Il avait entendu la voix d’Eliowir alors qu’il s’éloignait, et son instinct avait voulu se retourner et lui parler encore, incapable de lâcher prise. Pourtant il avait serré les dents, et refusant de céder à ses pulsions, avait résolument continué son chemin vers le lieu où il s’était précédemment installé avec Shaynar. Là, il soupira, relevant la tête vers le ciel allant à l’obscurité et inspira profondément en absorbant le calme et la contemplation des lieux, proches de la tour des étoiles, qui baignaient dans une paix éternelle qui parvint lentement à calmer son esprit et à le détendre de toutes ses émotions. La musique délicate qui émanait de la tour venait apaiser son être et le baignait de sa contemplation céleste comme une eau douce et chaude. Plusieurs longues minutes, il resta là, avant de secouer finalement la tête. Il lui fallait encore ranger les ouvrages et fermer de nouveau les scellés de l’observatoire avant d’être libéré. *Donne-moi quelques instants… je n’en ai pas pour très longtemps * Il se mit à ramasser les ouvrages, les empilant avec précaution dans ses bras avant de les porter vers la porte du sanctuaire, disparaissant à l’intérieur et plongeant dans la vapeur brumeuse qui s’y trouvait enfermée, trottant vers les étages supérieurs où il rangea les ouvrages à leurs places respectives, en prenant bien soin de ne pas se tromper et d’y apposer une marque magique supplémentaire pour signifier l’emprunt qui avait été temporairement fait. Une fois qu’il eut correctement rangé, il quitta les lieux en refermant les scellés avec une grande application et se tourna vers le dragon noir, un peu peiné et surtout fatigué.

Loin de la chaleur du soleil et de sa lumière, et après cette rencontre plutôt mouvementée, il n’avait simplement plus autant de mordant et n’aspirait plus qu’à s’enrouler contre Shaynar et oublier le reste du monde pendant un moment. Ce n’était pas beaucoup demander, tout de même, que de pouvoir avoir un moment de répit dans ce monde de brutes et de lamentations constantes. Avec un sourire fragile, il s’approcha de l’énorme créature ailée et l’étreignit de son mieux, ses bras ne faisant même pas le tour de son cou… qu’il atteignait difficilement d’ailleurs. Sentir la chaleur qui couvait sous les écailles était presque aussi apaisant que le chant de l’observatoire. Bien davantage d’une certaine façon, car il appelait le sien en une litanie silencieuse qui l’envahissait d’un bien-être considérable et chassait la douleur que son cœur transportait encore et qu’il avait hérité du vieil elfe venu le voir. La présence du dragon semblait toujours avoir cet effet et plus encore ces derniers jours, illuminant ses difficiles journées. Avec affection, il vint appuyer son esprit contre le sien, caressant et câlin quoi qu’encore las. * C’était étrange, ce qu’il s’est passé… est-ce que ça va ?* Il espérait que Shaynar n’allait pas développer une allergie à sa magie après cette mésaventure étrange. Certes il savait que les dragons partageaient la magie de leurs liés, ils étaient la source de la magie d’Armanda après tout, la source et les garant… Mais la magie Baptistrale était bien différente des formes de magie classique et d’une complexité parfois déroutante.

Il avait été surpris oui, mais au final ? La magie restait la magie, et les dragons étaient des créatures mystérieuses même pour ceux qui les côtoyaient sur le long terme. Il y avait toujours des chances d’être pris par surprise et de s’émerveiller par les miracles vivants qu’étaient ces êtres si magnifiques. Et lui qui avait la chance d’être lié à l’un d’eux ne pouvait que se féliciter d’être le spectateur privilégié de pareils prodiges… Et égoïstement peut-être, il était ravi que Shaynar ait pu vivre et ressentir la magie Baptistrale même si elle avait manqué le rendre fou. Cette essence qui était part intégrante de son être et qui lui était aussi vitale que l’air qu’il respirait, l’eau qu’il buvait et les plantes qu’il mangeait. Il ne pouvait vivre sans. La seule fois où il avait imaginé ne plus posséder de pouvoir, il avait ressenti une puissante vague de dépression et d’angoisse… plus de pouvoirs, c’était pourtant ce qui lui pendait au nez si il parvenait à tuer Lorenz. Plus de pouvoir ? Que deviendrait-il alors ? Aucune idée. Il ne savait pas si il avait même un avenir en dehors de sa fonction… cela faisait si longtemps qu’il les possédait, si longtemps qu’il s’immergeait en eux, qu’il se donnait corps et âme à ce qu’il était qu’il était totalement incapable de s’imaginer autrement et cela lui faisait vraiment peur. Il avait peur d’être incapable de se donner un but, une signification, il avait peur de ne plus avancer, de se planter là pour mourir… pourrait-il même jamais se pardonner la mort du vampire, quand bien même elle était nécessaire ? Il tenait trop à l’existence, elle était trop précieuse pour qu’on en achève une et pourtant…

