--- Fin Janvier/Début Fevrier---

Ils avaient décidés de faire quelque chose. Il ne pouvait guère en être autrement de toute façon après la discussion qu’ils avaient eu…C’était assez alarmant pour qu’il ne reste pas inactif. Il avait oublié quelque chose d’extrêmement important et il fallait qu’il le retrouve. Bien entendu, il était possible pour Shaynar de lui offrir ses propres souvenirs, chaque scène qu’il avait pu perdre ou presque. Mais ce n’était pas la même chose, pas du tout même. Ce ne serait pas sa mémoire à lui mais celle du noir avec ce que cela comportait… et s’il pouvait chérir ces souvenirs, ils ne remplaceraient jamais les siens propres avec tout ce qui venait avec eux. Les sentiments, les ressentis… uniques, les siens, bien à lui et si vraiment cet homme avait été son amant, alors il devait très certainement avoir ressentis beaucoup de choses singulières que Shaynar ne pourrait pas lui rendre. Il voulait retrouver sa mémoire à lui. Mais comment faire ? Le plus sûr moyen était de se raccrocher à l’idée de faire ressurgir ces souvenirs en revivant un moment particulièrement important de leur relation. Il y en avait plusieurs : leur rencontre, le chemin au travers du royaume humain, l’arrivée chez les vampires… Il ne pouvait pas trouver un seul moment qui ne serait pas important pour un couple. Bien entendu, c’était le dragon noir qui lui avait soufflé tous ces évènements puisqu’il n’avait aucun souvenir de les avoir jamais vécus. Il lui faisait entièrement confiance mais cela le déroutait encore complètement de savoir qu’il avait pu oublier de telles choses… Si cela tenait effectivement de la malédiction de Néant, c’était fort insidieux et terriblement cruel. Mais la mémoire ne disparaissait jamais véritablement, on avait simplement du mal à se souvenir, à faire remonter la mémoire. C’était cependant faisable, il en était certain. Problème, vouloir retrouver sa mémoire venait en contradiction avec sa mission principale du moment, à savoir enquêter sur Dévoreuse.

Concilier les deux n’était pas vraiment possible hélas, car la seule piste qu’il possédait pour la chevalière de Néant ne le menait pas du tout vers les lieux qu’il devrait fréquenter pour tenter d’éveiller sa mémoire morcelée. Dévoreuse était plus importante, ainsi que ce qu’il espérait obtenir par elle… la levée de la malédiction de Lorenz. Il avait une cruelle conscience du temps qui passait et des effets toujours plus corrosifs du jugement draconique qu’il subissait, cette chose qui, si elle était justifiée, pourrait également conduire à la fin d’Armanda et plus encore. C’était presque insupportable et pourtant pas le choix, il repoussait encore et encore ses propres besoins pour faire passer cette quête avant… Il pourrait s’occuper de lui-même plus tard, ou pas grognait parfois Shaynar, à force de penser aux autres il n’avait jamais de possibilités de s’occuper de lui-même. Le dragon n’avait pas tort et en même temps ? Il n’y pouvait rien. Il y avait effectivement plus important que lui pour le moment et c’était précisément ce qui l’avait emmené à visiter ce village, sur la piste qu’il suivait depuis quelques temps déjà. Il s’était séparé du dragon noir le temps que celui-ci parte se dégourdir les ailes et chasser. L’elfe que Merithyn était n’appréciait pas que l’on tue des animaux et qu’on les mange, c’était instinctif et encore davantage pour un baptistrel… néanmoins c’était le régime de son compagnon écailleux et il n’avait pas à le changer même pour son confort. Il l’avait donc laissé aller et avait récupérer son destrier qui les suivait de loin afin de suppléer à Shaynar quand le chanteur devait voyager au sol. Resté seul, il avait donc naturellement cherché à s’occupé et avait retrouvé la trace de sa piste, d’assez près pour qu’il décide de la suivre en s’éloignant un peu, après avoir prévenu le noir bien évidemment. L’apparition de la bourgade avait cependant été providentielle quand, après plusieurs heures, il s’était sentit faiblir.

