore. Il s'en sentait frustré, agacé en même temps qu'affamé.

Faim, faim, toujours faim. Faim de sang, faim de son passé et de ses souvenirs, faim de sa puissance et de sa magie. Faim de tout encore et toujours, comme dirait un certain millénaire. Et oui, il devait bien l'avouer, d'ailleurs, il avait faim de lui aussi, de son Père, de son millénaire, de son dragonnier. De son lié et aimé ! Faim, faim, et encore faim. C'était là un leitmotiv qui chantait en lui à tue-tête, tentant sans cesse de l'envouter, de le rendre sourd à tout autre appel, pire même de le rendre sourd à la raison.

Il lui arrivait d'ailleurs de perdre complètement tout controle. Si les sbires d'Achroma n'étaient pas à ses côtés à ces moments-là, nul doute qu'il aurait commis un acte irréparable aux yeux de ses paires, du moins de son Père. Il faisait tout pourtant pour se montrer à la hauteur des exigences de l'éducation paternelle. Mais la frustration était telle, de tous côtés, que parfois il se laissait aller à une colère incontrolée.

Il sentait en cet instant d'ailleurs une telle colère monter en lui. Pourtant c'était là un sort simple qu'on lui avait montré. Ou tenté de montrer. Qu'on avait voulu lui apprendre... Certes, pour un aveugle comprendre et apprendre le geste clé, qui demandait parfois précision et maitrise, pour lancer un sort, n'était pas chose aisée. Certes, oui. Mais tout de même ! Il s'était attaqué là à un sort facile, simple, qu'un mage de faible niveau était censé maitriser. Alors pourquoi, par le Dracos, n'y arrivait-il pas ?

Il retenta une nouvelle fois le geste, se concentrant sur ce qui pulsait en lui et autour de lui, et attendit, avide, que le sort se lance, que magie se crée, naisse et... mais rien. Rien ne se fit. Rien ne se sentit. Frustré, agacé, le jeune vampire en jeta sa lance au loin, de rage et d'impuissance, grognant de sa voix profonde, tout en découvrant ses crocs venimeux.

Il s'était isolé pour cet entrainement, mais apparemment pas suffisamment, car il entendit quelques commentaires étonnés, agacés, voire courroucés, face à un tel comportement emporté. Quelqu'un osa même ramasser sa lance et avoir la condescendance de la lui ramener. Pauvre aveugle qu'il était, sans doute ! Il en grogna plus encore, se contentant d'arracher la lance des mains de ce ravisseur infortuné, quand ce dernier lui en rendit possession. Il retint les mots acides qui lui chatouillaient le palais, se forçant à songer à son Père, aux relations difficiles qu'il tentait de nouer et de conserver avec le reste des rebelles, surtout après la traitrise de la majorité des vampires. Ce ne fut que cette seule pensée, qui l'empecha de déchainer sa rage sur l'homme qui lui rendit sa lance.

Il ne l'en remercia pas pour autant, se contenta de rehausser le menton en un geste fier et dédaigneux, des plus hautains, voire méprisant, et, redressant sa lance à ses côtés, il tourna abruptement les talons. Se dirigeant vers la sortie, d'un pas fier et nonchalant, autant que faire se pouvait du moins pour l'aveugle qu'il était. Par chance, Dracos merci, aucun obstacle ne se dressait devant lui et il n'eut pas à essuyer la honte et l'embarras d'un pas s'empêtrant dans il ne savait quoi ou d'une glissade en règle à terre.

C'est ainsi donc qu'il sortit, tentant de garder sa mine austère et renfrogné, son maintien digne et altier, même quand il franchit les lourdes alcoves de la caverne. Il crut un instant parvenir à sauver la face jusqu'au bout... quand il percuta de plein fouet une grande masse et tomba par terre sur les fesses.

- Ne pourriez-vous pas faire attention à son chemin ? maugréa-t-il d'un ton acerbe. Où ne seriez-vous Messire qu'un vulgaire plaisantin ? ajouta-t-il vivement, se demandant si ce n'était pas là une vile fourberie qu'on voulait lui jouer.

C'était après tout si drôle de se jouer d'un... être tel que lui.

Il entendit au loin quelques ricanements, et en aurait rugi de rage, si décence ne l'en empêchait pas. Non, en fait décence ne l'en empêchait guère, songea-t-il, tout en se redressant d'un bond. Rugissant alors férocement, tel un vieux lion en colère, il pivota vers le bruit du son, laissant tous ses sens s'ouvrir à ce monde hostile et railleur. Laissant son ouï entendre chaque bruissement, chaque bruit avec ravissement. Laissant son odorat de vampire se délecter enfin, oui enfin, de cette odeur de sang si... hum... délicieusement prometteuse, qu'il avait jusque-là tenté d'éluder à défaut d'oublier. Oui, sang l'appelait, il ne pouvait plus faire attendre...

