Début juillet.

Norwen était dans une salle qui autrefois lui servait de bureau, planifiant sur un bureau en bois la bataille à venir, s'aidant de petites figurines représentant soit les rebelles soit les alayens. Les cartes représentant différents lieux de l'empire, de la ville ou bien des galeries d'Aigue. Mais aujourd'hui, ils n'étaient pas sur le bureau. Au sol, certains étaient brisés, d'autres s'enfonçaient sans le sol terreux. Les cartes étaient déchirées, en lambeaux éparpillées. Oui, le bureau qui autrefois était en ordre était maintenant mis à sac, détruit et ressemblait à un amas de bois. Norwen cherchait ce qui pouvait encore servir, être utile. A qui, elle se le demandait bien. Pouvait-on encore parler de rébellion et d'alliance au lendemain d'une telle débâcle. Oh oui l'esprit supérieur avait lâché son soutien auprès des alayens, ce qui les avait sûrement sauvé, mais pour mieux lâcher des tentacules mortifères. Avaient-ils gagné au change ? Le lieu restait imbibé de cette ambiance de mort, alors pourraient-ils rester là à lutter contre quoi ? Les alayens étaient en fuite, les humains toujours divisés et les vampires aussi. Du moins ce traître de dragonnier du conseil les avait divisé. Que Néant l'emporte ! Avec ses perles.

Lui et sa fausse bonne morale. Son ancienneté qui lui donnait cette importance, sa dragonne, son arrogance, que tout ceci l'étouffe. Que croyait-il ? Pouvoir unir le peuple vampirique ? Il venait de le briser. Norwen le regardait quitter la pièce où il venait encore une fois de lui insuffler cette suffisance dont il baignait. Durant quelques minutes, le conteur était là à lui dire quoi faire, à elle, générale de l'empire des vampire. La bras droit de son prince. Comme si elle était un simple soldat, une moins que rien. Quand il quitta la pièce de dos en lui ordonnant de se tenir tranquille, Norwen sentit son sang bouillir en elle. Paradoxal pour une vampire au sang froid. D'un bond félin, tout crocs dehors, la générale vampirique sauta sur la nuque de l'ancien puis planter ses crocs acérés de haine dans le cou et déchiqueter par la surprise son ancien bourreau. Il eut à peine le temps de lever les bras que déjà la vampire rebondissait sur lui pour le croquer de nouveau de l'autre côté de la gorge, laissant échapper un long flot de sang noir. Diminué, elle n'avait qu'un instant pour finir ce qu'elle avait commencé, avant que la régénération de leur corps lui donne l’avantage de la surprise. Norwen attrapa un des bout de bois d'une ancienne armoire pour le planter dans le corps longiligne du dragonnier. Qu'il trépasse lui et son lézard. Ramassant au sol une arme laissait là par un soldat humain, elle asséna un dernier coup en décapitant le traître. Le bruit de la porte se refermant sur elle, Norwen reprit ses esprits et resta seule dans la pièce avec ses envies.

Quelques instants plus tard, la générale vampirique sortit de la pièce, l'esprit un peu moins enclin à sauter sur le premier venue. Elle ne ferait pas l'erreur de donner satisfaction à son bourreau. Elle se devait d'ouvrir les yeux, les oreilles afin de saisir la moindre informations pour son prince quand elle sortira de ce guêpier.

Mais avant toute chose, Norwen devait voir quels vampires avaient trahis leur cause, leur prince, pour mieux par la suite leur faire payer cette souillure. Et en parlant de souillure, la vampire croisa, en se dirigeant vers, la galerie des blessés, celui qui avait cherché à se jouer d'elle et de ses charmes. Mais il était différents. Le cœur ne battait plus, il avait une odeur différente...

« -Tu n'étais pas obligé de devenir un vampire pour mieux les comprendre. Nous ne t'en demandions pas tant. Mais quelle dévotion aux savoirs ! »

Norwen s'avança vers le vampire qui lui faisait face, dans cette galerie dont le sol était encore imprégné de sang. Le regard plongé dans celui du nouveau-né, la vampire continua.

[b]« -Mais vous tombez mal pour pouvoir avoir l'honneur de chasser avec notre prince. Il a pris congé. »

Il était vampire, il était censé être doté d'une force et d'une puissance particulière, son corps était censé cicatriser rapidement et conserver toute son intégrité en tout temps ou presque... et pourtant. Et pourtant, après cette bataille, il n'en était pas sorti si indemne que cela. Sans doute devait-il s'estimer heureux de s'en être tiré à si bon compte, comme on le lui avait déjà si souvent répété ces derniers jours. D'autant plus pour un jeune vampire tout juste nouveau né avant la bataille, et plus encore pour un vampire aveugle... Après tout, il était toujours de ce monde, il n'avait toujours pas rejoint les limbes de Néant ni le digne Esprit Mort. Mais il ne se sentait toujours pas totalement lui-même.

Enfin, disons plutôt qu'il n'avait pas l'impression d'avoir regagné pleinement toutes ses forces d'avant la bataille. Quant à être lui-même... Il peinait encore à appréhender qui il était exactement, qui il était au plus profond de lui... Pour être lui-même, encore fallait-il qu'il sache qui il était justement. Et cette soif de savoir, de comprendre, cette soif de se souvenir, de se remémorer ce qu'il avait été et était maintenant, son passé et son présent, était une soif presque aussi intangible que sa soif de sang et de vie. Oui il avait soif, encore et toujours, affamé plus que jamais, faim de tout, une faim sans fin...

Et il devait avouer se sentir perdu aussi. Oui, perdu... ne pas savoir qui il était, mais ne pas comprendre, pas totalement, ce monde qui l'entourait. Ne pas parvenir à comprendre tous ces changements, tous ces revirements, ne pas parvenir à saisir toutes les subtilités qui semblaient se jouer autour de lui... et qui gravitaient avec ardeur autour de son millénaire... Il aurait tant voulu pouvoir soutenir son Père, aider son Amant, être pour lui une épaule forte et puissante sur laquelle s'appuyer, un esprit inébranlable qui puisse l'aider à trouver solutions et idées... mais non, il n'était rien de tout cela. Et il s'en désespérait. Il devait pour l'instant se contenter de ne pas gêner, de pas ridiculiser son Père, de s'en montrer digne en tentant d'assimiler tout ce qu'il lui enseignait. Se montrer digne, fier, garder la tête haute malgré son handicap, ne pas baisser les yeux quand bien même ils ne voyaient pas, garder le dos droit en noble vampire quand parfois il aurait voulu s'enterrer dix mètres sous terre et se fondre dans les ombres obscures... Il devait pour l'instant se contenter de ne pas faire de faux pas, d'écouter et apprendre, de se montrer digne de ces enseignements... et c'était déjà beaucoup pour lui.

