Premier jour des négociations:

Ayez les hostilités étaient lancées … enfin les négociations commençaient. La tension était à son comble, car les délégations arriveraient au compte goutte à partir de maintenant. Et celle des vampires sous peu. Et rien ne pouvait rendre plus nerveuse l'archère. De savoir qu'allait se trouver à proximité d'elle l'assassin de son lié. Lyroë devait trouver en elle la force de ne pas exploser et se trouver dans cet espace astral dont son ami d'enfance lui avait parlé. Elle éviterait au possible le domaine du feu, les délégations vampiriques et leur prince assassin. Sous peine d'en devenir une elle aussi.

Car malgré la menace d'un plan astral, sans arme dans le domaine des chanteurs, Lyroë ne semblait pas encline à faire le moindre effort face à cette créature de l'ombre, qui ne méritait pas moins que le trépas au lieu d'une non-vie. D'ailleurs elle en avait voulu à Mery d'une telle chose. Accepter que ce prince vienne au cœur de négociations de paix, alors qu'il est incapable d'épeler le mot paix sans faire de faute, c'était un peu comme demander à un dragon de se mettre à cracher de l'eau. Impensable, inconcevable et irréalisable. Comment cet être qui réduisait son peuple au silence sous une poigne de fer, la violence et la terreur, cherchant à réduire le peuple humain en buffet géant et voir les elfes soit mort soit en esclaves pouvait s’asseoir avec les dirigeants des autres peuples pour parler d'une paix, d'une unité armandéenne face aux alayens. Surtout quand on sait que si les alayens avaient cherché à nuire qu'aux hommes et elfes, ce maudit Lorenz aurait été le premier à signer un accord de paix avec les généraux du Néant, afin de réduire sous silence les autres peuples. Alors cette mascarade n'était qu'un miroir aux mensonges et l'archère ne voyait pas vraiment comment concilier un accord tacite entre les peuples armandéens. Heureusement, Lyroë n'était pas diplomate ni politicienne. Une simple archère au service des elfes, de la paix, des dragons, rien de plus.

La jeune femme laissait donc aux soins de son ami chanteur le doux soins de rêver à un apaisement du serpent vampirique, même si aux yeux de la rousse le venin du prince attendrait dans l'ombre le moment propice pour lancer son coup de crocs. Elle, elle surveillerait les alentours comme un bon chien de garde. Si c'était si important aux yeux de son ami alors elle ferait tout pour l'aider. Foi d'archère. Personne ne rentrerait sans autorisation.

Sauf si on est un vampire accompagné d'une dragonne millénaire, mère de son lié. Là il y avait des raisons de laisser passer. La culpabilité face à une mère, face à son ami d'enfance aussi, qui lui avait reproché d'agir envers Kylian comme envers Eliow. Mais ce petit morveux de vampire avait osé profaner l'esprit sacré de son défunt dragon. Un acte odieux et impardonnable aux yeux de la dragonnière épleurée. Mais le revoir avec la mère de son Cymbor, de cette partie de moi, tout comme Shaynar autrefois, un dragon avait accordé son attention sur ce vampire audacieux qui a tenu tête au premier né. Peut être que Mery avait raison au final. Elle lui laisserait le bénéfice du doute la prochaine fois.

En attendant, la rousse chassa toutes ses considérations parasitaires de son esprit pour prendre un peu de temps pour elle. Rien de tel qu'un peu de sport pour oublier les soucis. L'art noble de l'arc, la communion avec la nature, sentir filer sous ses doigts les flèches. Un art de précision, que seul œil aguerrit pouvait manier. Tenir un arc dans ses mains n'était pas comme maintenir une épée dans ses mains, une dague ou bien une masse. Seule la lance pouvait rivaliser d'habilité avec le tir à l'arc. La seule force ne comptait pas. La vision, la perception de son entourage et un bon brin de jugeote permettait d'atteindre son but final.

Cela faisait maintenant, un certain temps que l'archère sévissait sur des cibles de plus en plus ardues, cachées au milieu des bois à la lisière du domaine baptisrel. Une chance de pouvoir en sortir un peu et s'éloigner de la tension des négociations.
L’œil concentré, l'arc tendu et la flèche prête à partir, un bruit de pas interrompit sa concentration. Lyroë se tourna en un rien de temps en direction de la menace, l'arc prêt à être servi.

Les vingt-quatre prochaines heures seraient longues, très longues, et la patience du renégat vampirique serait mise à rude épreuve. Dire qu'Esmelda était là, quelque part, plus proche que jamais elle ne l'avait été ces dernières semaines et pourtant, si loin encore. Heureusement pour le couple interdit, Ninna veillait, fidèle à elle-même comme toujours, comme lorsque la princesse était encore à Gloria. Kylian avait retrouvé furtivement la jeune épéiste humaine, au détour d'un chemin, et l'imagination débordante de cette dernière avait fais le reste : elle avait immédiatement su comment les réunir, dès le lendemain, il pourrait se présenter comme un messager venu entretenir la princesse de la situation de l'Empire. Demain. Vingt-quatre heures d'éternité.

Au sortir de son entrevue avec Ninna, le vampire s'était rapidement éloigné du domaine baptistral : puisqu'il ne pourrait pas voir son aimée avant le prochain lever du soleil, mieux valait pour l'instant s'éloigner du Tomingorllo et de l'agitation qui y régnait. L'effervescence des préparatifs n'était pas vraiment une ambiance idéale pour attendre patiemment et calmement que s'écoulent les vingt-trois heures, cinquante-neuf minutes et quarante-sept secondes qui le séparaient encore des bras de la princesse.
Dracos, s'il ne voulait pas compter les secondes jusqu'à ce moment tant attendu, mieux valait pour lui se trouver quelque chose à faire pour s'occuper l'esprit.

Kylian traversa rapidement et furtivement les bois, avec pour seule compagnie le chant des oiseaux. La forêt était dense et le feuillage épais qui surplombait la silhouette encapuchonnée de l'être de ténèbres ne laissait filtrer que quelques timides rayons de soleil. Pas de quoi le gêner véritablement.
Lorsqu'il atteignit la lisière des bois, un rapide coup d'oeil circulaire suffit à lui faire comprendre que Skade était repartie. Égarer une dragonne de cette taille n'était pas chose aisée et le fait qu'il n'apercevait à l'horizon nulle montagne écailleuse ne pouvait signifier qu'une chose : elle était déjà loin. Un pincement lui étreignit le coeur tandis qu'il repensait à la méfiance qu'elle avait éprouvé au moment de le laisser partir, il aurait souhaité pouvoir lui dire que tout s'était bien passé et qu'il retrouverait sous peu celle qu'il était venue chercher. Reviendrait-elle ? Peut-être que oui, peut-être que non : elle avait semblé s'attacher à lui et prendre à coeur de veiller sur lui, mais qui était-il pour croire cela ? Après tout, il ne savait pas grand chose des dragons, alors pouvait-il vraiment s'avancer à ne serait-ce qu'imaginer qu'elle ait pu... éprouver... une certaine forme d'affection pour lui ? Sans doute pas.

Il patienta quelques heures, assis sur un rocher, à ruminer son amertume jusqu'à finalement accepter l'idée que la Mère des Tempêtes ne reviendrait pas. Du moins, pas aujourd'hui. Cette constatation acquise, le vampire se releva et s'en retourna vers les bois, l'air maussade. Il déambula ainsi un moment, sans but véritable autre que de laisser s'écouler la lente marche du temps. Il ignorait alors qu'au détour d'un grand chêne l'attendait une scène qui commencerait sérieusement à lui sembler familière.

D'ailleurs, le vampire leva instinctivement les mains lorsque la pointe effilée d'une flèche surgit devant lui, et sa voix se fit entendre aussitôt que son regard trouva celui de l'archère rouquine qui braquait son arc dans sa direction avec fermeté :

« Lyroë ! »

Encore ! Décidément, il était écris que ces deux là se rencontreraient toujours un arc à la main. Mais... Elle ne l'avait pas suivis pour lui tendre une embuscade et l'abattre tel un chien, tout de même ? Kylian aurait aimé pouvoir s'en convaincre, mais il n'en oubliait pas pour autant la méfiance maladive que l'elfe éprouvait à l'égard de ceux de sa race. Et cette fois, pas de Merithyn pour apaiser les tensions, pas de dragonne titanesque pour dissuader une quelconque initiative belliqueuse. Ils étaient seuls.

« C'est un traitement de faveur qui m'est réservé, ou brandissez vous votre arc chaque fois que vous rencontrez un ami ? »

Une bouteille à la mer, car en dépit de l'assurance dont il avait teinté ses mots, il n'était pas vraiment certain de ce qui l'attendait. D'autant plus qu'il était un peu présomptueux de parler d'amitié, mais en usant de ce mot, le renégat espérait surtout rappeler à l'archère elfique qu'ils étaient dans le même camps.

Il aurait pu surgir n'importe qui face à elle. Un alayen éclaireur cherchant à trouver une faille quand aux défense du domaine baptisrel. Ou qui chercherait les défenseurs elfiques qui surveillaient tout comme elle, les abords, pour la tranquillité des négociations. Un de ces êtres venus de bien loin pour réduire la magie et son peuple à néant comme un vulgaire château de sable face à une tempête de vent ou face à une marée fougueuse.
Cela aurait pu être un soldat vampirique de Lorenz Wintel. Lyroë se doutait bien que le prince noir avait non loin de là de quoi subvenir à une attaque. Que se soit contre cet ennemi commun ou bien contre les elfes, une fois ceux-ci affaiblis. Avec lui, il fallait se munir contre n'importe quelle éventualité. Il était près à tout pour assurer sa folie meurtrière.
Mais cela aurait put être un elfe, venant aux nouvelles ou fuyant une avancée alayenne imminente. Il ne fallait pas se leurrer. Ils arriveraient vers les bois sylvains afin d'étendre leur suprématie sur continent armandéen.
Mais non, il fallait que se soit encore ce fichu vampire de malheur. Il arrivait toujours à point mal nommer. Semblant toujours avoir de bonnes raisons quand à sa présence en des lieux qui devraient lui être interdit, brisant la tranquillité et le respect des autres sans aucune gêne. Un vampire quoi !! Tout leur était dû. Et Merithyn pouvait dire ce qu'il voulait, Lyroë n'allait pas être comme lui et lui déballer les honneurs. Rebelle face à Lorenz Wintel ou pas. La politesse n'était pas l'apanage des elfes. Et elle lui prouverait.

L'archère le salua avec exagération.

« -Bonjour ! Wallam. »

L'archère baissa doucement son arc, en rangeant la flèche dans son dos. Son ami de chanteur lui en voudrait d’abîmer ce vampire. Même par un accident si vite arriver. Qu'est-ce qu'avait Mery à vouloir adopter chaque vampire en perdition luttant contre le prince noir ? Lui aussi voyait comme les dragons au delà des canines, un espoir pour cette race maudite ? Pour le moment seul Achroma lui avait fait figure d'homme d'avenir en cette matière.

