Elle n’avait strictement rien à faire. D’habitude, ça ne la gênait pas plus que cela, de rester tranquille pendant des heures, à ne rien faire, ne bougeant pas d’une griffe tandis que le soleil encore violent lui cuisait les écailles, ajoutant encore à la profonde fournaise de son être millénaire. Alanguie là où elle le décidait, elle se laissait alors aller à une douce somnolence, dans le silence relatif de la nature et son esprit voguait dans ses souvenirs et au travers des créatures présentes, qu’il s’agisse de plantes ou d’animaux. Elle avait toujours adoré les ressentis de la végétation, c’était quelque chose d’unique et de particulier, très loin d’elle, dragonne d’air et de feu. Ce que pouvaient être les plantes, ce qu’elles pensaient et ressentaient si on pouvait dire cela ainsi… Leurs souffles de vie étaient bien différents de ceux des bipèdes bruyants et violents, ils étaient profonds, lents, ancrés loin dans la terre. Leurs vibrations étaient loin des battements d’un cœur mortel, et elle laissait son esprit s’enfoncer lentement, jusqu’aux tréfonds où nulle vie végétale ne subsistait, se laissant conter les histoires des plantes, de saisons en cycles éternels et du bienfait de choses tellement simple que tout le monde les oubliaient progressivement. Elle avait toujours aimé la nature et une fois passée un long moment, la nature l’acceptait également, avec bonté. Il ne lui arrivait pas aussi souvent de suivre les pensées des animaux, qui malgré tout, saisissaient qu’elle était présente et la craignait avec raison. Mais ce n’était là qu’une réaction naturelle, c’était, simplement, pas besoin de tenter de l’enrayer. Alors elle leur préférait les plantes. Oh bien entendu, elle avait un dragonnier si elle voulait vraiment de l’animation… Même s’il était loin, enfermé à Gloria, elle pouvait suivre son esprit et le rejoindre du sien, examinant ses pensées et ce qu’il faisait, discutant avec lui. Mais pour le moment, elle n’en avait pas envie.

En vérité, elle était contrariée à cause de lui. Il était dans cette maudite ville humaine, à faire elle ne savait pas quoi depuis que sa femelle l’avait mouché et la dragonne n’arrivait pas clairement à comprendre s’il ne faisait que se lamenter comme un imbécile ou s’il agissait d’une façon ou d’une autre… Elle n’aimait pas qu’il reste loin d’elle pendant de longues périodes, cela accroissait le risque qu’il fasse n’importe quoi et particulièrement ce qu’il ne devait surtout pas faire pour sa propre santé et celle de son entourage, à commencer par cette princesse qui était partie se jeter dans les griffes de son cousin pour elle ne savait quelle raison. Les humains parfois. Elle ne pouvait même pas fondre sur la ville pour les en tirer sans risquer de les voir se lamenter pour une raison ou une autre… Mais si son vampire de compagnie était en danger, peu importait les vies des humains dans cette fourmilière, elle irait le récupérer quoi qu’il en coûte. Si elle s’inquiétait pour lui ? Bien sûr que oui elle s’inquiétait ! Et c’était précisément pour cela qu’elle ne parvenait pas à rester tranquille comme à son habitude. Ce vampire était une calamité ambulante qui trouvait les pires sables mouvants pour s’y enfoncer joyeusement dès qu’elle avait le dos tourné… Comment voulait-il qu’elle se repose tranquillement en sachant cela, hein ? Impossible ! Totalement impossible ! Et plus il restait longtemps là-bas plus elle était de mauvaise humeur alors il avait intérêt à avoir de bonnes raisons… et à revenir avec sa femelle, probablement, ou elle risquait de se mettre très en colère. Et Il ne voulait pas la mettre en colère. Grondante à cette idée, elle se secoua enfin et se redressa en étirant ses immenses ailes, couvrant les environs dans une pénombre soudaine tandis qu’elle se relevait et s’envolait pour se défroisser les écailles.