Il s'apprêtait alors à sauter sur l'inopportun qui ricanait encore non loin... quand une main puissante le retint par le bras.

Roëric digérait mal la mort du louveteau qu'il avait autrefois recueillit, Havard Svenn. Enfin de louveteau... il avait depuis ces temps-là bien grandi, et était même devenu le chef de meute. Cela étant dit, lorsque les souvenirs remontaient à la surface, c'était surtout ceux du temps jadis qui s'imposaient au vampire. Cette nostalgie, non plutôt cette sensiblerie, était une faiblesse, il le savait. Cependant, il avait beaucoup de mal à s'en détacher, car c'était là son dernier lien avec un être cher.

Mais le Maître-Lame n'en était pas à premier deuil, et il savait que rien de tout cela n'était sain. Havard lui-même n'aurait d'ailleurs pas approuvé. Il avait donc décidé aujourd'hui de se reprendre en main. Il irait à la caserne et s'entraînerait, non tout seul, comme à son habitude, mais en essayant (tant bien que mal, étant loin d'être expert en relations sociales) de se mêler aux autres.

Certes, son plan avait un défaut et pas des moindres. Les vampires n'étaient plus franchement en odeur de sainteté dans les environs. Et comme d'habitude, Lorenz Wintel était responsable. Roëric, en plus d'être un vampire, était aussi un dragonnier. Cela lui laissait une certaine marge de manœuvre, dû moins l'espérait-il.

Comme disait l'autre, on avait rien sans rien, et certainement pas sans prendre le risque d'essayer. Il allait donc pénétrer dans la caserne lorsque quelqu'un cherchant à en sortir le percuta. Il n'y avait pas d'autres mots, le pauvre bougre était tombé par terre, s'attirant par la même occasion les rires et les railleries de quelques témoins de la scène.

Les aléas de la vie en communauté, sauf que l'homme, un vampire, qu'il était sûr d'avoir déjà vu quelque part, était semblait-il, aveugle. Ce qui rendaient ces moqueries, déjà insultantes, déshonorantes pour les moqueurs. Ceci étant, la réaction du vampire lui parut légèrement exagéré... N'allait-il pas... Non ?.. Si ? Il semblait bien. Honneur ou pas, il ne pouvait laisser une telle chose arriver. La situation étant ce qu'elle est, ce genre de mort détruirait tout le travail d'Achroma.

Le Maître-Lame attrapa donc le bras du vampire aveugle. Le retenant avec force, car de toute évidence, c'était un nouveau-né, et ceux-ci avaient le fâcheuse tendance à devenir hors de contrôle. Il en savait quelque chose.

Je doute que votre père apprécie ce genre de comportement.

La voix était sévère, ferme mais aussi dissonante, comme s'il ne s'en était pas servi depuis un moment. Ce qui était le cas. Quant à la remarque, elle était pleinement justifiée, si le géniteur était toujours là, c'était qu'il avait trahi Lorenz pour le roi humain. Peu probable donc qu'il soit enchanté des projets immédiats de sa progéniture.

Je crois vous avoir bousculé, acceptez-mes excuses.

Décidément, il lui disait quelque chose.

Nous nous sommes déjà rencontré j'ai l'impression, je suis Roëric Alokor.

Son regard froid, aussi gris que le métal, alla se poser sur les rieurs, qui trouvèrent très vite une autre occupation.

D'instinct Eliowir se tourna vers ce qui l'enserrait. Aveugle certes, il n'en conservait pas moins quelque réflexe, comme celui de se tourner vers sa cible et de lui accorder toute son attention. Il tenta un instant de se dégager le bras d'un mouvement brusque, mais la poigne était forte.

Il allait protester quand une voix grave s'imposa entre eux.

Je doute que votre père apprécie ce genre de comportement.

Cette voix... Et cette odeur.... Vampire lui disaient tous ses sens en alerte. D'où la force qui avait su contrer la sienne propre. Oui, il connaissait cette odeur, il l'avait déjà rencontrée. De même que cette voix. Elle avait certes peu parlé lors de leur rencontre mais le peu de mots qu'elle avait concédé à prononcer avaient été plus que marquants. De fortes et mémorables éloges funèbres envers un certain loup. Cette voix, plus que tout, le calma un tant soit peu et détourna sa colère montante.

Les mots aussi. Son Père.... Oui, en effet, Achroma, se rappela-t-il. Il n'apprécierait nullement ce que son fils s'était apprêté à faire. Perdre son contrôle, se laisser aller à soif et colère. Rendre à ses mécréants se moquant la monnaie de leurs piètres pièces... Il agonisait d'envie d'aller leur montrer ce qu'un vampire, même aveugle, était bien capable de faire. De leur montrer qu'eux, pitoyables humains, ne valaient guère grand chose face à de tels prédateurs. Car oui, aveugle peut-être, mais prédateur quand même ! Et sa soif qui sans cesse le taraudait...