Pourtant il le fallait bien non ? Il n’y avait guère le choix. Soupirant, il laissa un bref instant reposer sa joue contre une écaille avant de se redresser et de le relâcher, retombant sur ses pieds. Il ne fallait pas rester bloqué sur un seul évènement et ne pas trop s’en faire pour le futur même si c’était compliqué. Du moins c’était la meilleur façon de s’en tirer non ? *Que dirais-tu d’aller voler, juste toi et moi ? C'est le moment idéal*

L’aveu fait par Shaynar lui avait attiré une étreinte plus forte encore de la part des petits bras frêles qui l’enserrait. Cela ne se sentait sans doute même pas, mais le geste était bien-là et il soutenait le dragon de tout son être. Il imaginait bien qu’il fut déjà compliqué de parvenir à un tel niveau d’unité lorsqu’il s’agissait d’un dragon et de son véritable lié, baigné dans une magie plus… classique ? Mais si ils étaient proches, ils ne l’étaient sans doute pas encore suffisamment. Et puis il était loin de maîtriser des puissances classiques. Les maîtrisait-il vraiment d’ailleurs ? Parfois il devait avouer qu’il ne savait plus si il était le maître ou le servant de ce pouvoir. Sans doute un peu des deux. Si ils avaient seulement pu prévoir cela… mais ils ne l’avaient pas fait et se lamenter là-dessus n’y changerait rien. A présent qu’ils en étaient conscients, ils patienteraient jusqu’au bon moment. Merithyn ne comptait nullement le presser, comprenant sans mal, et se préparerait lorsque le moment viendrai afin de pouvoir l’aider autant que possible dans la découverte de ce que lui-même vivait au quotidien. Un bref instant seulement il se perdit dans ses souvenirs à la question soulevée par le noir. Oui lui aussi avait été sujet à cette cacophonie sans queue ni tête… Il s’en souvenait d’ailleurs fort bien même à ce jour et il soupçonnait même parfois Aramis de l’avoir volontairement abandonné à ses émois plus qu’il n’était nécessaire afin de tempérer ses possibles envolées d’ego une fois Cawr. Il ne lui en voulait pas cependant… non il ne pouvait pas, car ce souvenir –là, si il n’avait besoin de tempérer un quelconque égo, lui servait pourtant de jalon et même sous la terreur qui l’avait saisit alors, il avait été émerveillé de ce nouveau monde qui s’était ouvert pour lui. Oui il avait peur de perdre tout cela. Très peur même.

S’enfouissant contre son esprit avec plaisir il soupira doucement à ses paroles, profondément reconnaissant. Oui Shaynar était là et il pouvait se reposer totalement sur lui sans la moindre crainte. Si c’était Shaynar qui le tuait, alors il ne perdrait pas ses pouvoirs… et après tout, le dragon était bien plus à même de le tuer, et ses prétentions bien plus recevables que les siennes. Ils ne pouvaient pas être certains de l’issue d’un combat bien entendu mais… si ils parvenaient à le faire tomber, et si ils avaient le choix, lui laisserait sa place évidement, et ce quoi qu’il en pense. Tant que la menace était éliminée après tout, c’était le principal. Mais ce duel était pour le moment hypothétique, dans un futur encore lointain, auxquels nul n’avait accès et qui même en ce cas, ne se dévoilerait à personne avant le moment venu. Ils avaient encore beaucoup à faire avant d’en arriver là, travailler sur eux-mêmes entre autre chose autant pour eux et pour leur équilibre que pour être fin prêts le jour où ils devraient prendre les armes. Quand bien même, il avait quelques réticences au fin fond de lui-même, à laisser leur ennemi périr par les crocs du dragon, ou même par les flèches de Lyroë ou de Kylian d’ailleurs si il fallait y venir. Il était réticent, tout simplement, à le voir tué avec la haine ou le dégoût au cœur. Ce n’était pas ainsi qu’il le voulait… Tuer par haine était une erreur aussi grande que celle originellement commise envers Lorenz. Tuer par haine était le fondement même de toute vengeance et de tous ces cercles terribles qui jamais n’en finissaient et qui se perpétuaient, années après années, siècles après siècles en une tourmente infâme. Tuer par haine était le meilleur moyen, au final, de faire d’une victoire une défaite. Une défaite profonde, morale, éthique. Une défaite de l’âme. Plus que tout, une défaite pour l’avenir de tous les peuples de ce continent. Quoi qu’ait pu faire Lorenz, il valait mieux qu’il meure d’une main sans haine, ou mieux, qu’il soit jugé avant cela… Mais bien sûr, c’était là une utopie irréalisable.