Elle s’éleva rapidement, la sensation de s’engouffrer dans le ciel infini faisant beaucoup de bien à son esprit malgré la légère douleur de son poitrail. Elle tournoya un moment puis conçus l’idée de se rapprocher des entrées d’Aigue-Royale, on ne savait jamais, d’ici que quelque chose d’intéressant en sorte qui pourrait la détourner de ses préoccupations et l’intéresse un peu. Alors qu’elle pointait du museau vers son objectif, ratissant les alentours de son esprit, elle tomba effectivement sur une petite souris effrayée, avant qu’une très légère effluve de sang ne lui parvienne. Piquant plus encore vers la terre, elle visa le point où se trouvait la créature qu’elle n’avait pas encore totalement identifié et se rapprocha jusqu’à balayer le sol du vent produit par ses ailes, à l’instant où le bipède sortait de sa cachette. L’effluve, cette fois, était caractéristique de cette race et la fit tout d’abord grogner de mécontentement. Un elfe. Il fallait que ce soit un elfe… Pourquoi donc fallait-il que ce soit un elfe ? Elle se posa finalement, faisant cesser la tempête au sol et approcha son museau jusqu’à lui souffler dessus, heurtant son esprit avec amusement, même si elle restait bien assez douce pour ne pas le contraindre à la folie par ce simple contact. < Et te croquer ? Je peux ? > fit-elle innocemment, même si elle ne le pensait pas vraiment. D’abord parce qu’elle ne demanderait pas sa permission si elle voulait le croquer, et ensuite parce qu’il ne lui calerait même pas l’estomac. Mais quelle idée de lui demander de ne pas l’écraser ! Verith aurait certainement fait la sourde oreille, lui… Il avait bien de la chance, ce petit morceau de fougère. < Tu ne sens pas comme ces vieilles fougères défraîchies dont j’ai l’habitude lorsque je croise ton peuple, elfe. Qu’est-ce que tu fais ici tout seul ? Et tant que tu y es, dit moi ce que je gagne à ne pas t’écraser. Après tout si je te rend service, il est bien normal que j’y gagne aussi quelque chose, tu ne crois pas ? >

Elle termina de replier ses ailes et se baissa, le museau toujours au niveau du sol, pour pouvoir examiner de ses grands yeux la petite chose qui se tenait devant lui. Elle le bougea sensiblement vers sa main blessée en reniflant le sang. < Qu’est-ce que tu as fait-là, je n’ai pourtant pas sentit le moindre ennemi dans les environs, sinon je l’aurais croqué depuis longtemps… >

Elle était amusante, cette petite fougère tremblante et apeurée. Alors comme ça elle ne devrait pas le croquer, hein ? Enfin, oui, il n’y avait pas grand-chose à croquer sur ce tout petit bout de feuillage. Mais avec les bipèdes, c’était toujours la même chose, ils étaient tellement ridicules qu’elle devait en gober des dizaines avant de se satisfaire même à minima et c’était vraiment trop d’ennuis (à défaut d’efforts) pour qu’elle décide à le faire. Au moins avait-il eu la sagesse de se rattraper et de ne pas affirmer qu’elle ne pouvait pas. Parce qu’il était évident qu’il lui serait difficile de lui interdire quoi que ce soit. < Non, tu n’as pas d’écailles, c’est peu dire > Elle ne comprenait pas bien comment ils faisaient, avec leur espèce de petite peau rosée comme celle des rongeurs. Ça devait être terriblement difficile que de vivre avec quelque chose d’aussi fragile pour toute enveloppe. Mais peut-être que ça méritait un peu de respect justement, que de voir une race prospérer en dépit d’une si flagrante faiblesse physique. Elle pencha le museau sous la tentative de compliment en commentant avec taquinerie. < Particulière ? Tu me trouve étrange bipède ? > Cependant, le nom du bleuté n’était pas tombé dans l’oreille, ou l’esprit, d’une sourde. Elle l’avait même très bien entendu. Ainsi, Moëbius allait bien, et il était là dehors, quelque part, certainement avec son dragonnier. Heureusement. Avec tout ce qui secouait le monde bipède ces temps-ci, elle craignait tout de même son petit adoptif. Rien n’aurait pu l’enrager davantage que de perdre un autre de ses enfants, fut-il issu d’un œuf qui n’était pas le sien. Il restait qu’elle tenait à lui ! Et l’elfe qu’elle avait presque littéralement sous le museau était tout autant du genre à babiller que son petit bleu à elle. Le regard gris qu’elle posait sur lui restait fixe, mais elle finit par répondre. < Tu as l’air de te prendre les pattes dans ta propre langue… > Mais c’était clairement plus affectueux que véritablement critique. En fait, elle aimait bien le voir s’emmêler à cause d’elle.