Tristes-collines était un village relativement développé, surtout pour la région. Une cité minière où planait la morosité, palpable dans l’atmosphère et qui rendait honneur au nom qu’elle portait. La ville était paisible, à l’écart de tout. Il y planait quelque chose de las et de triste mais étrangement, cela plut beaucoup à l’elfe qui retrouvait également là un charme rural et discret, une espèce de contemplation des jours qui passaient dans une merveilleuse monotonie. Aucune vibration négative ne lui parvenait ce qui était infiniment reposant, un grand soulagement alors que le reste du monde semblait au contraire complètement fou et tendu… Il aurait bien séjourné là plus longtemps, hélas ce n’était pas ce qui l’amenait en ce voyage. Il devait avant toute chose trouver la trace qu’il avait sentie… et où pouvait-elle bien être ? Il ne savait pas vraiment et malheureusement il attirait pas mal l’attention, sur son destrier blanc, en remontant la rue principale, seule pavée du village, les sabots claquant sur les pierres formant le chemin entre de rustiques maisons de bois et de chaux. Les individus, paysans, artisans ou mineurs… ou d’autres professions d’ailleurs, allaient à leurs tâches et ne se retournaient qu’à son passage, le mettant mal à l’aise. Il finit par remonter sa capuche sur son visage et fit avancer sa monture vers la place principale, où il s’arrêta un moment et se plongea dans la trame afin de repérer le chant-nom qu’il suivait. Puis, il descendit de cheval et le laisser près de l’auberge, avant de s’intéresser à un bâtiment apparemment en ruine, sur le côté droit de la place et proche d’une sortie vers la compagne derrière le village. Intrigué par l’architecture peu commune au royaume, il décida d’en faire lentement le tour en attendant de préciser la localisation de ce qu’il suivait…

Le bâtiment tombait en ruine et personne n’avait tenté de le restaurer, cela se voyait clairement. Dans un coin, des éboulis prouvaient qu’un morceau de toit c’était effondré, il y avait des trous dans les murs de pierre et les fenêtres étaient brisées et, à certains endroits, carrément défoncés. De l’herbe et de la mousse avaient élus domicile entre les pierres d’un pan de mur, proche de ce qui avait peut-être été un grand vitrail autrefois, ou tout simplement une aération. Ces habitants végétaux avaient déchaussés certaines pierres, rendant le tout branlant mais il ne semblait pas que la bâtisse tout entière s’effondrerait immédiatement, ce qui était plutôt rassurant. Ça avait dû être une belle bâtisse, quand elle était en état… mais cela faisait longtemps que ce n’était pas le cas, hélas. Il examinait avec attention la végétation au pied du mur arrière lorsque ses perceptions baptistrales lui indiquèrent que cette ruine, aussi dangereuse puisse-t-elle être, était habitée à l’heure actuelle… Par qui ? Il n’osait pas s’avancer pour le savoir, mais il y avait effectivement quelqu’un. Il se prit donc à faire bien attention et à rester circonspect afin de ne pas déranger qui de droit. Certes, vivre dans une ruine était insalubre, mais il y avait peut-être une très bonne raison à leurs présences, comme ne pas avoir assez d’argent pour l’auberge et vouloir simplement un toit au-dessus de la tête, aussi troué soit-il. Il passa près d’une fenêtre, ne s’attardant pas, et contourna un angle pour atterrir… près d’une autre fenêtre. Hey bien ! Cette bâtisse en était truffée semblait-il. Et son agencement singulier ne faisait rien pour aider à se repérer. Il avait l’impression qu’elle avait plus de quatre côtés. Il passa donc prudemment l’ouverture, et convint de retourner devant l’entrée, sur la place du village, afin d’avoir une dernière vue d’ensemble avant d’aller sans aucun doute demander une chambre à l’auberge.

