Les négociations s’éternisaient mais Silarae espérait que viendrait le moment où elles prendraient fin. Les journées s’alanguissaient dans une interminable langueur et elle rêvait d’action et de fureur, de pouvoir déverser sa puissance au travers du monde et des ennemis. Les mots n’avaient guère d’importance face aux actes et elle savait que si les vaines palabres qu’échangeaient les bipèdes ne changeraient guère quoi que ce soit, ses griffes et les flammes le pourraient. Elle attendait cet instant avec impatience tout en songeant avec angoisse à la fragilité de son lié, à son âme endolorie par le sortilège qui le liait au Maudit.
En attendant elle avait de quoi lutter contre l’ennui. Sa rencontre avec sa sœur de l’ombre qu’elle venait de quitter lui avait donné de quoi réfléchir et ce pendant un long moment. Sur le monde, sur le futur incertain et sur les siens, sur elle-même et bien d’autres choses. Le moment n’était pas encore venu où son esprit serait libéré de l’emprise de ses questions, amère prison désirée, rejetée à tour de rôle, froide et pourtant si chaleureuse. Battant des ailes dans l’air frais de la nuit qui tombait doucement, elle survola paisiblement les arbres, songeant à la douceur du vent sur ses ailes et la force des courants se brisant sur ses écailles diamantines, les quelques rais de lumières irisant sa silhouette en une multitude d’arc-en-ciels minuscules. Ses pensées se concentraient sur ce qu’elle venait d’échanger avec sa jeune sœur, et elle rêvait, fébrile, du moment où elle pourrait échanger avec la mère dragonne. De l’opinion d’Isyndar, cela semblait être la seule qui vaille d’être rencontrée. Malgré cette recommandation, la blanche dragonne ne pouvait s’empêcher de désirer croiser la route des autres écailleux. Ils étaient ses frères et sœurs, et s’il fallait leur apprendre le respect alors elle se chargerait de le faire ; sans enthousiasme ni regret. Quant à ses aînés, elle comptait sur leur sagesse, ou le peu qu’il en avait, pour brider leurs instincts, notamment ceux sur les vampires. Mais quoi qu’il en soit elle savait qu’elle ne laisserait jamais l’un des siens critiquer le choix de son lié. L’insulte retomberait sur elle autant que sur ce dernier, et dans les deux il s’agissait d’une chose tout à fait intolérable.

Ses longues ailes battant sans pitié aucune l’air, elle tournoya sans vraiment savoir que faire, son regard mordoré se portant sur l’horizon assombrit avant de revenir vers le sol. Une silhouette solitaire attira son attention et elle perdit rapidement de l’altitude, curieuse de découvrir qui donc admirait à son tour la fin du jour. Repliant les voiles de peau qui faisaient d’elle une souveraine du ciel, elle piqua vers le sol, sa vision se précisant au fur et à mesure qu’elle approchait, et elle put enfin distinguer les traits si caractéristiques des elfes. Un sylvain bien sûr, c’était sans surprise. Elle se redressa, préférant éviter toute discussion avec l’un de ces êtres, n’ayant désir de l’honorer de sa compagnie. Il était temps de rentrer et de voir dans quel état était Achroma. Si elle ne pouvait le soigner, elle savait sa présence auprès de lui réconfortante.
Frôlant la cime des arbres de ses griffes, elle s’apprêta à poursuivre son chemin sans plus s’attarder lorsque le bipède tourna vers lui sn visage balafré. Balafré. Ce visage ne lui était pas inconnu et pourtant elle ne l’avait jamais rencontré. Pas directement du moins. Mais un autre l’avait fait pour elle et elle avait gravé dans sa mémoire ces traits si particuliers, les longs cheveux blonds si pâles, les yeux sombres mais surtout les nombreuses cicatrices. Lui, elle voulait lui parler. Elle le désirait depuis qu’un étrange sentiment était venu l’étreindre au travers du lien l’unissant à son Frère-d’Âme.