< Je dois avouer que tu n’es pas bien en chair, même pour un bipède, je ne me calerais même pas pour une brève journée avec toi dans l’estomac, mais tu as au moins l’avantage de ne pas être dans une de ces coques de métal que vous autres appelez armures. Je déteste manger dans ces boites, elles ont mauvais goût et me crisse sur les crocs… > Elle secoua légèrement le museau, puis revint à son petit bout de fougère. < Ainsi, tu connais Moëbius ? Quand l’as-tu vu ? Il va bien ? J’ai hélas dû le quitter voilà de longs mois de mortels, et je me demandais ce qu’il était devenu. Le pauvre avait bien des soucis lorsque nous nous sommes croisés. Et je peux comprendre qu’il t’aime bien, vous êtes aussi bavard l’un que l’autre… > Finalement, elle se décida à s’allonger de nouveau tranquillement et posa le museau sur ses énormes pattes sans le quitter un instant des yeux. Son soudain changement de position souleva un nouveau nuage de terre et de poussière. < Mais puisque tu dis que tu peux être de bonne compagnie, je t’en prie, égaye ma monotonie ! Mon lié est coincé dans un nid de bipèdes à des lieux d’ici et je n’ai rien d’autre à faire que de suivre les vies des plantes et des animaux alentours en l’attendant. Un peu de présence bipède, même elfique, ne me fera pas de mal, je vais finir par réellement me transformer en la montagne avec laquelle ton peuple tend à me confondre… L’un des tiens à même essayé de m’escalader > Elle gronda un rire qui fit vibrer le sol sous elle tandis qu’elle secouait son museau. < Ah il a été quitte pour une belle frayeur lui aussi ! Mais quelle idée de grimper sur tout ce que l’on trouve ! > Finalement, elle calma son rire et vint lui souffler dessus de ses naseaux, produisant une légère fumée sombre. < Tu as un nom elfe-qui-est-ami-avec-Moëbius ? > Elle attendit d’avoir sa réponse puis grogna bas, malicieuse. < Bien en ce cas, Aranël, que dirais-tu d’un petit jeu ? Si tu arrives à me distraire, je ne te croque pas. Et j’irais même plus loin si je suis vraiment distraite, je te laisserais monter sur mon dos ! >

Elle était rudement curieuse de savoir ce qu’il allait bien pouvoir trouver pour la distraire et lui changer les idées. Ce n’était pas tous les jours qu’elle avait un elfe à disposition pour s’amuser et ce n’était pas tous les jours qu’elle s’ennuyait autant. Il avait intérêt à être convainquant, cette petite fougère, ou il risquait de ne plus rester à l’état de fougère très longtemps quoi que soit l’apport nutritif qu’il pouvait représenter. Ou dont il pouvait manquer. < Je suis Skade > répondit-elle à sa question. Elle pouvait bien lui dire après tout, il allait lui tenir compagnie un moment, il fallait au moins qu’il sache à qui il s’adressait. Elle ne le pressa pas à l’action cependant, goûtant autant à la curiosité qu’au reste car après tout c’était déjà une façon de passer le temps puisqu’elle était concentrée sur quelque chose. Qu’allait-il bien trouvé ? Il fallait espérer qu’il n’allait pas jouer à lui lancer des choses en tout cas. Mais pour le reste elle n’était pas si difficile que cela, il y avait bien des choses qu’elle avait appris à apprécier avec les bipèdes. Et puis il avait deux bonnes motivations : il garderait sa vie et il aurait une chance peu commune, voler avec elle. Ce n’était pas à tous les elfes qu’elle proposerait cela, loin de là même… Elle n’aimait pas les elfes en règle générale, mais elle devait avouer que celui-là ne lui était pas si antipathique. Finalement, il reprit la parole et elle s’en satisfit. < J’aime les énigmes > Elle les adorait même ! Tisserêve avait bercé ses années de jeune dragonne avec la magie des mots et de l’esprit, elle s’était rapidement prise au jeu. Elle y était même plutôt douée. Le serait-elle encore après toutes ces années passées avec les autres dragons ? Maintenant qu’elle y pensait elle n’avait jamais enseigné ces jeux-là à ses enfants. C’était bien dommage, peut-être aurait-elle dû… Mais sans doute que Verith n’aurait pas été capable de les apprécier à leur juste valeur.