« - Une habitude que tu as à vouloir toujours te trouver sur sa trajectoire et à venir interrompre les moments de ma vie. Un fait constant chez les vampires.  »

Au moins cette fois, il ne s'agissait que lors de son entraînement et pas lors du recueillement sur la tombe de son défunt lié. Une arrivée qu'elle n'était pas prête de lui pardonner, malgré ses excuses, malgré l'indulgence de Shaynar face à lui et malgré la confiance de Mery. Cymbor ne méritait pas que l'on vienne empiéter sur sa tombe de telle manière.

« - Et quand je rencontre un ami, il est baissé. »

Ajouta-t-elle avec un certain mépris hautain. Chose qu'il ne serait jamais, même s'il n'était pas à mettre dans le même sac que son prince.

« -Mais que fais-tu hors du domaine ? Mery ne t'as pas reçu et accueilli, comme convenu ? »

Et jeter hors des négociations. Lyroë ne put que sourire à cette idée. Lui arrivant tel un héros sur son fier dragon millénaire, pensant avoir sa place près des grands de ce monde. Et finalement se voir refuser l'entrée. Il avait cru que la simple gentillesse de Mery de lui offrir un diamant de pureté, la vie pour Shaynar lui donnait accès à tous les droits. Et qu'un dragon en plus ne suffirait pas à prouver sa réelle valeur.

Lentement, la pointe d'acier braquée vers la gorge du vampire se détourna, au plus grand soulagement de ce dernier. Ç'aurait tout de même été un comble que de se faire tuer maintenant, alors même qu'il avait réussi à franchir sans encombre, ou presque, les lignes du siège de Gloria puis à traverser les plaines de l'Empire alors infestées d'Alayiens, avant de se faire guider sur les sentiers des forêts elfiques jusqu'à obtenir un entretien avec le gardien baptistral en personne et parvenir ainsi à moins de vingt-quatre heures de retrouver le doux visage de son aimée. Une fin d'autant plus ridicule si le coup fatal devait venir d'une elfe qu'il ne considérait pas vraiment comme une ennemie, quand bien même la réciproque n'était pas de toute évidence pas encore d'actualité. Son regard, ses gestes, l'intonation de sa voix trahissaient une certaine forme de regret chez l'archère : elle ne le tuerait peut-être pas aujourd'hui, mais n'écartait pas encore totalement l'idée.

Sans détourner le regard des yeux clairs de la rousse, le vampire écouta la réplique cinglante sans sourciller. Il n'attendait pas vraiment d'excuses pour l'accueil qui lui avait été réservé mais de là à le considérer seul coupable de la situation, il ne fallait tout de même pas exagérer. Non mais que croyait-elle ? Qu'il se faisait un plaisir de ce genre de rencontres ? Et bien certainement pas, et s'il avait pu deviner que son parcours le mènerait au devant des flèches de Lyroë, il aurait certainement privilégié un autre sentier pour sa promenade forestière. Quant à l'épisode précédent, leur première rencontre, bien loin de là, sur les terres impériales de l'est et dont la référence était flagrante, il n'était pas plus responsable qu'aujourd'hui de ces interruptions dont elle semblait lui tenir rigueur. Enfin, pas directement responsable, même s'il ne pouvait nier que rien ne serait arrivé s'il avait pu convaincre Zaphirel de se tenir tranquille au lieu d'essayer de prendre la fuite. Tant de choses auraient été différentes si cela avait été le cas...

Les mâchoires serrées, Kylian nota la précision qu'elle venait de faire sur l'accueil réservé aux amis véritables. Au moins le message était-il clair. Son regard se durcit l'espace d'une seconde, avant de brutalement s'adoucir tandis qu'il répondait d'une voix apaisée, en totale contradiction avec les mots tranchants qu'avait employé l'elfe :

« Je suis désolé. »

Il n'y avait pas beaucoup plus à en dire, mais il précisa néanmoins :

« Croyez le ou pas, mais si je pouvais me tenir à l'écart de votre trajectoire, je me garderais bien de venir vous déranger. J'ai suffisamment d'ennemi que pour avoir envie de m'en créer de nouveaux. »

Il envisageait d'ailleurs déjà de battre rapidement en retraite et de s'en retourner à ses errances solitaires mais fut devancé par les questions aiguisées que lui administra l'archère. Passablement surpris qu'elle ait décidé d'engager la conversation plutôt que de le chasser purement et simplement, le vampire postposa son recul pour lui répondre. Il doutait que la demoiselle put réellement s'inquiéter du succès ou de l'échec de sa visite mais peut-être le fait que Merithyn l'ait autorisé à aller et venir où bon lui semblait sur et hors du domaine, à l'une ou l'autre exception près bien entendu, jouerait en sa faveur. Après tout, elle semblait accorder beaucoup de crédit à l'opinion du chanteur, et nul doute que s'il n'avait été là pour prendre le parti du vampire lors de leur première rencontre, la carcasse percée de flèches de ce dernier aurait servi de festin aux corbeaux et autres charognards.

« Merithyn m'a effectivement entendu, et si je suis hors du domaine, c'est parce qu'il m'a autorisé à circuler librement pour la durée de mon séjour ici. »

Il hésita un instant, avant de poursuivre finalement :

« La personne que je suis venu retrouver, en revanche, ne pourra pas me recevoir avant demain. J'espérais mettre à profit ce temps pour prendre des nouvelles de ... de ma dragonne, mais il semble qu'elle ait préféré jouer les filles de l'air. Quoi de plus approprié finalement pour la Mère des Tempêtes ? »

Un peu maladroitement, le vampire avait buté sur ce nouvel usage du possessif auquel il ne s'habituerait certainement pas d'ici la fin de son périple en terres baptistrales. Le prétendre dragonnier. Lui. Quelle idée... Mais difficile de remettre en question la suggestion d'une dragonne qui avait pour elle 3000 ans de sagesse, alors bon gré mal gré, il jouerait le jeu en souhaitant ne pas tout gâcher stupidement. Du moins, pas trop vite.

Méfiant, Kylian soupesa prudemment ses mots pour profiter de l'ouverture qu'avait offert la dragonnière et l'interroger à son tour :

« Et ... toi ? Qu'ais-je interrompu cette fois ? »

Son regard croisa celui de la jeune femme et il lui sembla alors plus prudent de préciser sans attendre :

« Je fais juste la conversation. J'ai encore un paquet d'heures à tuer et à l'exception de Merithyn, je ne connais personne ici, du moins, personne qui ne cherche à me percer de flèches ou me trancher la gorge... »

Désolé, il pouvait l'être mais ça ne changerait rien pour elle. Peut être le comprenait-il mieux maintenant, avec une dragonne à ses côtés. La mère de son lié qui plus est. Si un elfe venait à l'assassiner demain, apprécierait-il que Lyroë débarque comme une fleur lors de son recueillement, tout ça pour quoi, un des siens. L'archère en doutait s'il avait ne serait qu'un peu de bon sens et de cœur, même un mort. Remarque avec les vampires, il fallait se méfier. Certains étaient sournois. A se parer de bonne intentions et charmant à souhait pour mieux vous croquer ensuite. Mais si là la mère de Cymbor s'était penchée sur lui, peut être que comme Cymbor au sujet d'Eliow, elle avait sentit autre chose. Encore une à qui elle devait se fier et suivre son instinct, un peu comme avec Shaynar et Meri.

Quand aux ennemis, il semblait en être à aimants. Espérons juste qu'un deux ne débarquent pas. Lyroë n'avait pas besoin de jouer les gardiennes d'enfants entre le rebelle et son compagnon.

Il fallait croire que certaines personnes étaient faites pour ça, s'attirer la foudre de ceux qui croisaient leur route. Une malédiction du Dracos ou le simple fait de penser différemment ? Lyroë se le demandait bien.

« - Et pourtant, il semble que tu es assez fort dans le fait de t'en créer et rapidement. Il faut croire que ta rébellion t'as laissé pousser des ailes sur ce fait au delà de tes congénères. »

Mais malgré tout, l'archère fut surpris de sa réponse, concernant son droit de sortir du royaume, cela devait signifier qu'une seule chose.

« -Donc tu ne participeras pas aux négociations? Un coup rude pour quelqu'un qui se veut un obstacle dans la politique vampirique. Et comment comptes-tu te faire entendre, connaître si tu préfères te promener dans les bois ? »

Pourquoi  ne pas en profiter pour apposer son empreinte et s'imposer ? Il était le contre courant de Wintel, il était son opposant, donc il en avait la légitimé. Et si Lyroë le pensait, cela avait dû traverser l'esprit de son ami d'enfance, qui avait dû lui proposer ou aborder la discussion.
Alors pourquoi se promener, dans les bois, et pas s'imposer comme le rebelle vampirique ? Il avait l’occasion de montrer son désir, sa volonté pour son peuple. Celle d'une paix tout aussi désirée que celle de tout Armanda. Il se présentait comme tel, du moins comme celui voulant libérer son peuple de la violence et de la loi du plus fort pour établir un empire basé sur les dons et personnalités de chacun. Les grands de sa races étaient là et même s'ils tremblaient sous la coupelle de ce prince tyrannique peut être que certains avaient envie d'entendre ce rebelle qui s'attirait des ennuis.

« -Tu as pourtant reçu un appui de choix. Une aide qui permet de se faire entendre au delà des races et des préjugés, et qui te place au niveau de celui qui se dit ton prince. Si ce n'est plus. C'est un honneur à ne pas négliger et qui te permettrait de pouvoir servir ce qui fait de toi un rebelle et non pas un fuyard. »

En effet, même si Merithyn était du genre à laisser sa chance à tous, le vampire devenu dragonnier avait un nouvel appui de poids. Dragonnier, il avait donc accès aux négociations en tant que tel, si rebelle vampirique ne passait pas. Mais au lieu de cela, il était face à elle, à ne pas tenter sa chance. Il fallait se lancer parfois. Ne l'avait-elle pas fait avec son idée de caste de dragonnier. Et pourtant, parler avec des personnes aussi différentes qu'elle et s'allier était un exploit pour la rousse.

« - Tu as juste interrompu un entraînement quotidien. Rien qui ne demande à discuter, juste du calme, de la tranquillité. Enfin quand je ne suis pas interrompue. Mais dois-je comprendre que je sers de gardienne des invités de Merithyn ? »

Elle allait devoir lui en toucher deux mots, si tel était le cas. Elle n'avait pas besoin d'un vampire à garder pour qu'il ne s'ennuie pas avant demain. Elle l'avait amener à lui point barre.

