Il n'était pas sur d'apprécier l'ironie de la situation, lui qui avait déserté l'armée vampirique ne s'attendait pas à retrouver les vampires de si tôt et certainement pas au beau milieu du sanctuaire Baptistrel ! Il avait apprit à apprécier ce lieu calme et reposant malgré le terrible dépaysement qu'il avait ressenti à son arrivée et lorsqu'il avait lu l'idée de Merithyn au cœur de son esprit il s'était montré quelque peu réticent mais il n'avait pas été bien long à s'apercevoir que c'était effectivement la seule et unique solution possible. A eux deux ils faisaient du mal à l'armée Alayienne et aidaient de nombreux Armandéens mais ce n'était qu'une goutte d'eau dans l'océan, Gloria tomberait bientôt si rien n'était fait et le tour des elfes viendrait. N'avait-il pas juré de s'acquitter de la dette qu'il avait contracté auprès de ce peuple ? Il n'était pas question qu'il échoue.

De toutes façons même si il n'y avait pas eu cette responsabilité il n'aurait pas pu demeurer de marbre face à l'avancée des Alayiens sur ces terres. Ils avaient tenté de le tuer à de nombreuses reprises, ils avaient même eu l'impudence de graver quelques nouvelles balafres dans ses écailles sombres et ils voulaient du mal à la race ancestrale. Nul besoin d'en apprendre plus sur eux pour le deviner, le mélange de dégoût et de frayeur qu'ils ressentaient face aux dragons parlait de lui-même. Pas d'échappatoire pour eux donc, leur sort était scellé et si leur défaite annoncée devait passer par une alliance entre les peuples alors il en serait ainsi, Shaynar y veillerait. De plus en plus il se sentait investi de rôle important de pont entre les différents camps, la perte de son dragonnier et son titre de premier-né des nouvelles générations en faisait un interlocuteur idéal pour les dragons sauvage tandis que les longues années passées auprès d'un vampire et au sein même de leur peuple en faisait un bon intermédiaire pour les elfes. Ceux-ci avait essayé à plusieurs reprises d'obtenir des informations de sa part, il avait répondu sans grand enthousiasme en règle générale (un dragon n'avait que faire du nombre de soldats qu'une armée pouvait bien compter ou des lieux où elle campait!) mais sans se faire non plus trop prier car il était bien placé pour savoir à quel point le peuple vampirique conduit par Wintel pouvait s'avérer dangereux pour son royaume d'adoption.

C'est à tout cela qu'il songeait en se laissant paresseusement planer au dessus du domaine baptistral. Un soleil presque agressif dardait ses rayons sur les écailles sombres qui protégeaient son corps mais loin d'en refléter la lumière celles-ci semblait plutôt l'absorber et cette teinte mat faisait ressortir plus encore les rubis flamboyants de ses prunelles. Lentement, par paliers successifs il se laissaient descendre de plus en plus près de l'herbe épaisse qui accueillerait sa sieste journalière. Il n'avait jamais pu se débarrasser tout à fait des habitudes vampiriques et lourde chaleur était pour lui synonyme de sommeil et de repos tandis que la fraîcheur du soir lui redonnait souvent l'énergie dont il avait besoin pour chasser. Cette pensée ramena un souvenir ancien à son esprit et il cligna des paupières avec amusement en pensant au désespoir que le jeune dragonnet qu'il avait été avait pu causer à son dragonnier avec son insistance à vouloir voir le soleil. Comme quoi, du fin fond de son repos éternel Eliow gagnait cette manche. Le jour était beau, mais la nuit était le royaume du dragon noir.

Décidé donc à s'accorder cette petite sieste il orienta soudain ses ailes de façons à freiner encore sa chute et à orienter son corps convenablement pour réussir un atterrissage digne de ce nom. L'éclat d'argent d'une source d'eau vint attirer son regard et il changea soudainement d'avis, virant brusquement dans la direction de cette eau fraîche qui lui faisait envie tout à coup. Les dragons buvaient peu, mais cela faisait longtemps qu'il n'avait pas senti la caresse de cet élément sur sa langue et les nuages de brume qu'il créait en s'abreuvant l'amusait toujours autant. Peut-être pourrait-il même se rouler dans le courant comme il aimait tant le faire, cela nettoierai le peu de poussière qui collait encore à ses écailles malgré son vol et cela lui permettrait de se rafraîchir avant de prendre un peu de repos. La vie de dragon était tout de même bien agréable et il ne pu s'empêcher d'envoyer quelques images de lui s'ébattant dans l'eau fraîche à son presque-lié. Merithyn n'avait plus un instant à lui depuis le début des négociations et à plus forte raison plus un instant pour le dragon sombre, ce qui bien entendu lui déplaisait souverainement...

Le sol trembla lorsqu'il l'atteignit enfin, arrachant involontairement de lourdes mottes de terre avec ses longues griffes d'ivoire. Il n'avait jamais été capable de reproduire ces atterrissage pleins de grâce et de légèreté dont pouvaient se targuer certains dragons mais il ne le recherchait de toutes façons pas. Sans un regard pour le petit groupe d'elfes qui l'observait de loin avec force murmure il secoua énergiquement sa lourde tête, étira un à un ses gigantesques muscles et replia enfin soigneusement ses ailes dans son dos avant de s'approcher d'un pas qu'il savait parfaitement majestueux vers l'étendue d'eau. Les murmures s'intensifièrent dans son dos à sa grande satisfaction et il ne résista pas à l'envie de laisser quelques bouffées de fumée s'échapper de ses naseaux. Comme tout dragon digne de ce nom il n'aimait rien de plus que se faire admirer et lorsque enfin il se fut rassasié de cette eau bienfaisante il s'amusa encore à s'étirer comme un gigantesque chat avant de se décider à mettre les pattes dans ce froid élément. Il était sur le point de franchir ce cap délicat lorsque un mouvement à l'extrême périphérie de sa vision le fit se figer.

Qu'on l'admire était une chose, qu'on vienne le troubler dans ses activités en était une autre. Le petit jeu de séduction cessa aussitôt tandis que les prunelles de la créature se rétrécissaient jusqu'à peser de toute leur mortelle attention sur le petit bipède qui s'était avancé. Un silence pesant s'était installé sur les lieux, le groupe elfique faisait apparemment semblant de ne pas s'intéresser à la scène mais sans s'avérer très convaincant... Immobile et dangereusement concentré le dragon laissa échapper un grognement quelque peu grincheux, peu enthousiaste à l'idée d'être dérangé par un si petit moucheron à l'évidence inintéressant au possible. Au fin fond de son esprit il ressentit la caresse apaisante que son presque lié avait trouvé le temps de lui envoyer et laissa le grondement mourir au fond de sa gorge. Message reçu, on ne mangeait personne pendant les négociations ou du moins pas sur un simple mouvement d'humeur. Bon il avait peut-être mal compris le message qui devait être bien plus ferme que cela en vérité, mais c'était déjà un effort intense de sa part. Maîtrisant son agacement il tendit le cou vers la petite chose et l'effleura de son esprit :

" Que me veux-tu, elfe ? "

Ce n'était que la troisième journée qu'il était là, au domaine des baptistrels, mais déjà il reprenait des forces. Il n'était pas encore pleinement remis, notamment sa puissance magique ne semblant pas avoir encore retrouvé sa vigueur d'avant, mai on l'avait rapidement rassuré en lui disant qu'il ne fallait maintenant que du temps, et du repos, et encore repos. Quelque chose à ne pas préconiser mille et une fois à notre vieil elfe qui, depuis quelques temps, depuis que son totem s'était éveillé, semblait de plus en plus enclin à se laisser aller au gré du temps et développer un certain amour pour la procrastination. Paresse disaient certains, médisantes langues selon lui, amour de profiter de chaque instant de la vie si l'on voulait son avis. Ce que l'on demandait rarement ces derniers temps...

Il avait pu aller remercier ce matin-même le nouveau gardien des baptistrels, Merithyn Shadowsong, pour ses bons soins. Pour tout dire, il ne s'était pas attendu à un tel accueil, plutôt chaleureux, du moins neutre, à son égard, le mettant à l'aise concernant sa présence, une présence qui ne semblait ni outrageuse ni dénaturée dans la forêt des elfes. Il n'en était bien évidemment pas de même de la délégation elfique avec qui il partageait les habitations destinées aux elfes aux premiers étages du château de Tomingorllo pour le temps des négociations. Mais cela il s'y était attendu. Mais que les baptistrels se montrent si prévenants, potentiellement un peu envahissants (était-ce lui ou il y avait toujours un baptistrel non loin de lui ?), mais sans montrer aucun jugement, aucun dégoût, aucun rejet... Oui, il avait été étonné. Agréablement. Et rasséréné. Les baptistrels lui offraient, sans le savoir peut-être, une réelle bouffée d'oxygène. De celle qu'il sentait avoir manqué pendant tant d'années, tant de décennies... Oui il se sentait bien, là. Il se sentait presque apaisé. Même si ses songes et ses pensées le torturaient encore en de nombreux moments. Accalmie semblait toutefois plus encline à lui être accordée quelques temps. Et pour cela, il en serai éternellement reconnaissant au nouveau gardien, ce petit elfe chanteur si... particulier. Si intéressant.