Mais non, comme venait de le dire l'autre, il ne devait pas. Ne Pouvait Pas. Achroma.... Pour Achroma...

Et se répétant rapidement ce simple nom tel un leitmotiv, il parvint à regagner un semblant de calme. Les paroles qui suivirent l'aidèrent d'autant plus. Un vampire civilisé, dirait-on ? Voilà qui était intéressant. Et assez remarquable pour être noté.

Je crois vous avoir bousculé, acceptez-mes excuses.

Oui, l'autre avait raison. Il leur fallait montrer un visage civilisé. Leur peuple avait suffisamment mauvaise réputation pour qu'il n'en rajoute pas par un impair. Quand bien même cet impair se serait justifié par la colère face à de telles moqueries et par son caractère impulsif de nouveau-né. C'était là, au final, des excuses bien trop faciles pour qu'il s'y laisse bercer.

Il dut avouer toutefois se trouver quelque peu impressionné par l'autre vampire, ce que son silence dut trahir à son grand désarroi. Il ne sut que répondre sur l'instant, d'autant plus que l'autre parlait en langue commune, une langue dans laquelle il se sentait bien moins à l'aise. Il s'arrêta toutefois totalement de bouger, montrant là qu'il avait regagné la raison et ne se laisserait plus aller à sa première impulsion.

Nous nous sommes déjà rencontré j'ai l'impression, je suis Roëric Alokor.

Oui, il se souvenait. Il se souvenait parfaitement bien. Alokor. Le dragonnier. Celui pour qui, pour la première fois, il avait livré le message d'un mort... Tel le corbeau qu'il était.

Les rires tout près d'eux cessèrent étrangement et un silence, calme bien que pesant, se fit autour d'eux et entre eux. Et Eliowir se sentit, enfin, l'obligation de répondre, de rompre cette gêne qui risquait de s'installer.

- En effet, Messire Alokor, noble et digne dragonnier. Votre mémoire ne vous trompe pas, nous nous sommes bien rencontrés. Lors des funérailles d'une connaissance commune. Vous y avez fait une magnifique éloge posthume.

Et se disant, il salua à son tour l'autre vampire. Ses instinct toutefois lui firent offrir le salut cérémonial elfique. Confus et honteux de cette soudaine maladresse, il se redressa bien rapidement, et se contenta de hocher brièvement la tête. Se mortifiant intérieurement d'avoir laissé ses anciennes appartenances, ses anciens instincts, le trahir, et d'avoir potentiellement attisé cette vieille haine qui avait unit son peuple actuel à son peuple passé. Une haine qui parfois encore se retournait contre lui, pourtant dès lors vampire, mais ancien elfe parmi leur ire. Son esprit avait peut-être perdu quasi tout souvenir de sa vie passée, son corps lui semblait malheureusement bien se souvenir.

- Eliowir Serillëiel est mon nom le plus coutumier. Fils d'Achroma Seithvelj, comme déjà vous le saviez.

Puis, se rappelant les excuses que l'autre vampire avait daigné lui présenter, il se racla la gorge, un peu gêné.

- Quant à notre bousculade... Je suis confus. C'est à moi que reviens de m'excuser. Je dois d'ailleurs également vous remercier. Grâce à vous, j'ai évité un impair malvenu.

"Quel doux euphémisme alors", pensa-t-il. Mordre et tuer quelque humain rebelle n'aurait pas été qu'un impair. Mais un incident diplomatique de taille !

- J'étais venu tenter de m'entrainer. Mais seul et...

"Non voyant", songea-t-il, avec une pensée amère.

- Sans souvenir de mon expérience passée, cela s'avère assez...

"Handicapant ?" Doux euphémisme, là encore, lui qui semblait devoir tout réapprendre ou presque. Il semblait qu'il n'y ait qu'en grand danger qu'il parvienne à retrouver quelques anciens réflexes et savoirs...

- Compliqué. Mais je ne souhaite pas plus encore vous gêner.

Et se disant, il se décala d'un pas. Qu'il espéra être un pas de côté, pour dégager le passage. Mais il devait avouer, avec sa chute, avoir perdu quelque repère pour savoir où il était précisément par rapport à l'entrée. Ou la sortie, comme vous préférez...

Le silence accueillit ses paroles. Rien d'étonnant venant des rieurs qui avaient manifestement trouvé une activité un peu plus productive. Cela l'était un peu plus en revanche venant du vampire aveugle. Enfin, à moins que Roëric ne se trompe du tout au tout. Il l'avait déjà vu quelque part celui-ci, il en était à présent persuadé. Le fils d'Achroma, sa... spécificité faisait qu'il n'avait pas oublié ce détail. Ces derniers jours étaient plutôt brumeux dans l'esprit du Maître-Lame. Mais la réponse vint, finalement.