Cependant, il n’alla pas bien loin. Une voix lui parvint dans son dos, alors qu’un chant-nom à présent libéré de l’influence de celui de la bâtisse se présentait à son oreille délicate, en même temps que l’intonation clairement féminine quoi que murmurée. Murmurée ? Mais pourquoi donc ? Il se retourna, surpris et curieux, et chercha à percer l’obscurité grandissante, cette pénombre qui déjà couvrait la campagne et dont le voile semblait bien servir à son interlocutrice inattendue. Avec courtoisie tout en cédant à un peu à son intérêt, il l’examina en s’approchant d’un pas, avant de remarquer qu’elle était armée. Avec prudence et calme, il leva les mains, les laissant bien en vue, le tissu de ses gants blanc formant une tâche laiteuse dans l’obscurité, tout comme sa tunique, sous la cape que le geste écartait. Il avait peut-être bien fait de ne pas prendre son épée, les combats n’étaient pas son fort et encore moins au corps à corps. Surtout que les dagues qu’elle tenait semblaient particulièrement efficaces, notamment avec la magie des enchantements qui en émanait. Avec habileté, il usa de sa voix magique pour ne la diriger que vers cette étrangère, de sorte qu’elle seule puisse l’entendre. Il ne voulait pas l’indisposer en parlant trop fort alors qu’elle semblait désireuse d’être discrète et ainsi déclencher une réaction hostile. « Bonsoir » débuta-t-il, avec simplicité, espérant que se montrer courtois lui serait un gage de son absence de volonté hostile à son égard. « Pardonnez-moi, si j’ai pu vous importuner d’une quelconque façon, ce n’était pas mon but » Sincère, comme toujours dans ses propos, il n’avait même jamais eu conscience au départ qu’il y avait quelqu’un à l’intérieur, quand il s’était approché. Ce n’était qu’ensuite qu’il l’avait sentis et avait essayé d’être discret. « Je me nomme Merithyn, Merithyn Shadowsong, et je suis en voyage dans l’Empire humain. J’essaye de rendre service à la rébellion lorsque je le peux, mais c’est une affaire à la fois plus personnelle et plus universelle qui m’a conduit vers cette ville ».

Avec un brin d’indiscrétion cette fois-ci, il examina un peu le chant-nom de la demoiselle, et perçu son nom très clairement, sans aller plus loin que cela. « Vous… vous nommez Hyrriena c’est cela ? Accepteriez-vous de ranger vos armes ? Je n’ai aucune mauvaises intentions envers vous, je vous assure, j’étais simplement curieux face à cette vieille bâtisse et j’ai décidé d’en faire le tour » Il sourit doucement, gardant toujours les mains bien en vue tous le temps qu’elle déciderait. Après tout, elle pourrait peut-être l’aider, s’il saisissait bien ses vibrations c’était une vampire. Hors une vampire, dans un village humain, se dissimulant ainsi, alors que la presque totalité des sang-froids se trouvaient avec Lorenz, en Aigue-Royal. Que venait-elle alors faire ici ? « Et vous ? » avança-t-il, toujours aussi courtois et calme. « Pourquoi êtes-vous ici ? Si vous m’accordez cette curiosité évidemment… »

Pourquoi lui disait-il cela ? Et bien… Elle le lui avait demandé non ? Il fut surpris de la question, son visage se peignant de cette expression pourtant peu caractéristique, alors qu’il l’observait avec curiosité, et bienveillance. Toujours ! N’était-elle pas vampire après tout… Fou qu’il était sans nul doute mais sa tendresse à l’égard de ses créatures n’était égalée que par sa fascination. Il avait été sans aucun doute attiré par cette culture, cette société et après tout, il valait mieux, puisque non seulement son aimé avait apparemment été un vampire mais qu’en plus il avait vécu au milieu de l’armée des non-morts pendant plusieurs années. Un épisode de sa vie qui était particulièrement important et éclairant, et qui l’avait sans nul doute en partie construit, mais qui, paradoxalement, était assez flou dans sa mémoire actuelle car, une fois encore apparemment, très liée à Eliow. Voilà qui ne l’arrangeait pas. Pourtant ce n’était pas faute de forcer sa mémoire ! Il essayait réellement. Et peut-être… oui peut-être que cette vampiresse pourrait l’aider ? Même sans le savoir ? Mais il n’aimait pas utiliser les autres ainsi, sans rien dire. Et le lui expliquer ? Elle était une parfaite inconnue, cela pouvait la gêner… et puis il ne pouvait pas vraiment lui dévoiler toute sa vie privée comme ça, au débotté. « Et bien… vous me l’avez demandé » répondit-il avec courtoisie, pas très sûr qu’elle ne le prenne pas mal, de le voir pointer du doigt ce qui paraissait couler de source. L’aurait-il voulu qu’il aurait été strictement incapable de lui mentir et à moins d’un cas bien singulier, il n’aimait pas laisser une question sans réponse. Quand bien même y répondre pouvait parfois le rendre malade. Il souffrait en silence en général. Mais là il ne souffrait pas. Répondre lui semblait parfaitement naturel et il ne s’en sentait pas particulièrement mal ni gêné.