C’était trois jours plus tôt, alors même qu’elle-même se reposait, qu’elle avait senti quelque chose d’incongru troubler son esprit. Non pas une sensation condamnable, non, bien qu’elle n’ait pas compris de suite ce dont il retournait. Un étrange désir, une attirance mystérieuse, qu’elle avait senti fuser au travers du lien l’unissant à son lié. Elle s’était perdue dedans, craignant pour sa santé, pour son intégrité, paniquant à l’idée de le voir souffrir encore plus qu’il ne le faisait d’ordinaire, avant de s’en éloigner d’un sursaut en comprenant qu’il ne s’agissait pas de quelque chose auquel elle devait assister. Elle avait cherché, farfouillé, tentant de comprendre quelle était la source de la perturbation, qui était parvenu à troubler ainsi le calme si profond et légendaire de son vampire lié. Qui avait osé le faire en réveillant pareil sentiment en lui. Et elle avait trouvé. Difficilement, mais dans les souvenirs de son âme-sœur reposait un nom et un visage. Visage qu’elle comptait bien rencontrer. Elle était curieuse de voir ce qu’il souhaitait, ce qu’il était. Elle avait vaguement pensé le faire quelques jours plus tôt mais n’avait eu l’occasion de trouver ; parcourir le domaine baptistrel à la recherche d’un elfe dont elle ne savait pas grand-chose était un pari incertain, et Silarae ne se voyait que comme gagnante. Elle savait qu’elle aurait un jour réponse à ses interrogations. Le moment était donc venu. Lui, elle désirait le rencontrer.

Un atterrissage catastrophe salua son arrivée sur le sol baptistral, où elle manqua s’effondrer tête la première sur l’herbe fraiche, et elle se redressa tant bien que mal en grondant sa colère, touchée dans sa dignité. Stupides arbres, ils auraient pu s’écarter pour lui laisser suffisamment de place afin qu’elle se pose correctement sans la gêner. Posant le regard sur le bipède qui lui faisait face, elle replia ses vastes ailes et s’avança vers lui, laissant son esprit frôler celui de l’elfe, le côtoyant sans l’envahir. Cette créature semblait avoir eu l’approbation de son lié malgré que les sentiments qu’elle avait décelé chez lui étaient pour certains plutôt inconnus. Elle ne lui voulait donc pas de mal mais il lui était impossible de dissimuler sa curiosité et sa méfiance plus longtemps. Ses pensées s’infiltrèrent doucement jusqu’au creux de son esprit.

* J’espère ne pas troubler ton repos, elfe. Je suis Silarae aux écailles blanches, liée au vampire Achroma Seithvelj. *

Elle leva les yeux vers le ciel, observant le crépuscule qui approchait. La nuit était paisible, mais déjà les oiseaux s’arrêtaient de chanter pour regagner leurs nids. Son ouïe de dragon percevait le glougloutement d’un cours d’eau, atténué par la frondaison des arbres et l’épaisseur des feuillages.

* Je crois que tu le connais déjà, elfe ? *

Perçant, emplit d’interrogation suspicieuses, son regard se posa, imperturbable, au fond des prunelles bleues de l’interpellé. Qu'il le nie, qu'il l'ose, et il comprendrait ce que fureur signifiait. Noble, elle le fixait de toute sa hauteur, sa grandeur, lui faisant amicalement comprendre qu’elle était ici la maitresse. Il n’était pas dit que Silarae, reine des cieux, courberait l’échine devant un sylvain. Elle était souveraine ici, et aussi sympathique soit le balafré à son lié, il n’en restait pas moins inférieur à elle. Après tout elle n’avait pas forgé son opinion sur lui; pas encore. Et quelque part, au fond de son esprit emplit de questions silencieuses, elle sentait un léger pincement en songeant que son Frère-d’Âme, son lié, sa moitié et une partie d’elle-même, puisse s’éloigner d’elle pour accorder de l’amour à un autre. Oui, c’était cela qu’elle avait perçu quelques jours plus tôt. De l’amour, ou du moins le début de ce sentiment. Il était temps de clarifier les choses.