Bref, après sa visite matinale audit gardien, Eliowir s'était appliqué à visiter les lieux, autant que faire se pouvait. En cette belle après-midi, il avait trouvé une belle étendue d'eau, entourée de quelques arbres, légèrement surélevée sur une petite colline, la plaine baptistrale s'étendant ensuite à perte de vue devant eux. La vue y était magnifique et l'elfe avait donc décidé d'y flâner le reste de la journée. Et qu'importe les inopportuns, pourtant de sa race, qui avaient décidé d'errer non loin de lui et dont les discussions plus ou moins discrètes gênaient son petit moment tranquille. Agacé, il avait fini par se lever, direction le couvert des arbres... Quand un bourdonnement bien connu avait soudain attisé sa curiosité. Une ruche ! Il venait de dénicher, chose rare, une ruche ! Et de belle taille qui plus est.

Il adorait le miel. Littéralement. Il en était si friand, qu'il avait appris dans sa jeunesse comment justement récolter le miel des ruches sauvages de ce genre. Ce n'était certainement pas la saison idéale pour une récolte, normalement celle-ci devant se faire plutôt au printemps pour laisser le miel aux abeilles pour l'hiver à venir, mais si la récolte restait modérée et raisonnable, il pourrait s'accorder un petit plaisir sans nuire à la ruche. Bon, il n'avait pas vraiment le nécessaire pour pratiquer cet art sans risque... mais qu'importe. Le goût du miel qu'il n'avait pas eu le plaisir de savourer depuis tant d'années lui titillait déjà bien trop les papilles pour qu'il s'en passe. Le risque en valait la chandelle, décida-t-il.

Et c'est ainsi, que précautionneusement, en gestes lents, il s'approcha de l'arbre et y monta, atteignant lentement la branche sous laquelle la ruche s'était installé. Il entendait les abeilles bourdonner autour de lui, intrus. Mais ses gestes lents, savamment calculés, ne semblaient pas les affoler. Il se mit à fredonner lui-même doucement, comme en écho à leur propre bourdonnement, doux chant qu'il leur offrait pour tenter de leur communiquer des ondes apaisantes. Quand enfin il fut assez prêt, il souffla doucement sur la ruche, lentement, très lentement. D'ordinaire, il utilisait une torche qui permettait ainsi d'envoyer des fumigations sur la ruche, mais il n'en avait pas sur lui... De même qu'il n'avait pas de couteau, songea-t-il soudain. Mais tant pis, il pourrait prélever, doucement, quelques alcôves supérieures sur les bords externes, sans que ce ne soit trop gênant... Et aussitôt pensé, aussitôt fait. Par gestes appliqués, il entreprit donc d'aller casser quelques alcôves desquelles il pourrait ensuite savourer le miel... le tout, tout en continuant de souffler doucement. Il avait enfin la fameuse alcôve en mains, quelques piqûres sur sa main, mais non gênante, il pourrait les soigner, ou se faire soigner après... Restait maintenant à redescendre sans attirer les foudres des abeilles tueuses qui commençaient à s'impatienter que l'intrus s'en aillent et que la colère commençait à attiser.

Il avait tout juste commencé à descendre, qu'un tonitruant tremblement de terre lui fit lâcher une branche. Dans un cri fort peu viril, il tomba de son perchoir, manquant de peu de se rompre le cou. Les abeilles menaçaient véritablement de le réduire en un magma de piqûres, aussi déguerpit-il le plus rapidement possible. Sans lâcher toutefois son précieux butin. Ce fut plus que tremblant qu'il parvint non loin de l'étendue d'eau, quittée il y a peu. Les précédents gêneurs toujours présents. Mais une autre présence s'ajoutant au paysage... Et quelle présence !

Eliowir n'était qu'à quelques mètres de l'étendue d'eau, quand il aperçut y barbotant... un dragon. Par le Dracos, un drgaon ! Là, juste devant lui ! A quelques mètres à peine ! Lui qui avait toujours rêvé d'avoir l'honneur d'en croiser un, un jour, d'en voir un de ses propres yeux... Lui qui rêvait de pouvoir... le toucher ? Lui parler ? Merveilleux cadeau qu'on lui faisait soudain... Alors attiré par son habituelle curiosité, fortement teintée alors d'admiration sans faille, il s'approcha, inconscient de l'impolitesse que cela pouvait revêtir pour la splendide créature. Puissante créature, réalisa-t-il émerveillé.

" Que me veux-tu, elfe ? "

Grognante créature, fut-il rapidement ramené à la réalité. Par le Dracos tout puissant... ce regard ! Et... était-ce lui ou le dragon venait de lui parler... dans son esprit ? Pas à haute voix... pas vraiment... Etrange. Déroutant. Soudain Eliowir eut l'impression de n'être qu'un misérable vermisseau inconsistant à l'exécrable présence. Pire même, il eut la détestable impression que l'autre le mettait à nu, complètement à nu, aussi bien physiquement que mentalement. Et il n'aimait pas, mais alors pas du tout cela. Et par tous ses ancêtres, il avait un nom ! Quelle façon de l'appeler elfe, de façon si... méprisante... Dragon ou pas dragon, ce n'était pas une façon de s'adresser à un Serillëiel. Se drapant alors dans son habituel arrogance, il prit tout son courage à demain pour rétorquer d'un ton aussi calme que possible :

- L'elfe a un nom.

Non pas courageux en fait. Suicidaire plutôt, souffla une petite voix.

- Je me nomme Eliowir Serillëiel. Et je vous salue, seigneur dragon, rajouta-t-il rapidement, offrant cette fois-ci une rapide révérence.

Qui découvrit sa main piquée portant encore le petit emprunt dégoulinant de miel qu'il avait fait aux abeilles.

- Je suis désolé de vous avoir dérangé, mais j'ai entendu un tremblement de terre des plus... délicats... qui m'a attiré en ces lieux. Et quand j'ai vu quelle en était la cause...

Il fut incapable d'ajouter quoique ce soit, l'admiration refaisant surface, faisant briller ses yeux de cette lueur presque enfantine de curiosité à l'état pur, de respect et de profonde envie à l'idée de son rêve d'enfant qui se réalisait. A demi, mais qui se réalisait.

Oublié les elfes qui chuchotaient à tout va non loin d'eux, le traitant très certainement de fou. Oublié le miel qui dégouttait maintenant de ses doigts se répandant presque par terre. Oui, oublié tout cela, ses yeux ne voyaient plus que le dragon. Ne voyaient plus que son rêve. Sa fin peut-être ?

La réponse sèche qui fusa ne manqua pas de le surprendre et il renâcla brusquement, plutôt mécontent d'être ainsi accueillit malgré l'effort qu'il venait de faire. Quoi ? Il avait prit le temps et l'énergie de maîtriser sa mauvaise humeur et ô insigne honneur d'effleurer l'esprit de cet être alors qu'il avait plutôt eu envie de le dévorer et voilà tout ce qu'il recevait ? Un panache épais de fumée noire s'échappa de ses naseaux et peut-être même aurait-il fait fi de toutes les règles en vigueur au sein du sanctuaire si l'autre n'avait pas enchaîné aussitôt en se présentant, comme conscient du risque qu'il avait prit. Le prenait-il donc pour un bête animal pour qu'il puisse oublier l'affront qu'il venait de subir pour peu qu'on enchaîne sur autre chose ? Il ne fallait pas trop rêver tout de même !

" N'es-tu donc pas un elfe pour te sentir fâché qu'on te considère comme tel ?  Je suis dragon, et je n'ai point honte de ma race"

Il ne manquerait plus que cela tiens... Mais au delà même de l'insigne honneur qu'il y avait à être né Ancestral il voyait assez mal en quoi il avait pu offenser ce petit bout de viande en le nommant simplement par ce qu'il était. Décidément il avait toujours bien du mal à comprendre les elfes, Merithyn avait beau en être un il était bien différent de la majorité des représentants de sa race et le dragon noir longtemps considéré comme lié au peuple de la nuit ne parvenait qu'à grande peine à s'y retrouver dans l'art de vivre elfique. Que de simagrées ils pouvaient faire tout de même ! Cela le laissait le plus souvent indifférent, parfois pantois et souvent agacé. Le nom de l'elfe qui résonna dans le silence vint toutefois le tirer de ses pensées et fit dresser instinctivement ses écailles. Bien sur il n'avait pas l'exclusivité sur ce nom et d'ailleurs ce n'était pas exactement le même mais il n'appréciait pas trop de l'entendre là, alors qu'il ne s'y attendait pas. Contenant à grande peine le grognement désabusé qui lui était monté à la gorge il reprit :

" Tu as un nom précieux."

Sous entendu qu'il aurait bien du mal à s'en montrer digne... Toutefois l'autre n'allait certainement pas comprendre où il voulait en venir et ce qu'il lui prenait de bloquer ainsi sur son nom. Peut-être même allait-il croire qu'il avait entendu parler de sa famille ou de ses ancêtres... Le dragon n'avait que faire de tout ceci, mais même si il n'était pas chez les elfes depuis si longtemps il savait se montrer poli et il se présenta donc à son tour :

" Peut-être sais-tu déjà qui je suis, nous sommes si peu nombreux que nos couleurs d'écailles respectives nous suffises à êtres reconnus mais dans le cas contraire saches que je suis Shaynar, le premier-né. Presque-lié de Merithyn Shadowsong, gardien des préceptes. "

C'était la première fois qu'il se présentait en tant que presque-lié mais cela lui était venu de façon naturelle. L'autre allait sans doute tiquer là dessus, mais c'était sans importance. Le dragon reconnaissait avec joie le lien unique qui s'était formé entre lui et l'elfe chanteur, il le revendiquait même et bien qu'il ignorait si il pourrait un jour le présenter par un titre ô combien plus prestigieux il était déjà heureux de pouvoir présenter leurs deux noms conjointement.