Les funérailles... Cela le mit tout de suite sur la bonne voie. Oui, le corbeau. Un totem rare doté d'un pouvoir qui avait tôt fait d'inquiéter les âmes sensibles. Il lui avait délivré le dernier message d'Havard et rien que pour ça, il avait toute sa reconnaissance. Mais en plus, il était le fils du chef de la caste des dragonniers. Bref, un individu qu'il lui fallait connaître et après tout, n'était-il pas venu ici pour prendre contact et éviter de se renfermer sur lui-même ?

Oui, je m'en souviens. Je vous remercie pour le message que vous m'avez alors transmis. Nul autre que vous n'aurait pu me faire ce présent.

Il devait bien y avoir d'autres créatures sur Armanda avec ce même totem, mais elles n'étaient pas évidentes à trouver. Et quand bien même en trouverait-il une, voudrait-elle seulement aider un vampire ? Non, c'était ridicule. Le jeune vampire avait été là au bon moment, au bon endroit. Comme quoi, les Esprits n'étaient pas particulièrement ingrats.

Le salut elfique de son interlocuteur fut pour le moins surprenant car il y avait de moins en moins d'elfe transformé en vampire. Sans compter que celui-ci devait autrefois être très attaché au protocole de son peuple pour que son corps s'en souvienne par-delà la mort. Mais Roëric avait entendu dire que c'était le cas de tous les elfes, donc ça ne voulait probablement rien dire de spécial. Quoiqu'il en soit, le guerrier s'en moquait bien. Au bout du compte et malgré les préjugés d'un certain nombre de leurs congénères... chez les vampires seule comptait la force.

Enchanté Eliowir, et je vous en prie, appelez-moi simplement Roëric. Nous ne sommes pas en société, ici.

Si le vampire pouvait comprendre l'importance de la hiérarchie pour que fonctionne correctement le monde, il n'appréciait pas pour autant les simagrées qui allaient avec et essayait de s'en passer autant que faire se peut. Du reste, il avait évidemment un à priori positif sur son interlocuteur et ne souhaitait donc pas le mettre mal à l'aise ou dans une désagréable position de subordination.

L'enfance est... passionnée parmi notre peuple. L'important est que ce ce soit bien terminé.

Le Maître-Lame n'avait aucune envie de se lancer dans des leçons de morales. Déjà par ce que celles-ci n'avaient jamais qu'une effet relatif sur les nourrissons. Ensuite et surtout car il n'aimait pas ça. Le sujet suivant, celui de l'entraînement, était beaucoup plus intéressant. Voilà quelque chose qu'il comprenait. Vouloir maîtriser son corps et son environnement, un but louable.

Vous ne me gênez pas, bien au contraire. Venez donc avec moi, je venais aussi m’entraîner.

Sans se soucier d'avoir une réponse, il prit l'aveugle par l'épaule et le conduisit vers le lieu.

L'entrainement est toujours plus efficace à deux, et je cherchais justement quelqu'un. Vous ferez très bien l'affaire.

Ah ce fameux message. Devait-il lui avouer alors que c'était là son premier ? Qu'il n'avait alors aucune expérience en la matière et avait découvert ce don, ce totem, à cette occasion-là ? Non, songea-t-il aussi rapidement que les questions lui venaient. Non, il tairait cela. Cela resterait entre Achroma et lui. Qu'importait que ce soit là son premier message, son premier passage, et que, peut-être, les mots avaient pu être quelque peu tronqués, tant il avait peiné à comprendre, réaliser, ce qu'il arrivait. Qu'importait... L'essentiel du message avait été transmis et c'était là tout ce qui comptait.

Le jeune vampire se contenta donc d'écouter les mots que l'autre lui offrait, savourant leur musicalité même si ces mots étaient parfois difficiles encore pour lui à comprendre, à en saisir tout le sens et surtout toutes les subtilités. Il manqua de peu de nouveau le saluer quand son aîné lui offrit de l'appeler par son prénom. Chose commune pourtant parmi les vampires, mais qui lui semblait, lointaine sensation qu'il ne parvenait totalement à comprendre, si peu familière. Presque déplacée même. Comme un manque de respect...

Mais le respect, chez les vampires du moins, se situait bien ailleurs. Sur un tout autre plan. Il l'avait bien assez expérimenté pour que cette notion commence à se faire sienne. Appeler le digne dragonnier de son prénom n'enlèverait en rien le respect qu'il pourrait éprouver pour lui. Il acquiesça donc en silence à cette proposition.

Toutefois, quand il entendit l'offre de Roeric de le suivre et, mieux même, de s'entrainer avec lui, le jeune vampire manqua tousser de surprise. Heureusement qu'il ne pouvait plus s'étouffer, il aurait bien manquer de passer définitivement de vie à trépas, tant la surprise, agréable surprise, le submergea. Sans doute cela dut-il se lire sur ses traits soudain figés, comme statufiés, alors qu'il cherchait que répondre, comment réagir. Accepter, cela allait de soi, mais il voulait accepter dignement, à la hauteur d'une telle proposition. Et au lieu de cela, honte à lui, il en restait muet de stupeur. Indigne du noble peuple vampirique qu'il était soudain ! se mortifia-t-il intérieurement.