Emettant un léger ronronnement de contentement, et se mit à réfléchir à l’énigme qu’il lui posait. Elle la connaissait celle-là… Mais ça faisait longtemps et, hm ? Il était curieux ce petit bout de fougère. < Pas libre de sa propre volonté et de ses engagements et je n’accepterais nullement qu’il me prenne en excuse pour justifier une fuite loin de ses responsabilités ! Mais tu as raison, pour tout le reste, il est libre. Aucun de vos chefs n’a de droits sur lui, et si l’un d’entre eux tentait, je le croquerais pour lui apprendre. Il est libre de faire ses choix…> Même si parfois, ses choix étaient passablement discutables évidemment. Pour tout d’ailleurs. Et il était également libre de subir les conséquences de ces choix. Elle n’apprécierait certainement pas qu’il en soit autrement. < Pour le moment, Kylian se trouve dans le nid de Gloria. Il y est allé pour pouvoir parler avec sa princesse, et pour qu’elle le pardonne. Enfin il dit qu’il veut simplement s’excuser peu importe si elle lui pardonne mais je pense qu’il espère qu’elle le fasse tout de même et qu’elle l’aime encore. Pour moi ça ne fait absolument aucun doute. Sauf si il recommence à jouer les imbéciles… Mais je doute qu’il le fasse… > Il y avait trop perdu après tout et il aurait perdu davantage encore si elle n’était pas intervenue. Quand elle y pensait, heureusement qu’il l’avait, elle ! Il fallait bien quelqu’un pour lui secouer les puces de temps en temps… bon pas qu’il ait réellement des puces, c’était une image mais tout de même. Elle caressa de loin l’esprit de Kylian justement, qui ne compris pas bien pourquoi mais lui rendit distraitement son affection. Elle ne le déconcentra pas plus et finit par répondre à l’énigme.

< Une montagne bien sûr ! > Satisfaite, elle ronronna une fois de plus… mais loin d’attendre la suite, elle lui en posa également une, qui lui était revenue. Une de celles avec lesquelles elle avait eu beaucoup de mal quand elle était très jeune, pour des raisons évidentes. < Jeune, je suis grande, vieille je raccourcis, tant que je vis, éclatante, le souffle de Vent est mon ennemi ! > Elle courba de nouveau le cou pour venir l’observer de près. < Mais dit moi, je ne vois pas souvent d’elfes aux abords des nids de la rébellion… Est-ce que tu es arrivé récemment ? Il y en a d’autres ?> Savoir si ses plaines allaient être envahit par des mangeurs de verdures à longues oreilles. Mais ça lui faisait penser à quelque chose… < Si c’est le cas, est-ce qu’Eliowir serait du nombre ? Le connaîtrais-tu, par hasard ? Eliowir Serillëiel… > Elle avait beau bien l’aimer, son nom était vraiment imprononçable. C’était bien elfique ça de vouloir toujours faire si compliqué pour des broutilles.