L'admiration qui luisait dans les yeux sombres de l'elfe était presque suffisante pour calmer un peu l'agacement du dragon suite à leur première prise de contact mais l'odeur qui émanait de lui aurait en réalité pu suffire à elle seule. Son odorat était très développé et le trompait rarement, surtout en ce qui concernait ce genre d'odeur ! Depuis le tout début de la conversation Shaynar avait bien du mal à ne pas laisser les tonnes de salive qui tapissaient sa gueule en sortir. Le miel était certainement son péché le plus mignon et le plus immense. Incapable de réprimer plus longtemps sa gourmandise il laissa son regard glisser sur l'elfe jusqu'à finalement se fixer sur la main dégoulinante. Le rubis de ses prunelles prit une teinte soudainement plus brillante lorsqu'il s'assura ainsi que oui mais oui... C'était bien du miel qui dégoulinait là ! Complètement fasciné, il suivit du regard les gouttes qui tombaient lentement au sol et en oublia la bave qui se traça aussitôt un chemin entre ses crocs. Un être qui aimait le miel ne pouvait être que quelqu'un de bien non ? Comment aurait-il pu en être autrement ? Beaucoup moins ronchon tout à coup il interrogea :

" Mon atterrissage a troublé ton repas ? "

Visiblement Monsieur Dragon n'avait pas apprécié sa première remarque quant au fait qu'il avait un nom, sous-entendu qu'il n'aimait pas être nommé ainsi si.... vulgairement. Si communément. Cela lui semblait insultant en quelque sorte. Mais il réalisa qu'il parlait à un dragon et qu'en conséquence ledit dragon ne connaissait peut-être pas les us et coutumes des petits êtres éphémères qu'ils étaient. Ou du moins n'en avait que faire... S'il se sentait quelque peu vexé à cette pensée, il devait aussi avouer qu'il devait être bien insignifiant au regard de la magnifique créature qui lui faisait face.

" Tu as un nom précieux."

Voilà toutefois qui l'interpella. Un nom précieux ? Il brûlait d'envie de lui demander en quoi exactement, mais un il-ne-savait-quoi le retint et lui fit garder sa question au plus profond de lui. Là, tout au fond, au milieu de milliers de souvenirs qui s'enchevêtraient les uns les autres, s'imbriquaient, et qu'il conservait aussi soigneusement que possible pour les ressortir au bon moment. Plus tard. Ou jamais. Mais ils resteraient là, gravés, en lui, dans son esprit, quand bien même on les lui effacerait, il était persuadé d'un jour les retrouver. Et celui-ci, ce moment étrange, hors du temps et de l'espace, ce moment hors normes, ce moment presque déplacé, en ferait assurément partie.

" Peut-être sais-tu déjà qui je suis, nous sommes si peu nombreux que nos couleurs d'écailles respectives nous suffises à êtres reconnus mais dans le cas contraire saches que je suis Shaynar, le premier-né. Presque-lié de Merithyn Shadowsong, gardien des préceptes. "

- Shaynar, répéta-t-il songeur. Oui, j'ai entendu parler du dragon Shaynar, du magnifique et majestueux premier né, le tout premier œuf éclos. Pour un vampire, d'ailleurs.

Nul mépris dans sa voix. Ce n'était là que souvenirs, données faisant réminiscence, qu'il avait engrangées il y a quelques années, et qui revenait à l'entente de ce nom.

- Un nom sombre parmi les nôtres. Un nom qui faisait presque frémir les rangs de nos alliés il fut un temps, un nom qui répandait son ombre de peur dans nos rangs durant la guerre, avant même que l'ombre de ses ailes nous survolent...

L'elfe avait soudain peu conscience des mots qu'il prononçait, tout à ses propres souvenirs. Souvenirs de braise, de champs dévastés, de corps parfois carbonisés, de terreur sans nom quand l'ombre se dessinait sur le ciel au loin... Oui, lourds souvenirs alors. Même si pour lui l'ombre n'avait toujours été qu'une ombre au loin, et qu'il n'avait jamais eu l'honneur ou la terreur de le voir se profiler juste au dessus de lui.

Et un autre souvenir lui vint. Celui d'une conversation, d'un récit plutôt. On lui racontait que le lié du dragon aux écailles couleur de cendres noires avait voulu se rebeller contre son prince, et qu'au final il avait péri, décédé. Il n'avait pas eu de détail, mais moult sentiments l'avaient happé à cet instant. Un brin d'étonnement à ce qu'un vampire, un dragonnier, tente une telle folie, et grande peine pour ce dragon, son lié, alors condamné à mourir. Un dragon qui toutefois avait miraculeusement survécu, lui avait-on rapidement raconté. Grâce à un étrange baptistrel...

Le fameux baptistrel dont le nom avait tilté à ses oreilles...

- Shadowsong, ainsi c'est grâce à lui...

Mais il ne finit pas sa phrase. Un peu de peur en songeant à la réaction que le dragon pourrait avoir. Mais aussi un soudain mouvement d'empathie envers l'écailleux, envers la peine immense, terrible, qu'il avait dû ressentir. Le vide aussi...

- Je ne voulais pas... En tout cas, je suis heureux de vous voir dans le monde des vivants. Et je suis encore plus honoré de vous voir parmi nous, humbles mortels, Seigneur Shaynar.

Bon, lui n'avait rien de véritablement humble, mais qu'importe. Face à telle magnificence, humilité ne pouvait que le happer, même lui pourtant arrogance née.

Et il réitéra son salut, s'inclinant souplement mais avec tout le respect que lui inspirait le dragon. A savoir beaucoup. Plus encore que ce qu'il avait pu ressentir quand il s'était approché. Ce dragon-là avait vécu des choses, avait survécu à la plus terrible perte pour un lié, et avait traversé maintes épreuves. Et il était là, devant lui... Juste devant lui.

Son admiration déjà bien tangible sembla faire flamber plus encore les cendres de son cœur.

- Et... non, vous n'avez pas vraiment interrompu mon repas. Je ne l'avais pas commencé, répondit-il enfin, en suivant le regard du dragon vers sa main. Je...

Il hésita un instant, semblant peser les risques encourus, avant de finalement se décider, la main tremblante se levant, se tendant vers le museau noir... le miel y gouttant davantage encore.

- Vous en voulez ? Vous aimez le miel ? J'ai réussi à prendre celui-ci d'une ruche non loin. Tenez, il est à vous, si vous le souhaitez.

Oui, à vous, ô magnifique dragon, pensa-t-il de toutes ces forces. Faîtes-moi seulement l'insigne honneur d'accepter ce cadeau et je serais l'elfe le plus comblé de ce monde en cet instant. Enfin... si possible ne me laissant ma main entière...

La curiosité brillait dans les yeux de l'elfe, il se demandait sans doute en quoi un simple nom pouvait être précieux surtout aux yeux d'une telle créature mais Shaynar n'avait en aucun cas l'intention de le renseigner et l'autre semblait avoir la sagesse de ne pas insister sur ce sujet, préférant répéter son nom d'un air songeur. Une lueur de curiosité dans l'oeil, le dragon observa l'elfe qui semblait plongé dans ses souvenirs. L'agacement qu'il avait pu éveiller chez lui redescendait lentement et de plus en plus vite à mesure que les adjectifs pour qualifier le dragon noir venaient lui chatouiller l'audition. Il n'y avait que du vrai là dedans, et ce n'en était que plus agréable à entendre. Le mot vampire vint toutefois acidifier quelque peu ces propos jusque là si doux et les prunelles rubis gagnèrent encore à intensité à mesure que le dragon se concentrait sur les paroles de l'elfe.

Le ton se fit plus sombre, plus songeur encore lorsque Eliowir entreprit de décrire l'image que lui et les siens avaient eu du terrible duo qu'Eliow et Shaynar avaient formé à eux deux. Un duo mortel qui avait répandu la mort et la dévastation à de nombreuses reprises sans y prendre véritablement ni plaisir ni déplaisir. Quoique il mentait peut-être un peu en pensant cela, il ne pouvait se voiler la face et prétendre ne pas aimer la guerre et le fracas des armures des pauvres conserves qui courraient sous lui tandis qu'il survolait les champs de batailles afin de les noyer de son feu. Eliow n'y avait prit aucun plaisir, c'était un fait, mais lui ? Aucun remord ne s'éveillait en lui à cette pensée, les dragons n'étaient pas fait pour douter, en quoi pouvait-on lui reprocher de semer la mort alors que le concept de guerre en lui-même appartenait aux bipèdes ? Il ne faisait que jouer au même jeu qu'eux, avec d'autres cartes...