L'entrainement est toujours plus efficace à deux, et je cherchais justement quelqu'un. Vous ferez très bien l'affaire.

La voix de l'autre l'extirpa de sa soudaine léthargie. Et, toujours mortifié, il dut se racler la gorge, dans une vaine tentative de l'éclaircir, avant de répondre :

- C'est là un insigne honneur que vous m'offrez. J'espère que je m'en montrerais digne, noble dragonnier.

Et se disant, il suivit Roeric en un lieu plus propice à tel exercice, se guidant au mieux au bruit de ses pas et à son odeur particulière au milieu de tous ces humains, tentant de faire fi des regards qui devaient converger sur eux. Arrivés sur les lieux, Eliowir marqua un temps d'arrêt, et, étrangement confus, reprit d'une voix basse :

- Je vous prie d'avance d'excuser mes bien piètres talents de guerrier. Je ne sais, et encore savoir est un grand mot, que la lance manier.

Et se disant, il leva ses armes, les deux lances qui étaient en sa possession, Yajissim qu'on disait être un héritage familial, de son ancienne famille elfique, et cette autre lance qu'on disait légendaire et dont pourtant il ne connaissait plus rien, pas même sa légende qu'on n'avait pas eu le temps de lui conter.

[HJ : petit rp, désolée, en espérant que tu auras de quoi répondre. S'il y a le moindre souci, comme d'habitude, je peux éditer^^]

hrp : pas de soucis =)

Un honneur ? Oui, peut-être. En tout cas c’était toujours agréable à entendre. Comme tout le monde, Roëric était sensible à la flatterie, mais il sentait qu’il ne s’agissait pas vraiment de cela. Le nourrisson pensait ce qu’il disait. Probablement qu’il avait déjà entendu parler de lui, non seulement par Achroma mais aussi par ouï dire. Comment réagir ? Le guerrier ne s’encombrait des manières que quand ses habitudes d’ancien noble humain faisaient un bref retour en catimini. Le reste du temps, il appréciait la simplicité.

Cela étant dit, le verni de la bonne conduite n’était souvent qu’un masque pour cacher sa gêne, sa nervosité, son embarras. Le Maître-Lame le savait d’autant mieux qu’il en avait toujours usé devant les vampires plus vieux que lui. C’était un rempart efficace, puisqu’il vous permettait d’afficher un respect de circonstance tout en conservant un minimum de dignité. Enfin, en l’occurrence il ne servait à rien de tergiverser. C’était à lui de mettre son nouveau compagnon plus à l’aise et pour ce faire, rien de tel que de se taper dessus.

Ils se dirigèrent donc vers un lieu plus propice. Un coin de la salle d’entraînement. Sans être caché (c’eut été déshonorant), Roëric s’était assuré qu’ils ne soient pas non plus la cible de tous les regards. Cela n’empêcherait pas les curieux de les observer, mais éviterait qu’ils se donnent volontairement en spectacle. Il était escrimeur et non montreur d’ours ou cracheur de feu. Eliowiyr le suivit sans problème, ce qui confirma les soupçons du guerrier ; déjà les autres sens du nocturne palliaient à l’absence de la vue. Sommairement certes, mais cela pouvait être travaillé.

Son partenaire lui montra ses lances et Roëric resta un bref instant sans voix. Finalement il répondit, une pointe d’amusement dans la voix.

Je ne suis que médiocre avec une lance, mais je m’y connais en arme. Celles-ci sont magnifiques. Deux ouvrages uniques et sans aucun doute elfiques. La première ne m’évoque rien : il est donc probable qu’elle appartienne à un clan quelconque. Seuls les elfes pourront vous en dire davantage. La seconde en revanche est célèbre, légendaire même. Je ne sais plus le nom exact, mais je me souviens qu’elle est portée par ceux qui cherchent ... Ah, oui ! Absolution. Absolution de l’esprit de la terre, voilà son nom.

Vous étiez sans nul doute un guerrier redoutable. Et un criminel aux yeux des elfes. Fort heureusement, si la tête oublie, le corps se souvient. Quant à vos actes passés, vous n’avez plus à vous en soucier à présent.

Saisissez celle qui vous semble la plus familière. Les habitudes ont la vie dure, même après la transformation.

Passant du coq à l’âne ou estimant que le sujet était clos. Le Maître-Lame alla se saisir d’une lance sur un râtelier puis revint pour se mettre en garde. Après un avertissement, il attaqua d’estoc et les deux vampires passèrent la demi-heure suivante à s’entraîner à la lance. Sans fioriture ni chercher à impressionner la galerie. Il s’agissait surtout de reprendre des marques. Lorsqu’ils firent finalement une pause, le guerrier reprit la parole.