Vexée par son atterrissage raté, la dragonne observa le jeune elfe en retenant son irritation, une furieuse envie de tout brûler lui chatouillant la gorge. Elle qui était si douée pour le vol et ses mécaniques, voyait sa réputation bêtement brisée pour une simple erreur de calcul de trajectoire. Bon, l’elfe n’avait qu’à lui être apparut plus tôt aussi. Il était tout coupable que les arbres… et brûlerait sans doute aussi bien. Mais non, Achroma râlerait et il ne serait probablement pas le seul. Les elfes étaient d’une étroitesse d’esprit agaçante par moments. Certes, il y avait un risque d’incendie mais après tout si la forêt l’avait offensée, elle reine d’Armanda, il était normal qu’elle en pâtisse ensuite. Grognant, l’écailleuse tourna son regard doré vers l’elfe et toucha son esprit, s’apaisant en découvrant l’émerveillement qu’elle lui procurait. C’était très bien ainsi. Non seulement ses yeux brillaient, son visage exprimait une fascination non dissimulée, mais même ses pensées étaient tournée vers elle et sa beauté. Elle se rengorgea, dressant la tête et paradant fièrement, percevant sans mal la pensée de l’elfe sur son nom qu’il trouvait beau. Bien sûr, le nom et la créature s’accordait, c’était ainsi. Flattée jusqu’au bout des griffes, elle l’écouta avec attention, plus encline à éprouver davantage de respect envers lui qu’au début de leur rencontre. Après tout, il avait prouvé son intelligence. Et son sens de la politesse.
Le surplombant de toute sa hauteur, la dragonne inclina à peine la tête lorsqu’il se présenta. Oui, c’était donc bien lui, elle ne s’était pas trompée. C’était lui qu’elle cherchait et venait enfin de trouver. Lui qui avait provoqué l’émoi de son lié, qui ne s’était jamais expliqué. Et la dragonne, soucieuse de ne pas chercher à envenimé leurs rapports alors qu’ils étaient vraiment depuis trop de temps à son goût, n’avait rien demandé. Mais cela n’indiquait nullement qu’elle ne souhaitait pas savoir, loin de là ; surtout lorsque la source de la vérité se tenait à quelques pas d’elle. De son esprit vif et de ses yeux scrutateurs, elle comprit que l’elfe errant était une créature fière et orgueilleuse parmi les bipèdes. Depuis le temps qu’elle les fréquentait, elle avait appris à déceler l’arrogance dans le maintien de leur petite tête poilue, la stature de leur corps fragile et terne.

* Voilà quelques temps déjà que je souhaite te rencontrer, Serillëiel l’elfe errant.*

Elle l’observa se courber devant elle, la saluant comme il se fallait. Tous ne faisaient pas cet effort et le spécimen devant elle était une exception agréable. Les bipèdes perdaient peu à peu le respect que leurs aînés avaient envers les dragons, et c’était profondément troublant et agaçant. Le monde changeait vite, trop vite, et les changements n’étaient pas toujours les bons. Les mentalités se voulaient modernes et en phase avec leur temps mais elles perdaient le respect dû à tout ce qui leur était supérieur. Rencontrer un être plus habitué aux vieilles traditions était apaisant et la rassurait quelque peu ; au moins Achroma n’avait-il pas choisit le pire.
Curieuse de connaitre la sincérité de son interlocuteur balafré, elle l’interrogea sur sa rencontre avec Achroma, prête malgré tout à le couper en deux s’il oser nier. Mais non. Il resta sincère et reconnut l’avoir rencontré. Rien de plus. Ils avaient beaucoup parlé… Les yeux d’or s’assombrirent tandis que la colère montait doucement. Essayait-il de la duper ? Elle connaissait son lié suffisamment pour savoir qu’une discussion banale, aussi longue soit-elle, n’aurait pas provoquée chez lui pareils sentiments. Elle réprima de justesse un grondement, tout sentiment agréable à l’égard de l’oreilles-pointues s’évanouissant tandis qu’elle pénétrait plus profondément son esprit, saisissant des sentiments confus qu’il semblait chercher à taire. Il y avait une part de mystère et de secret qui brillait et attirait l’âme de l’écailleuse comme une torche un papillon. Elle se contint toutefois, se faisait néanmoins plus pressante et moins douce tandis qu’elle répondait à sa question, collant son esprit immense au sien. Que devait-elle répondre exactement ? De quoi était-il au courant ? Savait-il pour son statut de double royal et pour la douleur engendrée par elle ? Ou bien Achroma l’avait-il tu ? Pouvait-elle se permettre de le renseigner dessus si ce dernier point primait ? Non… Elle n’en avait guère envie. Pas avec lui, alors qu’il était la cause de secrets du dragonnier. Certes c’était au choix de la dragonne de questionner ce dernier ou non, mais peu importait, l’elfe était fautif.