"C'est là un privilège draconique que de faire frémir ceux que nous survolons. Hier les humains et vous autres, aujourd'hui les vampires. Mon peuple aime trop le combat pour refuser ceux que vous nous offrez depuis toujours, qu'importe les factions la guerre est dans le sillage des races bipèdes. "

Et c'était d'ailleurs ce qui avait failli causer la disparition complète du peuple Ancestral de ces terres, sans les derniers œufs éparpillés en Armanda et sans le Dracos Honoris la magie n'aurait pu que s'éteindre. Bien sur les dragons eux-même n'étaient pas tout à fait innocents dans cette affaire, n'auraient-ils pu refuser de se mêler au carnage ? Plutôt que de semer la mort sur l'injonction de leurs liés n'auraient-ils pu jouer les arbitres et mettre fin aux guerres qui secouaient depuis toujours le continent Armandéen ? Pas vraiment en réalité... Les combats étaient chose courante même au sein des hordes de dragons sauvages et bien qu'ils ne poussaient jamais la folie jusqu'au niveau des bipèdes et de leur gigantesques guerres il arrivait parfois qu'un dragon ne meure dans ce genre d'affrontements. Difficile de nier dans ces conditions le goût du sang que possédait la race Ancestrale et difficile pour eux de résister à l'attrait des appétissants conflits qui opposaient les peuples d'Armanda. Combien de temps faudrait-il pour que les dragons de la nouvelle génération ne se lasse de ce jeu ? Combien de temps encore avant qu'ils ne décident qu'il n'y avait décidément rien à gagner à soutenir telle ou telle faction ? Fort heureusement ils étaient tous liés, cela empêcherait sans doute l'histoire de se répéter trop facilement mais comment savoir ce que l'avenir leur réserverait ? La guerre était un passe temps passionnant aux yeux des dragons, mais le jour viendrait où ils auraient d'autres aspirations et où l'irritation s'éveillera face à ces interminables batailles. Qu'en serait-il alors ?

L'empathie qu'il ressentait soudain dans l'esprit grand ouvert le tira de ses inquiétudes et il reposa un regard un brin perplexe sur l'elfe avant de renâcler, presque gêné soudain devant tant de sollicitude. Il n'aimait pas parler d'Eliow même avec Merithyn et même dans la plus profonde et la plus secrète de leur échange de pensées. Ils n'aimaient pas non plus les regards attristés que lui jetaient parfois certains elfes, quand aux chansons qu'ils avaient composé sur son drame il les haïssait avec un acharnement fort honorable et en fuyait les chanteurs avec constance quand ce n'était pas eux qui fuyaient ses airs furieux. La plaie était bien trop profonde pour qu'il ose seulement tourner le regard vers elle. Il préféra donc ignorer tout cela et se concentra plutôt sur ce qu'il avait déjà remarqué l'instant d'avant et qui ne cessait depuis lors d'attirer son regard, du miel gouttait de la main de l'elfe... Et l'odeur le faisait saliver encore et encore d'autant plus que son interlocuteur tendait désormais sa main vers lui, allumant une flamme de sincère convoitise dans les prunelles de braise.

Si il en voulait ? Si il aimait le miel ? Quelles questions... Il était si profondément concentré sur les alcôves dégoulinantes qu'il lui fallu une petite seconde pour analyser l'offre et une autre encore pour revenir de sa surprise. Cet elfe lui offrait son repas ? Ce genre de geste ne se voyait jamais chez les dragons pour qui la nourriture avait bien trop de valeur, ils protégeraient leur viande et leurs éventuelles sucrerie avec autant de violence que de jalousie. Lentement, comme à la recherche du piège qui n'allait sans doute pas tarder à se refermer sur son museau il approcha sa gigantesque gueule de la main offerte et sembla hésiter encore. Les rubis lâchèrent un instant la friandise pour mieux se planter dans le regard de l'elfe avant d'enfin revenir sur les alcôves qui connurent une sinistre fin au moment où il s'en empara avec une étonnante délicatesse. La fragile matière craqua sous ses crocs alors qu'il relevait le cou pour mieux avaler le cadeau sans cacher la vague de pur plaisir que provoqua dans son esprit le goût du miel qui coula aussitôt sur sa langue brûlante dans un grésillement étrange. Trois secondes de pur bonheur et... Le regret d'avoir déjà terminé. Cette malheureuse série d'alcôve pour lui ce n'était qu'une goutte dans l'océan de son gigantesque appétit. Bien sur une ruche n'avait jamais pu suffire à le rassasier alors que dire d'un si petit fragment... L'air de rien, il interrogea :

" Cette ruche que tu as trouvée, tu la gardes pour tes futurs repas ? "

La notion de réserve n'était pas étrangère aux dragons, rares étaient ceux qui enterraient leurs proies pour ensuite les retrouver mais cela c'était déjà vu surtout lorsque les temps étaient durs. Shaynar pour sa part se sentait parfaitement incapable de faire ce genre de choses, mais les elfes tenaient peut-être un peu de l'écureuil sur ce sujet là ? Cet Eliowir lui ayant offert sa propre nourriture il n'aurait pas l'indécence d'aller lui vider ses réserves si il n'y était pas invité, mais après tout... Peut-être pouvait-il l'être ? Une idée soudain lui vint à l'esprit, pourquoi n'y avait-il songé plus tôt ?

"Mais peut-être n'es-tu pas parvenu à te fournir plus de miel ? La peau rose des elfes et des humains ne protège que trop mal des agressions. Mes écailles ne risquent rien face aux petits dards qui gardent les réserves à miel. Je peux m'emparer de la ruche et en noyer les habitantes, tes mains fines s'empareront ensuite plus aisément que mon museau des alcôves les plus difficiles à atteindre. Veux-tu faire équipe ?"

Calmement il l'observa, inconscient de l'horreur que son geste allait peut-être inspirer au représentant de ce peuple qu'il connaissait encore mal et plutôt ravi de sa trouvaille et de l'honneur qu'il faisait ainsi à cette nouvelle connaissance.

"Mon peuple aime trop le combat pour refuser ceux que vous nous offrez depuis toujours, qu'importe les factions la guerre est dans le sillage des races bipèdes. "

Justes. Ces paroles sonnaient étrangement justes. Elles n'en firent pas moins frissonner Eliowir d'effroi. Un effroi terrible qui lui glaça les os et lui vrilla l'âme, tant cette assertion était juste, sincère... vraie. "La guerre est dans le sillage des races bipèdes"... Au final, n'était-ce pas exactement ce que l'Histoire leur montrait ? Depuis l'arrivée des peuples bipèdes, depuis l'arrivée des elfes autrement dit, les terres d'Armanda avaient été souillées de leur guerre sans fin. Avec eux, les elfes avaient emporté leur malédiction, le vampirisme. Et avec eux, leur guerre, une guerre éternelle qui se montrait plus tenace encore que tout, traversant les siècles, si bien charriée par la haine ancestrale que les elfes avaient amenée sur leurs bateaux. Oui, des paroles si vraies, si troublantes... si dures aussi. Si âpres, si douloureuses... qu'elles faillirent faire chavirer le petit elfe qu'il était.

Oui, petit. En cet instant, il se sentait petit, minuscule, dérisoire, insignifiant même, devant cet être si majestueux, plus jeune que lui en âge et pourtant plus âgé en mémoire... en sagesse. Oui, sagesse incarnée alors que ce dragon, pensa Eliowir, qui se sentit transporté par un élan de pur émerveillement. Non... de pur respect. Oui, voilà respect. Cet être-là méritait mille fois son respect et son dévouement. Pour cet être-là, oui, il serait prêt à sacrifier beaucoup pour que cette magie, cette force, ne menace plus de disparaitre à nouveau d'Armanda. Une force qui était au final aussi sa force, à lui elfe, une magie qui transcendait sa propre magie. Un lien qui les unissait au final, bien qu'il soit totalement différent d'un quelconque lien purement draconique. C'était le lien de magie, le lien de vie... Une vie, une magie, que le peuple elfe retrouvait... et ce grâce à ces êtres-là, grâce à ces magnifiques créatures qu'étaient les dragons. Oui, pour eux, il sacrifierait beaucoup s'il le fallait, pour que plus jamais cette race ne dépérisse et que sa propre race ait aussi un avenir.

Il jugea toutefois plus sage de taire toutes ses pensées bourbeuses. Enfin si tant est qu'on puisse taire quelque pensée que ce soit à ces êtres... Il en doutait sérieusement. Mais qu'importe au final. Il se sentait déjà si petit, si fragile... Qu'il soit en outre à nu ne changerait guère. Il était déjà bien peu vêtu physiquement, à bien y penser, lui qui avait préféré sortir le plus léger possible. Outre la chaleur assez marquée, il avait voulu aussi préserver les beaux atours offerts par Achroma. Sachant qu'il allait vadrouiller en pleine nature, et potentiellement tâcher ses vêtements, du moins ne pas les ménager, il avait préféré ne pas mettre le bel ensemble du vampire. Il avait dû s'abaisser à demander un vêtement de rechange simple aux baptistrels et avait donc opté pour une sorte de pagne s'ouvrant sur un côté et lui tombant aux chevilles, d'une couleur vert d'eau moiré de bleu. Très simple, très pratique, certes, mais le laissant au final bien peu vêtu... torse nu, pieds nus, ce seul vêtement couvrant ses jambes... Oui, bien nu au final devant le dragon, qui devait parvenir à dénuder plus encore les pensées de son esprit...

Il se trouva d'ailleurs plus petit encore quand l'énorme museau du dragon s'approcha de lui, et de sa main, tenant le miel. Ce regard avide... rouge sang flamboyant... qui vous transperçait jusqu'aux tréfonds de l'âme... Eliowir dut faire appel à tout son sang froid, toute sa maitrise, toute sa force mentale, pour ne pas fléchir. Pour ne pas trembler, et garder la main levée, tendue, vers ses énormes crocs qui pouvaient, d'un geste, lui broyer os et chair... pire même lui broyer la vie... Il sentit sa respiration se bloquer, son sang se figer en lui, quand le dragon prit l'offrande. Etrangement de façon fort délicate. Pas une égratignure, pas une éraflure. Intact. L'elfe était intact, vivant, et un dragon venait de lui faire honneur en acceptant son cadeau !