L’art du combat repose sur l’équilibre. L’équilibre du guerrier provient des informations qu’il reçoit. Ces informations sont récoltées par nos sens. Saviez-vous que la vue est le moins fiable des cinq ? Il n’y a aucune exactitude avec elle, seulement de l’interprétation. Voilà pourquoi une partie de mon apprentissage à l’épée s’est faite un bandeau sur les yeux.

Il ne cherchait pas spécialement à enseigner quoique ce soit à Eliowir, d’autant plus que celui-ci savait probablement déjà tout cela. Mais ne s’en souvenait peut-être pas encore. D’autant plus qu’il était facile pour lui de parler, à un moment, on avait fini par lui retirer son bandeau. Mais personne ne rendrait la vue au jeune vampire. Ce n’était donc qu’une discussion.

Eliowir but littéralement les informations que lui donnait Roëric. Pour la première fois, il obtenait un nom pour la lance qu'on lui avait dit légendaire. Un nom et un semblant d'histoire. Une arme de criminels ? De.... criminels en voie, ou ayant désir, de rédemption ? Serait-ce là toute la signification de cette étrange lame qui lui conférait par ailleurs une maitrise étrange qu'il ne sentait pas sans elle ?

La gratitude, que déjà il avait ressentie envers le dragonnier à son intervention et invitation, s'amplifia sans commune mesure à chacun de ses mots, à chacune de ses révélations.

Mais il n'eut le temps de répliquer, que l'autre lui donnait déjà des instructions. Choisir celle qui lui semblait le plus familière ? Difficile de choisir... Devait-il prendre celle, plus courte, plus fine, qui semblait lui avoir appartenu depuis toujours et dont sa main semblait si bien se souvenir ? Ou devait-il prendre justement Absolution, qui, quand il l'avait en main, semblait lui donner une maitrise de la lance qu'il n'avait pas d'ordinaire ? Dur dilemme... Qu'il résolut en choisissant de ne se fier qu'à ses propres capacités. C'était là meilleur moyen pour s'améliorer qui plus est, n'est-il pas ? Et se pensant, il posa donc Absolution avec précautions contre un mur, dans un angle où il saurait pouvoir aisément la retrouver et où personne ne pourrait la dérober sans qu'il ne s'en aperçoive.

- Je prendrai, ce qui est un héritage familiale, à ce qu'on m'a révélé. Yaajissim de son nom, une lance fidèle qui, déjà durant cette vile aube rouge, m'a sauvé.

Et déjà il se mettait en garde. Il tenta tant bien que mal de répondre aux attaques de l'autre mais, il devait bien l'avouer, cet autre semblait bien meilleur guerrier que lui. Et dire qu'il prétendait ne pas bien maitriser la lance ! Que dire alors d'Eliowir qui pour l'instant ne parvenait qu'à répondre et se défendre mais pas à attaquer lui-même...

L’art du combat repose sur l’équilibre. L’équilibre du guerrier provient des informations qu’il reçoit. Ces informations sont récoltées par nos sens. Saviez-vous que la vue est le moins fiable des cinq ? Il n’y a aucune exactitude avec elle, seulement de l’interprétation. Voilà pourquoi une partie de mon apprentissage à l’épée s’est faite un bandeau sur les yeux.

Le jeune vampire était tout ouïe. Tout ouïe et tout interdit. Un apprentissage avec un bandeau sur les yeux ? A... oui, disons-le, à l'aveugle ? Voilà qui l'intriguait, l'interpelait, et... le rassurait. C'était donc bel et bien possible d'apprendre à combattre et à devenir un digne guerrier, même dans sa piètre condition d'handicapé ?

- Je ne le savais pas, je dois bien l'avouer, confessa-t-il d'une voix grave et basse, aux accents un peu contrit.

Ou peut-être l'avait-il su mais l'avait oublié ? Fort probable même.

- Vos propos m'intéressent au plus haut point toutefois. Serait-il donc possible de réellement combattre, même avec un sens aux abois ?

Il aurait bien demandé au dragonnier de retenter l'expérience, de se bander les yeux pour être à égalité avec l'aveugle qu'il était... juste pour voir. Juste pour... Mais il chassa bien vite cette idée, aux consonances bien trop mesquines et enfantines. Sans compter, que le respect qu'il ressentait envers l'autre vampire lui interdisait de s'y risquer.

- Quel enseignement de cette expérience avez-vous pu alors tirer ?

Et quel serait donc celui que je pourrais, à mon tour, apprendre de vous, compléta-t-il en son for intérieur. Réellement intéressé par la réponse, et par ce qui allait en découler. Oui, il voulait réellement apprendre, et il semblait là, par un étrange jeu du destin, avoir rencontré quelqu'un ayant suffisamment d'expérience en la matière, en matière de combat mais surtout de combat à l'aveugle, pour lui apprendre justement. Curieux destin oui...

