Ashy allait mieux, Roëric était hors de danger, et Silarae était veillée par les siens, qui ne laisseraient personne approcher d'elle tant qu'elle n'aurait pas récupéré après les émotions et les blessures, aussi refermées soient-elles. Cela le rassurait un peu, il fallait bien le dire. Et pourtant, il était encore terriblement préoccupé… Il avait tout juste eu le temps de prendre des nouvelles du reste des dragonniers avant de quitter le théâtre pressant des opérations qui présidaient au nettoyage d'un champ de bataille. Aucun n'était en grand danger… des blessures, de la fatigue et certainement un certain traumatisme, naturel après un événement de ce genre. Rien qui ne pourrait se régler avec du temps et les soins adéquats. Il retournerait aider les rebelles lorsqu'il le pourrait mais… pas tout de suite. Il y avait quelqu'un qu'il devait voir. Quelqu'un qui avait occupé une part somme toute importante de son esprit lors des dernières heures. Il n'avait pas eu besoin de plus que ce que cette créature lui avait donné pour saisir les choses, mais il avait mit un moment à décortiquer tout cela avec objectivité, à en déduire ce qu'il fallait, à simplement tenter de replacer cet élément soudain venant s'ajouter à ce qui était déjà un calcule difficile pour lui. Était-ce fortuit, qu'il rencontre maintenant cet individu, alors même que naissait la caste qu'il avait mit plusieurs années à imaginer pleinement et à laquelle il donnait à présent lentement corps ? Ce serait tout de même étrange et il n'y croyait qu'à moitié. Les coïncidences n'avaient jamais vraiment été son fort, il fallait bien l'avouer. Mais d'être ainsi à portée de lui…

Il ne savait pas comment réagir. Il ne lui avait pas fallu plus d'un instant pour comprendre qu'il avait affaire à une créature beaucoup plus vieille que lui. Hors il n'y avait pas tant de créatures plus vieilles que lui, en Armanda. Une dragonne, des vampires momifiés sans intelligence, et… lui désormais. Il n'avait pas besoin qu'on lui explique la différence d'âge entre eux, et se sentir redevenu un enfant lui était particulièrement étrange. C'était… déstabilisant. Il ne savait pas vraiment si cela lui faisait plaisir ou non. Sans doute un peu des deux. Mais au final, ce n'était pas cela qui jouait le plus, dans son état d'esprit actuel. C'était bien autre chose. Une chose plus importante, oui beaucoup plus, qu'une simple question d'âge… Alors oui, dès qu'il l'avait pu, il avait décidé de répondre à son appel. C'était donc un ancien fourbu, épuisé, frôlant lentement les limites d'une patience et d'un contrôle pourtant énorme, qui se dirigeait à pas aussi calmes que possibles vers le lieu où il savait le trouver. Il avait faim, une chose à laquelle il n'était pas toujours habitué, même après l'épisode fin du monde durant lequel leur appétit à tous s'était vu largement augmenté. Hors il n'avait aucun moyen de manger sur le moment, ne pouvant pas décemment croquer dans celui qui désirait le voir. Il était bien trop poli, et bine trop prudent aussi, pour faire une bêtise aussi énorme. Il faudrait qu'il se contienne encore un peu. Sans doute pourrait-il trouver le moyen de prendre un peu de sang à un prisonnier alayien ou à un rebelle volontaire s'il existait une âme assez charitable pour accepter après la trahison de son peuple….