Soudain l'exultation balaya toute peur et toute frayeur. S'il n'avait pas eu ce regard rubis devant lui, cet odeur de... souffre... non loin de lui.. sans doute aurait-il danser sa joie. Il se retint de justesse, mais ne put retenir toutefois un immense sourire de venir étirer ses lèvres pâles. Il en sentait d'ailleurs les deux petites cicatrices qui entaillaient sa lèvre inférieure se tirailler à ce mouvement...

" Cette ruche que tu as trouvée, tu la gardes pour tes futurs repas ? "

La question étira encore son sourire, qui manqua de réellement couper son visage en deux. Visiblement il ne devait pas sourire bien souvent pour que ce geste le tiraille autant... Mais en cet instant, ses pensées étaient à mille lieux à la ronde de ce genre de considération. Et qu'importe s'il avait soudain l'air d'un benêt. Et qu'importe les murmures intenses qui s'élevaient à quelques mètres d'eux alors que les elfes qui les avaient observés depuis le début marquaient leur étonnement, ou l'outrage qu'ils ressentaient, allez savoir... Oui, en cet instant qu'importe tout cela. Un dragon avait pris son cadeau, et avait aimé, et en redemandait même !

" Mais peut-être n'es-tu pas parvenu à te fournir plus de miel ? La peau rose des elfes et des humains ne protège que trop mal des agressions. Mes écailles ne risquent rien face aux petits dards qui gardent les réserves à miel. Je peux m'emparer de la ruche et en noyer les habitantes, tes mains fines s'empareront ensuite plus aisément que mon museau des alcôves les plus difficiles à atteindre. Veux-tu faire équipe ?"

Là, par contre... Le sourire s'effaça.... S'estompa peu à peu, seconde par seconde, pour complètement disparaître. S'emparer de la ruche ? Et la tuer ? Noyer les habitantes ? Le dragon voulait tuer les abeilles ? Et il disait aimer le miel ? Cette fois ce fut un rugissement de mécontentement et de réelle indignation qui le secoua, retentissant dans son esprit, en balayant toute raison. Et, oublieux alors de l'être à qui il s'adressait, l'elfe se mit à littéralement exploser au nez et aux crocs du dragon, vitupérant mille et une récriminations contre ces manières inciviles :

- Non mais vous n'avez pas honte ! S'emparer de la ruche et noyer les habitantes ! Vous aimeriez qu'on s'empare de votre nid et qu'on noie vos œufs ? Non, je suppose. Et bien les abeilles c'est pareil. Elles ne sont peut-être qu'insectes, elles n'en sont pas moins utiles. Ce n'est pas parce que nous sommes plus forts qu'elles, potentiellement dotés d'une raison et d'une intelligence supérieures, que nous avons tous les droits sur elles ! Elles vivent, créent... elles méritent un tant soit peu de respect... Et vous dites aimer le miel ? Mais qui, pensez-vous, créera le miel quand il n'y aura plus d'abeilles hein ? Qui, pensez-vous, créera le miel quand vous vous serez emparé de toutes les ruches et que vous aurez noyé toutes les habitantes hein ? A ce moment-là, vous n'aurez plus que vos yeux pour pleurer, quand vous n'aurez plus de miel pour faire saliver vos papilles....

Eliowir dut prendre une petite pause, plus qu'essoufflé par son discours et son éclat. Et son regard azur rencontra soudain le rubis... lui faisant réaliser à qui il parlait...

- Enfin... si tant est qu'un dragon puisse pleurer, ajouta-t-il, sa voix baissant de deux octaves, se faisant soudain chuchotement infime, alors qu'il priait Dracos de ne pas le faire mourir trop douloureusement.

Par tous les Esprits, était-il réellement aussi fou qu'on le chuchotait dans son dos ? Il fallait croire que oui. Et les éclats de rire qu'il entendait non loin ne faisaient que confirmer ses propres doutes. Remarquez... Mourir sous les crocs d'un dragon... ce serait une belle mort non ? Un peu brutale toutefois...

- Ce n'est pas que je ne veux pas partager, hein, rajouta-t-il réellement penaud, tel un petit enfant pris en faute. Au contraire même. J'en serais ravi. Ce serait un grand honneur pour moi qu'un dragon accepte ce modeste cadeau de ma part. Mais... je ne veux pas que les abeilles soient tuées inutilement.

Et ca, il n'en démordrait pas. Si au final même les dragons ne respectaient pas la vie, valait-elle réellement la peine d'être vécue ?

- Je veux bien qu'on fasse équipe. Mais à ma façon, reprit-il, rehaussant le menton dans un geste fier, pouvant être pris pour du défi, de la résolution... ou de la folie.

Un peu les trois, sans doute... Mais sa voix avait beau être ferme, autoritaire, aux accents fielleux de l'arrogance même, son maintien avait beau être digne, et son regard s'ancrer dans celui impérial du dragon... Il n'en menait pas large pour autant. Et son cœur, son esprit, devaient le trahir, trahir sa peur. Cependant, il ne savait pourquoi, il ne se sentait pas de revenir sur ses paroles. Ses convictions au fond. Il ne se sentait pas de plier, même devant un dragon, si ses convictions le lui interdisaient. Il serait bien bête de mourir pour des abeilles, mais au moins serait-il mort fidèle à lui-même.. même si bêtement. Moui, très bêtement quand même. Bien loin de la mort héroïque et grandiose, de celle dont les livres parlaient des siècles durant, dont il avait rêvé.... Mais qu'importe. Oui, qu'importe. Qu'importe l'importance de la cause, ce qui comptait c'était de rester soi-même. Jusqu'au bout. Quelques soient les circonstances, quelques soient les épreuves. Quelques soient les tortures, pensa-t-il subrepticement alors que les récents événements avec le prince des vampires flotta dans son esprit. Souvenirs qu'il chassa rapidement pour planter plus vivement encore ses perles nuit dans les puits flamboyants de Shaynar.

Shaynar. Voilà en tout cas un magnifique nom pour vous tuer, décida-t-il, attendant le verdict.

Il était vraiment très content de lui, qui oserait dire après ça qu'il n'était pas diplomate ? Il était tout simplement en train de nouer un début de bonnes relations avec un elfe qu'il ne connaissait pas l'instant d'avant. Comparé au temps où il l'aurait avalé tout cru il y avait tout de même une énorme amélioration ! Il se sentait même prêt à partager un peu du miel ce qui n'était pas si facile pour lui. Bon d'accord la ruche lui appartenait à la base et il était assez maigrichon pour que le dragon puisse espérer qu'il n'ai pas un trop gros appétit mais tout de même.. Partager du miel... Quel énorme effort il faisait là ! Il s'en serait presque rengorgé si il n'avait pas craint que Merithyn ne s'en amuse à travers leur lien, ce qui l'aurait à coup sur fort vexé ! Il en était là de ses pensées lorsqu'un rugissement soudain résonna dans le sanctuaire.

Hein ? Quoi ? Où ? Moitié ahuri, moitié effaré le dragon sursauta si fort que sa queue frappa durement le sol en projettant au loin une énorme masse de terre. Ses écailles se dressèrent si violemment sur tout son corps qu'on aurait pu un instant le confondre avec un gigantesque porc-épic et sa mâchoire elle-même claqua tandis qu'il la refermait avec stupeur. Non mais on avait pas idée de crier comme ça ! Voulait le rendre sourd ou tout simplement lui faire faire une crise cardiaque ? Les elfes auraient fort à faire pour faire repartir un coeur de cette taille, il valait mieux ne pas tenter ! Il n'eut pas le temps d'exprimer sa plus profonde réprobation face à ce traitement que l'elfe se mettait en devoir de lui briser à nouveau les tympans, s'agitant comme un forcené sous le nez du dragon et l'ensevelissant sous un torrent de reproches.

Scène étrange que celle-ci. Shaynar n'aurait eu aucun mal à mettre y mettre un terme et c'est sans doute ce à quoi s'attendaient les elfes présents puisqu'ils échangeaient maintenant des regards alarmés. Pourtant et aussi bizarre que cela puisse paraître l'ancestral resta coi. Complétement abasourdi et par la réaction incompréhensible à ses yeux et par le caractère suicidaire de son interlocuteur il se contenta de l'observer, immobile, les yeux ronds comme des soucoupes et la mâchoire à demi ouverte laissant voir des crocs étincelants. Il avait peine à suivre le débit précipité de l'elfe et plus encore à comprendre son raisonnement. Certe il connaissait l'amour de ce peuple pour toute vie mais de là à protéger les sales bestioles qui protégeaient les ruches ? Et même d'autres insectes ou animaux d'ailleurs, personne n'avait jamais osé lui reprocher d'en tuer bien qu'il était vrai qu'il le faisait rarement autrement que pour se nourrir. C'était donc cela qui le gênait tant ? Mais sacrebleu, ce n'était que des abeilles ! Bon d'accord ce n'était pas formidable comme excuse mais... Mais... Pourquoi il cherchait une excuse au fait ? Il était un dragon !

