An II de l'ére obsidienne, janvier.

Et voilà, comme à son habitude, enfin du moins comme la dernière fois, Kylian Wallam, vampire de son état et fiancé de surcroît avait fait du Wallam borné tout craché. Il avait de la chance qu'elle l'aime et qu'elle soit suffisamment calme et réfléchit pour ne pas le trucider sur place. Certes, Esmelda le regretterait ensuite, mais qu'est-ce que ça soulagerait !!! Il ne pouvait pas se retenir d'afficher sa colère, sa jalousie et à la limite voir ça avec elle une fois qu'ils seraient seuls. Mais non, il se devait de jouer les coqs. Les hommes et leur sales manies de devoir se montrer plus fort. Fort que quoi ? Jalousie de quoi, la jeune femme parlait, s’entraînait, elle n'était pas entrain de compter fleurette en son absence. Elle n'était pas lui. Ni comme les autres femmes. A croire que finalement, il ne la connaissait pas. Et cela la peinait. Elle se sentait humilier. Et naturellement, le vampire allait remettre ça sur son dos en prétextant un quelconque danger. Lequel ? Elle aimerait bien savoir. Car là, Matis n'était pas le prince noir. Jamais il ne lui ferait le moindre mal. La princesse le savait et n'en doutait pas. Et elle n'avait pas caché ses envies d'être active dans la rébellion, de savoir se battre, se défendre pour aider son peuple. Après tout elle n'était plus princesse, alors que pouvait-elle faire pour les aider maintenant sans ce titre. Rester encore enfermer dans une pièce à attendre. Mais attendre quoi ? Que cela cesse. Eh bien pour cela il fallait se battre, homme, femme et enfants. Soldats ou simple paysan, princesse déchue ou forgeron. Elle ne resterait pas à attendre qu'on décide pour elle. Et si Kylian ne pouvait comprendre cela, c'est qu'il n'avait rien compris aux attentes de la jeune femme. Ni aux femmes d'ailleurs.

En colère et n'ayant vraiment pas envie en cet instant de se retrouver seul avec lui, la princesse partit marcher et se calmer en retournant vers sa jolie chambre dorée, nouvelle prison qu'elle eut tenter de fuir. Échec cuisant, sentiment d'un mal être incontrôlable. Tout s'écroulait sous ses mains sans qu'elle puisse se raccrocher à quoique se soit. Elle se sentait coupable d'un bon nombre de choses. Le poids sur ses épaules l'ensevelissait de plus en plus sans qu'elle ne puisse savoir ni à quoi ou à qui se raccrocher. Esmelda en avait assez des non dits, des mensonges, de la violence, de l'indifférence et de la misère autour d'elle. Chaque nouvelle arrivée était un crève cœur qu'elle prenait en empathie pour elle. Plus son peuple souffrait plus elle aussi. Son cœur se noircissait de ce que Fabius lui imposait. Marchant dans les galeries bleutées sans fin, les larmes se frayèrent un chemins discrets le longs de ses joues rougies par la colère. Esmelda voulait se cacher derrière ses parois fortes et dures, se cacher de cette image cassée d'elle et de sa vie. Se raccrocher à quoi ? A qui ? Elle avait honte de se sentir ainsi, faible et démunie. Si seulement, elle pouvait un instant se cacher du monde derrière ses roches. Ou bien courir, courir loin pour toujours, loin de son ressentit.

D'un geste rageur, elle essuya les larmes de ses joues quand la longue galerie déboucha sur un vaste espace. Plus lumineux, haut et dominé par une citadelle de bois luttant contre la sombre pierre. Esmelda resta un instant devant. Devait-elle y entrer pour entendre encore les mêmes rengaines ? Elle fit un pas quand elle vit une ombre bien connue se mouvoir devant lui. Une ombre qu'elle n'avait pas vu depuis cette vague chaotique au domaine des chanteurs. Son ami, son dragonnier, il était en vie. Il était là à Aigue. D'un coup, un sentiment de chaleur envahit son cœur. Un être cher de sauver et en vie. Elle n'aurait pas à en pleurer un de plus. Se rapprochant de lui, la princesse l'appela de sa douce voix chantante, retrouvant un appui auquel s'accrocher un instant pour ne pas sombrer.