Etrangement, elle semblait aussi surprise que lui. Surprise qu’il lui dise cela, de toute évidence, avec sa question. Bon, le fait qu’il connaisse son nom par contre invitait naturellement à la méfiance et il le comprenait… C’était un tic qu’il ne parvenait pas à contrôler, de se croire obligé d’aller extraire le nom de la personne qui lui faisait face par le chant-nom. Cela causait souvent des soucis, de l’émoi. Oui, un jour il faudrait bien qu’il parvienne à cesser de faire cela. Avec le temps et la maturité sans nul doute mais il était pourtant ironique de s’affirmer cela lorsque l’on savait qu’il approchait de la moitié de l’existence normale d’un elfe. Il avait presque cinq cent ans. Pour les elfes, il était un adulte fait. Et pourtant il se considérait souvent comme encore très jeune lorsqu’il se comparait à des créatures millénaires comme Lorenz et ses conseillers. Sans compter qu’il était lié à un dragon, ce qui allongeait considérablement sa vie, la doublant largement… Et au besoin, il pouvait se régénérer complètement, au prix bien entendu de ses pouvoirs. Mais ça, il ne désirait pas le faire. Un Baptistrel ayant atteint la vérité de sa propre existence en ce monde n’avait en rien besoin de cela, bien au contraire, et si Mort le souhaitait, le jugeait apte à le faire, alors il pourrait se réincarner pour une nouvelle existence et reprendre les chemins de sa sagesse… si toutefois sagesse était bien ce qu’il possédait, en petite quantité. « Il se trouve ma dame que je suis Baptistrel et à ce titre, votre chant-nom m’a révélé cette information. La relation entre les deux est obscure je suppose, mais disons simplement que ma magie me permet de connaître des informations ayant trait à votre personne. Votre nom, par exemple » Il espérait qu’elle ne le prenne pas trop mal. C’était que certains le prenait vraiment mal. Lorenz avait voulu le tuer quand il avait découvert son indiscrétion. Bon il fallait dire que là, ce n’était pas seulement un nom qu’il avait espionné, mais un passé tout entier.

Et puis c’était quoi cette manie de toujours prendre Lorenz comme exemple ? Dracos, développait-il une sorte d’addiction envers le prince noir ? Voilà qui le ferait tomber des nues et qui ne ravirait pas Shaynar ! Mais il fallait dire que Lorenz le faisait passer par un tel éventail de sentiments qu’il en était marqué à vie ! Il n’y avait que le seigneur au sang froid pour parvenir à le rendre fébrile et à le faire s’embrouiller autant. Il n’y avait qu’à voir cette histoire de diamant de pureté ! Il avait parfaitement été conscient que cela tuerait probablement le vampire et il en était tout de même arrivé à s’en vouloir et à regretter, se torturant intérieurement là-dessus pendant des semaines entières pour au final s’avouer une fois pour toute que voir Lorenz raide mort le rendrait malade de façon définitive et le déprimerait, quand bien même c’était nécessaire. Et dire qu’il lui avait juré un combat à mort à la fin de leurs chemins…Il serait incapable d’accomplir ce qui était nécessaire. Au final il tenait trop à lui. Heureusement que Shaynar était là. Mais ce qu’il savait, c’était qu’il lui serait certainement difficile de vivre après ça. Balayant ces pensées délétères, il la suivit alors qu’elle lui indiquait de le faire, n’ayant pas décelé de traitrise en elle et curieux d’en connaitre davantage. La voyant faire avec tant de prudence, il ne put que lui sourire avec confiance et encouragement, pour la conforter. Elle n’avait rien à craindre de lui après tout. En faisant attention où il mettait les pieds, il la suivit à l’intérieur des ruines et regarda alentours en ouvrant de grands yeux. « Surprenant… c’est plus grand que je ne m’imaginais » Il était difficile de se faire une idée, vu de dehors, avec tous les décombres.

