Octobre était là, avec ses feuilles tourbillonnantes et son temps grisâtre, humide, annonciateur d’une saison difficile pour tous tandis que uns à uns mourraient les feuillages verdoyants. C’était l’époque des tapis de feuilles, des champignons et des châtaignes, où les feux dans les cheminées s’allumaient. Et parmi cette campagne, cette végétation, Hyrriena tournait en rond depuis son départ de Gloria. Epuisée et affamée, elle peinait à éviter les citoyens de l’empire et les alayiens, passant davantage de temps à trouver de quoi les nourrir, quitte à faire des allers et retours, elle et son petit compagnon de route. Il avait enfin compris que sa mère ne reviendrait et que pleurer ne servait à rien. Que le silence était la seule chose importante pour les garder en vie. Du moins s’il ne l’avait pas compris se taisait-il, et c’était ce qui importait. Dracos, il en avait mis du temps. Peut-être était normal pour un enfant mais la vampire n’avait pas l’habitude de ceux-ci et se montrait donc bien exigeante ; elle avait déjà passé de longues, longues journées en sa compagnie, blottie au cœur des bois ou dans des quelconques caches qui lui permettaient de fuir le soleil, tremblante de peur à la moindre approche d’un être vivant. Le petit avait appris à vivre à son rythme, dormant en journée, observant le paysage lors de leurs voyages nocturnes.
La voleuse se demandait encore comment elle pouvait être encore en vie. Les occasions avaient pourtant étaient nombreuses où elle avait frôlé de peu la mort définitive. Il suffisait d’un rien pour que tout bouscule d’un instant à un autre. A deux reprises, paniquée, elle avait coupé la respiration à l’enfant pleurant, plaquant sa main sur son visage afin d’étouffer ses sanglots, le lâchant avant qu’il n’en périsse ; aussi dangereux le processus puisse-t-il être, elle savait qu’il valait mieux pour eux deux qu’elle fasse cela plutôt qu’ils ne soient découverts. La mort pour eux deux probablement, quoi qu’en tant qu’humain et enfant il aurait peut-être été épargné. Elle n’en savait rien mais quoi qu’il en soit, une existence d’Alayien était-elle vraiment mieux que ce que le repos éternel pouvait offrir ? Elle en doutait. Très fortement. Il était préférable pour lui qu’il périsse des mains de la vampire que de devoir consacrer sa vie au Néant.

Elle frissonna tandis qu’une goutte d’eau glissait contre le tissu de sa capuche, offrande des branches dénudées au-dessus d’eux. Il ne pleuvait pas aujourd’hui mais l’averse de la nuit avait suffi à mouiller les branchages et la forêt toute entière. La lumière était faible, trop pour que la demoiselle soit touchée par le soleil. Dans ses bras elle sentait le petit humain trembler de froid, malade. Son front était brûlant et ses mains gelées, et il avait besoin de soin, mais la vampire totalement désemparée ne savait que faire. Elle n’avait jamais été malade, jamais eut besoin de soin comme lui en avait besoin. Le froid surement était responsable de cela. Le voyant grelottant, elle lui frictionna doucement les mains, perdue. Rien n’allait. Elle était fatiguée de ne plus savoir que faire, où aller. Si le stress et la peur l’avaient sorti du château, cela faisait bien qu’ils l’épuisaient plus qu’ils ne la motivaient. Son être entier demandait à se repaitre de sang chaud, et elle avait de plus en plus de peine à l’ignorer. Le vagabond qui avait croisé sa route trois jours plus tôt semblait être un lointain et délicieux souvenir, et elle sentait un filet de venin lui monter à la bouche en y repensant. Elle grimaça, fronçant le nez et resserra les pans de sa cape sur le corps frêle dans ses bras. Elle devait lui trouver de quoi se soigner.

