Lieu de paix et de sérénité, voilà ce que représentait les vieux bois pour Möebius. Le bleuté s'y promenait cherchant désespérément des fragments de son passé disparu. Que ferait-il en ce moment si sa mémoire ne lui avait pas joué des tours ? Aucune idée, à vrai dire en ce moment même il s'en moquait presque. Cette promenade lui faisait le plus grand bien, la brise était légère, le chant des oiseaux doux à l'oreille et l'odeur de mousse humide venait satisfaire ses narines. Ses yeux quant à eux se déplaçaient du ciel vers la terre, observant chaque mouvement, chaque frémissement pour capter l'énergie de cet endroit. Les vieux bois sont une source d'histoire, d'après ce qu'il avait entendu, les premiers dragons foulèrent cette terre il y a de cela bien des années. Le beau bleuté était fier d'être de leur race. Les dragons éprouvent beaucoup de respect envers les plus fort mais, plus encore envers leurs aînés, après tout ne portaient-ils pas l'histoire d'Armanda à même leurs écailles ? Encré au plus profond de leurs cicatrices et de leurs os ? Tant de belles pensées qui furent troublé par la triste réalité de l'histoire de ce monde : la première génération de dragon était alors décimé et la deuxième génération encore trop faible pour inspirer la crainte et le danger.

Le dragon bleu stoppa sa marche d'un air songeur, c'était vrai ... Möe était l'aîné de cette même génération mais, son jeune âge et son manque d'expérience faisait de lui une adversaire pitoyable face aux vampires. Créatures de l'ombre, le reptile ailé ne supportait pas leur constante soif de sang et de meurtres de plus les armées alayiennes avaient envahi l'empire humain. Le dragon ne supportait pas tous ses revirements de situation. Son dragonnier non plus d'ailleurs.

Son dragonnier ... Elrond Amarië, un jeune elfe à la crinière blonde. Après avoir eu un court moment de réflexion sur la situation de sa terre, Möe s'attardait désormais sur celui qui était son lié. Enfin ce qu'il était supposé censé être. Une malédiction avait effacé la mémoire du reptile et à l'heure d'aujourd'hui, lorsqu'il se trouvait près de son lié une sorte de distance les séparaient malgré leur proximité physique. Le lien qui les unissait était toujours présent bien sûr, mais l'union de leurs souvenirs n'y était plus, seul les émotions persistaient tant bien que mal. Il ressentait un manque, oui avant il y avait quelque chose de précieux, de solide entre ces deux êtres. Mais comment était-ce possible qu'une créature ressente un manque sur quelque chose dont il ne possède plus aucun souvenir ? Peut-être à cause de la tristesse que Möe avait décerné dans les prunelles claires de l'elfe.

Agaçé d'avoir ce sentiment constant d'impuissance le dragon rugit, brisant ainsi le calme plat présent en ces bois. Oui il voulait partager un lien puissant avec quelqu'un ! Oui il voulait recouvrer la mémoire ! Se souvenir de tous les bons moments qu'ils avaient certainement dû passer ensemble, se rappeler le moment où Elrond lui avait offert sa protection et bien plus encore. Se remémorer des dangereux instants, des combats qu'ils avaient peut-être fait ensemble, de la peur de perdre l'autre qu'ils avaient ressenti en ces moments de doutes et d'angoisse. Se sentir revivre tout simplement sans cette éternelle sensation de solitude dû à son absence de souvenirs.

Le dragon tourna la tête vers la voix qui lui avait intimé de ne plus causer autant de désordre. Autrefois il aurait certainement sauté de joie face à son lié, mais il se retint choqué par le physique de l'elfe. Le dragon ouvrit grand les yeux en voyant à quel point une malédiction pouvait causer des dégâts, car contrairement à son dragonnier, Möebius était en parfaite santé. L'amnésie ne représentait rien face à la douleur qu'il pouvait ressentir.