« -Dans ce cas, c'est tout te servir d'un arc. Autant que tu serves à quelque chose. »

Ils allaient pas rester comme des piquets dans la foret à essayer de comprendre l'esprit brumeux d'un vampire.

« -Si tu reçois une flèche, là, je pourrais mettre ça sur le compte de ton incapacité à savoir te servir de tes mains. »

Oui, elle n'était pas obligée d'être aimable avec lui.

Il s'en était fallu de peu que l'archère ne lui arracha un sourire lorsqu'elle fit remarquer le brio avec lequel le renégat vampire parvenait à s'attiser, bien malgré lui le plus souvent, l'hostilité de ceux qu'il croisait. Presque seulement, car le ton froid et distant, plein de reproches, qu'elle employait n'encourageait pas vraiment à la plaisanterie. Pourtant, difficile pour lui que de faire autrement dans un monde gangréné par les préjugés : les elfes et les hommes le craignaient pour l'image de prédateur sanguinaire et meurtrier compulsif qu'il paraissait être, les vampires le détestaient pour les idées de paix et de tolérance qui faisaient de lui ce qu'il était vraiment.

« Il est difficile d'aller à contre-courant de ce que d'aucun appellent à la norme, défendre les idées que je défends en étant ce que je suis n'aide pas à se faire des alliés. »

Heureusement qu'il pouvait encore compter sur quelques exceptions, Esmelda et Roëric notamment pour ne citer qu'eux. Sans doute Merithyn pouvait-il également prétendre faire partie de ces fameuses exceptions, bien que ses pouvoirs de baptistrel le classifia plutôt hors-norme.
Le visage du renégat laissa transparaître l'ombre d'une grimace lorsque la rouquine aborda le sujet des négociations, notamment son absence à la table des discussions, en dépit du fait qu'il fut pourtant ''dragonnier''. Il savait bien que ça n'avait pas été une bonne idée de le présenter ainsi, surtout devant quelqu'un qui fut véritablement lié à un dragon par le passé, et en conservait encore la cicatrice. Dans une bien piètre tentative de dissimuler la gêne occasionnée par ces forts judicieuses remarques, Kylian se passa une main nerveuse dans les cheveux, laissant la capuche de sa cape basculer sur ses épaules.

« Officiellement, même si je ne reconnais pas son autorité, c'est bien Lorenz qui est le dirigeant du peuple vampirique et nos relations sont quelques peu... difficiles, comme tu peux l'imaginer. Ma présence aux négociations risquerait d'envenimer les choses plus que de les aider, ce que je ne souhaite pas. »

Et surtout, le vampire ne partageait pas l'optimisme d'un Merithyn. Ce que l'on qualifiait aujourd'hui pompeusement de trêve et de négociations de paix n'était aux yeux du prince vampirique qu'un simulacre destiné non pas à servir les intérêts communs, mais bien à lui éviter sa propre destruction. De cela Kylian n'avait pas le moindre doute, sitôt que Lorenz jugerait la situation Alayienne sous contrôle, les beaux discours n'auraient plus la moindre valeur et la guerre reprendrait, avec pour principale conséquence une image vampirique de nouveau ternie par le mensonge et la trahison. Et c'était bien là le problème : avant d'espérer faire entendre ce que le rebelle avait à dire, encore fallait-il qu'il se donna les moyens d'être un minimum crédible.

Kylian haussa un sourcil circonspect quand l'archère l'informa qu'il n'avait interrompu qu'un simple entraînement. Dracos, elle avait failli le percer d'une flèche parce qu'il avait eu le malheur de l'interrompre pendant ses exercices quotidiens ? Autant la colère de la dragonnière endeuillée était-elle parfaitement justifiée lors de leur première rencontre, autant aujourd'hui, sa réaction semblait quelque peu disproportionnée, il n'avait tout de même pas une tête de cible d'exercice. Contrarié, la réplique du vampire s'avéra plus sèche qu'il ne l'aurait véritablement voulu :

« Tu n'es gardienne de rien du tout, ce n'est pas Merithyn qui m'a envoyé vers toi et si tu veux que je te laisse à ton arc et tes flèches, je peux très bien repartir d'où je viens. »

Non mais, il ne faudrait tout même pas le croire incapable de se débrouiller seul : la solitude et l'exil, il connaissait, et ce dans des contrées nettement moins hospitalières que les bois elfiques et le domaine baptistral.

Le sourire du vampire parvint finalement à percer sur son visage cependant, quoiqu'il demeura encore à l'état de simple rictus étirant le coin de ses lèvres, lorsqu'elle lui proposa de manière détournée de partager son entrainement. Même la dernière réplique de l'archère, dont on ne pouvait vraiment dire s'il s'agissait d'une menace voilée ou d'un simple trait d'humour elfique, ne parvint à le lui faire effacer. C'est d'ailleurs en empruntant le même ton, mélange d'amusement et de sérieux qu'il répondit à son tour :

« Il te faudra plus qu'un peu de maladresse pour te débarrasser de moi, je connais deux ou trois choses. »

Joignant le geste à la parole, le vampire affermit sa prise sur le pommeau de son arc et amena une flèche sur la corde de son arme, décochant rapidement le projectile en direction d'une cible disposée à plusieurs dizaines de mètres de là. Il en fit de même sur une deuxième puis une troisième, enchaînant les tirs avec rapidité et précision, mais si les deux premières atteignirent leurs objectifs respectifs sans difficulté, la troisième manqua largement le but pour s'en aller se perdre entre les arbres.
Kylian eut une moue contrariée avant d'essayer de se justifier :

« J'avais le soleil dans les yeux... »

Ce qui n'était par ailleurs pas totalement faux mais le vampire n'eut guère le temps d'épiloguer davantage. Sa phrase s'interrompit brutalement, couverte par un rugissement caverneux qui s'éleva dans la direction approximative où sa flèche était partie. A peine le temps de jeter un regard vers la rousse elfique qu'une imposante masse sombre surgit d'entre les fourrés pour charger dans leur direction, grondant sa colère : un ours de bonne taille, probablement un vieux mâle, avait eu la bien mauvaise idée de se trouver sur le chemin de la flèche égarée et de toute évidence, n'avait pas beaucoup apprécié le traitement.

Il semblait jeune, tout comme elle, peut être plus, difficile à savoir avec ces vampires. En tout cas, les années n'avaient entaché son visage juvénile. C'était peut être là la raison de son hésitation à s'imposer face à un Wintel, dont la puissance se dégageait par chacun de ses pores, dont l'arrogante assurance avait sa force et sa réputation. Il avait de quoi rendre un jeune vampire fébrile, mais il avait une alliée de poids maintenant. Il n'était plus que le petit vampire rebelle, qui avait su dire non une fois. Qu'importe, les vampires étaient décidément bien étrange. La loi du plus fort en disant non mais en cherchant à fuir ses actes.

« -Justement. Tu ne reconnais pas son autorité, tu es dragonnier. Tu n'as rien à reconnaître. Faut-il encore le vouloir. »

Mais fallait-il encore qu'il se voit comme tel. Son lien avec la mère de son dragon n'était pas la même que celle avec des dragons nés sous les mains de dragonniers. La tâche serait donc ardue pour voir éclore une unité draconique, surtout avec quatre dragonniers vampiriques, un humain et un elfe. La loi du plus fort reviendrait-elle à un moment ou un autre ?

« -Et aller à contre courant n'est jamais facile. Il faut faire des choix, tu en as fait un, suit le jusqu'au bout ou bien rentre dans le rang. »

Il ne devait pas être soldat dans sa vie d'humain, sinon il aurait gardé cette ligne conductrice. Ou pas, à vrai dire, elle connaissait rien de la transformation et ses conséquences. En tout cas, il allait aussi falloir composer avec ce vampire tâtonnant et qu'il prenne plus d’envergure, sinon face à Wintel, même avec un dragon cela allait être bien difficile.

« -Les alliés se méritent. Il faut savoir leur insuffler confiance et l'envie de te suivre. »

Et elle en eut vite la preuve. Cet idiot voulu faire ses preuves, fanfaronner, faire le beau devant elle et ils récoltaient quoi : un ours. Oui, il n'était pas soldat et encore moins archer. Au lieu de toucher des cibles, il provoquait la nature mère elle même en blessant un de ses fils.

« -Quel crétin !!! Et ça se dit archer !! »

Lyroë se mit à courir pour ne pas subir le courroux de l'animal blessé, le soigner et lui venir en aide pour le moment serait un suicide. Et ils se feraient écharper tout deux plutôt qu'autre chose.

« -Deux, trois choses... c'est avec ce genre de choses que tu t'attires l’animosité de tout le monde, même les animaux. »

L'animal continuait à les charger et malgré son pas lourd la bête était rapide et en colère. Et ce vampire ne pensant ne pas en avoir fait assez chargeait une autre flèche. Quel abruti. Il voulait l'énerver encore plus. Sa flèche ne pourrait que le blesser un peu plus et le rendre encore bien plus furieux. Il faisait face à l'animal et Lyroë lui attrapa la main.

« -Et range ça, veux-tu. Que tu plantes un elfe, un humain ou un des tiens m'importe au final. Mais pas une créature animale. Il n'a rien demandé et c'est à juste titre qu'il mérite de te mettre un coup de griffe. »

Lyroë chargea elle même une flèche et la décocha en l'air avec une précision fine et rapide. Une branche assez lourde, coincée entre deux arbres tomba lourdement, dans un bruit mat.

« -Première chose quand tu veux fuir un ennemi, sans le toucher, sert toi de ce qui t'entoure. Et le soleil n'est qu'un faux prétexte. Même pour un vampire. Tu dois avoir une longueur d'avance et maîtrisant ton environnement. Pas en le provoquant. Un arbre, une branche mal accrochée peut devenir une arme, un piège. A toi de t'en servir, plus que de la pointe de ta flèche.»

L'archère se remit à courir, laissant l'ours le soin de faire un peu plus de sport en devant grimper par dessus l'obstacle, non sans grande difficulté, mais entraver par sa blessure.

« -En tout cas un ours un bon plan pour me débarrasser de toi. Si j'avais le temps pour ces bêtises, je te laisserai bien en pâture. »

Mais Lyroë était dans un bon jour et elle ne le laisserait pas se faire dévorer sous ses yeux. Pauvre ours si après ça il était malade, elle s'en voudrait. Toujours courant devant la bête rugissante, elle fouilla sa poche et tendit un petit objet au vampire. Sa nature d'elfe ne lui donnait pas un immense besoin de garder un tel objet. Mais c'était une vieille prise de guerre face aux premiers vampires qui passa et trépassa sous ses flèches quelques siècles plus tôt.