Se redressant lentement et prudemment, elle observa les alentours avant de se remettre en route à pas de velours, ses bottes s’enfonçant sans bruit dans l’humus de la forêt. Le parfum de bois humide était agréable et familier, et elle se reprit rapidement pour avancer plus rapidement, prenant toutefois garde à une éventuelle activité humaine, elfique ou vampirique. Ce n’était pas le moment de tomber sur un ennemi. Et pourtant… Le vent lui apporta sans tarder une odeur familière, celle du sang humain, délicieux fumet incroyablement tentant. Hyrriena s’immobilisa totalement, aux aguets, avant de se diriger en direction de l’origine de l’effluve. Un vieil homme. C’était un humain qui agissait étrangement, regardant le sol. Un sourcil levé, la vampire, totalement dissimulée par l’ombre de sa cape, l’observa un long moment sans qu’il ne l’aperçoive avant qu’elle ne se rende compte qu’il ne faisait que ramasser des champignons. Elle hésita un instant, tirant sa capuche pour dissimuler son teint pâle et les traits fins caractéristiques de sa race, et s’approcha craintivement, prête à prendre la poudre d’escampette. Il avait beau sembler être seul, rien n’assurer que des compagnons n’étaient pas dissimulés quelque part dans les environs, malgré que son odorat lui assurer que nul autre humain n’était présent.

-Excusez-moi ? Je… J’ai besoin d’aide s’il vous plait.

Restant à bonne distance, elle le regarda se retourner, soulagée de voir qu’il ne paraissait pas avoir d’intentions agressives.

-Mon enfant a besoin d’aide.

Certes ce n'était pas le sien, mais qu'en savait-il, lui? Il ne pouvait voir d'elle qu'une fine silhouette engloutie par les plis du tissu l'enveloppant, un poupon pâle dans les bras. Surprenante et étonnante vision...

Avait-elle réellement bien fait de venir ici, de s’approcher de cet étranger humain venu cueillir Dracos savait quoi ? Et s’il venait à l’attaquer ? Certes elle était plus que largement apte à se défendre face à un vieil homme mais dans l’état actuel des choses… elle n’en avait aucune envie.
Mais non, il ne semblait pas chercher querelle mais plutôt un homme doux et généreux, cherchant à aider ceux qui croisaient sa route. Tandis qu’il dirigeait son attention vers elle, elle en profita pour observer ses traits nettement humains, la peau halée par, sans doute, de longues années passées au soleil et au grand air, la barbe grise et les yeux bruns, les yeux vampiriques de la jeune fille distinguant nettement chaque poil et chaque imperfection de la peau de l’homme. Mais il semblait prêt à l’aider sans discuter ni poser de questions, et cette réaction de confiance alors qu’elle n’était qu’une inconnue déstabilisa quelque peu Hyrriena. Aurait-il accepté après lui avoir demandé ce qu’elle faisait ici, qui elle soutenait, lui demander de montrer son visage à son tour, oui cela elle l’aurait compris mais là… Il lui demanda simplement ce qu’il se passait, et elle ne put que lui bredouiller qu’il avait de la fièvre. Quelle piètre image elle devait donner, celle d’une mère incapable de s’occuper de son enfant. Bah, heureusement que cela faisait bien longtemps qu’elle ne se préoccupait plus de ce qu’autrui pouvait penser d’elle, sans quoi elle serait morte, enfin remorte, de honte depuis très très longtemps.
Elle eut une seconde d’hésitation quand il désira voir l’enfant, mais elle accepta et le lui tendit prudemment, prête à réagir si la moindre réaction de la part de l’autre lui paraissait suspecte. Mais non, il se contenta de l’étudier d’un œil expert et critique, cherchant la cause du malaise tandis que la vampire l’observait sans savoir quoi penser. Après tout, il aurait très bien put s’agir d’une ruse, elle prétendant avoir un enfant malade tandis que d’autres se dissimulaient pour mieux surprendre l’étranger. Mais heureusement pour lui, ce n’était absolument pas le cas.

Laissant l’enfant dans les bras du vieil homme avec réticence, la petite brune s’éloigna ramasser des branches comme demander, grimaçant en s’apercevant qu’elles étaient bien trop humides pour qu’un feu démarre. L’autre devait très bien le savoir pourtant, sans doute n’était-ce pas la première fois qu’il faisait un feu en forêt en pareille saison. Elle ramena quelques branches et, s’accroupissant, elle porta la main droite devant son visage après avoir ôté son gant et puisa dans la magie pour faire naitre cinq flammèches au bout de ses doigts blancs, qu’elle approcha du feu prudemment, écoutant grésiller l’eau contenue dans le bois. Elle resta ainsi quelques instants et lorsqu’elle fut certaine qu’une partie du bois était sèche, elle approcha davantage les flammes et attendu que quelques petites langues oranges viennent lécher le bois, répandant une fumée atroce autour. Mais quelle idée d’allumer un feu ici. Furieuse, elle coupa sa respiration afin d’éviter l’odeur âcre et se tourna vers l’étranger qui lui parlait, hochant la tête en entendant les instructions.