Möe s'avança calmement en tentant de faire le moins de bruit possible. L'épuisement le plus complet se devinait sans peine dans ses cernes, la douleur se traduisait par son teint cadavérique et ses traits étirés, sa tristesse, elle dans son regard las de toute chose. Une fois à proximité de son dragonnier, Möe pencha la tête vers celui-ci pour poser son museau contre les flancs de l'elfe. À ce contact le bleuté ressentit une partie de la souffrance physique qu'avait éprouvé son lié. Son rythme cardiaque augmenta en flèche, ses muscles se crispèrent sous l'intensité de la douleur et son regard perdit un court instant toute forme de vitalité.

Comment avait-il pu ignorer tout cela !? Se murer dans son silence en tentant vainement de se rappeler. Certes il avait perdu la mémoire, mais les efforts d'Elrond commençaient à payer, mais jamais Möe n'avait oublié sa nature profonde. Celle d'être prudent et protecteur. Mais si c'était réellement le cas pourquoi s'être montré si égoïste ? Ce qu'endurait son lié ... Tout ce temps passé à ne se soucier que de sa petite personne lui valu la même sensation que de se faire écraser par un rocher lourd de plusieurs tonnes. Cette sensation d'inutilité, d'impuissance le submergea. Il culpabilisait tant et si bien que tous les sentiments de douleur se changèrent en profonde tristesse et en colère.

Son regard se promena d'arbres aux buissons, son sens de l'honneur ne lui permettrait jamais de fuir, mais éviter le regard d'Elrond c'était possible. Mais comment faire comprendre à celui-ci, qu'il était touché par la situation de son dragonnier ? Le reptile bleu ouvrit son esprit en fermant les yeux sans réfléchir davantage.

Il n'eut rien à ajouter de plus, car celui-ci frotta son museau délicatement contre le flanc de l'elfe blond puis se redressa toujours sans un mot. Il ne savait plus que faire, comment l'aider, comment réagir tout simplement.

Le dragon ferma les yeux. À cet instant il aurait aimé se souvenir de tous ces moments qu'ils avaient vécu ensemble. De la création de leur lien à la seconde où il fut frappé de cette malédiction. Mais le bleuté aurait encore encore plus aimé s'il avait pu faire quelque chose pour son lié. Chaque mot qu'il prononçait semblait le faire souffrir. L'elfe rouge s'avança d'un pas maladroit jusqu'au poitrail de son dragon pour toucher ses écailles colorées, le reptile prit ce geste comme un réconfort.

Oui Elrond était faible, mais, pas aux portes de la mort, de la force en petite quantité coulait toujours dans ses veines. Cette énergie gonflerait encore et encore telle une rivière se transformant en fleuve. Oui le dragonnier le pourrait. Le dragon rangea son inquiétude de côté et rouvrit les yeux pour se plonger dans les yeux limpides de son lié.

Möebius fixa le sol d'un air songeur. Il n'avait semble-t-il pas le choix face à cet instant de crise. Mais, comme l'avait si bien dit l'elfe un grand danger les attendait là-bas, y aller ainsi sans aucun souvenir et sans pratiquement aucune force consistait presque à du suicide. Même si Möe avait toutes ses forces, il doutait comme s'il s'agissait de son premier combat réel. Allait-il parvenir à protéger son lié tout en combattant ? Et s'il était blessé arriverait-il à lui apporter son aide ? Le bleuté recula en découvrant ses canines immaculées et toutes parfaitement aiguisées. Bien d'autres questions vinrent bouleverser son esprit. De la peur, de l'angoisse et surtout du doute se lisaient autant dans ses yeux que sur son corps même. Ses griffes se plantèrent à même le sol comme pour rester solidement accrocher face à l'impact de cette nouvelle. Ses ailes se déplièrent entièrement comme si une ignoble créature guettait là, quelques parts dans les buissons alentour près à attaquer. Sa queue qui jonchait à terre se releva, prête elle aussi ...

S'il n'avait s'agit que de sa propre sécurité Möebius serait en ce moment même en train de survoler le continent vers la bataille, mais dans ce cas précis ... Par pure envie de sur-protéger son dragonnier il aurait décliné cet appel sans aucun remord. Pourtant, il ne le ferait pas.