Enfin, il l'eu devant les yeux et s'arrêta à une distance de courtoisie, l'observant attentivement, sans mot dire. Il était encore en plein raisonnement interne. En plein tumulte interne, serait peut-être une meilleure formulation, et ce malgré sa fatigue. A la salutation, il répondit d'un simple mouvement de tête. Merci d'être venu ? Même lui avait du mal à concevoir que l'autre le remercie alors qu'il serait le principale bénéficiaire. Pouvait-on remercier quelqu'un de contribuer activement à la résolution de ses propres problèmes ? C'en était presque un comportement de baptistrel. Il n'avait nullement peur de cette créature, quand bien même elle était infiniement plus forte que lui. Et à raison sans le moindre doute. Parce que des doutes, il n'en avait pas, les tous derniers venaient d'être balayés devant l'assise de certitudes solides. Il avait effectivement bien compris. Et cela lui faisait se poser encore plus de questions, tellement de questions, qu'il aurait sans aucun doute fallut plusieurs vies de mortels, et même d'elfes, pour satisfaire sa curiosité. Mais ce temps-là, ils ne l'avaient pas. Lui-même ne l'avait pas, alors que dire de cet individu-là… Cillant aux paroles qu'on lui adressait, il resta néanmoins encore silencieux. S'il se demandait qui il était ? Oui, sans aucun doute, même s'il touchait déjà du doigt une partie, sans doute infime, de la réponse… 'qui' pouvait englober tellement de choses. Pourtant, il parvint tout de même à émettre une lueur sensiblement amusée, malgré l'épuisement, à la question.

Oh allons, il n'allait tout de même pas le croire aussi naïf… non de toute évidence. Il avait comprit. Il ne releva pas plus que cela le tutoiement. Si l'autre pouvait avoir des choses en commun avec Lorenz Wintel, il était parfaitement évident que certaines choses les séparaient aussi. Et les ressemblances entre deux êtres n'avaient jamais constitué la base d'un quelconque jugement de sa part. Chacun avait son histoire et ses choix. Et ce de son vis à vis avaient un impact, avaient eut un impact, sur lui et sur d'autres. En bien comme en mal. Il avait ressentit le lien qu'ils partageaient oui… et il avait même déjà commencé à remonter tout du long pour l'expérimenter, avec prudence, certes, mais activement. Pourtant, lorsqu'on lui offrit l'opportunité de satisfaire sa curiosité, il se trouva étrangement incapable de savoir par où commencer. Son regard se détourna un instant, tandis qu'il observait le ciel, puis, après un moment de silence pondéré, il énonça enfin. «  De nombreuses. Et pourtant, que pourrais-je véritablement demander à l'instigateur d'un lien qui a changé mon existence et celle de mes pairs… » Devait-il demander pourquoi ? Oh certes,connaître le pourquoi de la création du lien lui aurait plu. Mais ce n'était pas, à son sens, la bonne question. La première vraie question. Il aurait voulu savoir pourquoi on l'avait choisit lui comme dragonnier, mais il doutait en vérité, que même le Fondateur puisse le lui dire… Et même s'il le pouvait, ce n'était pas ce qui comptait vraiment.

A nouveau, son regard trouva le sien. Il savait quand on le jaugeait, mais il ne faisait aucun effort pour paraître plus ou moins que ce qu'il était. Ça aurait été une attitude parfaitement futile à son sens. Finalement, il reprit la parole. « Je souhaite être utile aux miens » et par là, il n'entendait pas les vampires… ou pas seulement. Il entendait les dragonniers. Mais ça, il avait l'intuition que son interlocuteur n'aurait aucun mal à le comprendre. Et cette simple affirmation, cette simple énonciation de la vérité, recelait en elle l'intégralité des questionnements qu'il pouvait émettre. Pouvait-il réellement les réunir ? Qu'était le lien ? Étaient-ils reliés par plus qu'une simple appartenance, le simple fait d'avoir été choisit ? Jusqu'où plongeait leur union avec les dragons, où s'arrêtait le lien et où commençait la symbiose ? Pourquoi ? Oui, au final, mais pas simplement pourquoi le lien… comment, qui, où, quand ? Que pouvaient-ils, que devaient-ils faire ? Comment pouvait-il, lui, protéger les autres, si frêles, plus frêles encore que lui ne l'était sans doute aux yeux de cet aîné venu du fond des âges… tant et tant de questions, contenue dans une seule affirmation claire. Et tellement de doutes aussi. Tellement d'interrogations et d'hypothèses ressassée depuis des années…