Pourquoi serait-elle liée à un imbécile ? Voilà qui était très amusant. C'était pourtant effectivement le cas ! Kylian était souvent un imbécile, mais la vérité était que c'était aussi pour cela qu'elle l'aimait tant. Elle n'aurait eu que faire d'un héros tout doré et tout lisse, sans imperfections et sans relief. Ça aurait été tellement ennuyant ! Il était adorable son petit dentu avec ses défauts tout mortels, même si elle s'énervait contre lui quand elle le voyait faire des erreurs beaucoup trop grossières. Mais au moins avait-il de la marge pour s'améliorer, devenir meilleur qu'il n'était... Il avait l'opportunité de changer et cela valait tout les trésors du monde. Mais en attendant il lui fallait réparer les 'pots cassés' comme disaient les humains et cela allait s'annoncer dur. Mais ce serait le premier pas sur le bon chemin à emprunter. Néanmoins, l'avenir seul dirait si elle avait vu juste. Pour l'instant, il y avait le présent et ce jeune elfe qui, lui aussi, avait encore du temps pour grandir...

< Bien sûr que j'ai gagné ! > Fit-elle avec amusement, pensait-il vraiment qu'elle ne parviendrait pas à trouver la réponse à une telle énigme ? Tout de même ! Mais lui, allait-il trouver la sienne ? Et bien oui elle en posait aussi, c'était le jeu après tout ! Mais mine de rien, ça la caressait dans le sens des écailles que de le voir aussi enthousiaste. D'ailleurs ce n'était pas la seule chose qui la satisfaisait car il répondait à ses questions et semblait connaître effectivement la rébellion. Donc, elle avait vu juste ! Bon certes, il y avait peu de chances que ça ne soit pas le cas en toute logique, mais on ne savait jamais... et puis zut, si il lui en fallait peu pour être heureuse c'était son problème à elle ! Elle était dragon et elle faisait et pensait ce qu'elle voulait après tout, et le premier qui lui disait le contraire irait visiter les tréfonds de son estomac... Non mais ! On avait pas idée de contredire un dragon !

Et d'ailleurs en parlant de contredire un dragon, contrarier un dragon n'était pas plus indiqué. Elle finit tout de même pas répondre. < Oui, c'est la bonne réponse, bravo à toi… et oui, Eliowir est mon elfe aussi, mais je savais déjà comment on l'appelait, il en souffre beaucoup. Tu n'es pour rien dans ce qu'il a fait ou dans ce surnom que ton peuple lui donne, ne t'excuse donc pas pour quelque chose qui n'a pas lieu d'apporter des excuses > Elle le tapota de son museau < Et oui je connais la rébellion ! Mes petits d'écailles la soutiennent, comme mon dragonnier, alors il est bien normal que je la connaisse ! > Elle redressa son museau à nouveau. < Tu es un soldat de la rébellion alors ? Et c'est à toi de me poser une énigme d'ailleurs puisque u as répondu à la mienne. Disons que nous faisons un concours ! Chacun de nous a déjà posé une énigme, il nous en reste donc… deux chacun ! Et ensuite je t'offrirais ta récompense… > Et bien quoi ? Elle s'amusait après tout !

< Tu avais déjà vu le monde extérieur, petit Aranël, avant de venir ici ? Les tiens ne sortent pas beaucoup de leurs forêts… >

Il avait l'air particulièrement fier d'être soldat. Le concept bipède de se taper dessus pour une autorité ou une autre était certes un peu simplette pour la dragonne qu'elle était, mais elle vivait depuis suffisamment longtemps, et avait séjourné auprès de suffisamment de penseurs, pour en comprendre un peu les dessous. C'était un concept dont elle s'était toujours moquée, lorsqu'elle était jeune dragonne encore fraîchement sortie de son œuf. Pourquoi les bipèdes voudraient se taper ainsi dessus ? Les dragons s'affrontaient parfois mais ça n'avait rien de semblable. Leur logique était unique et voir un bipède se prendre pour un dragon était proprement ridicule. Tisserêve pourtant, avait pris grand soin de tenter d'expliquer la notion de guerre et tout ce qu'elle pouvait contenir. Aussi, si elle méprisait cette façon de faire pour ce qu'elle était en elle-même, elle avait un certain respect pour certaines des notions qu'elle véhiculait… comme le concept de fierté. Ah ça, la fierté, les dragons connaissaient bien et elle plus que d'autres. Alors oui elle comprenait qu'on puisse être fier de défendre sa nuée. C'était même tout à fait naturel. Elle se battait pour ses rejetons, pourquoi lui ne pourrait pas se battre pour les siens ? < Que tes griffes restent aiguisées en ce cas… > C'était presque une bénédiction. Car certes, mettre le continent à feu et à sang n'était une bonne idée, surtout quand on était aussi ridiculement petit, mais elle ne pouvait nier qu'il y avait également de la justesse dans leur voie. Alors oui, qu'il soit toujours aiguisé, qu'il frappe juste.