Il avait tellement de choses à dire encore, mais le bleuté ne savait pas comment les lui dire. Möe se contenta de se calmer, ranger ses ailes et ses griffes pour lever la tête vers le ciel et contempler les faisceaux de lumières jaillissant d'entre les feuilles. Ce qui se passerait là-bas serait certes risqué, mais il y avait tout de même une chance d'échapper à la mort. L'Esprit du Néant n'était-il pas sans pitié ? Après tout l'homme du beau peuple et son dragon étaient encore là, à discuter ... En tant que dragon il se devait de participer aux éventuels combats et les remporter !

Möebius se regarda du mieux qu'il pu comme pour se redonner du courage, oui ses ailes étaient immenses et ne feraient que grandir et ce pour un moment. Ses griffes étaient acérées et précises, sa queue agile et rapide. Ses crocs tranchants comme la lame d'une épée et ses épines placées çà et là sur son corps étaient solides comme la roche.

Le bleuté reporta son attention sur son dragonnier, mais ne répondit pas, Elrond avait certainement quelque chose à lui dire, un simple mot ou une phrase courte ... Et si ça n'était pas le cas la décision du reptile était prise, ils partiraient quand l'un et l'autre serait prêt.

Möebius se sentit, pour le moins amuser lorsque son lié prononça le mot museler. Celui ou celle qui essayerait avait du courage ou un temps infini à perdre. Néanmoins, il n'en restait pas inquiet de son état. Tant que l'elfe prendra toujours cette potion pour se sentir mieux le dragon garderait un oeil sur lui. Cette initiative ne serait pas discutable.

Mais le dragonnier sorti son lié de sa réflexion quand il vint lové son esprit contre celui du bleuté. De nombreuses images apparurent alors aux yeux du reptile, il ne dit rien, il se contenta d'observer ses flashs. Mais le regret s'installa en lui. Möe aurait dû demander ces souvenirs bien plus tôt, il n'aurait pas mis autant de temps à se décider, il n'aurait également pas fait patienter Elrond si longtemps.

Le bleuté s'était surpris lui-même. Oui il était fort, rapide et agile, avec de l'entrainement et des efforts cela ne ferait que s'accroître. Mais avant ceci il fallait retourner vers cet esprit et prendre sa revanche. Il n'était pas du genre rancunier mais, cette fois-ci il s'agissait des souvenirs du début d'une vie qui lui avait été dérobé.

Il avait raison. Ce combat ne lui rendrait certainement pas ses souvenirs mais, il ne comptait pas laisser cet esprit en paix, non il se le devait à lui-même mais, à Elrond aussi, qui depuis tout ce temps se donnait tant de mal pour renforcer ce lien. Les Alayiens quant à eux n'avaient aucun droit d'envahir Armanda comme si de rien était. Möebius était ici chez lui et le bleuté n'avait pas l'intention de laisser ces vermines détruire sa terre. Cette fois-ci il n'y avait plus aucun doute : Elrond et Möebius partiraient ensemble plus liés que jamais vers un nouveau combat.

Mais le dragon senti que son dragonnier avait trop forcé, il n'avait même plus la force de parler en gardant les yeux ouverts. Le bleuté s'allongea pour présenter son dos à Elrond et attendit que celui-ci monte. Le voir dans cet état lui donnait mal au coeur. Ne plus avoir toutes ses forces mais, se donner encore et toujours sans jamais s'arrêter éveillait chez Möebius une admiration infini pour son lié. Certes ce lien dragon-dragonnier rendait plus qu'évident cette envie de se dépasser pour l'autre. Mais, à ce point, il n'aurait jamais pu l'imaginer. Où du moins il l'avait imaginé mais l'avait oublié. Encore et toujours cette fichue malédiction ! Le reptile ailé grogna discrètement agacé. Après cette pointe d'énervement, Möe se demanda si les autres dragons et dragonniers étaient tous ainsi. Prêt à mourir pour l'autre. Cette force qui surgissait dont ne sait où le fascinait. Lui aussi voulait se donner corps et âme pour Elrond. Cela serait une façon de le remercier pour tout ce temps passé à lui conter tous les événements que le bleuté avaient oublié. Mais aussi pour tous les bons soins qu'il lui avait prodigué et bien d'autres choses encore ...