-Je vous remercie pour tout cela monsieur. Quant à ma maison… et bien… voilà longtemps que nous l’avons quitté.

Oui, c’était un demi-mensonge, cela faisait plus d’un siècle qu’elle en était partie en fait, et n’en avait pas eu depuis. Cela ne lui manquait pas, elle ne s’y était jamais habituée, ce qu’elle ne connaissait pas ne pouvait lui manquer. Elle haussa un sourcil et éteignit le feu en se retenant de grincer des dents avant de suivre prudemment leur nouvelle rencontre, attentive à ses gestes d’autant qu’il avait récupéré l’enfant de Morgane sur lequel elle veillait.
L’endroit où ils arrivèrent était simple mais possédait le charme de la Nature, une toute petite installation perdue au milieu des arbres mais plus confortable qu’il n’y parait. Avec curiosité, elle s’installa là où le lui indiqua le vieil homme avant de l’observer avec attention.

-Merci encore, pour tout. Pourquoi faites-vous cela ?

Après tout rien il ne lui devait rien, son aide il l’offrait sans rien demander en retour, à moins qu’il ne l’ait simplement pas encore fait et dans ce cas elle souhaitait savoir de suite de quoi il en retournait. S’il lui demandait trop ou plus qu’elle ne pouvait lui offrir… Un arrangement serait sans doute possible. Peut-être manquait-il simplement d’argent, et dans ce cas, aussi pauvre soit la demoiselle, quelques pièces pouvaient bien changer de main ; elle trouverait bien un riche marchant à voler en cours de route pour compenser ce vide soudain.

-Je ne tiens pas à faire demi-tour, je m’éloigne de Gloria. Et vous, que cherchez-vous ici ? Que puis-je vous offrir en échange de votre aide ?

Quelques gouttes tombèrent sur leur toit improvisé, perçues très nettement par l’ouïe fine de la vampiresse.

-Êtes-vous seul ? Ce n’est guère prudent pourtant…

Elle récupéra l'enfant qu'elle installa sur ses genoux, passant une main froide sur son front encore tiède, avant d'observer l'étranger, ne sachant que faire.

L’homme semblait savoir de quoi il parlait, au moins devait-il avoir une certaine expérience de cela. C’était rassurant, mais d’un autre côté il était humain, il ne pouvait que mieux que la demoiselle savoir comment réagir face à ce type de réactions du corps. Si cette race ne savait pas comment se soigner, personne ne le saurait. Mais après tout, il était vrai que le mystérieux vieillard n’aurait nullement été dans l’obligation de sauver la vie de cet enfant. S’il l’avait voulu, il aurait très bien put s’éloigner sans un mot, tenter de les tuer bien qu’il aurait eu probablement de la peine à y réussir ou encore tenter de retrouver les gardes mais là encore, il avait fort à parier que lui n’était pas le plus fidèle au nouvel empereur.

-Je vous remercie doublement alors monsieur, ne vous inquiétez pas pour nous, nous trouverons où être en paix et en sécurité. Mais si cette poudre n’est rien pour vous, je doute que cet enfant soit de votre avis.

Aller à Aldaria… Non, c’était du suicide, il n’était pas question pour la vampire de se réfugier dans ce nid d’humains d’autant qu’elle souhaitait retrouver la rébellion, Isyndar et son lié, et Wallam. Et avec l’enfant dans les bras, elle risquait fort d’avoir grand peine à passer inaperçu. Tant que son visage restait dissimulé, oui, elle pouvait prétendre être une jeune mère mais elle savait que sitôt le masque tombé, ce serait la fin. Et puis la simple idée d’aller dans ce guêpier la faisait frissonner d’angoisse, elle avait beau avoir changé, s’être endurcie, il n’était malgré tout pas question de risquer sa vie bêtement.
Tout en observant avec prudence mais fascination le vieil homme qui s’occupait de son lapin, Hyrriena resserra contre elle les pans de sa cape avant recoiffer brièvement l’enfant fiévreux, ne sachant que faire. D’ordinaire elle s’invitait chez les gens sans leur accord et en leur absence, là c’était un petit peu différent et elle ne savait comment réagir. Devait-elle l’aider ? Elle ne savait pas cuisiner, c’était un peu risqué. Elle aurait pu aller chercher des plantes pour aromatiser tout cela mais ses connaissances en botaniques étaient très faibles.