Un rugissement montait de sa gorge, fruit de sa vexation et de l'agacement qui bouillait de plus en plus en lui. Tort ou raison il ne voulait même pas le savoir, mais ce n'était pas un avorton pareil qui allait se sortir indemne d'une telle confrontation ! Ses prunelles s'étrécirent jusqu'à ne plus former que deux minces fentes et c'est peut-être ce qui alarma l'elfe puisqu'il s'arrêta soudain avant de reprendre bien plus doucement :

- Enfin... si tant est qu'un dragon puisse pleurer

Lourd silence. La créature luttait pour garder son calme et ne pas céder à la facilité. Car oui il aurait été si simple d'ouvrir simplement la gueule et de couper l'objet de son mécontentement en deux... Ou mieux encore, de la carboniser sur place ! Ou encore de juste se retourner et le broyer purement et simplement d'un accidentel coup de sa queue hérissée de dangereuses piques. Et bien quoi ? Il était grand, il était puissant, ce n'était pas de sa faute si les elfes étaient si fragiles ! Bien sur l'excuse ne tiendrait pas deux secondes devant Merithyn mais la satisfaction du geste accomplit vaudrait bien tout les sacrifices du monde ! La magie baptistrale ? Il n'en avait cure à l'instant présent, le dragon qu'il était n'était tout bonnement pas capable d'appréhender la notion de sanction ou de conséquences à son encontre. Ce fut tout de même l'image du baptistrel qui le retint à cet instant, non pas qu'il craignait sa possible de colère mais il aurait tout de même été assez embêté de le décevoir. Frustré, il secoua la tête et frappa le sol de sa patte comme pour mieux évacuer sa colère, à moins que ce ne soit juste pour l'attiser et finalement céder à son envie ?

Apparemment penaud, ou peut-être juste terrorisé par les conséquences de ses paroles l'insolent cherchait à présent à se disculper à un peu, enfin pas très longtemps puisqu'il récidiva presque aussitôt. Comment ça il "voulait bien" faire équipe ? Et sous conditions en plus ? Il ne manquait pas de toupet ! La fureur monta tant et si bien au nez du dragon qu'un panache de fumée s'échappa soudainement de ses naseaux. Bon c'était un phénomène habituel chez les dragons mais cette fois le nuage noir et épais qu'il généra était si important qu'il entoura proprement le bipède qui ne devait plus y voir grand chose et qui allait avoir du mal à respirer ! Et ce n'était pas le plus grave puisque au sein même de ce panache se glissèrent deux petites étincelles presque invisibles... Presque... Mais suffisante pour mettre le feu au tapis de feuilles sèches sur lequel ils se tenaient !!

Ni l'un ni l'autre ne le remarquèrent tout de suite. Sans pitié pour les bronches du fumeur involontaire il le dardait de ses rubis (ce qui était sans doute l'une de seules choses qu'il voyait encore !) et se décida à lui répondre non sans sécheresse :

"Nous ne pleurons que dans de très rares circonstances. Les bipèdes seraient bien trop heureux de récupérer nos larmes pour leurs vertues magiques"

Et paf, un premier coup de griffe du dragon qu'il était pour cette petite créature indigne. Froissé, il secoua un instant ses ailes tout à son hésitation de décoller tout à coup en le plantant là mais il fini par se décider à rester pour expliquer aussi calmement que son caractère ombrageux le lui permettait :

"Je respecte l'amour de la vie des elfes, je suis presque lié à un elfe d'ailleurs alors il me serait difficile de faire autrement mais le dernier qui m'a parlé sur ce ton a vu son espérance de vie se réduire de façon significative. Je te tuerai si tu recommences"

Le ton n'était pas menaçant, il énonçait un fait pur et simple parfaitement inéluctable. Quelques secondes de plus passèrent qu'il consacra à une profonde réflexion, était-il vexé au point de refuser le cadeau ? C'est qu'il s'agissait de miel quand même... Ce n'était pas rien... La gourmandise remporta au final le combat contre l'orgueil et il se décida :

"Si tu y tiens vraiment, je suis prêt à faire à ta façon mais..."

Il s'interrompit soudainement, alarmé par l'odeur de brûlé de plus en plus présente. Il ne s'y était pas intéressé jusque là car après tout c'était une odeur typiquement draconique mais elle devenait décidément trop forte ! Etonné, le regard rubis se détacha de l'elfe pour se poser au sol et... S'agrandir... Il laissa échapper un grognement en réalisant ce qu'il s'était passé et en observant le début d'incendie. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait plus mis le feu quelque part... Les baptistrels n'allaient pas être très contents...

Spectacle grandiose que celui d'un dragon en colère. Grandiose, mais particulièrement impressionnant et dangereux quand vous n'étiez qu'à quelques mètres à peine dudit dragon. Majestueux dragon alors, toutes ses écailles ainsi dressées, mâchoire béante montrant ses magnifiques crocs d'un blanc des plus menaçants, battement de queue furieux qui faisait vibrer l'air de violentes bourrasques... Oui majestueux. Et effrayant aussi. Surtout quand un rugissement impressionnant, qui faisait presque trembler la terre elle-même sous vos pieds, accompagnait le tout. Et ces rubis... Splendides rubis si flamboyants de colère dont la fente reptilienne le sondait de façon clairement menaçante... oui magnifique.

Magnifique spectacle, pour le dernier qu'il aurait sans doute à contempler, pensa-t-il subrepticement, alors que ces derniers mots mouraient dans l'air.

L'elfe s'attendait à tout en cet instant. Surtout à mourir. Possiblement dans d'atroces souffrances. Ou peut-être extrêmement rapidement. Pourtant il ne bougea pas d'un iota. Il aurait pu tenter de fuir, de prendre les jambes à son cou, ou il aurait pu aussi se mettre à genoux, présentant ses plus humbles excuses et suppliant pour qu'on épargne sa misérable vie. Mais aussi misérable soit-il, il ne l'était pas encore assez pour fuir lâchement ou pire encore pour supplier qui que ce soit. Même si le qui que ce soit était alors un dragon, ô créature suprême. Non, sa fierté était encore bien trop ancrée en lui, bien trop forte, pour qu'il ne se plie à ces instincts primaires des plus abjectes selon lui. Il ne bougea donc pas d'un iota. Et attendit la sentence.

Il ne put s'empêcher toutefois de sursauter violemment quand un coup de patte manqua de peu de faire craqueler la terre sous l'impact. Il sentit le sol fortement trembler, et se sentit vaciller. Il mit quelques secondes à rétablir son propre équilibre, peinant à ne pas tomber à terre devant tant de violence coléreuse. A peine parvenait-il à se redresser et à affronter de nouveau le dragon du regard, que cette fois un panache de fumée âcre menaça de l'étouffer.

Il ne fut plus que toussotement agonisant, alors qu'il crachait piteusement ses poumons, et chaudes larmes ruisselant sur ses joues, tant la fumée lui piquait les yeux et menaçait de le faire réellement suffoquer. Sans compter la soudaine bouffée de chaleur qui l'enveloppa et fit grimper significativement sa propre température corporelle. Il sentit une suée lui couler le long de l'échine, tandis que la fumée se dissipait lentement. Trop lentement au goût de l'elfe qui peinait à reprendre son souffle et ne parvenait pas à s'arrêter de crachoter. Eliowir était tellement occupé à ne pas se laisser asphyxier, qu'il peina à comprendre les mots offerts par le dragon. Ses yeux pleuraient tant qu'il était bien en peine de soutenir le regard sang de l'autre. Un léger coup d'ailes fit cingler l'air autour de lui, chassant certes quasi totalement la fumée, mais provoquant une autre quinte de toux.

"Je respecte l'amour de la vie des elfes, je suis presque lié à un elfe d'ailleurs alors il me serait difficile de faire autrement mais le dernier qui m'a parlé sur ce ton a vu son espérance de vie se réduire de façon significative. Je te tuerai si tu recommences"

Il se contenta de hocher la tête, toussant toujours, incapable de répondre quoique ce soit. Oui, message reçu, merci bien. Bien qu'en son for intérieur, Eliowir doutait être capable de réellement se retenir si l'occasion se présentait de nouveau. Il était de tempérament bien trop emporté, bien trop passionné lui reprochait souvent son paternel dans sa jeunesse, et bien trop fier aussi, pour se taire et retenir ses pensées. D'autant plus quand il estimait qu'elles étaient censées et justes. Il mourrait assurément, promesses de dragons, mais il ne pouvait lui-même promettre ce dont il était incapable. Il se garda bien toutefois de l'énoncer à haute voix, et se contenta d'acquiescer. Paroles entendues, promesses reçues, pas garanti que lui-même se tienne à la raison toutefois.

Il était cependant bien trop étonné, et bien trop heureux, que le dragon ne veuille pas le tuer. Il s'en était fallu de peu, sans aucun doute. Mais non le dragon était là, devant lui, et ne semblait nullement vouloir aller plus loin. Il avait manifesté sans ménagement son mécontentement, certes mérité d'ailleurs, mais... Mais cela semblait s'arrêter là. Eliowir, son souffle enfin repris et sa toux passée, s'essuya les yeux, se sentant toutefois bien misérable et dans un état bien piteux, avant d'offrir un respectueux signe de tête au dragon pour le remercier de sa clémence.

Il ne s'attendait pas à plus, et pourtant... pourtant...

" Si tu y tiens vraiment, je suis prêt à faire à ta façon mais..."

Finalement le dragon voulait bien poursuivre avec lui ? Et à sa façon elfique qui plus est ? Non seulement il ne l'avait pas tué malgré l'affront, mais en outre, il lui accordait encore la grâce de sa présence ? Et l'honneur d'accepter son offre de miel ? Décidément, ces dragons étaient des créatures étonnantes...

Il n'eut cependant pas le temps de répondre quoique ce soit, que l'arrêt du dragon en pleine phrase le mit en alerte. Alerte bien vite confirmée quand une odeur de brulé caractéristique lui chatouilla les narines. Jusque là ses sens avaient été complètement paralysés par son asphyxie. Mais... Mais s'il eut le moindre doute, le regard du dragon suffit à lui confirmer qu'aucun doute n'était possible. Le souffle draconique avait, insidieusement, provoqué un incendie. Là, juste là, non loin de sous ses pas, sur le tapis d'herbes sur lequel ils étaient tous deux. Les flammes naissantes menaçaient déjà de lui pourlécher les jambes. Et surtout d'embraser la forêt. La forêt ! La forêt allait brûler ! réalisa-t-il soudain, un éclair de pure panique lui vrillant l'esprit.