Abandonnant toutes ces idées sombres et oisives il se contenta d’admirer l’immense silhouette draconique déployée devant lui, sourire heureux aux lèvres. Il était magnifique comme cela, une ombre immense qui se projetait sur le sol et semblait vivante. Avec un petit rire, il hocha la tête et se mit à trotter vers le sanctuaire du feu, où il avait laissé la selle en question. Ce n’était pas si loin que cela après tout et à présent qu’il était un peu ragaillardit par la perspective de passer du temps seul avec son presque-lié, il se sentait même de courir tout le domaine pendant toute la nuit si il le fallait. Il atteignit la selle facilement et la sortit dans l’herbe afin de pouvoir la lui passer. Shaynar ne l’aidait pas dans cet exercice quelque peu contraignant, non seulement le dragon était de belle taille et lui ridiculement petit, mais en plus celui-ci frétillait de telle manière qu’il devait s’y prendre à deux fois avant de réussir à fermer certaines boucles. Il réussit cependant après un moment et souffla un instant avant de grimper sur son dos et de s’accrocher fermement à son support lorsqu’il prit l’air, les éloignant du sol. Rapidement, il attacha les sangles à ses jambes et pu enfin se relâcher et profiter de toutes les sensations que procurait le fait de voler et plus encore de voler avec Shaynar. Et c’était là des sensations extraordinaires, et uniques. Des sensations que rien ne pouvait remplacer depuis la première fois qu’il l’avait vécu, accroché à Eliow alors qu’ils quittaient tous trois les montagnes. Il y avait cette impression de flotter, près d’un immense domaine sans début ni fin, avec la présence solide du dragon sous lui et autours de lui, le mouvement fluide et magnifique des muscles et des ailes…

Il avait l’impression de flotter dans une bulle hors du monde, excité par la hauteur et le vent sur son visage et dans ses cheveux, et la beauté du paysage. Ouvrant grand les yeux autant que l’esprit, il accompagna son presque-lié, se joignant pleinement à lui dans cette course effrénée vers la lune, se jetant tout entier dans cette bataille. Avec Shaynar et en ces lieux dépourvus de barrières il avait l’impression qu’un alcool fort lui était monté à la tête et le faisait déliré, le désinhibant et lui arrachant un rire sincère et enthousiaste, des étoiles pleins les yeux, il fut aveugle à tout ce qui n’était pas eux et cette aventure folle alors qu’ils s’élevaient au travers des airs vers la lune et le dôme céleste, de plus en plus haut et de plus en plus loin, jusqu’à n’en plus pouvoir. Le temps n’existait plus alors, dans son esprit en ébullition, flamboyant de joie et d’exaltation. Les yeux emplis de tant de beauté éthérée et de tant de détermination, il se laissa finalement aller sur la selle, confortablement installé tandis qu’ils retombaient à des hauteurs moins impudentes et qu’ils cessaient de combattre l’attraction du sol loin en bas. Il se sentait soudain si bien, vidé et épuisé, mais bien et paisible dans cet univers-là, avec Shaynar pour seule compagnie. Oh il avait toujours aimé voler, mais si on lui avait accordé de ne plus jamais redescendre sur terre, il aurait saisir l’opportunité à pleines mains.

C’était une expérience unique oui et qu’il adorait. Elle était capable de lui faire oublier tous ses soucis pour ne laisser que les rêves premiers. Et avec un sourire, il ferma les yeux, se laissant balloter, flotter, se calant sur les battements des ailes de son presque-lié et sur le roulement puissant de ses muscles. * Oui c’était pareil pour moi * Sa voix était paisible et posée, douce, même mentalement. Sa véritable voix. Pas celle, magique, qu’il utilisait désormais * La première fois que ma maîtresse m’a fait expérimenté la perception Baptistrale, quelques mois avant que je n’obtienne ma place de Cawr… Nous nous étions installés dans la clairière de la Grande Mère, car elle pressentait que je serais lié à la terre. Pendant plusieurs heures, nous avons maintenu le silence, et je m’étais presque endormi sur la mousse lorsque quelque chose est venu frotter à l’intérieur de mon oreille. C’était très désagréable, comme si un ongle venait gratter mon cerveau… et lorsque je me suis redressé pour chercher l’origine de cette sensation, j’ai cru sentir le monde exploser autours de moi en une horrible cacophonie, tellement emmêlée et chaotique que j’en devenais complètement sourd* En parler lui faisait revivre cette sensation et il frémit un bref instant avant que le confort ne revienne l’envelopper * J’étais incapable de m’y retrouver, je perdais tous mes repères au point d’être incapable de tenir debout. Même l’équilibre ne signifiait plus rien dans ce labyrinthe-là *

Il soupira un bref instant, impalpable puis continua *Ma maîtresse ne m’aida pas immédiatement, elle désirait que je puisse vivre cette première expérience au plus profond de moi… pour qu’elle me marque à jamais et me rappelle que même Cawr, je ne serais jamais tout puissant. Que cet univers-là allait bien au-delà de la poigne que l’on avait sur lui… * Il changea légèrement d’assise, le séant engourdi tandis qu’il continuait son discourt *Les fois suivantes étaient semblables, mais elle m’aidait alors, m’apprenant lentement comment m’y retrouver dans ce chaos, comment le transformer en ordre parfais et symphonique. Cela me prit de nombreux mois oui, afin de parvenir à faire sens de tout ce que j’entendais et à isoler certaines musicalités au détriment d’autres lorsqu’il le fallait. Elle tenta même de m’apprendre le silence parfais… mais je dois t’avouer que jamais je n’ai réussi à le maîtriser *