« -Et tient, prends ça. Vu comme tu sais te faire aimer des créatures quelles qu'elles soient, ça te servira bien plus qu'à moi. Je n'aimerai pas que ta dragonne me reproche en plus ta mort. Une suffit amplement. »

C'était un accident, ç'aurait pu arriver à n'importe qui, non ? Bien sûr, mais non, il avait fallu que cela lui arrive à lui, et justement aujourd'hui, alors même qu'il commençait à entrevoir la possibilité que, peut-être, il parviendrait à sinon s'attirer la sympathie, au moins éloigner l'hostilité dont faisait preuve l'archère elfique à son encontre. Echec sur toute la ligne malheureusement, et le renégat ne trouvait pas grand chose à répliquer à la véhémence de la rouquine. Sans doute le silence était-il la meilleure réponse en l'occurrence de toute façon.

Instinctivement, il lui emboîta le pas tandis qu'elle commençait à courir pour s'éloigner de la bête vociférante lancée à vive allure à leur poursuite. Au bout de quelques mètres, sa main s'élança vers son carquois pour se saisir d'une flèche qu'il amena sur la corde de son arc. Il avait commis un impair, c'était donc à lui de réparer ses torts et même s'il aurait préféré pouvoir agir autrement, la responsabilité lui incombait de terrasser l'ours. Si possible avant que l'animal n'en vint à blesser l'archère par sa faute : il lui restait déjà bien peu d'espoir de voir un jour s'éteindre cette lueur agressive dans les yeux bleutés de la demoiselle, un coup de griffes réduirait définitivement cet espoir à néant.

Lorsqu'il estima la distance suffisante, le vampire freina brusquement tout en amorçant le mouvement rotatif qui amènerait la pointe de sa flèche en direction de la bête. On ne croisait pas beaucoup d'ours sur les plaines de l'Empire et Kylian n'avait donc pas la moindre idée de la résistance que l'animal pourrait démontrer mais aussi épais son poil pouvait-il être, il ne constituerait certainement pas une armure suffisante. C'était du moins à cette pensée qu'il s'accrochait pour aligner posément la pointe d'acier avec la masse de muscle et de griffes qui se dirigeait vers lui. Il était sur le point de décocher lorsqu'une main vint s'emparer de la sienne pour le contraindre à suspendre son geste, avec une nouvelle remontrance.

« Mais... Tu ne veux quand même pas que je le laisse me massacrer, quand même ? »

Il regretta la question qu'il venait de poser à l'instant même où le dernier mot s'était échappé de ses lèvres fines mais il était déjà trop tard et elle n'eut pas besoin de mots pour lui comprendre que sa réponse, si elle se risquait à la prononcer, serait forcément affirmative. Pour une raison qui lui appartenait, elle s'en abstint toutefois et décocha elle-même une flèche en direction des arbres. Pas beaucoup plus précise que lui, l'elfe, elle avait réussi à rater un ours dans un couloir et maintenant, la bête était pratiquement arrivée sur eux. Une réplique cinglante était sur le point de lui échapper lorsqu'une branche s'effondra pour barrer le passage de l'animal et l'explication vint bien vite lui faire comprendre que ce qu'il avait pensé être un tir lamentablement raté s'était en fait révélé une manoeuvre particulièrement brillante.

Le duo d'archers reprit précipitamment sa fuite, laissant derrière les craquements plaintifs du bois que l'ours brisait sous ses pattes. Le vampire adressa un regard dans lequel se lisaient à la fois la honte et la frustration tandis qu'elle lui avouait finalement caresser l'idée de laisser la grosse boule de poils et de griffes le réduire en lambeaux.

« J'avais cru le comprendre, oui. Je suppose que je peux te remercier de n'en avoir rien fait... pour le moment. »

Ils s'éloignèrent un peu plus mais les rugissements rageurs derrière eux ne se firent pas oublier pour autant et c'est avec perplexité que Kylian récupéra l'étrange petit sifflet qu'elle venait de lui tendre.

« Un sifflet ? Tu crois que c'est vraiment bien le moment ? On a peut-être gagné du temps, mais une branche ne le retiendra pas bien longtemps. »

Et de fait, l'on pouvait déjà entendre les pas lourds et rapides de la bête chargeant à travers bois se rapprocher rapidement. Sans trop y croire, le vampire porta l'instrument à ses lèvres et souffla doucement pour que s'élève dans l'air le son grave et profond produit par le petit sifflet d'ébène. L'animal se présenta devant eux mais ralentit sa charge à mesure qu'il approchait pour finalement totalement s'immobiliser à quelques mètres de la position que le duo occupait alors. Dissimulant difficilement sa surprise, l'archer renégat suspendit la mélodie pour s'adresser à l'elfe mais sitôt que le son s'interrompit, l'ours grogna et se redressa, contraignant le rebelle à continuer de siffler pour le maintenir dans cette étrange torpeur paisible que semblait lui inspirer le son sifflet. Kylian avait déjà entendu parler des charmeurs de serpents qui arpentaient les déserts à l'est du continent, mais jamais il ne se serait cru un jour occuper le rôle de charmeur d'ours en colère.

A défaut de mots, il adressa donc un nouveau regard nerveux en direction de la dragonnière elfique, son visage exprimant une et une seule question : et maintenant ? Elle était une elfe, non ? Donc elle devait être très proche de la nature, des animaux, et de ce genre de choses, elle devait forcément posséder le savoir nécessaire pour résoudre la situation. L'idée qu'elle put le planter là et le laisser souffler pendant des heures lui traversa toutefois l'esprit, non sans lui inspirer les plus vives inquiétudes, mais elle n'irait tout de même pas jusque là, si ?

Par le Dracos, mais qu'avait-elle mérité pour avoir un vampire pareil sur les bras ? Elle était là tranquille, à embêter personne, à se faire toute petite, et bim. Encore lui qui venait lui casser les oreilles avec ses jérémiades. En fait, il ne valait pas mieux que le bébé qu'il avait gardé lors de leur première rencontre. Les vampires faisaient vraiment tout pour ne pas se faire aimer. Leur cerveau devait être aussi en arrêt. Comme le reste de leur corps. Lyroë ne voyait pas d'autres explications à sa stupidité.

« -Pour le moment oui. Après tout cette histoire est entre lui et toi ?? Tu mérites de rester en tête à tête avec lui. Après tout qui a lancer la flèche. »

Elle, elle n'avait rien demandé à part un peu de tranquillité avant le débuts des hostilités... des négociations. Pas un vampire capricieux et encore moins un ours en colère.
Lyroë continuait à avancer d'un pas rapide, le regard en arrière, tandis que le bois cédait de plus en plus sous les coups de griffes de la bête en furie. Oui, il allait falloir trouver une solution et vite. Et autre que de compter sur l’ingéniosité du vampire.

« -Agis et arrête de parler. Par le Dracos, on parle des humaines bavardes comme des pies, tu es pire. »

Elle avait l'impression de parler à un enfant à qui dire quoi faire. Et parler ne menait à rien face à un ours. Il pouvait essayer remarque. Mais la jeune femme ne resterait pas là pour le voir.
Mais surtout, il se prétendait archer. Cette notion ne devait pas être la même chez les elfes et les vampires.

« -L'art de l'arc demande silence et réflexion. Et tu es dépourvu des deux. Tu ne préfères pas user d'une épée plutôt ? Là, on te demandera juste de taper comme un barbare des humains du nord, sans aucune réflexion.»

Mais encore fallait-il qu'il le comprenne !! Là, elle ne misait pas dessus. Mais fallait-il être optimiste ? Pour un vampire ? Mery lui disait bien de leur donner une chance, et il l'avait fait avec ce crétin des bois.
La preuve : au lieu d'apprécier son cadeau et la remercier, il remettait en cause son choix de le lui donner. Si elle avait su, elle l'aurait garder pour elle.

« -Alors le sifflet ?? »

Il fonctionne monsieur j'y crois pas je parle avant d'agir. Il se sentait bien bête maintenant. D'ailleurs l'envie de le laisser là à siffler toute sa vie lui démangeait les pieds. Qu'il siffle et siffle encore à comprendre que la plus petite et insignifiante des choses pouvait être bien plus forte que la plus grosse des pierres. Mais l'elfe avait pitié du pauvre ours qui apaiser par cette douce mélodie risquait de rester à ses pieds et d'en oublier le reste.

« -Crois-tu que seule la force peut servir à te sortir de situation dérangeante ? Sert toi de ce dont tu disposes sur toi, autour de toi, voir même de la force de ton adversaire. Et pas que de ta langue. »

Et toc, stupide vampire joufflu à souffler dans ton sifflet. Maintenant, il allait falloir réfléchir. En espérant que ce en soit pas trop difficile pour lui. Et qu'il trouverait une solution seule. Elle n'aimerait pas abîmer le nouveaux joujou de Mery.

« -Alors réfléchit, comment peux-tu t'en sortir ?? Il n'y aura pas toujours une dragonne millénaire pour te sauver les fesses ni un elfe chanteur. »

Dracos, c'était pourtant vrai qu'elle allait le regarder siffler sans rien faire. Ou plus exactement, sans rien faire d'utile car pour ce qui était de critiquer et jouer les donneuses de leçons, elle n'attendait pas de se faire prier. Qu'il se serve de ce dont il disposait autour de lui ? Facile à dire pour une elfe qui avait vécu dans ces bois pendant des siècles, elle connaissait certainement jusqu'à la moindre brindille de ces forêts, elle. Lui ne voyait là que des arbres qui se ressemblaient tous : un tronc, des racines, des branches et des feuilles. Bref, des arbres. Et quelques pierres flanquées de-ci de-là, mais le vampire renégat doutait quelque peu que l'archère put lui suggérer de lapider l'ours en lui jetant ces pierres ou de lui fracasser le crâne à coups de gourdins. L'exaspération le gagnait peu à peu et s'il avait pu s'arrêter de siffler un instant sans risquer de voir la peluche aux grosses griffes leur sauter dessus, il aurait volontiers fait remarquer à son ''professeur'' que le plus bavard ici n'était pas nécessairement celui qu'elle pensait.
Une lueur ironique traversa ensuite le regard du vampire toujours sifflotant et un rictus amusé vint étirer ses lèvres tandis qu'il envisageait la possibilité de suivre les conseils de l'archère au pied de la lettre. Après tout, s'il inversait les rôles et balançait l'archère aux bons soins de la bête furieuse en guise de défouloir, n'était-ce pas également faire usage de ce qui l'entourait ? Mais là encore, ce n'était probablement pas ce que la rouquine avait derrière la tête.