Oui, beaucoup, songea-t-il alors que soif le taraudait déjà. Beaucoup de ne pas céder à la tentation de la soif, de la faim, et de tenter de juguler cette vorace compagne qui sans cesse se rappelait à lui. Oui, beaucoup... Mais il ferait tout pour parvenir à contenter les exigences de son maître et amant.

Il en était là de ses pensées agitées, revenant de la galerie des blessés alors qu'il recherchait le baptistrel qui l'avait soigné juste après les combats, en vain à son grand désespoir, quand des pas, feutrés, à peine audible pour le commun des mortels, attira son attention droit devant lui. Il fut tenté un instant de rebrousser chemin, ou de se caler sur le côté pour laisser passer ce qui était, à ses sens aiguisés, un autre vampire. Son instinct lui dictait de se fondre dans les ombres, de disparaitre aux yeux de son paire... mais sa fierté et surtout sa volonté de se montrer à la hauteur de son père l'empêcha de céder à cette vile tentation. Il préféra toutefois arrêter ses pas alors que l'autre arrivait inexorablement à sa hauteur. Inutile de se ridiculiser en montrant une quelconque maladresse bien malvenue.

Et se pensant, il s'empressa d'ôter la main avec laquelle il se guidait du mur rocailleux.

« -Tu n'étais pas obligé de devenir un vampire pour mieux les comprendre. Nous ne t'en demandions pas tant. Mais quelle dévotion aux savoirs ! »

Bon, apparemment vampiresse et non vampire. Une vampiresse qui l'avait connu. Une vampiresse qui semblait guère l'apprécier s'il en jugeait au ton venimeux avec lequel elle s'adressait à lui. Une vampiresse qui venait de lui donner quelques précieuses informations au passage : il avait voulu dans son passé comprendre les vampires ? Oui, sans doute ceci expliquait cela, entre autres son rapprochement avec un certain millénaire au point de...

« -Mais vous tombez mal pour pouvoir avoir l'honneur de chasser avec notre prince. Il a pris congé. »

Chasser avec le Prince des vampires ? Que lui chantait-elle là encore ? Qu'est-ce qu'elle insinuait ? Etait-ce un code ? une blague faite aux nouveaux-nés ? un rituel accordé réellement par le prince aux nouveaux vampires ? Ou... ? Rha qu'il détestait ne pas comprendre. Et pourquoi lui fallait-elle parler en langue commune ? Il détestait cette langue barbare et inculte, si âpre au parler et si dure à comprendre...

- Je suis toujours disposé à apprendre, commença-t-il à répondre d'une voix un peu rauque. Même si vos paroles je peine à totalement comprendre.

Réalisant qu'il devait encore avoir le regard dans le vague, comme on le lui avait déjà maintes fois fait remarquer, lui indiquant que son regard d'aveugle était alors pour beaucoup des plus gênants, il tenta, comme Achroma le lui avait conseillé et tenté d'apprendre, de focaliser son regard sur la vampiresse. Focaliser vers l'origine du son. Diriger son regard vide vers la provenance des paroles. Puis remonter un petit peu vers le haut de la hauteur d'une paume à peine.

Espérant parvenir ainsi à confondre son interlocutrice et à éviter qu'elle ne s'avise de son infirmité, mot honni qu'il détestait, il poursuivit, de ses accents trainant sur les mots comme pour mieux les savourer, mais pour mieux se donner le temps de les retrouver :

- Quant au Prince...

Il cracha presque ce mot, se rappelant toujours amèrement le moment où ce dernier avait trahi la rébellion et ce moment où lui-même avait manqué de peu de rejoindre Néant.

- Qu'il nous ait si rapidement quitté est à déplorer. Moi qui me faisais une joie de faire sa connaissance. Mais peut-être pourriez-vous pallier pour moi à son absence, vous qui semblez avoir été avec lui si liée ?

Il fit alors un pas, juste un petit pas, vers la vampiresse, redressant fièrement le menton, le port altier, une moue d'arrogance accroché à ses traits sombrement dessinés sans même qu'il n'en ait conscience, et laissa son instinct s'amuser à frétiller en cette féminine présence.

- Moi qui n'aie appris qu'en pleine bataille à chasser, je déplore de ne pas avoir pu savourer ce noble art. Il me tarde de pouvoir enfin à ce plaisir goûter. Ce pourrait être l'occasion de partager aussi d'autres savoirs, ronronna-t-il presque, s'enhardissant à s'avancer d'un autre pas, se focalisant toujours vers l'endroit où il avait entendu la voix.

La jeune femme était curieuse. Pourquoi ? Pourquoi donner la vie à un tel vampire ? Vieil elfe déchu, arrogant et imbuvable, alors pourquoi ? S'en servir comme dîner, oui, en le laissant là au sol. Mais lui redonner vie. Il y avait vraiment des frappées du ciboulot et des ramollis du bulbe. Peut être qu'un alayen avait frappé trop fort sur le crâne de ce pauvre fou.

« -L'avantage ou le désavantage des joies de devenir vampire. Chacun a sa façon de voir les choses. Je pense que pour toi, c'est un avantage, et un bel. Celui qui a planté ses crocs dans ta chaire et fait couler son venin en toi est un vampire avisé. Ou bien un fou quand on voit ce que tu étais elfe. »

Quoique avantage, pas forcément. En même temps, il était si bas dans l'échelle sociale de son ancien peuple, l'était de nouveau ici, cela ne serait pas jouissif et joyeux à chaque instant.