Mais pour une fois, il ne lui cracherait pas dessus.

Qu'avait donc à lui révéler le vampire en face de lui ? Quelle... astuce... Quel savoir.... Ô oui, savoir, doux mot que celui-là. Cette étrange Soif qui déjà de nouveau le happait, plus même que celle du sang. Soif de savoir, soif de souvenir... C'était là ces soifs à lui, jeune vampire.

Qu'allait donc lui révéler son maitre d'armes du moment ? Se fier à ses autres sens, certes, il le savait. N'était-ce pas déjà ce qu'il faisait, par la force des choses ? L'ouïe, l'odorat surtout. Mais encore ? Y'avait-il d'autres choses ? D'autres... ? D'autres quoi ?

Et l'avidité qui soudain le rongeait devait se lire sur ses traits ingrats tout couturés. La lance déjà relevée, en position de défense, prête à recevoir sa consoeur pour un nouveau mariage, il attendait.

Jusqu'à ce qu'une petite voix, mesquine, moqueuse, lui souffle qu'un vampire n'attendait pas. Un vampire ne se défendait pas. Un vampire attaquait. Un vampire chassait...

Et à ce mot, il se rua sur l'autre vampire, lance levée pour un coup d'estoc, et presque tout croc dehors.

Le vampire haussa simplement les épaules devant la confession de son partenaire d'entraînement. Il n'y avait aucune honte à ne pas savoir, lorsqu'on se trouvait dans une telle situation. C'était même tout ce qu'il y avait de plus naturel. Ils étaient tous passés par là. Beaucoup des membres de leur race pensait que la survie était la clef. Ce n'était pas l'avis de Roëric Alokor. Certes, c'était important, primordial même, mais à quelle fin ? Sans but, vivre n'avait aucun intérêt. Voilà pourquoi il était extrêmement important de reconstruire son identité. C'était le chemin vers le but, vers la raison d'être propre à toute créature un tant soit peu intelligente du continent.

Toutes les autres valaient moins que des animaux. Même eux étaient conscients de leur identité et recherchaient quelque chose de plus que la simple survie. Il ne s'agissait rien de moins que de créer des liens avec les autres, de chérir ses liens et de les protéger, puis de chercher à les perpétuer par la reproduction. Mais il s'égarait un peu.

Les questions d'Eliowir étaient tout à fait légitimes. Mais le Maître-Lame hésitait sur la conduite à tenir. Ce vampire n'était pas son élève. Quand bien même lui aurait-il demandé qu'il n'aurait su quoi répondre. Il avait eu des élèves, et la plupart était morts. Certains parce qu'ils étaient trop faibles ; et que la vie était aussi cruelle qu'impitoyable avec les faibles. D'autres comme Havard...

Mais il ne devait pas penser au nordique. C'était pour cela, en partie, qu'il était là. Pour penser à autre chose et peut-être, ô espoir fou, pour passer à autre chose. Et pourtant, il était une fois de plus de retour dans rôle de prédilection. Cherchant à enseigner comment tuer à des gens qui tôt ou tard se ferait tuer. Quelle ironie. Mais la vie n'était qu'ironie et humour noir. Voilà pourquoi les vétérans, qui en avaient vu le vrai visage, versaient souvent dans ce genre de plaisanterie.

Intéressant. C'était très intéressant que d'observer le processus sur quelqu'un d'autre. Le masque de civilisation cédant, comme s'il n'avait jamais existé, pour faire place à la folie et à la monstruosité. C'était fréquent chez les nouveau-nés. Mais cela ne disparaissait pas avec le temps. C'était simplement sous contrôle (relatif), rien de plus. Roëric était bien placé pour le savoir.

Le monstre de jeta sur lui, lance à la main. Terrifiante vision que celle d'un prédateur se jetant sans vergogne sur sa proie. Il para le coup, mais il n'avait jamais été très doué avec ce genre d'arme, médiocre tout au plus. En revanche, son partenaire était un virtuose et son instinct parlait sans hésitation. Sans même vraiment comprendre comment, il se retrouva dos au sol, sa lance comme toute barrière contre l'attaque d'Eliowir. Les muscles bandés, il attendait simplement qu'il reprenne un peu ses esprits. Entre deux souffles, il répondit.

Pour répondre à votre question, oui, c'est possible. Comme vous venez de le démontrer.

Le Maître-Lame allait se faire trucider par un nouveau-né aveugle, c'était vraiment hilarant.

J'ai appris que la peur doit être contrôlée pour être utile. Sinon, c'est un fléau pour nous, et pour les autres. A l'inverse, être dénuée de peur n'est pas un avantage, mais juste un moyen rapide de se faire tuer.