Il savait que l'autre le sondait, et ne se cachait pas, sans pour autant se dévoiler complètement. Même face à une créature bien plus âgée et puissante que lui, il restait vampire, et ancien, et à ce titre, il conservait certains automatismes. En revanche, lorsqu'il le sentit approcher dangereusement de la facette de son être qu'il jugulait avec sévérité, il ne cacha rien. Il se refusait à dissimuler cette partie de lui qui, pourtant, restait incompréhensible aux vivants. Aucun d'entre eux ne pouvait réellement s'imaginer ce que c'était que cette terrible faim et ce qu'elle pouvait pousser à accomplir… Le pouvait-il, lui qui partageait le Lien de tous les dragonniers ? S'il le pouvait, ce serait alors une première qu'un vivant comprenne. Mais peut-être pas une mauvaise chose, dans le fond. Au contraire. L'aveu soufflé le fit soupirer légèrement, de cette mimique étrange qu'il conservait de sa vie précédente. Ce n'était, certes, pas bien grave… mais c'était surtout loin d'être définitif. Il pouvait autant apprendre qu'eux, et parfois un échange profitable à tous était meilleur qu'une simple observation unilatérale. Malgré cela, il fut tout ouïe lorsqu'il décida de répondre à ses questionnements, car comme il l'avait pensé, l'autre n'en avait certainement pas raté une miette. Son regard, malgré le voile de fatigue qui le couvrait, se fit plus alerte. Des réponses, un met bien rare à ses yeux depuis déjà quelques temps.

Vraiment, il avait comprit beaucoup ? Et bien voilà qui détrompait violemment son sentiment très personnel d'être une taupe avançant à l'aveugle… Néanmoins, il n'interrompit nullement son vis à vis pour une remarque aussi dérisoire. Il hocha simplement la tête pour confirmer qu'il avait parfaitement saisit cet aspect du lien… et la suite ne l'étonna qu'à peine. C'était simplement un rideau que l'on ourlait pour lui laisser voir ce qu'il n'avait fait qu'hypothétiser, ce qu'il n'avait fait qu'imaginer vaguement, sans jamais oser donner corps à ce qu'il pouvait tirer de ses songes intérieurs. Une toile reliant les âmes… et ils étaient reliés à lui, mais ils devaient également l'être entre eux, en ce cas. A quel point ? Il aurait aimé le savoir. Jusqu'où était-il lié aux autres ? Pouvait-il, lui aussi, savoir comment ils se portaient, sans avoir besoin de les voir ? Comment pouvait-on bien moduler pareille chose, la nourrir et la cultiver… ou le contraire d'ailleurs. Jusqu'où étaient-ils un ? Y avait-il également des capacités qui n'appartenaient qu'à eux, en temps qu'union, comme lui et Silarae étaient plus fort ensembles ? Si c'était le cas, alors les perspectives étaient innombrables… et aussi effrayantes que magnifiques. L'esprit soudain bouillant une fois de plus, il dû se faire violence pour ne pas courir après les conjectures et écouter ce que l'on continuait à lui transmettre. Et au final, il avait bien fait puisqu'il venait de se voir confirmer les théories à peine écloses en lui.

Contrebalancer le pouvoir des esprits… ainsi il avait vu juste, il était bien question d'un pouvoir plus grand qu'un simple couple de liés. Jusqu'à quel point ? Jusqu'à pouvoir rivaliser avec les esprits ? Si ceux-ci s'étaient froissés de la création du Lien, c'était sans doute pour une bonne raison. Il ne savait pas très bien quoi faire de ce qu'on lui contait soudain. L'attitude qu'avait pu avoir ce… Tarenth, face aux esprits, était sans doute compréhensible, en un sens. Mais en même temps et bien…. Pas tout à fait. Mais sans doute avait-il encore une fois un avis bien trop complexe sur la question, quoique le principal concerné aurait sans doute un autre avis là-dessus, il n'en savait rien. Cependant, quelque chose lui disait qu'il avait effectivement quelques petites choses à apprendre des peuples d'Armanda, des choses qui pourraient sans doute le soulager d'une part de ce qui l'assombrissait. Il n'en dit rien, et ne fit pas étalage de cette pensée. Pourtant il le regardait avec une autre lueur dans le regard et pondéra les questions qu'on lui posait soudainement. Pourtant, une réponse s'imposa. « L'unité » et cela revenait à ses préoccupations. S’assombrissant, il s'offrit le luxe de développer un peu sa pensée, sans crainte de ce que l'on pourrait en penser. « Je ne suis pas aussi âgé que vous, et loin de là mais j'ai vu les nôtres » C'était une formulation tellement étrange pourtant…