« -Il vaut mieux pour toi, jeune vampire aux crocs de lait ou pas, que la rencontre tarde. Au vu de tes précédentes rencontres. Mais je vois qu'au moins, le venin n'a pas entaché ton arrogance. Quel aubaine, ta vie de vampire ne dura pas tout autant que celle de vampire de la sorte. Partager des savoirs ? Rooo vous étiez un peu plus vif d'esprit quand tu étais elfe. Ne me fait pas croire que le venin a endormi aussi ce qui te sert de cervelle. Quoique, vous ne compreniez guère les rouages et le fonctionnement vampirique. Maintenant, je n'aurai aucun scrupule à le faire. »

Du moins dès qu'elle aurait l’occasion de le faire. Et là elle savourerait de le voir plier face à la dure réalité de la vie de vampire.

« -Mais j'attends de voir ce que vous valez en chasse, mais nous le verrons pas, car si vous êtes là, vous êtes sous la coupe du traître, la chasse est réglementée aux prisonniers alayens, captifs, même pas un petit humain à courser dans les galeries. »

La générale lui fit une fausse moue désolée. Un vampire en cage, il n'y avait rien de pire. Mais un vampire qui se contient. Avec un peu d'espoir, il craquerait, une effluve trop forte, un entêtement trop puissant pour qu'il puisse se retenir et hop un pauvre humain passant par là qui empatît. Norwen aimerait tant voir se moment arriver. L'alliance en prendrait un coup et elle serait au premier plant pour admirer ce funeste spectacle. Quelle douce délectation !!

« -Ça en devient presque pénible, car c'est là le luxe d'être vampire. Un des besoins les plus grisant et agréable. Mais hélas vous en naissant à et maintenant, vous ne serez qu'un vampire domestiqué. Vous auriez mieux fait de mourir en elfe. Même en elfe bannit et honnit des siens, en paria. »

Devenir un vampire !! Quelle aberration !! Quel abruti avait put le rendre immortel. Il était déjà pénible et horripilant en tant qu'elfe. Mais en tant que vampire, la vie devant lui, il serait encore plus prétentieux. Et avec des vampires de pacotilles autour de lui, il ne deviendra pas mieux qu'eux. On voyait déjà pour qui allait son allégeance de jeune vampire. Déjà formater. Comme un gentil petit chien de compagnie. Devait-elle le plaindre ?

« -Que de revenir en vampire. Vous avez oublié, vos souvenirs, votre vie, ses faits, mais pas ceux que vous avez bafoué. Et croyez le bien, beaucoup ne prendront pas votre état comme compassion. Non, bien loin de là, ça facilitera même parfois grandement les choses. »

Et une fois qu'elle le pourrait, Norwen ne se gênerait pas pour faire ravaler à ce vampire, elfe ou qui qu'il soit son insuffisance et son arrogance. Rooo oui, la générale lui planterait en douceur sa dague dans son flanc et se délecterait d'entendre sa chair se déchirer, de sentir son sang se répandre sur sa tunique. Quel spectacle délicieux !! Norwen attendrait et chérirait se jour à venir.

S'il n'appréciait pas réellement les paroles venimeuses de la vampiresse, il devait avouer qu'elles avaient au moins le mérite de lui apporter d'importantes et cruciales informations. Des bribes de passé. Des influx de souvenirs. Des influx qui pulsaient à chacun de ces mots, des influx auxquels il tentait de se raccrocher, de se rattacher, des influx qu'il tentait d'alpaguer dans son esprit avant qu'ils ne s'envolent dans les limbes de sa mémoire effacée... Il semblait soudain emporté sous la houle de ces souvenirs qui le noyaient dans leurs écumes tourmentées et se trouvait soudain partagé entre la volonté d'y plonger corps et âmes pour les retrouver et faire un avec eux, et la volonté d'y résister, de ne pas s'y laisser submergé.

Il lui semble apercevoir un visage, un visage portant une marque noire, des oreilles pointues, des canines acérées, un maintien de roi... Il lui semble apercevoir la même vampiresse, dans un bain de sang... Il lui semble apercevoir sa propre image giflant le visage marqué... Il lui semble apercevoir la vampiresse se gaussant... il lui semble s'apercevoir à genou les mains ensanglantée... Il lui semble... les images se succédèrent ainsi à une vitesse si effrénée, qu'il en eut le vertige. Et qu'une douleur torrentielle lui vrilla le crâne, l'obligeant à porter un court instant sa main à sa tempe, comme pour tenter de saisir ce mal nouveau et de l'en extraire. En vain.

Tout à ses souvenirs affluant tel un fleuve déchainé, un fleuve trop flou pour qu'il parvienne à en observer les remous attentivement, un fleuve trop agité pour qu'il puisse y plonger sans risque, il en avait à moitié écouté ce que la vampiresse lui avait dit par la suite. Ce ne fut que les mots elfes, banni, paria, qui le ramenèrent un tant soit peu à la réalité de l'instant. Il avait beau le savoir, on avait beau lui avoir révélé ces faits de son passé, il était toujours intrigué par ces mots-là. Qu'avait-il donc pu faire de si répréhensible en tant qu'elfes pour que ce peuple de lumière le bannisse ? Infanticide, l'appelait-on. Tueur d'enfants. Avait-il donc tué des enfants ? Et quel enfant alors ? Quelle importance cruciale avait-ce donc ? Quel crime épouvantable cela pouvait-il représenter ? Tant de notions si... si... abstraites. Si floues. Si confuses.

- Êtes-vous de ceux que j'ai bafoués ? S'enquit-il brusquement, saisissant ce mot-là entre tous.

Sans même savoir pourquoi il posait soudain une telle question. S'étonnant lui-même de s'enquérir de cela, plus que de toute autre chose. Non pas pourtant qu'il s'en inquiétait... mais il voulait savoir. Peut-être pour savoir qui parmi ceux présents serait ses ennemis ou ses alliés. Sa rencontre avec un certain général en plein combat l'avait sans doute quelque peu échaudé aussi... Mieux valait savoir à qui il avait affaire, et les relations qui avaient pu être entre eux avant d'affronter un potentiel ancien ennemi. Au venin qu'elle lui offrait, en tout cas, il pouvait déjà subodorer qu'elle ne le portait pas dans son estime, à défaut de pouvoir le porter dans son coeur elle qui n'en avait pas.