Appelé à devenir ce qu’il était à présent ? Cela semblait tellement irréel, de se dire qu’on avait tracé pour lui un chemin aussi digne et glorieux que celui de Gardien. Non il ne parvenait pas à se l’imaginer. Il n’avait après tout jamais voulu de cette place, jamais cherché à s’élever dans les rangs non, tout ce qu’il désirait c’était servir son ordre et pouvoir venir en aide aux autres… C’était à ses yeux le hasard ou sans doute tout simplement une trop grande estime de la part des autres maîtres qui l’avait fait nommer. Jamais il n’avait même était au courant que Llyah l’avait préposé à prendre sa suite… Lorsqu’on le lui avait appris ? Il en était tombé des nues. Et ça ne c’était certes pas arrangé. Même si il tentait d’honorer son rang et de remplir ses devoirs correctement, il lui était difficile de se considérer au-dessus de quiconque. Non même si on lui montrait une déférence presque proverbiale, il ne pouvait guère que se sentir encore petit elfe perdu dans un monde trop grand pour lui. Et cependant, la présence du dragon noir rendait ce monde-là bien plus accessible que ses propres, maigres, ressources. Oui avec Shaynar rien ne semblait trop loin ou trop impossible, rien ne semblait inatteignable… Même si il n’était qu’un humble elfe, il avait la chance immense de pouvoir partage ses pensées avec lui, de pouvoir l’accompagner et vivre en symbiose avec lui. Son dragon ? Oui son dragon. Tous les deux ensembles, car ensemble ils ne risquaient rien. C’était du moins ce que lui chuchotait son cœur. Qu’ils ne risqueraient jamais rien si ils restaient ensemble, unis, dragon et dragonnier…

Dragon et dragonnier oui. Il n’était pas d’une outrancière arrogance, laissant au noir l’apanage de l’égo, mais il était tout de même convaincu qu’il ne fallait pas les sous-estimer. Même si lui ne se battait pas vraiment, il pouvait amplifier les capacités de son compagnon, il pouvait ralentir et agacer leurs ennemis… Il avait d’autres armes que la violence oui, mais toutes aussi redoutables après tout. Oui sans doute ne serait-il pas trop mauvais malgré tout. Mais en tout cas, si il était fier d’une chose, c’était bien d’être aux côtés du noir écaillé. Ça oui, c’était sans doute un plus grand honneur encore que d’être Gardien. Et il suivrait son compagnon jusqu’au bout du monde si il le fallait. Même si pour l’instant ils ne faisaient que savourer un vol ensemble sous ce ciel nocturne inimitable. Il eut un doux sourire et étendit un bras pour poser la main sur une écaille chaude qu’il caressa. *Non. Jamais Shaynar. Jamais je ne te laisserais* Il ne voulait pas le laisser, de quelque façon que ce soit d’ailleurs. Jour après jour, il se sentait plus attaché à lui, plus en accord alors même qu’ils n’avaient pas atteint la profondeur de lien d’une véritable union. Et pourtant le sentiment de s’en rapprocher, de se rapprocher de lui, lui était l’une des rares douceurs de sa vie à l’heure actuelle. Alors le laisser ? Non il ne le ferait pas. Il ne le voulait pas. Bien au contraire si il avait pu rester tout le temps avec lui de toutes les façons possibles… Mais en attendant, c’était une promesse, il l’accompagnerait dans ce voyage-là.

Clignant cependant des yeux au subit changement de conversation, il écouta attentivement, pensif. Il n’avait pas tort, il serait difficile pour les peuples de s’unir, il y avait tellement de choses entre eux. Et pourtant ? Pourtant il le faudrait bien, en dépit de tout ce qui les séparait. *Nous sommes menacés de disparition, ou de bien pire encore. Face à ce destin funeste, bien plus présent qu’il ne l’a jamais été, et surtout si universel tout à coup, je pense qu’ils seront bien forcés de plier un peu l’échine. Jusqu’où je ne sais pas et n’ose l’imaginer. Nous verrons bien. Les humains me préoccupent plus que les vampires pour cette fois je dois l’avouer… Le représentant de l’Empereur a beau être un mage, je crois qu’il est impossible d’oublier qu’eux ont une alternative à la destruction aussi amère soit-elle. Nous verrons oui. Mais oui, je garde l’espoir qu’ils s’entendront d’une manière ou d’une autre. Il me faut avoir l’espoir… si je ne l’ai pas, moi qui ai appelé à cette réunion, qui l’aura vraiment ?* Il secoua légèrement la tête, soudain penaud en se disant qu’il se prenait trop au sérieux et qu’il se donnait trop d’importance. Il n’eut pas à s’appesantir là-dessus cependant, car le reste des paroles du dragon l’emplit soudain de malaise, le faisant frissonner. Lui aussi ne se sentait pas bien à cette idée, et il vint instinctivement caresser son esprit du sien. *Non je ne pense pas… ça n’a aucun sens. Personne n’est mauvais simplement pour être mauvais. On ne vient pas au monde mauvais… alors un esprit ? Non j’en doute. Pourtant… si raison il y a véritablement… que pourrait-elle être exactement ? Je me le demande…et plus j’essaye d’y penser et plus j’en ai peur*