« -Amyelenor, vous ici, c'est une joie. J'ai eu si peur pour vous suite à l'attaque des hauts bois. J'ai su que vous aviez vaincu le Néant, mais par la suite, j'ai perdu votre traces. J'espère que vous allez bien. Vous et votre lié ? »

Esmelda se raidit et se redressa bien étonnée par la réaction du général. Ses yeux reflétaient l'incompréhension. Pourquoi était-il si...froid ? Si peu enclin à rester à discuter avec elle ? La princesse n'avait jamais rien fait pour qu'il soit ainsi en sa présence. Ou bien lui reprochait-il de l'avoir laissé combattre avec Atalos, seul avec les autres dragons ? Un poids trop lourd pour ses épaules certes solides mais pas prête à subir et voir une telle chose. Mais que pouvait-elle faire ? Elle n'avait pas vraiment eu le choix. Si elle avait pu y aller, la princesse serait allée à sa place. Mais sa dragon, un peu difficile et pas dit qu'Atalos préfère la voir à ses côtés que son lié.
Alors pourquoi donc ? Le fait qu'elle soit partie ensuite ? A vrai dire, Esmelda n'avait pas eu vraiment le choix. Jetée de force dans le vortex qui l'amena à Gloria, sa destination n'était pas choisie et encore moins le trajet qu'elle suivit ensuite. Mais tout le temps, elle s'inquiétait des siens. A chaque instant.

«-Je ...euh..Amyelenor attendez. »

La princesse fit un pas vers lui cherchant à lui faire face. Pourquoi fuir face à elle ? Il avait peut être honte au final ? Honte de lui. Mais pourquoi ? Il n'avait rien fait de mal, pas plus qu'elle. Là, elle était perdue. Qu'est-ce qui ne tournait pas rond. Il était certes occupé, mais ils avaient déjà perdus tant tout deux, alors pourquoi perdre leur amitié ?

«-Je ne voulais pas vous déranger. Mais... enfin, depuis que vous avez combattu dans le plan astral, depuis la bataille, je ne vous ai pas revu... je m'inquiétais pour vous. Je sais que vous êtes courageux et valeureux, mais cette bataille était risquée. »

Que cherchait-elle à justifier au travers de cette explication bancale et peu sûre ? Esmelda ne le savait pas vraiment mais elle ne pouvait pas laisser son ami partir avec cette froideur sans en comprendre les aboutissants. Elle avait que trop perdu pour perdre ceux qui étaient encore en vie.

« -Je veux juste m'assurer que vous allez bien et que vous avez tout ce dont vous avez besoin, ici. »

Car l'excuse de ne pas parler avec elle, la jeune femme n'y croyait que peu. Amyelenor avait toujours prit plaisir à lui parler. Enfin, elle l'avait pensé, mais peut être qu'il ne le faisait que part intérêt. Autrefois princesse de l'empire, maintenant princesse déchu, elle ne devait plus avoir d’intérêt à ses yeux maintenant. Rien qu'à cette idée son cœur se serra de tristesse et elle retint aux bords de ses yeux des larmes. Non, elle n'avait pas pu se tromper autant sur cet homme. Il n'était pas de ce genre, pas un arriviste imbu de sa personne. Le dragonnier était un homme de justesse et de principes, comme elle. Puis le choix d'Atalos confirmait les pensées de la princesse. Il ne pouvait en être autrement et pourtant. La lame noire était distante et froide.