Mais l'heure n'était pas à la bataille. Elle était aux énigmes et il en posa une nouvelle à sa demande. Un virage qui ne mène nul part ? Voilà bien quelque chose. Qu'est-ce que ça pouvait bien être que cela ? Elle ruminait à moitié l'énigme en l'écoutant. Qu'est-ce que ça pouvait être que cela, un virage qui ne menait nul part ? Cela devait forcément mener quelque part ! Mais si cela menait quelque part alors il n'y aurait pas d'énigmes, forcément… Elle resta un long moment silencieux à l'observer avant de finalement glisser la réponse au creux de son esprit. < Un cercle ? > C'était la seule chose qu'elle voyait qui pourrait convenir mais c'était bien l'esprit bipède que de compliquer ainsi quelque chose d'apparent. Elle n'aurait presque pas trouvé pour cette fois… Tout de même, un cercle et un virage, c'était très différent ! Néanmoins elle ne comptait certainement pas se plaindre ! < Oui j'ai vu beaucoup de choses et j'ai affronté de nombreux adversaires. Beaucoup étaient elfiques, d'ailleurs. La plupart de mes adversaires ce sont attirés mon ire volontairement, et l'ont payé au prix fort. Mais je n'aime pas batailler avec les bipèdes. Ce ne sont pas des adversaires à ma mesure. Aujourd'hui je ne combat que si je le dois vraiment…. > Lorsque les événements devenaient trop dramatiques. Elle n'aurait pu laisser les bipèdes être massacrés lors de la bataille des bois sombres, par exemple. < Cela te paraît certainement long maintenant, mais tu verras que cela arrivera tout de même plus vite que tu n'aurais voulu >

Les bipèdes n'étaient de toute façon que rarement contents de ce qu'ils avaient, alors. < Je n'ai cependant pas le moindre amour pour ces alayiens en boites sombres et leur Néant. La rébellion a donc mon soutient pour les chasser > Elle s'interrompit de nouveau un instant puis trouva tout d'un coup l'énigme qu'elle allait lui poser. Elle allait bien avec tout cela, trouvait-elle. < J'étais demain mais je serais aussi hier. Qui suis-je ? > Il n'aurait sans doute pas beaucoup de mal à trouver la réponse, ce n'était qu'une énigme relativement simple. Et puis il l'avait déjà certainement entendu, non ? < Dis moi, lorsque tu vivais dans les bois de ton peuple, as-tu déjà vu d'autres dragons que Moëbius ? As-tu déjà vu Cymbor ? Un dragon blanc, lié à une femelle elfe qui s'appelait Lyroë… as-tu eu l'occasion de les croiser ? >

Oh elle était certaine qu'il les garderait bien aiguisée, effectivement, cela se sentait. Elle l'aimait bien cet elfe, son esprit lui plaisait… Il avait la même combativité que sa race. Oui, il ressemblait un peu à un petit dragon. Un petit dragon plein d'enthousiasme d'ailleurs. Elle ronronna de satisfaction, alors qu'il l'assurait de sa réponse. Ah mais c'est que ça l'aurait contrarié de ne pas avoir la bonne réponse ! Heureusement qu'elle avait trouvé. Et lui, trouverait-il ? Oh allons, il devrait la trouver cette réponse ! Mais il y avait quelque chose qui l'intéressait encore plus que sa réponse et c'était bien s'il avait vu Cymbor… une réponse qui vint rapidement, heureusement. Oui, il l'avait vu. Il avait vu son fils. Une étrange émotion l'étreignit alors qu'elle l'observait avec plus d'intensité encore… Une chanson ? Sur son fils ? Silencieuse, elle ne put répondre, quand bien même elle aurait voulu dire oui. Elle savait déjà que cela lui ferait mal, mais elle vouait l'entendre tout de même et savoir, savoir quel genre d'hommage les elfes pouvaient offrir à son digne fils. Totalement silencieuse, il le laissa chanter, appréciant sa voix mais se peinant de ce qu'elle transportait. Une triste chanson, effectivement… poignante. Même son coeur de dragonne se serra terriblement et elle arqua le cou en plongeant ses griffes dans la terre, refusant de l'interrompre, refusant de se céder au chagrin qui revenait à flot.