Un autre chant-nom attira son attention, mais il n’eut pas l’occasion d’enquêter dessus dans l’immédiat, car la vampiresse s’adressait de nouveau à lui et c’était avec courtoisie qu’il lui accorda son attention. Elle cherchait la rébellion ? C’était parfait ça ! Avec un sourire, il hocha la tête et répondit, assuré de sa sincérité. « Oui bien entendu, je peux faire ça. Je peux aussi vous donner mon anneau afin qu’il ne vous arrive rien en chemin. Il est nécessaire pour être sauf des forces de la rébellion et pour entrer dans son sanctuaire. Je n’en ai pas vraiment plein usage… » Entre autre parce que tout le monde le connaissait, et qu’il était Baptistrel, donc incapable de mentir. Sans parler de Shaynar qui était également un argument de poids. « Sous la ville d’Althaïa se trouve des cavernes remplies d’habitations troglodytes. C’est là que la rébellion se cache. Le sanctuaire s’appelle Aigue-Royale. Vous souhaitez vous joindre aux combats ? » Il s’interrompit un instant, réfléchissant, puis rajouta, avec une pointe d’excuse. « Si vous voulez je peux vous indiquer un chemin sûr sur une carte… Je vous aurez volontiers conduite moi-même mais je cherche quelque chose d’important et… enfin c’est hélas d’un ordre trop prioritaire pour que je m’en éloigne »

Il y avait eu comme une incertitude ou bien se faisait-il des idées ? Ne lui avait-elle effectivement pas posé la question ? Devenait-il fou ou sénile ? Pourtant non il avait toujours eu une bonne mémoire même si pas une aussi bonne que pour d’autres. En dépit de cela, il n’osa pas insister, ne voulant pas la froisser d’une quelconque façon et à la place, poursuivie sur sa lancée. Une idée plutôt heureuse puisque le voilà à présent à l’intérieur de la bâtisse, en compagnie de la vampiresse. Elle avait l’air très méfiante et très tendue et il ne pouvait que comprendre ce qu’elle ressentait. Surtout avec ce qu’elle avait vécu. L’elfe était désolé de ne pouvoir la mettre à l’aise aussi simplement et de voir que sa franchise la déroutait autant, mais il était loin de se laisser perturber ou miner par l’idée. Au contraire, il avait la ferme intention de parvenir à la mettre à l’aise. « Techniquement » avait-il dit avec une pointe de gêne « Je peux tout savoir de vous, absolument tout. Pour ne pas gêner mes interlocuteurs je ne mentionne en général que leur nom et quelques informations utiles sur l’instant et concernant le sujet de la conversation en cours » Souriant toujours, il ajouta un peu rapidement, craignant qu’elle ne se fasse des idées. « En réalité je ne peux guère m’empêcher d’entendre tout cela. Tout ce que je peux faire c’est dilué mon écoute afin de ne pas tout savoir trop rapidement ou me concentrer sur une seule portion de chant. C’est autant un don qu’un inconvénient lorsque l’on veut discuter tranquillement avec quelqu’un je dois avouer » Et encore plus quand on voulait nouer des liens avec les autres et des liens solides de surcroits. Ce genre de liens provenaient avant tout de la confiance, être capable de placer une importance en quelqu’un sans tout savoir de lui. Difficile donc dans son cas. Pourtant ce n’était pas pour rédhibitoire, on pouvait s’en accommoder, c’était simplement plus difficile.