« -Car je suis heureuse de vous voir et vous savoir près de moi. »

Non, il fallait qu'elle comprenne, Esmelda ne lâcherait pas l'affaire avant de comprendre, de connaître le pourquoi de ce changement de comportement envers elle. Il devait avoir une raison. Qu'avait-elle donc fait par tous les Esprits.

« -En effet, je ne suis ni soldat ni dragonnière. Mais je me soucie de chacun des soldats de l'empire et mon ignorance dans ce domaine ne m'empêche de me quérir de votre santé. Je pensiez que vous le saviez. »

La princesse se recula un peu. Mais que lui arrivait-il ? Pourquoi donc ce comportement. La guerre certes assombrissait les esprits et les cœurs mais à ce point. Pas lui. Ils étaient semblables sur ça. Des cœurs vaillant, remplis de courage et d'espoir. De détermination, mais gardant les pieds sur terre mais aussi cette façon pétillante de s'exprimer. Pas que broyer du noir.

«-Amyelenor, ce n'est pas ce que je voulais dire et vous le savez bien. Je sais que la vie ici est imposée, d'une rudesse aussi bien physique que mentale. Mais nous sommes en vie, prêt à nous battre pour la liberté, la paix. Qu'importe le prix à payer, le confort que l'on perd, la lumière qui nous manque, car reste celle de notre cœur et de notre espoir à voir vite cette guerre finir. Je sais que la mort devient un lot quotidien terrible et insoutenable. Mais il faut nous unir pour justement que rapidement, vous n'ayez plus à vous inquiéter pour vos soldats. Je regrette que vous ayez à vivre ça, et si je pouvais faire quoique se soit pour stopper cela de suite je le ferai, vous pouvez en être sûr. »

De plus en plus véhémente face à cette incompréhension face au jeune homme, Esmelda continua en expliquant avec naturelle et comme si cela était d'une logique implacable.

« -Et vous n'êtes pas qu'un simple rebelle. Vous êtes mon ami, au delà des titres que nous avons tous deux. Après ce que nous avons vécu ensemble... »

Mais là s'en était trop. Il avait dépassé les limites. Comment pouvait-il dire qu'elle se moquait du bonheur, de la vie de son peuple. Préférant la tranquillité et le luxe de son palais. Oh oui, elle était princesse de l'empire, ayant toujours vécu dans le plus grand luxe, dans l’opulence, ne manquant jamais de rien et ayant l'habitude d'avoir tout ce qu'elle voulait. Mais, la princesse préférait l'humain, le réel, le vivant, que le luxe et le confort de sa personne. Elle s'était toujours battue pour faire tomber des barrières, donner, proposer, parce que c'était naturelle pour elle, normal. Alors qu'il lui balance à la figure qu'elle se moquait de ceux qui allait mourir dehors pour tout cela, c'était lui transpercer le cœur d'une lame.
Droite devant lui, quand il mentionna son frère, sa mort, la trahison de Fabius, le fait qu'elle n'est pas agit, lui brisa son cœur, lui fit monter des larmes aux yeux, sa main se serra un moment, mais plus il parlait plus elle sentit la colère monter en elle. Non, il ne pouvait pas dire ça. Pourquoi le disait-il ? Ce n'était pas vrai. Que lui arrivait-il ? Que lui avait-elle fait pour qu'il lui parle ainsi ?
Un mot de trop et la main alla claquer sa joue.

« -Je vous interdit de dire cela. Je vous interdit de croire que mon statut importe bien plus que le sort de mon peuple. Et je vous interdit de croire que je n'ai rien fait pour prévenir mon frère. Je n'ai pas besoin de vous pour connaître ma culpabilité sur la mort de mon frère. Et mon bonheur !! Quel bonheur ? Mon empire est sous la coupe d'un tyran, allié à des assassins, le peuple souffre et je suis impuissante. Croyez-vous que je me complais dans cette ville ? Et je moque de mon palais ! Je préfère vivre enterrer dans cette grotte à tout jamais et savoir chaque villageois en sûreté. Et.... »

Par tous les esprits, que lui arrivait-il. Lui autrefois si souriant, si jovial, un brin timide en sa présence, mais toujours amical. Que pouvait-il donc s'être passé pour qu'il devienne cet être froid, rempli de haine et de vanité ? Ou bien qu'avait-elle fait ? La guerre n'expliquait pas tout, pas plus que les batailles et la violence des combats, la peur de la mort ou bien le poids des responsabilités. Non, il y avait autre chose, c'était impossible autrement.