Il se sentit un instant complètement paralysé, la frayeur embrasant ses sens et son esprit, empêchant toute autre pensée cohérente. Ce ne fut que la sensation d'une chaleur sur sa peau nue qui le tira de sa léthargie. Il devait agir. Il n'avait pas réchappé d'une colère draconique pour mourir de son feu ! Et il n'allait assurément pas laisser la forêt brûler sous son nez sans rien faire non plus ! Surtout qu'il se sentait en partie responsable de cet incident. Oui, il devait faire quelque chose. Essayer... Freiner l'avancée du moins...

Rassemblant le courage qu'il lui restait et le peu de magie qu'il sentait affluer de nouveau dans ses veines, il se concentra et entama un chant elfique invoquant des eaux tumultueuses. Heureusement ils jouxtaient un petit lac. Eliowir puisa alors dans toutes les forces qu'il pouvait avoir, et par son chant créa un tourbillon d'eau. En temps normal, un tel tourbillon était destiné à engloutir l'ennemi. Mais en ce jour l'ennemi serait le feu menaçant d'embraser la forêt. Il sentait sa magie pulser douloureusement en lui tandis que le sort puisait en elle. Il n'avait pas recouvré toutes ses forces, loin de là. On lui avait même conseillé de ne pas user de magie pendant quelques jours, voire semaines, le temps de reprendre des forces. Mais à circonstances particulières, mesures particulières. Qu'importe alors les conséquences pour lui, il ne pouvait laisser le feu gagner. Il sentait ses bras trembler fortement, la sueur perlant peu à peu de son front, tandis qu'un terrible mal de tête lui martelait le crâne. Il ne lâcha toutefois pas ses efforts, forçant le tourbillon à grossir pour mieux se ruer sur les feux naissants.

Il s'apprêtait à renouveler l'exploit pour être sûr d'éteindre toutes braises, mais cette fois ses forces l'abandonnèrent totalement, et un voile sombre tomba sur ses yeux, tandis que ses jambes se dérobaient sous lui. Dans un fracas sourd et mat, il tomba à terre, les sens bourdonnant, une migraine pulsant en lui, son sang en ébullition, tandis qu'il luttait pour garder son esprit conscient.

- Est-ce... est-ce que... le feu... est-il... éteint ? parvint-il à articuler, le souffle court, erratique, tentant douloureusement de se redresser sur ses mains.

Il allait vraiment avoir des problèmes... Merithyn était semble-t-il très occupé puisqu'il n'avait pas encore senti la catastrophe provoquée par son presque-lié mais ça ne durerait sans doute pas très longtemps et même si il ne ressentait pas tout ceci les elfes n'auraient sans doute rien de plus pressé à faire que d'aller le prévenir. Renfrogné, l'écailleux observa d'un air boudeur les flammes qui commençaient à prendre de la hauteur, et bien quoi ? Un dragon était fait pour cracher du feu, c'était ainsi ! Quelle idée aussi de lui faire prendre racine au bout milieu d'une forêt... Il n'était pas fait pour ce genre d'endroit ni pour des négociations comme celles qui allaient avoir mieux. Il préférait encore se frotter aux Alayiens tiens, il adorait ça même ! Mais il lui fallait prendre patience et trouver peut-être le moyen d'éteindre tout ça... En marchant dessus peut-être ? Ou en plongeant dans l'eau pure à côté assez violemment pour provoquer un tsunami ? Quoique on allait encore le lui reprocher...

Au final ce fut l'elfe qui le tira d'affaire. Un chant elfique ! Oui bon, il était loin d'avoir le talent vocal de Merithyn mais notre dragon mélomane s'en contenta très bien et pencha la tête avec un immense intérêt comme pour mieux entendre la voix cristalline ou peut-être juste pour percevoir plus nettement le frémissement magique ainsi créé par le chanteur. Cet Eliowir ne le savait pas encore mais il venait de faire d'une pierre deux coup en éteignant le feu d'une part et en flattant l'audition attentive du dragon. Un soupir gigantesque accompagna la fin du chant, de quoi raviver les quelques braises qui auraient pu rester mais par chance le tourbillon d'eau avait tout éteint. Y compris l'elfe d'ailleurs...

Quelque peu inquiet, le dragon baissa la tête jusqu'à arriver à la hauteur de celle de l'elfe et plonger son regard dans le sien. Il n'avait vraiment pas l'air en forme... Mince alors, il n'allait quand même pas tourner de l'oeil ? Shaynar n'avait pas son brevet de guérisseur ! Peut-être devait-il appeler Meri ? Sauf qu'il était occupé... Et le temps qu'il arrive le bipède aurait sans doute tourné de l'oeil pour de bon. Le saisir entre ses griffes et l'emmener voir les baptistrels ? Oui mais il risquait d'empirer encore son état et il était très difficile de voler par ici avec tout ces arbres. Alors qu'il réfléchissait à tout cela le dragon ne pu absolument rien faire à l'instant où l'elfe tomba, à son grand désappointement d'ailleurs. Et bien voilà... Il faisait quoi maintenant ? Satanés bipèdes fragiles !

"Debout elfe, réveille toi. Oh oh ? Eliowir ? Un petit effort..."

Il en était réduit à effleurer doucement l'esprit embrumé sans oser véritablement s'y ancrer plus profondément. Depuis la mort de son dragonnier Shaynar était quasiment retourné à l'état sauvage et sans Merithyn il n'aurait sans doute jamais pu effleurer de nouveau un esprit bipède. Le sien était devenu trop complexe, trop différent. Il ne possédait plus ces barrières de sécurité qui faisait de lui un dragon de dragonnier, un dragon lié... Son esprit était tout bonnement incompréhensible pour d'autres créatures que les dragons. Merithyn lui-même ne cherchait jamais à s'immerger trop profond dans les couches complexes qui formait le moi profond de son dragon, il s'y serait sans doute perdu irrémédiablement. L'expérience qu'ils avaient vécues ensembles lorsqu'ils avaient créé leur lien était déjà très fort, alors imaginer qu'un autre bipède absolument pas lié à lui puisse se risquer à son tour dans les méandres de son esprit c'était juste impensable. Trop dangereux.

Avec toute la douceur dont il était capable donc il demeura à l'extrême lisière de la conscience de l'elfe, il était obligé de pénétrer plus profond tout de même que lorsqu'il parlait simplement avec lui étant donné que celui-ci était inconscient mais il n'irait pas plus loin. Pas question de le laisser suivre les milliards de voix entremêlées qui murmuraient ne langage ancien dans l'esprit ancestral et pas question non plus de se plonger dans les rêves de l'être inconscient. Il se contenta donc d'attendre, patiente présence réduite à une sphère lumineuse à la lisière de l'esprit elfique. Lorsque enfin il le senti revenir, il le guida jusqu'à la conscience et le rassura :

"Le feu est éteint. Je suis navré de l'effort que ceci t'a coûté. Pourquoi ta magie est-elle si affaiblie ? J'ai senti ton potentiel, tu n'aurai pas dû avoir de mal à lancer ce sort..."

Curieux, il l'observa.

"Tu as mauvaise mine... Fort mauvaise mine. En fait, tu as l'air au seuil de la mort."

Nulle ironie dans son ton mental, l'elfeétait juste blanc comme un linge et des cernes terribles s'affichaient sous ses yeux. Cela lui déplut, et dans un élan instinctif fort courant chez lui il prit une décision étrange.

"Ne bouge pas" grogna-t-il

Sans attendre la réponse, il l'effleura du museau. C'était plus facile avec un lié, ou même un presque lié mais ça ne devait pas être impossible... Lentement, une énergie fluide commença à se déplacer entre eux et dans un effort conscient le dragon le maîtrisa jusqu'à le transformer en un véritable torrent de puissance pure. Cela marchait ! Il était en train d'offrir un peu de sa propre énergie à l'elfe ! Bien sur il ne s'agissait que d'un minuscule fragment au regard de sa propre et colossale magie. Toutefois pour un bipède c'était certainement énorme, nul doute que celui là allait cavaler un moment après ça...

Sombres obscurités qui soudain l'enveloppaient.
Froid ardent qui de ses doigts langoureux l'enlaçait.
Vile désertion de ses sens qui s'envolaient,
Insidieux chants d'outre-monde qui l'appelaient.

Sa majestueuse magie l'abandonnait,
toute vie semblant avec elle le quittait.

Vide. Néant. Voilà tout ce qu'il ressentait soudain.

Tout ? Vraiment tout ?

Non... pas tout... pas totalement... Une ombre... une présence... Là, à la limite de son esprit... Là, juste là, tâtonnant doucement, l'effleurant... Puissante ombre, majestueuse présence, magnifique magie aussi. Une voix profonde, grave, qui l'appelait... Non, pas une. Pas une... Il y en avait d'autres... plus loin, plus chuchotantes, à peine audibles, mais d'autres, nombreuses, multiples... Mille et une voix, intrigantes, murmurantes, l'appelant... l'appelant... Il tenta un instant de repousser la présence pour mieux fixer sa conscience balbutiante vers ces voix, si attirantes, si belles, si chantantes... oui, les suivre, les... mais l'autre voix était plus forte, plus impérieuse. Plus présente, sans vraiment l'être... Comme si... Comme si elle faisait barrière. Une barrière infranchissable alors, qui restait là, présente, mais en lisière. Juste à côté de lui, sans être en lui, constata-t-il, à la fois dépité et soulagé, sans parvenir à s'expliquer l'imbroglio de toutes ses sensations. La présence se fit silencieuse mais resta à ses côtés, le laissant se focaliser sur elle, patiente, inexorablement patiente. Et lumineuse. Une lumière qui le guida alors dans les ténèbres dans lesquelles il avait soudain plongé.