- En quoi vous ai-je dans le passé offusqué ?

Et il ne put réfréner le réel intérêt dans les accents chantants de sa voix. Oui, cela, il voulait le savoir. Oui, cela, il voulait le retrouver. Car cela faisait partie de son passé, de son ancien moi... et cela pourrait lui ouvrir les yeux sur l'attitude de certains vampires à son égard. Dont cette vampiresse-là.

- Je me rappelle...

Sa voix se fit un léger murmure, tandis qu'il tentait de ressaisir les images voletant en lui...

- Je me rappelle, oui vaguement... vous et moi... du sang... dans une galerie comme celle-ci.

Ses accents semblèrent soudain lointain tandis que son esprit voguait au loin, attrapant peu à peu les images se reflétant sur le miroir troublé de la surface du fleuve agité.

- Vous et moi... un cadavre à vos pieds... mes mains ensanglantées... des mots emplis de mépris...

Et se disant, il avança une main vers le visage de la vampiresse. Avant même que celle-ci ait pu réagir, il la posait sur sa joue et en caressa doucement, presque avec révérence, la peau délicate, en retraçant rapidement les traits comme pour mieux les rappeler dans son esprit en une image, un visage, un miroir...

Un rire glaciale fendit les parois lisses et froides de la galerie. Comme si les élucubrations anciennes de cet elfe, vampire, qu'importe pouvait avoir eu de l'importance à ses yeux. Non, il avait failli mourir sous ses crocs si son prince ne l'avait pas stoppé à temps. Il s'était certes joué d'elle, mais elle aurait joué encore plus fort, donc au final... justice aurait été rendue.

« -Bafouée ? Irai-je jusque là... Peut être ou pas, si je m'étais senti bafouée cela signifierait que tes actes et paroles ont eut une incidence pour moi. Alors qu'il n'en est rien. Tu n'étais rien en tant qu'elfe, tu n'es guère plus avec des crocs. »

Que se soit dit.

« -Eh bien ce sera à toi de retrouver cette part de votre passé, et tu comprendras bien vite de toute façon. Le naturel revient toujours bien vite au galop. »

Et pour preuve ! Quelques instants plus tard, le vampire retrouva des bribes de souvenirs, de leurs souvenirs communs. Une chance, pour lui peut être, pour la générale vampirique s'en moquait bien.

« -Eh bien ! Vous voyez cela te revient. Je suis flattée de t'avoir tant marqué. En effet, nous nous sommes rencontrés dans une galerie semblable. Et oui, le sang coulait à nos pieds et sur tes mains, car tu avais eu la grande délicatesse de rejoindre le sol et tomber à mes pieds. De te couvrir de ridicule, avant de te parer d'un manteau d'arrogance. »

La vampire continua, vu qu'il voulait connaître le pourquoi de ces bribes d'images qui lui revenait en mémoire.

« -Déjà devenir vampire devait t'intéresser, car non sans avoir ensuite offusquer une vampire, vous avez continuer en le faisant avec notre prince. La mort devait rôder autour de vous. Cela ne pouvait être autrement au vu de votre façon de t'adresser à vos supérieurs. Si j'avais su que tel était ton désir, j'aurai planté mes crocs avec délicatesse pour répondre à cette demande ardente que j'avais percé en toi. Mais tu semblais bien plus intéresser par m'humilier, du moins tenter à ronronner et me faire ronronner en oubliant une réalité inévitable. On ne joue pas impunément avec un vampire.»

Et encore moins avec elle, mais pour l'heure Norwen ne satisferait pas cette douce vengeance. Elle n'en n'avait nullement les moyens, mais quand elle le pourrait il serait dans les premiers à subir son courroux.

« -Mais allez-y raconter moi comment tu es devenu un nouveau né ? Qui a eu pitié de toi et ta condition d'elfe bannit ? Pour faire de toi un vampire aussi jeune, vierge de tout souvenirs, alors que tu étais un vieil elfe à l'aube de ta mort. J'aime ce paradoxe ! Jeune vampire au corps déjà vieillit par le temps. »

Traits figés à un âge avancé chez les elfes, même si la vie semblait avoir été bien difficile avec lui, il restait d'un certains points de vue bien plus jeune que certains, mais son corps devait avoir quelques part garder ses anciens souvenirs et il se rappellerait à son bon souvenir.

« -Je suis curieuse de savoir qui a voulu se jouer de toi de la sorte en s'essayant à une nouvelle étude sur le venin vampirique et ses effets sur la vieillesse. Cela fait des années qu'un elfe n'est pas devenu vampire. Trop vieux, pas utile pour les nôtres maintenant. Un autre temps. »

Il fut un temps, bien plus lointains, un elfe transformé était jeune, fort, dans la force de l'âge, mais leur immunité avait enlevé cet attrait qu'ils avaient pu avoir. Leur puissance, force, mais leur sens du maniement des armes, souvent plus fins et réfléchit que les humains. Norwen aurait transformé bien plus d'oreilles longues sans cette immunité. Mais maintenant, que leur sang avait trouvé une façon de vaincre ce léger soucis... Tout comme les humains. Oui, Norwen devait sortir et réorganiser une nouvelle armée.

Bon, peut-être ne l'avait-il pas "bafouée", mais il devinait toutefois à ses mots qu'elle ne l'avait pas portée dans son coeur et ne l'y portait toujours pas. Pas que cela le touche d'une quelconque manière, mais c'était là une sonnette d'alarme pour lui : attention potentielle ennemie, méfiance, restons sur nos gardes et ne lui tournons pas le dos.

Il était d'ailleurs plus perturbé par l'alternance du vous au tu qu'elle lui offrait, plutôt que par les bribes de révélations qu'elle daignait lui offrir. Et les bribes de souvenirs qui daignaient faire, laborieusement, surface. Des bribes qui d'ailleurs voguaient bien trop vite dans son esprit pour qu'il parvienne à les attraper et à les garder, les observer, les étudier... les comprendre. Se comprendre en un sens. Qui était-il, qui était-elle, qui étaient-ils dans le passé l'un pour l'autre ? Tant de questions, et si peu de réponses...