« J'ai vu les nôtres se déchirer, se tuer les uns les autres dans les guerres de seigneurs qu'ils servaient… L'unité oui, c'est ce dont nous aurions besoin à mon sens, et une plus grande indépendance » Pour ne pas dire une indépendance tout court mais ça, encore une fois… il le devinerait aisément. « En les réunissant, je ne cherche ni plus ni moins qu'à les préserver. Leur permettre d'évoluer non plus comme des elfes, des humains ou des vampires mais comme des dragonniers, des individus… et bien, pairs, capables de se compléter et d'apporter davantage à Armanda. Je nous rêves ambassadeurs auprès de nos peuples, parlant d'une même voix… et je rêve de ne plus jamais être contraint de lever mon arme contre l'un d'eux » Le souvenir, vif, de la bataille de Feusacré lui revint en mémoire. Il aurait pu broyer l'elfe et son dragon sans même suer un instant… et à présent, cela lui faisait peur, très peur. S'être détaché de Lorenz était un véritable soulagement, à ce titre comme à d'autres. « Je pense que nous devons protéger nos liés, leur permettre de prospérer à nouveau sur le continent… est-ce un devoir ? Sans doute. Je pense que nous devons œuvrer pour contribuer au rétablissement d'un certain équilibre… » Il avait beau être une créature de devoir, même lui restait terriblement novice lorsqu'il s'agissait de son rôle de dragonnier à part entière.

« Servir notre monde. De notre mieux. Et je suis bien incapable de me découvrir le moindre droit face à Armanda, tant j'ai déjà oeuvré… contre elle... » Lui aussi, avait d'amers souvenirs qu'il regrettait… ce n'était pas rare, en ce bas monde. C'était l'inverse, que l'on ne voyait pas souvent…

Allait-il le penser fou, que de parler ainsi ? Esquisser un tel rêve pour eux ? Pour ces jeunes dragonniers, plus jeunes encore qu'il ne l'était lui-même qui peinait déjà ? Allait-il lui rire au nez devant la vision qu'il présentait, devant ce qui n'était rien moins que des bons sentiments qu'il n'était pas forcément habitué à avoir ? Ce n'était pas du tout, selon lui, une peur irrationnelle. Non seulement on pouvait, soudainement, lui montrer qu'il avait jusqu'ici mal guidé les autres, mais en plus, présenter les choses à un aîné n'était pas du tout la même chose… C'était un peu comme attendre l’assentiment d'un père, bien qu'il n'ait jamais ressentit cela avec les siens et qu'une part de lui, purement vampirique, ne désirait pas du tout s'abaisser à le considérer comme tel. Néanmoins, il était clair qu'il faisait office d'autorité, et qu'il pouvait aussi bien enterrer ses idéaux tout de suite. Pourtant, il ne semblait pas dit qu'il se verrait détrompé… Le soulagement qu'il ressentit fut profond et intense et il se détendit sensiblement, sans avoir eu conscience de se tendre auparavant. Il n'était pas dans le faux. Oh il avait pu l'être auparavant, parfois, très certainement même mais pas cette fois. Pas cette fois. Quel bonheur cela pouvait être, soudainement, comme si un poids lui était retiré. Tous ces questionnements, ses doutes et ses remises en question étaient balayées. Il n'était pas dans le faux cette fois. C'était quelque chose de terrible, que de se retourner sur sa vie, en constatant qu'on avait toujours été dans l'erreur… Pas que l'erreur soit réellement à éviter, croître et évoluer nécessitait des erreurs, mûrir également. Mais vivre sans qu'une seule fois, même minuscule, on ne puisse se dire réellement : j'ai fais ce qu'il fallait. Ça, c'était, à ses yeux vraiment terrible. En particulier cette fois. Il ne voulait pas méconduire les siens.