* Il va bien quoi qu’épuisé, si cela peut rassurer. Je ne peux guère te dire si c’est plus ou moins que lors de votre rencontre en revanche. Cette dernière semble d’ailleurs avoir été particulièrement… inhabituelle.*

Elle se dévisagea avec noblesse, sentant le poison d’une curieuse jalousie lui brûler les veines. Que son lié se détourne d’elle et partage des mystères avec un banni lui incendiait le cœur ; et de toute évidence, elle n’était pas la seule à ressentir pareil sentiment. Mais elle était en droit de le faire. Son Frère-d’Âme et elle venaient depuis encore peu de véritablement se retrouver, elle craignait que cette rencontre ne signifie qu’une nouvelle distance ne s’installe. Ravalant sa hargne, elle ajouta doucement, laissant couler son venin :

* Il semble avoir apprécié la rencontre, bien que la fatigue l’ait suivi de près et qu’il vaille mieux pour lui désormais un repos loin du brouhaha et des importuns.*

Restait à voir si l’elfe parviendrait à conserver son calme ; avec un peu de chance, il cèderait devant l’écailleuse et lui en apprendrait davantage. S’il ne faisait pas, Silarae s’occuperait d’être plus explicite pour son esprit inférieur d’elfe. Son seul problème risquait d’être la colère de son lié s’il l’apprenait. Mais après tout, les mystères étaient de son fait également. Il ne lui faudrait pas s’étonner de la réaction de sa dragonne.

Bien, bien, il semblait dans d’agréables dispositions au vu de l’esprit sympathique contre lequel s’appuyait celui de la Blanche, sans brusquerie ni violence, cherchant à connaître celui pour qui elle était venue jusqu’ici. Celui qui lui avait fait s’écraser par terre et salir ses belles écailles. Il avait intérêt à le mériter.
Par le Dracos, sa gratitude et sa joie était impossible à ne pas voir, et la dragonne scruta davantage ses pensées afin d’en comprendre la raison. Oh… C’était simplement cela… Parce qu’il se trouvait face à elle, il se croyait important, car elle avait daigné l’honorer de sa présence. Nettement amusée par une telle réaction et flattée au plus haut point, Silarae se rengorgea, satisfaite de voir combien sa noble présence était appréciée à sa juste valeur. C’était tout à fait agréable de voir pareille réaction. Mais il avait raison. Oui, sans fausse modestie, elle le méritait. Après tout cet impudent avait osé occuper quelques temps ses pensées pour une raison guère appréciable, il lui devait bien cette admiration sans borne, d’autant qu’il n’était qu’un moustique face à elle. Ah douce satisfaction… Qui ne dura malheureusement guère longtemps, rapidement remplacée par la colère de le voir ainsi, semblait-il, se moquer d’elle en ne lui disant que le strict nécessaire. Elle était ici pour des explications, et elle comptait bien les obtenir, quittes à lui décoller la tête de ses griffes. Que croyait-il, qu’il était possible qu’on lui résiste ainsi impunément ? Qu’il pouvait se permettre de se jouer d’elle ? Il rêvait éveillé alors. Elle diminua toutefois la pression qu’elle exerçait sur son esprit, tentant de juguler et sa colère et sa jalousie et de ne pas le noyer dans son propre esprit.

Elle regretta sa mansuétude en l’entendant protester, et un grondement menaçant jailli de sa gorge, ses yeux d’ambre lançant des éclairs furieux tandis qu’elle se redressait, agressive, le dominant largement et lui montrant qui ici était le plus fort. Fichu elfe… Il croyait que parce qu’il était parmi les siens, il était libre de s’opposer à elle. Sa bêtise et sa hardiesse étaient décidément sans limite. Nul serment ne le protégerait s’il provoquait l’ire de la dragonne, il aurait pourtant dû le comprendre. Droite comme un chêne et tout aussi impressionnante, le bout de sa queue s’agitant nerveusement, menaçante, elle se retint de ne pas simplement le renverser d’un geste puissant tandis que le feu de ses entrailles lui chatouillaient la gorge, prêtes à jaillir au grand jour. Sa patience n’était pas immense, mais faire un meurtre risquait d’être plutôt mal vu. Même s’il s’agit d’un renégat. Elle imaginait déjà la colère d’Achroma s’il apprenait qu’elle avait touché son elfe. Fichu bipède. Il lui avait lié les pattes en s’appropriant ainsi la protection du vampire, et sans doute plus. Sinon pourquoi ne lui en aurait-il pas parlé ? Cette question la brûlait, la torturait. Ils avaient pendant si longtemps été distants, séparés, et à présent que les choses commençaient à changer… Il se renfermait dans ses secrets. Un secret aux oreilles pointues qui pour son propre bien se décida à parler.