Elle resta silencieuse, alors même qu'il avait terminé, bercée par le chant et le récit, convoyant ses pensées vers son défunt fils qu'elle aimait toujours autant et dont l'absence serait à jamais un trou en elle. Regret et remords, d'une mère plus que d'une dragonne et pourtant… Pourtant elle ne se noya pas. La douleur de la perte était là, mais elle la connaissait et vivait avec depuis longtemps, comme la perte, plus récente encore, d'Estelen. Le bout de son museau oscilla un moment, puis elle souffla enfin, d'une voix intérieure douce et lancinante. < La réponse est 'aujourd'hui' … > Elle s'interrompit, semblant hésiter un long moment, puis se redressa. < Cymbor était mon fils… mon premier dragonnet. Je l'ai laissé en Armanda pour qu'un jour il aide à faire revivre ce continent que j'aime par dessus tout. Ces montagnes, ces plaines, ces rivières… et même ces peuples, malgré les inimités qui étaient les miennes. Armanda a toujours été mon trésor et je voulais tellement qu'elle retrouve un peu de nous également. Et je suis revenue pour le rencontrer, pour lui parler et voir ce qu'était devenu ces terres… jamais je n'aurais pensé qu'il serait… > Mort. Non elle ne l'avait pas cru, dans son arrogance, elle pensait sa progéniture invincible. Une erreur chèrement payée. Si elle l'avait su, par le passé, aurait-elle agit autrement ? Elle ne pouvait en réalité être certaine de cela.

< Je n'aime pas beaucoup les elfes, mais je suis heureuse qu'on lui rende hommage et qu'on se souvienne de lui….. > Elle pencha de nouveau le museau et vint souffler doucement sur le petit elfe qui lui faisait face. < Merci à toi, Aranël aux griffes aiguisées… de ta compagnie et de cette chanson. Ce sont des cadeaux que j'apprécie beaucoup > Le temps s'étira durant quelques instants puis elle acheva. < Comme promis, si tu le désir, je t'emmènerais voir le ciel de là-haut. Il te suffit de grimper jusqu'à ma selle… >

Meilleure compagnie, bah… Il était de bonne compagnie, elle n'avait pas besoin d'y ajouter la moindre notion de comparaison. C'était bien des conceptions bipèdes ça, que de vouloir tirer sa satisfaction d'une comparaison inutile avec d'autres bipèdes sans jauger de la valeur d'une action simplement par et pour elle-même. Et s'il n'était effectivement pas le chanteur le plus doué qu'elle avait côtoyé il s'en sortait admirablement bien et surtout, il lui avait offert ce présent avec la plus parfaite des sincérités. Il n'y avait donc pas à tortiller, elle appréciait grandement cela… et il fallait l'avouer, elle appréciait bien cette jeune pousse aussi, ce qui était fort rare. Et d'autant plus quand on abordait un sujet aussi sensible. La perte de Cymbor ne guérirait pas et elle n'attendait pas que cela se passe autrement. Malgré tout, elle refusait de s'y arrêter et de cesser de vivre. Elle avait trouvé un dragonnier, et elle avait finalement décidé de se battre pour son monde, sa Armanda, même si elle devait en mourir. Si ce n'était pour tous les imbéciles de bipèdes qui ne faisaient que détruire, au moins pour de jeunes pousses comme ce petit Aranël, et pour son fils et son lié. Mais il n'était pas question de se battre en l'instant. Il était question de voler, un exercice qu'elle aimait même s'il était plus difficile après ses blessures qu'il avait pu l'être autrefois.