Quant à sa transformation... Si elle savait ! Oui, de ce qu'Achroma lui avait révélé, il avait subi cette transformation de son plein gré. Il ne l'avait pas forcément demandé ni requise, elle s'était imposée par la force des choses, un millénaire en danger à sauver. Mais il aurait peut-être pu s'esquiver, se dérober, se débattre... et visiblement il ne l'avait pas fait. Avait-il désiré devenir vampire ? Il n'aurait su dire, mais en tout cas il n'avait pas désiré ne pas le devenir...

- Oui, un paradoxe je semble être. Elfe, vampire, deux pans d'un être, répondit-il en un souffle, la laissant toutefois continuer de verser tout son fiel.

Trop vieux, disait-elle ? Pas utile pour les vampires ? Vraiment ? Le croyait-elle réellement ou cherchait-elle simplement à l'injurier ? Mais qu'importait au final ce qu'elle pouvait bien penser, il savait, l'ayant suffisamment entendu chuchoté, que les vampires ancestraux, les elfes devenus vampires en un sens, étaient craints et respectés. Du moins le plus souvent, quand ils n'étaient pas infirmes. Craints oui, car, même si lors de leurs premières années, ils étaient comme tout jeune vampire, démuni, assoiffé, à la mémoire effacée et devant tout réapprendre, ils étaient par ailleurs détenteurs d'un puissant potentiel. Le potentiel de la puissance des elfes combiné au potentiel de la puissance des vampires. Redoutable combinaison, oui, redoutable.

Et qu'elle ferait mieux de redouter, songea-t-il au fond de lui-même, tandis qu'un sourire carnassier s'esquissait sur ses lèvres sombres. Lorsque ce plein potentiel prendrait forme... Oui, lorsqu'il prendrait forme, mieux valait pour elle qu'elle ne se montre pas si péremptoire ni si moqueuse.

D'ailleurs, elle qui semblait vénérer leur Prince des vampires, n'était-il pas, lui aussi, un ancien elfe ? peut-être moins vieux que lui en âge elfique. Il n'en savait guère rien, pour tout dire. Mais ancien elfe quand même...

- Il n'y a rien de secret quant à mes origines vampiriques, chère amie, fit-il alors de sa voix suave et faussement caressante, dont les accents profonds contenaient certaine menace.

Sa voix trainait également sur les mots, leur donnant alors une intonation suintante, comme s'il prenait plaisir à la menacer, provoquer, ou la titiller tout simplement. Même si en vérité, il cherchait simplement ses mots, la langue commune lui étant encore difficile à pleinement appréhender.

- Sire Seithvelj n'est nul autre que mon père, en cette non-vie.

Il n'avait aucune honte de ce nom, bien du contraire, et que cette vampiresse ose donc s'en gausser et il lui ferait voir alors sa façon de penser. Qu'elle l'injurie, l'insulte ou lui crache même tout son venin, à l'extrême rigueur, qu'importait. Mais il ne la laisserait pas se moquer devant lui de son père, son millénaire.

- Quant à être si peu utile à vos yeux pour notre peuple maudit... Il est étrange d'entendre l'inverse de certains chuchotis. Elfes devenant vampires sont, dit-on, puissants. Magie en nos veines pulsent bien plus qu'en d'autres fortement...

Il maitrisait certes encore peu la magie, mais il avait appris quelques petits sorts de faible intensité. Il leva la main paume ouverte puis ferma le poing. La pièce dans laquelle ils étaient s'assombrit alors... quand bien même il ne put en vérifier les effets lui-même. Certes, il savait ce sort peu puissant, et surtout il savait ce sort peu utile pour des vampires, ceux-ci voyant normalement parfaitement la nuit ou dans les ténèbres... mais ce geste était simplement là pour rappeler à la vampiresse qu'il était mage. Mage puissant. Même si puissance encore en devenir, à réacquérir...

- Mais daignerez-vous enfin me donner votre nom, noble vampiresse ? Ou devrais-je me contenter de vous renommer à défaut de pouvoir faire appel aux devineresses ?

Le vampire face à elle semblait perdu, les yeux un brin dans le vague. Se réjouissait-elle de cette période de latence au réveil, à la naissance d'un vampire. Souvenir brumeux, état physique nouveaux mais surtout recherche sur soit. Au départ, le désir de savoir qui on était, tout se rappeler de son passé fait office de quête insatiable. Mais bien vite les souvenirs reviennent, certains, brumeux, comme un rêve lointain, et ce désir presque vital s'atténue. Un vampire n'est plus cet être d'autrefois, le venin coulant dans les veines modifie tout. Alors il pouvait chercher, il ne ferait que perdre son temps. Mais pour la générale, il n'y avait rien de plus délectable de se jouer de cette situation. Semer la graine du doute.

« -Deux pans tellement antinomiques. Je crois même que je te préférais en elfe !!! Car tu rendais au moins honneur à ton peuple décadent. Maintenant, je ne peux que déplorer que notre peuple le devient si on le repeuple avec ce genre de...chose. »

Car ce n'était pas avec un vieil elfe que le blason vampirique allait se redorer. Bien au contraire. Une armée déjà bien diminuée et maintenant divisée, que pouvait-il arriver de pire ? Ils courraient à l'extinction. Ce n'était pas avec des infirmes qu'ils pourraient reprendre la place qui est leur. Mais le conteur avait un autre but maintenant. Devenir le chef de l'armée des dragonniers, et s'élever au delà des races. Les dragonniers étaient à abattre et cela depuis le début. Retour bénit qui n'annonçait que des malheurs. Pour preuve. Sur cela, elle ne pouvait qu’acquiescer les idées alayennes.

« -Lui aussi est tombé bien bas. Mais venant d'un ancien on ne pouvait pas s'attendre à guère mieux. Il n'y a pas qu'une purge à faire chez les elfes et humains, je crois qu'il va falloir recommencer par regarder son propre nombril. »

Une de plus. S'il fallait rappeler à certains la valeur vampirique qu'importe, elle serait la première à aider son prince à faire une taille dans ce qui se doit d'être la race dominante.