Si sa dernière hypothèse avait eu le mérite de l'amuser un instant, il n'en demeurait pas moins que le problème persistait et qu'en dépit des bons conseils prodigués par madame je-sais-tout, il n'était pas beaucoup plus avancé. Les nerfs tendus tels les cordes d'un violon, sans cesser de jouer, le vampire s'approcha de l'animal blessé encore engourdi par la mélodie du sifflet. Du regard, il parcouru l'épaisse fourrure de poils sombres jusqu'à poser les yeux sur le projectile qui était venu se planter dans les chairs de la bête. Avec des gestes lents et minutieux, sans mouvements brusques, le vampire posa les mains sur l'animal et le guida pour l'entraîner à se coucher sur le flanc. Ses mains se glissèrent ensuite lentement, vers les sacoches qu'il utilisait pour transporter son équipement et en extirpèrent une corde elfique dont le vampire fit glisser plusieurs longueurs entre ses doigts, avant de finalement s'atteler à ficeler solidement les larges pattes de l'animal.

Ce n'est qu'après avoir vérifié plusieurs fois la solidité des nœuds qu'il daigna s'arrêter de siffler, l'animal retrouvant dès lors sa pleine lucidité pour s'agiter et tenter de se dégager en grognant. En vain, toutefois, l'artisanat elfique ne démériterait pas aujourd'hui et la corde ne cèderait pas même devant la force d'un ours de belle taille. Le visage sévère du renégat vampire se tourna vers l'archère pour reprendre la conversation :

« C'est le mieux que je puisse faire, alors que ça te plaise ou pas, il faudra t'en accommoder. Je n'ai pas la chance d'avoir à ma disposition une magie en harmonie avec la Nature et je n'ai aucun moyen de guérir. »

Pensif, le renégat porta une main à la hanche avant de se passer l'autre sur le menton, puis ajouta avec un regard appuyé vers celle qui semblait s'être mise en tête de lui servir de professeur :

« Je ne suis pas un elfe, il ne me semblait pourtant pas nécessaire de te le faire remarquer, alors n'attends pas de moi que j'agisse comme l'un de tes semblables. Je suis ce que je suis, et si je m'efforce de faire le bien, je n'ai malheureusement pas les facilités de certains. »

Son regard revint se poser sur le tas de poil et de muscles entravé par la corde elfique tandis qu'il poursuivait :

« Tu veux critiquer ma maladresse ou ma brutalité, soit. Mais pour quelqu'un qui déteste les vampires, tu ne sembles pas comprendre la réalité qui est la mienne aussi bien que tu le crois. »

Car tout ce qu'il était avait été perverti par le poison circulant dans ses veines, jusqu'à sa magie qui était désormais essentiellement dirigée vers la souffrance et la mort, là où celle des elfes était résolument tournée vers la guérison et la vie. Mais cela, évidemment, elle ne pouvait ou ne voulait simplement pas le considérer.

« Je n'avais pas besoin d'espérer l'intervention d'une dragonne millénaire ou d'un elfe chanteur, j'ai appris à me fondre dans les ombres et à disparaître pour me soustraire au danger sans avoir à blesser mes adversaires. J'aurais tout aussi bien pu m'effacer et te laisser te débrouiller avec lui... »

Comme l'auraient fait la plupart des vampires, en vérité, le chacun pour soi était une règle particulièrement prisée du peuple de la nuit. Fuir comme un lâche diraient certains, se montrer plus rusé que l'autre répliqueraient d'autres. Ni l'un ni l'autre dans le cas du jeune rebelle idéaliste, juste une volonté de réparer son erreur avec les moyens à sa disposition sans que des innocents, aussi désagréables soient-ils, n'aient à en souffrir.

« -La magie n'a rien à voir ni même la nature de ta race ou de la mienne, mais de tes attentions, de tes capacités à utiliser tes propres connaissances. Pas les miennes. Ni même celles de quiconque. Tu seras souvent seul face au danger. »

Serait-il donc incapable de faire quelque chose seul ? Heureusement que maintenant, il était mort. Respirer et marcher en même temps devait être compliquer en tant qu'humain.

« -Tu n'as pas à vivre en harmonie avec la nature, mais à accepter tes erreurs, les rectifier et tirer le meilleur d'une situation. Ton arc ne fera pas toujours tout. Mais ton environnement si. Et la facilité est celle que tu veux bien te donner la peine de te donner, petit vampire. Mais il semble que tu préfères te plaindre, t’apitoyer sur ton sort et ta condition de pauvre rebelle que de voir la réalité de ce que tu peux devenir. »

Lyroë n'avait jamais aimé qu'on vienne pleurer dans ses jupons sur sa pauvre et misérable vie. Qu'il se bouge, qu'il avance. Il avait eu le temps depuis qu'il s'était fait mordre de réfléchir à ça. Elle n'allait quand même pas s'apitoyer sur le sort des vampires. Il espérait quoi, l'entendre pleurer, la voir lui passer de la pommade. C'était pas son anniversaire non ? Pas de cadeau.

« -Alors arrête de me parler de ta pauvre condition de vampire, dont coule une malédiction dans les veines, dont la soif ne peut se résoudre que par le sang et dont la magie n'est que noirceur. Tu ne vaux pas mieux dans ce cas que le vampire après qui tu courrais lors du souillage de la tombe de Cymbor. »

Ça si elle n'avait pas compris qu'il était un pauvre et frêle vampire mal aimé... Elle avait de grandes oreilles et n'est donc pas sourde.

« -Face à Lorenz aussi tu t'es plains misérablement de vos conditions de pauvres vampires ? Une lutte bien vaine alors. Je te souhaite bien du courage le jour où tu recroiseras son chemin. Que lui diras-tu ? Ce ne sera ni un ours ni un elfe. Et face aux alayens. Ait un peu le cran de ce que tu es et cesse de te cacher derrière des excuses. »

Car parler ne servait pas toujours. Un bon coup bien placé, valait parfois et faisait bien plus mal. Surtout avec des types du genre de Wintel. S'il était avec elle l'espoir de s'en débarrasser... elle allait devoir tout faire seule. A part endormir le prince avec ses discours de gamins capricieux. Il devait être un humain noble.

« -Et fuir, comme tu sembles si bien le faire au lieu d'affronter ce que tu as crée toi même. Courageux vampire. Tu incarnes pas la rébellion, mais la fuite en avant. Encore une preuve que je peux accrocher fièrement en bandoulière pour montrer la couardise de ta race. »

Par tous les esprits, il parlait, il parlait, une vraie humaine. Mais pour agir. Elle n'était pas là pour bavasser mais il avait voulu mettre à mal, encore une fois, un de ses moments intimes. Et en plus, elle devait le servir comme le prince qu'il n'était pas près d'être.

« -Et tu comprends enfin ce que je te demandais. D'utiliser tes capacités. Alors si te fondre dans la nature est l'une des tiennes, en te soustrayant du danger sans blessés personne, vas-y. Rejoint moi auprès des cibles. L'adresse que tu n'as pas, la discrétion que tu arbores ne sont pas tout pour savoir se servir d'un arc.»

D'un geste de la main, elle délivra l'ours et regarda le vampire d'un regard provocateur. Qu'il se débrouille lui qui sait si bien parler et dire qu'il sait se débrouiller seul en lui reprochant de le laisser se dépatouiller comme un pauvre vampire qu'il était. Et dire que Mery lui avait donné une pierre de chant nom afin de lutter contre Lorenz. S'il ne pouvait même pas faire se coucher un ours... Par le Dracos où allons-nous.

En tout cas, l'elfe s'éclipsa lentement pour le laisser se débrouiller avec son ami l'ours.

Elle devait aimer ça, il n'y avait pas d'autres explications. Quand bien même elle se défendait de vouloir rester seule et de ne pas jouer les gardiennes pour les invités, protégés diront certains, de Merithyn, l'archère elfique insistait avec une telle lourdeur pour critiquer le moindre de ses gestes, le moindre de ses mots, qu'elle devait cacher derrière son apparente hostilité un attrait certain pour l'art du sermon. Une elfe, en somme, et par certains aspects, Kylian comprenait mieux comment elle avait pu se lier d'amitié pour le gardien des baptistrels. Dans des styles certes différents, les deux s'évertuaient à lui faire la leçon comme ils l'auraient fait devant un enfant. La faute à ses traits juvéniles peut-être, ou simplement à son âge particulièrement jeune d'un point de vue elfique ? Difficile à dire. Mais au contraire d'un enfant, ou même tout simplement d'un elfe ou d'un humain, l'archer renégat était et resterait un vampire, une créature de la nuit, véritable prédateur assoiffé de sang et de violence. S'il n'en laissait rien paraître, c'était à force de volonté mais chaque nouvelle réplique de l'archère venait corroder un peu plus cette maîtrise qu'il imposait à ce qu'il était, tant et si bien que peu à peu, il sentait la colère ronger les freins qu'il s'était bâti.

Lorsqu'elle libéra l'ours, il étouffa un juron et bondit vers l'arrière pour échapper aux larges pattes prolongées de griffes qui déjà cherchaient à réclamer vengeance. Cette fois, la coupe était pleine, la dragonnière pourrait se vanter d'être parvenue à bout de sa patience et puisqu'elle semblait à ce point insister, Kylian lui ferait voir de quoi était capable un petit vampire soi-disant maladroit. Maugréant entre ses lèvres, le renégat exécuta sans vraiment y réfléchir les sorts qui lui permettraient de se dégager sans encombre. D'abord, priver l'animal de ses repères en l'enfouissant sous une épaisse brume des morts, puis se guider sur les lourds battements cardiaques de la bête pour lui décocher un sort d'immobilisation peut-être pas aussi efficace que sur un être bipède, mais suffisamment puissant pour entraver deux de ses quatre pattes, le temps pour lui de s'évaporer dans la forêt. Aussitôt dis, aussitôt fait d'ailleurs et déjà la silhouette ténébreuse s'éloignait entre les arbres, exploitant au mieux les zones d'ombres que dispensait l'épais toit végétal que formaient leurs feuillages.

Il lui fallut quelques instants pour se repérer dans cette immensité d'arbres et de verdure mais lorsqu'il retrouva finalement son chemin, il se hâta vers le point de rendez-vous que lui avait donné la rouquine. Alors comme ça, il était incapable de se débrouiller, tout juste bon à fuir pour se plaindre et se lamenter sur sa condition ? Puisqu'elle tenait tant que ça à le faire user de ses capacités, il ne s'en priverait pas, que du contraire d'ailleurs, il était désormais bien déterminé à faire usage de tous ses dons pour lui rabattre le caquet une bonne fois pour toute. Puéril ? Certainement, mais, après tout, n'était-ce pas ainsi qu'elle le considérait depuis le début ? Et par début, il ne pensait pas seulement à leur rencontre du jour, mais bien à celle qui avait eu lieu quelques mois plus tôt.