-Nous partirons le plus rapidement possible, mais en attendant… que puis-je faire pour vous aider ?

Si elle devait rester en sa compagnie ne serait-ce que quelques heures il fallait bien qu’elle s’occupe et il n’était pas question qu’elle ait une dette envers lui. Aussi sympathique soit-il il restait humain. D’ailleurs en tant qu’humain… Elle sentait le parfum chaud du repas battant dans les veines de l’humain, finement dissimulées par l’odeur forte et écœurante du lapin en train de cuire. Quelle idée de faire brûler la chair ainsi. Elle perdait tout son arôme, tout son jus. Il fallait les laisser saignants et gouteux mais cela les humains ne l’avait pas compris. La voleuse fronça le nez avant de couper sa respiration, fuyant cette fumée âcre qui la brulait de l’intérieur et lui piquait les yeux. Un feu n’était guère raisonnable pour un fugitif, il donnait l’emplacement de celui qui l’avait fait. Heureusement que la cache était habilement dissimulée, mais même ainsi, Hyrriena ne parvenait pas à rester tranquille, son ouïe attentive à tous les bruits qu’elle entendait de près ou de loin et qui pouvaient révéler la présence d’étrangers. Et donc d’indésirables.

-Vous êtes… surprenant. Je m’appelle Hyrriena. Mais non, nous allons continuer notre route, je préfère éviter les grandes villes. J’ai toujours vécu peu entouré alors… Nous trouverons où passer l’hiver une fois sorti de cette forêt.

Elle prit les deux portions qu’il lui tendait avec un remerciement, et broya les morceaux pour en faire une bouillie que l’enfant pouvait manger sans problème. Inutile de le voir s’étouffer avec autre chose. C’était la première fois qu’elle le nourrissait ainsi mais après tout… pourquoi pas. Restait à voir s’il allait manger la viande d’autant que malade, tout cela devait paraitre aussi agréable que ce l’était pour la vampire qui rêvait d’une bonne dose de sang frais.

-Mais pourquoi ne vous réfugiez-vous pas en ville, pour votre part ?

La gamelle fut rapidement finie, et l’enfant s’était endormi entre temps. Attrapant les bols, la jeune femme accompagna Tobold au dehors ; après tout il fallait bien nettoyer les bols.

-Si vous souhaiter que je vous aide à chasser, n’hésitez pas à me le dire, je vous rendrais service avec plaisir.

Avec un peu de chance cette chasse-là lui ferait oublier que c’était des proies humaines qu’elle chercherais volontiers…

Rechercher de l’aide avait été au départ une bonne idée, la seule au vu de l’état de l’enfant malade mais à présent elle se demandait si ce n’était pas une grossière erreur tout simplement. L’homme était bien aimable, c’était un fait, il ne pensait qu’à lui rendre service mais en tant que vampire, la demoiselle ne pouvait tout simplement pas accepter les mêmes choses qu’une humaine. A commencer par cette proximité avec lui, déjà qu’elle avait manqué égorgé son protégé à plusieurs reprises à cause de la soif, la compagnie d’une autre proie était compliquée à supporter. Et plus le temps passait, plus elle mourrait d’envie de lui planter ses griffes dans la chair, donc plus elle y pensait et son désir se renforçait. C’était un cercle vicieux dont Hyrriena se serait volontiers passé, mais le vieil homme avait raison : elle devait trouver à manger, bien que le terme de « provision » ne soit pas vraiment adéquat. Elle s’imaginait mal ramener un petit troupeau d’humains avec elle dans son voyage.

-Votre maître était un sage, sourit-elle. Et c’est vraiment gentil à vous mais… écoutez, je ne peux vraiment pas entrer en ville. Même en étant peu connue, en y entrant clandestinement. Il faut que je reste éloigner du monde. Quant à mes amis… Je suis à leur recherche justement.