« -Les chuchotis, il n'y a rien de pire pour parfaire l'illusion d'un bon nombre de chose. Comme celle de son utilité et force. Tu n'étais plus qu'un vieil elfe fini et te voilà vampire figé dans le temps, éternelle vieillesse. Après tout tu as ton utilité auprès du conteur, narrateur de tant d'histoire, un allié ou plutôt un gentil toutou à sa botte prompt à le suivre. »

Que pourrait faire le dragonnier sinon ? Bon à récupérer les vampires juste bon à racler les sols des galeries vampiriques, bientôt Wallam et Reilly se joindront à lui pour boire un thé rouge.

« -Et la lumière n’éclaira guère plus ce que tu es. »

Un larbin. Remarque cela changeait d'être un rebut.

« -Je suis Norwen, inutile que tu en saches plus. Cela ne vous avancera à rien. Quand à me renommer, fait le si bon te semble. Si cela te procure plaisir ou satisfaction. Après tout, la vie de vampire dans cette galerie ne procure aucune satisfaction, on se contente de peu. »

Et puis il fallait bien qu'il se fasse les crocs, alors qu'il tente de le faire sur elle. Il serait reçu avec les honneurs qui lui seraient rendus. Au centuple.

« -Mais dit moi, que peux demander le grand dragonnier vampirique ? De rester sagement à sa disposition ? De te tenir tranquille avec tout ces humains frétillant autour de toi? De te contenir ? Toi qui parlais de magie, de puissance, tu ne pourras jamais que l'effleurez et devenir un parfait vampire docile en restant cloîtrer sous terre. Après tout chacun ces choix. Une vie de reclus après une vie de parias. Quel changement pour toi»

"Abrégeons les insultes", avait-il soudain envie de crier. Il n'en avait que faire de ces insultes à tout va, de ces semblants d'ironie. Certes, il aurait aimé pouvoir les lui faire ravaler, mais... mais il était si accaparé par les retrouvailles avec ses souvenirs, sa curiosité était si attisée, qu'il n'avait aucune envie de lui répliquer aussi vertement qu'elle se le permettait. Aucun mot fielleux, aucun venin acide ne lui venait alors à son esprit pourtant d'ordinaire acéré en matière de réparties.

Toutefois... toutefois quand elle en vint à insulter, même si à demi mots, son millénaire, son aimé, son père... Eliowir se sentit se glacer. Une douce et sereine fureur semblait soudain entrer en fusion en lui, figeant soudain ses traits en un marbre polaire. Un marbre polaire qui sembla soudain s'illuminer d'une vile joie au doux nom qu'elle prononça. Norwen... Norwen comme la fameuse Générale vampirique dont il avait tant entendu parler ? De cette vampiresse générale retenue prisonnière par son millénaire ? Ce fidèle bras droit du Prince Noir soudain retenu ici contre son gré et d'un sort à l'obéissance condamné ?

Tiendrait-il là une certaine vengeance ? Il la laissa toutefois offrir ses derniers mots venimeux, avant d'enfin, d'un sourire carnassier, lui susurrer de ses accents faussement nonchalants :

- Ce qui peut m'être demandé ne t'intéresse guère, j'en suis sûr. Quant à ma possible puissance, un temps viendra où je pourrais te détromper sans censure.

Et puisqu'elle le tutoyait, pourquoi s'en priverait-il lui-même ? Qu'importait alors que cela lui sembla si peu familier.

- Elfe j'étais, vampire ancestral je suis. Puissance innée hante mon âme honnie. N'en doute jamais, chère vampiresse, jamais. Ce serait là insulter ton cher maître, qui possède ce même trait.

Se disant, il avança doucement, mais sûrement, en direction de la vampiresse qu'il savait ne pouvoir, ne devoir, lui faire aucun mal. Si tant est qu'il ne lui en faisait aucunement lui aussi, certainement. Mais aucun mal il ne lui voulait. Juste lui rendre la juste monnaie de ses insultes, surtout celles qui avaient osé souiller son Père.

- Mais dis-moi donc, chère Vampiresse, Norwen tu dis t'appeler ? Norwen, telle cette fameuse Générale par un certain Ancien capturée ? Norwen, telle cette célèbre Générale à un traitre Prince noir fidèle, rendue innofensive par un simple sort ? Est-ce bien cette fameuse Norwen, Norwen Ullylan, qui soudain se voit contrainte de ne plus mordre, alors ?

Et son sourire se mua en victoire savoureuse, alors qu'il l'obligeait presque à reculer, contre un mur s'acculer. Il tendit un bras qu'il vint nonchalamment poser contre le mur, l'empêchant de fuir par ce côté-là, quand bien même elle pourrait facilement fuir par ailleurs, et vers elle se pencha. Un sourire toujours insultant sur ces traits balafrés.

- Dis-moi Norwen, es-tu cette célèbre générale soudain prisonnière ? Dis-moi donc chère vampiresse, es-tu cette fière prédatrice tombée dans cette belle souricière ?


[HJ : désolée de ce terrible retard... 10 jours... erf ]

Oh oh c'est que le petit vampirou à peine dentés cherchait à mordre. Que cela allait être amusant de voir avec quel mordant il allait chercher à la croquer. Le voir s'essayer à être un vampire digne de ce nom avait quelque chose de plaisant et de délectable.

« -Ouhhh ai-je touché le point sensible du mâle arrogant ??? Sa puissance. Magique ou tout autre d'ailleurs. Tu n'as rien à me prouver, car cela voudrait dire que tu m'intéresses...hors désolée de te décevoir mais ce n'était pas le cas avant et ça n'est toujours pas. Tu resteras un vampire de l'ombre, de ce qui reste derrière leur maître comme un gentil chien. »

Si elle pouvait Norwen irait lui gratouiller le derrière de l'oreille ou bien lui jetterait un os à ronger. Ce qui la fit sourire, tout comme son beau discours pour montrer sa puissance. Il essayait de convaincre qui ? Elle ou lui ?

« -Quand à la puissance que tu dis avoir en ancestral l'avoir ne signifie pas la maîtriser et encore la mériter. Quand à mon prince... il a dépassé en tout ce que tu es. Ancestral, ou pas, ancien elfe ou pas. Il est allé là où personne n'est jamais allé, au delà de la magie et de sa naissance. Il n'est plus comme toi, il est au delà. Comme avoir sa force, ne pas en douter et encore moins s'en vanter comme l'arrogant que tu as toujours été.»