Approchant du lieu convenu, le vampire ralentit sa course, relâchant progressivement la bride à ses instincts de prédateur pour se concentrer sur ses sens et sa perception de son environnement. Son ouïe fine et son odorat acéré l'aidèrent à localiser sa proie elfique parmi les arbres, aussi silencieuse qu'elle pouvait demeurer, il restait une chose qu'elle ne pourrait jamais faire taire : ses battements cardiaques. Glissant silencieusement telle l'ombre qu'il devenait, Kylian contourna la position occupée par l'archère et s'approcha dans son dos, ses mains accrochant l'arc et le carquois qu'il avait empruntés à sa sortie du domaine baptistral, par précaution. La distance diminua progressivement au rythme de ses pas félins, et lorsqu'il fut parvenu suffisamment près pour la toucher en tendant la main, il tira lentement sur la corde de son arc et arma un projectile dont il dirigea la pointe vers la nuque de la demoiselle. Quelques centimètres au plus séparaient la rousse chevelure de l'acier de sa flèche et lorsque sa voix s'éleva, lugubrement teintée de cette froideur qui n'appartenait qu'au peuple des non-morts, elle n'avait toujours pas remarqué sa présence :

« La réalité de ce que je peux devenir me commande de décocher cette flèche pour ensuite me repaître de ton sang, alors garde toi de conseiller à un vampire d'avoir le cran d'assumer pleinement ce qu'il est. »

Il poursuivit sans esquisser le moindre geste pour détourner la flèche de la trajectoire à laquelle il semblait la prédestiner :

« Je suis un prédateur, chaque fibre de mon être résonne de l'appel du sang, de la violence et de la mort. C'est ce que j'essayais de te faire comprendre mais tu as préféré y voir de l'apitoiement. Pourtant, tu fais erreur car même si je désire plus que tout pouvoir m'en guérir un jour, je ne me plains pas de mon sort : je m'en accommode et je le domestique, parfois je me surprends même à le remercier autant que je le maudis. »

La pensée d'Esmelda revint s'imposer un bref instant à son esprit : sans l'immortalité que lui avait conférée le vampirisme, jamais il ne l'aurait connue. Cruelle ironie que ce même vampirisme les obligent à terrer leur amour sous le mensonge et le secret.
Ramenant son attention sur ce qui le préoccupait à cet instant, il reprit :

« Je sais ce qu'est la solitude, je ne serais plus là aujourd'hui si je n'avais pas été capable de survivre seul. Et je sais aussi que tu la connais également, d'une autre manière. »

La référence au décès de Cymbor était limpide aussi ne prit-il pas la peine de retourner encore la hallebarde dans la plaie en précisant le fond de sa pensée.

« Même si je ne me risquerais pas à la comparaison de ce que tu peux ressentir, j'ai eu moi aussi à souffrir de l'isolement. Je sais ce que c'est que de se croire seul au monde et c'est bien pour cela qu'aujourd'hui j'ai la clairvoyance de saisir les mains qui me sont tendues. L'amitié est trop rare et trop précieuse que pour ne pas s'en préoccuper. »

Il laissa un silence de quelques secondes s'installer, comme pour mieux lui permettre d'assimiler le discours qu'il venait de lui tenir avec détachement et sévérité, puis détourna finalement son arc et retrouva une voix plus amicale, à défaut de pouvoir la teinter d'une chaleur vivante :

« Alors maintenant, tu peux mettre de côté ta haine envers ce que je suis, cesser de me sermonner comme tu le ferais d'un gamin et m'aider à me perfectionner dans le maniement de l'arc... ou... tu peux me renvoyer d'où je viens et reprendre ton entraînement solitaire. »

Il conclut finalement en se reculant de deux pas pour lui laisser un peu d'espace :

« J'accepterais ton aide de bon coeur si tu daignes me l'offrir, mais je n'ai pas besoin d'une gardienne qui pour une raison ou une autre se sentirait investie d'une responsabilité envers moi. La flèche est dans ton camps. »

Enfin il arrivait à se servir d'un de ses capacités. Il en aura fallut du temps et un ours en colère. Il était lent mais au final, on pourrait peut être tirer quelque chose de ce vampire.
La pointe de la flèche menaçant son cou, Lyroë se tint droite, un sourire se dessina sur son visage, alors que sa main glissait en douceur le long de son corps, appelant un de ses petits poignards à glisser le long de son bras. Elle ne fit rien de plus. Mais décidément, il avait encore besoin d'apprendre. Et surtout apprendre à se taire et à cesser de se justifier à tout bout de champs.

« -Parce que tu as besoin de te justifier devant moi ? Pourquoi ? Crois-tu que tu es le premier vampire que je croise ? Que je ne connais pas ce qui fait la différence de nos races ? Tsss, ouvre les yeux un peu et cesse de jacasser comme une femme par le Dracos. »

Elle commençait à avoir la migraine. L'archère avait presque trouver un concurrent à Mery. Et il fallait le faire.

« -Tu penses trop et n'agit pas. Et tu comptes rallier qui comme ça ? Ou défier Lorenz comment ? En lui expliquant l'histoire de la race vampirique? Tu perds ton temps et ton énergie.»

A moins qu'il préférait au final se faire planter par son prince vampirique. Dans ce cas là, son ami d'enfance avait fait une belle bourde de lui confier une arme aussi puissante. Et pour preuve, il se concentrait tellement sur ses mots et sa rage de s'expliquer qu'il en oubliait sa garde.

« -Tu seras vite mort en faisant ainsi. Comme tu le serais là à seulement porter attention sur ton arc et tes mots au lieu de regarder ma dague, qui ferait bien plus de dégâts que ta simple flèche. »

Elle laissa glisser le poignard et recula son bras pour montrer la lame au vampire. Eh oui. Même si elle semblait désarmer, elle ne l'était pas. Et elle aurait pu se saisir de l’occasion d'user de sa magie.

« -Être un archer ne demande pas que le silence de tes pas, l'adresse que tu n'as pas et l'imagination de ce qui t'entoure qui t'es inconnu, mais une patience, une force et le moment de savoir saisir l'instant qui te fera passer de simple bipède avec un bout de bois dans les mains à un véritable archer digne de ce nom, pouvant changer la donne.  Car je me fiche de ton passé de vampire solitaire se concentrant sur ses défauts et pleurant sa transformation. Avance vit avec, fais en ta force, pas ta faiblesse. Et oui, je te sermonne comme un enfant, car tu en ais un. Du moins tu te comportes comme tel. »

Et s'il boudait encore ou bien rétorquait, cela prouverait bien qu'elle avait raison de penser ainsi.

« -Et nous ne sommes pas ici pour parler de moi. Mais pour t'enseigner l'art de l'arc. Chose que je fais depuis que comme un caprice tu t'es auto-déclaré archer et que tu as failli te faire tuer par un ours, comme un débutant. »

Lyroë se retourna pour lui faire face. Ses yeux clairs étaient dénués de toute émotion. Elle reprit le ton sec.

« - Maintenant, que tu as enfin compris, on va peut être pouvoir avancer. Il y a encore beaucoup de travail pour que tu puisses oser te prétendre archer et que tu sois digne d'en porter un dans tes mains. »

Car en avoir un et faire mumuse avec était bien facile, jusqu'à ce qu'on se plante une flèche dans le pieds ou un ours. Et le vampire semblait prompt aux deux. Et Lyroë n'avait pas que ça à faire.

« -Bon commençons, enfin recommençons. Essaie de toucher les cibles que j'utilisais tout à l'heure. Sachant qu'elles ne sont pas immobiles. Et tâche de ne pas planter un autre ours, sinon je te jette en pâture dans ses griffes. »

Dracos ait pitié de lui, si toutes les représentantes elfiques du sexe dit faible ressemblaient ne serait-ce qu'un peu à celle qui se tenait devant lui, la fécondité toute relative du Beau Peuple devait certainement trouver ses origines dans le fichu caractère de ces demoiselles. Il en aurait presque plaint les hommes sylvains. Car enfin, il essayait de se montrer coopératif envers elle, quoique bien maladroitement il devait en convenir, cela ne lui convenait. Il essayait de se montrer plus persuasif en relâchant quelque peu la bride qu'il imposait à ses propres instincts, cela ne lui convenait pas davantage. Une éternelle insatisfaite, voila ni plus ni moins ce qu'elle était. Il parlait trop et devait agir plus ? Mais que lui fallait-il exactement, qu'il s'attaque à elle comme il l'aurait fait devant un Lorenz ? Effectivement, l'idée avait de quoi séduire car une fois qu'elle aurait la nuque percée d'une flèche ou la gorge arrachée par ses crocs, il ne l'entendrait plus se plaindre continuellement.
Son regard clair fit un rapide aller-retour entre la lame que l'archère venait d'exhiber au creux de sa main et le visage sévère de la rouquine. La belle affaire que voilà, et quelle conclusion était-il censé tirer ? S'il avait réellement voulu la tuer, il aurait largement eu l'occasion de le faire avant qu'elle n'ait remarqué sa présence. Du moins était-ce ainsi qu'il considérait la situation et heureusement pour elle justement, il préférait encore se justifier par les mots que par le sang.

« Tu n'es pas mon ennemie, pourquoi attendre de moi que je me comporte envers toi comme je le ferais devant Lorenz ? »

A moins qu'elle ne chercha simplement le bon prétexte pour pouvoir le tuer ? Le vilain vampire assoiffé de sang se serait jeté sur elle pour tenter de l'assassiner, l'obligeant à défendre sa vie. Légitime défense, les elfes sont les gentils, les vampires sont les méchants... Dracos, cela n'avait ni queue ni tête, si telles étaient bien ses intentions, elle pouvait aussi bien le tuer là et monter son histoire de toutes pièces ensuite, pourquoi chercher à le pousser hors de ses gonds sinon se donner bonne conscience ? Elle n'avait pourtant pas l'air d'avoir besoin de ce genre de chose...

Le vampire retint un soupir las tandis que son professeur autoproclamé ramenait encore une fois sur la table l'incident de l'ours, ravivant quelque peu ses regrets de ne pas avoir offert à l'animal une elfe pour le dîner. Cela étant, autant elle pouvait lui paraître insupportable d'arrogance et d'agressivité, autant il devait bien admettre que sa propre technique à l'arc était encore perfectible. Pour le vampire qu'il était, bénéficier des leçons d'une elfe, peuple reconnu spécialiste en la matière, représentait une occasion par trop précieuse que pour être négligée. Fut-elle une elfe aussi agaçante que celle qui le sermonnait depuis un bon moment déjà.

Bon gré mal gré, Kylian se mit donc en position, arc dans une main, une flèche dans l'autre, jambes légèrement écartées, pieds formant un angle droit pour s'assurer un bon équilibre et épaules relâchée. Il jeta ensuite un regard vers les cibles désignées avant de ramener son attention sur la rouquine :

« Très bien... Maître... Quand commences-tu à courir ? »

A en juger par l'expression de son visage, ce n'était pas particulièrement ce qu'elle avait en tête. Lui non plus à vrai dire, mais avec la scène qu'elle lui jouait depuis tout à l'heure, la réplique avait été trop tentante que pour la garder pour lui.