< Oui, je suis sûre et certaine > fit-elle avec une frêle pointe d'amusement dans l'esprit. Elle ne l'aurait pas mentionné autrement de toute façon, ce n'était vraiment pas dans ses habitudes ! Lorsqu'elle disait quelque chose c'était qu'elle l'assumait totalement, en bien ou en mal. Elle le laissa s'avancer vers lui et commencer son ascension, qu'elle imaginait, autant qu'elle le pouvait d'ailleurs, difficile pour un bipède. C'était que la différence de taille était énorme. Alors elle resta patiente, lui laissant amplement le temps de grimper à son rythme et le suivant autant que possible, par l'esprit. Quand il lui adressa de nouveau la parole, elle tourna son cou pour l'observer achever de grimper et répondit. < Je ne suis pas lié depuis longtemps, il a encore du mal, parfois, à trouver une technique efficace pour grimper. Mais il est très agile > A défaut d'être en forme, enfin si, il l'était… mais il n'était pas en vie, ça aidait tout de même avec les problèmes de souffle. Elle gronda de rire à la dernière remarque. < Imagine ce que ce sera lorsque je décollerais ! Le monde va te sembler soudain minuscule. > Elle aimait voir le monde depuis les airs, la sensation n'était pas du tout la même. Et le spectacle non plus. On admirait différemment la beauté du monde lorsqu'on la contemplait dans son ensemble. Et cela devait être plus vrai encore pour les esprits.

Elle commença enfin à se redresser, accentuant encore certainement l'effet d'une vue à pareille hauteur. Se relever ne lui fit pas de mal et elle étendit ses ailes, plongeant une bonne partie de la campagne environnante dans l'obscurité. < Oui effectivement > Autant qu'il ne fasse pas un plongeons dans le vide, elle s'en voudrait… et puis pour le rattraper, ce serait tout de même compliqué. Elle risquait de le tuer ou de le gober sans le vouloir tellement il était minuscule. A nouveau, elle lui laissa le temps de se sécuriser en place puis battit une première fois des ailes. < Tu ne tomberas pas à moins que je ne le veuille> affirma-t-elle avec sûreté. Une seconde plus tard, ses lourdes ailes et ses pattes puissantes la projetait, avec son petit fardeau, dans le ciel. La terre s'éloigna rapidement tandis qu'elle gagnait les nuages et les dépassait même comme une gigantesque flèche avant de se stabiliser et de prendre un vol plus harmonieux au dessus du paysage. Elle se dirigeait vers Althaïa par défaut mais accapara bien vite son attention en demandant. < Y a t-il une direction particulière que tu aimerais prendre ? Quelque chose que tu aimerais voir plus que tout le reste ? Je connais Armanda par coeur, mais toi qui découvre tout juste le monde extérieur, tu dois bien avoir rêvé de certains paysages en particulier n'est-ce pas ? >

Elle manœuvra paresseusement dans les courants d'air en survolant la cité romantique, comme les humains et les elfes l'appelaient, la couvrant un bref moment de son ombre avant de la dépasser vers le rivage et la mer mais sans jamais aller hors de vue du nid humain. < Accroches-toi bien ! > S'élevant encore davantage elle exécuta un gracieux ballet aérien, dansant littéralement avec vent et nuages et s'élevant jusqu'à ce que l'air se raréfie avant de redescendre vers la terre, de stabiliser une fois de plus son vol puis de se poser tout prêt de la ville, presque aux portes de la rébellion, sans même s'inquiéter que de possibles alayiens puissent la voir. Si il y en avait, elle s'en occuperait après tout. Repliant ses ailes le long de son corps, elle termina le chemin de quelques mouvements de pattes. < Et te voilà revenu vers les tiens, au moins personne ne viendra te disputer pour t'être aventuré dehors, après tout tu étais avec moi… > Elle le laissa reprendre sans doute son souffle et ses esprits après la descente, pas pressée pour un sous mais sentant distinctement l'agitation des rebelles dissimulés les plus proches. < Ils se demandent ce qui se passe >