« Sans doute » souffla-t-il doucement. Il n'avait jamais prétendu que ce serait simple, rien ne l'était jamais. Même ce qui paraissait simple ne l'était pas, en réalité. Et d'ailleurs, quelle saveur aurait l'accomplissement s'il n'y avait aucune lutte ? Mais ils finiraient par y arriver, il avait la foi. Il fallait qu'il l'ait. Si lui ne l'avait pas, comment pouvait il espérer la voir naître chez les autres ? Il lui fallait l'insuffler, croire à ce qu'il disait avant tout. Pourtant malgré les doutes, les interrogations, il avait toujours parlé avec son âme et son coeur, avec sincérité et franchise, au sujet de ce rêve. Il était convaincu, et terrifié de l'être et d'être dans le faux. Mais pas une seule fois il n'avait vacillé, même dans le doute. Peut-être simplement parce qu'il avait l’appui de sa liée et voyait les autres répondre à ses paroles… peut-être parce qu'il était ainsi fait, tout simplement. Il ne pouvait réellement savoir. Une nouvelle fois, il lui confirma son appréciation, renforçant davantage encore la certitude qu'il nourrissait désormais. Il pouvait l'aider à les réaliser, ces rêves ? Oui il n'en doutait pas mais… Mais il n'eut pas le temps de penser plus avant en vérité. Sans qu'il n'ait bougé, ou que l'autre ait bougé, il sentit la connexion entre leurs esprits et la mémoire, les connaissances, que l'on déversait en lui. Interloqué les premiers instants, il ne pu qu'accepter et le fit d'ailleurs de bonne grâce. Il y avait tant ! Tellement qu'il cru un moment ne pas réussir à supporter le flux. Mais le Tarenth veillait, empêchant la montagne de l'écraser sous son poids, quand bien même il peinait pour tout absorber. Et malgré ses peines, il se trouva bientôt la proie d'une curiosité dévorante devant ce qu'on lui montrait… Qui ne l'aurait pas été en vérité, quand on vous présentait les premiers des vôtres, l'origine même de ce que vous étiez désormais.

Et il passa par de nombreux sentiments : intérêt, affection, amusement, tristesse, dégoût même parfois. Pourtant, il ne jugeait pas de ce qu'on lui montrait. Ce n'était que des réactions instinctives. Mais ce qu'il voyait, expérimentait, là, était prodigieux à bien des égards. Incapable de décrire pour le moment, mais il accordait d'autant plus qu'on lui détaillait des caractères et des êtres qui étaient loin d'être parfaits, tout en l'étant sans doute plus que les jeunes races. Vinrent les révélations sur leurs pouvoirs, et il tâcha d'y accorder autant d'attention que la fascination qu'exerçaient les personnages sur lui… Prodigieux oui, c'était bien le bon mot. Il n'avait même jamais eu conscience de tout ça. Il lui fallut un très long moment pour venir à bout de tout ceci. Mais plus encore la suite, ce qui concernait directement Edwyn Ruddy et qui le fit ciller, puis écarquiller grand des yeux. S'il retrouva ensuite son air plus impassible, il resta quand même qu'il était surpris… et muet, il le fut encore un moment, après qu'il eut cesser de lui transmettre son savoir, et s'il l'entendait parler il n'en montra rien. Il baignait de souvenirs millénaires dont il lui fallait parvenir à prendre la pleine mesure. Cela ne se ferait certainement pas immédiatement. Mais tout ceci était à présent gravé en lui, dans son esprit et sa mémoire. Finalement, il inspira, puis expira profondément, et reporta son regard sur lui, tentant de revenir au présent. Il hocha doucement la tête, intégrant ces derniers conseils également. « Je les guiderais » affirma-t-il enfin, faisant pleinement sienne la charge qu'on lui tendait. Etrangement, il lui semblait qu'il avait là une partie de la question qui l'avait tant travaillé autrefois : pourquoi lui. Il y avait cependant une question à laquelle il n'avait pas répondu… ou plutôt une demande.