Mais ce n’était pas une raison pour devenir impoli et lui jeter au visage la mort de son frère, la chute de l'empire et par conséquence l'intronisation de Fabius empereur des hommes. Voir son peuple souffrir, perdu, subir la force alayenne. Non, Esmelda n'avait besoin de personne pour cela. Elle y arrivait bien seule.
La jeune femme s'en voulait assez de ne pas avoir vu le jeu politique qui se jouait devant elle depuis l'apparition du grimoire dans le palais. Sa puissance, son attrait. Avant même l'arrivée des serviteurs du Néant, la machine contre la vie de son frère avait été mis en route. Son mariage, son éloignement, les blessures de son frère, son affaiblissement. Tout ceci n'était pas simplement dû au hasard. Et elle n'avait rien vu. Alors le dragonnier n'avait pas à lui rappeler cette erreur qui lui avait coûté la vie de son frère. Son frère, sa famille, son soutien, son roc, son pilier. Même s'il l'avait éloigné, ce n'était pas lui. Esmelda en était persuadée maintenant.

Mais elle n'eut guère le loisirs de le lui dire. La lame noire se saisit de son cou (encore une fois, vous avez quoi avec mon cou) cherchant à faire fuir le dernier souffle de vie de la jeune femme. De ses mains, elle chercha à le repousser mais en vain. Sa tête se mit à tourner et dans un souffle, elle murmura en vain.

« -Amyelenor, par le Dracos, que vous arrive-t-il donc ? »

Il n'était pas lui, non, ce n'était pas le gentil homme d'autrefois. La magie, un poison, il devait être possédé, cela ne pouvait être autrement.

Dans un espoir vain, elle chercha à le calmer pour qu'il relâche son étreinte...

« -Je ne veux pas... Non, Amyelenor, vous ne... »

Plus rien seulement la douleur. Le trouble devant elle, avec l'image du dragonnier qui devint de plus en plus flou pour disparaître ensuite. Une sensation de perdre pied, juste un point de douleur dans son flanc et la sensation du liquide rouge et chaud coulant sur sa robe crème. Ses pieds ne la soutinrent plus et elle tomba au sol inconsciente, l'esprit tout comme le corps ne supportant pas la douleur de la lame.
Plus rien autour d'elle n'avait d'importance. Elle allait rejoindre Gregorist. Elle allait s'excuser de l'avoir abandonné. Esmelda n'entendit pas la supplique du dragonnier ni celle de ceux qui se précipitèrent ensuite auprès d'elle. L'agitation qui régna autour de son corps ne la ramena pas au monde des vivants. Non, elle continuait vers son frère. Les cris, les explications, elle allongée dans son lit, les soins sur sa blessure : rien ne l’empêcherait de revoir son frère. Pas même cette voix qui lui murmurait de rester, que son heure n'était pas venue, qu'elle avait encore beaucoup à faire. No, il fallait qu'elle revoit son frère. Une lutte faisait rage entre son corps, soigné, et son âme brisé. Revenir ou partir.

Ah ! Il avait de quoi être fier de lui, le renégat vampirique ! Car s'il avait pu concourir à un quelconque tournoi destiné à sacrer le lauréat en matière de retrouvailles calamiteuses, il aurait très certainement pu prétendre au titre de champion toutes catégories et n'aurait eu aucun mal à remporter la victoire. Trois mois d'absence, et dès son retour, il découvrait encore le moyen de s'attirer les foudres de son aimée. Imbécile qu'il était.