Elle se frotta les yeux de sous sa capuche, chassant le sentiment d’impuissance qui l’emprisonnait. Plus le temps passait et plus elle désespérait de trouver le dragonnier et sa liée. Oh elle ne doutait pas de finir par y parvenir mais si ce pouvait être sans trop attendre, ce serait avec plaisir. D’autant qu’elle ne comptait pas continuer à servir de nourrice toute la vie de l’enfant.
Il fallait vraiment qu’elle trouve de quoi se changer les idées, et l’autre venait de lui offrir une magnifique raison de le faire.

-Vous avez raison, je vais aller chasser. Ne vous inquiétez pas pour moi, je sais parfaitement le faire, mais je vous remercie de votre offre. Je peux laisser ici l’enfant ? Je pense qu’il sera en sécurité.

Devant la réponse positive qui lui fit offerte, elle se leva, sortit calmement de l’abri et s’en éloigna en douceur, sans précipitation, jusqu’à être hors de vue de Tobold. Là, elle se mit à courir, se laissant porter par son odorat, sautant et esquivant, traquant avec attention la moindre odeur humaine qui lui parvenait, jusqu’à ce qu’elle retrouve celle d’un feu de bois. L’odeur était habilement dissimulée, et en s’approchant elle nota sans peine les précautions prises par les nouveaux venus. Ils devaient être habitués à la fuite ; soit des rebelles, soit des hors la loi. S’il s’agissait du premier groupe, elle était navrée de devoir sacrifier leurs vies pour se repaitre de leur sang ; si ce n’était pas le cas, elle en était ravie. Trois hommes, un jeune et deux plus matures. L’un en train de se soulager dans un coin, les deux autres occupés à faire cuire une quelconque viande tout en surveillant les environs. Campée dans l’ombre, la jeune fille les observa un moment avant de se décider à passer à l’attaque.

Se débarrasser d’eux fut plus compliqué que prévu, d’autant que les deux plus âgés avaient une solide expérience du combat, et l’un d’eux une rapidité étonnante. Par manque de prudence, la vampire faillit bien y laisser un bras, mais son repas finit toutefois par jucher au sol, le sang ruisselant sur la terre humide, sans qu’elle ne soit blessée. Ah, s’ils croyaient pouvoir faire face à une vampire, ils se trompaient lourdement. Mais que de gâchis… Seul le plus jeune était encore mangeable, puisqu’elle l’avait immobilisée grâce à une malédiction des chaines. C’était mieux que rien, d’autant qu’il possédait sûrement un sang bien meilleur que celui des deux autres.

Elle revint au campement le sourire aux lèvres bien que dissimulé dans l’ombre de sa cape, un lapin dans les mains. Elle s’était nourrie, et l’enfant allait être soigné, voilà qui brutalement lui remontait le moral de façon merveilleuse. Tobold était déjà ou encore là, elle ignorait s'il était parti entre temps mais quoi qu'il en soit elle était rassurée de le voir près du bambin.

-Tenez, il a croisé ma route, gardez le. En attendant le miel, vous aurez le lapin. J’ai déjà fait des provisions ne vous en souciez donc pas. Comment va le petit ?

Elle secoua le bas de sa cape lourde d’humidité avant de l’interroger davantage.

-Pardonnez mon indiscrétion, mais vous n’avez pas d’enfants ?