Il ne parvenait pas à comprendre. *C’est dommage… que les esprits ne se manifestent pas parmi nous je veux dire. Si nous pouvions leur parler, leur demander ou simplement les observer, peut-être que cela nous aiderais. Mais en un sens, peut-être y a-t-il une possibilité ? Après tout Néant prend parti ouvertement… alors pourquoi pas ? J’aimerais le voir. Le Néant en lui-même n’est pas chaotique. Il y a une part de vide dans le monde après tout mais… ce sont ses actions. Ce sont ses actions qui sont chaotiques. Sa volonté également… * Il soupira et se serra dans ses bras pour essayer de calmer le sourd tremblement de son corps, que sa chaleur flamboyante ne semblait pas tenir à distance. *Nous ferons ce qu’il faut pour qu’il ne gagne pas…. Il n’y a pas de choix en cela*

Shaynar n’avait pas tort évidement et sa remarque tenait du simple bon sens, pourtant il continuait de trouver cela dommage que de savoir les esprits supérieurs si loin. Pourquoi ne pas avoir un lien avec les créatures du monde qu’ils protégeaient et veillaient de si loin ? Est-ce que cela ne résoudrait pas les choses de les savoirs un peu plus proches ? Peut-être pas c’était vrai oui, ou peut-être bien qu’il n’avait pas tout à fait tort non plus, si ? On ne pouvait comprendre les décisions des esprits non, pas toutes du moins, leur vision des choses ne ressemblait en rien à celle étriquée des êtres mortels tels que lui-même… Une vision d’esprit, à quoi cela pouvait-il ressembler ? Quels étaient les sens d’un esprit, ou ses considérations ? A voir Néant elles étaient proches de celles d’un mortel… et pourtant il ne pouvait totalement croire que la totalité des esprits étaient ainsi, ce n’était pas plausible au vu de leur façon d’agir, ou de non-agir d’ailleurs. C’était ça qui l’intriguait d’ailleurs. Un esprit supérieur avec des considérations de mortels ? Ou bien cachait-il quelque chose de bien plus profond derrière un drapé de peu de valeurs ? Se posait-il seulement les bonnes questions à son égard ? Ah… il aurait réellement voulut pouvoir l’approcher et lui parler oui. Tenter d’appréhender l’énormité qu’était l’esprit d’un de ces êtres impalpables et éternels hors du temps et du monde tout en étant présents… Tenter de comprendre ce qui avait motivé cette haine de la magie et de ses frères, des dragons… qu’est-ce qui pouvait provoquer une telle haine oui, voilà ce qu’il aurait voulu savoir, qu’est-ce qui motivait un génocide et la destruction d’un continent entier. Etait-il trop curieux ? Pourtant n’importe quel être sensé aurait voulu savoir non ? Comprendre ce qu’on leur reprochait à défaut de pouvoir l’arrêter pacifiquement… Pouvait-on lui parler tout simplement et essayer de le convaincre ? Il en doutait… restait à savoir le fond du problème.

Il s’accrocha à la selle alors que Shaynar piquait vers le sol et eut un rire léger. Ils avaient beaucoup à faire oui, vraiment beaucoup. Mais l’avenir du monde en dépendait et ils ne pouvaient se plaindre et rechigner, ils leur fallait être durs à la tâche afin d’assurer à leur continent bien-aimé un digne lendemain. Une lueur, une aube… vers cette magnifique utopie à laquelle songeait présentement son compagnon à écailles. Il l’imaginait également, ce monde saturé de magie, bien que rien des échos de l’ancien temps ne lui parvienne véritablement. A quoi ressemblerait le monde, une fois réellement baigné de magie, noyé dedans, à tel point qu’on la ressentirait de chaque fibre de l’être vivant, comme un nouveau souffle. Un renouveau. En cela, l’observatoire céleste lui donnait une vague idée de la chose…la magie si compacte en son sein faisant naître les plus intenses chimères. Des chimères… qui n’en étaient pas tant que cela après tout, si il y avait même un lambeau d’espoir de les voir se réaliser. Un espoir fragile, comme les ailes d’une phalène tout juste éclose… et pourtant quelque chose, très loin en lui, s’y raccrochait, s’en nourrissait, chassant une langueur profonde et sourde, venue du fin fond de son âme. * On n’oublie jamais la terre où git son cœur, peu importe les circonstances * Armanda n’était pas n’importe quelle terre… elle était berceau de magie et de légendes. Elle était nourricière pour eux tous, gardienne, protectrice… Curieux cependant, de plus que cela, il se pressa contre l’esprit de son presque-lié à la recherche de bribes d’informations, des images… qu’il sembla partager de bon cœur, le laissant s’en repaître. Curieux qu’il était oui, comme toujours, il aimait pouvoir se plonger dans de telles icônes… icônes d’un temps ancien et révolus mais qui avait forgé l’ère présente. Le départ des dragons, un moment d’intense tristesse… quelle avait donc été le désespoir et le sentiment d’impuissance de leur ancêtres, l’horrible agonie… aucun texte ne décrivait assez bien tout cela.