Il se cramponna de toutes ses forces, de toute sa hargne, à cette lumière, cette force, cette majesté, et se hissa à elle. L'écailleux noir. C'était l'écailleux noir. Si lumineux et si sombre à la fois. Si puissant et pourtant d'une puissance douce, presque caressante. Rassurante.

"Le feu est éteint. Je suis navré de l'effort que ceci t'a coûté. Pourquoi ta magie est-elle si affaiblie ? J'ai senti ton potentiel, tu n'aurai pas dû avoir de mal à lancer ce sort..."


- Lo..., croassa-t-il d'une voix rauque qu'il peina à reconnaitre lui-même. Lorenz. Wintel. Maudit prince. Il a...

Il déglutit, peinant à reprendre complètement pied, se sentant épuisé, essoufflé. L'effort de parler lui était pénible.

- Il a comme... aspiré ma magie. Pas irréversible selon Shadowsong. Mais... repos. Pas de magie m'a-t-il dit.

Un petit rire, bien faible écho de son vrai rire, lui échappa. Chantant un brin cynique toutefois.

- Je n'ai jamais su suivre ce qu'on me dit, faut croire.

"Tu as mauvaise mine... Fort mauvaise mine. En fait, tu as l'air au seuil de la mort."

Effectivement, il avait lui-même l'impression de ne pas en être loin. Au delà de son âge, déjà fort avancé pour un elfe, il avait réellement senti la vie presque le quitter. Possiblement, sans l'intervention du dragon, en aurait-il été ainsi d'ailleurs. Rien d'étonnant... Sa longévité, sa vie, était intimement liée à la magie qui courrait en lui, dans ses veines, dans son cœur...

"Ne bouge pas"

Eliowir retint l'ironie qui menaçait de répondre pour lui. Ne pas bouger ? Comme s'il en aurait été capable.

Quand il vit le grand écailleux approcher son museau plus encore, toute envie d'ironiser ou de fanfaronner le quitta. Il sentit également les battements de son cœur menacer de réellement s'arrêter.

Non, Shaynar n'allait pas le manger. Pas après l'avoir ainsi presque ramené à la vie.

Même sachant cela, un "sachant" purement instinctif, viscéral, qui fit fuir toute peur, tout effroi, il ne put s'empêcher de trembler. Il sentait que le moment partagé allait être unique, crucial. Magique. Merveilleusement magique, corrigea-t-il en son for intérieur quand il sentit le brusque afflux en lui. Il sentit son corps trembler, cette fois non plus d'appréhension mais de réelle tension. Toute cette puissance, toute cette énergie... C'en était presque trop pour lui. Encore un peu plus et il menaçait de réellement imploser. Après avoir failli mourir par manque de magie, allait-il succomber à un surplus ? Cela serait une mort magistrale, tout au moins, pensa-t-il subrepticement, avant de finalement totalement se laisser aller au flux, à la puissance, qui l'envahissait, l'enivrait.

Lui qui, antan, avait été si avide de puissance... cette drogue à l'état pure qui l'avait aveuglé alors... La magie était son datura et Shaynar sa circé.

Mais soudain... tout s'arrêta. Le sevrage fut brutal, féroce. Un grognement échappa à l'elfe, alors qu'il ouvrait les yeux qu'il n'avait pas eu conscience de fermer dans sa transe. Il se surprit dans une position de pure extase, ainsi appuyé au dragon. Il dut faire appel à toute sa volonté, alors fortement malmenée, pour s'écarter quelque peu. Heureusement le dragon ne lui laissa guère le choix et s'éloigna pour lui. C'était fini. Fini. Ce simple mot lui laissait soudain un vide incommensurable en lui.

Un vide... dans son esprit. Mais son corps lui était empli d'une énergie nouvelle. De magie... Elle courrait de nouveau en lui ! Elle vibrait dans tout son être, son essence pure, infinie... Magie. Magie était de nouveau en lui !

Et l'euphorie l'enveloppa soudain de son manteau de chaleur. Il se vit bondir sur ses pieds et danser sa joie, chantant en elfique à tue-tête, chantant tout ce qui lui passait par la tête, chantant ses mercis, sa joie, son soulagement. Ses pleurs aussi. Combien de temps cette danse de la joie ? Il n'aurait sur dire. Essoufflé, mais ravi, un immense sourire faisant concurrence à vile cicatrice, il se tourna vers le dragon, penaud, conscient de son impolitesse.

- Majestueux Shaynar, je ne pourrais jamais vous remercier. Vous m'avez... m'avez... ressuscité. Ce don... cette magie... Cette puissance...

Sa voix vibra à ce mot.

- Je suis, je pense, votre humble serviteur dès lors. Même si jamais, ô grand jamais, je ne pourrais parvenir à payer cette dette immense, fit-il tout en s'inclinant profondément devant la créature ancestrale.

Quand il releva la tête, brillait dans son regard une admiration sans bornes mille fois renouvelée... et une étrange dévotion.

- Ordonnez, noble premier né, et je vous obéirai. Aujourd'hui ou demain... A jamais je vous suis obligé.

Et c'était là un serment solennel, que sa voix grave et profonde délivra sans une once d'hésitation.

Ce genre d'échange était toujours très intense, mais il n'aurait pas cru que cela le soit autant avec un parfait étranger qu'avec un lié. Le flux magique en transmission entre eux les reliait presque d'âme à âme et si ils ne partageraient fort ,heureusement pour l'elfe, pas leur esprit pendant cet échange ils étaient tout de même très proches dans l'intimité de ce partage. Avait-il raison d'offrir un tel cadeau à un presque inconnu ? Il se laissait toujours aller à son instinct mais c'était parfois cause de catastrophe et ni Eliow ni Merithyn n'aurait pu prétendre le contraire ! Pourtant, il était sur de lui à cet instant. La seule inquiétude qu'il avait était la totale extase dans laquelle l'elfe semblait être plongé, allait-il pouvoir l'en décrocher sans le blesser ?

Il décida que la solution la plus brutale serait sans doute aussi la plus sure. C'est dans sans violence mais avec une certaine dureté qu'il avait mit fin au contact et le grognement de l'elfe ne l'étonna pas. La magie pouvait être une drogue pour de si petites créatures... Mieux valait sans doute veiller à ce qu'ils ne s'y perdent pas. Preuve en était des difficultés que Merithyn connaissait parfois à se détacher des chants noms dans lesquels il s'émergeait. A chaque fois que cela arrivait le dragon ne pouvait s'empêcher de trembler de toutes ses écailles, craignant à tort ou à raison qu'il ne puisse plus retrouver ses esprits.

Le noir aurait sans doute continué un moment à réfléchir sur ce point inquiétant mais la soudaine crise de folie de son interlocuteur ne pu qu'attirer son regard. Qu'avait-il donc à s'agiter comme cela ? Voilà qu'il dansait et chantait comme si la fête des esprits avait soudainement été avancée ! Un peu perdu et ne sachant trop comment réagir dignement il se contenta de s'accroupir en une position plus confortable pour observer l'elfe en train de se trémousser et tout en priant les esprits qu'il ne lui vienne pas à l'idée de l'inviter dans sa valse... Par chance et après un long moment il fini tout de même par se calmer, faisant pencher la tête du dragon devant son air penaud.

"Vous êtes réellement des créatures étranges..."

Il le laissa continuer malgré tout, et laissa un paisible ronronnement de contentement s'échapper de son poitrail en sentant la note de joie et d'admiration dans la voix du bipède.

"Les dragons n'ont que faire de serviteurs. Mais je n'oublierai pas ta promesse."

La teinte de rubis se fit mutine lorsqu'il continua :

"Peut-être t'appelerai-je pour me venir en aide la prochaine fois que je trouverai une ruche..."

Car c'était sur, il y réfléchirait désormais à deux fois avant de croquer le nid tout rond. Non pas qu'il considérait que la vie de ces petites bêtes devaient absolument être épargnée mais... Il y avait là de quoi réfléchir. Sans doute en parlerait-il à Merithyn, ce chanteur adorait commenter pendant des lustres ce genre de question philosophique et il n'y avait rien de mieux pour se bercer et finalement s'endormir en le serrant douillettement contre son aile. En attendant il déploya les deux, conscient que leur échange se terminait ici et plus tant intéressé que cela par le miel après tout ce qu'il venait de se passer.

"A bientôt Eliow, ami des abeilles. J'ignore quand nous nous retrouverons mais je tâcherai de ne pas t'écraser... Si je le peux."

Sous entendu que l'étrange elfe avait été classé parmi les amis dans son esprit bien rangé. Quoique les amis étaient peut-être un peu fort, mais ce n'était pas un ennemi. Une bonne chose non ?

Sans attendre sa réponse, sans même lui laisse le temps de réfléchir à ce qu'il venait d'entendre il se recroquevilla sur lui-même afin de mieux s'élancer d'une forte détente dans les airs. Le vent gonfla ses ailes presque aussitôt et l'instant d'après, il avait quasiment oublié cet épisode...