Revenant à plus de sérieux, le renégat vampire prépara sa première flèche et banda son arc, dirigeant calmement la pointe d'acier vers la première cible. Cette fois, il prit le temps de correctement estimer la distance ainsi que la direction et la force du vent avant de décocher et lorsqu'enfin il jugea sa visée adéquate, libéra le projectile. La flèche fila silencieusement dans l'air pour venir frapper la cible, pas vraiment en plein centre mais au but tout de même. Il procéda de la même manière pour la cible qu'il avait ratée précédemment, et comme précédemment, le soleil vint entraver sa perception. Cette fois cependant, il se retint de décocher à l'estime et chercha du regard une meilleure position. Deux pas sur sa gauche furent tout ce qui le séparait d'un bien meilleur point de tir : le feuillage d'un châtaigner occultant désormais suffisamment les rayons de l'astre solaire que pour lui permettre d'y voir clair, il tira sa flèche avec autrement plus de succès que la première fois.
Sans dire un mot, il jeta un bref regard vers son maître puis se concentrera sur la troisième cible. Il décocha de nouveau et cette fois, manqua son but, la flèche finissant sa course dans une branche qui gênerait considérablement la trajectoire de tout projectile.

Nouvel échange de regards silencieux avant que le vampire ne ramène son attention sur la cible en question. Etudier son environnement, exploiter ce qu'il avait à disposition et savoir saisir l'instant, c'était là ce qu'elle lui martelait avec insistance depuis son premier échec. Il observa donc, patientant ainsi de longues minutes. A chaque instant, il s'attendait à une réplique cinglante de la part de Lyroë, concernant par exemple le fait qu'elle n'avait pas l'immortalité devant elle, elle, mais aucun commentaire ne se fit entendre.
Au bout du moment cependant, un phénomène fréquent vint percuter l'esprit de l'archer en devenir : avec une surprenante régularité, le feuillage d'un buisson touffu se trouvait malmené par un courant d'air s'engouffrant entre un large tronc et un amas rocheux. La déclinaison qui séparait le buisson en question de la cible n'excédait guère plus de quelques degrés, tant et si bien qu'une flèche tirée dans cette direction au bon moment pourrait certainement dévier suffisamment que pour finir sa course... Dans la cible désirée justement.

Kylian patienta encore quelques instants, le temps de mûrir son hypothèse, avant de s'en convaincre totalement et d'armer son prochain tir. A sa plus grande fierté, quoique non sans un certain étonnement de sa part, la flèche qu'il décocha suivit la trajectoire prévue et s'en alla frapper la cible auparavant inatteignable. Etudier, exploiter, saisir. Leçon retenue donc, bien qu'on pouvait encore douter qu'il aurait le temps de ce genre d'analyse au milieu d'un combat.

« On continue ? »

Son ton s'était quelque peu radouci, sans toutefois se montrer véritablement amical : le vampire gardait encore une certaine réserve... comparable à celle d'un élève devant un professeur, en vérité. Finalement, peut-être pourraient-ils finir la journée sans s'écorcher mutuellement, et peut-être même le jeune renégat parviendrait-il à apprendre deux ou trois choses auprès de l'archère au sale caractère.

Bonne question. Et encore elle était à côté de la plaque. Elle n'était pas Lorenz, Dracos merci. L'archère ne voulait en aucun cas éradiquer la moitié du continent, elfe, humain, dragon et même vampire. Et là encore elle ne mentionnait pas les alayens. Mais bon il ne fallait pas trop en demander aux canines dentues de ce vampire et expliquer les choses clairement, en même temps quoi de plus normal face à un homme dont le cerveau est irrigué par du sang prédigéré. Cela expliquait beaucoup de chose. Un grand nombre à vrai dire.

Lyroë rangea son fin poignard le long de sa manche et fit face au vampire. Son regard de glace plongea dans les prunelles claires de la créature de la nuit.

« -Je m'attends à ce que tu réfléchisses à ce que tu ferais face à lui si demain ce cas se présentait. Tu as en ta possession une arme pour le détruire ou mettre à mal celui qui te l'a donné. Une personne qui compte à mes yeux. Alors je ne laisserai personne ni s'en prendre à lui ni perdre le seul moyen de mettre à mal cet assassin. »

Ils étaient deux, deux avec Mery à connaître et à détenir les faiblesses de ce maudit vampire dans les mains. Et la jeune femme ne pouvait laisser un vampire colérique, omnibulé par son seul soucis de malédiction mettre à mal la confiance de son ami d'enfance. Se mettre en marge, décider de se mettre en contre courant ne se faisait pas simplement par la simple volonté de se dire différent. Il fallait ensuite assurer ces choix. Et s'y tenir. Une chose bien plus complexe qu'il y paraissait et Lyroë le savait bien.

« -Tu te dis rebelle vampirique, celui qui veut montrer qu'il est possible de vivre autrement quand on est vampire. Prouve-le. Montre que ce qui est une malédiction, ce qui te ronge est une force et pas une faiblesse. Une force et pas une fatalité. Et que force ne veut pas dire violence. »

Ne veut pas dire la coupe de ce vampire assoiffé de sang et de vengeance. S'il y croyait peut être que ce Kylian arriverait à donner croyance aux autres. Mais pour cela fuir face à un ours ne servirait à rien et lancer des flèches dans le vent non plus. Encore moins de se terrer. Il fallait affronter son destin, y faire face et l'accepter. Elle le ferait bien.

Et l'avait déjà fait depuis sa rencontre avec Cymbor, puis Shaynar et Eliow. Vampire rebelle à sa manière. Il luttait sans violence, mais il luttait aussi contre celui qui se disait prince. En refusant de se voir comme dragonnier vampirique... même s'il dut capituler. Il avait au moins tenté. Alors ce vampire, là avait une arme en plus, autant le garder debout et en vie.

« -J'ai rencontré un vampire il y a quelques années, qui lui aussi cherchait à prouver que sa particularité n'était pas une fatalité. A sa manière, il fut comme toi, un renégat face à la contrainte Lorenz Wintel. »

La réponse à sa question finie, elle le laissa prendre place face aux cibles et se débrouiller face aux conséquences de ses actes. Il était grand après tout.

« -Je te laisserai courir seul cette fois-ci. La première fois, ce fut par politesse et parce que j'avais peur que tu t'en prennes à l'ours.»

Mais une chance, pas besoin de courir. Quand il se concentrait il arrivait à quelque chose de correct. Du moins de moins catastrophique, il y arrivait presque à atteindre ce but. En espérant que dans sa non vie il parviendrait à en faire autant. Lorenz ne serait pas une cible non mobile à attendre qu'on lui encoche une flèche.
Mais il fallait avouer que là le vampire arrivait bien mieux que tout à l'heure. Il réfléchissait bien plus. Acceptait de ne pas foncer tête baisser sans prendre en compte ce qui l'entourait. Lyroë espérait qu'il comprenne qu'elle ne parlait que que d'arbres et de vent, mais aussi du reste. Le mouvement, les gens, lui, tout cet ensemble qu'il faisait un tout.

« -Penses-tu avoir encore besoin de mes conseils ? Ou te sens-tu l'âme de te voir comme un archer susceptible de changer la donne ? N'agissant que par la colère de ta malédiction ? »

Trop de questions ? Peut être en tout cas, fallait pas le brusquer, ses neurones avaient beaucoup travailler en si peu de temps, le sang irriguait doucement le cerveau. En plus un homme avait son attention concentré ailleurs.

« -Et pourtant cette malédiction ne t'a-t-elle pas apporter aussi de bien grande chose ? Avoir la chance qu'un dragon se penche sur son esprit. Une chose unique, un lien que tout dragonnier devrait partager et unir au lieu de chercher à le détruire et refaire les mêmes erreurs. Tu as changé la donne une fois, pourquoi pas deux. »

Encore faudrait-il savoir saisir l’occasion, ou en avoir l'envie? Voulait-il vraiment ou préférait-il continuer à chouiner dans ses jupons?

Inattendue, la première question de son professeur laissa le renégat perplexe quelques instants : venait-elle bien de lui demander son avis ? Et donc, d'une certaine manière, d'accorder du crédit à son opinion ? Kylian peinait quelque peu à l'envisager et, force était de le reconnaître, il ne pouvait totalement éclipser la possibilité qu'elle ne soit purement et simplement en train de se moquer de lui, guettant une éventuelle réponse qu'elle se ferait ensuite une joie de lui renvoyer en plein visage, accompagnée de l'un de ces commentaires acides dont elle semblait si friande. Sans se précipiter, le vampire détourna les yeux du visage de la rouquine pour considérer les cibles sur lesquelles il venait de s'exercer. Techniquement parlant, il ne s'en était pas trop mal sorti. Pour un non-elfe, c'était même pas mal du tout et l'archère elfique devait forcément en être consciente. Peut-être ne parlait-elle alors pas uniquement de sa maîtrise de l'arc...

Plongé dans sa réflexion, le vampire porta instinctivement la main vers une poche de sa tunique, laissant ses doigts glisser sur les contours de la petite pierre dissimulée derrière le tissu tandis que les mots de l'ancienne dragonnière s'attardaient dans son esprit. Il possédait là une arme qui pouvait lui conférer le pouvoir de détruire celui qu'il qualifierait sans hésitation comme l'incarnation même des pires fléaux du monde, celui qui se faisait appeler le Prince Noir. Une arme qui pouvait mettre à mal son ennemi plus sûrement que toutes les épées, toutes les flèches ou toutes les magies. Une arme qui pouvait changer la donne... Si tant est qu'il fut prêt à en faire usage.

Interrompant le fil de ses pensées, Kylian ramena brutalement son attention vers l'archère elfique lorsque celle-ci évoqua les trop rares avantages qu'il pouvait voir à la malédiction dont il avait été frappé, quelques deux cents ans auparavant. Comment pouvait-elle savoir pour ... Skade. C'était de sa rencontre avec la grande dragonne des tempêtes dont l'elfe parlait, et non pas d'une jeune princesse humaine comme il l'avait crains de prime abord.
En effet pourtant, il pouvait bel et bien s'estimer heureux d'avoir en la chance de croiser la route de la matriarche draconnique, ou pour être précis, il pouvait s'estimer heureux que la route de la dragonne eut croisé la sienne. Oui, le renégat pouvait certainement remercier le venin qui coulait dans ses veines pour cette raison également, mais pourtant pas de la façon dont Lyroë le pensait alors. Cette chose unique, ce lien si extraordinaire dont elle parlait, lui ne le connaissait pas. Tout au plus en avait-il été témoin en observant Roëric et Isyndar, mais il y avait bien peu à percevoir pour l'oeil du profane qu'il était.