« Je ne suis pas apte à vous juger. Je ne m'en sens pas le droit, et certainement pas les capacités. Mais plus que tout…. Je n'en ai pas envie. Et il ne m'appartient pas non plus de révéler votre secret, quand bien même j'aurais eu votre autorisation » Il déposa simplement son regard dans le sien « Cette décision est vôtre et uniquement vôtre. Sachez simplement que je vous soutient, aussi piètre que puisse être le soutient d'une créature comme moi... » Un vague sourire lui vint aux lèvres, alors qu'il ajoutait « Cependant j'ai l'impression que vous avez justement une tâche à me, à nous, confier. N'est-ce pas ? » Il l'avait un peu deviné… sans doute aider en cela parce qu'il venait d'apprendre.

La réponse ne tarda pas, à la hauteur de ce à quoi il s'était attendu. Cela aurait pu être une ombre de remontrance, qui résonnait dans les propos de cet aîné-là, mais le vampire y voyait surtout de la justesse. Jamais au cours de sa vie, il n'avait laissé le soin à d'autres de réparer ses propres fautes, et il ne l'aurait d'ailleurs pas toléré… c'était ici la même chose, simplement à l'échelle du continent. Et puis, ce n'était pas plus mal. Si futur il devait y avoir et s'il appartenait aux Armandéens, c'était à eux de le construire et de le sauver avant tout. Il hocha simplement la tête, sans ajouter un mot, agréant simplement à cette vision. Il n'accapara pas davantage son temps, préférant qu'il continue sur sa lancée, tant qu'ils avaient encore un peu de temps. Ce qu'il fit. Les perles donc, il s'y était attendu, d'une certaine façon, surtout après l'expérience faite avec celle qui s'était nichée dans la réserve rebelle et pour laquelle Silarae avait reçu un plafond sur la tête. Les nouvelles qu'il offrait n'étaient certes pas les meilleurs. On pouvait même dire sans euphémisme qu'elles étaient alarmantes… mais qu'il parle de les détruire leur laissait un espoir. S'il était possible de faire quoi que ce soit, il ferait et il était certain que les autres se rangeraient à son avis. Ils n'étaient pas en accord sur tout mais là, il y avait peu de doutes quand à leur unité. Aucun d'entre eux n'avait envie de voir ces perles dévorer le monde. Certes, Edwyn parlait bien de deux perles impossibles à détruire mais… il voulait croire que rien n'était vraiment impossible. Il y avait forcément un moyen et si moyen il y avait, ils trouveraient d'une façon ou d'une autre.

Il avait foi. Tout simplement. Et pas qu'en la caste naissante. Non, renaissante. Il avait foi en les peuples d'Armanda, vampires compris. Bref, ce n'était pas le moment pour les élans de ce genre. Une chose à la fois. Les perles se renforceraient rapidement… il fallait donc pallier au plus presser, et trouver celles qui avaient le plus de victime à portée. Celles-là devraient être éliminées avant les autres. Le mieux était qu'il s'en charge, lui ainsi que Wallam et le couple doré. De tous, c'étaient eux qui avaient le moins souffert… ou qui s'étaient le mieux remis dans le cas de sa propre liée, et ce grâce à Edwyn. Ça ne lui plaisait pas du tout, mais on ne lui demandait pas vraiment d'apprécier la mission. Il fallait la remplir, c'était tout, et il le ferait. Mais pas seul… Oui il y avait les dragons, c'était certain et il faudrait compter dessus. Un embryon de plan commençait déjà à se former dans son esprit. Il devait partir… oui, mieux valait, il avait encore bien des labeurs devant lui, lui aussi. Ses dernières paroles se voulaient réconfortante. L'unité était la clef de tout et ils ne craindraient plus rien. Il voulait le croire. Il le croyait. Un étrange sentiment le saisit cependant, et il espéra avec férocité qu'Edwyn serait là pour voir la caste grandir. Une sombre inquiétude l'habitait. Il s'inclina légèrement, une main sur le coeur, au salut qu'on lui offrait et à la promesse qu'il transmettait. Une dernière fois, cette sombre mais fugace inquiétude l'étreignit, puis il se détendit et observa le Tarenth s'éloigner, l'esprit ailleurs.