Au moins c'était une constance sur ce point. Arrogant au point de se comparer à son prince.

« -Si tu étais soit disant un simple mage vampirique même juste une ombre de magie vampirique, tu saurais que je peux mordre, tout comme tu saurais qu'il ne s'agit pas d'un simple sort, mais là encore ton maître ne t'as dit que ce qu'il pouvait l’intéresser. Et de toute évidence, ta sécurité n'en fait pas parti. »

D'ailleurs qui se préoccuperait d'un pareil être.

« -Mais peut être est-ce que tu désires. »

La générale dessina un rond en l'air vers le sol pour enserrer les poings de son adversaire du moment. Il voulait jouer à ce petit jeu, elle serait son homme. Prisonnière mais pas idiote et encore moins faible femme. Elle aussi pouvait s'amuser avec sa toute faible magie de vampire non ancestral. Les conséquences, Norwen s'en moquait bien, qu'il cesse donc de toujours se sentir supérieur aux autres. Il n'était qu'un bébé vampire à rabaisser au sol à mordre la terre.

« -Il faut toujours se méfier de la petite souris innocente, elle peut finir de vite grignoter les vilaines pattes du gros matou. »

Norwen relâcha son sort cherchant juste à lui prouver qu'elle n'était pas démunie face à lui quoiqu'il en pense. Sur son visage elle afficha un air malsain et mauvais malgré ses grands yeux clairs et sa moue presque enfantine. Qu'il subisse un léger instant ses terreurs, angoisses, passées ou présentes. Juste le temps de s'imprégner un peu de cette peur.

Spoiler:

Il devait avouer qu'elle venait de marquer un point, et non des moindres. Détenir une certaine puissance, notamment en tant que vampire ancestrale, était une chose, la maitriser en était une autre. Tout autre d'ailleurs. Et le jeune vampire qu'il était en faisait la bien amère expérience. Il sentait cette puissance en lui, elle semblait comme palpiter, mais... Mais elle ne daignait pas éclore. Comme freinée par... il ne savait quoi. Peut-être ses méconnaissances ? Sa mémoire oubliée ? Son ignorance des vampires, de leurs forces et faiblesses, de leurs puissances et de leurs corps ? Ou y avait-il un autre blocage encore ?

Maintes et maintes questions, qui sans cesse tourbillonnaient en lui, encore et encore... et dont cette maudite vampiresse venait de s'en faire le détestable écho. Songer à toutes ces questions, songer à son impuissance actuelle, à son infirmité ingrate, quant il ne pensait pas à son inutilité totale, était déjà bien assez douloureux pour sa fierté. Digne Fierté Balafrée, comme on l'avait nommé apparemment dans le passé. Alors se l'entendre dire ainsi, de vive voix, de voix moqueuse qui plus est...

Eliowir parvint, il ne sut comment, à ne rien montrer du coup qu'elle venait de lui porter. Gardant des traits impassibles, dénués de toute expression, il manqua toutefois de peu de se mordre la langue pour ne pas rétorquer. Jugeant préférable de garder silence, de laisser couler ces mots fielleux, de les laisser suinter hors de lui, à ses pieds, pour mieux les fouler de sa fausse indifférence.

Tout à ses efforts de garder son calme et une nonchalante assurance qu'il était bien loin de réellement ressentir, il ne prit garde à ce qui se jouait près de lui. Une baisse dans sa garde, qui, déjà en temps normal pour quiconque était une grave erreur surtout pour un vampire, mais qui pour lui était pire encore. Lui, jeune vampire tout juste né, aveugle au monde extérieur, se devait de rester plus encore aux aguets. De ne jamais faiblir, de toujours garder sa concentration sur ce qui l'entourait, sur ses sens en effervescence... Grave erreur alors que celle qu'il commit de perdre tant sa vigilance. Vigilance constante, pourtant, s'était-il juré !

Mais peine perdue, le mal était fait. Eliowir n'eut guère le temps d'esquiver ou de parer le sort. Il se sentit soudain enserré férocement, tandis qu'une âpre magie s'infiltrait en lui. Ce fut alors terreurs et angoisses puissantes qui le happèrent, l'entrainèrent dans leur violent sillon de colère et de misère. Terribles images, passées, présentes ou futures, il n'aurait su dire, s'imposèrent en lui, lui infligeant mille maux. Pas de ces maux qui font crier le corps de douleur. Non, pas de ceux-là. Ceux-là il était presque facile de les combattre en regard de ceux soudain qu'ils subissaient. Non, les maux qui le hantaient étaient de ces maux qui écartelaient votre âme, qui flagellaient votre conscience, et qui consumaient votre esprit jusqu'à ses dernières cendres.

Oui, terribles maux que ceux-là, alors qu'ils lui faisaient voir, assister impuissant, tel un vil spectateur prisonnier de son subconscient, à la mort de son millénaire. Au supplice de son aimé, à sa déchéance tragique, avant que finalement Mort daigne enfin abréger ces tortures...

Eliowir sentit presque des sillons glacés couler traitreusement sur son visage, tandis que les yeux et les poings fermés, il tentait de lutter contre ces images, de lutter contre ces terreurs qui soudain le broyaient, de lutter contre ces peurs ignobles qui semblaient prendre vie dans son traitre d'esprit. Lutter, lutter, lutter pour ne pas crier, lutter pour ne pas devenir fou et ne pas céder, lutter pour ne pas croire ces images, ces angoisses, ces ignominies, pure vérité...

Il eut beau lutter, toutefois, les images ne cessèrent pas pour autant.

« -Il faut toujours se méfier de la petite souris innocente, elle peut finir de vite grignoter les vilaines pattes du gros matou. »

La voix de la traitresse lui parvinrent à travers les limbes de ces visions, tel un tragique écho d'un funeste destin.