*Soit, elfe, je passerais outre ton impertinence. Expliques-toi.*

Inutile d’être magicien pour deviner son mécontentement et son dédain. Non, elle n’était guère d’humeur à être aimable, mais après tout il n’y avait rien qui puisse lui faire ressentir pareil sentiment. Elle lui avait offert son pardon alors même qu’il ne l’avait pas mérité. C’était une chance offerte, une porte ouverte à ce qu’il s’explique, il ferait bien de ne pas en abuser. Elle l’observa pâlir avec satisfaction, sentant les émotions de l’elfe au travers du contact mental qu’ils avaient établi pour cette discussion. Il semblait s’en vouloir, c’était déjà cela. Attentive, elle l’écouta s’expliquer, tentant un bref instant de faire abstraction de ses propres sentiments avant d’oublier cette idée. De toute façon, cela lui était impossible. D’autant plus que son dragonnier s’imposa dans les pensées d’Eliowir, et qu’elle dû se faire violence pour ne pas les lui extirper de force. Cette affection qu’il semblait éprouver pour lui était révoltante. Les griffes d’ivoire s’enfoncèrent dans la terre meuble, préférant lacérer cet humus frais que le visage déjà balafré, histoire d’éviter de lui crever un œil, voir les deux.
Toutefois, elle s’apaisa quelque peu en entendant ses explications, et sentit pointer sa curiosité en même temps qu’une grande fierté : Achroma était le meilleur des vampires, il était normal que ceux qui le rencontraient changent d’avis quant à son peuple. Sa conclusion se fit sur un ton neutre quoi que méprisant, laissant deviner l’ennui profond et la colère qu’elle ressentait envers le peuple au sang-froid. Rares étaient ceux qui avaient son estime, et encore moins son affection et sa protection.

*Je suis ravie de savoir qu’il t’a ainsi fait changer d’avis sur ce peuple, bien que ne t’illusionnes pas trop, Oreilles-pointues. Il est le seul à valoir la peine d’être connu. Les autres ne sont que vaine arrogance et stupide sauvagerie, incapables à une réflexion digne de ce nom.*

Elle baissa légèrement la tête, se rapprochant de lui, le fixant droit dans les yeux tandis que sa voix mentale enflait et s’imposait dans chaque recoin de l’autre.

*Mais son passé, son présent et son futur il les partage avec moi, souviens-t-en.*

Et elle ne comptait absolument pas les partager avec un autre. Il était à elle comme elle était à lui, c’était ainsi.

*Il est une partie de mon âme, de mon être, gronda-t-elle doucement. Je ne tolèrerai pas que quiconque vienne troubler son repos, de quelque façon que ce soit. Il a bien assez à faire avec les stupidités de Wintel.*

De Wintel, et de la malédiction qu’il supportait à sa place. D’ailleurs face au vampire, elle en serait presque venue à aimer Eliowir. Presque.

Etait-elle fâchée ? Bonne question. Pas vraiment. Contrariée était un mot plus juste. Agacée et, oui, jalouse. Un petit peu. Mais après tout Achroma était à elle comme elle était à lui et l’elfe qui faisait face à Silarae s’immisçait dans leur lien, augmentant le nombre de secrets qu’ils avaient l’un pour l’autre. Comment un oreilles-pointues, un ancien de plus, un de ceux qui respectaient le lien entre un dragon et son dragonnier, pouvait aussi impunément, sans regret ni remord, interagir et s’imposer entre deux âmes-sœurs qu’étaient les liés, alors même qu’il s’agissait d’une insulte envers les deux ? Quant à Achroma, à lui aussi elle lui en voulait. Il n’avait pas bronché, savourant au contraire la rencontre avec Eliowir. Il offrait son temps à ce bipède sans une pensée pour sa liée. C’en était rageant. D’accord elle était responsable de leurs distances aussi mais elle au moins n’allait pas batifoler ailleurs en l’oubliant. Et puis voilà, elle était de mauvaise humeur maintenant, on n’avait pas idée de contrarier un dragon. Ce petit ne tenait pas à son intégrité physique. Toutefois il avait eu la bonne idée de coopérer sans opposition, malgré les pensées qu’elle percevait de lui et qui lui retournait les nerfs.