« Je ... »

Il quoi ? C'était Skade elle-même qui l'avait présenté comme son dragonnier, lui fournissant par le fait même le prétexte idéal pour justifier sa présence en ces lieux et éviter que ne soit révélée la véritable raison qui l'avait poussée à traverser la moitié du continent. Difficile dès lors de changer son arc d'épaule, Lyroë pensait se trouver face à un dragonnier, et pas n'importe lequel encore bien, à lui de se montrer convaincant.

« Je changerais la donne. »

Il avait énoncé cela avec une conviction des plus sincères, après tout, on ne bafouait pas l'autorité du prince autoproclamé des vampires si on ne défendait pas au plus profond de soi l'intime certitude de pouvoir amener le changement. D'une manière ou d'une autre, il partagerait ce en quoi il croyait : qu'il fut ou pas un véritable dragonnier n'avait guère d'importance, l'essentiel tenait dans les mots qu'il prononçait et les actes qu'il posait, plus que dans ce qu'il était. L'essentiel était que l'on se souvienne des idées, et non de l'homme.

D'un geste lent, le vampire rangea son arc dans son dos et referma son carquois, avant de reprendre la parole avec prudence, soupesant soigneusement ses mots :

« Mais j'aurais effectivement encore besoin de conseils : je ne suis... dragonnier... que depuis peu, et lorsque nous sommes arrivés, lorsque tu nous as accueillis, Skade a dis que tu lui devais une histoire... »

Il n'était pas difficile de comprendre qu'il effleurait là une corde particulièrement sensible, mais après tout, c'était bien elle qui venait de ramener au centre de la discussion le lien qui unissait le dragon à son dragonnier. Et c'était elle encore qui insistait pour lui faire prendre conscience des erreurs du passé, alors ...

« J'aimerais entendre cette histoire. »

Il changera la donne. Il fallait l'espérer. Après tout, tout comme elle, il avait de quoi la changer. Il avait aussi un avantage. Sa dragonne. Sagesse millénaire qui saurait canaliser son énergie diffuse. Elle se retrouvait sans cet appui. Quoique. La dragonne bleutée et elle avaient eu un échange encourageant. Une confiance naissante et une douce complicité. Peut être pourraient-elles veiller l'une sur l'autre.
Lyroë le lui demanderait.

Mais de là à donner des conseils. Heu, il se trompait sur la personne, elle n'était pas Mery. Elle avait laissé son dragon mourir. Et surtout, elle avait appris seule, pas tâtonnement et pas forcément les meilleurs.

« -Des conseils ? Il n'y a pas de guide pour devenir un bon dragonnier. Il faut juste se fier à soit même, à son instinct. Être dragonnier, n'est pas un rôle ni un statut, c'est juste un choix bénit des esprits, un choix unique fait par un dragon. Un choix qu'on n'explique pas et qu'on ne contredit pas. Il n'y a rien à changer, juste à protéger ce don. »

Il n'y avait rien à faire, juste à se laisser porter par ses émotions et la dragonne avait de quoi pouvoir le guider dans ses faux pas. Du moment qu'elle n'en fait pas un...sinon, elle devra chercher un autre vampire.

Lyroë avait presque oublié cette histoire qu'elle devait à la mère dragonne. Et pourtant, elle en avait le droit. Plus que quiconque. Oui, Lyroë le lui devait. Quitte à subir son courroux par la suite.
Elle inspira profondément et changeant le ton de sa voix, l'archère commença. Après tout, elle pouvait bien le lui dire.

« -Skade est la mère de mon lié. De Cymbor. Je pense qu'elle veut que je lui parle de son fils, de sa vie, de notre vie, mais surtout comment je l'ai laissé mourir sous le feu de ce maudit vampire. Ce que je peux comprendre. Je le lui dois après tout. Cymbor était son fils, elle revient dans l'espoir de retrouver un fils tant aimé pour en fait ne retrouver que la désolation de sa mort. »

L'elfe se remémorait ses souvenirs. L'espace d'un instant, elle se sentit flancher, comme si son âme meurtrie se rappelait à elle, un peu plus. Elle inspira pour reprendre contenance et continua son histoire, maintenant qu'elle avait commencé.

« -C'est Merithyn qui ramena l’œuf de Cymbor au royaume elfique. Il nous avait été demandé de venir touche l’œuf pour le voir éclore pour l'un des nôtres. J'y suis allée, contrainte et forcée pour toucher cette coquille qui se fendit pour moi. Moi, simple archère au service de sa majesté l'impératrice. J'ai tout d'abord rejeter cette idée de devenir dragonière. Que faire d'un dragon, d'un petit être lié à vous. Un bébé, pas une dragonne millénaire. Le nourrir, lui apprendre à chasser, voler, être son guide. Un dragon. Rien de plus que ce symbole de magie qui en plus pour mon peuple est symbole de vie. Il y avait tant de regard sur nous. Et pourtant, Cymbor a su lui m'apprendre bien plus que moi. »

Ce petite dragon lui avait appris et ouvert les yeux sur tant de chose. Bien plus que le simple fait d'être dragonnière. Mais être elle, ce qu'elle était vraiment.

«- Le Dracos nous a mené sur bien des chemins et nous avons pu traverser le pays pour vivre de nombreuses aventures. Avec le premier né Shaynar et son lié, sans oublier Merithyn. Notamment pour trouver les œufs des six. Cymbor était un dragon noble dans tous les sens du terme. D'une beauté immaculée et d'un cœur bon et pur, voyant du bon en chacun, mais sachant taper de la patte et user des crocs quand cela était nécessaire. Et surtout, il me supportait. »

Elle regarda le vampire et sourit avec une certaine ironie. Il devait l'avoir pensé à un moment.

« -Alors la voilà l'histoire du beau dragon blanc qui vécu pour laisser autour de lui la justice et l'envie de voir tous les peuples unis, mais pas sans se battre. Ce qu'il fit face à Wintel. Je suis tombée par hasard sur son camp, avec un autre éclaireur elfique. Nous avons été pris. Cymbor a voulu me sauver. Mais c'était sans compter sur la folie et la cruauté sans nom de cette créature. Tuer un vampire. Sa haine de l'autre va même au delà de l'entendement et de la raison. Mais Cymbor n'a rien voulu entendre et jusqu'au bout à permis à une prisonnière, à un œuf de dragon et à moi même de sortir de ce feu ardent. »

Pourquoi le lui disait-elle tout ceci ? Peut être pour le préparer à vivre de même, ou bien à se méfier de lui, de quelconque assurance de se retrouver dragonnier. Rien n'était sûr, rien n'était acquis. Un instant de trop grande confiance et …

Et Cymbor méritait qu'on parle de lui, de son sacrifice, de sa volonté de voir les siens unis.

« -Voilà cette histoire, celle d'un dragon prêt à tout pour sauver les siens, pour aider à la reconstruction de Armanda. Pour lui, l'union des dragons et dragonniers étaient un beau rêve. Celui d'une force de paix, d'une espoir d'une union plausible. »

Dracos merci, il n'était pas véritablement dragonnier car si tel avait été le cas, les mots de l'archère n'auraient pas eu fini de le troubler : pas de conseils, pas de guide, juste de l'instinct. Comment donc pouvait-on aborder un lien privilégié avec une créature aussi fabuleuse qu'un dragon uniquement sur base de ses instincts ? Cela le dépassait complètement, et n'en rendait que plus ridicule encore l'idée même qu'il put essayer de se faire passer pour l'un de ces élus du peuple draconnique. Le simple fait d'avoir pu échanger comme il l'avait fait avec la matriarche lui apparaissait déjà comme une véritable faveur du destin, alors s'imaginer lié à elle... C'était pourtant la propre initiative de la grande dragonne qui l'avait brutalement drapé des atours de dragonnier, un choix qu'il ne s'expliquait pas et qu'il ne contredisait pas, un don qu'elle avait consenti à faire pour l'aider et auquel il ne pouvait rien changer. Troublantes similitudes avec le discours de l'ancienne dragonnière, en vérité.

Kylian n'eut pas l'opportunité de développer plus avant cette réflexion toutefois, Lyroë poursuivait la conversation et sans doute était-ce mieux ainsi. Il aurait été bien ridicule de la part du jeune renégat que de commencer à s'imaginer digne de se lier à la Mère des Tempêtes, pas vrai ? D'ailleurs il se sentait déjà ridicule d'avoir ne serait-ce qu'envisagé la possibilité de songer pouvoir y penser, alors mieux valait pour lui chasser définitivement pareille idée de son esprit et se concentrer sur le récit de l'archère elfique.
Le vampire écouta l'histoire en silence, se gardant bien d'interrompre cette confidence sur son passé que daignait lui accorder la jeune femme. Cependant, les scrupules qui lui étreignaient l'esprit semblaient croître au rythme des mots qui lui étaient délivrés : lui aurait-elle raconté tout cela si elle avait su qu'il était aussi dragonnier qu'elle était vampire ? Probablement pas, et cet aveu le mettait mal à l'aise.

Pourtant, lorsqu'elle s'interrompit pour lui sourire avec un regard entendu, il ne put que sourire à son tour avec un hochement de tête léger. Effectivement, supporter constamment le caractère enflammé de l'archère elfique tenait de l'exploit, même pour un dragon. Les quelques heures que le vampire avait passée en sa compagnie étaient plus qu'il n'en fallait pour le convaincre sur ce point. Éphémères, les sourires s'effacèrent rapidement tandis que le récit se poursuivait et s'achevait finalement sur l'issue tant redoutée, mais malheureusement attendue.
Un silence pesant s'installa après que les derniers mots se furent échappés des lèvres de la rouquine, tel un instant de recueillement, avant que le vampire ne s'avance à répondre avec douceur et respect :

« Merci. »

Cela n'avait pas dû être facile pour elle, d'autant plus si l'on considérait le rapport plus ou moins hostile qui liait l'archère à son élève du jour, aussi Kylian n'en appréciait-il que plus encore le geste qu'elle avait consenti.

« Cymbor était un digne représentant de son peuple, cela vaut ce que cela vaut, mais je pense que vous êtes une grande dragonnière. Quant à Skade... Je ne peux m'exprimer à sa place, mais je crois qu'elle sera fière de ce qu'a accompli son petit. Oui. En colère, mais fière. »

Le vampire hésita un instant à poser une main réconfortante sur l'épaule de la demoiselle mais s'en abstint finalement, jugeant qu'il était sans doute encore trop tôt que pour se permettre ce genre de familiarité. Un jour, peut-être. Ou peut-être pas.
Il s'efforça néanmoins de sourire avec assurance avant de conclure :

« Il nous appartient désormais de faire en sorte que ce en quoi croyait Cymbor puisse devenir une réalité. »