Et soudain, enfin, les images prirent fin. Il se sentit libéré, et son esprit revint à la réalité. Sinistre, âpre et amère réalité. Celle d'un nouveau né qui venait de prendre une terrible leçon d'une de ses aînées. Une haine terrible sembla soudain éclore en lui... en même temps qu'un certain respect. Il la savait Général, mais il pouvait maintenant admettre qu'elle n'avait aucunement volé ce titre. Belle et fière Général, oh oui, digne général vampirique...

- Joli sort que celui-là, je dois bien l'admettre, chère Générale, parvint-il à croasser d'une voix rauque, en un fin filet entre ses dents serrées. Il aura alors sur ma liste d'apprentissage une place royale.

Il tenta de reprendre un air fier, un maintien droit, mais même s'il ne pouvait voir, il sentait des traces humides sur ses joues. Ses larmes, larmes de sang, devaient trahir le funeste sort qu'il avait subi, et il eut bien du mal à n'en pas rougir quand il en prit conscience. Traitresses larmes, traitresses terreurs, traitresse vampiresse... Traitre, traitres, tous des traitres ! aurait-il eu soudain envie de rugir.

Tous, vraiment ? Même ton millénaire ? Même... Lui ? Oui, et si lui aussi n'était qu'un traitre ? Se pourrait-il.... ?

Mais non, seul lui ne l'était pas. Seul Lui. N'est-ce pas ?

Et soudain à honte et angoisse se mêlèrent vil doute. Vil et insidieux doute qui soudain le contaminait de son terrible venin...

- Vous avez en partie raison, je vous l'accorde, Chère Norwen. Puissance qui en notre sang coule n'est pas encore éclose. Il nous faudra du temps, oui, et de la persévérance pour cette noble cause. Mais un jour, oui un jour, puissance sera à mes côtés et pleinement mienne.

Il pencha légèrement la tête de côté, songeur, avant de lui offrir un sourire mi carnassier mi provoquant.

- Et quand enfin magie sera de nouveau à moi, ce serait un honneur de vous en faire part. Que vous puissiez en apprécier les affres, quand le temps sera venu. Je n'oserais pousser l'audace jusqu'à vous demander de partager quelques uns de vos savoirs. Vous auriez sans doute trop peur qu'un tel élève ne vous trahisse et n'abuse de telles largesses indues.

C'est qu'il essayait de se montrer effrayant. Il y arriverait presque s'il était face à un humain. Mais face à la générale qui resta de glace il ne reçut que mépris et indifférence.

« -S'il faut t'en enseigner d'autres, je serai une instructrice des plus exigeantes. Mais ce serait avec plaisir. Un très grand plaisir. »

Un plaisir malsain que de le voir souffrir face à elle. Car elle ne serait pas de la douceur d'une mère aimante. Et puis quoi encore. Les vampires n'étaient pas les elfes avec leur protocoles de surprotections de leurs jeunes pousses comme ils les appelaient. Les vampires, soldats dans l'âme pratiquaient le avance et reste droit ou meurt. Et cela convenait à Norwen. Cela se méritait. Lui ne le méritait pas.

« -Puissance, près de toi? Le tout est ensuite de savoir s'en servir et de la mériter. Et sache qu'elle ne fait pas tout. Parfois elle dessert même. Puissant l'étais-tu elfe ? Outre la puissance de te répandre à mes pieds. Et celle de te pavaner et parler avec outrecuidance. J'en doute. Tu n'étais que rejeter par les tiens, et tu le seras encore ici. Nouveau né avec l'expérience de ta vie passée. Mais je suis ravie de voir que cela continue malgré le venin qui coule dans tes veines. Ce trait de ton caractère est tellement ancré dans ton corps, dans ton esprit, même figé dans le temps. Mais il est bien de se donner des objectifs. Même irréalisables.»

Cela lui donnerait un objectif dans sa nouvelle vie de errance et de rattachement à son créateur, vu qu'il semblait vouloir le suivre, ou du moins, le traître voulait garder ce qu'on qualifiait d'ancestrale sous sa main. Il n'en n'avait que le nom et encore.

« -Qu'un élève me trahisse. Présomptueux, ce sera un délice et une envie que de voir comment un elfe sera capable de se servir de ce qu'il appelle puissance. Je ne vivrai que pour cet instant. »

Pour le voir arriver à maîtriser cette magie, passé de celle des elfes à celle des vampires, à changer radicalement de façon de procéder et de penser. Surtout pour une créature aussi placide et gauche, aussi sûre d'elle mais tellement fébrile. Oui, Norwen ne lui donnait pas un an à vivre. Le sang neuf dans ses veine n'enlevait en rien la vieillesse de son corps et de son esprit, tout comme celle de ses capacités. Alors elle n'attendrait pas longtemps avant de le voir encore une fois à ses pieds, étendus dormant pour l'éternité.

« -Mais je suis ravie de voir que tu puisses voir en moi un Maître. Et que tu puisses voir enfin quelle est ma place. »

Bien au dessus de lui. Il se voyait comme un ancestral. Il n'en n'était pas moins qu'un nouveau né dont les premiers crocs ne lui permettaient même pas de rivaliser avec le plus médiocre de ses soldats. Il se voyait puissant et digne de ces sages et conseillers. Des premiers vampires dont Norwen se méfiait comme des elfes. Et à juste titre. Ancrés dans un passé finit, seuls quelques rares tentaient de redonner les lettres de noblesses à la race vampirique et sa force. Comme son prince, les autres étaient trop fébriles.

« -Dans l'attente de ta seconde leçon sur la politesse et la hiérarchie vampirique, je te souhaite bien le bonjour. Mon temps est précieux, même enchaîner à ton traître de créateur. La puissance plus sourde et latente, c'est cela la vraie clé de la réussite. »

Tout comme la douce vengeance qui apporte bien plus que la puissance brute. Et Norwen la cultivait avec soin et minutie. Et une fois qu'elle le pourrait, dans l'ombre, se faufilant telle une lionne affamée, elle porterait un coup de crocs net, simple et efficace. Nul besoin de montrer sa force, sa puissance, nul besoin de chercher dominer. Louvoyante, elle saurait juste se faufiler avec la seule force de ses convictions.

Mais pour le moment, il lui fallait aller s'entraîner. Dans une pirouette mal habile d'un salut elfique grossier, la générale vampirique prit congé de son cher élève, le laissant rêver à sa gloire future.