Hyrriena fixa avec attention les mains de l’humain qui s’agitaient, notant avec soin chacun de ses gestes. Un collet, cela pouvait toujours servir, même si elle n’attrapait pas de lapin avec. Mais ce genre de piège pouvait s’utiliser en toute circonstance, et il suffisait d’en varier la taille pour obtenir un peu plus qu’un lapin. Le chasseur chassé, voilà une idée tout à fait intéressante et les yeux dorés de la vampiresse pétillèrent méchamment lorsqu’elle lui traversa l’esprit. Fascinée par les gestes mécaniques de Tobold, elle perdit le fil un instant et dut lui demander de recommencer sa démonstration. Mais quelle idée de parler de serpent et de puits en même temps… La voleuse avait brusquement l’impression d’être une fillette recevant des leçons de la part de son vieux précepteur, et cette sensation était tout à fait dérangeante. Entre eux deux, elle était la plus âgée, cela ne faisait aucun doute. Et pourtant il paraissait avoir vécu bien plus de choses. Cela n’avait rien de surprenant en y réfléchissant ; les humains vivaient certes plus brièvement, mais beaucoup plus intensément que les vampires. Surtout que la demoiselle avait passé une bonne partie de sa non-vie à ne rien faire, c’est-à-dire à s’éloigner de tout ce qui pouvait être pour elle source de danger et d’ennuis, ce qui ne l’avait pourtant pas empêché de s’en attirer. Elle avait changé depuis… C’était indéniable. Ce qu’elle faisait aujourd’hui, elle n’aurait jamais eu le courage de ne faire que l’imaginer ne serait-ce que cinq années plus tôt. Elle aurait considéré tout cela comme une folie et l’enfant comme un danger. Mais c’était le cas après tout… C’était une réalité encore présente, seule son opinion s’était modifiée.
Le vieil homme lui passa le nœud, l’invitant à essayer à son tour. Patiemment, il lui remontra les bases, avant de la laisser faire seule, lui relatant sa vie en même temps. Tout cela n’avait pas dû être facile… Mais les esclaves avaient quelque chose qui les poussaient à aller de l’avant, à se rebeller et s’imposer : le besoin brûlant de liberté. Difficile de dire si cela faisait d’eux des êtres plus forts, mais au moins avaient-ils de quoi les pousser vers l’avant, toujours. Peut-être était-ce pour cela qu’elle-même avait été si longtemps repliée sur elle-même : elle était libre depuis le début, tellement libre qu’elle en était seule. Qu’elle rejetait tout lien avec qui que ce soit de peur de perdre cette liberté, de perdre la vie, de perdre elle-même ne savait pas toujours quoi. Mais la peur, oui, elle avait toujours été là, c’était indéniable. Et elle n’avait toujours put compter que sur elle-même. La vie de l’homme qui lui faisait face l’émerveillait, peut-être parce qu’elle avait été beaucoup plus qu’une simple course poursuite. Il avait vécu des choses très dures, mais cela ne l’avait pas empêché de s’en sortir, de chercher à aller plus loin. Et il avait vu et connu tant d’aventures… Un foyer, même s’il était arrivé tardivement, des amis. Tant de choses qui restaient encore si abstraites pour Hyrriena.

-Appelez-moi Hyrriena, je ne suis pas une dame.

Mais il avait raison, quelque chose venait. La fugitive entendait les bruits qui s’approchaient, et en prêtant l’oreille avec attention elle percevait les jappements des chiens. Sales bêtes que celles-ci. Elles avaient bien souvent un flair dangereux pour la proie traquée, et nul doute qu’ici, la proie était elle-même. Ainsi donc, l’on avait trouvé les corps. Plus rapidement que prévu, mais il devait il y avoir une patrouille régulière et particulièrement connaisseuse des vampires pour avoir compris que les cadavres en avaient été les victimes. Sur ses indications, elle le suivit jusqu’à une cache qu’il lui montrait, le regardant mettre du poivre devant la cache.

-Et pour vous ? Vous êtes sûr que cela ira ?

Elle avait beau être vampire, elle avait un minimum de cœur… Inutile de dire que l’idée de laisser quelqu’un mourir pour la sauver lui faisait tout drôle. Elle avait l’impression d’être… importante. D’exister tout simplement.

-Laissez le lapin sur la piste, cela occupera les chiens un moment.

Après tout, il n’aurait probablement pas de mal à s’en procurer de nouveau…

-Je vous attendrais jusqu’à ce que la lune soit haute, bonne chance.

Inutile de risquer sa vie trop longtemps non plus, ni celle de l’enfant. Elle attendrait, mais si Tobold ne revenait pas, elle partirait sans un regard en arrière. Et puis, voyager de nuit lui était bien plus profitable que de le faire en journée. Toutefois, avant de le laisser partir, elle lui tendit plusieurs pièces en guise de remerciement: libre à lui de les accepter.