Les pas précipités du vampire traçant sa route dans l'agitation de la ville souterraine témoignaient aussi bien de l'empressement qu'il avait à retrouver la princesse que de l'énervement qu'il éprouvait envers son propre comportement. Il lui fallait absolument apprendre à maîtriser ses pulsions jalouses et possessives, car dans le cas contraire, plus il passerait de temps avec la princesse, plus celles-ci deviendraient un problème. Non, il ne pouvait définitivement pas continuer à voir rouge chaque fois qu'un homme avait le malheur de lui adresser la parole.
Tout en continuant d'avancer, Kylian scrutait de son regard clair les silhouettes qu'il croisait, cherchant désespéramment celle qui appartenait à sa belle. Lorsqu'enfin il la retrouva, le vampire s'immobilisa à distance respectable tandis qu'il constatait qu'elle n'était pas seule, une fois de plus. La jeune femme était en effet accompagnée d'un jeune homme, militaire d'après ce qu'il pouvait en juger, et semblait plongée dans une discussion pas forcément des plus joviales à en croire les expressions de leurs visages. L'instinct vampirique reprit brièvement le-dessus sur le renégat, si bien qu'il manqua de peu s'avancer pour encore une fois s'interposer mais à peine eut-il esquissé le premier pas qu'il se maîtrisa. Quelques instants plus tôt, ne s'était-il pas engagé à faire montre d'un peu plus de tolérance envers les compagnons de sa fiancée ? Si, définitivement, et il eut été maladroit de déjà fouler du pied une promesse qu'il s'était faite à lui même.

Il attendrait donc que les deux humains en aient terminé pour retrouver sa belle, aussi pénible cela pouvait-il être pour lui en cet instant. Il se détourna même d'eux, à la fois pour s'obliger à lutter contre ce besoin viscéral qu'il ressentait de les surveiller et pour justement s'éviter la tentation d'intervenir si ce qu'il voyait ne lui convenait pas. L'amant vampirique était alors encore très loin d'imaginer les évènements à venir.

Kylian s'éloignait lentement lorsqu'un cri étouffé accompagné d'un crissement métallique vint caresser l'ouïe fine du prédateur, interrompant son mouvement. Intrigué, le vampire tourna lentement le visage pour risquer un coup d'oeil dans la direction d'où provenaient ces sons. Dans son esprit, l'inquiétude montait crescendo tandis qu'il remarquait nerveusement qu'il s'agissait également de la direction dans laquelle il savait trouver la princesse et son interlocuteur du moment. Son regard clair embrassa finalement les silhouettes des deux humains, juste à temps pour intercepter l'éclat métallique de la lame qui s'enfonçait dans les chairs de ... de la princesse ! La seconde suivante sembla s'étirer sur une éternité entière, le vampire totalement paralysé par la stupéfaction et hypnotisé par l'horrible spectacle de la tâche écarlate qui imprégnait la robe claire de nulle autre que sa fiancée et grandissait rapidement à mesure que le liquide pourpre s'échappait de la plaie pour imbiber le tissu.

« Esm... Esmelda... »

Cela n'avait été qu'un murmure difficilement balbutié, son esprit enregistrant lentement la scène comme une réalité et non un horrible cauchemar, les gens s'agitant autour de lui et criant au meurtre, avant que l'instinct ne reprenne finalement le dessus pour lancer le vampire dans une course effrénée vers le drame. Chaque pas lui était plus douloureux que le précédent, chaque mètre qui le rapprochait de la délicate silhouette étendue sur le sol lui donnait l'impression de le faire sombrer un peu plus encore dans le désespoir le plus total.