Et d’ailleurs, il sembla bien qu’il avait fait mouche d’une certaine façon. Avec un brin de curiosité, il l’observa alors qu’elle rabattait sa capuche. Elle était très jolie en vérité et devait certainement faire le bonheur de ceux qu’elle charmait. Charmait-elle ? Un peu, peut-être ? Un jeune homme ressortait dans son chant-nom, mais il n’alla pas plus loin, c’était privé et même plus que cela. Et puis ils discutaient de choses sérieuses ! « Effectivement, mais ne vous en faites pas. Je ne peux pas mentir, et on me connait bien. L’alliance entre les humains, les elfes et les humains est en partie mon fait. De plus on est toujours beaucoup plus convainquant avec un dragon à ses côtés » Il pouffa légèrement, amusé lui-même à l’idée qu’un soldat de la rébellion tente de l’empêcher d’entrer devant Shaynar. Oui, on était toujours plus convainquant avec un dragon, surtout un aussi connu que le noir. La suite piqua de nouveau sa curiosité. Elle cherchait quelqu’un. Qui ? Il résista à l’envie d’aller voir directement à la source, ayant bien vu qu’elle n’était pas à l’aise avec l’idée. A la place, il se contint et se figea dans son étude de son chant-nom, lui laissant les mystères qui étaient encore inconnus. Si elle voulait le lui dire, elle le ferait non ? Dans le cas contraire il ne la forcerait pas. Il hocha la tête simplement sur l’instant, ne pouvant pas vraiment poser sa question alors qu’elle poursuivait. Il lui indiqua donc de son mieux le chemin à suivre, essayant de détailler le plus possible, surtout en ce qui concernait l’arrivée à Althaïa puisqu’il ne fallait surtout pas aller dans la ville même, même si il existait une entrée par là également. Mieux valait passer par les combes de roches entourant la Romantique, c’était beaucoup plus discret d’autant que la ville était officiellement alignée sur Fabius Kohan et donc les Alayiens. Il lui décrivit également les dispositifs d’entrée, les gardes, les rondes, afin de pouvoir entrer au mieux.

« Quant à moi et bien… c’est un peu compliqué, en vérité. Je ratisse l’Empire à la recherche d’un objet très spécial… et très dangereux. Il me faut le retrouver afin de le détruire. Dévoreuse, la chevalière de Néant. Vous en avez entendu parler, ma dame ? Elle a causée bien du tort ces derniers temps mais nous avons un moyen d’éliminer la menace et même de pouvoir porter un coup à Néant lui-même au travers d’elle, mais plus encore que cela, avant de la détruire, je dois l’utiliser pour sauver quelqu’un » Il sourit légèrement puis continua, soulageant enfin sa curiosité. « Qui recherchez-vous ? Est-ce un membre de la rébellion ? Si c’est le cas, peut-être le retrouverez-vous à Aigue » Certes, il aurait pu éviter de nommer Dévoreuse, mais elle était dans le même camp que lui après tout et ainsi, peut-être comprendrait-elle mieux ce dont il parlait car des artefacts dangereux il en existait plus d’un.

Comme il l’avait prévu, elle ne prenait pas bien le fait qu’il puisse tout savoir d’elle. Mais ça, c’était normal. Si ça avait été l’inverse… Enfin non ce ne serait pas honnête de dire qu’il savait ce qu’elle vivait. Mais il comprenait néanmoins assez bien et il était certain qu’à sa place, il n’aurait pas mieux pris la chose. L’un dans l’autre, sa réaction était tout de même exemplaire de retenue. Il ne pouvait que saluer sa façon d’agir et de réagir. Encore une fois, dans sa situation, il n’aurait peut-être pas été si prompt à se juguler. Et elle avait raison sur un point : le pouvoir de percevoir les chants-nom était infiniment dangereux entre les mauvaises mains. Exactement comme Atalos avait pu le dire, ou d’autres. Et il était d’accord, bien sûr. Ce n’était pas la seule capacité qui pouvait donner des sueurs froides. Entre le sortilège de la bibliothèque vivante, les chants élémentaires et le reste ? Il n’était pas étonnant qu’une telle discipline de pacifisme et d’altruisme ait été instaurée. Fort heureusement pour Armanda, quiconque tentait d’user de cela en mal perdrait tout de suite la capacité de le faire. Un baptistrel ne faisait pas le mal, mais il ne devait pas faire œuvre de chaos plus que nécessaire. Se défendre avait été concédé après beaucoup de difficultés. C’était déjà énorme. « Techniquement nous en sommes tous capables. Cependant je suis le seul qui se soit spécialisé là-dedans. Je perçois donc les choses plus clairement » Il avait développé cette partie de ses pouvoirs au contact de Lorenz, il fallait dire, donc ça n’avait rien d’étonnant. Peu de baptistrels se spécialisaient dans cet art-là. Ils lui préféraient les soins classiques et la détection de la vérité en aval plutôt qu’en amont. D’autres appréciaient davantage les chants élémentaires et leur subtilité. Mais, étant lui-même incarné dans son élément, il n’avait même plus à s’en soucier. Il comprenait le feu au-delà de tous. A la question suivante, qu’il avait déjà entendu de la bouche d’au moins un autre vampire, il sourit mais ne répondit pas immédiatement. Ce n’était pas une question anodine et pour un vampire, connaître son passé pouvait tout changer… voir tout et plus. Si elle le voulait vraiment, il pourrait lui transmettre tout cela ou même ouvrir son esprit à ces souvenirs. Mais ce n’était ni une mince affaire ni une chose que l’on faisait au pied levé. Loin de là même.