Tristesse oui… douleur, mélange terrible alors, dans ces anciennes années… La magie s’écoulant hors du continent avec les dragons, les morts, les guerres… Il soupira et ferma un instant les yeux, se laissant porter par le vol de Shaynar vers le sol et se gorgeant encore un peu de la sensation de légèreté avant de redescendre sur terre, dans le plus pur sens du terme. Il se détacha de la selle et s’étira un bref instant pour chasser l’engourdissement de ses membres avant de cligner des yeux. Le vent avait soufflé fort là-haut et encore davantage dans les pointes de vitesse, son visage portait la sensation singulière de ces bourrasques, comme si il avait plongé au cœur d’un bassin glacé avant de se frotter à un tissu souple. Ses cheveux étaient ébouriffés et emmêlés, même si il s’en moquait bien et il se sentait un peu de mal à revenir à la réalité. Glissant au bas du dos de son compagnon écailleux, il vacilla un instant et se secoua doucement avec de lui décocher un sourire amusé sous le regard des prunelles rubis. Les pensées de Shaynar l’amusaient souvent, il fallait bien le dire, celles de cet acabit tout du moins. Il retint même un ricanement léger en le voyant sortir les crocs, n’ayant pas besoin qu’on lui explique qu’il n’était pas sérieux. C’était qu’il commençait à la connaître le dragon depuis le temps ! Caressant les écailles noires, il s’apprêtait à le taquiner lorsque l’affirmation qu’il fit lui coupa l’élan, le rendant un instant muet. Une chanson… que pouvait-il répondre à cela. Oh il comprenait fort bien de quoi Shaynar parlait oui… comment pouvait-il ne pas comprendre, et pourtant d’un certain coté il aurait préféré, peut-être, ne pas comprendre justement car il n’imaginait pas en être capable… ou digne d’ailleurs. Chanter les dragons et leur histoire, leur peine, leur amour du continent ? Composer une symphonie pour le peuple dragon, ces créatures à nulles autres pareilles ? Lui ? Il n’était qu’un petit elfe et un petit chanteur, et n’imaginait en rien avoir le droit à une telle composition…

Un pâle sourire se forma sur ses lèvres, peu assuré, timide même alors qu’il peinait, même sous l’affirmation draconique, à se croire le droit de composer une œuvre qui resterait dans les mémoires. Parvenir à transcrire en une chanson tout ce qui avait fait les peines et l’attachement des dragons, leurs sentiments, si différents, leur longue peine et histoire… parvenir à faire ressentir tout cela, et à inculquer la leçon… une œuvre à la hauteur de ces créatures. Ça avait de quoi terrifier n’importe qui. Légitime, lui ? De réaliser cette œuvre ? Il en tremblait… Il ne désirait ni n’attendait d’honneur, serviteur qu’il était depuis toujours, pourtant le destin semblait s’acharner à tenter de le rendre un peu plus sûr de lui. Il n’était pas son arrière-grand-père pourtant…il n’était même pas un virtuose de son art, simplement un humble baptistrel qui faisait son travail… *Oh… je vais te l’enlever attend* Il avait à demi sursauté, tiré de sa contemplation par son compagnon à écailles, et s’attela à lui retirer la selle en question afin qu’il puisse se mettre à l’aise. Le quittant ensuite un instant, il alla consciencieusement ranger l’objet dans sa maisonnée afin de le garder intact et de la nettoyer plus tard, puis revint à lui, trottinant de ses petits pieds sur l’herbe rase avant de s’installer avec lui. * Il va falloir que je réfléchisse sérieusement à cette composition tu sais… cela risque de me prendre de nombreuses années pour parfaire une symphonie digne des tiens. Ce sera sans doute ma seule et plus grande œuvre… Moëbius aussi avait proposé de faire un récit sur les dragons tu sais ? Mais il pensait plus à un livre, écrit sur les dragonniers des temps présents. Ce n’est pas une mauvaise idée, mais je doute d’être assez bon écrivain pour cela… peut-être qu’on autre dragonnier le pourrait ? Mais moi ? Je suis un musicien… La musique est ma passion depuis tellement longtemps * Il eut un rire chaud * Enfin maintenant j’en ai une autre *

Il prit place contre les écailles et tira de ses sacoches elfiques son higen, humble instrument qu’il possédait depuis déjà longtemps et avait vu toutes ses aventures. * Je t’avais promis une chanson il me semble non ? * Il pinça doucement l’une des cordes, en sortant un son clair et doux, puis se mit à jouer, un air profond et vibrant, se calant sur les vibrations du chant-nom de Shaynar sans pour autant les utiliser, il composa une musique de nature, de ciel et de feu crépitant et grondant, d’espaces sans fin et de trésors sans noms et formes mais présents au coin de la vision de chacun, une mélopée ensorcelante inspirée des images que lui avait transmis Shaynar et de ce quelque chose de lent et de langoureux au fond de son esprit, la caresse d’une flamme sur une écaille sombre s’ourlant d’or liquide, alliant sa voix de baptistrel aux accords délicats de son instrument. Puis, une fois sa chanson finie, il cessa de parler, s’imprégnant simplement du silence alentours, qui semblait d’un seul coup d’autant plus profond que la musique avait été présente. * Lorsque les négociations seront terminées… je ne resterais pas ici. Me sentir étriqué en ces lieux, aussi beaux et vibrants soient-ils, obligé de subir les politiques elfiques… non j’en dépérirais. Je veux apporter mon aide, je veux pouvoir tenter quelque chose… quoi que ce soit. L’immobilisme est la mort… la mort de l’âme *