L'assassin se penchait sur le corps de la jeune femme, s'attirant un regard totalement paniqué de la part du renégat qui y voyait le désir d'achever une sinistre besogne. Le jeune homme tourna la tête à l'instant même où l'ombre du prédateur vampirique lui tombait dessus pour lui expédier un violent coup de pied dans les flancs, avant de parachever son attaque d'un sort d'Aranea. Kylian n'attendit pas même de s'assurer que son sort avait atteint sa cible que déjà il se penchait sur le corps de la princesse inconsciente pour glisser un bras sous sa nuque tandis que de sa main libre, il s'efforçait d'endiguer l'hémorragie en pressant sur la blessure. Ses yeux étaient embués de larmes et ses lèvres tremblaient tandis qu'il murmurait sa supplique désespérée :

« Esmelda... mon amour... reste avec moi, je t'en prie... on va te soigner, accroche toi, ne m'abandonne pas... »

Autour d'eux, l'agitation allait croissante et le vampire put sentir de plus en plus de regards tout aussi paniqués que le sien peser sur la scène. Quelqu'un intima finalement l'ordre qu'on emmène la princesse à l'infirmerie et plusieurs personnes s'approchèrent. Kylian hésita un instant, mais un coup d'oeil en direction de l'assassin occupé à se dégager de la toile de l'Aranea dicta sa décision et il se recula, confiant à d'autres le soin de porter la blessée en sécurité. Il suivit du regard le départ de la jeune femme, avant de baisser les yeux sur sa main ensanglantée avant d'en serrer le poing en un geste rageur.
D'un geste vif, il se retourna vers le meurtrier, sa main empoignant la garde de son épée vampirique tandis que son regard s'embrasait d'une rage plus intense qu'il n'en avait jamais connue jusqu'alors. Chacun de ses muscles sembla se crisper à tel point que son corps entier lui donnait l'impression de le faire souffrir. Intérieurement, le barrage mental que le renégat imposait à ses instincts sanguinaires se fissurait lentement, à mesure que l'image de son amour agonisant dans le sang s'attardait dans son esprit. La scène tournait en boucle devant le regard du vampire, lequel revoyait encore et encore la lame maudite trancher la peau de la princesse pour en épandre le sang.

Les traits figés, Kylian s'approcha de quelques pas et tourna son visage granitique vers l'assassin qui se relevait lentement. L'esprit du rebelle vampirique s'effondrait littéralement sur lui même, jamais la violence ne lui avait paru plus séduisante, plus attirante, et il n'avait à cet instant qu'une envie : abattre sa propre lame sur ce misérable, encore et encore, jusqu'à l'entendre hurler son repentir pour ce qu'il avait osé faire et supplier qu'on l'achève. Sa main libre, celle qui était marquée du sang de la princesse, vint se porter à hauteur d'une poche de sa tunique, caressant à travers le tissu les contours solides du diamant de pureté qu'il y avait rangé. Les sentiments qui étreignaient son coeur à cet instant, le chant enfermé dans la petite pierre en débordait littéralement : de la peur, de la colère, de la haine, de la souffrance. En ce moment, le renégat pouvait aborder ce chant damné sous un regard nouveau, il se sentait presque... compréhensif. Merithyn lui avait dit un jour qu'il était meilleur que celui dont l'histoire était racontée par la pierre, qu'il se devait d'être meilleur. Apparemment, le chanteur s'était trompé.
Lorsque le rebelle s'adressa à son adversaire, sa voix résonna dans l'air avec ce timbre de glace, froid comme la mort, si caractéristique des vampires.

« Je vais te tuer... »

Ces quatre mots assénèrent le coup de grâce à la maîtrise du renégat vampirique qui succomba à l'explosion enragée qui se déchargeait alors même qu'il les avait prononcé. Ses muscles se détendirent brusquement et il se jeta d'un bond félin sur le misérable dont il était résolu à prendre la vie, levant son épée à deux mains pour amorcer son attaque tandis qu'il répétait cette fois en hurlant :

« Je vais te tuer ! »