Il retira l’anneau de sa bourse et le lui tendit avec bonne humeur. « Surtout ne le perdez pas ! Il vous ouvrira non seulement les portes de la rébellion mais aussi beaucoup de services à l’intérieur même des cavernes et permet de reconnaître les individus à l’extérieur du centre d’opération » Il n’aurait qu’à en reprendre un une fois qu’il reviendrait à Aigue. Et le bénirait lui-même pour l’occasion d’ailleurs. Mais pour l’instant c’était d’une autre bague dont il s’agissait. Il hocha sérieusement la tête, à la question. Oui comme ça, ça paraissait un peu voir très étrange. Et pourtant c’était possible si on s’y prenait bien… « Dans le grimoire d’Alderick, celui qui apporta la chevalière en Armanda, il est écrit qu’elle absorbe toutes formes de magie. Donc elle peut également absorber la magie des malédictions. C’est vaincre le feu par le feu sans doute mais c’est la seule façon dont je peux m’y prendre… Ce n’est certes pas simple mais je n’ai pas le choix, je dois absolument réussir. La menace de cette malédiction est trop grande pour que je l’oubli » Et évidemment, presque personne ne comprendrais son geste, mais enfin… ça, il y était profondément habitué depuis le temps. Ce n’était pas comme si la quasi-totalité de ses actes étaient incompréhensibles pour les autres. Ils feraient avec, comme lui faisait avec son isolation idéalistique. Chacun son problème, ça il avait bien compris depuis le temps ! Il ne s’attarda cependant pas dessus, enchaînant même si elle pouvait toujours le couper dans sa lancée. « Oui je le connais. Il se trouvait sur le domaine de mon ordre lors des négociations en Aout dernier. Apparemment ils souhaitaient s’isoler un peu. Partir vers les montagnes par exemple… même si Isyndar a été vu volant dans l’empire et les plaines à plusieurs reprises. Si vous désirez les trouver, le meilleur moyen c’est encore de trouver Kylian Wallam… il se trouvera certainement avec la rébellion je pense » Il hésita un bref moment, laissant flotter le silence. Devait-il revenir là-dessus ou pas ? Il n’aimait pas beaucoup esquiver les questions, mieux valait donc répondre quoi qu’il en coûte.

« Concernant votre ancienne vie… je peux la connaître oui, elle est inscrite en vous. Je le ferais si vous le voulez, mais ce n’est pas rien je crois, de connaître son existence humaine…. »

L’anneau de la rébellion était une petite chose fragile, comme n’importe quel ornement d’ailleurs, mais sa valeur était bien différente. Et son histoire quelque peu drôle en réalité quand on imaginait la tête de l’orfèvre qui s’était vu commander des milliers de ces petites choses parfaitement semblable. Mais que ne ferait-on pas pour la rébellion, n’est-ce pas ? Et mieux valait faire extrêmement attention à cet objet, entre autre pour éviter de faire faire une crise d’anévrisme à un orfèvre justement. D’autant qu’on ne pouvait pas refaire indéfiniment un tel bijou, cela bloquait l’approvisionnement pour les nouveaux venus. Il avait eu de la chance, lui-même était un dignitaire suffisamment important pour qu’on lui passe une telle perte au moins une fois et s’il le fallait, il irait lui-même faire son remplacement. Ça ne le dérangeait pas le moins du monde surtout en sachant qu’il le donnait à quelqu’un en ayant plus besoin que lui. « Pas de pouvoirs offensifs » expliqua-t-il « Il a été imprégné de magie par l’un de mes pairs afin d’être inutilisable aux loyalistes de Fabius. De plus, si vous le montrer aux rebelles, ils ne douteront pas de votre bonne foi. Elle sert également à reconnaître les autres rebelles par la magie qu’elle dégage. En résumé, c’est surtout un artefact défensif » Il était d’ailleurs en train de penser à lui rajouter un pouvoir de plus, sur le modèle des tissus scellés de son peuple. Ainsi la chevalière de la rébellion serait la seule clef pour certaines portes, par exemple… ou certaines cachettes secrètes. Ce serait une sécurité supplémentaire pour tout le monde et cela pouvait même s’appliquer aux lettres et capsules fermées, parfois simples à ouvrir avec le bon doigté. Mais ce n’était que des pensées pour le moment et rien de bien concret, il faudrait voir cela avec les autres et les principaux concernés. En attendant toutefois, elle faisait toujours parfaitement son office.