En cet instant, alors qu'il se ruait sur sa proie, il n'était plus qu'instincts rugissant. En cet instant, nul maître, nul enseignant, juste une cible à attaquer. Une proie à maitriser. Une proie qu'il ne s'était pas attendu à mettre si tôt à bas. Alors qu'il la percutait farouchement, sa lance toutefois savamment déviée, ils tombèrent tous deux à terre, le jeune corbeau au dessus de son appât, tout crocs et griffes dehors prêt à repasser à l'attaque s'il le fallait.

Mais, même s'il dominait sa proie de tout son poids, l'autre ne se laissait pas faire si facilement. Le crissement de leurs deux lances se frottant l'une contre l'autre, lui faisant barrage, lui hérissa l'ouïe et le fit grogner plus encore. Pour un peu il se prenait pour un vieux félin sorti des oubliettes de son passé... Ce fut la voix de l'autre qui le fit revenir à la réalité.

Pour répondre à votre question, oui, c'est possible. Comme vous venez de le démontrer.

Le faisant revenir à la raison. Et le statufiant par la même occasion.

Par le Dracos, qu'avait-il menacé de faire ? S'entrainer, cela était une chose, mais... mais... ça... presque combattre comme une bête sauvage, certes qu'il était en partie au fond de lui... mais... quand même...

Eliowir se sentait choqué soudain de ce qu'il avait fait. De ce qu'il avait failli faire, voulu faire, de ce qu'il aurait pu faire. Choqué, profondément perturbé et fort honteux de sa perte de maitrise. D'avoir laissé parler instincts purs et fauve vampirique en lui. Oui, fauve, fauve... voilà tout ce qu'il était au fond de lui. Un fauve qui était tapi dans son coeur mort, dans son âme noire, un fauve bestial, sauvage, sanguinaire, qui n'attendait qu'une faille de son esprit pour se glisser en lui, prendre possession de lui, de sa raison, et qui n'attendait qu'une occasion pour chanter sa funèbre oraison. Oui fauve sanguinaire, voilà tout ce qu'il était. Et à cette funeste réalisation, il s'en trouvait choqué.

J'ai appris que la peur doit être contrôlée pour être utile. Sinon, c'est un fléau pour nous, et pour les autres. A l'inverse, être dénuée de peur n'est pas un avantage, mais juste un moyen rapide de se faire tuer.

La voix le happa toutefois de nouveau, le forçant à réintégrer le temps présent. Il s'était heureusement stoppé dans son geste, dans son action, mais n'avait pas bougé de sur son entraineur du moment.

Se sentant soudain mortifié, ne réalisant pas encore complètement ce qui lui était dit, il se força à reprendre possession de lui. Bougea un peu, pour finalement parvenir à s'extirper de leurs membres, décrochant leurs lances enlacées, et se relevant souplement. A peine sur ses pieds, il essuya d'un revers de main ses habits, en un geste futile et inutile pour masquer sa gêne, plus que pour réellement chasser la poussière qui pouvait les maculer.

- La peur, répéta-t-il en un murmure, les mots prenant enfin, peu à peu, sens pour lui.

Ces mots dits en langue commune qu'il peinait encore parfois à totalement comprendre.

- Vile peur. Effectivement souvent je l'ai sentie sur le champs de combat. Comme une pulsation étrange, envoûtante, qui me guidait, tel un coeur qui bat...

Car effectivement durant cette funeste aube rouge, au coeur des combats, lui, lancier aveugle jeté dans la sanglante mêlée, n'avait dû sa survie qu'à ses autres sens aiguisés... et son odorat de prédateur qui avait su sentir cette peur, l'appréhender... s'en servir et s'en guider.

- Il me faut apprendre cela, murmura-t-il encore. La sentir, l'appréhender, la controler, la faire mienne et la maitriser... que la peur fasse battre mon coeur mort et que force elle m'insuffle encore et encore. Oui, et qu'elle guide mes pas...

Puis la honte le submergeant de ses féroces lames de fond, aussi bien pour sa perte de controle que pour ses pensées prononcées ainsi tout haut, il se retourna vers le dragonnier, lui accordant toute son attention, et tendit une main un peu tremblante vers celui qui devait être encore à terre. Du moins le présumait-il, puisqu'il n'avait entendu aucun bruit lui signifiant qu'il s'était relevé.

Mais peut-être, dans sa confusion n'avait-il rien entendu, tout ouïe qu'il était pour les élucubrations de ses propres états d'esprit. Voilà bien déjà quelque chose qu'on lui avait souvent reproché : se perdre dans ses pensées... oublier le monde alentour...

- Apprenez moi, dragonnier, reprit-il d'une voix un peu rauque. Apprenez moi tout ce que vous savez.

Et dans sa voix vibrait une sombre soif qui l'agitait. Savoir, connaissance, apprendre... tous ces mots qui le berçaient, dont il se gorgeait et qui lui inspiraient une faim si intense... presque plus intense que cette soif du sang. Presque...