Bon, elle l’avait effrayé, sa voix était tremblante et son corps entier vacillait tandis qu’il se reculait. C’était bien normal, elle pouvait l’écraser comme un moustique si elle le désirait, il n’était rien d’autre qu’un renégat. Cette réaction l’apaisa quelque peu et elle se détendit imperceptiblement tandis que venait ses excuses et explications. Malgré les quelques paroles tremblotantes, elle s’immisça dans son esprit, cherchant des phrases plus claires et mieux coordonnées mais même ses pensées étaient en désordre. Toutefois elle trouva quelque chose… d’intéressant, et fichtrement vexant. Il avait compris. Jalouse était le mot qui tournoyait dans la tête blonde et qui fit se retirer l’écailleuse. Qu’il use de ses mots embrouillés et qu’il se débrouille, elle était offensée par ses conclusions quand bien même elles étaient personnelles à l’elfe.

*Tu souhaites le connaitre ? Nous connaitre ? Me connaitre ? Nombreux sont les bipèdes espérant cela, fascinés qu’ils sont par la magie du lien entre un dragon et son lié… Tu souhaites donc dresser la tête et prendre Achroma pour exemple ?*

C’était du moins ce qu’il laissait entendre, et la dragonne s’apaisa, la tornade de son esprit se faisait brise froide tandis qu’elle réfléchissait. Que faire. S’il voulait réellement apprendre du vampire pour devenir aussi noble, alors c’était compréhensible. Mais il n’y avait pas que cela, elle l’avait bien compris, il lui avait fait comprendre. Il voulait être avec lui et se construire avec. Et cela n’était pas acceptable.

*Soit, Serillëiel. Apprends de lui et prends en exemple. Admire-nous. Mais n’en espère pas davantage. *

Sans quoi il allait finir avec un bras en moins et la rancune de la Blanche. Elle pencha la tête sur lui tandis qu’il se tenait la tête et lui effleura le bras du museau alors qu’Eliowir tentait de… la rassurer ? Mais elle ne s’inquiétait pas de savoir s’il lui voulait du mal, elle avait bien cru comprendre que ce n’était pas le cas. Ce fut presqu’avec douceur, presque, qu’elle poursuivit.

*Je te laisse le bénéfice du doute, elfe, et accepte de croire que tu ne fréquenteras mon lié que pour avoir sa grandeur. Mais mieux vaut pour toi qu’il ne s’agisse que de cela. Je ne tolérerais pas que tu t’implique davantage. *

Et tant pis si Achroma se fâchait, elle le faisait pour son bien et seulement cela. Se reculant, Silarae retrouva la place pour étendre les ailes, observant l’elfe toujours prostré au sol. Elle avait été magnanime, sans doute bien d’autres qu’elle se seraient fâchés, il pouvait s’estimer chanceux de cette réaction. Après tout elle ne lui interdisait pas de voir le vampire, seulement d’en être trop proche. Mais elle avait perdu assez de temps avec lui, elle avait les renseignements qu’elle souhaitait obtenir en se présentant, il était temps de rentrer. Le soleil avait presque fini sa course entre temps. Décidément, cette soirée s’annonçait… particulière.

*Tu ferais bien de rentrer chez toi, elfe. Je pense que nous reverrons, mais en attendant… prends garde à toi. *

Une phrase à double tranchant, à la fois une menace et un souhait de bonheur, à lui de le tourner comme bon lui semblait. Les ailes fines se décollèrent des écailles, battant lentement puis plus rapidement tandis que d’un mouvement puissant, elle regagnait le ciel. En évitant les arbres cette fois.

[RP terminé]