« Je vous remercie, j’en aurais bien besoin » Pure vérité que cela d’ailleurs vu la difficulté qu’il avait à trouver la moindre piste. Enfin tout ce qu’il disait n’était que vérité évidemment mais tout de même, ça n’avait jamais été aussi vrai. Dévoreuse semblait avoir disparus de la surface d’Armanda sans que personne ne s’en aperçoive. C’était complètement ahurissant et profondément frustrant. Il avait l’impression de brasser de l’air, tout simplement, et rien d’autre. Il aurait tout aussi bien pu, pour tous ses pouvoirs, être aveugle et sourd et tâtonner le sol avec un bâton. Néanmoins il ne se plaindrait pas à haute voix, ça n’aurait eu aucun intérêt et aurait été fort peu poli pour la demoiselle. Demoiselle qui avait d’autres choses à penser sur l’instant d’ailleurs, face à l’offre qu’il lui faisait. Sa vie d’humaine… Comme beaucoup de vampires ignorant qui ils avaient été auparavant, elle voulait savoir tout en le craignant. Pour le coup, il n’imaginait absolument pas ce que cela pouvait être… Mais c’était, semblait-il, universel. De la plus délicate demoiselle vampirique jusqu’au cruel conseiller du prince, tous semblaient la proie de ce désir mêlé de peur. Avait-il raison de s’infiltrer là-dedans ? Peut-être pas, mais il ne pouvait dénigrer la requête qu’on lui posait même dans un cas pareil. « Très bien » fit-il en hochant la tête et il fut silencieux pendant un moment, remontant le flot de son chant, l’apprenant par cœur, sous toutes les coutures. Désormais, il connaissait tout d’elle, le bien et le mal. Et ce qui était extrêmement intéressant. Elle avait été porteuse de la chevalière ! Elle, elle avait été en contact avec Dévoreuse, c’était elle la piste qu’il avait suivi jusqu’ici. Certaines coïncidences étaient tout de même impressionnantes. Et ça le réconfortait de savoir qu’il n’était pas si mauvais que ça au final.

Cependant il ne s’attarda pas dessus et préféra continuer plus loin, jusqu’à la vie humaine de la demoiselle. Là, il fit très attention à ce qu’il captait et lorsqu’il revint au présent, il eut un sourire qu’il voulait rassurant à son égard. « Et bien il semblerait que la naissance de vos frères a été un moment important pour vous » Il lui fit signe d’attendre un moment, revint à son chant-nom, puis transcrivit ce qu’il apprenait en une mélodie qui ferait ressurgir cette importance pendant quelques instants, pour qu’elle puisse revivre ce qui lui appartenait sans craintes. Lorsqu’il eut achevé cela, il se tut, la laissa digérer et se remémorer, peut-être même tout simplement goûter tout cela sans qu’il vienne jouer l’intrus indésirable. Après un moment cependant, il reprit la parole. « Je suis désolé si je vous interromps mais en écoutant votre chant-nom je n’ai pu que constater que vous aviez été en contact rapproché avec Dévoreuse… accepteriez-vous de me parler d’elle ? » Il préférait s’informer avant de l’avoir entre les mains… si il l’avait jamais entre les mains. « Si vous le désirez, nous pourrions coordonner nos recherches pour la retrouver… quand vous aurez retrouvé Roëric et Isyndar bien entendu »