C’était vrai les dragons n’étaient pas fait pour les forêts. Bien davantage pour les plaines, les déserts, ou les montagnes. Et il ne pouvait que comprendre son lié en cela, car lui aussi ne se sentait plus tout à fait le bienvenu dans cette nature verdoyante. C’était très subtil, mais chaque fois qu’il retirait les barrières retenant l’énergie enflammée s’échappant de son corps, chaque fois qu’il tentait à tort d’attraper une plante à mains nues… oui chaque fois, il le sentait et cela l’attristait. Il aimait la nature, la forêt, avait toujours adoré se promener, à pied, dans ses profondeurs, profiter du silence relatif, et de la pureté des lieux… il aimait s’installer contre un rocher près des cours d’eau et fermer les yeux, laissant tous les bruits de la vie naturelle l’emplir et le faire rêver. Il aimait également s’entourer d’animaux charmés par sa voix, ou chevaucher sous les frondaisons… ça avait souvent été ses moments de détentes et de liberté lorsqu’il était jeune et encore en apprentissage, ça avait été une grande part de sa vie, comme elfe et comme individu, de ne pouvoir faire qu’un avec la forêt. Ce temps cependant été révolu. Et si il parvenait encore à se satisfaire de la chance qu’il avait de pouvoir jouir de la forêt, il ne s’agissait plus de la même harmonie qu’il entretenait auparavant avec elle. Il y avait également autre chose, sans doute la crainte de provoquer un désastre, et cela gâchait le plus beau de ces instants de grâce. Néanmoins il n’était pas à plaindre car techniquement parlant, cela ne le gênait pas comme la forêt pouvait gêner Shaynar. En fin de compte, lorsqu’ils partiraient, cela n’aurait sans doute plus d’importance. Mais il était vrai que retourner voir le désert était une idée qui lui plaisait… ces terres mortelles de jour pour les bipèdes, mais qui étaient le domaine même de son élément, envahit de feu. Il s’y était plu, la seule fois où il l’avait traversé vers les montagnes à la recherche de l’œuf rouge. Les plaines de l’est et les marécages lui plaisait moins cependant, quant aux montagnes ? Elles semblaient être un autre monde, complètement à part, loin de tout, dans une bulle… une bulle qui faisait rêver, mais de là à en faire son lieu de vie, il y avait un monde. Il n’aurait jamais froid mais les lieux étaient trop austères, et lui cherchait l’explosion de vie et de passion…

Ça n’avait pas d’importance pour l’instant cependant, il irait partout avec Shaynar. Les ailes du dragon pouvaient les porter absolument partout. Ils pouvaient, en cela, fait tout ce qu’ils désiraient et étaient libres d’aller où ils le voulaient… qui oserait donc enchainer un dragon après tout ? Personne ayant toute sa tête. Il soupira doucement et entoura le museau de Shaynar de ses petits bras, posant son visage sur les larges écailles sombres en un contraste frappant, fermant les yeux au contact à la fois lisse et rugueux, serrant doucement. Il resta un temps silencieux, l’esprit ouvert, sachant que son lié pouvait y lire à loisir émotions comme réponse, car oui c’était bien de cela qu’il parlait. Ils n’en avaient pas discutés depuis le premier jour, et Merithyn avait respecté le besoin qu’avait Shaynar, sa décision, de digérer cela avant de le remettre sur le tapis. C’était extrêmement délicat, surtout pour le noir et il valait mieux ne rien brusquer. Pourtant en cet instant cela semblait une bonne idée de revenir dessus, d’essayer d’en discuter un peu plus, peut-être sans aller jusqu’au fond des choses, mais au moins en discuter oui… Il fallait le faire, crever l’abcès, lentement si il le fallait. L’elfe était reconnaissant à Shaynar pour la délicatesse dont il faisait preuve et pour le calme qu’il conservait malgré sa colère précédente à ce sujet. Caressant les écailles sous ses doigts, il prit le temps de pondérer les choses et de chercher ses mots. Oui, lui aussi avait effectivement pensé à l’hypothèse qui verrait Lorenz lui prendre Dévoreuse. Il ne pouvait qu’y avoir pensé en vérité et elle l’inquiétait… mais il lui faisait confiance, étrangement, car la chevalière était un pouvoir beaucoup trop volatil et instable, les menaces trop grandes. Et c’était un artéfact lié au Néant, indubitablement, ce qui devrait être suffisant à n’importe qui pour vouloir s’en débarrasser. « Si » Un simple mot, calmement énoncé, alors qu’il le regardait dans les yeux, mirant les prunelles flamboyantes sans s’esquiver, n’ayant une fois de plus rien à cacher.