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Ils étaient passés. Elle ne savait pas par quel miracle mais pour l’instant tout allait bien, du moins à peu près. Il était cependant vrai que le résultat du maquillage du vieil homme était tout à fait stupéfiant, la jeune fille était impressionnée par la réalité des traits dessinés. C’était tout à fait hideux et repoussant, mais là était le but. Et cela passerait sans le moindre problème du moment que personne ne regardait de trop près. Mais après tout, un pestiféré amenait plutôt des réactions de crainte et de dégout, parfois de pitié, mais personne n’aurait l’idée saugrenue de venir l’observer de près. Du moins Hyrriena l’espérait-elle. Sans quoi ils seraient bons pour… partir en courant ? Moui, la solution n’était à utiliser qu’en dernier recours. D’autant que le vieil homme ne devait pas courir bien vite, et si la vampiresse était capable de le porter, avoir l’enfant dans les bras et lui dans le dos allait s’avérer difficile pour s’échapper. Mais non, il fallait rester optimiste, si la chose était possible du moins.

La capuche couvrant une partie de son visage, les morceaux de tissu couvrant le reste, elle avança doucement, observant avec attention et vigilance l’enfant sur le dos du vieil homme. Elle ne l’avait pas pris sur elle, Tobold ayant manifesté la volonté de le faire ; après tout cela n’était pas pour lui déplaire, si le moindre souci arrivait elle aurait les mains libres pour s’en occuper. Aussi ingénieux lui semblât-être l’humain, c’était elle la plus à même de les débarrasser de leurs ennuis. Même si l’angoisse lui pinçait douloureusement le cœur et lui tordait les tripes. Elle détestait être dans un endroit visible comme celui-ci. Les vampires étaient des créatures de l’ombre et fait pour être cachés, pas pour s’exhiber devant tous en prenant le risque d’être repérés par leurs ennemis comme de leurs amis. Malheureusement, les premiers étaient souvent plus nombreux que les deuxièmes. Mais nécessité faisant loi, il était difficile de refuser ainsi de s’aventurer sur ce pont après tout le mal que Tobold s’était donné la peine de prendre. Il aurait maintenant été difficile de l’entrainer pour passer ailleurs. Et puis, comme le disait le poète « Lorsque l'ombre t'est refusée, choisis la lumière puisque être visible est souvent le meilleur moyen de ne pas être vu* ». Mais pas le grand jour pour autant non ; bien que le crépuscule soit arrivé, il ne faisait pas encore complétement nuit, c’aurait été trop suspect pour quiconque les auraient vu.

Fin prêts, ils avancèrent lentement, la vampiresse gardant les mains sous sa cape, crispées sur ses dagues, prête à intervenir au moindre signe. Mais rien ne bougeait, rien ne s’entendait, ils étaient seuls. Les foules s’étaient écartées, préférant rentrer chez elles, laissant à découvert cet endroit pour retourner dans la chaleur et la protection de leur foyer. La ville n’était pas bien loin, maintenant, la jeune femme savait qu’elle partirait donc avant de l’atteindre. Pas question de jouer trop longtemps avec le feu.

Un pas. Deux pas. La crécelle se faisait lugubrement entendre, annonçant l’arrivée des lépreux, ou du moins de ceux qui passaient pour tels. Le temps sembla s’étirer, s’étioler avec un rare sadisme tandis que les bottes d’Hyrriena avançaient lentement sur la pierre. Pourtant et en dépit de ses craintes, ils n’eurent pas le moindre souci pour continuer ainsi, arrivant à terme de leur voyage. Rencontre éphémère pour la longue vie de la vampire, mais finalement intense. Après tout, ne s’était-il pas écoulé, en quelques heures, un peu plus d’une journée, suffisamment d’évènements pour qu’elle reconnaisse ce visage si un jour elle le recroisait ?

L’arrivée fut facilement atteinte, mais il fallait dire qu’il fallait être fou pour venir querelle à des malades. D’autant plus que c’était ce genre de maladie tellement difficile à éviter lorsque l’on côtoyait un pestiféré… Tobold lui rendit l’enfant soigné de son coup de froid de la veille, et la jeune femme le remit adroitement sur son dos une fois qu’ils furent abrités derrière un minimum de végétation.

-Et pour vous, cela ira ? Tenez, prenez cela.

D’autorité, elle lui mit quelques pièces dans les mains ; après tout, elle n’en était plus à cela près, et elle le lui devait bien. Et, après s’être débarrassée des lambeaux de couverture qu’elle conserva néanmoins, elle prit sa route et s’éloigna.

-Que la chance vous garde…