« Si cela m’est venu à l’esprit. La possibilité qu’il prenne Dévoreuse. Et je sais qu’il aurait pu me dire n’importe quoi pour se sortir d‘affaire. Mais je sais qu’il ne le fera pas. J’en suis sûr et certain. Comme l’instinct qui me poussa vers sa tente autrefois, je suis certain qu’il ne tentera pas de me le prendre. Mais je ne peux pas me baser simplement sur cela… » Il cessa de parler, peu prolixe contrairement à son habitude. A la place il s’ouvrit à ce qu’il avait pu imaginer de ce futur encore lointain et brumeux, en de vagues images et ressentis. Une façon un peu brouillonne de communiquer, dont il n’avait pas forcément l’habitude. Il partageait ses sentiments et pensées avec le dragon, mais c’était un échange fluide et continu… là… c’était autre chose, des images et des idées qu’il forçait à se former. C’était une hypothèse encore complètement informelle. Comment concilier le fait qu’il voulait éviter au monde l’horreur qu’il avait entrevu dans les mots de Lorenz, quelques jours plus tôt, tout en étant certain qu’il ne serait pas trompé ? En le soignant lui-même, en ceignant Dévoreuse à son doigt quand bien même il en souffrirait. Et une fois la tâche accomplie, la conserver jusqu’à destruction, à l’abri… mais cela le couperait de Shaynar, et cette idée le révoltait et le torturait profondément. Se concentrant, il tenta de s’ouvrir à ce qu’il craignait, un Lorenz rendu complètement fou et chaotique par la douleur de la malédiction, ravageant le monde à l’aide de Dévoreuse, ne détruisant pas seulement les peuples, mais tout ce qui existait en ces lieux, au point de créer un désert de peine et de souffrance pire encore que la lointaine Alayia. « Je ne veux pas que cela arrive, même si en retour les dangers sont grands, je ne peux pas ignorer pareille chose… tu n’es pas d’accord ? Le monde est tout de même plus important encore que nous tous »

La réaction de Shaynar à sa proposition de prendre Dévoreuse et de la ceindre à son doigt ne le surpris pas vraiment, cela le révoltait également… Il n’aimait pas fondamentalement l’idée, elle ne lui plaisait pas plus que ce qu’il devrait en faire s’il se pliait à cette extrémité. Il ne pouvait réellement imaginer, pleinement imaginer, ce que cela entraînerait. Le grimoire d’Alderick en faisait mention, tout comme les témoignages des Larmes qui l’avait trouvé… mais ce n’était pas comme l’expérimenter de première main, et seule cette expérience pourrait réellement lui apprendre ce que cela faisait. Pourtant malgré sa curiosité, il n’avait pas forcément envie de réaliser l’expérience justement… Et il comprenait la réaction de son lié, ne la rejetant nullement. Il aurait d’ailleurs été bien sot de le faire et d’ignorer la sagesse de son compagnon, non il écouterait, bien entendu d’autant qu’il ne pouvait faire un tel choix seul C’était trop lourd, trop délicat pour qu’il se permette de choisir seul, et en plus cela touchait également Shaynar. Il hocha doucement la tête et vint caresser l’esprit draconique du sien en sentant sa peur venir vibrer dans le flot de ses pensées… * Si nous ne parvenons pas à la détruire, il faudra effectivement la dissimuler, loin de toutes mains mortelles, loin de tous* Peut-être en Alayia elle-même. Mais oui, cette chose ne pouvait être laissée libre et à la portée de tous, c’était une trop grande menace pour que l’on ferme les yeux et accepte qu’elle reste en l’état. Ils risquaient tous la mort à cause d’elle et pire que la mort. Oui il fallait s’en débarrasser et il ne voulait pas, en tout état de cause, la conserver s’il pouvait faire autrement. Mais si elle tombait entre ses mains, il aurait certainement du mal à faire confiance à qui que ce soit malgré tout son optimisme. Serrant encore plus le museau de Shaynar, il finit par répondre. *Je te le promets* Et ses promesses étaient sa loi, il ne pouvait les rompre. S’il fallait s’assurer que Lorenz ne le trahisse pas, il trouverait un autre moyen. Il y avait certainement d’autres moyens auxquels il n’avait pas encore pensé… peut-être même devrait-il improviser. Dans tous les cas il n’avait pas la réponse immédiatement et ne l’aurait probablement pas avant un moment, tout cela était encore extrêmement hypothétique. Il sourit, s’installa confortablement sous l’aile de son lié alors que celui-ci changeait sensiblement de position. Fermant à son tour les yeux, un doux sourire peint sur ses traits, il laissa aller ses soucis ailleurs et se remplit de la sensation et de la proximité du dragon, de sa chaleur et de sa force… Sans ressortir son instrument, il se remit effectivement à chanter, tout ce qui lui passait par la tête, des mélopées simples que lui inspiraient la nature et les rêves, des mélopées sans autre but que de faire naître un brin de cette si délicate et fragile magie des notes… Puis, lorsqu’il se sentit finalement trop épuisé, il ferma les yeux et se laissa retomber contre les écailles, se roula à demi en boule et sombrant dans les songes de sa fatigue.

RP TERMINE